Anna Maria Ortese
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Anna Maria Ortese
Pour parler d' Anna Maria Ortese, une fois n'est pas coutume, je vais m'attarder sur sa vie, qui permet de mieux comprendre son oeuvre, une oeuvre belle et originale mais très surprenante parfois. Je me suis servi d' une étude de Bernard Simeone, écrivain lui-même et grand traducteur et introducteur de la littérature italienne en France :
Anna Maria Ortese a mené en Lybie et dans toute l'Italie une vie errante pratiquement toute sa vie. Une vie qui ressemble à un mélo : disparition à Fort de France d' un frère très aimé, conditions matérielles de plus en plus précaires, exils... Après la Deuxième Guerre Mondiale, la maison de Naples où elle vivait alors, est détruite par les bombes. Même si elle a quelques amis, aucun ne lui pardonnera d' avoir mis à nu avec la cruauté de sa candeur, les mensonges de l' écriture, l'oubli des utopies et la quête désespérée du succès.
Anna Maria Ortese connaissait depuis longtemps Edgar Poe et Katherine
Mansfield, et plus tard, Lewis Carroll, Coleridge, Blake, Defoe, Stevenson, les soeurs Bronte, Emily Dickinson, Hawthorne, Melville, James. Et ces écrivains, dont on sent parfois l'influence dans son oeuvre, l' aidèrent à supporter une solitude terrible et souvent hallucinée.
De maisons d'amis en chambres meublées, de ports en villes du continent, de la jeunesse sauvage et muette jusqu'à la vieillesse très malheureuse, on peut dire que sa vie ne fut jamais réelle. La pauvreté, l'hypersensibilité, le sentiment d'une Italie morte avec la guerre lui a fait écrire, comme Sivio d'Arzo, que nous vivons dans la maison des autres. Toute sa vie, elle connut des problèmes de survie. Et ceci permet d'expliquer d'où naissent les tensions dans ses écrits... Et puis la solitude, la fuite et cette sensation permanente de désastre.
Bibliographie sélective :
- L' Iguane, 1988
- Le murmure de Paris, 1989 ; Page 1
- De veille et de sommeil, 199O
- Les beaux jours, 1991 ; Page 1
- La lune sur le mur, 1991 ; Page 1
- La Douleur du chardonneret, 1998
MAJ de l'index le 15/06/2019
La plupart des histoires d'amour, écrit A.M. Ortese, ne sont qu'histoires de haine, de vol et de farce, accompagnées de chants célestes...
Naturellement, il existe aussi des exceptions, et ce sont les histoires de l'affection, des grandes affections qui concernent les humbles vies purement animales, où l'amour n'existe pas.
Les oeuvres de Anna Maria Ortese sont hantées, en permanence, visionnaires...
La norme et la règle semblent semblent brisées. Cela ne signifie pas que la raison nous soit plus lointaine qu'hier. C'est la normalité qui s'est éloignée.
L'étrangeté est dans les choses, dans la vie réelle. La peur aussi.
Seul l'homme fait souffrir, car il le fait aussi quand ce n'est pas nécessaire... Il choisit ceux qui n'ont aucun droit.
Je me sens plus que jamais du coté des bêtes, je me sens comme leur parente, à tout le moins leur amie, leur fidèle.
Si écrire lui était nécéssaire, indispensable même, plus nécessaire encore était la compassion, le secours porté à toute vie.
Je voudrais parler encore longtemps de cette femme, mais je le ferai quand elle sera lue. Je crois que son oeuvre est parfois difficile à lire et à comprendre.
Je n'ai pas tout lu ni tout compris. Mais elle m'a beaucoup apporté.
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bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Anna Maria Ortese
Une partie des hommes -nous ne savons jamais laquelle- aime la destruction pour la destruction, aime l' effet du détruire : la douleur de l' autre est son but.
Le monde est un enfer à cause de ces hommes-là. et ce ne sont pas toujours les exlus de la société.
