Dino Buzzati
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Dino Buzzati
(1906-1972)
Dino Buzzati Traverso, connu sous le nom de Dino Buzzati, né le 16 octobre 1906 à San Pellegrino di Belluno en Vénétie, mort le 28 janvier 1972 à Milan, est un journaliste (au Corriere della Sera), peintre et écrivain italien dont l'œuvre la plus célèbre est le roman intitulé Le Désert des Tartares. De son métier de journaliste lui vient l'habitude de chercher des thèmes et des récits de la vie quotidienne et d'en faire ressortir l'aspect insolite, parfois fantastique.
Dino Buzzati (le nom Traverso fut ajouté en 1917), est né à San Pellegrino di Belluno en Vénétie dans la maison familiale. Sa mère, vétérinaire, était originaire de Vénétie, son père était professeur de droit international et descendait d'une famille notoirement et anciennement connue de Belluno. Il est le deuxième d'une fratrie de quatre enfants. En 1924, il entame des études de droit à l'Université de Milan. Alors qu'il achève ses études, il est embauché par le journal milanais Corriere della Sera où il poursuit sa carrière journalistique jusqu'à la fin de sa vie. Il y débute comme correcteur et devient ensuite reporter, correspondant spécial, essayiste, éditeur et critique d'art.
La critique littéraire des œuvres de Buzzati souligne que son activité journalistique a influencé ses écrits dans la mesure où ses récits fantastiques sont rédigés dans un style très réaliste. Buzzati lui-même fait un commentaire à ce sujet : « Il me semble que le fantastique doit être aussi proche que possible du journalisme. Il ne s'agit pas de banaliser les choses, même si en fait il y a un peu de ça. Disons plutôt que l'efficacité d'une histoire fantastique est liée à l'emploi de mots et de paroles les plus simples et les plus concrets possible ».
Durant la Seconde Guerre mondiale, Buzzati est affecté comme journaliste correspondant de la Marine Royale italienne. À cette période, son roman Le Désert des Tartares, publié en 1940 en Italie, est un succès littéraire encensé par la critique et le fait accéder à la célébrité.
En 1964, il épouse Almerina Antoniazzi (1941-2015). Une année plus tôt est paru son roman Un amour, une de ses dernières œuvres. Dino Buzzati décède d'un cancer du pancréas en 1972. Informé depuis longtemps de la gravité de sa maladie, ses angoisses et ses interrogations s'expriment dans un de ses derniers écrits, Le Régiment part à l'aube, publié de façon posthume, où il évoque le temps qui passe et une fin inéluctable, deux thèmes récurrents dans son œuvre. Ses derniers écrits sont à cette occasion rédigés directement sur un agenda-calendrier.
Dino Buzzati est auteur de la phrase : « Dieu qui n'existe pas, je t'implore ». Bien que se disant non-croyant, il éprouve une fascination « pour la question du mystère et de l'au-delà ».
Courant littéraire
L'œuvre littéraire de Dino Buzzati renvoie pour une part à l'influence de Kafka par l'esprit de dérision et l'expression de l'impuissance humaine face au labyrinthe d'un monde incompréhensible, mais aussi au surréalisme comme dans ses contes où la connotation onirique est très forte. Son œuvre peut aussi être rapportée au courant existentialiste représenté par Jean-Paul Sartre dans La Nausée (1938) et Albert Camus dans L'Étranger (1942), pour ne citer que ces œuvres majeures contemporaines du Désert des Tartares. Enfin, ce roman au succès mondial qui décrit un « présent perpétuel et interminable ». Une sensibilité judéo-chrétienne empreinte de sympathie pour tous les humbles et les faibles, mais aussi de compassion pour la méchanceté elle-même (non sans révolte pour ses victimes toutefois - voir L'Œuf) s'en dégage très souvent.
Son œuvre picturale oscille entre surréalisme et peinture métaphysique. La série d'ex-voto imaginaires de l'album P.G.R. (Per Grazia ricevuta) en est un exemple par ses réalisations graphiques.
Oeuvres traduites en français :
- Spoiler:
- Romans
Bàrnabo des montagnes ; Page 1
In Bàrnabo des montagnes et le Secret du Bosco Vecchio.
