Olga Tokarczuk
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Re: Olga Tokarczuk
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21642
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Re: Olga Tokarczuk
Comme dans tout village polonais, on a vu passer des Russes et les Allemands Les homme sont partis à la guerre, plusieurs fois, les femmes ont été violées et les maisons dévastées. Cela n’ a pas empêché chacun de faire sont travail, quelques trafics au marché noir, élever des enfants, construire des maisons, et arrose tout ça de vodka. Mais aussi les hommes et les femmes ont rêvé, souffert, entretenu d vieux fantômes, partagé l’énergie de la nature, cherché le sens de Dieu et de la vie.
Le relai se passe de l’un à l’autre par petits chapitres, pour décrire ces vies les deux pieds solidement ancrés dans la terre mais menées par l’espoir et la fantasmagorie. Il ressort un charme certain de ce récit où le quotidien se pare de rêves, visions, sorcellerie, folie douce et questionnement existentiel.
Mots-clés : #historique #lieu
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8546
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Re: Olga Tokarczuk
femens ?Topocl a écrit:les hommes et les femems ont rêvé, souffert, entretenu d vieux fantômes
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
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Re: Olga Tokarczuk
Et ça a l'air long et compliqué. Combien de pages est-ce en tout ? (1,1 kg ???)
1300 pages ? 1500 pages ? A peu près comme Ulysse de Joyce ? Ou comme L'homme sans qualités (2000 pages ?) Et elle a reçu le prix Nobel pour celui-ci, non ?
Je connaissais son nom vaguement, mais elle ne m'intéressait pas vraiment jusqu'à présent.
Et on n'en a pas encore en format poche... (dans un an, peut-être, grâce au prix Nobel ?)
Mais il y a déjà deux chosiennes courageuses l'ont lu jusqu'à la fin.
Et elles étaient contentes toutes les deux de cette lecture.
Gnocchi- Messages : 965
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Re: Olga Tokarczuk
énoooorme
Nadine- Messages : 4882
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Re: Olga Tokarczuk
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Bédoulène- Messages : 21642
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Re: Olga Tokarczuk
Mais si tu mettais un mois et demi, moi j'aurai sûrement besoin de trois ou quatre mois. C'est désespérant.
Gnocchi- Messages : 965
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Re: Olga Tokarczuk
Console toi, Gnocchi ! Tu liras toujours plus rapidment le français que nous le japonais!Gnocchi a écrit:Ah bon ? Je l'imaginais très compliqué.
Mais si tu mettais un mois et demi, moi j'aurai sûrement besoin de trois ou quatre mois. C'est désespérant.
bix_229- Messages : 15439
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Re: Olga Tokarczuk
Gnocchi a écrit:
Et on n'en a pas encore en format poche... (dans un an, peut-être, grâce au prix Nobel ?)
@Gnocchi, tu peux trouver deux livres de cet écrivain publiés en format poche.
Invité- Invité
Re: Olga Tokarczuk
C'est vrai que je pourrai m'entraîner d'abord avec des livres moins longs.
Et merci Bix aussi. C'est très gentil.
Gnocchi- Messages : 965
Date d'inscription : 01/01/2017
Re: Olga Tokarczuk
récitai-je pour moi-même.
mais le vers de Blake était-il bien ainsi ? »
Jennina Doucheyko, mais elle déteste son prénom, nous l’appellerons donc « madame », ingénieure des ponts et chaussée à la retraite, habite un hameau de quelques maisons sur un haut plateau aux confins de la Tchéquie.
