LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
Cette postface, et comment elle éclaire le roman, est ce qui a suscité pour moi le plus d’intérêt, cela ainsi que les cent dernières pages dédiées à l’enquête sur le meurtre du Dahlia noir. Le reste, riche après coup car nous imprégnant de la psychologie de l’auteur/personnage, et de celle des autres protagonistes, m’a, à la lecture, fait souffrir d’un sentiment de longueur et de manque d’intérêt, voire m’a exposée à des incompréhensions, la clarté du récit n’étant à mon sens pas toujours de mise.
Après la postface, le roman s’éclaire autrement et, pour certains points déjà relevés au fil de la lecture, confirme certaines de mes idées, notamment sur l’assimilation de Bleichert à l’auteur, mais aussi éventuellement sur la perception que j’avais de Lee comme d’une part de la psyché de l’auteur.
« Cherchez la femme », les paroles de Lee/inconscient/thérapeute/ intuition, sonnent comme celles qui lui indiquent la voie : cherche la femme en toi, cherche cette part de ta mère encryptée qui fait partie de toi mais qui, en même temps, est une part étrangère en toi. Ellroy, dans sa postface, exprime bien comment le souvenir de sa mère, des mots de son père sur sa mère, de ce qu’il a perçu inconsciemment, de ce qu’il a construit de représentation(s) de sa mère, l’ont hanté et ont, d’une certaine manière, orchestré ses actes, écrits et pensées. Ellroy habité par sa mère, c’est de cette part dont il s’exorcise, tant de la part identificatoire à celle-ci que de ses fantasmes œdipiens, mais aussi de la part de culpabilité lié à son désir de mort envers elle qui a rencontré la réalité, pour l’inscrire dans une culpabilité dévorante suite à ce que la réalité se soit rejoint avec le fantasme.
Dès avant sa naissance, Ellroy est marqué du sceau du Dahlia qui l’obsédera des années plus tard. En effet, ses parents se sont intéressés à l’affaire Betty Short : « ils habitaient à 5 km du lieu où fut jeté le cadavre du Dahlia noir en 1947. Ils ont lu l’histoire de Betty Short, ils ont pensé à Betty Short, ils ont discuté de Betty Short en des termes dont je ne saurai rien. »
Ellroy nait en mars 1948, de son vrai nom Lee Earl Ellroy, soit un peu plus d’un an après la mort de Betty. Il est conçu lors de l’enquête, et dans une période où l’intérêt de ses parents pour le Dahlia est fortement présent. Il y a à envisager que cet intérêt est venu habiter la grossesse de sa mère, elle qui pouvait enfanter là où Betty ne le pouvait, elle qui avait le ventre plein là où Betty l’avait eu évidé.
Les histoires approchantes de Jean/Betty, que l’auteur assimile aussi dans sa postface dans leurs similitudes et leurs différences semblent un effet de la possible identification, même parcellaire, de sa mère elle-même à cette femme en 1947/1948.
Lee, vrai prénom de Ellroy, me semble figurer cette part inconsciente de lui qui le guide vers la solution pour reconnaître en lui « la femme » et, ainsi, s’en libérer par la prise de conscience qu’il peut en avoir. Il est aussi la part secrète d’Ellroy, celle qui lui ment, lui fait des secrets, lui cache des choses – peut-être aussi en ce sens une part de son père qui l’a amené à renier sa mère et à taire sa souffrance face à son décès, peut-être la part de lui qui ment sur ce qu’il ressent. Ce personnage me paraît aussi assez bien figurer son inconscient qui lui cache et le guide vers sa (re)découverte, vers la levée du refoulement.
Les personnages féminins peuvent se penser comme incarnant chacun une part de personnalité de sa mère, comme s’il avait mis des fragments de celle-ci en Kay, Betty et Madeleine. Peu à peu, rassembler ces fragments en assimilant les personnages rassemble quelque chose de sa mère qui n’était pas que la putain, l’infirmière, la mère, l’amante, etc … mais un ensemble savamment orchestré de tout cela.
