Charles Péguy
Page 1 sur 1 • Partagez
Charles Péguy
Charles Péguy
(Orléans 1873 – Villeroy 1914)
(Orléans 1873 – Villeroy 1914)
ŒuvresEcrivain, poète, essayiste et officier de réserve français. Il est également connu sous les noms de plume de Pierre Deloire et Pierre Baudouin.
Son œuvre, multiple, comprend des mystères d'inspiration médiévale en vers libres, comme « Le Porche du Mystère de la deuxième vertu » (1912), et des recueils de poèmes en vers réguliers, comme « La Tapisserie de Notre-Dame » (1913), d'inspiration mystique, et évoquant notamment Jeanne d'Arc, un symbole de l'héroïsme des temps sombres, auquel il reste toute sa vie profondément attaché. C'est aussi un intellectuel engagé : après avoir été militant socialiste libertaire, anticlérical, puis dreyfusard au cours de ses études, il se rapproche à partir de 1908 du catholicisme et du nationalisme ; il reste connu pour des essais où il exprime ses préoccupations sociales et son rejet de l'âge moderne, où toutes les antiques vertus se sont altérées (L'Argent, 1913). Le noyau central et incandescent de toute son œuvre réside dans une profonde foi chrétienne qui ne se satisfaisait pas des conventions sociales de son époque.
Essais :
De la raison, 1901.
De Jean Coste, 1902.
Notre Patrie, 1905.
Situations, 1907-1908.
Notre jeunesse, 1910.
Victor-Marie, Comte Hugo, 1910 ; réédition Fario 2014.
Un nouveau théologien, 1911.
L'Argent, 1913.
L'Argent suite, 1913.
Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne, 1914.
Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, 1914 (posth.).
Clio. Dialogue de l'histoire et de l'âme païenne, 1931 (posth.).
Véronique. Dialogue de l'histoire et de l'âme charnelle, Gallimard, 1972 (posth.).
Poésie :
Le Porche du Mystère de la deuxième vertu, 1912.
La Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc, 1913.
La Tapisserie de Notre-Dame, 1913.
Ève, 1913 ;
Mystères lyriques :
Jeanne d'Arc, Paris, Librairie de la Revue socialiste, 1897.
Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, 1910.
Le Porche du Mystère de la deuxième vertu, 1911.
Le Mystère des Saints Innocents, 1912.
Divers :
Lettres et entretiens, 1927 (posth.).
Correspondance Charles Péguy - Pierre Marcel, Paris, L'Amitié Charles Péguy, XXVII
ArenSor- Messages : 3428
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Rue du Nadir-aux-Pommes
Re: Charles Péguy
Je pense que bien peu de monde lit encore Péguy : catholique, nationaliste, belliciste, étendard de la France pétainiste, l’écrivain n’est pas fait pour séduire les jeunes générations. Et pourtant ! Le penseur est aujourd’hui revendiqué par des personnalités aussi différentes qu’Edwy Plenel ou Alain Finkielkraut ! Mais l’écrivain, le poète...
En ce qui me concerne, la récente vision des deux films de Bruno Dumont : « Jeannette » et « Jeanne » m’a rappelé la grande beauté de la poésie de Péguy.
Jeanne d'Arc
« Jeanne d'Arc » est donc un drame de trois pièces écrit par Péguy en 1897 sous le pseudonyme de Pierre Baudouin (boursier d’agrégation, il ne peut écrire sous son propre nom). C’est la première œuvre importante de l’auteur. En trois pièces, « Domremy », « Les Batailles » et « Rouen » elle retrace trois épisodes importants de la vie de Jeanne d’Arc. Autant vous le dire tout de suite, ce texte est très difficile à se procurer. Vous trouverez facilement le « Mystère de la Charité de Jeanne », mais « Jeanne »… A part la Pléiade ! Et c’est dommage !
La dédicace de l’ouvrage donne tout de suite le ton. Il n’est pas inintéressant de préciser qu’à cette époque, Péguy est socialiste et athée.
Basée sur des phénomènes de répétition, de monumentalité, la poésie de Péguy est ample, puissante et prend volontiers un côté épique qui l’apparente aux œuvres antiques : "L’Iliade", « Les Perses » d’Eschyle…
Elle est à l’image d’une vague régulièrement redoublée qui vient tout recouvrir en poussant au plus loin :
Péguy campe une Jeanne qui pourrait être proche de cette jeune femme de l’histoire à qui sainte Marguerite, sainte Catherine et saint Michel ont ordonné de libérer la France des Anglais.
