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Nastassja Martin

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Message par Tristram Mer 24 Mar - 23:35

Les âmes sauvages : Face à l'Occident, la résistance d'un peuple d'Alaska

ecologie - Nastassja Martin - Page 2 Les_ze10

Le premier contact de l’ethnologue est plutôt social, et sombre :
« De fait, les habitants du subarctique paraissent à première vue se dégrader de l’intérieur – physiquement et psychiquement – au même rythme que le monde s’altère autour d’eux. »

« Les conflits qui opposent les Occidentaux et les Gwich’in sont tous, sans exception, liés à la question environnementale qui se déploie sous des formes variées. »

« Les deux versions de la "catastrophe qui vient" auxquelles j’ai été confrontée sont également dramatiques : la première et la plus courante, à laquelle les vieilles personnes souscrivent plus facilement, consiste à dire que les périodes sombres feront retour et que le monde moderne, ne pouvant continuer à soutenir sa croissance effrénée et son incroyable démesure, va irrémédiablement s’écraser sur lui-même, artisan qu’il est de sa propre fin. […]
La seconde version, plus courante chez certains jeunes, consiste à dire que le milieu subarctique alaskien et les Gwich’in disparaîtront sous peu puisque le réchauffement climatique est irréversible et va bientôt modifier durablement toutes les routes migratoires des animaux du Grand Nord, empêchant les Gwich’in d’entrer en relation avec eux et donc de les chasser pour continuer à vivre à leur manière dans les villages de la taïga. Dans cette version, les Gwich’in ne sont plus considérés comme les seuls survivants de la forêt, puisque c’est la forêt elle-même et ses habitants qui sont menacés d’extinction. Sans eux, pas de futur possible, même pour les chasseurs gwich’in les plus aguerris. Entre les prophètes d’un "retour à la forêt" définitif et les adeptes de la chronique d’une mort annoncée, on voit à quel point certains entretiennent de réjouissantes perspectives pour l’avenir. »

« Telle est bien l’une des plus grandes ironies de ce territoire : il est unanimement reconnu comme l’un des derniers environnements véritablement sauvages sur la planète, mais il doit néanmoins être développé pour soutenir la culture matérialiste moderne, à laquelle aspirent toujours plus d’habitants dans le monde comme à un droit légitime et nécessaire. »
Ayant constaté la déstabilisation (jugée « irréversible ») du territoire par la pollution globale, Martin en retrace l’historique.
L’Alaska est une relativement récente colonie américaine gérée pour exploiter ses matières premières/ ressources naturelles.
« Chaque "élément naturel" se vit traité en membre indépendant, isolable et extractible. La forêt, loin d’être considérée comme un entrelacs de relations complexes entre des existants humains et non humains qui, par leurs interactions quotidiennes, créent un monde aux dynamiques qui lui sont propres, devint une simple ressource. »
Les indigènes sont déchirés entre « exploiter et protéger : le pendule alaskien », l’économie et l’écologie, la productivité pétrolifère et le sacré de la wilderness ; il y a aussi une opposition entre Indiens des villes et ceux qui vivent sur place.
Les missionnaires ont apporté à la fois les épidémies et le traitement pour les guérir, supplantant ainsi les chamanes, et atteint à l’identité indigène en imposant le changement de nom des personnes.
« D’une foule de qualificatifs, d’adjectifs mouvants sans cesse en transformation, d’associations inventives empruntant tant au registre des animaux qu’à celui des hommes ou du milieu en général, on passe à l’attribution définitive de prénoms bibliques qui ne peuvent pas être en mesure d’évoquer un mode relationnel incarné dans un environnement spécifique, puisqu’ils ont été inventés ailleurs et qu’ils ont une manière totalement différente d’exprimer, de résumer les personnes qui les portent. Il semble que le projet des missionnaires tendait bien à humaniser les Gwich’in – avec l’aide des saints patrons chrétiens – en les détachant durablement de tous les êtres non humains qui contribuaient à la formation de leur identité ou auxquels ils s’identifiaient parfois complètement lorsqu’ils empruntaient le nom d’une espèce entière. »

« Le baptême en Alaska constitua bien, comme partout ailleurs, l’élément le plus important de la conversion chrétienne : il fallait détourner les hommes du monde vécu pour leur donner l’occasion de se tourner vers un arrière-monde invisible ayant davantage de valeur. »
Après les missionnaires et les chercheurs d’or, vinrent les écologistes et les gestionnaires de l’environnement, autres (ou mêmes) « pasteurs » d’une nature relativement vierge, où humains et non-humains établissent des relations subtiles.
« Autrement dit, l’Alaska représentait, à l’époque de sa conquête mais encore aujourd’hui, un support parfait pour les rêves occidentaux les plus insensés [… »