Elle veille sur ce petit monde dont les habitants répondent à des pseudonymes : Glaviot, Grand-Pied, l’Ecrivaine etc… déneigeant par ci par là, réparant une gouttière défaite. Le reste du temps, elle donne quelques cours d’Anglais aux enfants du village d’à côté, parcoure la forêt, sillonne son terroir au volant de sa vieille Toyota Samouraï, aide un jeune étudiant à traduire Blake et surtout recueille les dates de naissance de ses connaissances pour dresser leur horoscope car madame est férue d’astrologie. Elle a une hantise : les chasseurs ! Qu’ils opèrent dans un cadre légal ou qu’ils braconnent peu importe. Ce sont des assassins qui s’en prennent à des êtres innocents. Madame n’hésite pas à écrire des lettres de protestation à leur sujet à la police, à interrompre des battues. Elle ne recueille que peu de suffrages et passe aux yeux de la plupart comme une personne un peu toquée, en tout cas au comportement excessif.
Madame souffre également de nombreux maux, plus ou moins mystérieux. Il faut avouer que la vie est rude sur le plateau balayé par les vents, aux hivers rigoureux et particulièrement longs.
Un soir Grand-Pied meurt étranglé par un os de biche qu’il vient de braconner. D’autres meurtres étranges vont suivre. Serait-ce une vengeance des animaux contre ceux qui les persécutent ?
Olga Tokarczuk réussit un beau mélange des genres, associant le thriller, le roman social, psychologique, la fable écologique, la poésie avec une belle dose de mélancolie, sans oublier un humour noir décapant.
C’est un livre que j’ai particulièrement apprécié.
« Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où l'ambulance viendrait me chercher en pleine nuit. »
« En contemplant le paysage noir et blanc du plateau, j’ai compris combien la tristesse était un mot important dans la définition du monde. Elle se trouve à la base de tout, elle est le cinquième élément, la quintessence. »
« D’une certaine façon, les gens comme elle, ceux qui manient la plume, j’entends, peuvent être dangereux. On les suspecte tout de suite de mentir, de ne pas être eux-mêmes, de n’être qu’un œil qui ne cesse d’observer, transformant en phrases tout ce qu’il voit ; tant et si bien qu’un écrivain dépouille la réalité de ce qu’elle contient de plus important : l’indicible. »
« J’ai grandi à une époque qui, malheureusement, appartient déjà au passé. Elle se caractérisait par une grande aptitude au changement et à l’élaboration de visions révolutionnaires. Aujourd’hui, plus personne n’a le courage d’inventer quelque chose de nouveau. On se réfère sans cesse à ce qui existe déjà et l’on ne fait que ressortir de vieilles idées. La réalité a pris de l’âge, elle est devenue gâteuse, car, à l’évidence, elle obéit aux mêmes lois que n’importe quel organisme vivant : elle vieillit. Ses plus petits composants – les sens – obéissent au phénomène de l’apoptose, au même titre que les cellules du corps. L’apoptose est une mort naturelle provoquée par la fatigue ou par l’épuisement de la matière. En grec, ce mot signifie la « chute des feuilles ». Le monde a donc perdu ses feuilles. »
« Quand je n’arrive pas à m’apaiser, je m’imagine que mon ventre est doté d’une fermeture éclair, depuis le cou jusqu’au périnée, et que je l’ouvre lentement, du haut vers le bas. Je retire ensuite mes bras, mes jambes, je sors ma tête. Je quitte ainsi mon propre corps qui tombe à mes pieds comme un vieux vêtement. Je suis plus menue, plus délicate, presque diaphane. J’ai un corps de méduse, blanc, laiteux, phosphorescent. »
« Les nuages étaient si bas que l’on pouvait s’y accrocher et se laisser emporter au loin, vers le sud, en direction des pays chauds. Puis, en lâchant prise, se laisser tomber dans un verger d’oliviers, ou tout au moins dans ces vignes de Moravie qui donnent un délicieux vin de couleur verte »
« Il y a un vieux remède contre les cauchemars qui hantent les nuits, c’est de les raconter à haute voix au-dessus de la cuvette des W-C, puis de tirer la chasse. »
Mais si l’on regarde avec attention les passants dans la rue, on en vient à se dire que beaucoup de gens sont confrontés au même problème que nous et qu’ils n’ont pas fait ce qu’il fallait de leur vie »
« Lorsqu’on regarde certaines personnes, notre gorge se noue et nos yeux se voilent de larmes d’émotion. Ces personnes-là donnent l’impression d’avoir su préserver en elles le souvenir de notre ancienne innocence, comme si elles relevaient d’un égarement de la nature et qu’elles avaient, dans une certaine mesure, échappé à la Chute. »
« J’ai aussi remarqué beaucoup de moisissure, qui a toutefois été très abîmée pendant l’enlèvement du corps. Selon moi, c’est la preuve que le cadavre se trouvait à un stade de fermentation lactique.
