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Pierre Schoendoerffer

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Message par topocl Jeu 22 Déc - 15:48

Pierre Schoendoerffer
(1928 - 2012)


Pierre Schoendoerffer Image158

Pierre Schoendoerffer est un romancier, réalisateur, scénariste et documentariste français, né le 5 mai 1928 à Chamalières (Puy-de-Dôme) et mort le 14 mars 2012 à Clamart (Hauts-de-Seine). Lauréat de l'Académie française, récompensé par un Oscar, il était membre de l'Académie des beaux-arts depuis 1988.

Pierre Schoendoerffer a eu une enfance itinérante au gré des postes occupés par son père, Georges Schoendoerffer (1888-1949), ingénieur de l'École centrale.  issu d'une famille protestante alsacienne. Quatrième enfant d'une fratrie de cinq, il naît à Chamalières (Puy-de-Dôme) en mai 1928, alors que son père travaille chez Michelin à Clermont-Ferrand. En 1939, son père part chez De Dietrich à Niederbronn (Bas-Rhin). Évacuée à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, toute la famille déménage à Annecy où son père est nommé directeur de l'hôpital. C'est là qu'il lit Fortune carrée de Joseph Kessel, qui lui indique le chemin de « la vraie vie ». Son père étant mort des suites de la guerre, Pierre Schoendoerffer devient pupille de la Nation.

Il rêve de devenir marin, lui qui n'a jamais vu la mer et embarque comme matelot sur un petit chalutier à voile et à moteur à 18 ans.  À 19 ans, il embarque sur un caboteur suédois de haute mer, comme matelot de pont léger. Il navigue essentiellement en mer Baltique et en mer du Nord.
Appelé pour son service militaire, il part en Indochine. Il est nommé caporal, puis caporal-chef. Il filme la guerre de 1952 à la chute de la bataille de Ðiện Biên Phủ en 1954 où il est fait prisonnier avec toute la garnison.
Libéré fin août par les accords de Genève, il reste en Indochine et se fait démobiliser sur place en janvier 1955. Il devient alors photographe pour de grands magazines étrangers et, avec le pécule que lui rapportent ses reportages photographiques, il décide de boucler son tour du monde en rentrant par l'Est.

À Hong Kong, il rencontre Kessel à qui il fait part de son désir de devenir cinéaste. Kessel lui promet de l'aider, et lorsqu'il le revoit à Paris, il l'impose à un jeune producteur, Georges de Beauregard, pour tourner en 1956, en Afghanistan, le film que lui, Kessel, a écrit La Passe du diable. D'autres films suivront : Ramuntcho et Pêcheur d'Islande (adaptations des romans éponymes de Pierre Loti).

En 1963, il écrit La 317e Section qui devient en 1964, un film de fiction, proche du documentaire, sur la guerre d'Indochine et obtient le prix du scénario à Cannes.
Avec Dominique Merlin, il réalise en 1967 un film documentaire au Viêt Nam avec l'armée américaine, La Section Anderson, auquel est décerné un Oscar et de nombreuses distinctions internationales.
L'Adieu au roi, publié en 1969, obtient le prix Interallié, dont il rejoindra le jury quelques années plus tard. Le réalisateur américain John Milius le porte à l'écran en 1989, L'Adieu au roi, avec Nick Nolte.

Pierre Schoendoerffer écrit, en 1976, un roman, Le Crabe-tambour, qui obtient le grand prix du roman de l'Académie française. Il l'adapte pour le cinéma l'année suivante, tournant pendant sept semaines sur un navire de guerre, l'escorteur d'escadre Jauréguiberry, pendant l'hiver dans l'Atlantique nord. Sorti en novembre 1977, le film reçoit trois Césars en 1978.

En 1992, il réalise son film le plus ambitieux, Diên Biên Phu, tourné au Viêt Nam.
En 2003, dès la création des "écrivains de Marine" par J-F Deniau, Pierre Schoendoerffer fait partie de la compagnie de vingt membres .

En 2007, il se rend en Afghanistan, un demi-siècle après avoir découvert le pays aux côtés de Joseph Kessel, invité par le 1er régiment de chasseurs parachutistes (1er RCP), dont il est soldat de 1re classe d'honneur.

