Daniel Keyes

Syndrome étonnant ; je vais peut-être faire lire ce livre à quelques-uns de mes avatars.

merci Simla de ne pas avoir "lâché" et du coup un commentaire intéressant

Des fleurs pour Algernon



Charlie Gordon,33 ans, est handicapé mental mais très avide d'apprendre. Cette curiosité incite son professeur Alice Kinnian à le désigner pour une expérience médicale. Il subit donc une opération destinée  à le rendre intelligent comme c'est le cas de la souris Algernon qui réussit à se diriger dans des labyrinthes toujours plus complexes. Pour suivre  l'évolution de Charlie, le chirurgien qui a réalisé l'opération et un psychiatre suivent l'évolution de son intelligence en lui demandant de réaliser le journal de sa transformation et en l'écoutant lors de séances psy. Nous suivons l'éveil de l'intelligence de ce cobaye humain grâce à des extraits de son journal accompagné de ses réflexions de plus en plus lucides. Peu à peu, Charlie revisite son passé, le rejet de ses parents, en particulier de sa mère qui l'a fait placer en institution, les moqueries de ses collègues dans la boulangerie où il travaille puis comprend de mieux en mieux le fonctionnement des sciences où la souris Algernon comme Charlie ne sont que des faire-valoir des scientifiques sans respect pour leur confort ou leur intimité.

Ce livre est une réflexion assez percutante sur le sort réservé aux handicapés mentaux, à la place qu'ils ont dans leur famille, dans la société, à l'acharnement qu'ils peuvent parfois susciter pour les "normaliser" sans prendre en compte les personnes elles-mêmes. Il décrit avec férocité les mesquineries de la recherche scientifique, l'égo des chercheurs peu soucieux des sujets sur lesquels ils travaillent. Il pose la question de la relation entre intelligence déductive, cumulative et bien être émotionnel, entre recherche d'érudition et relations humaines.
Avoir fait de Charlie le narrateur de son histoire renverse le propos des scientifiques puisqu'il lui donne le statut de sujet. Un sujet qui souffre et essaie comme il peut de s'adapter en découvrant le désir sexuel, un sujet qui revit les épisodes traumatiques de son enfance, qui peu à peu se trouve rejeté une deuxième fois en raison d'une intelligence supérieure à celle des autres.

Le psychiatre explique la nécessité des séances :

"il m'a expliqué combien il était important pour moi d'apprendre à me connaître de façon à comprendre mes problèmes. J'ai dit que je n'avais pas de problèmes.  Il a ri puis il s'est levé de sa chaise et est allé à la fenêtre :
Plus tu deviendras intelligent, plus tu auras de problèmes,  Charlie. Ta croissance mentale va dépasser ta croissance émotionnelle. Et je crois qu'à mesure que tu progresseras, tu découvriras beaucoup de choses dont tu voudras me parler.  
.....
Je ne savais rien de tout cela avant. C'est comme si, en devenant suffisamment intelligent, j'allais comprendre tous les mots que j'ai dans la tête et que je saurais tout sur ces garçons dans le couloir et su mon oncle Herman et sur mes parents. Mais ce qu'il veut dire c'est que ça va me peiner et que je pourrais en avoir le cerveau malade."

"Avant, ils riaient de moi, me méprisaient pour mon ignorance et ma lenteur d'esprit : maintenant, ils me haïssaient pour mon savoir et ma facilité de compréhension. Pourquoi mon Dieu ? Qu'auraient-ils voulu que je fasse ?
Mon intelligence a creusé comme un fossé entre moi et tous ceux que je connaissais et que j'aimais, et j'ai été chassé de la boulangerie. Je suis maintenant plus seul que jamais auparavant. Je me demande ce qui se passerait si l'on remettait Algernon dans la grande cage avec quelques-unes des autres souris.est-ce qu'elles la traiteraient en ennemie ?"

Charlie est emmené à Chicago pour un colloque à l'occasion duquel le docteur Nemur peut présenter son expérience : C'est toute la cruauté et on pourrait dire plutôt la bêtise crasse du scientifique niant sans vergogne l'humanité de son cobaye :

"Enfin, ce fut au tour de Nemur de parler - il récapitula le tout en tant que directeur de l'expérience - et de se mettre en vedette comme l'auteur d'un brillant exploit. C'était pour lui le jour tant attendu.
.....
Puis, à un endroit de son résumé, il dit :
Nous qui avons tant travaillé à cette expérience à l'université de Beekman avons la satisfaction de savoir que nous avons pris une erreur de la nature et que, par nos techniques nouvelles, nous en avons fait un être humain supérieur. Quand Charlie est venu à nous, il était hors de la société, seul dans une grande ville, sans amis et parents  pour s'occuper de lui, sans l'équipement mental nécessaire à une vie normale. Sans passé, sans contacts avec le présent, sans espoir pour l'avenir. On pourrait dire que Charlie Gordon  n'existait pas réellement avant cette expérience.
Je ne sais pas pourquoi cela m'irrita si intensément de les entendre parler de moi comme d'un article tout nouvellement fabriqué dans leur usine privée...."

