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Flâneries urbaines

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Message par Jack-Hubert Bukowski Mar 17 Sep - 9:28

J'ai remarché encore par le même bout... j'ai compris que ce que nous ressentons dans le moment présent conditionne beaucoup l'état de notre flânerie et l'acuité de nos perceptions. Il nous faut gré de savoir accepter que nous percevons les choses différemment d'un instant à l'autre.
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Message par Bédoulène Mar 17 Sep - 17:51

tu as tout à fait raison Jack, nous sommes multiple donc chaque moment est unique.

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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 28 Fév - 10:18

J'ai un texte à vous livrer en vrac qui vient de la sommité des flâneries littéraires au Québec, André Carpentier. J'aimerais tellement qu'il aie écrit un livre théorique sur le sujet mais bon, ça se prend...

http://oic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/oic1/am_carptentier_etre.pdf
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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 28 Fév - 10:22

Voici un extrait qui parle :

Il  est  des  lieux  publics,  des  lieux  communs,  où  la  vie  quotidienne  s’expose,  au moins partiellement, des rues, des ruelles, des cafés, des gares, des parcs, tous lieux qui intéressent  le  flâneur,  car  s’y  multiplient  les  exemples  les  plus  variés  d’une  recherche d’harmonie  relative,  avec  les  résistances,  les  renoncements,  les  engagements  que  cela suggère,   les   tiraillements,   les   distractions...   Car   chacun   déploie   son   propre   mode d’adaptation,  et  les  critères  qui  déterminent  ce  mode  sont  sans  cesse  à  renégocier,  à réaffirmer dans le quotidien. Et chacun agit dans sa propre et relative clandestinité. Or, le flâneur, tel que je le comprends, ou devrais-je dire tel que je suis engagé à l’être, postule qu’une  rumeur  témoigne  de  cette  clandestinité  individuelle.  Il  en  recherche  l’écho  et l’aspect  tragique –  postmodernité  oblige. Ses  glanures  prennent  la  forme  d’un  bricolage d’impressions,  de  descriptions,  de  micro-récits.  La  configuration  fragmentaire  typique des  notes  de  terrain  est  sa  façon  initiale  de  composer  avec  la  multiplicité  et  avec  la disparité. Le flâneur écrit en évocation plus ou moins directe ou différée, en une forme de récit  plus  ou  moins  immédiate  ou  rétrospective,  tiraillé  entre  l’événement  vécu  et l’événement de l’écriture. La vision fracassée qui en résulte inscrit de la rupture dans la continuité  perceptive  et crée  de  la  pensée  interrompue.  Cette  forme  tout  à  la  fois  rend compte de la diversité et témoigne de l’impuissance du flâneur à tout saisir d’un bloc, et même de son refus de synthèse et d’illusion de complétude.

J'en ajoute un autre :

Je propose de penser le corps et le langage par leur capacité à produire des alliances fortuites avec l’espace humain. Le flâneur est en effet destiné à se présenter de corps et de langage dans des réseaux spatiaux, chaque fois comme une nouvelle pièce du vaste puzzle du monde, et chaque fois comme une occasion unique. Le moment y figurant alors, dans son piétinement, comme atome de durée et comme état de conscience. Ces réseaux spatiaux, le flâneur en fait, tout autant qu’un territoire rhizomatique d’observation, la place mouvante d’où prendre discrètement la parole au milieu de la foule agissante. L’approche du flâneur consiste ainsi à se présenter en être parmi les êtres tout en maintenant une vigilance flottante quant aux choses du quotidien. J’entends un genre de vigilance qui suspend la pensée programmée et qui rend le flâneur disponible au monde ambiant, généralement sans les ressources de l’analyse spécialisée, juste en se mettant en présence des choses et en laissant œuvrer la sensation. Cela exige une forme de détachement proche du lâcher prise, doublée d’une mise à nu des sens, ordinairement la vue et l’ouïe en premier. Certes, le flâneur n’est jamais parfaitement détaché de toute visée exploratoire, mais il refuse d’y sacrifier sa liberté de musarder. En fait, le flâneur hésite sans cesse entre serrer au plus près le factuel et pratiquer une forme de détachement critique, qui sont les deux pôles attractifs de sa présence sensible.
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Message par Bédoulène Ven 28 Fév - 10:59

je relève "clandestinité individuelle"