Le Secret du vieux bois
Le Désert des Tartares : Page 1
L'Image de pierre
Un amour : Page 1
Contes
1942 : Les Sept Messagers
1945 : La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours
1953 : Sept étages
1954 : L'Écroulement de la Baliverna
Bande dessinée
1969 : Poème-bulles
Théâtre
1942 : Petite Promenade
1946 : La Révolte contre les pauvres
1955 : Un cas intéressant
1955 : La Fin tragique d'un musicien
1958 : Seule à la maison
1958 : Une fille arriva
1959 : L'Horloge
1959 : Les Fenêtres
1959 : Procédure pénale, livret
1960 : Un Ver au ministère
1960 : Le Manteau, théâtre, puis livret
1960 : Les Conseillers
1960 : Train aérien, livret
1962 : L'Homme qui ira en Amérique
1962 : La Colonne infâme
1962 : Spogliarello
1963 : Ils cognent à la porte, livret
1963 : C'était défendu, livret
1968 : La Fin du bourgeois
1968 : Le Règne de Noël
Nouvelles
1949 : Panique à la Scala : : Page 1
1956 : Le Chien qui a vu Dieu
1954 : Les Souris
1958 : recueil d'une soixantaine de nouvelles, L'Écroulement de la Baliverna, et Les Sept Messagers. Nous sommes au regret de...
1966 : Le K, recueil de textes
1966 : Les Sept Messagers, recueil de nouvelles
1967 : Pauvre petit garçon !, nouvelle et recueil
1971 : Les Nuits difficiles
1971 : Le Rêve de l'escalier
1972 : L'Homme et la Lune, recueil
Nouvelles posthumes :
1982 : Les Journées perdues
Le régiment part à l'aube
La Tirelire
Nouvelles étranges et inquiétantes : : Page 1
Nouvelles oubliées
Poésie
1965 : Le Capitaine Pic et autres poésies
1965 : Trois coups à la porte
1967 : Deux madrigaux
Autres œuvres
Chroniques terrestres, (articles journalistiques)
Chroniques de la Guerre Sur Mer
Mystères à l'italienne
Sur le Giro 1949 le duel Coppi-Bartali
màj le 27/09/2018
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
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Re: Dino Buzzati
«Un amour»
L'histoire : Un architecte Milanais, la cinquantaine, s'entiche d'une jeune fille de 20 ans qu'il rencontre dans la maison d'une mère-maquerelle où elle se prostitue.. Moyennant finance la JF accepte de le rencontrer plusieurs fois par semaine.
L'amour qu'il lui porte fait qu'il admet tout d'elle ; humiliations, manipulation et mensonges éhontés. C'est la descente en enfer pour lui, il ne vit que pour elle même s'il prend conscience que son attitude est indigne d'un homme de son milieu.
Après avoir avalé beaucoup de couleuvres, bon gré, mal gré, la preuve irréfutable de ses mensonges fait qu'il met la JF en demeure de se consacrer uniquement à lui. Une conversation avec une amie de la JF qui se prostitue aussi, lui fait prendre conscience de sa condition et de celle de la JF.
Après 2 mois d'éloignement, il relance la JF, leur relation reprend alors dans la sérénité car ils ont changé tous deux.
«Un jour très lointain la fillette regardait en l'air avec un petit sourire timide et malicieux ; le paquet est fermé - voulait-elle dire -, mais je suis maligne, je sais ce qu'il contient, je les connais toutes ces belles choses qui s'y trouvent. Voilà pourquoi elle souriait. Oh ! si elle avait pu savoir.
Maintenant la fillette n'existe plus depuis longtemps elle n'existe plus et une jeune fille se trouve à sa place en apparence une jeune fille qui n'est pas une jeune fille car elle est trop habituée aux jeux de l'amour, une femme se trouve à sa place une femme aux traits tirés qui regarde autour d'elle comme une petite bête traquée et fuit avec entêtement tout droit vers sa propre ruine.»