Nous étions en train de déguster des pâtes à la sauce roquefort. »
« Vous savez, j’ai parfois l’impression que nous vivons dans un monde que nous inventons pour nos propres besoins. Nous décidons de ce qui est bon ou pas, nous inventons des grilles de signification… Puis, toute notre vie durant, nous sommes obligés d’affronter ce que nous avons-nous-mêmes imaginé. Le problème, c’est que chacun a sa version des choses, et c’est pourquoi les gens ont tant de mal à s’entendre. »
« Je trouve en effet, que notre psychisme a été créé pour nous prémunir contre la vérité. Pour que nous ne puissions pas voir directement le mécanisme. Le psychisme, c’est notre système immunitaire, il veille à ce que nous ne comprenions jamais ce qui nous entoure. Il s’emploie surtout à filtrer des informations, alors que les possibilités de notre cerveau sont immenses. Ce savoir serait trop lourd à porter. Car chaque petite particule du monde se compose de douleur. »
« La colère laisse toujours derrière elle un vide qui, très vite, est inondé par la tristesse dont la vague coule comme une rivière, se déversant sans début ni fin. »
« La presse a tout intérêt à nous maintenir dans un état d’angoisse permanent, pour dévier nos émotions des sujets qui nous concernent vraiment. Pourquoi devrais-je m’incliner devant leur pouvoir et les laisser me dicter ma pensée ? »
ArenSor- Messages : 3428
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Re: Olga Tokarczuk
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Tristram- Messages : 15927
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Re: Olga Tokarczuk
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Bédoulène- Messages : 21642
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topocl- Messages : 8546
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Re: Olga Tokarczuk
topocl a écrit: C’est un bouquin époustouflant, énorme par son nombre de pages mais aussi par son érudition, par sa qualité romanesque, par son envergure géographique et temporelle, par son intelligence, par sa sensibilité. C’est bien dommage tous ces lecteurs potentiels qui vont y renoncer au vu de sa longueur.
Saluons Topocl d’avoir attiré notre attention sur cet ouvrage avant l’attribution du Nobel.
Nous allons d’ailleurs proposer qu’elle fasse désormais partie du jury.
Quelques remarques
La forme : la couverture reprend le principe des pages de titres des livres des du 18e siècle où était décrit en détail le contenu de l’ouvrage en donnant bien sûr envie au lecteur de l’acquérir ; une sorte de quatrième de couverture en quelque sorte. Plus précisément c’est une allusion à « La Nouvelle Athènes » du père Benedyct Chmielowski dont il est beaucoup question dans le récit. Autre originalité, la pagination est inversée, c'est-à-dire qu’on commence la lecture à la page 1030 et qu’on la termine à la page 1. L’autrice s’en explique dans la postface :
En ce qui concerne le déroulement du récit, je pourrais utiliser la métaphore du puzzle ou celui de la dentelle, Olga T. maniant quantités d’écheveaux pour au final aboutir à un bel ouvrage d’art.« La pagination inversée de ce livre se veut un hommage aux ouvrages rédigées en hébreu, mais elle nous rappelle également que l’ordre relève toujours d’une question d’habitude. »
Il s’agit donc de courts chapitres réunis en sept livres. Au début, ce sont des histoires différentes, sans liens apparents entre eux, mais très rapidement ces derniers apparaissent. Les récits forment alors un ensemble cohérent tout en offrant de multiples prolongements possibles pour le lecteur. Le fil directeur est fourni par une aïeule, Ienta, qui ne peut pas mourir, et qui voyage dans le temps et l’espace.