Il en montre la volonté farouche
Mais aussi les faiblesses, les doutes, la peur…
C’est la dure loi de la guerre
Et cette formule, dieu délivrez-nous des imbéciles, je l’appliquerais volontiers à certaines personnes de l’administration…
Peut-être inattendu dans un climat semblable, il y a beaucoup d’humour chez Péguy, humour noir bien sûr dans ce contexte…
Mots-clés : #guerre #historique #moyenage #poésie #théâtre
En ce qui me concerne, la récente vision des deux films de Bruno Dumont : « Jeannette » et « Jeanne » m’a rappelé la grande beauté de la poésie de Péguy.
Jeanne d'Arc
« Jeanne d'Arc » est donc un drame de trois pièces écrit par Péguy en 1897 sous le pseudonyme de Pierre Baudouin (boursier d’agrégation, il ne peut écrire sous son propre nom). C’est la première œuvre importante de l’auteur. En trois pièces, « Domremy », « Les Batailles » et « Rouen » elle retrace trois épisodes importants de la vie de Jeanne d’Arc. Autant vous le dire tout de suite, ce texte est très difficile à se procurer. Vous trouverez facilement le « Mystère de la Charité de Jeanne », mais « Jeanne »… A part la Pléiade ! Et c’est dommage !
La dédicace de l’ouvrage donne tout de suite le ton. Il n’est pas inintéressant de préciser qu’à cette époque, Péguy est socialiste et athée.
« A toutes celles et à tous ceux qui auront vécu,
A toutes celles et à tous ceux qui seront morts pour tâcher de porter remède au mal universel ;
En particulier,
A toutes celles et à tous ceux qui auront vécu leur vie humaine,
A toutes celles et à tous ceux qui seront morts de leur mort humaine pour tâcher de porter remède au mal universel humain ;
Parmi eux,
A toutes celles et à tous ceux qui auront connu le remède,
c’est-à-dire :
A toutes celles et à tous ceux qui auront vécu leur vie humaine,
A toutes celles et à tous ceux qui seront morts de leur mort humaine pour l’établissement de la République socialiste universelle,
Ce poème est dédié.
Prenne à présent sa part de la dédicace qui voudra »
Basée sur des phénomènes de répétition, de monumentalité, la poésie de Péguy est ample, puissante et prend volontiers un côté épique qui l’apparente aux œuvres antiques : "L’Iliade", « Les Perses » d’Eschyle…
Elle est à l’image d’une vague régulièrement redoublée qui vient tout recouvrir en poussant au plus loin :
« Les marteaux écrasaient les casques et les crânes ;
Les flèches se glissaient aux cuirasses de fer ;
Les marteaux écrasaient les casques et les crânes ;
Les haches entaillaient la cuirasse et la chair.
Et j’étais chef de guerre, et tous ces marteaux-là
S’abattaient et broyaient pour m’obéir, à moi ;
J’étais chef de bataille, ô Dieu ! ces haches là
Taillaient et retaillaient pour m’obéir, à moi :
J’ai connu la douleur d’un chef de guerre. »
« Mais l’Enfer sera clos sur ta Prière aussi,
Et vous, Dépossédés éternels d’Espérance,
Clamerez la Prière éternellement vaine,
Clamerez la Prière éternellement folle ;
Et les hurlements fous d’éternelle souffrance,
Et les hurlements fous d’éternelle prière
Seront comme un silence au flot de la souffrance
Noyés comme un silence au flot de la souffrance :
Car ta mort éternelle est une mort vivante,
Une vie intuable, indéfaisable et folle ;
Et dans l’éternité tous les hurlements fous,
Tout le hurlement fou de souffrance et prière
Sera comme un silence… »
« Alors commencera l’étrange exil sans plage,
L’étrange exil d’absence où vous n’êtes pas là,
La savoureuse absence, et dévorante et lente
Et folle à savourer, affolante et vivante…
Je me sentirai folle à savourer l’absence
Et vivante en folie et folle à tout jamais… »
« Mon frère, « L’Esprit souffle où il veut » ; l’Esprit souffle quand il veut ; l’Esprit souffle comme il veut ; là où est l’Esprit, là est la liberté, l’entière indépendance. »
Péguy campe une Jeanne qui pourrait être proche de cette jeune femme de l’histoire à qui sainte Marguerite, sainte Catherine et saint Michel ont ordonné de libérer la France des Anglais.
Il en montre la volonté farouche
« Les hommes ne valent pas chers, madame jeanne ; les hommes sont impies ; les hommes sont cruels, pillards, voleurs, menteurs ; ils aiment la ripaille : c’est bien triste à dire, mais ils sont ainsi, et pendant cinquante ans que j’ai passé ma vie avec eux, mon enfant, c’est toujours ainsi que je les ai connus.