Il est des hommes intègres qui jouissent de la souffrance d' une bète,
et qui mentent lorsqu' ils affirment (science, labos) que cette souffrance est nécéssaire.
Il en va de meme pour les chasseurs et les marchands d' animaux.
Non moins atroce (et mystéreux) nous apparait le comportement de nombreux pères et mères, en Europe comme ailleurs.
Ces gens-là, que rien ne distingue apparemment des gens normaux, sont laissés libres de faire ce qu'ils veulent, de décider, de torturer...
En vérité ce sont des fantomes, des morts vivants...
La littérature tout entière, abonde en objets du mal de cette espèce, mais ils ne viennent pas de la littérature - elle ne fait que les identifier, les isoler -, ils proviennent du monde.
Anna Maria ORTESE - Le Petit dragon, entretiens avec Bernard Simeone. Dans le recueil De veille
et de sommeil, p. 183.
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Le monde est un enfer à cause de ces hommes-là. et ce ne sont pas toujours les exlus de la société.
Il est des hommes intègres qui jouissent de la souffrance d' une bète,
et qui mentent lorsqu' ils affirment (science, labos) que cette souffrance est nécéssaire.
Il en va de meme pour les chasseurs et les marchands d' animaux.
Non moins atroce (et mystéreux) nous apparait le comportement de nombreux pères et mères, en Europe comme ailleurs.
Ces gens-là, que rien ne distingue apparemment des gens normaux, sont laissés libres de faire ce qu'ils veulent, de décider, de torturer...
En vérité ce sont des fantomes, des morts vivants...
La littérature tout entière, abonde en objets du mal de cette espèce, mais ils ne viennent pas de la littérature - elle ne fait que les identifier, les isoler -, ils proviennent du monde.
Anna Maria ORTESE - Le Petit dragon, entretiens avec Bernard Simeone. Dans le recueil De veille
et de sommeil, p. 183.
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bix_229- Messages : 15439
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Re: Anna Maria Ortese
"la lune sur le mur"
C'est aussi la nouvelle intitulée «Masa» qui m'a le plus retournée. Un tel enfermement de ces personnages qui survivent dans l'amour, l'amitié, enfuis. Aucune perspective sociale ne leur permet l'espérance d'une vie meilleure ; disparue elle aussi avec l'amour et l'amitié. La maison déménagée s'est aussi vidée des souvenirs.
«Terreurs d'été» :
«Conny et moi nous vous attendons» : cette courte phrase révèle dans cette nouvelle l'espoir d'une reconnaissance, d'un moment d'amitié pour la narratrice.
Toutefois le sentiment de solitude, de pauvreté s'étend à la vision de l'auteure sur l'Italie entière.
Je pense lire un autre livre de cette auteure mais je choisirai le moment pour le faire car les mots d'Anna maria Ortese sont lourds à entendre.
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mots-clés : #nouvelle
Dernière édition par Bédoulène le Dim 20 Aoû - 11:15, édité 1 fois
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21645
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Re: Anna Maria Ortese
«le murmure de Paris» merci Bix !
Un voyage à la fois déroutant et attachant, au moment où le plaisir de voir se terni de la peur d'en voir plus. Où le réel et le rêve se fondent, puis s'évadent tels les nuages dans les ciels, ces ciels que même les gris on regrette.
Et dans chacune de ces villes le regard de la passante qu'est la narratrice, s'arrête avec intérêt sur des personnages comme pour humaniser ces villes, ces lieux. L'amour et la compréhension de la Nature ressort aussi dans ses mots.
