Flâneries urbaines
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Re: Flâneries urbaines
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Flâneries urbaines
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21652
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Re: Flâneries urbaines
http://oic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/oic1/am_carptentier_etre.pdf
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Flâneries urbaines
Il est des lieux publics, des lieux communs, où la vie quotidienne s’expose, au moins partiellement, des rues, des ruelles, des cafés, des gares, des parcs, tous lieux qui intéressent le flâneur, car s’y multiplient les exemples les plus variés d’une recherche d’harmonie relative, avec les résistances, les renoncements, les engagements que cela suggère, les tiraillements, les distractions... Car chacun déploie son propre mode d’adaptation, et les critères qui déterminent ce mode sont sans cesse à renégocier, à réaffirmer dans le quotidien. Et chacun agit dans sa propre et relative clandestinité. Or, le flâneur, tel que je le comprends, ou devrais-je dire tel que je suis engagé à l’être, postule qu’une rumeur témoigne de cette clandestinité individuelle. Il en recherche l’écho et l’aspect tragique – postmodernité oblige. Ses glanures prennent la forme d’un bricolage d’impressions, de descriptions, de micro-récits. La configuration fragmentaire typique des notes de terrain est sa façon initiale de composer avec la multiplicité et avec la disparité. Le flâneur écrit en évocation plus ou moins directe ou différée, en une forme de récit plus ou moins immédiate ou rétrospective, tiraillé entre l’événement vécu et l’événement de l’écriture. La vision fracassée qui en résulte inscrit de la rupture dans la continuité perceptive et crée de la pensée interrompue. Cette forme tout à la fois rend compte de la diversité et témoigne de l’impuissance du flâneur à tout saisir d’un bloc, et même de son refus de synthèse et d’illusion de complétude.
J'en ajoute un autre :
Je propose de penser le corps et le langage par leur capacité à produire des alliances fortuites avec l’espace humain. Le flâneur est en effet destiné à se présenter de corps et de langage dans des réseaux spatiaux, chaque fois comme une nouvelle pièce du vaste puzzle du monde, et chaque fois comme une occasion unique. Le moment y figurant alors, dans son piétinement, comme atome de durée et comme état de conscience. Ces réseaux spatiaux, le flâneur en fait, tout autant qu’un territoire rhizomatique d’observation, la place mouvante d’où prendre discrètement la parole au milieu de la foule agissante. L’approche du flâneur consiste ainsi à se présenter en être parmi les êtres tout en maintenant une vigilance flottante quant aux choses du quotidien. J’entends un genre de vigilance qui suspend la pensée programmée et qui rend le flâneur disponible au monde ambiant, généralement sans les ressources de l’analyse spécialisée, juste en se mettant en présence des choses et en laissant œuvrer la sensation. Cela exige une forme de détachement proche du lâcher prise, doublée d’une mise à nu des sens, ordinairement la vue et l’ouïe en premier. Certes, le flâneur n’est jamais parfaitement détaché de toute visée exploratoire, mais il refuse d’y sacrifier sa liberté de musarder. En fait, le flâneur hésite sans cesse entre serrer au plus près le factuel et pratiquer une forme de détachement critique, qui sont les deux pôles attractifs de sa présence sensible.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Flâneries urbaines
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Bédoulène- Messages : 21652
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Re: Flâneries urbaines
C’est dans cet esprit qu’on repère le mieux ces individus en échappée, qui, seuls ou en grappe, tendent à produire une vie humaine singulière au sein de la norme et de la vie quotidienne, qui est aussi une vie partagée. Leur paradoxe est le détournement dans l’attachement à la règle et au quotidien. Ces marginaux, ces flâneurs à temps plein dont je parle, donnent en sourdine le spectacle d’un usage de soi, dans l’ordinaire des jours, qui leur permet de créer une cohérence pour soi tout en se maintenant dans le registre des règles communes et dans le courant de la quotidienneté. Ils résistent aux usages répétitifs, à l’émiettement du quotidien, au trop peu de sens de l’agir ordinaire, par des inventions, des astuces, des ruses, des détournements, des insoumissions et autres conduites tactiques «articulées sur des “détails” du quotidien». Ces personnages donnent l’exemple d’un agir qui permet de se réapproprier l’espace organisé, ainsi que ses usages. Ils s’inventent un devenir en œuvrant à leur adaptation sans nuire à quiconque et en n’étant pareil à personne, bien qu’adhérant au contingent social. J’exagère peut-être, mais il me semble distinguer, dans l’exhibition de ce démarquage mesuré, d’infimes et négligeables traces, mais destraces quand même, d’une procédure de régénération de la vie quotidienne et des normes du vivre ensemble.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Flâneries urbaines
Juste magnifique et saisissant, langueur du rythme, traces de rimes, cicatrices d'assonances...
Allez fuse, poème, fuse...
La gareÀ Arthur Fontaine
Gare de la douleur j’ai fait toutes tes routes.
Je ne peux plus aller, je ne peux plus partir.