JEANNE
- Mon maître, les hommes sont comme ils sont ; mais il nous faut penser, nous, à ce qu’il faut que nous soyons. »
« Mais à présent que je serai maîtresse de moi, je vous assure, maître Jean, oui je vous assure que je ne dirai plus de mensonges, à présent !
Non ! je ne dirai pas la parole menteuse, et je ne sais pas si j’irai loin, mais je sais bien que je marcherai droit. »
Mais aussi les faiblesses, les doutes, la peur…
« J’aurais mieux fait de filer tranquille. Tant qu’il n’y aura pas eu quelqu’un pour tuer la guerre, nous serons comme les enfants qui s’amusent en bas, dans les prés, à faire des digues avec de la terre. La Meuse finit toujours par passer par-dessus. »
« Mais j’avais peur ;… j’avais peur de la partance,… peur de la bataille,… peur de la défaite,…et je crois bien de la victoire aussi ;… J’avais peur de tout ;… et d’abord j’avais peur de moi, car je me connaissais, et je savais bien qu’une fois partie j’irais jusqu’au bout ;… j’avais peur comme une bête ; et j’étais seule sous ma désobéissance, et j’étais malheureuse, et mon âme s’étouffait sous la désobéissance lourde,… et j’avais peur, j’avais peur, j’avais peur… »
C’est la dure loi de la guerre
« Mais cette piété-là, même, c’est trop beau pour que ça dure. Je connais les soldats, moi : ils sont entrés dans la dévotion parce que c’était du nouveau, parce que ça les reposait du pillage, et de ce qui s’ensuit. C’est comme le vrai carême pour les vrais gourmands. Ca va durer l’espace d’un carême… »
« Oui, ces hommes qui ne vivent que de la guerre, qui ne vivent que par la guerre, qui ne vivent que pour la guerre, qui ne respirent que la guerre, qui ne jouissent que de la guerre, et par elle, vous allez leur vanter les bienfaits de la paix ! ».
Et cette formule, dieu délivrez-nous des imbéciles, je l’appliquerais volontiers à certaines personnes de l’administration…
«- Oh ! les imbéciles ; ce sont eux qui retardent tout, ceux qui entravent tout, eux qui empêchent tout de réussir. Et très finement ils découvrent après cela qu’il y a des entreprises qui ne réussissent point, que la vie est ainsi ; et comme des docteurs, avec des airs de sage, ils veulent bien nous enseigner leur découverte, et que nous finirons bien par nous lasser, nous aussi… Mon Dieu sauvez-nous de ceux qui sont fins, sauvez-nous de ceux qui savent la vie ; mon Dieu sauvez-nous des imbéciles. »
Peut-être inattendu dans un climat semblable, il y a beaucoup d’humour chez Péguy, humour noir bien sûr dans ce contexte…
« GILLES DE RAIS
- Les Anglais n’auraient pas été furieux. Ils n’auraient pas été aussi bêtes que ça ; ils n’auraient pas commencé par tuer les femmes ; on ne peut plus s’en servir quand on les a tuées
Après réflexion
… c'est-à-dire que l’on peut encore se servir d’elles, quand elles sont mortes, seulement…
RAOUL DE GAUCOURT
… Seulement il faut laisser ça aux sorciers. Vous n’êtes pas sorcier ? monsieur de Rais.
GILLES DE RAIS
- Non messire : pas encore… »
« Malheureusement c’est un métier qui s’en va : si vous saviez comme on en voit, à présent, des questionneurs qui gâchent la besogne, des maladroits, qui tuent les hérétiques sans que cela serve à les sauver. »
« MAITRE FRANCOIS BRASSET
- Qu’est-ce qui fait le plus d’effet ? dans tout ça, maître Mauger
MAUGER LE PARMENTIER
- On ne peut pas dire, maître François, parce que c’est difficile à comparer… Et puis ça dépend des personnes… Enfin, avec le brodequin, la souffrance est plus pénétrante, plus entrante, plus fausse, plus faussante ; elle porte mieux au cœur ; et surtout on a mieux la force de la sentir… Avec l’eau, la souffrance est plus large, plus envahissante, plus troublante ; c’est à peu près comme de se noyer, seulement on peut respirer, après chaque fois. »
« LE PREMIER
- Oui : on dit qu’elle a voulu faire la guerre à monsieur saint Georges pour faire plaisir à saint Michel, et que c’est pour ça qu’elle est en prison.