Malgré cette complexité de construction, la lecture est fluide sans grandes difficultés, mais je pense qu’elle ne doit pas être trop discontinue, comme l’a soulignée Bédoulène. Signalons tout de même des noms assez étrangers pour nous et qui ont changé au cours de l’histoire, la ville de Brno, Brin ou Brünn. De même les Juifs qui se convertissent changent de nom au moment du baptême
Le fond : Le contexte géo-politique de l’ouvrage a été très exotique pour moi. J’avoue avoir eu pas mal recours à Internet pour vérifier où se trouvait la Podolie, simple exemple.
L’ouvrage se passe donc sur un vaste espace géographique qui englobe principalement la Pologne actuelle, la Biélorussie, l’Ukraine, la Roumanie, la Bulgarie, la Moldavie, la Grèce, la Turquie, avec des pointes vers les états voisins.
« Et si, sur une telle carte, il était possible d’indiquer les déplacements des hommes, il apparaîtrait que ceux-ci laissent derrière eux des traces chaotiques et, qui plus est, désagréables à l’œil. Des zigzags, des spirales tordues, des ellipses bancales, qui attestent d’autant de voyages d’affaires, de pèlerinages, d’expéditions de marchands, de visites de famille, de fuites et de nostalgies. »
Bien sûr on parle toutes sortes de langues, Ladino, Yddish, Turc, Allemand, Polonais ou Russe, parfois dans un drôle de sabir :
« Finalement, ils discutent dans un mélange de langues sans se soucier d’où proviennent les mots ; le vocabulaire n’est pas de souche nobiliaire, il n’y a pas d’arbre généalogique à dresser. Les mots sont des marchants, vifs et pragmatiques, ils vont ici. »
« Antoni n’est pas retourné en Pologne depuis plus de vingt ans. Par miracle, il pense toujours en polonais, mais il doit faire un effort pour tourner une phrase à peu prés adroite et les mots lui manquent dans bien des domaines. Il a déjà tant vécu que le vocabulaire de sa langue maternelle est devenu insuffisant pour raconter sa vie. Il le fait avec l’aide d’un mélange de grec et de turc. Des termes hébreux viennent également s’y ajouter depuis qu’il travaille pour les Juifs. Dans une mixture langagière, Mowda livre de lui l’image d’une chimère, d’une étrange créature des antipodes. »
Mais entre marchands on se comprend, surtout sur l’essentiel :
«-Nous, nous faisons commerce avec les Turcs maintenant, nous allons par le Dniestr en Moldavie et en Valachie. Les affaires ne vont pas trop mal… la vodka surtout. Même si, de l’autre côté du fleuve, le royaume du Turc est musulman, il y a tout de même beaucoup de chrétiens, ils nous achètent de la bonne vodka. D’ailleurs, dans leur livre « Al-Qu’ran », il est écrit qu’il est interdit de boire du vin. Du vin ! Pas un mot sur la vodka, explique Hrycko. »
Sur ce théâtre, aux décors remarquablement décrits par l’autrice (villes, marchés, échoppes…) les temps sont troubles en ce milieu du 18e siècle, marqués de signes inquiétants dont le passage de la comète.