Une remarque pertinente sur le financement de la recherche et sur son lien souvent trop étroit à une utilité sociale immédiate :

"Raynor hocha la tête et agita son gros cigare vers le petit groupe qui l'entourait :
- le véritable problème est de convaincre le conseil que ce genre de recherche a une valeur pratique.
Strauss secoua la tête à son tour :
Le point sur lequel je voudrais insister, c'est que cet argent est destiné à la recherche. Personne ne peut jamais savoir d'avance si un projet aboutira à un résultat utile. Les résultats sont souvent négatifs. Nous apprenons ce qui n'est pas vrai - et c'est aussi important qu'une découverte positive pour celui qui reprendra le sujet à partir de là. Au moins, il saura qu'il ne faut pas le faire."

Comment vivre parmi d'autres humains, handicapés ou non ? De quelle chaleur humaine avons-nous besoin ? L'intelligence souvent mesurée à l'aide de compétences encyclopédiques ou déductives est-elle la seule clé de la réussite et du bienêtre voire du bonheur ?

"Mais je sais maintenant qu'il y a un détail que vous avez négligé : l'intelligence et l'instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent rien."

La question des rancœurs vis à vis de sa famille qui l'a rejetée est particulièrement bien analysée. Obsession de la mère pour le qu'en-dira-t-on du quartier qui l'aveugle complètement, égoïsme de la sœur, fuite du père devant la dinguerie de la mère puis essai de retour du Charlie lucide qui ne trouvera d'écoute que de la part de sa sœur. La relation à la mère  et plus largement à son milieu d'origine m'a fait penser aux livres successifs d'Edouard Louis sur sa famille.

"Le plus important avait toujours été ce que les autres pensaient : les apparences passaient avant elle et sa propre famille. Elle en faisait une vertu. Bien des fois Matt avait répété que ce que les autres pensaient de vous n'était pas la seule chose qui comptait dans la vie. Mais cela ne servait à rien. Norma devait être bien habillée, la maison devait être bien meublée, Charlie devait être gardé à l'intérieur afin que les autres ne sachent pas qu'il n'était pas tout à fait normal."

 

Un livre de science-fiction qui évoque bien des questions toujours actuelles,  de la relation au handicap aux traumas de l’enfance en   passant par l’insouciance égoïste et égocentrée de certains scientifiques. Tout cela abordé avec une très grande humanité et finesse psychologique.

Un livre magnifique, que j'ai lu il y a longtemps, et qui m'a marquée !!!

Des fleurs pour Algernon

Vos différents enthousiasmes ont fini par me convaincre de faire sortir ce bouquin du dépôt de ma médiathèque. Et c’était une bonne idée !

Charlie, enfant puis adulte attardé - comme on disait alors - est choisi pour subir une opération expérimentale qui va lui rendre l’intelligence. Certes, on a testé cette chirurgie sur Algeron, la souris de laboratoire, mais on joue quand même aux apprentis sorciers. Quels sont les risques, les effets secondaires, la durabilité ?
Après une phase d’euphorie à se découvrir intelligent voire génie, ayant accès à toute connaissance, il va falloir déchanter : pas facile d’être plus malin que ses maitres, génie dans une société d’hommes et femmes « normaux », de découvrir un monde qui vous était étranger : le désir, l’amour, la méchanceté, la médiocrité… et d’y conserver son intégrité.

Bref à travers le portrait de Charlie, cet attachant homme manipulé, courant après un bonheur qui n’est finalement pas là où on le croyait, c’est tout un portrait sans pitié d’une société qui ne met pas forcément les priorités où il faut.

Contente Topocl que ce livre ait eu déjà plusieurs lecteurs qui l'ont apprécié.
Auprès de moi toujours d'Ishiguro, dans un autre style, m'a rappelé une des thématiques du livre de Keyes, ces essais scientifiques prenant les humains comme cobayes.