« La dynamique de gestion des animaux sauvages apparaît ainsi sous un jour nouveau, et devient étrangement assimilable à une relation de berger à son bétail. »
Parvenus à moitié de son livre, Martin présente le pays gwich’in, territoire le plus à l’écart dans la taïga d’Alaska, celui de ces chasseurs-cueilleurs animistes, nomades sédentarisés dans des villages qui traquent un gibier lui-même migrateur, comme la grande harde de caribous. La chasse est assimilée à une guerre, une affaire de désir de la proie (littéralement de « rêve »), de fascination (au sens donné par Quignard), de séduction chez le chasseur et de don chez l’animal chassé.
« Tous s’évitent, se cherchent, se poursuivent, se fuient. Tous doivent se positionner judicieusement pour échapper à l’autre ou l’attraper, élaborer des tactiques, des manœuvres, des ruses, et toujours avancer masqués. Cette invisibilité des animaux est en elle-même le signe de ce qui existe, là sous le paysage. La dissimulation des animaux est donc la première clé pour recontacter un univers où ces derniers ne sont justement pas construits à l’image de ce que les hommes attendent d’eux, puisqu’ils les fuient, puisqu’ils sont maîtres de leur propre trajectoire, puisque les hommes n’ont de cesse de tenter de les intercepter. L’invisibilité, la dissimulation, le fait que tous se dérobent au regard et, in fine, leur absence sont les prémisses absolument nécessaires à toute relation incarnée dans le subarctique alaskien, à la possibilité de la chasse, à sa valeur. C’est cette incertitude au sujet du positionnement de l’autre dans l’espace qui reproduit le désir, chaque fois, de partir en chasse, puisque, justement, les animaux "ne se donnent pas" immédiatement aux hommes, mais se dérobent. C’est bien parce qu’ils se dérobent qu’on les traque ; parce qu’ils ne sont pas là qu’on les cherche. »
M’a frappé le rapprochement de deux incidents, la mort d’un jeune chasseur gwich’in parti seul sur la rivière, et le secours par hélicoptère d’un bateau de chasseurs américains en panne d’essence, équipés d’un téléphone satellite ; ils ont d’ailleurs été verbalisés pour avoir dépassé leur quota de caribous, et on apprend qu’ils n’ont gardé que les trophées, abandonnant la viande au lieu de la partager. Au-delà de la répulsion pour le meurtre gratuit et le gaspillage qui révoltent les Gwich’in, ce fait-divers entre en résonnance avec mon attitude personnelle à l’égard de la nature : j’ai toujours refusé d’emporter un téléphone, de dire où j’allais et quand je comptais revenir. Cette attitude est profondément ancrée en moi : il est hors de question d’appeler à l’aide lorsqu’on s’est engagé loin de la société (et de mettre en danger des secours). J’ai toujours vivement ressenti cette vérité de la nature sauvage lorsqu’on y est immergé : on ne peut pas dire « stop, j’arrête l’expérience ».
« S’extraire du lieu lorsqu’il devient par trop inhospitalier – sauvage ? – et qu’on perd le contrôle revient à nier tous les liens fragiles tissés entre les existants et à glisser sur un paysage dès lors neutralisé. Je fais ici référence à un phénomène occidental particulier tenant de l’exception culturelle et pourtant largement répandu dans toutes les sociétés sécuritaires : être en mesure de dire "je sors". C’est-à-dire, pouvoir quitter rapidement le lieu dans lequel on s’est pourtant engouffré volontairement, ceci moyennant quelques dollars parfois mais la plupart du temps gratuitement si le geste se "justifie". Le joker dont disposent les Occidentaux lorsqu’ils parcourent le subarctique est non seulement inaccessible aux indigènes mais, surtout, il est considéré comme une offense au milieu en général. Il est pour les Gwich’in immérité, facile et opportuniste. Il relativise tous les lieux, les dépouillant de leur puissance et perpétuant l’idée que l’homme possède un pouvoir qui supplante tout le reste. »
Pour les Gwich’in, la chasse est faite d’occasions à saisir, sans aucune notion de gestion des ressources.
« Ainsi, pour résumer, l’explication que nous prodiguent les ethnologues pour expliquer la non-gestion dont font preuve les indigènes est la suivante : l’imprévoyance et le refus de stocker des vivres sont les corollaires directs de cette notion d’abondance et de retour circulaire des animaux, qui préserve les hommes de l’angoisse du lendemain. »
Les contes gwich’in témoignent d’un « humour tranchant », d’ironie narquoise, de « dérision sérieuse ».
« En effet, seule une personne peut être ridicule. »

