Michel Houellebecq

On rigole mais si ça se trouve c'est vrai

Tes extraits, Tristam, sont intéressants à lire en tous cas, merci. ça me fais me rendre compte de la qualité d'écriture, puisque je n'arrive pas à avoir envie de le lire. C'est toujours la vieille histoire du rapport au monde, apprécier ou pas un point de vue. Pas forcée de m'énerver sur son cas, et sur un être de papier.

Si tu souhaites t'épanouir dans le style d'un auteur, Nadine, je ne suis pas sûre que Houelebecq soit le bon choix.

Je ne le lirai pas, j'aime pas trop l'angle d'approche..

En même temps, ça peut être intéressant d'avoir l'avis d'un lecteur qui part plutôt contre. ;-)

Par rapport à ce que je lis, au moins sur le forum, Houellebecq aurait plutôt davantage de détracteurs que de thuriféraires !

Et bien.....peux pas dire que ça donne envie

Les constatations désabusées des dérives de notre société qui a mis ses valeurs sous le tapis...notamment dans le triste sort réservé aux personnes âgées.....dont la presse, comme il dit si justement, qui n'a plus de lecteurs, fait écho tous les jours malgré tout grâce à leurs sites en ligne....

D'ailleurs à ce sujet, hormis les personnes dépendantes nécessitant un personnel omni présent....cette mise à l'écart n'est-elle pas surtout due au manque de place dans ces logements urbains étriqués qui en plus coûtent une blinde ? Je me pose souvent la question.....

Pas certain que les jeunes fuient les vieux.....pourquoi ? Pour ne pas voir leur futur naufrage comme disait De Gaulle ?

Une relecture après plusieurs années et en me demandant ce qui peut nous faire réagir  pour ou contre Houellebecq.

Une description de ce que sera la France en 2020 alors que le livre est paru en 2010. Le village de la Creuse transformé en faux village de terroir où Russes et Chinois se retrouvent pour profiter d'une campagne interconnectée et débarrassée de ses ruraux

"inhospitaliers, agressifs et stupides"

. Une France qui a su résister à la crise financière de 2008 qui n'avait

"guère à vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes"

. Les restes de l'industrialisation sont gagnés par la végétation

"De fait, toute la région, avec ses hauts-fourneaux, ses terrils, ses voies de chemin de fer désaffectées où terminaient de rouiller des wagons de marchandises, ses rangées de pavillons identiques et proprets, qu'agrémentaient parfois des jardins ouvriers, ressemblait à un conservatoire du premier âge industriel en Europe. Jed avait été impressionné à l'époque par la densité menaçante des forêts qui, après un sièce d'inactivité à peine, entouraient les usines. Seules celles qui pouvaient être adaptées à leur nouvelle vocation culturelle avaient été réhabilitées, les autres se désagrégeaient peu à peu."

Cette disparition progressive est mise en parallèle avec les dernières oeuvres de Jed,

"L’œuvre qui occupa les dernières années de la vie de Jed Martin peut ainsi être vue - c'est l'interprétation la plus immédiate- comme une méditation nostalgique sur la fin de l'âge industriel en Europe, et plus généralement sur le caractère périssable et transitoire de toute industrie humaine. Cette interprétation est cependant insuffisante à rendre compte du malaise qui nous saisit à voir ces pathétiques petites figurines de type Playmobil, perdues au milieu d'une cité futuriste abstraite et immense, cité qui elle-même s'effrite et se dissocie, puis semble peu à peu s'éparpiller dans l'immensité végétale qui s'étend à l'infini. Ce sentiment de désolation, aussi, qui s'empare de nous à mesure que les représentations des êtres humains qui avaient accompagné Jed Martin au cours de sa vie terrestre se délitent sous l'effet des intempéries puis se décomposent et partent en lambeaux, semblant dans les dernières vidéos se faire le symbole de l'anéantissement généralisé de l'espèce humaine. Elles s'enfoncent, semblent un instant se débattre avant d'être étouffées par les couches superposées de plantes. Puis tout se calme, il n'y a plus que des herbes agitées par le vent. Le triomphe de la végétation au total

."