«Et Dorigo la désirait toujours davantage bien qu'elle ne lui appartint pas, bien qu'elle appartint à d'autres hommes inconnus, à une multitude d'autres hommes qu'il haïssait en s'efforçant de se les représenter : grands, désinvoltes, moustachus, au volant de voitures puissantes, qui la traitaient comme une chose esclave, comme une parmi tant d'autres à leur entière disposition, qui ne valait pas même la peine qu'on y pense, et au moment choisi, après une soirée au night-club, l'emmenaient d'un air blasé dans une chambre et ne la regardaient même pas tandis qu'elle se déshabillait, comme des satrapes de l'Antiquité, et s'en allaient pisser et se rincer les gencives à l'eau de dentifrice, assurés de la retrouver au lit, complètement nue et si l'envie leur en prenait ensuite, se faisant caresser les mamelons, et dans le meilleur des cas la faisait se plier, écarter les cuisses de ses bras, plonger leur visage sur leur bas-ventre, suprême complaisance aux yeux de ces mâles sélectionnés dotés de Ferrari et de yacht à Cannes, mais qui le lendemain matin, au golf de Monza, n'y feraient même pas la moindre allusion, une quelconque petite putain comme il y en a tant, rien de plus, rien de moins qu'une boisson prise dans une auberge de campagne où l'on s'arrête au cours d'un long voyage en auto décapotable, sous le soleil, uniquement pour apaiser sa soif et puis en route !»
«Dans son savoir de femme, stupéfiant à cet âge, elle avait dit : non, sans moi tu n'es pas capable de vivre. Et je ne suis parvenu à rien répondre j'aurais pu rétorquer de cent façons hautaines, cinglantes ou spirituelles au contraire je n'ai rien répondu une fois encore j'étais vaincu, elle m'avait défait, cette fillette me tenait entre ses mains petites, délicates, gentilles, douces, terribles mains mais elle ne serrait pas, elle avait eu juste une minuscule contraction, de quoi seulement me faire comprendre que, si elle avait serré, elle me brisait en deux, mais elle ne serrait pas elle ne souriait pas même, tant cela était tellement naturel et simple pour elle, ce n'était même pas un jeu c'était pour elle la chose la plus naturelle au monde, un moment quelconque de sa vie de femme, qui s'élevait pendant un temps avec une irréfutable puissance.»
Ce que j'en pense : avec justesse et en décrivant les pensées du personnage principal l'auteur nous fait vivre la descente en enfer de cet amour avec son cortège d'espoir, de désillusions, d'attentes,de turpitude. Ce récit est aussi une réflexion sur la prostitution de jeunes filles ; sur la situation sociale ; sur les relations des hommes avec ces jeunes filles qu'ils considèrent tels des objets destinés à leur plaisir et dont ils peuvent disposer. L'écriture et les personnages ont beaucoup de consistance.
mots-clés : #amour
Dernière édition par Bédoulène le Lun 25 Déc - 8:21, édité 1 fois
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Re: Dino Buzzati
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Re: Dino Buzzati
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Re: Dino Buzzati
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Re: Dino Buzzati
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Re: Dino Buzzati
Originale : Paura alla Scala (Italien, 1949)
CONTENU :
Quelque chose se trame. Les invités pour la Première à la Scala de Milan d'un grand (?) œuvre moderniste – qui oseraient y douter ? - sont en fête, mais il y a des rumeurs de rebellions dans la ville. Est-ce que les « Morcistes » vont vouloir prendre le pouvoir ? Lentement des rumeurs s'amplifient et trouvent da nourriture dans la présence d'un tel ou d'un tel, dans les bruits et nouvelles qui arrivent du dehors via des gens « bien informés ». Après le spectacle la Scala se transforme en camp de retranchement dans un état exceptionnel, voir une presque captivité. Le matin, d'un coup, ce spectacle sans fondements s'écroule et la vie peut reprendre...
REMARQUES :
Je dois avouer que pendant les premiers pages je ne voyais pas très bien vers où ce récit et Buzzati pourraient bien nous mener : Une première se profile à l'horizon de la soirée et on est introduit à quelques personnages : le componiste de l'oeuvre, un ancien dirigent etc... On accompagne ce dernier qui croit discerner ci et là des vagues menaces. Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que son fils est menacé ? Est-ce que le groupe des « morcistes » veulent s'accaparer du pouvoir ?
Tout l'opéra et ses visiteurs deviennent une proie à des telles questions et des tels soupçons. On interprète, on semble voir des signes indubitables etc.... et quand la première prendra fin les commentaires sont rapidemment à la question : Quoi faire maintenant ? On ne pourra pas rentrer à la maison ! On a entendu parler des forces qui s'avancent ! Voir des executions ! Peu à peu des gens s'isolent, forment des groupes, préparent en tout oppurtunisme le terrain : Ah, à vrai dire on faisait toujours parti de ces groupes... Et si on s'alliait quand ils arrivent ? Juste quelques personnes restent calmes ou resolues : surtout une femme de conviction.
