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Robert Antelme

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Message par ArenSor Sam 27 Jan - 18:41

Robert Antelme
(1917–1990)

Robert Antelme Avt_ro10

En 1939, il épouse Marguerite Duras qui travaille alors pour une maison d'édition. Leur premier enfant, un garçon, meurt à la naissance en 1942. La même année Marguerite Duras fait la connaissance de Dionys Mascolo qui devient son amant.

Pendant l'Occupation, Marguerite Duras et Robert Antelme sont membres de la Résistance. Leur groupe tombe dans un guet-apens, Marguerite Duras réussit à s'échapper aidée par Jacques Morland (nom de guerre de François Mitterrand), mais Robert Antelme est arrêté le 1er juin 1944 et envoyé à Buchenwald par le convoi I. 265, dernier en partance du camp de Royallieu (Frontstalag 122) à Compiègne le 17 août 1944. Puis il est conduit à Bad Gandersheim, un petit kommando dépendant de Buchenwald, où il est logé dans une ancienne église désaffectée, à proximité d'une usine.

À la fin de la guerre, en avril 1945, François Mitterrand retrouve Robert Antelme dans le camp de Dachau, épuisé et miné par des mois de détention dans des conditions très dures (il souffrait du typhus), et organise son retour à Paris. Marguerite Duras a tiré de cette époque hors norme un récit intitulé La Douleur.

Robert Antelme fonda, en 1945, avec Marguerite Duras, les éditions de la Cité Universelle. Le couple divorça en 1946, mais ils travaillèrent encore ensemble, comme en 1959 où, à la demande de Raymond Rouleau, il adapta, avec Marguerite Duras, Les papiers d'Aspern, pièce de Michael Redgrave, d'après une nouvelle de Henry James. Après la guerre, il continue donc un travail discret dans les milieux littéraires, collabore à Les Temps modernes et milite au Parti communiste français, dont il est exclu en 1956, après la répression par les troupes du pacte de Varsovie de l'insurrection de Budapest. Pendant la guerre d'Algérie, Robert Antelme est signataire du Manifeste des 121.
Immobilisé à partir de 1983 par un accident cérébro-vasculaire, Robert Antelme meurt le 26 octobre 1990.

(source : wikipedia)

Œuvres :

Vengeance ?, 1946
L'Espèce humaine, 1947
Textes inédits sur L'espèce humaine. Essais et témoignages (édition posthume)
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Message par ArenSor Sam 27 Jan - 18:58

L'Espèce humaine

Robert Antelme Espyce10


Robert Antelme est l’auteur de pratiquement un seul livre, mais un ouvrage d’une importance capitale.

Parmi les rares survivants de l’enfer des camps nazis, bien peu ont laissé un témoignage écrit  de ce qu’ils y avaient vécu. Dans l’introduction à son récit, Robert Antelme montre cette difficulté à dire :

Cette disproportion entre l’expérience que nous avions vécue et le récit qu’il était possible d’en faire ne fit que se confirmer par la suite. Nous avions donc bien affaire à l’une de ces réalités qui font dire qu’elles dépassent l’imagination. Il était clair désormais que c’était seulement par le choix, c’est-à-dire encore par l’imagination, que nous pouvions essayer d’en dire quelque chose.

L’Espèce humaine a été rédigé peu de temps après les faits et publié en 1947, peut-être par une sorte de devoir de mémoire, le livre étant dédié à la sœur de l’auteur, Marie-Louise, qui, elle, ne revint pas de la déportation.

Envoyé à Buchenwald en août 44 par le dernier train parti de Compiègne, Robert Antelme va être affecté à un Kommando de ville de Gandersheim, au sud de Hanovre, où se trouve une usine de fabrication de carlingues d’avions.
Il va y vivre – survivre est le terme le plus approprié - pendant les longs mois d’hiver, entassé avec ses compagnons dans l’église puis dans le camp que les détenus ont construit. Les conditions de vie, variable selon les kommandos, étaient particulièrement rudes à Gandersheim, le camp étant dirigé par les Kapos, prisonniers de droit commun, et non les politiques.