J’ai traîné sous tes ciels, j’ai crié sous tes voûtes.
Je me tends vers le jour où j’en verrai sortir
Le masque sans regard qui roule à ma rencontre
Sur le crassier livide où je rampe vers lui,
Quand le convoi des jours qui brûle ses décombres
Crachera son repas d’ombres pour d’autres ombres
Dans l’étable de fer où rumine la nuit.
Ville de fiel, orgues brumeuses sous l’abside
Où les jouets divins s’entrouvrent pour nous voir,
Je n’entends plus gronder dans ton gouffre l’espoir
Que me soufflaient tes chœurs, que me traçaient tes signes,
À l’heure où les maisons s’allument pour le soir.
Ruche du miel amer où les hommes essaiment,
Port crevé de strideurs, noir de remorqueurs,
Dont la huée enfonce sa clef dans le cœur
Haïssable et hagard des ludions qui s’aiment,
Torpilleur de la chair contre les vieux mirages
Dont la salve défait et refait les visages,
Sombre école du soir où la classe rapporte
L’erreur de s’embrasser, l’erreur de se quitter,
Il y a bien longtemps que je sais écouter
Ton écluse qui souffre à deux pas de ma porte.
Je suis venu chez toi du temps de ma jeunesse.
Je me souviens du cœur, je me souviens du jour
Où j'ai quitté sans bruit pour surprendre l'amour
Mes parents qui lisaient, la lampe, la tendresse
Et ce vieux logement que je verrai toujours.
Sur l'atlas enfumé, sur la courbe vitreuse,
J'ai guidé mon fanal au milieu de mes frères.
Les ombres commençaient le halage nocturne.
Le mètre, le ruban filaient dans leur poterne
Les hommes s'enroulaient autour d'un dévidoir
La boutique, l’enclume à l’oreille cassée,
La forge qui respire une dernière prise,
La terrasse qui sent le sable et la liqueur
Rougissaient par degré sur le livre d’images
Et gagnaient lentement leur place dans l’église.
Un tramway secouait en frôlant les feuillages
Son harnais de sommeil dans les flaques des rues.
L’hippocampe roulait sa barque et sa lanterne
Sur les pièges du fer et sur les clefs perdues.
Il y avait un mur assommé de traverses
Avec un bec de gaz tout taché de rousseur
Où fusait tristement les insectes des arbres
Sous le regard absent des éclairs de chaleur.
L’odeur d’un quartier sombre où se fondent les graisses
Envoyait gauchement ses corbeaux sur le ciel.
Une lampe filait dans l’étude du soir.
Une cour bruissait dans son gâteau de miel.
Une vitre battait comme un petit cahier
Contre le tableau noir où la main du vieux maître
Posait et retirait doucement les étoiles.
Les femmes s’élançaient comme des araignées
Quand un passant marchait sur le bord de leur toile.
Les grands fonds soucieux bourbillaient de plongeurs
Que le masque futur cherchait comme il me cherche
Le présage secret qui chasse sur les hommes
Nageait d’un peu plus près sur ma tête baissée.
Je me suis retrouvé sous la terrasse des vitres
Dans les plants ruisselants, les massifs des visages
Scellés du nom, de l’âge et du secret du coffre,
Du nécessaire d’os et du compas de chair,
En face du tunnel où se cache la fée
De l’aube, qui demain vendra ses madeleines
Sur un quai somnolent tout mouillé de rosée
Dans le bruit du tambour, dans le bruit de la mer.
J’ai longé tout un soir tes grands trains méditants,
Triangles vigilants, braises, bielles couplées,
Sifflets doux, percement lointain des courtilières
Cagoules qui clignez bassement par vos fentes,
Avec deux passants noirs penchés sur la rambarde
Au–dessus du fournil du pont de la Chapelle
Où le guerrier déchu qui mène les hommes
Encrasse son panache avec un bruit de chaînes,
Et le grand disque vert de la rue de Jessaint,
Gare de ma jeunesse et de ma solitude
Que l’orage parfois saluait longuement,
J’aurai longtemps connu tes regards et tes rampes,
Tes bâillements trempés, tes cris froids, tes attentes,
J’ai suivi tes passants, j’ai doublé tes départs,
Debout contre un pilier j’en aurai pris ma part
Au moment de buter au heurtoir de l’impasse,
À l’heure qu’il faudra renverser la vapeur
Et que j’embrasserai sur sa bouche carrée
Le masque ardent et dur qui prendra mon empreinte
Dans le long cri d’adieu de tes portes fermées
\Mots-clés : #poésie #urbanité #xxesiecle
Aventin- Messages : 1985
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Re: Flâneries urbaines
Tout à fait ça.Aventin a écrit:Juste magnifique et saisissant, langueur du rythme, traces de rimes, cicatrices d'assonances...
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15935
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Re: Flâneries urbaines
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Flâneries urbaines
http://oic.uqam.ca/fr/system/files/garde/33/documents/cf18-7-carpentier-flaner_observer_ecrire.pdf
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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