Et c'est en ces dernières trente pages que Buzzati menent la danse, nous montre l'homme dans sa fuite devant la menace, et son rapide ralliement à la (mauvaise?!) cause. Et pourtant : pourquoi tant de vacarme ? Est-ce qu'il y a, est-ce qu'il y avait des vraies raisons de s'alarmer, où est-ce que c'est un processus d'inquiétude grandissante « sans raisons » ?
Splendide !
mots-clés : #nouvelle
tom léo- Messages : 1353
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Re: Dino Buzzati
Bonne journée au passage!
Bulle- Messages : 50
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Re: Dino Buzzati
« Vieillesse est la dernière saison de la vie, non ? celle qui précède la mort, l'antichambre du trépas, accompagnée d'une décadence physique plus ou moins marquée. […] Donc l'âge, à strictement parler, n'a pas d'importance. »
Dino Buzzati, « Les vieux clandestins », in « Le rêve de l'escalier »
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15923
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Re: Dino Buzzati
oui le désert des tartares à jamais ancré en moi, peut-être parce que j'en ai fait la lecture à un âge où le temps compte beaucoup !
ce que j'en disais à l'époque :
"Le désert des tartares
Je viens de refermer la dernière page du livre "le désert des Tartares" !
Je crois que cet admirable livre ne devrait être lu que par des personnes jeunes, car pour moi qui suis à la saison Automne je suis bouleversée par la justesse des mots, des sentiments. A vif je sors de cette lecture, façon de dire car j'ai l'impression d'être sur la dernière redoute à regarder le Nord en ayant la peur d'espérer.
La fuite inexorable du temps nous est à tous réservée mais nous ne l'appréhendons pas tous de la même manière.
Le sourire de Drogo est un sourire de dignité, la réponse d'un Homme qu'on renvoit alors même que l'espoir qui l'a guidé toute sa vie se concrétise."
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Bédoulène- Messages : 21622
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Re: Dino Buzzati
Nouvelles inquiètes
L'écriture est toujours aussi prenante. Moraliste ou moralisateur, qu'importe si ses propos sont étayés et ils le sont judicieusement.
Je ne sais quel rapport entretenait l'écrivain avec la religion, dommage, mais on retrouve dans ces nouvelles les péchés capitaux. J'apprécie moins les nouvelles surnaturelles, paranormales.
l'ensemble des nouvelles est sombre, inquiétant, parfois oppressant ! Notamment les distorsions et la course du temps.
La face noire de l'Homme est appuyée (Happening à Sparte, les hypocrites....), mais aussi son impuissance devant sa destinée (Partir ?).
mon prochain, dans quelques temps, encore trop impreignée, "panique à la Scala"
(message rapatrié)
mots-clés : #nouvelle
Dernière édition par Bédoulène le Sam 28 Avr - 15:04, édité 1 fois
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Bédoulène- Messages : 21622
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Re: Dino Buzzati
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Tristram- Messages : 15923
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Re: Dino Buzzati
me reste le souvenir d'une nouvelle que j'avais beaucoup appréciée : se rapportant à un chien méchant (Tronk peut-être)
En fait si "le désert des tartares" me hante encore, c'est que l' image, la fonction du Temps chez Buzzati est d'une justesse inquiétante, du moins pour moi.
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Bédoulène- Messages : 21622
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Re: Dino Buzzati
Nadine- Messages : 4882
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 49
Re: Dino Buzzati
arrivent, sont là.
Alors que dans le Rivages des Syrtes ou Dans les falaises de marbre, l' essentiel
est dans l' attente et dans ce que les assiégés imaginent.
Et c' est leur principale interet.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
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Re: Dino Buzzati
Bref roman (ou novella), le premier publié par Buzzati, et propre à ravir ceux qui ont apprécié Le Désert des Tartares.
Bàrnabo, un des gardes forestiers commis à la surveillance d’une poudrière perdue dans les montagnes, évite par peur et lâcheté un affrontement avec de mystérieux brigands. Il est renvoyé, et revient cinq ans plus tard affronter son destin dans ce lieu vertigineux et fascinant.
Histoire à la limite de l’irréel (et de l’absurde, de l’étrange ; c’est pratiquement du réalisme magique), elle est austère comme la montagne.