« La comète évoque une faux prête à s’abattre sur les hommes, une lame coupante, luisante sur le point de couper des millions de têtes, non seulement celles d’Iwanie, tournées vers le ciel, celles des villes de Lwow ou de Cracovie, mais également celles des nobles, voire des monarques. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit là d’un signe de la fin du monde… »
« D’ailleurs, l’année dernière une guerre éclata. Ienta, qui voit tout, sait que celle-ci durera sept ans et qu’elle affectera les aiguilles fragiles des balances qui mesurent la vie humaine. Les changements ne sont pas encore perceptibles, mais les anges commencent déjà le grand nettoyage ; ils saisissent énergiquement le tapis du monde pour le secouer, la poussière vole. Ils vont bientôt le rouler. »
Les temps sont propices à l’apparition de prophètes et de messies.
Pour comprendre le contexte, il est nécessaire de remonter un siècle plus tôt, dans un climat également très troublé. C’est alors qu’un certain Sabbataï Tsevi, nourri de mystique juive, mais aussi de soufisme, se proclame comme messie chargé de ramener les tribus d’Israël. Il entraîne avec lui des milliers de fidèles et provoque un schisme avec le Judaïsme. Finalement Sabbataï Tsevi se convertit à la religion musulmane.
Olga Tokarczuk nous raconte l’histoire au siècle suivant d’un autre messie, Jacob Frank, mais qui se place en héritier de Sabbataï Tsevi.
Le personnage a une histoire incroyable. Sa personnalité est complexe, difficile à cerner. De même sa doctrine qui souvent fait l’objet d’interprétations différentes par ses sectateurs. Il s’agit d’un curieux mélange de traditions judaïques, chrétiennes, ou encore soufies.
Un livre de référence : le Zohar ; un livre ennemi : le Talmud
L’un des aspects principaux est la croyance en une organisation du monde cachée et qu’il convient de déchiffrer dans les textes, mais aussi dans la nature.
Nous sommes au centre de la tradition kabbalistique qui se nourrit de gematique, notarique etc. sciences réservées aux grands rabbins.
« Il y a très longtemps, Rabbi Eleazar, un kabbaliste très sage, avait déjà deviné que certaines parties de la Torah nous avaient été transmises dans le désordre. Si on nous les avait livrées comme elles devaient l’être, toute personne découvrant le bon ordre serait aussitôt devenue immortelle, elle aurait dû redonner vie aux morts et accomplir des miracles. Aussi, pour préserver l’ordre du monde, les divers fragments ont été mélangés. Ne demande pas par qui. L’heure n’est pas venue. Seul un saint saura restituer l’ordre correct. »
« L’air est rempli d’yeux, lui murmurait sa mère en la malmenant comme une poupée de chiffons chaque fois qu’elle l’habillait. Ils te regardent. Lance une question devant toi et aussitôt les esprits te répondront. Il faut juste savoir interroger. Pour trouver les réponses dans le lait qui s’est renversé pour former la lettre Samekh, dans l’empreinte laissée par un cheval avec la forme de la lettre Shin. Collecte, collecte donc ces signes et bientôt tu liras une phrase entière. Ce n’est pas grand-chose de savoir lire les ouvrages écrits par les hommes quand le monde entier est un livre écrit par Dieu. Le petit chemin de terre qui mène à la rivière est ainsi couvert d’inscriptions. Observe-le. Regarde les plumes d’oie aussi, les nœuds desséchés du bois dans la palissade, les fissures dans les murs d’argile de la maison – celle-ci est tout à fait comme la lettre Shin. Tu sais lire, eh bien lis, Ienta. »
Tout cela nous vaut bien d’étranges croyances :
« -comment ça vous sauvez le monde ? demande-t-il ?