Pierre Schoendoerffer meurt le 14 mars 2012 à l'hôpital militaire Percy de Clamart, où il avait été transféré quelques jours auparavant à la suite d'une opération chirurgicale. Le 19 mars, jour anniversaire de son parachutage à Ðiện Biên Phủ, ses obsèques sont célébrées en la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides à Paris, suivis d'un hommage national dans la cour d'honneur des Invalides en présence du Premier ministre François Fillon, du ministre de la Défense Gérard Longuet, du ministre des Anciens combattants et du ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand.

wikipedia


Œuvre écrite

Romans
1963 : La 317e Section,
1969 : L'Adieu au roi, Grasset (prix Interallié, 1969)
1976 : Le Crabe-tambour, Grasset
1981 : Là-haut, Grasset,
2003 : L'Aile du papillon, Grasset (prix littéraire de l'armée de terre - Erwan Bergot ; prix Encre marine 2003 de la Marine nationale)

Beaux livres
Dien Bien Phu 1954/1992, De la bataille au film, Éditions Fixot-Lincoln, 1992

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Message par topocl Jeu 22 Déc - 15:58

Le Crabe-Tambour

Pierre Schoendoerffer Image186


  « Le vent crie. Des cris qu'on est toujours sur le point de comprendre…
   Et qu'on ne comprend jamais ! »


Nous sommes en mer sur l'Éole, un navire de la marine marchande en campagne d'assistance à la grande pêche. À l'assaut du Nord, de la glace, des nuits sans fin.
Les marins, du premier au dernier, sont de petits garçons purs et solitaires se croyant des hommes, persuadés que la vie est vaine, mais prêts à tout pour prouver le contraire. Courant après leurs rêves même si ce ne sont que des cauchemars, l'alcool comme une maîtresse, l'amitié comme roc salvateur ultime. Ils sont désabusés, solitaires, taciturnes ou logorrhéiques, il vivent le désespoir au cœur dans une dignité blessée, ils traînent  derrière eux leur passé de guerre et  d'Indochine.

   « J'ai trop bu. Le chef est un subtil tentateur, comme tous les buveurs il est  prosélyte. Le lâche, le faible, le couard, sont prosélytes. C'est une dernière pitoyable tentative pour se sauver : si tous les hommes renient, alors il n'y a pas de reniement, il y a la nature de l'homme qui est de renier… »

Mais il ne renoncent pas car ils jouissent aussi de ces vies tout à la fois vides et pleines, en lutte perpétuelle : la quête de soi sous forme de fuite en avant, être un homme, un vrai, à qui l'action dans la nature, hostile mais fascinante, donne un sens. L'action? Ils devisent dans la chambre du commandant, sirotent leur whisky, se souviennent, se jaugent…. Ils trainent tous leur passé comme un fardeau, et sans doute voudraient-ils que la vie ait un sens. Parce qu'ils savent qu'ils auront des comptes à rendre, au moins à eux-mêmes, quand la faucheuse se présentera.

   « L'hélice tourne sans défaillance, et les turbines grondent, le temps passe. Demain sera comme aujourd'hui, comme hier. Il n'y aura pas d'âcre odeur de poudre, pas de promesse de gloire, ni espoir, ni peur ; tout est en ordre. La mort n'entrera pas en tempête, mais elle est quand même là, tapie ; une voleuse attendant avec une infinie patience. »

Au loin, la figure fascinante de Wilsdorff, le Crabe-Tambour, l'Alsacien, l'Innocent, suivi de son chat -fétiche, qui les aimante tous, celui qu'ils voudraient être, celui dont les yeux rient , celui qui n'a pas besoin de parler. Les retrouvailles sont perpétuellement repoussées, le sort en veut ainsi, puis elles  ont lieu, point n'est  besoin de mots pour les décrire, elles sont là, cela suffit.

L'aventure, la nature, la fidélité entre les hommes, et leurs valeurs. Voilà ce qui les unit tous, ballottés dans leurs tempêtes intimes : ils se raccrochent à leurs valeurs, un gouvernail comme un autre qui permet d'avancer, à défaut d'être sauvé. Ça pourrait être grandiloquent et moralisateur, mais non, cela emporte le cœur de désespérance cachée. La nature (et derrière elle la mort ) impose sa loi aux hommes-mêmes qui  veulent l'affronter dans une leçon d'humilité assumée.

Au-delà des tempêtes, des sauvetages, des soins aux blessés, de l'efficacité technique des marins, il y a des pauses, il y a l'ennui et l'amertume et entre ces changements de rythme, les hommes sont ballottés, le lecteur est charmé par ce livre âpre.