- Divulgâchage:
- Le dénouement évite le drame, comme dans Le Désert des Tartares.
Comme pour les autres livres de Buzzati, prétendre le résumer ou le penser objectivement enlèverait assurément la part indicible qui en fait de la littérature.« Il semble que le temps n’en finisse jamais de passer, pourtant il fuit comme le vent. »
Je proposerais bien le mot-clé "fantastique", mais il pourrait légitimement être jugé inapproprié, et surtout induire en erreur le lecteur intéressé…
mots-clés : #fantastique #solitude
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Tristram- Messages : 15923
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Dino Buzzati
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Keep on keeping on...
Re: Dino Buzzati
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Tristram- Messages : 15923
Date d'inscription : 09/12/2016
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Re: Dino Buzzati
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Bédoulène- Messages : 21622
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Re: Dino Buzzati
Incipit :
Il n’éprouve pas l’enthousiasme attendu. La distance semble extensible jusqu’au fort qui « n'a jamais servi à rien », placé sur « un bout de frontière morte », face au légendaire désert des Tartares, comme le lui apprend le capitaine Ortiz, qu’il rencontre en chemin. Le fort lui apparaît enfin, rien moins qu’hospitalier. Sa première impression est celle d’un lieu de « renoncement ». Le désert septentrional n’est qu’une étendue de cailloux, qui donne à Drogo une impression de déjà-vu ; le lointain est dérobé par une brume où certains ont cru apercevoir autre chose. Drogo se sent seul ; dès son arrivée il a voulu repartir, ne pas rester captif du fort. Le sergent-major Tronk, vingt-deux ans de service au fort, lui détaille le système absurde des mots de passe.« Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d'être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation. »
Il a consenti de rester quatre mois au fort, craignant d’y perdre ses jeunes années.« Dans ce fort, le formalisme militaire semblait avoir créé un chef-d’œuvre insensé. Des centaines d'hommes pour garder un col par lequel ne passerait personne. »
« Les soldats étaient semblables à des statues, leurs visages militairement inexpressifs. Non, ils ne se préparaient certes pas aux monotones tours de garde ; avec ces regards de héros, on eût certes dit qu'ils allaient attendre l'ennemi. »
Les occupants du fort semblent y rester malgré eux ; le vieux colonel Filimore qui le commande :« …] cette nuit-là justement, commençait pour lui l'irréparable fuite du temps. »
« Alors, on sent que quelque chose est changé, le soleil ne semble plus immobile, il se déplace rapidement ; hélas ! on n'a pas le temps de le regarder que, déjà, il se précipite vers les confins de l'horizon, on s'aperçoit que les nuages ne sont plus immobiles dans les golfes azurés du ciel, mais qu'ils fuient, se chevauchant l'un l'autre, telle est leur hâte ; on comprend que le temps passe et qu'il faudra bien qu'un jour la route prenne fin. »
Drogo, au terme des quatre mois, décide subitement de rester dans le fort qui lui paraît immense, dans l’attente.« Il s'est mis en tête que le fort est très important et que quelque chose doit arriver. »
« C'est du désert du Nord que devait leur venir leur chance, l'aventure, l'heure miraculeuse qui sonne une fois au moins pour chacun. À cause de cette vague éventualité qui, avec le temps, semblait se faire toujours plus incertaine, des hommes faits consumaient ici la meilleure part de leur vie. »
Un cheval apparaît devant la Nouvelle Redoute (position avancée qui seule permet de découvrir l’étendue du désert, dont seul un « petit triangle » est visible du fort à cause des montagnes qui se trouvent devant), et un soldat va le prendre, croyant que c’est le sien ; il est abattu en revenant, car il ignorait le mot de passe. Puis apparaît une troupe armée, et le colonel Filimore doute de voir se réaliser son vieil espoir ; effectivement, ce n’est qu’une expédition destinée à délimiter la zone frontière non encore reconnue. Le lieutenant Angustina, ami de Drogo qui en avait eu un rêve prémonitoire, meurt par bravade lors de la compétition pour un sommet : il est perçu comme un héros.« …] il, y avait déjà en lui la torpeur des habitudes, la vanité militaire, l'amour domestique pour les murs quotidiens. Au rythme monotone du service, quatre mois avaient suffi pour l'engluer. »