Au sommet de la hiérarchie se placent les SS :

Il n’y a plus que les SS. Ils sont calmes, ils ne gueulent pas. Ils marchent le long de la colonne. Les Dieux. Pas un bouton de leur veste, pas un ongle de leur doigt qui ne soit un morceau de soleil : le SS brûle. On est la peste du SS. On n’approche pas de lui, on ne pose pas les yeux sur lui. Il brûle, il aveugle, il pulvérise.

Au-dessous, toute une hiérarchie complexe de privilégiés et de kapos. On pourrait les rassembler sous le terme « ceux qui ont à manger ». Il s’agit souvent de droits communs qui ont l’avantage de parler la langue des « dieux » et de jouer le rôle d’interprètes. Ils sont impliqués dans de multiples trafics, le principal étant celui de l’or issu des dents ou de montures de lunettes, ils se divisent en plusieurs factions rivales. Le jeu peut être dangereux pour eux. Le SS n’aime pas les trahisons, ceux qui parlent trop. Parmi eux les kapos sont souvent des brutes épaisses qui passent le plus clair de leur temps à hurler sur les détenus et à les frapper à coups de schlague, à coups de poings. Il faut se faire bien voir du dieu SS. Portant le costume rayé comme les autres, les kapos finissent par le quitter et même sont dotés de fusils…

On l’avait entendue souvent, cette voix, dans le haut-parleur de la baraque. Elle s’étendait sur tout le camp : « Kapos… Kapos ! » avec un « a » grave. C’était le mot qui revenait le plus souvent. Au début, cela avait paru mystérieux. Cette voix et ce mot manifestaient en réalité toute l’organisation. Calme, la voix ordonnait tout. Entre la voix et le régime imposé par les SS, il était d’abord impossible de faire le rapprochement. C’était pourtant la même chose. La machine était au point, admirablement montée, et cette voix tranquille, d’une fermeté neutre, c’était la voix de la conscience SS absolument régnante sur le camp.

Il y a d’autres privilégiés :

Le toubib espagnol est devenu rapidement un type assez parfait de l’aristocratie du kommando. Le critère de cette démocratie – comme de toute d’ailleurs – c’est le mépris. Et nous l’avons vue sous nos yeux se constituer, avec la chaleur, le confort, la nourriture. Mépriser – puis haïr quand ils revendiquent – ceux qui sont maigres et traînent un corps au sang pourri, ceux que l’on a contraints à offrir de l’homme une image telle qu’elle soit une source inépuisable de dégoût et de haine.

Enfin, il y a les civils de l’usine qui eux aussi frappent à tour de bras, à quelques exceptions près, des travailleurs qui sabotent un peu le travail (une seule carlingue sera produite mais reviendra car défectueuse.)

Les coups, le froid, la faim, surtout la faim, affaiblissent peu à peu des corps exténués et sont sources de multiples maladies. Un engrenage fatal se trouve ainsi mis en place.

En réalité après la soupe la faim relayera le froid, puis le froid recommencera et enveloppera la faim ; plus tard les poux envelopperont le froid et la faim, puis la rage sous les coups enveloppera poux, froid et faim, puis la guerre qui ne finit pas enveloppera rage, poux, froid et faim, et il y aura le jour où la figure, dans le miroir, reviendra gueuler Je suis encore là ; et tous les moments où leur langage qui ne cesse jamais enfermera poux, mort, faim, figure, et toujours l’espace infranchissable aura tout enfermé dans le cirque des collines : l’église où nous dormons, l’usine, les chiottes, la place des pieds, et la place de la pierre que voici, lourde, glacée, qu’il faut décoller de ses mains insensibles, gonflées, soulever et aller jeter dans le tombereau.