LE DEUXIEME
- Ca ne m’étonne pas : c’est toujours comme ça, les affaires des saints. »
« - Moi, je n’aime pas voir brûler des hérétiques, parce que, quand on est du côté du vent, ça sent la graisse brûlée. »
Mots-clés : #guerre #historique #moyenage #poésie #théâtre
ArenSor- Messages : 3428
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Rue du Nadir-aux-Pommes
Re: Charles Péguy
Il ne faut pas avoir peur, pour exhumer Péguy...
Un coté liturgique dans son style ?
"Sauvez-nous des imbéciles" est une antienne chantée aussi par Voltaire, par Flaubert, et tant d'autres...
Il faut cependant garder en mémoire que :
Un coté liturgique dans son style ?
"Sauvez-nous des imbéciles" est une antienne chantée aussi par Voltaire, par Flaubert, et tant d'autres...
Il faut cependant garder en mémoire que :
Sans compter que :Henry de Montherland a écrit: On est toujours l'imbécile de quelqu'un.
Francis Blanche a écrit:On est toujours l'imbécile de quelqu'un. Ce sont mes imbéciles à moi, qui m'énervent.
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Charles Péguy
Incroyable coïncidence, ArenSor, j'allais justement ouvrir le fil Péguy aujourd'hui !
Il se trouve que j'ai une amicale divergence de vues, d'ailleurs, avec ton message:
Quant à l'étendard de Pétain, tu m'excuseras, il y a belle lurette qu'il était tombé au champ d'honneur - récup' à deux centimes qui ne fait guère honneur à ceux qui l'ont pratiquée (Péguy est tué le 5 septembre 1914, pour une mobilisation mi-août 1914, d'une balle en plein front près de Villeroy dans la première bataille de l'Ourcq, inaugurant la longue série des écrivains et artistes morts lors de la première guerre mondiale, liste que clora Apollinaire).
Pas que les jeunes générations...!
Péguy c'est un cas à soumettre aux maquignons de la sur- ou sous- évaluation, drôle de cul de vache à tâter:
Ses écrits obtinrent peu de succès de librairie de son vivant mais pas mal de succès critique et de succès d'estime auprès de contemporains en vue (Romain Rolland, Alain-Fournier, Jean Jaurès, Léon Blum, Jacques Maritain, André Gide, etc..), et font aujourd'hui partie des œuvres toujours aussi dédaignées, ce qui va à merveille à celui qui proclamait que "L'anonyme est son patronyme" .
Cependant, et c'est là un grand paradoxe:
Pas une bourgade de la taille d'une sous-préfecture et même sûrement bien en-deçà qui n'arbore une rue, une avenue, une place Charles-Péguy, ainsi que de nombreux établissements publics, scolaires en particulier, sans oublier un musée + centre de recherches dédié, assez dynamique et fourni à ce qu'il paraît, dans sa ville natale d'Orléans:
Bien étrange phénomène !
Ainsi Péguy se distingue, mais à la façon d'un pic très singularisé se découpant dans un paysage de montagnes, que l'on ne peut ignorer dans la mesure où il s'impose à la vue, mais dont les pentes ne sont jamais arpentées par la foule, plus prompte à l'enthousiasme pour ce qui est de la fréquentation de masse des sommets voisins.
Une de ses principales anthologies ne s'intitule-t-elle pas Péguy tel qu'on l'ignore (Jean Bastaire, 1973) ?
Osons un peu:
Ne peut-on l'assimiler à ce que Victor Hugo déclare en guise de sentence à propos [de son personnage] de Tellmarch dans Quatrevingt Treize ?
Il se trouve que j'ai une amicale divergence de vues, d'ailleurs, avec ton message:
Quand tu le dis belliciste et nationaliste, en fait, très concrètement, il refuse le pacifisme, ce qui l'éloigne de Jaurès dont il était proche, au profit d'un nationalisme défenseur de la bonne cause (il s'inquiète de la menace allemande), tout en récoltant l'ire des maurrassiens auxquels il s'oppose frontalement, taxé par ceux-ci de diviseur du camp nationaliste.ArenSor a écrit:catholique, nationaliste, belliciste, étendard de la France pétainiste
Quant à l'étendard de Pétain, tu m'excuseras, il y a belle lurette qu'il était tombé au champ d'honneur - récup' à deux centimes qui ne fait guère honneur à ceux qui l'ont pratiquée (Péguy est tué le 5 septembre 1914, pour une mobilisation mi-août 1914, d'une balle en plein front près de Villeroy dans la première bataille de l'Ourcq, inaugurant la longue série des écrivains et artistes morts lors de la première guerre mondiale, liste que clora Apollinaire).
AenSor a écrit:l’écrivain n’est pas fait pour séduire les jeunes générations.
Pas que les jeunes générations...!
