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Alain Corbin

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Message par ArenSor Mar 5 Avr - 21:09

Alain Corbin
Né en 1936

Alain Corbin Portra22

Historien français spécialiste du XIXe siècle en France. Etudiant à l’université de Caen il a notamment comme professeur Pierre Vidal-Naquet. Il devient Professeur à l’université Paris I - Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur l’histoire sociale et l’histoire des représentations. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont « Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, 1798-1876 » (1998), biographie d’un sabotier inconnu choisi au hasard dans les archives de l’Orne. Ce travail s’inscrit dans le concept de la microhistoire. Alain Corbin est considéré comme l'historien des émotions et du sensible .Par ailleurs, il a travaillé sur le désir masculin de prostitution (« Les Filles de noce » , 1978), l’odorat et l’imaginaire social (« Le Miasme et la Jonquille » , 1982), l’homme et son rapport au rivage (« Le Territoire du vide », 1990), le paysage sonore dans les campagnes françaises du XIXe siècle (« Les Cloches de la terre », 1994) et la création des vacances (« L’Avènement des loisirs » , 1996).

Œuvre :
• « Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle (1845-1880 »,1975  
• « Les Filles de noce : misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle »,
• « Le Miasme et la jonquille : l'odorat et l’imaginaire social, XVIIIe – XIXe siècles »,1982  
• « Le village des « cannibales »,1986
• « Le Territoire du vide : l'Occident et le désir du rivage, 1750-1840 », 1988  
• « Le Temps, le désir et l'horreur : essais sur le XIXe siècle »,
• « Les Cloches de la terre : paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, 1994
• « L’Avènement des loisirs (1850-1960) », 1995
• « Paris-province », dans « Les Lieux de mémoire », t. 2 », 1997
• « Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d’un inconnu (1798-1876) », 1998
• « Historien du sensible », entretiens avec Gilles Heuré, 2000
• « L’Homme dans le paysage », entretien avec Jean Lebrun, 2001
• « La Mer : terreur et fascination », 2004
• « Histoire du corps », 2005
• « Histoire du christianisme : pour mieux comprendre notre temps », 2007
• « L'Harmonie des plaisirs : les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie », 2007
• « Les Héros de l'histoire de France expliqués à mon fils », 2011
• « Les Conférences de Morterolles ; hiver 1895 - 1896 ; à l'écoute d'un monde disparu », 2011.
• avec Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, « Histoire de la virilité », 2011 :
• « La Douceur de l'ombre : l'arbre, source d'émotions, de l'Antiquité à nos jours », 2013
• « La Pluie, le soleil et le vent : une histoire de la sensibilité au temps qu'il fait », 2013
• « Les filles de rêve », 2014
• « Sois sage, c'est la guerre », 2014.
• « Histoire du silence : de la Renaissance à nos jours », 2016,  
• avec Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, « Histoire des émotions », 2016-2017
• « La Fraîcheur de l'herbe : histoire d'une gamme d'émotions de l'Antiquité à nos jours », 2018
• « Paroles de Français anonymes : au cœur des années trente », 2019.
• « Terra incognita : une histoire de l'ignorance », 2020.
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Message par ArenSor Mar 5 Avr - 21:17

Le Village des « cannibales »

Alain Corbin Villag10

« Le 16 août 1870, à Hautefaye, petit village de Dordogne, un jeune noble est supplicié durant deux heures, puis brûlé vif ( ?) sur le foirail, en présence d’une foule de trois à huit cents personnes qui l’accuse d’avoir crié « Vive la République ! » Le soir, les forcenés se dispersent et se vantent d’avoir « rôti » un « Prussien ». Certains regrettent de ne pas avoir infligé le même sort au curé de la paroisse. »

Le lieu où se déroule ce dramatique évènement se situe aux confins de la Dordogne, de la Charente et de la Haute-Vienne, le Nontronnais, une région assez reculée à l’époque, peuplée en majorité de paysans et d’artisans et dominée par une bourgeoisie rurale qui s’accapare la richesse du sol. Celle-ci attise les rancœurs de la paysannerie envers la noblesse et le clergé ; une vieille histoire qui remonte à la Révolution et qui ressurgit périodiquement, en 1830, en 1848. En effet, nobles et curés sont soupçonnés de vouloir rétablir l’Ancien Régime, les dîmes, les droits féodaux… Plus étonnant, cette société paysanne est très antirépublicaine ; en cause les impôts et surtout les indemnités que se sont octroyés les députés en 1848. Et puis, il y a la crainte des troubles, le souvenir de la « grande peur de 1789 ». L’ordre, c’est Napoléon III qui le leur promet. De fait, la paysannerie s’enrichit beaucoup sous son règne, elle manifeste alors un indéfectible attachement à l’empereur.
Voilà pour le contexte. Le lieu du drame est également important : le foirail est un endroit un peu à l’écart du village, où se réunissent périodiquement vendeurs et acheteurs de bétail, venus de toute la région. On y discute, on y échange bêtes, argent, nouvelles. Egalement, on y fréquente les auberges où on y boit. C’est l’endroit ou se font, enflent, se propagent les rumeurs les plus diverses.
Dernier point contextuel : la date de l’évènement. Le pays est en guerre contre la Prusse depuis juillet. Déjà, s’annoncent de lourdes défaites et l’inquiétude monte. Les bruits circulent de trahisons, d’espions, de traitres prêts à vendre la nation à l’assaillant.