Manger devient une obsession : le pain rationné que l’on découpe en petits morceaux et qu’on mâche longuement, rarement quelques patates ou épluchures, de la soupe qui n’est que de l’eau chaude :

Maintenant, on se presse pour toucher le pain et on lutte contre soi-même pour arriver à en garder une tranche pour le soir. En le touchant, et avant même de le toucher, on sait qu’il est périssable, on est accablé déjà d’avoir à le manger. Le pain ne vieillit pas comme la chair et la beauté, il ne dure pas, il n’est destiné qu’à être détruit. Il est condamné avant de naître. Je pourrais calculer quelles quantités il faudra que j’en aie à détruire pour vivre cinq ans, dix ans… Il y a des montagnes de pain, des années-pains entre la mort et nous.

Il savait qu’entre la vie d’un copain et la sienne propre, on choisirait la sienne et qu’on ne laisserait pas perdre le pain du copain mort. Il savait qu’on pourrait voir, sans bouger, assommer de coups un copain et qu’avec l’envie d’écraser sous ses pieds la figure, les dents, le nez du cogneur, on sentirait aussi, muette, profonde, la veine du corps :  « ce n’est pas moi qui prend ».

L’important bien sûr est de survivre :

La mort était de plein pied avec la vie, mais à toutes les secondes. La cheminée du crématoire fumait à côté de celle de la cuisine. Avant que nous soyons là, il y avait eu des os de morts dans la soupe des vivants, et l’or de la bouche des morts s’échangeait depuis longtemps contre le pain des vivants. La mort était formidablement entraînée dans le circuit de la vie quotidienne.

Ici, il n’y a pas de malades : il n’y a que des vivants et des morts.


Il ne faut pas mourir, c’est ici l’objectif véritable de la bataille. Parce que chaque mort est une victoire du SS.

Pour survivre, il faut garder sa dignité humaine. C’est là que la réflexion de Robert Antelme basée sur son vécu concentrationnaire dépasse ce cadre des camps pour toucher l’universel : il n’y a qu’une espèce humaine.
Il a bien compris que la machine de mort SS était basée sur une distanciation avec les détenus : les moches, les pourris, les squelettes ambulants, les porcs (schweine), ceux qui peuvent s’abaisser à ramper à terre pour manger quelques épluchures, ceux qui défèquent dans leur culotte où n’importe où parce qu’ils ont la diarrhée ; bref de la vermine, paresseuse, indisciplinée, des parasites de la société, tout juste bons à être utilisés comme esclaves.

Le geste de l’homme, agissant ou signifiant, ne cesse pas. Les SS ne peuvent pas muter notre espèce. Ils sont eux-mêmes enfermés dans la même espèce et dans la même histoire. Il ne faut pas que tu sois : une machine énorme a été montée sur cette dérisoire volonté de con. Ils ont brûlé des hommes et il y a des tonnes de cendres, ils peuvent peser par tonnes cette matière inerte. Il ne faut pas que tu sois, mais ils ne peuvent pas décider, à la place de celui qui sera cendre tout à l’heure, qu’il n’est pas. Ils doivent tenir compte de nous tant que nous vivons, et il dépend encore de nous, de notre acharnement à être, qu’au moment où ils viendront de nous faire mourir ils aient la certitude d’avoir été entièrement volés. Ils ne peuvent pas non plus enrayer l’histoire qui doit faire plus fécondes ces cendres sèches que le gras squelette du lagerführer.

Et ce passage fondamental :

Et si nous pensons alors cette chose qui, d’ici, est certainement la chose la plus considérable que l’on puisse penser : « Les SS ne sont que des hommes comme nous » ; si, entre les SS et nous – c’est-à-dire dans le moment le plus fort de la distance entre les êtres, dans le moment où la limite de l’asservissement des uns et la limite de la puissance des autres semblent devoir se figer dans un rapport surnaturel – nous ne pouvons apercevoir aucune différence substantielle en face de la nature et en face de la mort, nous sommes obligés de dire qu’il n’y a qu’une espèce humaine. Que tout ce qui masque cette unité dans le monde, tout ce qui place les êtres dans la situation d’exploités, d’asservis et impliquerait par là-même, l’existence de variétés d’espèces, est faux et fou ; et que nous en tenons ici la preuve, et la plus irréfutable preuve, puisque la pire victime ne peut faire autrement que de constater que, même dans son pire exercice, la puissance du bourreau ne peut être autre qu’une de celles de l’homme : la puissance de meurtre. Il peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose.