« Toutes ces choses étaient désormais devenues siennes et les quitter lui eût fait de la peine. Drogo, pourtant, ne savait pas cela, il ne soupçonnait pas l'effort que lui eût coûté son départ, ni que la vie du fort engloutissait les jours l'un après l'autre, des jours tous pareils, avec une vitesse vertigineuse. Hier et avant-hier étaient semblables, il n'était plus capable de les distinguer l'un de l'autre ; un événement vieux de trois jours ou de vingt jours finissait par lui sembler également lointain. Ainsi, se déroulait à son insu la fuite du temps. »
« Un pressentiment – ou bien était-ce seulement un espoir ? – de choses nobles et grandes l'avait fait rester là, mais ce pouvait aussi être seulement un ajournement, rien au fond n'était perdu. Il avait tellement de temps devant lui. Tout ce que la vie avait de bon semblait l'attendre. Quel besoin y avait-il de se hâter ? Les femmes, elles-mêmes, ces aimables et lointaines créatures, il se les représentait comme un bonheur certain, que lui promettait formellement le cours naturel de la vie. »
« C'était l'heure de l'espoir, et il se redisait les héroïques faits d'armes qui probablement ne se réaliseraient jamais, mais qui servaient pourtant à donner le courage de vivre. Parfois, il se contentait de beaucoup moins, il renonçait à être le seul héros, il renonçait à la blessure, il renonçait même au roi qui le félicitait. Au fond, une simple bataille lui eût suffi, une seule bataille, mais sérieuse, charger en grande tenue et pouvoir sourire en se précipitant vers les visages fermés des ennemis. Une bataille, et ensuite, peut-être, il eût été content toute sa vie. »
Drogo bénéficie d’une permission de quatre mois, pendant laquelle il est déçu, et se sent devenu étranger à la vie qui continue sans lui.
Drogo considère comme une injustice le fait qu’on ne lui ait pas signalé qu’il devait faire une demande pour bénéficier d’une mutation, et retourne au service du fort ; il s’interroge sur son avenir.« Drogo savait qu’il aimait encore Maria et qu’il aimait aussi le monde où elle vivait : mais toutes les choses qui alimentaient sa vie d’autrefois étaient devenues lointaines, un monde étranger où sa place avait été aisément occupée. Et ce monde, il le considérait désormais du dehors, encore qu’avec regret ; y rentrer l’eût mis mal à l’aise. Des visages nouveaux, des habitudes différentes, des plaisanteries nouvelles, de nouvelles façons de palier auxquelles il n’était pas habitué : ce n’était plus là sa vie, il avait pris une autre route, revenir en arrière serait stupide et vain. »
Au fort, l’effectif est diminué de moitié, l’état-major ne croyant plus à une menace venue du Nord, et la garnison n’y croit plus non plus après les fausses alertes.« S’il n’était qu’un homme quelconque à qui ne revient, de droit, qu’un médiocre destin ? »
Drogo réalise qu’en fait il n’a jamais eu le choix de partir selon son gré, comme on le lui avait promis. Il lui semble que le cours du temps s’accélère, et une sourde inquiétude l’habite comme le renoncement aux « grandes espérances » se généralise.« Il semblait évident que les espoirs de jadis, les illusions guerrières, l’attente de l’ennemi du Nord, n’avaient été qu’un prétexte pour donner un sens à la vie. Maintenant qu’il y avait la possibilité de retourner à la vie civile, ces histoires paraissaient des rêves d’enfants, personne ne voulait admettre y avoir cru, et l’on n’hésitait plus à en faire des gorges chaudes. Ce qui importait, c’était de s’en aller. »
Le lieutenant Simeoni a observé avec sa longue-vue personnelle des taches et des lumières en bordure de la brume septentrionale ; il pense qu’il s’agit des travaux d’une route qui s’approche. Mais l’état-major interdit les longues-vues non réglementaires (celles dont dispose l'armée sont médiocres), et son espoir est retiré à Drogo.« Depuis quelque temps, en effet, une angoisse qu’il ne parvenait pas à définir le poursuivait sans trêve : l’impression qu’il n’arriverait pas à temps, l’impression que quelque chose d’important allait se produire et le prendrait à l’improviste. »
Cependant, quinze ans plus tard, la route est parvenue à proximité des remparts.« Cependant, le temps passait, toujours plus rapide ; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s’arrêter même un seul instant, même pas pour jeter un coup d’œil en arrière. « Arrête ! Arrête ! » voudrait-on crier, mais on se rend compte que c’est inutile. Tout s’enfuit, les hommes, les saisons, les nuages ; et il est inutile de s'agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d’un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné dans ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s’arrête jamais.
