Valéry Adelphe

éditions Le Ver à Soie a écrit:Valéry Adelphe a passé la plus grande partie de sa vie professionnelle outre-mer, au Moyen-Orient, en Afrique et en Guyane, où il a vécu près de vingt ans. Passionné de littérature, il tente de rendre son vécu multiculturel dans plusieurs ouvrages. D'une Guyane, qui nous offre une plongée dans la forêt amazonienne, est son premier récit publié.

[nb: peut-être certain modérateur aura à coeur d'amender, de compléter, d'enrichir, d'en dire davantage    ?]

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Roman, paru en 2021, écrit entre novembre 1995 et novembre 2020, 200 pages environ.

J'ai beaucoup aimé.

Ouvrage dont la qualité littéraire principale est, à mon sens, d'avoir su mettre au diapason de la contrée dépeinte une langue ad hoc, donc à la fois foisonnante, abondante, luxuriante, en recherche du mot ou de l'expression rare, ce qui donne une profusion complète où l'exotisme, finalement, est bel et bien second: rareté n'est pas préciosité ni emphase, et, au savant jeu de la restitution de la perception, comment rendre un monde tellement démultiplié ?   
On trouve çà et là d'intéressantes assonances et allitérations, ornements délicats à fort à-propos, suggestives croches en l'air émanant du grand orchestre de la forêt.  

L'opus est truffé de citations, péché mignon de l'auteur (j'en ai dénombré 60), placées en exergue du livre ou en-tête des chapitres.

Caractère principal, Luc, gars dans la force de l'âge, rompu à l'exil volontaire en ces lieux choisis, passant pour hostiles. Ses "raisons", ou motivations profondes, aparaissent au fil des pages. Luc est guide, et un beau jour se présente une charmante cliente, Véronique.
Là commencent les temps heureux d'une relation sans doute pas loin de se nouer, jusqu'au drame.

Drame donc Luc ne se remettra pas, le final faisant penser à une dérive (à la façon des dernières images d'Aguirre ou la colère de Dieu, de Werner Herzog) fortement mise en scène.

Il se pourra que l'on adresse à Valéry Adelphe la remarque dont Joseph Conrad fut fort marri, au début du siècle précédent: son caractère féminin paraît faiblard à l'aune du caractère masculin.

Véronique est, en somme, iconique, comme cette femme sur le briquet que Luc conserve, tel un talisman qui n'avoue pas son nom.
Elle incarne, à mon sens, une femme idéale, celle dont Graeme Allwright suggère dans son adaptation de Hard travelin' de Woodie Guthrie: 


Restent les lieux.
Les éléments (eau, terre), le grand Vert végétal de La Selve.
L'immersion est immédiate et le lecteur (enfin, moi du moins !) glisse dans l'atmosphère si particulière sans effort.

Allez, embarquement:

Chapitre 27 a écrit:Traverse un huron, horizontalement parti noir et gris.
Sifflement affolé d'un macaque alerté.
Un petit grimpar roux, tel un mini-parakoi qui aurait le col grivelé, traque les insectes sous les écorces des troncs desséchés.
Pétillement subit de l'anolis s'enfuyant emmi les feuilles mortes.
Par le travers des arbres, un rayon de soleil suit le fil d'araignée qui le guide.
Émanations d'aromates, de tilleul ou autres tisanes, de polen, de menthol, de miel, de mélisse, d'humus, d'agrumes, d'anis, de tabac, de fraîchin, de fauve, de sauvagin, de cuir, de punaise, de buanderie, de pourriture, de champignon, de vineux, de vanille, de cire, de résines, de coumarine, de guimauve, de cadavre.

Les sons, les odeurs, surtout les innombrables sensations visuelles de cet univers complexe l'obligent d'assimiler sans répit une multitude de perceptions où il se fraie un chemin, surveille où poser le pied, guette un éventuel gibier. Il décrypte peu à peu le code des couleurs, leurs messages apotropaïques et aposématiques. Comme l'on ne voit que ce qu'on s'attend à voir, il cherche la mesure entre le monotone mur vert de l'inattention et la découverte de pelages à chaque feuille rousse, fait le tri des informations captées en évitant de scotomiser une significative marque rougeâtre.
Il a soudain l'impression très nette que l'endroit est hanté, qu'une vie plus animée, individuée, s'est entée ici à l'existence végétale. Il s'est figé, attentif, se demandant quelle perception subliminale l'aurait mis en garde. Seul mouvement du sous-bois, au revers d'un limbe, le clair miroitement onduleux de l'eau dessous, autrement insoupçonnée. Dans une échappée, des notes argentines ou dorées distinguent d'autres limbes, selon qu'ils reflètent le ciel ou sont touchés par le soleil.
Un agouti, tout hérissé rourange, de colère ou de peur, le surprend, détalant brusquement, poussant un grondant éternuement d'intimidation ou d'alerte, tonitruant clairon de coq outré.
Tout animal ici est un ressort fortement comprimé que la moindre alarme déclenche dans la prompte détente d'un bond démesuré.