De ce fait, la bassesse ne se trouve pas où le conquérant le pense mais dans le franchissement d’autres limites :

Plus on est contesté en tant qu’homme par le SS, plus on a de chances d’être confirmé comme tel. Le véritable risque que l’on court, c’est celui de se mettre à haïr le copain d’envie, d’être trahi par la concupiscence, d’abandonner les autres. Personne ne peut s’en faire relever. Dans ces conditions, il y a des déchéances formelles qui n’entament aucune intégrité et il y a aussi les faiblesses d’infiniment plus de portée. On peut se reconnaître à se revoir fouinant comme un chien dans les épluchures pourries. Le souvenir du moment où l’on n’a pas partagé avec un copain ce qui devait l’être, au contraire viendrait à faire douter même du premier acte. L’erreur de conscience n’est pas de « déchoir », mais de perdre de vue que la déchéance doit être de tous et pour tous.

Tout est bon pour garder cette dignité de l’espèce face à celui qui veut la nier :

Quand je suis près d’un Allemand, il m’arrive de parler le français avec plus d’attention, comme je ne le parle pas habituellement là-bas ; je construis mieux la phrase, j’use de toutes les liaisons, avec autant de soin, de volupté que si je fabriquais un chant. Auprès de l’Allemand, la langue sonne, je la vois se dessiner au fur et à mesure que je la fais. Je la fait cesser et je la fait rebondir en l’air à volonté, j’en dispose. A l’intérieur du barbelé, chez le SS, on parle comme là-bas et le SS qui ne comprend rien le supporte. Notre langue ne le fait pas rire. Elle ne fait que confirmer notre condition. A voix basse, à voix haute, dans le silence, elle est toujours la même inviolable. Ils peuvent beaucoup mais ils ne peuvent pas nous apprendre un autre langage qui serait celui du détenu. Au contraire, le nôtre est une justification de plus de la captivité.

Et Dieu dans tout cela ? Il n’est pas d’un grand secours pour Robert Antelme (mais il en soutient d’autres)

Belle histoire du surhomme, ensevelie sous les tonnes de cendres d’Auschwitz. On lui avait permis d’avoir une histoire. Il parlait d’amour, et on l’aimait. Les cheveux sur les pieds, les parfums, les disciples qu’il aimait, la face essuyée…
On ne donne pas les morts à leur mère ici, on tue la mère avec, on mange leur pain, on arrache l’or de leur bouche pour manger plus de pain, on fait du savon avec leur corps. Ou bien on met leur peau sur les abat-jour des femelles SS. Pas de traces de clous sur les abat-jour, seulement des tatouages artistiques
« Mon Père, pourquoi m’avez-vous… »
Hurlements des enfants que l’on étouffe. Silence des cendres épandues sur une plaine.


Soudain à Gandersheim dans une nuit du mois d’avril s’entend un roulement de bruits sourds. Pas de doute c’est de l’artillerie : les Russes sont proches du camp
Rapidement, c’est l’évacuation, le moment le plus périlleux pour les détenus. Les voilà sur les routes en longue colonne condamnée à la marche forcée. L’œil du SS, celui qui tue, les regarde à nouveau avec toute son acuité. Il faut surtout éviter ce regard, montrer qu’on est toujours en état de marcher. Car malheur aux autres, à l’arrière de la colonne crépitent les rafales de mitraillette qui éliminent ceux qui trop épuisés sont incapables de suivre. Suit une errance surréaliste de plusieurs jours dans un pays décomposé, en proie à la déroute. Mais où l’ordre SS continue à régner sur les détenus. D’ailleurs Robert Antelme note amèrement que plus les alliés approchent plus leur sort de prisonnier devient précaire. Finalement, ils sont enfermés dans un wagon pour un voyage de plusieurs jours. Là encore de nombreux morts d’épuisement. Enfin, ils se retrouvent dans le camp de Dachau où la faucheuse continue son ouvrage sur les corps ravagés. Robert Antelme sera sauvé mais de peu !

