Javier Cercas
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Re: Javier Cercas
Dans Terra Alta II, quatre ans après le drame du premier volume, Melchor s’occupe de sa fille Cosette et projette de devenir bibliothécaire ; il fréquente Rosa Adell (la fille), mais ne peut oublier Olga. Il a essayé de retourner travailler en ville, mais ils sont revenus à Terra Alta.
L’Unité centrale des enlèvements et extorsions des mossos d’esquadra de Barcelone enquête à la demande de la maire, victime d’un chantage à la vidéo à caractère sexuel, et Melchor est joint à l’équipe à la demande de Blai, son ancien chef de l’unité d’investigation de la Terra Alta.
En analepse, on apprend que Casas, Vidal et Rosell, les jeunes héritiers de l’élite catalane, pratiquaient le viol en réunion, filmés par Ricky Ramírez, un condisciple d’origine plus modeste, fasciné par leur caste ; une des victimes de leurs « chasses » est la future maire (de mœurs fort libres avant de devenir un animal politique franchement à droite ; après avoir défendu les réfugiés, elle lutte dorénavant contre l’immigration).
Vivales et ses amis, Campà et Puig, initient Melchor à la politique locale corrompue qui sévit en Catalogne, dans la Generalitat et maintenant à la mairie.
Le charisme de la maire :« De toute façon, dites-vous qu’en politique, c’est comme ça depuis la nuit des temps : une personne sans intérêt arrive au pouvoir aidée par les puissants, le pouvoir transforme cette personne sans intérêt en leader charismatique (c’est ce que produit le pouvoir, aussi bête que soit cette personne) et le leader charismatique se défait ou il essaie de se défaire des puissants qui l’ont aidé. Depuis la nuit des temps. »
« Écoute, voilà ce qui s’est passé ici : quand la démocratie a démarré, le nationalisme a instauré en Catalogne une cleptocratie clientéliste. C’est-à-dire, le gouvernement autonome volait les citoyens et le produit du pillage était réparti entre le parti du gouvernement et les familles du parti du gouvernement, à commencer par la famille du président. Quant au reste de la région, on en achetait la moitié à coups de favoritisme, de passe-droit et de chantage sentimental ; enfin, toujours les mêmes salades : tout pour la patrie et ce genre de fadaises. »
« C’est le problème de la démocratie : dès qu’on la prend pour argent comptant, on la met en danger. »
Casas est l’ex-mari de la maire. Melchor est suivi par « Hematomas », l’inspecteur Lomas, chef des « Vidal Boys », la police de la municipalité, aux ordres de Vidal, le premier adjoint au maire.« Melchor trouve que cette femme parle comme si elle éprouvait une immense admiration pour lui, une immense gratitude, comme s’il était à ce moment-là, pour elle, la personne la plus importante au monde, et soudain il croit comprendre que c’est de là que provient une grande partie de son charme : non pas de ce qu’elle est, mais du fait qu’elle parvient à faire croire aux autres qu’ils représentent quelque chose pour elle. »
Le Procés (le processus souverainiste de Catalogne (el procés català, en catalan) est un ensemble de faits sociopolitiques ayant lieu à partir de 2012 dans la Communauté autonome de Catalogne en vue d’obtenir l’autodétermination et l’indépendance de la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne, NdT) est au cœur du roman.
Vidal, qui parle à un journaliste du Guardian :
Vidal a aussi une intéressante opinion de Montaigne :« — À qui je pense ? répond le premier adjoint au maire. À nous. Aux dirigeants. À ceux qui ont l’argent et le pouvoir, en supposant qu’il s’agisse de deux choses différentes. Les idées, c’est pour les intellectuels, et les idéaux, pour les gens humbles ; mais, dans notre cas, en avoir serait irresponsable. Surtout dans un endroit comme celui-ci. […]
En 2012, nous étions plongés dans une crise terrible, la plus grande crise du siècle, et nous étions mal en point. Très mal en point. Qu’avons-nous fait ? Ce que nous devions faire : mettre les gens dans la rue, avec nos propres moyens et l’aide inestimable de notre gouvernement, afin d’exercer toute la pression possible sur le gouvernement de Madrid, de l’acculer contre le mur et de l’obliger à résoudre le problème pour nous. Inutile que je précise que nous ne sommes pas indépendantistes, évidemment, nous ne l’avons jamais été, parce que nous avions toujours les pieds sur terre ; l’indépendantisme est l’autre de ces luxes que nous ne pouvons pas nous permettre. Alors quelle était la meilleure façon de mettre la pression à Madrid ? Celle dont on a fait usage. Et quelle est la manière la plus rapide et la plus facile de mettre les gens dans la rue ? Celle dont on a fait usage également.