Reste un goût de rêve perdu en refermant ce livre, une envie de solitude pour découvrir ces lieux et se les raconter. La lettre de Nico Orengo rend encore plus attachante AMO, dans sa fragilité et malgré tout une volonté de s'accrocher :
«Et je dois croire en quelque chose»
extrait
mots-clés : #voyage
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Bédoulène- Messages : 21645
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Re: Anna Maria Ortese
(Italien: Poveri e simplici, Firenze, 1967)
La narratrice, Bettina, se souvient des « beaux jours » quand au début des années 50 elle vivait comme jeune femme dans une « commune », marquée par la gauche. Cette période est sous le signe de la pauvreté et la recherche constante de travail, mais aussi un moment de partage des mêmes idéaux. Elle essaie de travailler l’écriture et reçoit, un moment décisif pour elle et ses amis, un prix important. Puis une histoire d’amour prendra le dessus : d’abord dans la distance, avec un journaliste et qui au cours de deux ans deviendra une relation d’amour qui « date jusqu’à aujourd’hui ».
J’ai lu avec joie ce livre, un peu trop romantique à mon goût un moment donné. En cela il pourrait être de la plume d’une jeune fille. Mais le livre fut publié en 1967 et Ortese avait déjà ses 50 ans! J’ai fait une grande gaffe en regardant pendant la lecture dans une biographie de l’auteur. Là, elle disait que « Poveri e simplici » était son plus mauvais livre. Comment contredire un auteur ? Ou est-ce que cela parle alors pour la qualité des autres œuvres ? Surtout dans le premier aspect d’une vie communautaire, à la recherche permanente de travail, elle arrive à donner une image à cette époque, peut-être aussi à un part autobiographique. Et la critique de son pays fut pas d’accord avec son avis, car elle obtenait le Prix Strega.
Mots-clés : #amour #ecriture #social
tom léo- Messages : 1353
Date d'inscription : 04/12/2016
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Re: Anna Maria Ortese
merci Léo, il faut lire un autre de ses livres !
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21645
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Re: Anna Maria Ortese
Presque tous ses livres, Bédou, elle est géniale, A.M. Ortese !
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Anna Maria Ortese
Le murmure de Paris de Anna Maria Ortese
Il y a des doigts, c'est-à-dire des cheminées, et il y a des yeux et des oreilles, et les yeux et les oreilles ce sont les gentilles-jaunes fenêtres de Paris, dans le soir d'août, à l'écoute de toute chose, pleines d'un regard de passion pour toute chose. Et de la tête aux pieds de ces maisons-magiciennes, de ces maisons de l'autre monde -- le monde humain partout disparu --, crient, résonnent, chantent toutes les couleurs de l'écharpe d'Iris, toutes les couleurs qui sont dans l'arc-en-ciel de Paris. La plus forte en est la jaune ; comme il sied en l'honneur du gris, mais le rouge se montre à son tour à l'improviste aux rideaux des fenêtres et des magasins d'un immeuble-palais, un rouge laque, un rouge rubis, et soudain, d'un autre endroit de la rue -- de la place, du pont ou du bois --, des troupes de turquoises font mouvement à l'assaut du téméraire, épaulées par des verts et des violets qui se confondent, à la faveur de l'ombre avec le vert du fleuve. Depuis le lointain, depuis le fleuve, s'avancent des roses et des blancs, et bientôt la bataille des couleurs fait rage sur le Paris du crépuscule. C'est à ce moment-là qu'apparaissent ses réverbères de perle noire. p 34
Il y a des doigts, c'est-à-dire des cheminées, et il y a des yeux et des oreilles, et les yeux et les oreilles ce sont les gentilles-jaunes fenêtres de Paris, dans le soir d'août, à l'écoute de toute chose, pleines d'un regard de passion pour toute chose. Et de la tête aux pieds de ces maisons-magiciennes, de ces maisons de l'autre monde -- le monde humain partout disparu --, crient, résonnent, chantent toutes les couleurs de l'écharpe d'Iris, toutes les couleurs qui sont dans l'arc-en-ciel de Paris. La plus forte en est la jaune ; comme il sied en l'honneur du gris, mais le rouge se montre à son tour à l'improviste aux rideaux des fenêtres et des magasins d'un immeuble-palais, un rouge laque, un rouge rubis, et soudain, d'un autre endroit de la rue -- de la place, du pont ou du bois --, des troupes de turquoises font mouvement à l'assaut du téméraire, épaulées par des verts et des violets qui se confondent, à la faveur de l'ombre avec le vert du fleuve. Depuis le lointain, depuis le fleuve, s'avancent des roses et des blancs, et bientôt la bataille des couleurs fait rage sur le Paris du crépuscule. C'est à ce moment-là qu'apparaissent ses réverbères de perle noire. p 34
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Anna Maria Ortese
Anna Maria Ortese – lls balancent les livres les fusils les maisons les chapeaux
Les enfantsce sont des hommes petits et rien d’autre.