Péguy c'est un cas à soumettre aux maquignons de la sur- ou sous- évaluation, drôle de cul de vache à tâter:
Ses écrits obtinrent peu de succès de librairie de son vivant mais pas mal de succès critique et de succès d'estime auprès de contemporains en vue (Romain Rolland, Alain-Fournier, Jean Jaurès, Léon Blum, Jacques Maritain, André Gide, etc..), et font aujourd'hui partie des œuvres toujours aussi dédaignées, ce qui va à merveille à celui qui proclamait que "L'anonyme est son patronyme" .
Cependant, et c'est là un grand paradoxe:
Pas une bourgade de la taille d'une sous-préfecture et même sûrement bien en-deçà qui n'arbore une rue, une avenue, une place Charles-Péguy, ainsi que de nombreux établissements publics, scolaires en particulier, sans oublier un musée + centre de recherches dédié, assez dynamique et fourni à ce qu'il paraît, dans sa ville natale d'Orléans:
Bien étrange phénomène !
Ainsi Péguy se distingue, mais à la façon d'un pic très singularisé se découpant dans un paysage de montagnes, que l'on ne peut ignorer dans la mesure où il s'impose à la vue, mais dont les pentes ne sont jamais arpentées par la foule, plus prompte à l'enthousiasme pour ce qui est de la fréquentation de masse des sommets voisins.
Une de ses principales anthologies ne s'intitule-t-elle pas Péguy tel qu'on l'ignore (Jean Bastaire, 1973) ?
Osons un peu:
Ne peut-on l'assimiler à ce que Victor Hugo déclare en guise de sentence à propos [de son personnage] de Tellmarch dans Quatrevingt Treize ?
Tellmarch était plus qu'un homme isolé, c'était un homme évité.
Aventin- Messages : 1985
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Charles Péguy
Le Porche du mystère de la deuxième vertu
1911, 140 pages (peu denses) environ.
Derrière ce titre, pour ainsi dire médiéval, se cache un opus difficile à cataloguer: Gallimard Nrf le range dans sa collection poésie, pourquoi pas, faute de mieux (?).
Cela commence comme au théâtre, voyez plutôt:
Madame Gervaise s'adresse à un enfant, qui n'intervient jamais, dont nous ignorons l'âge, le nom, le sexe. Ce Porche est un soliloque.
Mais, avec lenteur et au fil de la lecture nous parviennent quelques indices - c'est au temps de la royauté, c'est en Lorraine, il y a quatorze siècles de chrétienté... jusqu'au bout on ne sait pas, mais on suppute quand même, en foi de la parution de Péguy qui précède immédiatement, que l'enfant attentif et silencieux est Jeanne d'Arc.
Pourtant, l'auteur s'est gardé de toute référence d'ordre linguistique ou idiomatique au parler lorrain du quinzième. Ils n'utilise que des mots simples, la limpidité menant à des imprévus, des termes parfois curieusement bricolés (comme recreux ou encore travails au pluriel)
Péguy ose, par le caractère familier, populaire de l'expression, un langage adapté à une jeune oreille; en évitant bien des écueils de fausseté, ce n'est jamais gnangnan, encore moins vulgaire bien sûr, jamais même trivial.
Cette prosodie est assez singulière.
En fait de soliloque, Dieu lui-même vient s'en mêler et s'exprime au "je", puis, sans que l'on ne distingue nettement où est la reprise, la parole revient à Madame Gervaise (comme dans l'extrait, dans lequel la parole est nettement du côté de Dieu).
C'est -à mon avis- très bien traduire, de façon largement inédite, le mécanisme de l'oraison (bien plus certainement que celui de la prière), avec adjonction en guise de procédé littéraire d'un interlocuteur tiers [figuré par l'enfant, mettons Jeanne], qui reçoit mais ne participe pas, et ce tiers est bien sûr aussi nous, lecteurs.
Quant aux allusions à la France, c'est à rapprocher de la position de Péguy face au péril, imminent alors, du conflit avec l'Allemagne.
Très bien rendues les circonvolutions méditatives, à base de répétitions façon mantra, de retour en arrière mais, au bout, toujours une avancée.
Idem la découpe en vers [libres] ne s'achevant pas forcément par une ponctuation, les parenthèses, tout ce cheminement d'apparence inutile, n'allant pas droit au fait mais semblant s'égarer dans les halliers de la réflexion, qu'on pourrait dépouiller: la restitution a ce côté tel quel, intact sous la plume qui n'a pas cru bon de bûcheronner dedans, tout en conservant (écueil bien évité) un coulé facilitant la lecture.
Le thème est celui d'une des trois vertus théologales, l'Espérance.