— Vous êtes en train de me dire que c’est vous qui avez fabriqué le mouvement indépendantiste ?
— Le mouvement indépendantiste, non. Des indépendantistes, en Catalogne, il y en a depuis un siècle : des gens avec beaucoup de cœur et peu de tête, comme dirait mon père. Nous, ce qu’on a fabriqué, c’est le Procés, c’est-à-dire, nous avons transformé la revendication d’une minorité en une revendication de près de la moitié du pays.
Le correspondant du journal britannique tord la bouche dans une grimace dubitative.
— Franchement, j’ai du mal à croire que, pendant presque une décennie, vous ayez réussi tout seuls à mettre dans la rue, chaque année, un million de personnes pour réclamer l’indépendance, reconnaît-il. Les gens ne sont pas aussi bêtes.
— Si, ils sont bêtes, dit Vidal. Tu peux en être sûr. Pris individuellement, certains ne le sont pas. Très peu. Mais en groupe, entraînés par les sentiments, les passions et l’émotion du drapeau, ils le sont tous, sans exception. Y compris probablement toi et moi, cher ami, si l’occasion se présente. Ce qui ne sera pas le cas. De toute façon, pour ménager mes arrières, j’ai pris la précaution de ne jamais assister à une manifestation, si tant est que celles du Procés aient été des manifestations.
— Elles ne l’étaient pas ?
— Tu te moques de moi ? Bien sûr que non. C’étaient des défilés. Tu ne te souviens pas ? Tout le monde en uniforme, tout le monde bien à sa place, prêt à suivre les consignes des organisateurs, tout le monde sachant ce qu’il a à faire, tous prêts à être filmés par les caméras… Comment veux-tu que ce soit une manifestation ? Et c’est pour ça que ces défilés nous ont été si utiles. Les gens, crois-moi, font ce qu’on leur dit, surtout si tu as de ton côté l’argent et le pouvoir politique, comme nous les avions, plus la télévision, les radios, les journaux, les réseaux sociaux et tout ce qu’il faut avoir. Il est extrêmement facile de mettre les gens dans la rue, surtout maintenant. Le problème, c’est comment les faire rentrer chez eux. »
« Il y a des gens qui pensent que ce que vous êtes en train de faire aujourd’hui, c’est juste remplacer un coupable par un autre, s’empresse de dire le journaliste. Avant, c’était Madrid qui était responsable de tous vos maux ; aujourd’hui, ce sont les immigrés les responsables de vos ennuis. »
Un des aspects pointés par ce roman est le cas de ploutocrates cyniques et sans scrupules, apparemment au-dessus des lois : les « fils à papa ».« Moi, je lis Montaigne tous les jours. Brièvement, deux ou trois pages, pas plus. Mais tous les jours. Et c’est à tomber par terre. Il semble qu’il parle exclusivement de lui mais en réalité il parle de tout et il le fait comme personne. Bien sûr, moi, je lis peu, je n’ai pas beaucoup de temps mais… Quand il s’agit de politique, tout le monde se gargarise de Machiavel, sans aller chercher plus loin. Je ne dis pas que Machiavel n’est pas bon, mais Montaigne est plus sérieux, plus radical, nettement meilleur. Il dit par exemple que les trahisons, les mensonges et les meurtres sont inévitables pour le bien public, et que pour cette raison-là, la politique doit demeurer entre les mains des gens les plus forts et les moins scrupuleux, prêts à sacrifier leur honneur et leur conscience pour le bien du pays. Pas mal, non ? Je n’ai jamais tué personne, bien sûr ; quant au reste, je l’ai plus ou moins fait. Et tu sais pourquoi ? Parce que je ne me fais pas d’illusions, parce que je sais qu’en politique il faut faire des choses que personne ne veut faire, il faut se salir les mains, pactiser avec le diable si nécessaire. C’est pourquoi tous les politiciens iront en enfer, à supposer que celui-ci existe. C’est ça la réalité, et celui qui ne la connaît pas ne devrait pas se consacrer à la politique, parce qu’il ne sait pas ce qu’est le pouvoir. »
Les protagonistes parlent du livre Terra Alta, de Javier Cercas, dont Melchor (qui ne l’a pas lu, consacrant ses lectures au XIXe) est le personnage central : certains disent que tout y est vrai, d’autres que tout y est faux.« Les gens riches appartiennent à une autre espèce. On ne t’a jamais dit ça ? C’est pourtant vrai. Je sais de quoi je parle. Le monde se divise en deux sortes de gens : les riches et tous les autres, dont la majorité aspire à devenir riche. »
Au fait, Melchor a aussi lu du XXe (ou alors c’est Cercas) : il se répète cette phrase dont il ne sait plus de qui elle est : « Tant que dure le repentir dure la faute. » Elle est de Jorge Luis Borges, dans sa nouvelle L’indigne. La citation n’est pas fortuite : Borges évoque un libraire, fasciné dans sa jeunesse par un mauvais garçon, qui l’utilise comme guetteur, et est tué par la police, auprès de laquelle il l’a trahi.