« Ainsi, il existe bien un lien inattendu entre la table de jeu et la forêt : les enjeux sont inlassablement dramatiques et toujours pris à la légère. Malgré les différences de contexte et d’échelle, à la chasse comme au jeu tous avancent masqués, se dupent les uns les autres, se piègent et risquent à tout instant de "tout" perdre. »
Je ne m’étends pas sur la partie proprement anthropologique du travail de Martin (encore moins sur sa valeur, que je ne peux mesurer), mais signale qu’il est fortement influencé par Descola, qui a dirigé sa thèse (d'où est tiré cet essai) ; l’important pour moi est qu’il permette une différente approche de l’altérité.
Je n’ai pas trouvé l’information, mais j’aurais aimé savoir combien de temps Martin a séjourné sur le terrain.

\Mots-clés : #ecologie #essai #nature

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Message par Bédoulène Jeu 25 Mar - 18:02

merci Tristram, si je lis l'auteur je commencerai donc par ce livre

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Message par Tristram Lun 14 Juin - 0:45

Croire aux fauves

ecologie - Nastassja Martin - Page 2 61cz1e10

Livre assez ésotérique, où Nastassja Martin évoque la pensée animiste autour de son expérience lors d’une immersion en forêt arctique dans le cadre de sa profession d’anthropologue : cette rencontre avec un non-humain, préfigurée par les rêves, et considérée comme une renaissance au terme d’une longue réflexion "initiatique". A cette occasion l’auteure fait montre de caractère (d’ailleurs peut-être pas très agréable en toute société), mais on se demande si elle ne s'écarte pas un peu de la rigueur scientifique, si elle n'est pas "bouffée" par son milieu d'études, risque contre lequel mettaient en garde les premiers ethnologues.
« J’écris depuis des années autour des confins, de la marge, de la liminarité, de la zone frontière, de l’entre-deux-mondes ; à propos de cet endroit très spécial où il est possible de rencontrer une puissance autre, où l’on prend le risque de s’altérer, d’où il est difficile de revenir. Je me suis toujours dit qu’il ne fallait pas se faire prendre au piège de la fascination. »
Elle cite Lowry, Quignard, Artaud, Char, et bien sûr Descola, son professeur. Elle donne des extraits, y compris poétiques, de ses carnets de notes, et parle de « tout-vivant », de « tragos » (qui mériteraient une définition).
« J’admets qu’il y a bien un sens au monde dans lequel nous vivons. Un rythme. Une orientation. D’est en ouest. De l’hiver au printemps. De l’aube à la nuit. De la source à la mer. De l’utérus à la lumière. Mais parfois je pense à Copernic. Au crime de lèse-majesté qu’il a commis à l’époque en affirmant que nous ne tournons pas dans le sens dans lequel nous croyons tourner ; que le sens de rotation du monde n’est pas le sens sensible ; qu’il est inverse à celui que nous percevons. L’intuition de Copernic a-t-elle quelque chose à voir avec la question du retour, avec la remontée illogique des êtres à leur source ? La rivière descend vers la mer mais les saumons la remontent pour mourir. La vie pousse à l’extérieur du ventre mais les ours redescendent sous terre pour rêver. Les oies sauvages vivent au sud mais reviennent coloniser les ciels arctiques de leur naissance. Les humains sont sortis des grottes et des bois pour construire des cités, mais certains reviennent sur leurs pas et habitent à nouveau la forêt.
Je dis qu’il y a quelque chose d’invisible, qui pousse nos vies vers l’inattendu. »

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Message par topocl Ven 16 Sep - 9:06

Croire aux fauves

L’autrice, jeune anthropologue qui ne craint pas l’aventure, s’est battue avec un ours lors d’une étude de terrain dans le Kamtchatka. et décrit son parcours de guérison physique et psychique.

Ca a fait un peu flop. Je suis assez hermétique aux théories animistes de l’autrice et je la trouve bien fermée aux humains quand ils ne font pas partie des peuples indigènes. Mais peut-être a t’elle raison.

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