Celle des trois qui, selon Péguy, va le moins de soi.
Elle est une jeune enfant semblant menée par ses deux grandes sœurs, en réalité c'est elle qui les mène...
- Extrait:
- Je les plains. Je leur en veux. Un peu. Ils ne me font pas confiance.
Comme l’enfant se couche innocent dans les bras de sa mère ainsi ils ne se couchent point Innocents dans les bras de ma Providence. Ils ont le courage de travailler.
Ils n’ont pas le courage de ne rien faire. Ils ont la vertu de travailler. Ils n’ont pas la vertu de ne rien faire.
De se détendre. De se reposer. De dormir.
Les malheureux ils ne savent pas ce qui est bon.
Ils gouvernent très bien leurs affaires pendant le jour.
Mais ils ne veulent pas m’en confier le gouvernement pendant la nuit.
Comme si je n’étais pas capable d’en assurer le gouvernement pendant une nuit.
Celui qui ne dort pas est infidèle à l’Espérance.
Et c’est la plus grande infidélité.
Parce que c’est l’infidélité à la plus grande Foi.
Pauvres enfants ils administrent dans la journée leurs affaires avec sagesse.
Mais le soir venu ils ne se résolvent point. Ils ne se résignent point à en confier le gouvernement à ma sagesse
L’espace d’une nuit à m’en confier le gouvernement.
Et l’administration et tout le gouvernement.
Comme si je n’étais pas capable, peut-être, de m’en occuper un peu.
D’y veiller.
De gouverner et d’administrer et tout le tremblement.
J’en administre bien d’autres, pauvres gens, je gouverne la création, c'est peut-être plus difficile.
Vous pourriez peut-être sans grand(s) dommage(s) me laisser vos affaires en mains, hommes sages.
Je suis peut-être aussi sage que vous.
Vous pourriez peut-être me les remettre l'espace d'une nuit.
L'espace que vous dormiez
Enfin
Et le lendemain matin vous les retrouveriez peut-être pas trop abîmées.
Le lendemain matin elles ne seraient peut-être pas plus mal.
Je suis peut-être encore capable de les conduire un peu.
Je parle de ceux qui travaillent
Et qui ainsi en ceci suivent mon commandement.
Et qui ne dorment pas, et qui ainsi en ceci
Refusent tout ce qu'il y a de bon dans ma création,
Le sommeil, tout ce que j'ai créé de bon,
Et aussi refusent tout de même ici mon commandement
même.
Pauvres enfants quelle ingratitude envers moi
Que de refuser un aussi bon, Un aussi beau commandement.
Pauvres enfants ils suivent la sagesse humaine.
La sagesse humaine dit Ne remettez pas au lendemain
Ce que vous pouvez faire le jour même.
Et moi je vous dis Celui qui sait remettre au lendemain
Est celui qui est le plus agréable à Dieu.
Celui qui dort comme un enfant
Est aussi celui qui dort comme ma chère Espérance.
Mots-clés : #poésie #religion #spiritualité #xxesiecle
Aventin- Messages : 1985
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Charles Péguy
C'est vrai qu'il a convenu parfaitement aux valeurs (nationalistes) de l'école (primaire) _ et c'est peut-être ce qui l'a conséquemment éclipsé...Aventin a écrit:Cependant, et c'est là un grand paradoxe:
Pas une bourgade de la taille d'une sous-préfecture et même sûrement bien en-deçà qui n'arbore une rue, une avenue, une place Charles-Péguy, ainsi que de nombreux établissements publics, scolaires en particulier, sans oublier un musée + centre de recherches dédié, assez dynamique et fourni à ce qu'il paraît, dans sa ville natale d'Orléans:
Bien étrange phénomène !
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Charles Péguy
Tristram a écrit:C'est vrai qu'il a convenu parfaitement aux valeurs (nationalistes) de l'école (primaire) _ et c'est peut-être ce qui l'a conséquemment éclipsé...Aventin a écrit:Cependant, et c'est là un grand paradoxe:
Pas une bourgade de la taille d'une sous-préfecture et même sûrement bien en-deçà qui n'arbore une rue, une avenue, une place Charles-Péguy, ainsi que de nombreux établissements publics, scolaires en particulier, sans oublier un musée + centre de recherches dédié, assez dynamique et fourni à ce qu'il paraît, dans sa ville natale d'Orléans:
Bien étrange phénomène !
C't'un peu simple, Tristram, là tu prends la rocade tous les raccourcis, je crois que c'est plus complexe que ça, pas sûr même qu'il y ait un fin mot à cette curiosité .