Polar politique et psychologique !
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Re: Javier Cercas
Depuis cinq ans, Melchor est devenu bibliothécaire en Terra Alta, et Cosette a grandi ; celle-ci lui reproche de lui avoir caché que sa mère est morte tuée (en partie à cause de l’obstination de son enquêteur de père, qui a aussi fait envoyer en prison Salom, son ex-ami impliqué dans les meurtres de l’affaire Adell).
Suite à cette révélation, la jeune fille de dix-sept ans disparaît lors d’un séjour à Majorque. Melchor s’y rend, après avoir signalé la disparition à Blai et la sergente Paca Poch ; compte tenu de l’inaction du sergent Benavides de la Guardia Civil, il enquête lui-même. Un guardia civil déchu, Damián Carrasco, lui indique que le célèbre magnat Rafael Mattson est un prédateur sexuel qui contrôle police et justice, et que sa fille a dû passer par sa villa, comme nombre d’autres. Melchor retrouve sa fille, en état de choc.« Nous avons raison d’essayer de protéger nos enfants. Et nos enfants ont raison de faire le maximum pour qu’on ne les protège pas, d’essayer de nous tenir à l’écart, de se débarrasser de nous, et de nous éviter pour pouvoir se débrouiller tout seuls. C’est ça, le conflit. Et c’est ce qui vous arrive, à toi et Cosette, Melchor : une tragédie. Mais c’est une tragédie indispensable. Si tu n’avais pas voulu protéger Cosette, tu serais un salaud, et si Cosette ne voulait pas que tu arrêtes de la protéger, elle ne pourrait jamais s’émanciper, elle ne parviendrait jamais à être une adulte. »
Melchor décide d’aider Carrasco avec quelques proches, policiers (comme Poch) et anciens policiers (comme Salom) dans son projet d’assaut de la villa-forteresse de Mattson, afin d’y dérober les preuves de ses crimes pour les rendre publics, ce qui serait le seul moyen de l’atteindre.« — Écoutez, face à une situation comme celle qu’elle a vécue, Cosette n’avait que trois possibilités : la fuite, l’affrontement et le blocage. Étant donné les circonstances, entourée comme elle l’était d’inconnus et isolée dans la maison d’un multimillionnaire, les deux premières solutions étaient à écarter. Heureusement qu’elle les a écartées, d’ailleurs, parce que si elle avait opté pour l’affrontement, les conséquences auraient pu être bien pires… Elle a donc choisi ce qui était le plus sensé, le blocage. C’est un mécanisme ancestral de survie dont les êtres humains disposent devant une situation critique. Et c’est ce que votre fille a fait : pour supporter la violence à laquelle elle était exposée, elle s’est renfermée sur elle-même, elle s’est immobilisée, elle s’est dissociée.
— Dissociée ? demande Melchor.
— Elle s’est séparée d’elle-même, elle s’est évadée, répond la docteure Ibarz. La douleur était si grande que l’esprit est parti dans une direction et le corps dans l’autre ; plus précisément, l’esprit a abandonné le corps à son destin, pour que le corps souffre tout seul, comme si l’esprit s’était déconnecté du corps pour ne pas avoir à souffrir avec lui… C’est la forme extrême de blocage. »
On apprend incidemment que Rosa est une amie d’Héctor Abad Faciolince, lui-même ami de Javier Cercas !
Ce tome trois de Terra Alta m’a paru plus incohérent que les deux précédents. Exiger que tous les moyens disponibles soient mis en œuvre d’urgence dans les 24 heures après la disparition d’une jeune fille qui a prévenu vouloir se retirer quelques jours me paraît excessif ; que des membres des forces de l’ordre se lancent dans une attaque aussi secrète qu’illégale est assez invraisemblable. Mais ça rappelle qu’il s’agit d’un polar ! Qui prône quand même la justice rendue par soi-même, par des moyens illicites...
\Mots-clés : #polar #relationenfantparent
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