Ici une biche rouge abrouta quelques tendres bourgeons de la cépée d'un recrû, et laissa l'empreinte de son fin sabot fendu entre les feuilles pourries. Là, luit dans le demi-jour glaucescent la rare complémentaire d'une lumineuse inflorescence tressée, canne-Congo renflée en apparition de torse roucouyenne. Les deux tons semblent s'opposer, s'affronter dans une mise en valeur réciproque.

Félicitations donc, cher Tristram !

\Mots-clés : #aventure #voyage

Merci, ô mon premier lecteur (critique) !
Ce qu'il y a de bien avec la publication, c'est de découvrir ce que le lecteur voit (ou pas) ce que l'on a mis (ou pas) dans son livre !

De quoi taquiner la curiosité.

Pourquoi on fait pas un fil , là? (placé ici, j'ai failli passer à côté )

Oui, topocl, on va s'en occuper

Aventin, c'est une vraie photo de Tristram ???

eh bien l'extrait me laisse coite, j'ai l'impression d'être là-bas.

(quelques mots à apprendre aussi)

et merci à Aventin, un critique que tu mérites Tristram.

Topocl a écrit:Aventin, c'est une vraie photo de Tristram ???

Faut pas rêver non plus, jeune fille.

Bédoulène a écrit:eh bien l'extrait me laisse coite, j'ai l'impression d'être là-bas.

(quelques mots à apprendre aussi)

et merci à Aventin, un critique que tu mérites Tristram.

Merci Bédoulène (la critique de Quasi est encore à venir).

corrigé

topocl a écrit:Aventin, c'est une vraie photo de Tristram ???

Wé, à ce qu'il paraît - bien qu'à mon humble avis il manque un peu le chapeau dont la couleur d'origine est impossible à deviner, la pagaie, la machette, le pantalon harmonieusement coordonné à la teinte du chapeau, et bien sûr Zoé.
Alors je ne sais pas trop ce qu'il va nous ramener au carbet ce soir, mais l'essentiel est que nous ayons à boire.

tu me fais bien imaginer Tristram Aventin !

je l'ai ajouté sur ma liste, bien sur ! lecture sans précision de temps !

D’une Guyane
sous-titre : Le Singe rouge et la Biche blanc



« La nuit montait. La terre et ses ombres se levèrent ; le ciel disparaît, le jour est parti. »

Comme une spirale :
Le texte nous prend avec lui dans la jungle guyanaise, au fil de l’eau qui la traverse ou au coeur du buisson de ses berges, en bivouac.
En un mimétique double récit, il nous laisse observer peu à peu les hors-type de ses personnages, avec, comme en processus de ressac, un identique ;  qui, pour le lecteur patient amène à son heure les réponses qu’il attend, à coup sûr et à chaque fois.

Une spirale, oui, qui s’élargie en vues, sans jamais trahir la nature de son centre. Parfaitement semblable dans ses parties, de loin, jamais amoindrie par son développement continu. La fin seule nous introduit à une forme de désespérance, intimement liée à l’arrivée des pluies, qui transmuent le regard sur la forêt en la rendant non plus simplement complexe, telle un adversaire à déjouer et goûter dans sa science, mais soudain destructrice, gommant tous repères, acharnée à donner le champ libre aux vermines, inflammations, accidents et cafards mentaux.
Le corps du texte, pourtant, aura su auparavant nous faire toucher du doigt le bonheur à exercer ses sens en son sein. Des séquences de chasse, uniques à chaque fois, font prendre la mesure d’une existence qui tendrait vers l’autarcie, l’auteur accompagne nos réticences de bleus, face à la mort donnée pour survivre, par la pesée des instincts qui meuvent le héros.

« Pas de vie sans morts- il faut bien que mange la vie. »

Oui, de belles pages sur l’instinct, sur la sève des corps agissants, complètent des séquences très chorales où l’odorat, le toucher et la vue se mêlent en pleine efficience ou défaut.