Je me demande si cette fin du livre n'est pas la clé de la "noirceur" que j'ai ressenti en le relisant.  Noirceur des relations humaines avec ces deux personnages misanthropes que sont le Houellebecq du roman et que devient Jed mais aussi son père qui se fait euthanasier et dont l'épouse  s'était suicidée. On peut dire que ce n'est pas gai. Les femmes sont souvent "résumées" à leur qualité érotique et à leur physique. Noirceur pour conjurer cette tristesse devant la disparition du monde qu'on a connu, devant la prévision de la vieillesse et de la mort....Brautigan est plus léger, il rit pour ne pas pleurer mais reste tendre. Nicolas Mathieu défend des convictions politiques et a une empathie pour ses contemporains.
La fin du livre et cette revanche de la végétation fait penser à Tchernobyl et aux photos qu'on peut en voir, à cette démarche de l'Urbex qui explore les lieux urbains abandonnés.
En fait, j'ai commencé par  la fin car pendant toute ma lecture, je me suis demandée pourquoi ce livre, agréable à lire, bonne description des lieux, des tendances actuelles, réflexion sur l'art et ses utopies avec l'exemple de Wiliam Morris, sur le marché de l'art, humour décalé sur l'auteur qui force le trait sur son auto portrait, intrigue policière ; pourquoi ce livre laisse un goût amer, vous met mal à l'aise.
Je dirais que Houellebecq finit par vous entrainer dans sa déprime tout en vous ayant distrait. Il vous laisse désabusé et vous rend presque coupable d'avoir pris plaisir à lire un truc aussi glauque. Nicolas Mathieu dans ce que j'en ai compris par le post d'Arensor et aussi au travers de l'interview que j'ai vu sur Arte donne envie d'agir, Houellebecq vous coupe les bras avec sa détestation des autres.

Pour la défense du livre, disons que les descriptions du monde tel qu'il est, avec la méchanceté qui le caractérise est bien souvent proche de la vérité : évocations des vernissages, du monde de la télé à l'occasion de la réception dans l'hôtel particulier de Jean-Pierre Pernaut, de la froideur de la clinique de Zurich spécialisée dans l'euthanasie
Ce voyage à Zurich de Jed qui veut voir où son père est mort est sans doute un des seuls moments où celui-ci réagit en cassant la figure d'une des responsables de la clinique.
C'est aussi une évocation d'humour noir qui allège le climat lourd provoqué par le défilé des cercueils

"En se renseignant sur Internet, il apprit que Dignitas (c'était le nom du groupe d'euthanasieurs) faisait l'objet d'une plainte d'association écologiste locale". Pas du tout en raison de ses activités, au contraire les écologistes se réjouissaient de l'existence de Dignitas, ils se déclaraient même entièrement solidaires de son combat mais la quantité de cendres et d'ossements humains qu'ils déversaient dans les eaux du lac étaient selon eux excessive, et avait l'inconvénient de  favoriser une espèce de carpe brésilienne, récemment arrivée en Europe, au détriment de l'omble chevalier, et plus généralement des poissons locaux

L'intérêt pour le monde tel qu'il est qui se traduit par une belle description des lieux comme l'aire d'autoroute de  Saint-Arnoult  avec une vision géographique fine du passage de la région parisienne à la province transformée en "terroir" par les spécialités régionales.

"Le relais autoroutier produisit sur Jasselin une impression ambigüe. Par certains côtés, il évoquait nettement la région parisienne  : le choix des magazines et des quotidiens nationaux était très vaste - il se réduisait rapidement à  mesure qu'on s'enfoncerait dans les profondeurs de la province - et les principaux souvenirs proposés aux automobilistes étaient des Tour Eiffel  et des Sacré-Coeur déclinés sous différentes formes. D'un autre côté, il était difficile de prétendre qu'on était en banlieue : le passage de la barrière de péage, comme la limite de la dernière zone de la Carte Orange, marquait symboliquement la fin de la banlieue, le début des régions ; d'ailleurs, les premiers produits régionaux (miel du Gâtinais, rillettes de lapin) avaient fait leur apparition."