(commentaire récupéré)

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Message par topocl Jeu 22 Déc - 16:00

L'adieu au roi

Pierre Schoendoerffer Image187

   Mais moi je ne vais pas vous raconter ma guerre, comme mon père m'a raconté la sienne. Toutes ces guerres sont toujours tristement les mêmes : on a piétiné dans la boue, on a longtemps attendu, on a tiré, ils sont morts. C'est ça la guerre, quand on en revient. Mais le vent a chassé l'odeur des cadavres et il ne reste plus dans notre mémoire que le flamboiement de notre jeunesse…

Dans la jungle hostile de Borneo, Learyd, Le Roi, un déserteur anglais, a fédéré les tribus indigènes. Le narrateur, un botaniste de l'armée anglaise s'allie à lui pour repousser les Japonais. Peu à peu cette alliance  glisse vers l'amitié, puis la trahison.

On retrouve ici de nombreux ingrédients du Crabe-tambour. Pierre Schoendoerffer a un univers, celui des hommes transcendés par l'action, courant après eux-même, cachant leur désespoir. Trois hommes ici encore, en miroir du trio du Crabe-tambour : le  narrateur avec ses aspirations et ses faiblesses, dont le côté jeune chien fou enthousiaste va en prendre pour son grade, le roi au charisme étrange, dont la pauvre liberté fascine tout le monde, et l'autorité, tant militaire que morale,  en la personne de Ferguson. L'aventure (la guerre) est  leur rédemption et leur perte. Ils évoluent dans une nature à qui son hostilité-même donne un caractère paradoxalement protecteur et intime.

   - Ecoutez, vous êtes jeune, je ne sais pas ce que le monde vous réserve, mais craignez le retour des temps où les hommes toucheront le fond du désespoir, car nul ne sait alors ce qu'il découvrira en lui : une paillette d'or ou une poignée de boue . Le jugement sera définitif et sans appel.

Qu'est-ce qui fait que j'ai moins accroché ?

D'abord et surtout j'ai trouvé le récit moins maîtrisé, les motivations des personnages parfois obscures (mais les connaissent-ils eux-mêmes ?) le récit des opérations militaires assez  fouillis (peut-être aurais-je dû trouver une carte de Bornéo).
La guerre est ici une aventure jouissive, un peu trop peut-être, avec un petit côté « tu sera un homme mon fils », même si cette idée d' "homme"  allie des valeurs de dignité, de trahison et de désespoir.

Une histoire de mecs : cette histoire tire un peu trop, juste un petit peu trop, vers le côté aventure virile, d'hommes qui se surpassent et qui savent (ou croient savoir) regarder la mort droit dans les yeux , hommes soumis à leur destin et qui croient s'octroyer par leurs actes une liberté illusoire…

 
 Alors, il n'y eut plus que le silence. Le silence et le clapotis monotone de la pluie.
   Alors les blessés se sentirent seuls, et la nuit, au-delà des braises ardentes qui volaient en étincelles, leur fit peur. Ils gémirent et celui qui devait mourir poussa un cri étrange, semblable à un appel.
   Je crois que je fus le seul à l'entendre. J'aurais pu me lever et lui tenir la main. Je ne sais pas pourquoi je restai allonger sur le dos, les yeux ouverts, le cœur serré par l'étreinte angoissante d'une vague tristesse. Quelquefois, encore aujourd'hui, je me souviens de cet appel dans la nuit.

Un peu moins de nuance, donc, mais qui n'empêche pas un certain plaisir de lecture, le lecteur sent la pluie qui dégouline sur ses épaules, la jungle qui se referme sur lui, la boue qui colle à ses bottes, l'alcool qui lui tombe dans l'estomac. Ces hommes, dont les certitudes ne sont qu'illusion, sont bien beaux malgré tout.

(commentaire récupéré)

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Message par animal Jeu 22 Déc - 21:08

je pensais pouvoir reformuler un avis mais c'est trop difficile. surtout que c'est peut-être pour L'Adieu au roi que je trouve ça le plus difficile, parce que maintenant j'ai vu le film (qui est bien loin d'être aussi mauvais qu'on se le dit) ou tout simplement parce qu'il est encore plus loin dans ce livre que dans les autres. plus loin géographiquement et plus loin en esprit de notre monde "civilisé". de face on va voir dans ce livre le rêve et le mythe d'une vie essentielle mais dure. n'empêche l'alternative qui arrive, cette civilisation ou ce retour, plus "emballée" n'est, à défaut de pouvoir être idéalisée ou idéalisable, pas complètement rejetée. (à moins d'ailleurs que la question ne se pose pas de cette manière).

en tout cas c'est un auteur, et un réalisateur, que j'apprécie beaucoup et un de ceux dont j'ai le sentiment d'avoir appris sur mon monde d'aujourd'hui. sans doute parce que Pierre Schoendoerffer est d'ici mais aussi d'ailleurs.