Coïncidence troublante, sort actuellement un film au cinéma sur la quête de Marguerite Duras pour sortir son époux Robert Antelme de l’enfer concentrationnaire.
Et il me restera à lire "La Douleur" de M. Duras Very Happy


mots-clés : #campsconcentration
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Message par Armor Sam 27 Jan - 22:42

Je n'avais jamais entendu parler de ce témoignage, comment est-ce possible. C'est d'ores et déjà noté, merci Arensor pour ce commentaire fouillé.
Peux-tu juste me dire si le livre est écrit petit ou pas ? J'ai déjà eu de mauvaises surprises avec cette collection.

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Message par Bédoulène Dim 28 Jan - 7:49

j'ai lu beaucoup de témoignages, ce sera aussi une prochaine lecture, merci Arensor

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Message par ArenSor Dim 28 Jan - 20:16

Armor a écrit: Peux-tu juste me dire si le livre est écrit petit ou pas ? J'ai déjà eu de mauvaises surprises avec cette collection.
Pas très grand, toutefois, je n'ai pas eu de difficulté de lecture (mais j'ai des loupes !). A peu près de la grosseur des caractères en Pléiade Very Happy
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Message par Armor Dim 28 Jan - 23:15

Arf, je crains d'avoir du mal, alors. Zut et re-flûte.
Merci !

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Message par ArenSor Lun 29 Jan - 19:15

Armor a écrit:Arf, je crains d'avoir du mal, alors. Zut et re-flûte.
Merci !

C'est là qu'on se dit qu'une liseuse peut être utile !
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Message par Armor Mer 31 Jan - 21:37

Sauf quand on a des yeux tout pourris qui n'aiment pas non plus les liseuses ! Robert Antelme 1390083676

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Message par églantine Ven 2 Fév - 18:21

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J'ai terminé L'espèce humaine de Robert Antelme : je crois que c'est la lecture la plus éprouvante de ma vie .
Je ne peux que recommander , il est à mon sens aussi incontournable que Si c'est un homme .
Témoignage des camps mais aussi une immense profondeur dans une réflexion philosophique .
L'écriture est talentueuse en plus , violemment impactante et ...belle dans son dénuement : je crois que Robert Antelme se mit à écrire peu de temps après sa libération , mais tout est là , les faits et le regard rétrospectif .
Je voudrais pouvoir en parler car bien évidemment ça bouscule le confort du lecteur mais selon la formule éculée, platement ,  je vous dis juste qu'on en ressort pas indemne , et heureusement ...Mais je ne peux pas vous en dire plus , je n'ai pas le courage de revenir sur ce texte exceptionnel , fondamental pour avancer dans son devenir d'homme :  Je l'ai terminé , j'ai bien cru ne pas pouvoir remplir mon contrat .


  Celui qui, longeant les barbelés, passe sur la route, petite silhouette noire sur la neige, est bien une puissance de la terre. Mais s'il nous voit derrière les barbelés, s'il lui arrive simplement de penser qu' autre chose est possible dans la nature que d'être un homme qui marche libre sur la route, s'il s'embarque à penser ainsi, il risque de se sentir menacé par toutes ces têtes rasées, par toutes ces têtes dont il n'a aucune chance de ne jamais  connaître aucune et qui sont ce qu"il y a pour lui de plus inconnu sur la terre. Et ces hommes eux-mêmes contamineront peut-être pour lui les arbres qui encerclent de loin les barbelés, et celui qui est sur la route risquera alors de se sentir étouffé par la nature entière, comme refermée sur lui.
Le règne de l'homme , agissant ou signifiant, ne cesse pas. Les SS ne peuvent pas muter notre espèce. Ils sont eux-mêmes enfermés dans la même espèce et la même histoire. "Il ne faut pas que tu sois": une machine a été montée sur cette dérisoire volonté de con. Ils ont brûlé des hommes et il y a des tonnes de cendres, ils peuvent peser par tonnes cette matière neutre. "Il ne faut pas que tu sois ", mais ils ne peuvent pas décider, à la place de  celui qui sera cendre tout à l'heure , qu' il n'est pas. Ils doivent tenir compte de nous tant que nous vivons, et il dépend de nous, de notre acharnement à être, qu' au moment où ils viendront de nous faire mourir ils aient la certitude d'avoir été entièrement volés. Ils ne peuvent pas non plus enrayer l'histoire qui doit faire plus fécondes ces cendres sèches que le gras squelette du lagherführer.      