« … la circulation de la rumeur crée des liens puissants entre les membres d’une communauté qui ne sait plus comment répondre à son angoisse et qui doit impérativement discerner et désigner les responsables de son malheur, afin d’interpréter logiquement une situation confuse. »

Dans ce contexte de désarroi pour les paysans, l’équation est vite trouvée :


« Alain de Monéys = un noble + un républicain = un « Prussien »
.

« La scène du drame est dessinée, le décor planté, le prologue achevé. La victime s’avance. Il est quatorze heures, le 16 août 1870, à Hautefaye, la foire bat son plein. »

Le récit du supplice infligé au pauvre de Monéys est pénible à lire. Le malheureux est frappé de coups comme un animal (la comparaison est importante dans le contexte paysan !), fuyant, rattrapé à chaque fois, battu à mort, trainé sur le sol, puis finalement brûlé sur le champ de foire. Toutefois, la description précise qu’en donne Alain corbin est nécessaire à l’historien pour caractériser l’acte et le comparer à d’autres événements du même type.
Alain Corbin s’appuie notamment sur les travaux de René Girard pour définir un rituel de la violence au cours des siècles. Le sentiment d’exécration envers la victime s’accompagne d’une purification du corps social. Les exemples les plus manifestes se situent au 16e siècle lors des guerres de religion où une trilogie ordonne le massacre : dégrader et traîner le cadavre, le lapider, le brûler. La mise à mort implique une souffrance qui doit durer, elle est un spectacle devant lequel et dans lequel communie la foule.

« Dans le massacre, se déploie une libération joyeuse des pulsions dionysiaques. La profanation de la victime, l’outrage, l’injure, la plaisanterie qui la stigmatisent, l’héroïsation proclamée des acteurs, la participation festive de la foule, la ritualisation même dégradée, le distinguent radicalement de l’assassinat, crime odieux, perpétré dans l’ombre, à l’insu de tous. »

Ce type de rituel va se renouveler régulièrement, malgré la montée d’une sensibilité à la souffrance et à la vie humaine. Ainsi, en 1757, l’atrocité du supplice de Damiens, qui dure des heures, soulève de nombreuses protestations. Toutefois, Alain Corbin situe le véritable changement en 1792, après les massacres de septembre. Les débordements de la foule sont alors canalisés par l’institution du Tribunal révolutionnaire qui remplace une justice populaire et par l’usage de la guillotine, instrument de mise à mort rapide, et jugée indolore. Néanmoins, la notion de spectacle persiste.
Comme le souligne Alain corbin, la particularité du meurtre commis à la Hautefaye est son caractère archaïque qui le rattache à des pratiques ancestrales, mais qui en 1870 apparaissent monstrueuses au reste de la population. S’il s’était produit une cinquantaine d’années plus tôt, l’évènement n’aurait probablement pas retenu l’attention.

« Les massacreurs périgourdins ont voulu, ils ont cru expulser le monstre, purifier la communauté, tout à la fois d’un noble, allié des curés, d’un républicain et d’un Prussien. Ce faisant, ils sont apparus comme l’incarnation des « cannibales », ces monstres les plus abominables, que l’on s’efforçait d’exorciser depuis l’aube de la Révolution. […] Ce qui, en 1792 encore, pouvait être considéré comme l’expression admissible, voire noble, d’une opinion ne peut plus, en août 1870, qu’inspirer de l’horreur, quelle que soit l’appartenance des observateurs. Une mutation de la sensibilité collective sépare les deux dates. »

En conclusion, l’auteur souligne la nature politique de ce massacre de Hautefaye :

« Avant d’être désavoués par la société dans laquelle ils étaient immergés, ces paysans n’avaient pas su dire, autrement qu’en suppliciant l’ennemi, la spécificité de leurs représentations du politique, l’intensité de leur angoisse et la profondeur de leur attachement au souverain. De ce balbutiement, de cette pauvre esquisse d’une révolution identitaire oubliée, seule reste à nu la cruauté, dans le ressac des sentiments. »

Une leçon d’Histoire magistrale !

Mots-clés : #criminalite #documentaire #faitdivers #justice
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Message par Tristram Mar 5 Avr - 21:30

En tout cas un exposé magistral de la leçon !
Cas emblématique de sacrifice rituel d'un bouc émissaire, presque ethnologique.
Et Mona Ozouf a beau dire que l'Histoire ne se répète pas...

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Message par Bédoulène Mer 6 Avr - 21:20

merci Arensor pour ton commentaire argumenté. Même si j'avais vu des documentaires relater certaines sauvageries à certaines époques de notre histoire, ce récit me paraît horrifiant.

