Citation du jour

« L’inhabitable : la mer dépotoir, les côtes hérissées de fils de fer barbelé, la terre pelée, la terre charnier, les monceaux de carcasses, les fleuves bourbiers, les villes nauséabondes »
Georges Perec, Espèces d'espaces (1973 - 1974)

« Des Anglais maigres comme des points d’exclamation dépourvus de véhémence débarquaient de taxis dont les moteurs ronronnants trahissaient des vocations contrariées de chalutiers. »
António Lobo Antunes, Mémoire d’éléphant

« Depuis longtemps il avait découvert que les livres ont une fâcheuse tendance à devenir matériellement envahissants et que les bibliothèques ont vite fait de déborder. La solution élégante de ce problème consistait à se débarrasser des uns et des autres. Ainsi avait-il conclu un arrangement avec son libraire qui lui envoyait chaque jour quatre livres neufs, moyennant une sorte d’abonnement. Il les lisait d’un bout à l’autre et les rendait régulièrement dès le lendemain au libraire. C’était là à ses yeux la solution idéale. Il se souvenait ensuite indéfiniment de ce qu’il avait lu – et cela jusqu’au moindre mot. À quoi bon, dès lors, conserver des livres chez soi ? »
Theodore Sturgeon, Cristal qui songe

« …] Bouvard et Pécuchet, le roman de Flaubert qui se déroule dans l’éternité, car le temps y passe sans laisser la moindre trace sur la personnalité des protagonistes, deux personnages à jamais incomplets qui commettent toujours les mêmes erreurs humaines. »
Enrique Vila-Matas, Cette brume insensée

J'aimerais raconter notre vie, mais j'en suis sans doute incapable. Et puis ce possessif : notre, quel sens lui attribuer ? qu'avons-nous partagé ? Trop souvent j'ai ruminé le sentiment de n'être rien pour toi. De ne t'appartenir en rien, et c'est ma faute, et c'est aussi la tienne. Voici la Loire, et les désastreux faubourgs de Tours. Une bretelle d'autoroute, une grue surveillant une carcasse de béton, des saules pleureurs essoufflés, un pont, des pavillons tristes, un talus sablonneux, et le train prend de la vitesse. De ce voyage, je retiendrai ce sempiternel goût de cendre glacée, celui de tous mes voyages. Celui des retours loin de toi, des abandons, et de l'automne. J'aime aussi ce goût, puisqu'il m'apprend que je suis pauvre, et que je suis seul. C'est bien écœurant. Il y a si longtemps que je cherche à m'expliquer. Il y a si longtemps que je n'écris qu'à toi pour ne pas être lu.

Le Québec a fauté et payé. Il a détruit l'Indien nomade. Il est détruit à son tour et condamné à une nomadisation intérieure, par l'Anglais, sur des espaces qui déjà ne lui appartiennent plus. Le paradis a été perdu. L'exil de la déterritorialisation commence. Faire corps avec la terre n'est plus possible. La «machine despotique» remplace la toute première «machine territoriale». L'Acte d'union date de 1840. À partir de 1850, le clergé renforce son système de contrôle sur toutes les articulations du socius, sans que plus rien n'y subsiste qui obéisse encore à toute autre règle que la sienne : répression des syndicats et suppression des institutions laïques se succèdent. Ainsi commence un long hiver; un siècle entier traversé dans l'obscurité.