« Car l’on ne peut apercevoir que ce que l’on a appris à reconnaître, distinguer que ce que l’on attend, découvrir que ce que l’on cherche, voir que ce que l’on sait voir, examiner que ce que l’esprit a pu conceptualiser par avance - littéralement une prévision, structuration des stimuli perçus selon des schèmes fonction des expériences antérieures. »

« J’ assiste à la réapparition de l’univers, au déroulement graduel mais prompt de ce phénomène quotidien : quel est le seuil de basculement pour la cellule photoélectrique qui confirmerait l’apparition de la première tâche claire se révélant dans l’obscurité, puis de sa couleur - le vert évidemment? »

Nous lecteurs, shootés d’ auxine, suivons les boucles de rétroaction, initiés par l’écrivain à tout ce qui se nomme.
Ktizo de la vision, ktizo du langage qui trouve sa place propre au prix d’une langue complexe, huysmansienne, et pourtant détachée de tout esprit spécieux : Simplement précise.
elle jaillit parfois prosaïque, mais n’écarte jamais l’exigence d’appeler par son nom.

« Les flaches insolées des arbres à encens saignent leur suc fragrant ».

Elle prend acte, de ce qu’elle sait, et le livre.
Parfois lyrique, parfois triviale, parfois métaphysique, parfois, aussi, romantique. Mais. Précise.

« Un serpent-chasseur plus long que lui n’est grand (…) s’enfonce rapidement dans le sol, comme spaghetti gobé par un gosse. »

Ainsi je parle plus haut « du buisson des berges » de la forêt, à dessein : pas question du tout de buisson , et c’est aussi pour cela qu’il faudra lire ce texte. L’architectonique est bien plus creusée : je joue à "parler-plan-plan", en clichés tiroir, mais on n’en trouvera pas, si l’on lit bien ce qui est décrit de la faune, de la flore et de leur symphonie.
Tantôt la science, tantôt le picturalisme nous prendront par la main.
Tantôt on apprendra, tantôt on reconnaitra.
La beauté.
De cet hommage à un royaume absolument inimaginable, sauf à y être initié, certainement, sinon s’y rendre.

Du jaguar soudain vu :

« L’extraordinaire rencontre avec son concurrent direct en matière de prédation lui laisse, telle une tenace persistance rétinienne, l’éblouissante image du pelage doré saillant sur la fuyante pénombre de la forêt bleuissante. Il se demande longuement, sans comprendre, pourquoi tant de beauté. »

C’est bien d’un duo qu’il est question dans ce récit, Singe rouge et Biche blanc. Mais d’un duo éclos d’une rêverie. Il y a trois personnages. Deux sont comme jumeaux, l’autre est la Femme. Il faut comme l’auteur l’explique dans son entretien (Ici) comprendre que deux rythmes et récits cohabitent. Et ne pas chercher le « climax » du récit, puisqu’il est coquillé en corne d’abondance. C’est un Ktizo pur qui prend sa liberté. À travers un erzat de lui même, le narrateur déplie le « ce que serait aimer », d’abord en touche convenue, binarisée à la féminité incarnée par la voyageuse d’occasion,  Véronique.

« Il veille, sentinelle dans la nuit. Peut-être le visite malgré tout le rêve éveillé d’une serve-biche hantant les bois. »

Peu à peu cette trame se nourrie d’une véracité d’émotion. De très belles images sur l’émotion amoureuse.

« Tu es un souci de peintre, un impossible hybride de rose et d’orchidée ».

Un troisième mouvement , pour finir le livre, oscille entre acide désenchantement, regret et force d’être. C’est pour moi la force d’être qui est surtout chantée dans ce texte, un être-au-monde au maximum de son potentiel, remis en jeu chaque matin et chaque nuit dans sa libido primordiale, son goût de vivre. Si l’issue du livre amorce des heures sombres, mon regard tend à rester bien sûr que cette errance de trop sous les orages hostiles amène non à sa perte, mais à un renouveau entier, cet homme que l’auteur nous apprend à aimer comme nous propre. L'adversité est transmise, témoigne avec force d'autant qu'elle ne sera qu'une part infime du recueil.

« Dans une perception holiste de l’universe forêt omniverselle, je la ressens comme un continuum. »

Il faudra rêver, fantasmer, et rire de vouloir parfois transposer Adelphe en son personnage, s’offusquer, être reconquis la page d’après. Il faudra lâcher prise au premier tiers, lorsque la gémellité des situations semble décourager, mais ne jamais décider de ne point déchiffrer, vraiment, sous peine de rater le voyage au coeur du vrai personnage : le tout, de l’être, là-bas. Comme cela, le livre achevé, on prend conscience que le trajet a porté avec force, par le temps des verbes, par le ton des pertes, par la scansion des lacets, des clairières, des regards vers la voute, ou à travers les branches. À l’aube, au mitan, ou au coeur de la nuit. Surpris, finalement, qu'il faille devoir finir.

ton commentaire si pointu Nadine fait que j'ai 2 sentiments, l'envie de le lire mais aussi la crainte de le lire...........................je le lirai certainement (dans quelque temps quand ma commande sera livrée ! )