Curieux aussi, si ce qu'affirme ArenSor est exact, que hisser en étendard le souvenir de Péguy n'ai pas gêné aux entournures les vichystes, on parle bien du dreyfusard acharné, pétitionneur fou qui allait faire du ramdam chez Jaurès, Zola et Blum afin qu'ils ne tiédissent pas les braises de leur position ?
Au cas où Péguy interèsserait, un site dédié, pas mal achalandé.
Aventin- Messages : 1985
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Charles Péguy
Merci pour ce fil, déjà bien riche, et vos commentaires qui donnent envie.
Je dois confesser ma grande méconnaissance de Péguy. J'ai ses poésies en pléiade, mais je l'ai juste un peu feuilleté jusqu'alors.
J'avais néanmoins remarqué, comme Arensor, que Péguy était souvent cité aujourd'hui chez les "intellectuels" médiatiques de tous bords. Comme Pasolini, qui est récupéré à droite comme à gauche, selon ce qui arrange dans ses écrits.
Je dois confesser ma grande méconnaissance de Péguy. J'ai ses poésies en pléiade, mais je l'ai juste un peu feuilleté jusqu'alors.
J'avais néanmoins remarqué, comme Arensor, que Péguy était souvent cité aujourd'hui chez les "intellectuels" médiatiques de tous bords. Comme Pasolini, qui est récupéré à droite comme à gauche, selon ce qui arrange dans ses écrits.
Invité- Invité
Re: Charles Péguy
Aventin, c'est parce que tu as cité Péguy sur le fil Hugo que je me suis souvenu d'un post sur cet auteur que je voulais créer après la vision de "Jeanne" de Dumont et la lecture du "drame" correspondant.Aventin a écrit:Incroyable coïncidence, ArenSor, j'allais justement ouvrir le fil Péguy aujourd'hui !
Il se trouve que j'ai une amicale divergence de vues, d'ailleurs, avec ton message:Quand tu le dis belliciste et nationaliste, en fait, très concrètement, il refuse le pacifisme, ce qui l'éloigne de Jaurès dont il était proche, au profit d'un nationalisme défenseur de la bonne cause (il s'inquiète de la menace allemande), tout en récoltant l'ire des maurrassiens auxquels il s'oppose frontalement, taxé par ceux-ci de diviseur du camp nationaliste.ArenSor a écrit:catholique, nationaliste, belliciste, étendard de la France pétainiste
Quant à l'étendard de Pétain, tu m'excuseras, il y a belle lurette qu'il était tombé au champ d'honneur - récup' à deux centimes qui ne fait guère honneur à ceux qui l'ont pratiquée (Péguy est tué le 5 septembre 1914, pour une mobilisation mi-août 1914, d'une balle en plein front près de Villeroy dans la première bataille de l'Ourcq, inaugurant la longue série des écrivains et artistes morts lors de la première guerre mondiale, liste que clora Apollinaire).AenSor a écrit:l’écrivain n’est pas fait pour séduire les jeunes générations.
Pas que les jeunes générations...!
Péguy c'est un cas à soumettre aux maquignons de la sur- ou sous- évaluation, drôle de cul de vache à tâter:
Ses écrits obtinrent peu de succès de librairie de son vivant mais pas mal de succès critique et de succès d'estime auprès de contemporains en vue (Romain Rolland, Alain-Fournier, Jean Jaurès, Léon Blum, Jacques Maritain, André Gide, etc..), et font aujourd'hui partie des œuvres toujours aussi dédaignées, ce qui va à merveille à celui qui proclamait que "L'anonyme est son patronyme" .
Cependant, et c'est là un grand paradoxe:
Pas une bourgade de la taille d'une sous-préfecture et même sûrement bien en-deçà qui n'arbore une rue, une avenue, une place Charles-Péguy, ainsi que de nombreux établissements publics, scolaires en particulier, sans oublier un musée + centre de recherches dédié, assez dynamique et fourni à ce qu'il paraît, dans sa ville natale d'Orléans:
Bien étrange phénomène !
Ainsi Péguy se distingue, mais à la façon d'un pic très singularisé se découpant dans un paysage de montagnes, que l'on ne peut ignorer dans la mesure où il s'impose à la vue, mais dont les pentes ne sont jamais arpentées par la foule, plus prompte à l'enthousiasme pour ce qui est de la fréquentation de masse des sommets voisins.
Une de ses principales anthologies ne s'intitule-t-elle pas Péguy tel qu'on l'ignore (Jean Bastaire, 1973) ?
Osons un peu:
Ne peut-on l'assimiler à ce que Victor Hugo déclare en guise de sentence à propos [de son personnage] de Tellmarch dans Quatrevingt Treize ?Tellmarch était plus qu'un homme isolé, c'était un homme évité.