La mère d’Ellroy est décédée en juin 1958, il a alors 10 ans. « A sa disparition, mon chagrin a été complexe et ambigu. Je vivais en esclave de sa sensualité et adorais mon père permissif. Elle était stricte. (…) Je l’ai surprise au lit avec d’autres hommes. Je vivais dans l’espoir de l’entrevoir nue. Je la haïssais et me mourais de désir pour elle et mon souhait de la voir morte avait été exaucé. »
On perçoit ici l’ouverture vers une culpabilité possible lié à la pensée magique et l’idée que c’est son désir qui aurait été exaucé.
De plus, on peut y lire l’ambivalence des sentiments d’Ellroy envers sa mère, et l’on peut supposer que la confrontation de cet enfant à un climat où l’intime de sa mère est peu voilé – climat incestuel –, ce avec un père absent et faible à le protéger de cela, a induit un rapport à la femme, à l’amour et à la sexualité particulier. Celui-ci transpire dans les rapports de Bleichert aux femmes, dans cette obsession pour le Dahlia qui l’amène à lier l’excitation et le sexe au fétiche dahliaïque (si je peux le formuler ainsi), et à nouer avec Madeleine, sur cette base, une relation fortement ambigüe puisqu’elle joue le Dahlia pour lui, condition de sa jouissance. On peut pousser l’extrême jusqu’à imaginer comment dans son fantasme Bleichert/Ellroy copule avec sa mère morte dans une fantasmatique perverse.
Cette assimilation Betty/Jean part d’un livre offert par le père : « Pour mon 11ème anniversaire, mon père m’a offert le livre de Jack Webb, The badge. S’y trouvait inclus un article sur la mort du Dahlia noir. Jean Hilliker et Betty Short – elles ont fusionné pour ne plus faire qu’une. »
Ce cadeau et l’accroche qu’il a avec cet article source de la suite semble être raccordé au désir paternel en tant que c’est lui qui lui offre le livre.
« Il m’était impossible de pleurer ouvertement la mort de Jean. Celle de Betty, je pouvais. Je pouvais détourner la honte d’un désir incestueux vers un objet de désir sans danger. J’ai passé les 7 années qui ont suivi en compagnie de mon père. Pour lui plaire, j’ai sali la réputation de ma mère»
Ellroy contourne l’interdit de pleurer sa mère en entrant dans la supposée demande paternelle tout en assouvissant son fantasme par d’autres voies.
Dans le même temps, en en passant par son obsession pour l’affaire du Dahlia noir, il devient celui qui traque la femme et mère derrière l’histoire de Betty Short. Il rencontre sa mère au travers de celle-ci et la reconstruit comme une entité complexe inspirée de Betty, qui lui permet de mieux la cerner, la comprendre et l’approcher. Elle lui rend une mère humaine, au travers de la fiction qui la construit et la reconstruit sans cesse, cherche à la cerner, ‘approcher, jusqu’à pouvoir enfin réussir à l’aimer et à percevoir comment la quête l’amour a pu lui dicter ses actes et diriger ses pas.
Je vais m’arrêter là pour l’instant, et rester ouverte à tous les échanges possibles sur le sujet.
J’ai apprécié ce livre dans ce qu’il ouvre de possibilités à l’analyse de la psyché d’Ellroy que j’ai à peine essayé d’esquisser dans ma perception et son rapport à ce roman particulier. Par contre à la lecture, je me suis heurtée jusqu’aux 100 dernières pages, à une déception quant à mes attentes, une écriture ne permettant pas toujours la nette compréhension de ce qui se passe. Un roman riche et complexe en soi qui mériterait d’être relu et ré-analysé au fil.
chrysta- Messages : 568
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Tristram- Messages : 15868
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Bédoulène- Messages : 21461
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
Tristram a écrit: Mais je me demande ce qu'il en est de l'homosexualité résultante dans un tel cas ; il me semble qu'on s'écarterait des convictions actuelles.
C'est à dire, tu peux développer
chrysta- Messages : 568
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
Bédoulène a écrit:s'il n'y avait pas eu de postface, je n'aurais pas "vu" certain aspect de l'auteur et tu ouvres la porte sur bien d'autres, merci Chrysta
Et il manque nombre de choses, il me semble qu'il faudrait aussi analyser les différentes triangles par exemple
chrysta- Messages : 568
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Tristram- Messages : 15868
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
@ Tristram : quelles convictions actuelles sur l'homosexualité ?