C'est très érudit sur la faune et la flore, si on découvre comme moi c'est un handicap, mais si on le vit bien, d'être un peu dépassé, sans pression, peu à peu on trouve sa route et on entre en empathie. Et je ne me suis pas privée d'aller voir dans un moteur de recherche. Pour mieux comprendre. J'ai pris mon temps, plus de 15 jours.Un mois ? Par bribes. Le récit est particulier, il n'est pas linéaire, alors ça s'y prête heureusement très bien. Je te conseille ce type de lecture. ça ne sabre pas la réception. C'est surtout le nom des flores et faunes qui arrête, mais quand on y associe la recherche , piqué de curiosité, même si ce n'est pas à chaque fois, c'est un sacré voyage de suivre Valéry Adelphe. (On s'en doutait
L'essentiel de la trame nous plonge dans les bivouacs quotidiens, on apprend beaucoup sur la manière d'évoluer dans la forêt, sur l'eau. Le personnage est simple et on s'y attache. Mais mon commentaire a fait exprès de mettre quelques complexités, car il y en a c'est vrai. L'auteur est un amoureux des mots et de la syntaxe subtile. Mais il ya beaucoup d'autres choses dans son livre. beaucoup de poésie, d'humour aussi.

merci Nadine ! (du coup j'ai hâte de le recevoir)

Merci Nadine, super commentaire

Il est grand temps pour moi de remercier Nadine pour l'exposé de son ressenti à la lecture de D'une Guyane !
C'est un extrême plaisir de découvrir, même dans un commentaire peut-être trop flatteur, ce qu'un·e lecteur/lectrice découvre lui/elle-même de ce qu'on voulait faire passer, mais aussi ce qu'on ne savait pas vraiment y avoir mis.
Très perspicace en ce qui concerne par exemple l'expérience d'être au monde, et l'influence huysmansienne : j'avais cet auteur à l'esprit alors que j'évoquais les glauques marais bouillonnant de vie, vision un peu trop romantique... J'avais prévu deux extraits de son œuvre, omis avec nombre d'autres, parce que la quantité de citations était excessive :

« Il erre dans les forêts. […] Il sanglote, en marchant, écarte, éperdu, les fantômes qui l’accostent, regarde, et soudain il voit l’obscénité des très vieux arbres. Il semble que la nature se pervertisse devant lui et que ce soit sa présence même qui la déprave ; pour la première fois il comprend l’immuable salacité des bois, découvre des priapées dans les futaies. »
Joris Karl Huysmans, « Là-bas »

« L’ogive y est nettement feinte par des ramures qui se rejoignent, de même que les colonnes qui la supportent. »
Joris Karl Huysmans, « La Cathédrale », III

Je remercie sincèrement Aventin et Nadine pour leurs retours : je savais déjà qu'écrire c'est apprendre sur soi et le monde, et j'apprends maintenant que cela se prolonge de la lecture de ses lecteurs.
(Mais est-ce vraiment si compliqué à lire ?!)

dans quelques jours ma prochaine lecture

Ahh Tristam, tu t'inquietes !

Ce n'est pas difficile, mais ce n'est pas facile. C'est vrai que veux-tu. Comme Bourdieu, Proust ou Gracq, c'est de la langue foisonnante, dans ses phrasés ou ses mots. Avec option sciences nat-
Et si quelqu'un le lisant n'a aucun attrait pour l'environnement végétal et animal sauvages, bon c'est clair que ce sera une épreuve. C'est pour tout ça que je dis que j'ai aimé , ceci dit. j'aime ça les phrases travaillées, et les mots scientifiques.
Au delà de ces sésames là il y a un récit, qui lui aussi donne sa part de plaisir. On dit que nos specificités sont nos atouts.

Tu cites Gracq, sur son fil : "« Tout livre digne de ce nom, s’il fonctionne réellement, fonctionne en enceinte fermée, et sa vertu éminente est de récupérer et de se réincorporer – modifiées – toutes les énergies qu’il libère, de recevoir en retour, réfléchies, toutes les ondes qu’il émet. C’est là sa différence avec la vie, incomparablement plus riche et plus variée, mais où la règle est le rayonnement et la dispersion stérile dans l’illimité. Espace clos du livre : restreint, c’est la clé de sa faiblesse. Mais aussi étanche : c’est le secret de son efficacité. Le préfixe auto est le mot-clé, toujours, dès qu’on cherche à serrer de plus près la "magie" romanesque : auto-régulation, auto-fécondation, auto-réanimation. Il faut qu’à tout instant l’énergie émise par chaque particule soit réverbérée sur toute la masse. » Il y a de cela. Sois heureux, Valery.