Il faudrait prendre Houellebecq pour ce qu'il est. Un auteur "descriptif" qui saisit, parfois en forçant le trait voire en le noircissant, des évolutions actuelles ; qui s'attache à des lieux familiers : aires d'autoroutes, "beaux villages", supermarchés...Demeure la question de ce que cela provoque chez le lecteur...

Je n'ai pas l'envie, pour le moment, de lire l'auteur mais je te remercie pour ton ressenti - par un commentaire pointu - qui m'éclaire sur le personnage (même vu quelque fois à la TV et qui physiquement me rebute, même si je suis consciente que c'est une mauvaise raison pour ne pas le lire)

encore une fois, merci Pinky pour ton partage.

"Demeure la question de ce que cela provoque chez le lecteur..."

Jamais de la joie en tout cas  

" Tout ce qui était violent, morbide, charnel fascinait Ouzbek. " Alias Houellebecq....je suis en train de lire un roman très drôle sur certains auteurs contemporains, tous caricaturés avec énormément d'humour.....j'en parlerai dès que je l'aurai terminé....  

Un portrait de notre "décadent" national que je suis impatient de lire, Simla !
Et oui, chouette compte rendu par Pinky d’une lecture qui perso me réjouit : je suis sensible à l’humour en filigrane de Houellebecq, et surtout La carte (comme d’autres de ses romans) me paraît constituer une analyse pertinente, se révélant d'ailleurs assez vérifiée dans sa vision prospective (place croissante du tourisme et décroissante de l'industrie de biens d’équipement et de consommation dans l'économie hexagonale, extension des forêts, prise de conscience écologique parfois branquignolesque, etc.)
Je l'ai surement déjà dit ici, pour moi la qualité essentielle d'Houellebecq est de transcrire notre fameuse "morosité" nationale, plus exactement cette déprime généralisée, cette grogne sous-jacente et jamais complètement calmée, ces angoisses existentielles de tout un collectif. Evidemment cette image d'un pays dépassé est pour le moins dérangeante, nous avons du mal à accepter les conséquences de la désindustrialisation, la baisse de représentation et de puissance globale de notre nation, la perte ou falsification de valeurs identitaires (qui vont des saucissons aux bistros en passant par les croix chrétiennes jusque là omniprésentes dans le paysage), l’immigration pourtant inéluctable et même légitime : des phénomènes de has been, avoir été et l’être moins avec une population vieillissante, proportionnellement décroissante, dans un art de vivre compromis, survendu, passéiste. Avec bien sûr un déni rongeant dans le manque de perspective satisfaisante. Pas étonnant que son lectorat n’adhère guère joyeusement à ce bilan lucide, peut-être moins "détestation des autres" qu’"autodétestation". Pas forcément toujours de quoi être fier d’être Français, et même homo sapiens, de nos jours… Ça peut aussi expliquer le succès de sirènes autoritaristes, xénophobes, réductrices/simplificatrices, qui chantent le repli sur soi et la fermeture des frontières, promeuvent un passé aussi glorieux que gauchi pour un avenir aussi gratifiant qu’improbable : un roman national bricolé…

Pinky a écrit:La fin du livre et cette revanche de la végétation fait penser à Tchernobyl et aux photos qu'on peut en voir, à cette démarche de l'Urbex qui explore les lieux urbains abandonnés.

Cette petite synthèse de La carte entre en résonance avec ma lecture actuelle de W. G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, constat d'une sorte de déclin généralisé notamment sur le territoire rural, y compris la dégradation accélérée de l’environnement ; je ne pousserai pas la comparaison, mais c'est bien aussi une révélation d'une certaine déchéance économico-sociale, et au-delà humaine.

Je suis d'accord pour l'auto détestation mais ça aboutit quasiment au même résultat.

En revanche pour les Anneaux de Saturne, j'ai le sentiment qu'on est dans une autre dimension, celle des lieux marqués par l'histoire. Il faudrait que j'y retourne pour être plus précise.