Les SS croient que, dans la partie de l'humanité qu' ils ont choisie, l'amour doit pourrir, parce qu' il n'est qu' une singerie de l'amour des vrais hommes, parce qu' il ne peut exister réellement. Mais, là, sur le plancher du wagon, l'extraordinaire connerie de ce mythe éclate. Le  vieil Espagnol est peut-être devenu transparent pour nous, mais pas pour le gosse ; pour lui, il y a encore sur le plancher la petite figure jaunâtre et ridée du père et , sur elle, celle de la mère s'est imprégnée et, à travers elle, encore tout le mystère possible de la filiation, pour le fils, le langage et la transparence du père restent aussi insondables que lorsque celui-ci était encore pleinement souverain.
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Message par ArenSor Ven 2 Fév - 19:03

Tu as tout à fait raison églantine de souligner le caractère éprouvant de cet ouvrage, ce que je n'avais pas fait. Moi aussi, j'ai été tenté d'abandonner à un certain moment.
Je te rejoins complètement sur le fait qu'il s'agit non seulement d'un témoignage capital sur les camps, mais aussi d'une réflexion sur les techniques de destruction des êtres humains mises au point par l'idéologie nazie et au-delà d'une interrogation sur l'espèce humaine dans ses visages de grâce et dans ses aspects les plus épouvantables!
La Douleur de Duras offre l'autre versant de cette histoire, dans une approche et une écriture complètement différentes. C'est très étrange et assez déstabilisant pour moi. Smile
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Message par églantine Ven 2 Fév - 19:21

ArenSor a écrit:'il s'agit non seulement d'un témoignage capital sur les camps, mais aussi d'une réflexion sur les techniques de destruction des êtres humains mises au point par l'idéologie nazie et au-delà d'une interrogation sur l'espèce humaine dans ses visages de grâce et dans ses aspects les plus épouvantables!
La Douleur de Duras offre l'autre versant de cette histoire, dans une approche et une écriture complètement différentes. C'est très étrange et assez déstabilisant pour moi. Smile
Et c'est une approche non binaire , au delà des notions de bien et de mal , son questionnement dépasse la vision première , pour proposer une plongée dans tous les paradoxes de l'humanité : avec si peu de recul temporel c'est incroyable d'avoir pu rentrer dans cette dimension avec autant de souplesse littéraire et dans un mouvement admirable , comme si le livre s'était écrit en lui durant cette traversée de l'horreur.
Bouh , je ne vais pas lire La douleur tout de suite .
Tu es courageux Arensor .
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Message par Tristram Lun 11 Mar - 11:50