De jour en jour, Drogo sentait augmenter cette mystérieuse désagrégation, et en vain cherchait-il à s’y opposer. Dans la vie uniforme du fort, les points de repère lui faisaient défaut et les heures lui échappaient avant qu’il eût réussi à les compter. »
« Peu à peu, sa confiance diminuait. Il est difficile de croire à quelque chose quand on est seul et que l’on ne peut en parler avec personne. Juste à cette époque, Drogo s’aperçut à quel point les hommes restent toujours séparés l’un de l’autre, malgré l’affection qu’ils peuvent se porter ; il s’aperçut que, si quelqu’un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l’en décharger si légèrement que ce soit ; il s’aperçut que, si quelqu’un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c’est cela qui fait la solitude de la vie. »
La scène initiale de la rencontre avec Ortiz se rejoue – mais cette fois ce n’est plus lui le néophyte.« Hélas ! il ne ressent pas de grand changement, le temps a fui si rapidement que son âme n’a pas réussi à vieillir. Et l’angoisse obscure des heures qui passent a beau se faire chaque jour plus grande, Drogo s’obstine dans l’illusion que ce qui est important n’est pas encore commencé. Giovanni attend, patiemment, son heure qui n’est jamais venue, il ne pense pas que le futur s’est terriblement raccourci, que ce n’est plus comme jadis quand le temps à venir pouvait lui sembler une immense période, une richesse inépuisable que l’on ne risquait rien à gaspiller. »
« Non, physiquement, Drogo n’est pas diminué, s’il voulait recommencer à faire du cheval et à grimper à toute vitesse les escaliers, il en serait parfaitement capable, mais ce n’est pas là ce qui importe. Ce qui est grave, c’est qu’il n’en éprouve plus l’envie, c’est qu’après le déjeuner il préfère faire une petite sieste au soleil plutôt que de se promener sur le plateau pierreux. C’est cela qui compte, cela seul marque le passage des années. »
Ortiz part à la retraite.« Et à quarante ans passés, sans avoir rien fait de bon, sans enfants, vraiment seul au monde, Giovanni regardait autour de lui avec effroi, sentant décliner son propre destin. »
Plus de trente ans après son arrivée, Drogo est directement sous les ordres du nouveau commandant du fort, le lieutenant-colonel Simeoni, lorsqu’il tombe malade. Les forces armées du Nord s’approchent, et il est renvoyé en ville : en ce qui le concerne, il est trop tard pour « moissonner de la gloire ». Plus seul que jamais, il se prépare à affronter la mort avec courage dans une chambre d’auberge de passage.« Maintenant, dit Drogo, la vie va changer pour moi. Je voudrais bien partir, moi aussi. J’ai presque envie de donner ma démission.
- Tu es encore jeune ! dit Ortiz. Ce serait une idiotie, tu as encore le temps !
- Le temps de quoi faire ?
- La guerre. Tu verras, avant deux ans...
Ortiz disait cela, mais en lui-même il espérait le contraire : en réalité, il souhaitait que Drogo s’en allât comme lui, sans avoir eu sa grande chance ; cela lui eût semblé une chose injuste. (Et pourtant, il avait de l’amitié pour Drogo et lui voulait tout le bien du monde.) […]
Et, bien que telles fussent ses paroles, ce qu’il pensait au fond de lui-même était tout autre : absurde, inattaqué par les années, se maintenait en lui, depuis sa jeunesse, cet obscur pressentiment de choses fatales, une profonde certitude que ce que la vie avait de bon n’avait pas encore commencé. »
L’existence de Drogo se résume à une seule attente, un seul espoir, qui est, assez absurdement, la bataille, la guerre, cette sorte de finalité du soldat (livre paru en 1940).
Dans une langue simple, claire, factuelle, "plate", apparemment au premier degré, ce texte obsédant et emblématique n’a pas perdu de sa puissance depuis ma lointaine première lecture.
Et merci à Fancioulle pour m’avoir suggéré cette relecture !
\Mots-clés : #absurde
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