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Message par Nadine Mer 13 Avr - 21:12

Tristam a raison, tu as à coeur de nous livrer tous les enjeux analytiques, merci beaucoup. Hypnotique commentaire.
C'est horrible.
Leçon, dis-tu , d'histoire. Si une leçn rapporte le fait et l'articule.
Mais c'est aussi avouer que certaines leçons n'ont de bon que leur valeur d'annonce "c'est possible, avissss'".

Si je devais être un chercheur, en sciences humaines, ou art, depuis longtemps je me dis que la notion de bouc emissaire m'occuperait. Ce qui serait mieux dans mon fantasme, serait d'être chercheur en sciences exactes avec ce sujet là. Pour trouver comment rompre le schéma.

Ou bien être artiste et creer une fulgurante sublimation qui reconstruit un autre mythe et processus, de sauvetage collectif.

Mon soliloque ne me fait pas oublier , hélas, la lecture de ton commentaire, mon blabla étouffe, sous l'oeil écarquillé de ce rappel.


Atroce. Dire que nous-en serions ? Bouc ou foule, deux options aussi pleines d'épouvante mentale.


Dernière édition par Nadine le Mer 13 Avr - 21:28, édité 1 fois
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Message par Tristram Mer 27 Juil - 16:57

Le Village des « cannibales »

Alain Corbin Le_vil10

Dans la foulée de Le Royaume de ce monde d’Alejo Carpentier, un autre massacre : étude d’un cas exemplaire de mouvement de foule (apparemment irrationnel), de complotisme (manipulation d’une croyance transformée en complot fantasmatique) et de rumeur publique, soit « les mécanismes de psychologie collective » qui y mènent − de quoi éclairer notre actualité (quoique les faits remontent à 1870, le livre à 1986). En fait, la genèse des évènements est, de façon caractéristique, bien plus complexe : Corbin démonte « le travail qui s’opère sur la représentation du passé et l’imaginaire social que celles-ci induisent ». Il y a la vieille haine populaire des riches, des nobles et curés (paradoxalement instrumentalisée par la bourgeoisie rurale contre ces adversaires de caste − "récupération" par « captation »), un profond sentiment démocratique, un grand appétit de liberté, la rébellion contre l’impôt, la nostalgie de l’Empire à côté de la crainte du retour de l’Ancien Régime (qui a même abouti à une antithétique « détestation du républicain » dans le bonapartisme local), et bien sûr l’« angoisse collective », avec évidemment l’exécration du « Prussien », ennemi ou traître "de l’intérieur", fantasmé en cette époque de guerre où partent les fils.
(Je soulignerais les contradictions dans le fait que la bourgeoisie est foncièrement le milieu des nantis, que des sentiments légitimes occasionnent un carnage a priori incompréhensible, et que la simplicité des représentations politiques entraîne l’horreur).
Le supplice d’Alain de Monéys a lieu dans un foirail, à l’écart de toute autorité, sans notables ni forces de l’ordre présentes ; c’est le lieu justement de la consolidation d’une identité paysanne.
« Délivrée de la tutelle de l’autorité dont elle constate l’effacement, la foule libère sa parole : "Il n’y a plus de loi, crient les meurtriers assemblés autour du bûcher, on peut maintenant tuer un noble comme une mouche ou comme un poulet." »
Curieusement (ou pas), Corbin ne donne pas d’explication définitive à cet ultime massacre de la fureur paysanne française, sinon celle d’une résurgence de la cruauté d’un passé barbare, à l’écart du changement des mentalités sur la souffrance et la mort (progrès de l’analgésie, mise à l’écart des abattoirs hors des villes, fin des supplices en place publique, refus généralisé de la vue du sang)…
On est vraisemblablement là aux sources de ma défiance (voire aversion) personnelle pour les rassemblements de masse et mouvements de foule, les défilés, marches de protestation-revendication et autres descentes dans la rue, le militantisme et en général la "politique" …
D’autre part, comme l’auteur, il faudrait savoir éviter les généralisations (je parle pro domo).

\Mots-clés : #historique

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Message par Pinky Jeu 28 Juil - 10:35

Merci Tristram pour ce nouveau compte rendu du livre de Corbin, historien hors des chemins battus et toujours fin dans ses analyses. Cela vaut-il le coup d'abandonner toute réflexion politique ?
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Message par Bédoulène Jeu 28 Juil - 11:06

peut-être lirai-je ce livre ; je trouve ta défiance trop générale ; c'est grâce à une foule qui maniestait que nous profitons de nos jours de "congés payés" Wink

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Message par Tristram Jeu 28 Juil - 11:24

Pinky a écrit:Cela vaut-il le coup d'abandonner toute réflexion politique ?
Non, car ça remet en question l'action politique.
Tu as raison, Bédoulène, il existe de justes causes, et par exemple le salarié spolié est souvent démuné sans aide syndicale. Mais je suis circonspect avec les démarches collectives dont on ne sait pas où elles mèneront.

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Message par Bédoulène Jeu 28 Juil - 11:55

oui Tristram, vigilance et doute, permettent réflexion

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