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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 28 Fév - 11:32

Un autre extrait :

C’est dans cet esprit qu’on repère le mieux ces individus en échappée, qui, seuls ou en grappe, tendent à produire une vie humaine singulière au sein de la norme et de la vie quotidienne, qui est aussi une vie partagée. Leur paradoxe est le détournement dans l’attachement à la règle et au quotidien. Ces marginaux, ces flâneurs à temps plein dont je parle, donnent en sourdine le spectacle d’un usage de soi, dans l’ordinaire des jours, qui leur permet de créer une cohérence pour soi tout en se maintenant dans le registre des règles communes et dans le courant de la quotidienneté. Ils résistent aux usages répétitifs, à l’émiettement du quotidien, au trop peu de sens de l’agir ordinaire, par des inventions, des astuces, des ruses, des détournements, des insoumissions et autres conduites tactiques «articulées sur des “détails” du quotidien». Ces personnages donnent l’exemple d’un agir qui permet de se réapproprier l’espace organisé, ainsi que ses usages. Ils s’inventent un devenir en œuvrant à leur adaptation sans nuire à quiconque et en n’étant pareil à personne, bien qu’adhérant au contingent social. J’exagère peut-être, mais il me semble distinguer, dans l’exhibition de ce démarquage mesuré, d’infimes et négligeables traces, mais destraces quand même, d’une procédure de régénération de la vie quotidienne et des normes du vivre ensemble.
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Message par Aventin Dim 18 Avr - 6:52

De Léon-Paul Fargue, recueil Sous la lampe, 1929.

Juste magnifique et saisissant, langueur du rythme, traces de rimes, cicatrices d'assonances...
Allez fuse, poème, fuse...




La gare


À Arthur Fontaine



Gare de la douleur j’ai fait toutes tes routes.

Je ne peux plus aller, je ne peux plus partir.

J’ai traîné sous tes ciels, j’ai crié sous tes voûtes.

Je me tends vers le jour où j’en verrai sortir

Le masque sans regard qui roule à ma rencontre

Sur le crassier livide où je rampe vers lui,

Quand le convoi des jours qui brûle ses décombres

Crachera son repas d’ombres pour d’autres ombres

Dans l’étable de fer où rumine la nuit.



Ville de fiel, orgues brumeuses sous l’abside

Où les jouets divins s’entrouvrent pour nous voir,

Je n’entends plus gronder dans ton gouffre l’espoir

Que me soufflaient tes chœurs, que me traçaient tes signes,

À l’heure où les maisons s’allument pour le soir.



Ruche du miel amer où les hommes essaiment,

Port crevé de strideurs, noir de remorqueurs,

Dont la huée enfonce sa clef dans le cœur

Haïssable et hagard des ludions qui s’aiment,

Torpilleur de la chair contre les vieux mirages

Dont la salve défait et refait les visages,

Sombre école du soir où la classe rapporte

L’erreur de s’embrasser, l’erreur de se quitter,

Il y a bien longtemps que je sais écouter

Ton écluse qui souffre à deux pas de ma porte.



Je suis venu chez toi du temps de ma jeunesse.

Je me souviens du cœur, je me souviens du jour

Où j'ai quitté sans bruit pour surprendre l'amour

Mes parents qui lisaient, la lampe, la tendresse

Et ce vieux logement que je verrai toujours.

Sur l'atlas enfumé, sur la courbe vitreuse,

J'ai guidé mon fanal au milieu de mes frères.