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Message par animal Jeu 22 Déc - 21:09

récup de message :

L'Adieu au roi

quatrième de couverture de mon édition a écrit:De ce livre inoubliable, à la grandeur toute d'épopée et d'horreur, le sujet est simple : dans une partie de l'île de Bornéo occupée par les Japonais, deux Blancs, un Anglais et un Australien, sont parachutés avec mission d'organiser la résistance locale, celle des indigènes muruts.
Ils rencontrent un Blanc : Learoyd, Irlandais déserteur, d'immenses yeux gris, intraitables... Les Muruts en ont fait leur roi. Learoyd a accepté de mettre son peuple au service des deux hommes et L'Adieu au roi, dès lors, est l'histoire de l'extermination des Japonais de Bornéo. L'histoire d'une agonie collective.
Dans la grande île de Bornéo qu'entourent la mer de Chine et la mer japonaise, voici la forêt, avec les montagnes, toujours les montagnes, où vivent les Muruts, si bien protégés du reste de l'île et du monde que l'on caresse avec lui le rêve fou de Learoyd : sauver de la contamination blanche, sauver en quelque sorte du temps, ce peuple néolithique, qui vit, heureux, avec son organisation à lui, ses mythes... Oui le rêve d'un fou.
La pluie ne cesse de tomber, l'humidité de s'épandre et persister, et Schoendoerffer, avec ses moyens qui sont ceux de l'écrivain à la veine épique et cosmique, est sans rival pour décrire la vie hallucinante de la jungle, les arbres géants et étouffants, les mousses fétides et spongieuses, les araignées géantes et venimeuses, les sangsues avides, toute une glauque vie de forêts sous-marines.
Un grand roman. Comme on en lit un toutes les décennies.

Pas tant attendu que ça finalement avant de lire à nouveau cet auteur. Lecture avec sensation un peu flou de je vais lire ce fameux L'Adieu au roi, fameux tout court et adapté au ciné par John Milius, bien que je n'ai pas vu ce film.

Dès le début on sent que ça va être une aventure, une histoire à part et assez directe, un voyage exotique et intérieur. Sur ces deux chemins il fera bien sombre... Je ne sais pas si je peux dire avoir aimé l'écriture. Parfois comme trop légère ou avec des figures artificielles. Pourtant, quantité de phrases au plus juste, atmosphère prenante... efficace et impressionnante, on peut se rendre compte qu'il est facile d'être mal à l'aise. J'ai préféré l'écriture de L'aile du papillon.

Mais celui là non plus, cet Adieu au roi, je m'imagine mal l'oublier de si tôt.  A travers ses personnages : Learoyd mais surtout notre héros/narrateur qui doute, nous sommes amenés à regarder en face et directement une part de notre condition d'hommes. Part qui ne contient pas que des beaux morceaux. C'est là je crois la force de ce livre (de ses livres, et films sans doute). C'est très physique, les joies et les peines et la folie, l'euphorie sont physiques. L'horreur est vécue et commise. C'est un auteur qui, comment dire, n'esquive pas les problèmes et leurs conséquences. Il en parle tout de suite. Avec aussi un peu de grandeur, pas fantoche, et beaucoup d'humanité. Il n'y aura pas de bons sauvages ou de bons blancs chez lui, juste des hommes. On se doute qu'il s'est inspiré de ce qu'il a vécu, voir qu'il a extériorisé une partie de ce qu'il a vécu.

Il n'y a pas grand chose de trancher, même moralement, c'est un bien, bien que ça provoque un certain malaise.

La vie est un accomplissement solitaire. Par générations successives, les hommes, courbés vers le sol pour arracher leur pain quotidien, suivent leur chemin sous le ciel indifférent. Ils se cognent entre eux, ils rient et ils pleurent, ils parlent beaucoup mais ils se comprennent mal. Ils demeurent toujours des énigmes les uns pour les autres. Un jour, le père quitte le fils, l'ami quitte l'ami. Adieu! Les joies, celles des fous et celles des sages, les désespoirs, ceux des rois et ceux des esclaves, les terreurs, toutes les terreurs, entrent en nous comme dans un moulin, vont, viennent, et s'évanouissent; nous n'en sommes pas maîtres, nous ne pouvons que nous en accommoder. "Et voici, tout est vanité et poursuite du vent."
Je suis las, j'ai passé ma journée à poursuivre l'ombre de l'homme rouge aux yeux gris qui fut roi et qui chassa Dieu.

Il y a une pulsion profonde de vie, bestiale, sourde, de révolte dans ces pages.

En fait c'est bel et bien un "bouquin de dingue" comme on dit. Et un début d'entrevue d'une piste de réponse pour la question "comment c'est possible ? c'est trop crade, c'est pas humain".