Sebald randonne dans le Suffolk, et il accumule les atterrantes images de désertification (avec même une tempête de sable), amalgamées à de nombreux cas récents de délabrement de l'occupation humaine, assez hallucinants d'ailleurs. Mais bien sûr c'est tout autre chose qu'Houellebecq, je n'ai fait le rapprochement que par coïncidence de lectures (quoique...)
On en reparle quand je poste mon commentaire sur Les Anneaux ?

Oui et si je retrouve le bouquin, je pourrai mieux argumenter sur la relation à l'histoire qui m'avait paru très intéressante

J'ai oublié de préciser qu'effectivement l'ouvrage de Sebald, fort inclassable par ailleurs, recourt beaucoup à l'histoire, et pas que littéraire. Mais c'est un discours nébuleux (et stylistiquement très beau), et je ne suis pas certain d'adhérer aux conclusions sous-jacentes...
Fais-moi signe pour que je poste mon commentaire, il y a beaucoup à débattre sur le sujet !

@Tristram

" la perte ou falsification de valeurs identitaires (qui vont des saucissons aux bistros en passant par les croix chrétiennes jusque là omniprésentes dans le paysage)"

je peux te rassurer il y a encore beaucoup de croix, en Ardèche par exemple lors de balades, "à la croix" ..................oui mais laquelle parce que l'autre jour je n'avais pas choisis la bonne et donc perdu le chemin !

" la perte ou falsification de valeurs identitaires (qui vont des saucissons aux bistros en passant par les croix chrétiennes jusque là omniprésentes dans le paysage)"

Pourtant....les églises sont vides et le véganisme se répand....

Ma foi, je pense qu'on est plutôt consterné de la perte de valeurs tout court.....dont la promotion est assurée par nos brillantes (!) élites....d'où le déclin généralisé de nos sociétés du moins occidentales....

Tristram, ce n'est pas vraiment un portrait de Houellebecq, mais la mise en évidence de ce qui le caractérise sous quelques traits assassins....comme pour les autres auteurs....sous pseudo évidemment  

Bédoulène, les repères qui te permettent de retrouver (ou pas) ton chemin demeurent certes dans le milieu rural, guère dans l'urbain élargi, en tout cas on n'en édifie plus je crois. On les garde quand ils ne gênent pas un quelconque remembrement ou aménagement routier, à moins qu'ils aient une valeur patrimoniale/touristique...

Simla a écrit:Pourtant....les églises sont vides et le véganisme se répand.... Wink

Mais le véganisme est encore fort loin (malgré l'impression qu'il donne) de faire disparaître la carnivorie à l'échelon national, et je pense que le fait de ne plus pratiquer n'empêche pas que les signes de la religion chrétienne restent une marque de rattachement à des valeurs en baisse, ça je te l'accorde ! Le problème, c'est que de nouvelles valeurs pour les remplacer ne font pas l'unanimité, pour rester politiquement correct...

perso même si pas versée dans la religion, j'aime entendre le clocher d'une église quand je suis en balade, de même si j'entends un instrument de musique.

Je plaisantais en parlant du véganisme bien sûr, car même si ce mouvement progresse, il est encore loin de s'être répandu ....surtout dans les campagnes... . perso je suis végétarienne alors le saucisson ne fait pas partie et n'a jamais fait partie de mes "valeurs" franco françaises....je suis plutôt attachée à nos brillants intellectuels (beaucoup du passé et un (petit) peu du présent) à notre beau patrimoine, églises incluses évidemment, même si je ne suis pas croyante...mais j'aime à y entrer...et admirer ces magnifiques réalisations.

Il n'y a pas de nouvelles valeurs....à moins que j'ai raté un épisode....une société hyper matérialiste où seul le profit compte....la nouvelle devise : le pognon avant tout, le reste on s'en fout...

Bon, Houellebecq a le mérite de pointer du doigt ce monde à la dérive....d'en établir le terrible constat.....mais s'il nous épargnait ses délires sexuels ça m'arrangerait.... lol