Les ombres commençaient le halage nocturne.



Le mètre, le ruban filaient dans leur poterne

Les hommes s'enroulaient autour d'un dévidoir

La boutique, l’enclume à l’oreille cassée,

La forge qui respire une dernière prise,

La terrasse qui sent le sable et la liqueur

Rougissaient par degré sur le livre d’images

Et gagnaient lentement leur place dans l’église.

Un tramway secouait en frôlant les feuillages

Son harnais de sommeil dans les flaques des rues.



L’hippocampe roulait sa barque et sa lanterne

Sur les pièges du fer et sur les clefs perdues.

Il y avait un mur assommé de traverses

Avec un bec de gaz tout taché de rousseur

Où fusait tristement les insectes des arbres

Sous le regard absent des éclairs de chaleur.



L’odeur d’un quartier sombre où se fondent les graisses

Envoyait gauchement ses corbeaux sur le ciel.

Une lampe filait dans l’étude du soir.

Une cour bruissait dans son gâteau de miel.

Une vitre battait comme un petit cahier

Contre le tableau noir où la main du vieux maître

Posait et retirait doucement les étoiles.

Les femmes s’élançaient comme des araignées

Quand un passant marchait sur le bord de leur toile.

Les grands fonds soucieux bourbillaient de plongeurs

Que le masque futur cherchait comme il me cherche

Le présage secret qui chasse sur les hommes

Nageait d’un peu plus près sur ma tête baissée.



Je me suis retrouvé sous la terrasse des vitres

Dans les plants ruisselants, les massifs des visages

Scellés du nom, de l’âge et du secret du coffre,

Du nécessaire d’os et du compas de chair,

En face du tunnel où se cache la fée

De l’aube, qui demain vendra ses madeleines

Sur un quai somnolent tout mouillé de rosée

Dans le bruit du tambour, dans le bruit de la mer.



J’ai longé tout un soir tes grands trains méditants,

Triangles vigilants, braises, bielles couplées,

Sifflets doux, percement lointain des courtilières

Cagoules qui clignez bassement par vos fentes,

Avec deux passants noirs penchés sur la rambarde

Au–dessus du fournil du pont de la Chapelle

Où le guerrier déchu qui mène les hommes

Encrasse son panache avec un bruit de chaînes,

Et le grand disque vert de la rue de Jessaint,



Gare de ma jeunesse et de ma solitude

Que l’orage parfois saluait longuement,

J’aurai longtemps connu tes regards et tes rampes,

Tes bâillements trempés, tes cris froids, tes attentes,

J’ai suivi tes passants, j’ai doublé tes départs,

Debout contre un pilier j’en aurai pris ma part

Au moment de buter au heurtoir de l’impasse,

À l’heure qu’il faudra renverser la vapeur

Et que j’embrasserai sur sa bouche carrée

Le masque ardent et dur qui prendra mon empreinte

Dans le long cri d’adieu de tes portes fermées



\Mots-clés : #poésie #urbanité #xxesiecle
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Message par Tristram Dim 18 Avr - 12:59

Aventin a écrit:Juste magnifique et saisissant, langueur du rythme, traces de rimes, cicatrices d'assonances...
Tout à fait ça.

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Message par Jack-Hubert Bukowski Jeu 22 Avr - 11:07

J'avoue qu'il est assez évocateur ce poème, Aventin... Smile Léon-Paul Fargue fait partie des destinations à lesquelles j'ai l'intention de revenir...
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Message par Jack-Hubert Bukowski Jeu 6 Mai - 10:57

Je viens de trouver un autre article d'André Carpentier. Je pense ouvrir un fil sur lui bientôt. Je traîne dans ma lecture, mais je la repose car elle est monumentale à sa façon...

http://oic.uqam.ca/fr/system/files/garde/33/documents/cf18-7-carpentier-flaner_observer_ecrire.pdf
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