Pas près de l'oublier ce livre.

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Message par animal Jeu 22 Déc - 21:10

et autres extraits :

De vastes nuages sombres, bousculés par le vent tiède de la mousson de nord-est, courent sur la mer de Chine. La houle soulève des vagues lourdes et plombées, qui s'écrasent sur la côte. Lac baleinière de sauvetage grince en talonnant la plage et finalement chavire en éparpillant avirons et naufragés dans l'écume du ressac.

C'était le 13 février 1942, quelques jours avant la chute de Singapour.
Les naufragés, des marins et des soldats, échappés de la ville agonisante sous les bombes japonaises, leur petit vapeur torpillé et coulé dans la nuit, regardaient maintenant, dans la lumière froide et cruelle de l'aube, le sable gris sur lequel la fortune les avait abandonnés. Loin à l'est, les paillotes d'un village de pêcheurs, ancrées dans les dunes, pliaient sous les rafales de pluie. A l'ouest, tout proche, un arbre mort, sentinelle avancée de l'immense forêt, se dressait contre une falaise de jungle noire qui, partant de la ligne blanche du ressac, se dissolvait dans le ciel bas.
Un lieutenant, ou bien était-ce un capitaine? personne ne sait plus ni son nom ni son grade, proposa de tenter la chance vers le village, d'y attendre la nuit, de persuader les pêcheurs de les embarquer tous vers le sud, vers la Nouvelle-Guinée et l'Australie, que les Japonais n'avaient pas encore atteints...
Les naufragés transis, serrés les uns contre les autres comme un troupeau mouillé, discutèrent un moment. Grognements, jurons, velléités...
Mais tout ça n'a plus aucune importance. Lentement, l'un après l'autre, par épuisement, par lassitude, ils se levèrent, lourds, pour marcher vers le village.
Seul un homme resta immobile. C'était un jeune gaillard roux aux yeux gris, il portait l'uniforme de l'armée et sa veste de combat, déchirée, laissait voir un étrange dessin tatoué sur sa poitrine : un aigle aux ailes déployées terrassant un dragon.
Il nettoyait la culasse de son fusil, bloquée par le sable et le sel. Il ne leva les yeux que lorsque l'officier, après un haussement d'épaules, se fut éloigné à son tour, pour rejoindre le groupe en route vers le village sous la pluie. Alors, tournant le dos, l'homme au regard gris se mit en marche vers l'arbre mort et la forêt, en longeant le ressac pour que la mer efface la trace de ses pas.
Tous les naufragés qui suivirent l'officier, tous, sauf un, furent tués ou moururent d'épuisement dans les prisons japonaises. Le seul survivant, un marin, réussit une nuit à voler un prahau de pêche et mis quatre mois à gagner l'Australie. Il fut, sans doute, le dernier homme blanc à quitter Bornéo.
Il se souvient que l'homme aux yeux gris eut une discussion avec l'officier. Il croit même se souvenir que l'homme parla de liberté; il aurait dit quelque chose comme :
- Maintenant nous sommes libres, sir, libres de trouver notre propre chemin...
Ou peut-être avait-il simplement dit :
- Maintenant je suis libre.
Ceci non plus n'a pas beaucoup d'importance, parce que la grande île de Bornéo va s'enfoncer dans la nuit japonaise. Pendant quatre ans, elle sera invisible aux yeux de l'Occident, comme rayée de la carte du monde.
prologue


Le soir nous campâmes dans une vaste clairière au-dessus de la rivière, jouissant de ce luxe des Muruts : un ciel libre. Les Commanches firent rôtir un porc sauvage et cuire du riz dans des bambous creux. La nuit était limpide, la pluie en fin d'après-midi avait lavé le ciel. Nous étions heureux. Après lerepas, nous nous étendîmes sur le dos près des braises rougeoyantes et nous contemplâmes les étoiles en mâchonnant des brins d'herbe. Le monde était silencieux. Nous bavardions de choses lointaines, tout ce qu'on peut dire à la lueur des étoiles quand on est heureux... de l'amitié! J'avais sorti mes jumelles pour observer de plus près Orion et Altaïr et je voyais poindre d'autres petites lueurs, invisibles à l'oeil nu. Et il y en avait d'autres encore, que même le plus grand télescope n'eût pas révélées... C'était une de ces nuits bénies où l'on oublie que l'homme est un étranger de passage sur cette terre, que la vie, l'amitié, la mort n'ont pas plus d'importance que la destinée de ces brins d'herbe, où nous mordions; que la nature n'est ni douce, ni cruelle, qu'elle n'est rien...
pp132-133

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