Les vrais enfants
ce sont des hommes fatigués d’être des hommes.
Fatigués d’être debout sur les années,
voici qu’ils veulent descendre.
Ils balancent les livres les fusils les maisons les chapeaux
les ornements les couteaux – absolument tout ! –
et ils jouent au moineau et au vent,
au si léger flocon de neige.
Ils jouent à mourir.
*
Gettano i libri i fucili le case i cappelli
I bambini
sono uomini piccoli, e nulla più.
I veri bambini
sono gli uomini stanchi di essere uomini.
Stanchi di stare in piedi sugli anni,
ora vogliono scendere giù.
Gettano i libri i fucili le case i capelli
gli ornamenti i coltelli – tutto ! –
giocano al passero al vento
al fiocco di neve si lieve,
giocano al morire
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Anna Maria Ortese
merci Bix !
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21645
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Anna Maria Ortese
Le Murmure de Paris
"Longtemps je me rappellerai ce bout de trottoir du boulevard de Clichy, cette faible lumière
d'été comme d'un été remémoré ou décrit, non pas véritable, et les couleurs, le trafic, les devantures des cafés,... et la verte procession des arbres, la troupe des nuages, desquels
pleut sur toutes choes, en meme temps que les rayons du soleil, une musique de joie,
de malaise, d'espérance confuse et obstinée.
Couleurs, couleurs, couleurs. Foule, foule, foule. Mouvement, soleil, musique...
Toutes les petites vitrines, les petites tasses et les balances dorées de la maison de poupée,
conservées jalousement par une fillette d'un autre temps, ont fait leur apparition sur ce
trottoir. Il y a du bazar, du village, du temple aux souvenirs dans l'air : une odeur de terroir,
de fete, de mauvais coups.
Vous vous rappelez, Dieu sait comment, les calendriers parfumés, aux jolies petites tetes
blondorées qu'on offrait à l'occasion de lointaines festivités." PP 14-15
Dans ce voyage parisien inspiré, les impressions d'Anna Maria Ortese se présentent sous la
forme d'un long panoramique, dont le personnage principal pourrait etre le ciel, avec en
desssous, des maisons.
Mais aussi cette vision fallacieuse mais pourtant tangible de déjà vu.
"Je commençai d'éprouver une sensation, due peut etre à la fatigue, à la veille, à la
nouveauté : comme si j'avais toujours été ici, et que ces choses je ne les voyais pas pour
la première fois, mais les retrouvais."
A chaque page ou presque, Anna Maria Ortese vient de débarquer et c'est ainsi, comme en
enfance qu'elle entre dans le mirage de sa démarche fragile et obstinée.
On a l'impression, et meme la certitude que le Paris qu'elle arpente n'existe que par et pour
elle.
C'est le Paris des Illuminés de Nerval. Et quels compagnons de voyage ils auraient fait !
Mais l'univers d'Ortese n'est pas peuplé que merveilles, il est aussi tissé d'angoisses et de
terreurs, de délires et presque de pertes de connaissance.
C'est le résultat d'un vécu malheureux, d'une hypersensibilité et surtout des dernières années
de misère, qui font qu'elle est partagée entre la noirceur du monde et la consolation des
enfants, des innocents et des animaux.
Ce livre est court, mais il met en évidence ses qualités de style et sa transfiguration du réel.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Des Choses à lire :: Lectures par auteurs :: Écrivains Italiens et Grecs
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