L'Espèce humaine

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Robert Antelme fut déporté en août 1944 à Buchenwald puis au kommando de l’usine d’avions de Gandersheim. Publié dès 1947, son témoignage montre notamment le rôle important des kapos, généralement de droit commun (français ou allemands), les « hommes », intermédiaires entre les SS et les prisonniers. Ils sont opposés aux « politiques », souvent communistes. Faim, froid, manque d’hygiène (poux, etc.) sont aussi mis en évidence, de façon marquante. Cette vie quotidienne comporte encore le revier (infirmerie militaire), les chiottes, lieux importants qui seront pareillement évoqués par Jorge Semprun (j’ai personnellement été plus marqué par les témoignages de ce dernier). Sont également dénoncés les civils allemands (à de rares exceptions près, comme « le Rhénan »), par exemple la « bourgeoisie nazie » qui embauche la main-d’œuvre gratuite.
« Les SS, eux, se tenaient à l’écart. Ils avaient ramené la cargaison, mais ils ne triaient pas, c’étaient les civils qui triaient. »
L’accent est encore mis sur la déshumanisation systématique des détenus, considérés comme de la scheisse. Ce « mépris » est jugé comme chimérique par Robert Antelme.
« Le règne de l’homme, agissant ou signifiant, ne cesse pas. Les SS ne peuvent pas muter notre espèce. Ils sont eux-mêmes enfermés dans la même espèce et dans la même histoire. Il ne faut pas que tu sois : une machine énorme a été montée sur cette dérisoire volonté de con. »
Les prisonniers s’épuisent progressivement, mais la défaite allemande se précise de plus en plus.
« Et arbeit ronfle aussi à nouveau. Mais il n’y a rien à faire. Il n’y a pas plus de travail pour eux qu’il n’y a de pain pour nous. Ils ne peuvent pas davantage créer la chose à travailler que nous ne pouvons créer celle à manger.
Maintenant nous devons être tout à fait intolérables. Jusque-là, dans l’usine, nous avions été mobilisés, mangés par la carlingue. Jamais indépendants du dural, choses à travailler le dural, nous ne formions jamais que le couple häftling (prisonnier)-compresseur, couple häftling-marteau, couple muet. Notre voix, nos bruits permis, c’était celui du compresseur, celui du marteau de bois. On nous parlait parfois, seulement en raison de la Carlingue. Elle nous protégeait, au fond, nous camouflait. »
Puis c’est l’évacuation (les plus faibles sont abattus au départ, puis au fur et à mesure de la marche).
« Les SS fuient, mais ils nous emportent. »

« On nous pousse, l’espace livré doit être nettoyé, vidé des gens comme nous ; il faut nous garder à tout prix ou nous tuer. »
Une idée maîtresse d’Antelme, qui explicite le titre :
« C’est un rêve SS de croire que nous avons pour mission historique de changer d’espèce, et comme cette mutation se fait trop lentement, ils tuent. Non, cette maladie extraordinaire n’est autre chose qu’un moment culminant de l’histoire des hommes. Et cela peut signifier deux choses : d’abord que l’on fait l’épreuve de la solidité de cette espèce, de sa fixité. Ensuite, que la variété des rapports entre les hommes, leur couleur, leurs coutumes, leur formation en classes masquent une vérité qui apparaît ici éclatante, au bord de la nature, à l’approche de nos limites : il n’y a pas des espèces humaines, il y a une espèce humaine. C’est parce que nous sommes des hommes comme eux que les SS seront en définitive impuissants devant nous. C’est parce qu’ils auront tenté de mettre en cause l’unité de cette espèce qu’ils seront finalement écrasés. »

« On a beau foutre des coups de pied dans le ventre des malades, ou les tuer, obliger des types qui ont la chiasse à rester enfermés dans une église et les fusiller ensuite parce qu’ils y ont chié, gueuler pour la millionième fois alle scheisse, alle scheisse, il y a entre eux et nous une relation que rien ne peut détruire. Ils savent ce qu’ils font, ils savent ce qu’on fait de nous. Ils le savent comme s’ils étaient nous. Ils le sont. Vous êtes nous-mêmes ! »

« Si l’on nous force à marcher encore longtemps, nous tomberons les uns après les autres et on sera tous tués. C’est facile, c’est possible. Depuis que nous sommes en Allemagne, nous n’avons pas cessé de faire l’expérience de ce qui est possible. »
Puis le terrible voyage en train pour Dachau.
« Quand un type est près de mourir, il devient difficile et geignant, et on l’engueule. Quand il a reçu sa bordée d’injures, il meurt. »

« Les histoires que les types racontent sont toutes vraies. Mais il faut beaucoup d’artifice pour faire passer une parcelle de vérité, et, dans ces histoires, il n’y a pas cet artifice qui a raison de la nécessaire incrédulité. Ici, il faudrait tout croire, mais la vérité peut être plus lassante à entendre qu’une fabulation. Un bout de vérité suffirait, un exemple, une notion. »

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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