Recettes culinaires et littéraires

« Cecilia contourna Betty pour voir ce que tout le monde regardait − une énorme lèchefrite noircie que l’on venait de sortir du four, remplie d’une masse de pommes de terre sautées qui grésillaient encore légèrement. Il y en avait peut-être une centaine, en irrégulières rangées d’or pâle que la spatule en métal de Betty détachait, raclait et retournait. En dessous, elles luisaient d’un éclat jaune un peu plus caramélisé, ici et là un bord luminescent était réchampi d’un brun nacré et d’une passementerie en filigrane qui s’épanouissait autour d’une peau fendue. Elles étaient − ou seraient − parfaites. »
Ian McEwan, Expiation

"Le menu de notre repas du matin était ainsi composé : un plat d’œufs durs, un autre plat de beurre, un troisième plat de crème, une roue de fromage de chèvre, un grand pot de terre rempli de miel, un jambon presque entier, un pâté de gibier en croûte, quantité de gâteaux et de galettes d’avoine, un pain de blé pour les étrangers, une grosse jarre en pierre pleine de whisky, une autre de cognac, et un tonneau de bière."
Tobias Smollett, L'Expédition de Humphry Clinker

J’ai vu des vaqueros qui travaillaient pour Blair découper une génisse d’un an en tranches si minces qu’on pouvait voir à travers la viande. Ils en avaient désossé une tout du long et ça faisait comme un grand drap. Ils avaient suspendu la viande à des perches tout autour du feu comme du linge et quand on passait par là la nuit on se demandait ce que c’était. C’était comme de voir à travers quelque chose jusqu’au cœur. Ils tournaient la viande et ils entretenaient le feu pendant la nuit et on les voyait s’affairer là-dedans. Tu te réveillais en pleine nuit et y avait ce truc-là un peu plus loin sur la prairie dans le vent et ça brillait comme un poêle chauffé au rouge. Tellement rouge qu’on aurait dit du sang.

« On mit là-dessus un jambon entier et un couteau qui coupait bien. Il y avait un panier de fromages blancs, une jatte de lait caillé, de la crème, du miel, une salade de mâche à l’oignon et aux girolles confites, des andouillettes froides, de la saucisse, du pâté de porc au genièvre, de la galette de froment, une dame-jeanne de vin rosé, deux bouteilles d’eau-de-vie, un énorme pot en verre plein d’eau glacée, de la gelée de framboise, des fraises des bois, des airelles, des prunes, des bolets au vinaigre, de la betterave rouge, un fromage de hure. […]
Il y avait des fromages forts pliés dans des feuilles de châtaigniers, des œufs frais, de la conserve de lièvre, du pâté de perdreau, de la salade de poisson et de tomate, du verjus à la sarriette, du maïs éclaté, une gelée d’épeautre au jarret de veau, un gros pain neuf froid d’une heure, du cidre de pomme, de la bière de ménage, de l’eau-de-vie de cerise, du vin cuit, du moût, de la confiture de rhubarbe, du vinaigre au basilic, des mouillettes, des cendrettes au cerfeuil, de la casse faite avec du lait de brebis, des échalotes et de la moutarde sauvage ; un plein panier de noix, de noisettes, de faînes cuites, un grand linge blanc, plié en huit énormes plis, qui devait servir de nappe et qu’on n’avait pas eu le temps de déplier avant que tout vienne sur la table. […]
Depuis, on a apporté du saucisson, du lard salé, un pot de graisse de porc, un pot de graisse d’oie qu’on a renversé dans un plat et sous la graisse on voit du foie, des abattis, une cuisse et des aiguillettes. »

« L’aubergiste lissa ses imposantes moustaches, il s’éclaircit la voix et dit : avant tout, on prend une bonne choucroute et on la met à bouillir pendant quatre ou cinq minutes. On fait ensuite fondre le gras des oies qu’on verse dans la choucroute avec du lard, des baies de genièvre, des clous de girofle, du sel et du poivre, des oignons hachés, et l’on fait cuire le tout pendant trois heures. Puis on ajoute du jambon, le foie émincé des oies, et on lie la bouillie avec de la mie de pain. On farcit les oies avec cette préparation, après quoi on les met au four une quarantaine de minutes. Il faut se souvenir, à mi-cuisson, de recueillir la graisse qui grésille pour la verser sur la farce, et le plat est prêt. »

« − L’authentique canard laqué à la pékinoise. De six à huit mois, spécialement gavé. Dans la plupart des restaurants, on le cuit à présent au four électrique. Nous restons fidèles au four à bois traditionnel, et nous utilisons du bois de jujubier. Le parfum pénètre la chair. Un procédé réservé aux empereurs, dit-elle avec orgueil. Nos chefs perpétuent la tradition qui consiste à décoller la peau du canard en soufflant à l’intérieur et à lui coudre le croupion avant de l’enfourner.
− Que de connaissances sur le canard ! s’exclama Diao.
− Nous proposons les fameuses cinq façons de le préparer : fines tranches croustillantes roulées dans une crêpe, tranches frites à l’ail vert, pattes plongées dans le vin, gésiers sautés aux légumes verts, et soupe de canard, mais il faut environ deux heures avant qu’elle soit d’un blanc parfaitement crémeux. »

« Tranches de peau de canard croustillante enveloppées de crêpes fines comme du papier, avec sauce spéciale et ciboule. Le plat préféré de l’impératrice douairière. Et spécialité de langues de canard sous des poivrons rouges comme des collines coiffées d’érables. »

« Six œufs crus, cent grammes de beurre, une cuillère à café et demie de sel et un quart de noix muscade, une pomme, un concombre doux, quatre pruneaux dénoyautés, deux cent cinquante grammes d’amandes grillées et une petite boîte de truffes… »
Leonardo Padura, Les Brumes du passé

"Il lava le chou cabus, lui enleva ses côtes, lui coupa le cœur en quatre, fit blanchir le tout pendant cinq minutes...il déposa le chou dans un faitout, y joignit quatre pommes de terre épluchées, un oignon, deux carottes, les couvrit largement d'eau bouillante. Il ajouta un peu de sel, une branche de thym, trois grains de poivre, et parce que cela tuait le ver sur la terre et qu'il y a pas plus dangereux que le ver sur la terre par un coup de froid, une gousse d'ail. ...Après trois quarts d'heure de cuisson à feu moyen, il retirerait sa soupe, non sans l'avoir goûtée. Il ne s'occuperait des lardons qu'au dernier moment."