-Parce qu’il est mal fait. Tous nos sages de, de Natan de Gaza à Miguel Cardoso, disaient que le Dieu de Moïse, le créateur du monde, n’est qu’un Petit Dieu, le substitut de l’Autre, l’Immense auquel notre monde est complètement étranger et indifférent. Le créateur s’en est allé. Notre exil consiste en ce que nous devons tous prier un Dieu qui n’est pas dans la Torah »
« Le premier Dieu est celui qui donne la vie à chacun, c’est pourquoi il est bon. Le deuxième Dieu est celui qui donne la richesse, pas à chacun, mais à qui il veut. Le troisième Dieu est « Majlech Hamowes », le Maître de la Mort. Celui-là est le plus puissant. Quant au quatrième, celui dont nous ne savons rien, il est le seul Bon Dieu. Il est impossible d’arriver au Bon Dieu sans passer d’abord par les trois autres. »
« Pour créer le monde, Dieu dut se retirer en lui-même, laisser dans son corps un vide qui devint l’univers. Dieu disparut de cet espace. Le mot « disparaître », en hébreu, a pour racine « elem », tandis que le lieu de la disparition est appelé « olam », « le monde ». Ainsi donc, l’histoire de la disparition de Dieu est présente jusque dans le nom du monde. Le monde ne pouvait apparaître que parce que Dieu l’avait abandonné. D’abord, il y avait quelque chose, et ensuite il y eut un manque. C'est-à-dire le monde. L’univers entier est un manque. »
« N’y parvenant pas, il finit par recourir au livre de Rambam, le plus célèbre des sages juifs. Dans cet ouvrage, il trouva qu’aucune chose nocive ne peut être endiguée si ce n’est par l’application sympathique d’une autre chose de cette nature, ce que le rabbin susnommé expliqua aux Juifs, leur disant que la flamme de l’acharnement chrétien contre eux ne pourrait être éteinte que par le sang versé de ces mêmes chrétiens. A dater de ce temps, ils capturèrent les enfants chrétiens pour les assassiner cruellement afin que, par leur sang, les chrétiens soient rendus cléments et miséricordieux à leur égard, et ils s’en firent une loi, comme le décrit clairement et longuement le Talmud, dans leur livre « Zivhey lev », « Les sacrifices du cœur »
Bien sûr, c’est cette effervescence doctrinale, souvent poétique, qui intéresse Olga Tokarczuk. Ne fait-elle pas de même en temps qu’écrivaine : jouer avec les mots pour expliquer le monde, le réinventer, le réenchanter ? En tout cas, elle oppose cette richesse d’inventions au caractère administratif d’une religion catholique enserrée dans un dogme immuable.
« Pour emprunter le chemin de gauche, il faut en être digne, comprendre ce que répétait Reb Mordke quand il disait que le monde attend d’être raconté, qu’il n’existe vraiment que quand il s’épanouit pleinement. Mais aussi que raconter le monde, c’est le transformer.
Voilà pourquoi dieu créa les lettres de l’alphabet, pour que nous ayons la possibilité de lui raconter Sa Création, Reb Mordke riait toujours sous cape en disant cela « Dieu est un aveugle. Tu l’ignorais ? disait-il. Il nous a créés pour que nous soyons ses guides, ses cinq sens. » Reb riait à en tousser à cause de la fumée. »
Jacob Frank croit en la Trinité, à la « Demoiselle » qui doit sauver le monde, assimilée à la Vierge.
Les disciples de Frank racontent qu’une lumière luit au dessus de sa tête, qu’il guérit les malades, peut même ressusciter les morts.
La politique s’en mêle : nobles et dignitaires ecclésiastiques rêvent de convertir ces milliers de fidèles au Christianisme. Quel succès pour l’Eglise catholique ! On baptise à tours de bras !
Evidemment lorsque l’Inquisition interroge le Messie et ses principaux adeptes sur leurs croyances, il s’avère rapidement qu’elles ne sont pas très… catholiques ! Jacob Frank est alors enfermé dans la forteresse de Czetochowa…
Bien sûr Jacob Frank est une sorte de gourou à l’emprise psychologique forte sur ses disciples. Il instaure de curieuses pratiques qu’on retrouve dans beaucoup de sectes de tous les pays : le Maître choisit les femmes qu’il désire (et elles sont nombreuses !) parmi les épouses de ses fidèles. De même règne dans la communauté une sorte de communisme, tous les biens étant mis en commun. Mais lorsque le Messie a besoin d’argent…
Ainsi se déroule sur près d’un demi-siècle l’incroyable histoire de ce mouvement messianique qui se termine dans les milieux bourgeois de Vienne et de l’Allemagne. Les jeunes, sensibles aux Lumières, se moquent des vieux rabbins qui cherchent toujours l’explication du monde dans le Zohar. Ainsi va le monde.
Pendant ce temps, si on peut dire, elle qui voyage justement dans le temps, lit les pensées des vivants, Ienta s’intéresse aux morts.
« Si Ienta professa jamais une religion – après toutes les constructions que ses ancêtres et ses contemporains élaborèrent dans leurs têtes -, la religion des Morts est maintenant devenue la sienne, avec leurs tentatives si imparfaites, jamais abouties, avortées, de réparer le monde. »
« Les caveaux nous sont complètement inutiles, parce que les morts les ignorent et qu’ils traînent dans l’univers : ils sont partout, Ienta les voit en permanence comme à travers du verre, puisque, le voudrait-elle le plus intensément, elle ne peut pas les rejoindre. Ou sont-ils ? C’est difficile à dire. Ils regardent le monde à travers de petites vitres en quelque sorte et ils en attendent toujours quelque chose. Ienta cherche à comprendre ce que signifient leurs grimaces, leurs gestes, et, finalement, elle sait : les défunts voudraient qu’on parle d’eux, c’est de cela dont ils sont avides, c’est cela qui les nourrit. Ils veulent l’attention des vivants. »
« Une pensée insistante le hante de plus en plus souvent : quand est-il arrivé au milieu de son existence ? Quel jour était celui où son histoire était au zénith, au midi de sa vie, pour décliner ensuite, sans qu’il le sache, vers le couchant ? Le problème est très intéressant, car si les gens savaient quel jour est devenu le point central de leur vie, peut-être parviendraient-ils à donner un sens à celle-ci et aux événements. »
Je ne voudrais pas oublier l’humour noir d’Olga Tokarczuk :
« Le rémouleur ne gagne presque rien. Son métier ne lui procure qu’un avantage : il peut se servir de sa meule pour se noyer dans la rivière. »
« Une bonne chose qu’il ait fait si froid ; le corps noirci de Mgr Dembowski s’était changé en viande congelée. »
Je vous incite fortement à lire « Les Livres de Jakob ». C’est un ouvrage extraordinaire. Je l’ai terminé depuis une semaine et je n’arrive pas à quitter ce monde pour me plonger dans un autre livre. madame Tokarczuk !
« -C’est un roman, chère madame. De la littérature.
-Mais quoi, insistait la pianiste, c’est vrai ou pas ?
- j’attendrais de votre part, à vous qui êtes artiste, que vous ne pensiez pas comme les gens du commun. La littérature est un genre de savoir particulier, c’est…
Julian Brinken cherchait les mots appropriés et soudaine une phrase toute prête vint sur ses lèvres
-…la perfection des formes imprécises. »
ArenSor- Messages : 3428
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Re: Olga Tokarczuk
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Armor- Messages : 4589
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Re: Olga Tokarczuk
Franchement, Armor, je ne vois pas une version poche, ou en deux volumes. Mais les caractères d'imprimerie risquent d'être réduits, et je ne parle pas de ce qu'il va advenir des multiples illustrations qui agrémentent l'ouvrage...Armor a écrit:Bande de tentateurs ! (J'espère qu'il va sortir en poche. Sinon il va falloir que je joue à nouveau de la tronçonneuse, après tout c'était moins traumatisant que je ne l'aurais cru...)
Si tu veux mon avis, Massacre à la tronçonneuse fortement recommandé
ArenSor- Messages : 3428
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Re: Olga Tokarczuk
ArenSor a écrit:
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Armor- Messages : 4589
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