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Bédoulène- Messages : 21461
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
Tristram a écrit:Dans les réactions à ce type de traumatisme, il peut y avoir la violence envers les autres ou soi-même, une identification au sexe maternel ou son rejet, etc.
Effectivement les suites d'un traumatisme peuvent être diverses, comme entre autre les mécanismes dissociatifs qui perdurent, des identifications diverses et variées, des conduites dissociantes (prises de risque diverses et variées, alcoolisme, drogue, …).
Si on aborde le roman du côté de la dimension traumatique et du côté de l'histoire d'Ellroy, on a un gamin qui vit le divorce de ses parents à une époque où ce n'est pas vraiment bien admis - sûrement a t'il vécu des moqueries ou rejet à l'école -, qui vit avec une mère alliant une personnalité stricte avec un emploi d'infirmière et qui, à côté, a une vie sexuelle active et non cachée qui a semble t'il été source d'un climat incestuel marqué menant à une grande ambivalence amour - haine envers cette mère, et à des fantasmes incestueux actifs tardivement.
L'homosexualité aurait pu poindre le bout de son nez dans le cas où il ne serait pas arrivé à se décoller du désir de sa mère, et se serait identifié à elle, prenant comme objet d'amour les objets du désir de sa mère, soit les hommes. Après, il y a peu d'éléments relatif à la proximité que sa mère entretenait avec lui. La relation Madeleine / Martha / Emmett peut interroger sur ce point car l'incestuel est très présent. A quelle place de ce triangle Ellroy se placerait-il ? A celle de Madeleine certainement dans son désir de posséder sa mère, à celle de Martha dans la jalousie à l'égard de sa mère et ses amants, à celle d'Emett qui est un père qui n'en est pas un.
Ellroy, comme son personnage, a choisi en premier lieu la voie de la délinquance, voie d'appel à une Loi paternelle absente car père faible et se mourant, mais peut être aussi identification à sa part moïque se sentant coupable et cherchant punition, ou encore symbolisation de l'intrusion dans l'intime de l'autre étant donné qu'il s'adonne aux cambriolages. Bleichert n'est lui non plus pas un saint et porte ce genre de passé, ainsi que les affres de l'alcool.
On peut percevoir les suites traumatiques chez Ellroy dans ces prises de risque, cette recherche d'une loi qui tienne (engagement dans l'armée, quête de se confronter à la justice par ses larcins), la place de l'alcool et la drogue dans sa vie qui va jusqu'à le mettre en danger de mort, l'impossibilité de se fixer pendant des années puisqu'il est SDF.
Bleichert a tout le côté bad boy qui va trouver plus ou moins sa rédemption dans l'enquête sur le Dahlia, et dans la découverte des coupables
chrysta- Messages : 568
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
Bédoulène a écrit:trio comme Lee/Kay/Bucky ; Madeleine/Kay/Betty ? Chrysta
Oui, par exemple
chrysta- Messages : 568
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
chrysta- Messages : 568
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Tristram- Messages : 15868
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
merci pour ton analyse Chrysta !
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Bédoulène- Messages : 21461
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Tristram- Messages : 15868
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
Tristram a écrit:J'espère lire vos retours de l'ombre (je dois aussi le lire, et je vais essayer de voir Le Dahlia noir de Brian de Palma.
Je pense aussi voir le film
chrysta- Messages : 568
Date d'inscription : 15/01/2017
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Bédoulène- Messages : 21461
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
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Tristram- Messages : 15868
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
Au plaisir d'en partager d'autres. Là je vais m'atteler au livre de Ron Rash mais ensuite je pense lire "Ma part d'ombre" pour ne pas être trop éloignée en temps du Dahlia noir, et ce sera avec plaisir que j'échangerai sur le sujet
chrysta- Messages : 568
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Re: LC le Dahlia Noir d'Ellroy
« Rien ne reste enterré à tout jamais. »
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Tristram- Messages : 15868
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