Je ne suis pas sûr qu'on ait de fortes divergences sur Péguy. Je caricaturais en reprenant les accusations souvent entendues chez les détracteurs de l'écrivain... et qui pour la plupart ne l'ont jamais lu !
Je connais mal le Péguy penseur. Pour ce que j'en sais, ce fut une personne intègre qui a suivi sa voie par monts et par vaux, quitte à surprendre, choquer, chagriner les tenants d'une doxa particulière.
Ce que j'ai découvert en lisant "Jeanne" est la qualité du poète. Le texte est de toute beauté. C'est un genre de poésie qu'on prend plaisir à déclamer à voix haute. Dumont l'a bien compris en reprenant mots à mots le texte.
Pour terminer, une photo d'une Vierge du 14e siècle que j'avais prise il y a quelques années dans une chapelle d'un hameau aux confins de l'Oise et du Val d'Oise. C'est cette statue qui fut fleurie par Péguy la veille de sa mort.
ArenSor- Messages : 3428
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Rue du Nadir-aux-Pommes
Re: Charles Péguy
Pour Antoine Compagnon, Charles Péguy fait partie des Antimodernes (p. 275-277) :
Péguy identifie d'emblée le moderne au dogme du progrès, car « le progrès n'est-il pas la grande loi de la société moderne ». Le progrès sera dès lors la cible obsessionnelle de ses diatribes, « la métaphysique de la science, [...] une métaphysique positiviste, [...] la célèbre métaphysique du progrès », comme il dira encore en 1913 dans L'Argent.
Si Péguy polémique contre la méthode historique moderne, c'est que prétendre, comme l'auteur de La Fontaine et ses fables, maîtriser la totalité du réel, cela revient à se prendre pour Dieu ; « Epuiser l'immensité, l'indéfinité, l'infinité du détail pour obtenir la connaissance de tout le réel, telle est la surhumaine ambition de la méthode discursive [...] un Dieu seul y suffirait [...]. Telle est bien l'ambition inouïe du monde moderne [...] Dieu chassé de l'histoire ; et par une singulière ironie, par un nouveau retour, Dieu se retrouvant dans le savant historien ». Et, derrière Taine, Péguy fait remonter ce projet au Renan défroqué de L'avenir de la science : « Une humanité devenue Dieu par la totale infinité de sa connaissance, par l'amplitude infinie de sa mémoire totale, cette idée est partout dans Renan ; elle fut vraiment le viatique, la consolation, l'espérance, la secrète ardeur, le feu intérieur, l'eucharistie laïque de toute une génération, de toute une levée d'historiens, de la génération qui dans le domaine de l'histoire inaugurait justement le monde moderne ».
Péguy porta son combat au coeur de la « barbarie moderne » dans Situation III, où il met au jour la métaphysique des modernes, lesquels affectent de n'en pas avoir. Leur métaphysique inavouée est celle du progrès : «[...] c'est une des erreurs les plus graves de la métaphysique honteuse [...], de la métaphysique du parti intellectuel moderne que de se représenter ou de vouloir nous représenter la succession des métaphysiques et des philosophies — des religions — comme un progrès linéaire ininterrompu continu ou discontinu. » Les adeptes de la métaphysique du progrès font, sans le dire, comme si ce qui venait après était nécessairement supérieur à ce qui existait avant : « C'est une des idées les plus communément répandues dans le monde moderne, et donc c'est naturellement une des erreurs les plus grossières du monde moderne que cette idée qu'il aurait fallu que l'humaité attendît au commencement du monde moderne pour commencer d'avoir quelque idée de ce que c'est que la vie ».
Invité- Invité
Re: Charles Péguy
J'ai tenté quelques incursions dans Le Porche du Mystère de la deuxième vertu.
Livre de chevet actuel (entre autres !).
C'est assez spécial.
On entre dedans comme dans une cathédrale. Il y a du sacré, de la grandeur, de l'initiation, de la densité...
Bref, une expérience, hypnotique d'ailleurs.
Je vous dirai dans quel état j'en sors...
J'aimerais bien découvrir sa prose.
Livre de chevet actuel (entre autres !).
C'est assez spécial.
On entre dedans comme dans une cathédrale. Il y a du sacré, de la grandeur, de l'initiation, de la densité...
Bref, une expérience, hypnotique d'ailleurs.
Je vous dirai dans quel état j'en sors...
J'aimerais bien découvrir sa prose.
Tatie- Messages : 278
Date d'inscription : 14/02/2021
Des Choses à lire :: Lectures par auteurs :: Écrivains européens francophones
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum