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Message par Tristram Mar 8 Aoû - 22:04

Nos messages se sont croisés, Marie. En ce moment, je butte fréquemment sur des écrivains (souvent hispaniques d'ailleurs) qui jouent du flou fictionnel pour nous faire mitonner la tête dans le sens que décrit Eco... Un texte (littéraire) serait "un dispositif conçu pour susciter les interprétations", pour nous faire nous interroger sur notre vision du monde en nous mettant à la place de personnages immergés dans le leur...

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Message par Quasimodo Dim 15 Oct - 21:37

Javier Cercas - Page 2 Cercas10

A la vitesse de la lumière

Résumé:

Le narrateur est un jeune catalan qui trouve un poste à l'Université d'Urbana, aux Etats-Unis. Il y rencontre Rodney Falk, ancien soldat au Vietnam gravement traumatisé, pour qui il se prend d'amitié. Il découvre petit à petit ce que son ami a pu commettre d'horreurs pendant la guerre, durant laquelle il a progressivement perdu son identité.
Rentré chez lui et devenu écrivain à succès, le narrateur tombe dans la débauche et l'alcoolisme. Soudain, sa vie est bouleversée. Pour se reconstruire, et ce qu'il mûrissait depuis déjà longtemps, il écrit l'histoire de Rodney Falk, dont il a eu plus ample connaissance.

Avis:

Si j'ai bien compris, le narrateur est une sorte de double de Cercas. Ce qui est certain, c'est qu'il a réussi le tour de force de donner vie au personnage le plus insupportablement prétentieux et autocentré que j'aie jamais rencontré dans une lecture (aussi, quelle force d'évocation !)

Bon, on le comprend tout de suite, ce narrateur est dans une perpétuelle auto-critique dans laquelle il n'est jamais las de se vautrer. Cette prétendue lucidité, cette espèce de complaisance malsaine avec laquelle il énumère ses ridicules, cela donne à l'esprit une image tout autre que celle qu'il souhaiterait qu'on ait de lui. Et quel style fastidieux ! Pour chaque situation, il tient toutes prêtes deux ou trois hypothèses, toutes fumeuses et superficielles, qui alourdissent inutilement un récit qui manque déjà beaucoup d'allant. Qu'on lui pose un filtre ! Il paraît écrire tout ce qui lui passe par l'esprit. De sorte que si on en enlevait tout le gras, on pourrait se soulager d'une bonne moitié du roman, qui aurait peut-être gagné à ne faire l'objet que d'une nouvelle, centrée sur Rodney et absente de notre pénible guide.

Le narrateur, à part d'affligeantes banalités sur ce que doit être la littérature, ne semble pas l'aimer du tout, et on se demande ce qui a pu lui cheviller au corps cette idée de devenir écrivain. Jamais à court de nous asséner ses boiteuses théories (celles de Rodney, son mentor en quelque sorte, ne sont pas elles-mêmes des plus révolutionnaires), il ne semble pas se rendre compte qu'elles portent toutes uniquement sur la posture, jamais sur le fond, jamais sur la forme.
Je veux dire que les silences sont plus éloquents que les mots, et que tout l'art du narrateur consiste à savoir se taire à temps : c'est pour ça que, dans le fond, la meilleure façon de raconter une histoire, c'est de ne pas la raconter.
Avec un peu de mauvaise foi : pourquoi ne pas s'être tu ? Et effectivement, on esquive constamment d'écrire l'histoire en question, d'où l'impression de vaines contorsions qui s'achèvent sur une dernière grossièreté :

Spoiler:

Je passe rapidement sur la description de la vie de débauche et de mondanités de la nouvelle "coqueluche" du monde littéraire, pour dire seulement que c'est navrant. On dirait ces gens mal à l'aise qui se donnent l'air d'avoir vu du pays et parlent d'une vie qu'ils ne connaissent pas, sans que personne ne soit dupe. Sans mépris pour ces derniers, ça reste très maladroit de la part d'un écrivain.

Alors je m'interroge : Cercas, son narrateur, quelle distance ? S'il a eu pour seul but de créer un personnage odieux, je lui tire mon chapeau (seulement l'intérêt est limité, et ce n'est pas comme ça que je vois la littérature : s'infliger une telle purge). Ou met-il beaucoup de lui-même dans son personnage, certaines des considérations littéraires (dont j'ai parlé) étant affirmées avec trop peu de distance ? Je ne le lui souhaite pas, mais je le redoute.
Le narrateur ayant écrit un premier livre duquel le narrateur est lui-même un double du premier (mise en abyme Cercas => narrateur 1 => narrateur 2), Rodney le lit, se reconnaît dans un des personnages, qui est la seule chose qui l'intéresse dans le roman. J'ai pressenti que cette opinion serait aussi la mienne, concernant A la vitesse de la lumière.
 
Parce que le personnage de Rodney Falk m'a touché. Il est discrètement peint, par petites touches (mais ici, je crains que ce n'est que parce que le narrateur ne s'occupe que de sa propre personne). Ce qui s'y rattache semble vrai, sans affectation. On croit au personnage, à la douleur. Il est sympathique parce qu'il s'efface, parce qu'il est maladroit et inadapté. J'ai même de la tendresse pour lui. Alors ce roman n'aura pas tout raté.

Quelques citations pour donner envie :
Tout le monde regarde la réalité, mais rares sont ceux qui la voient
Je veux dire que celui qui sait toujours où il va n’arrive jamais nulle part et qu’on sait seulement ce qu’on veut dire une fois qu’on l’a dit.
L'artiste n'est pas celui qui rend visible l'invisible : ça, c'est vraiment du romantisme, bien que pas de la pire espèce; l'artiste est celui qui rend visible ce qui est déjà visible et que tout le monde regarde et que personne ne peut ou ne sait ou ne veut voir.

Voilà, je me sens mieux. Very Happy

mots-clés : #creationartistique #guerre #psychologique


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Message par animal Dim 15 Oct - 22:20

huhu. et dans ces cas là tu pars sur quel genre de lecture pour te remettre, tu risques les mêmes thématiques traitées autrement ou tu choisis une ambiance radicalement opposée ?

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Message par Quasimodo Dim 15 Oct - 23:42

J'ai dû continuer avec Proust, en tout cas ce serait un solide remontant Smile
Ça donne envie de copieux, d'étonnant, ça donne un besoin d'être stimulé, et d'une écriture un peu plus heureuse. Marguerite Duras ça marcherait bien aussi.
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Message par topocl Lun 16 Oct - 9:27

Quasimodo, ai-je bien compris : tu n'as pas aimé?

Tristram : ne désespère pas!

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Message par Quasimodo Lun 16 Oct - 10:38

Je n'ai pas détesté de bout en bout, mais pas loin ...
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Message par Quasimodo Lun 16 Oct - 10:43

Ah ! C'était ironique ?
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Message par topocl Lun 16 Oct - 11:45

Oui, c'était juste amusé, de voir comme tu as descendu, avec une argumentation parfaite,  ce livre que nous avons aimé. C'est toujours drôle ces confrontations!
Je comprends tout à fait tout ce que tu reproches au livre, que j'ai aussi ressenti, mais différemment, pour en faire une expérience heureuse. Même le style de Cercas, qui est loin d'être sa force je te l'accorde, m'indiffère tant il émet des ondes qui trouvent à se fixer en moi.

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Message par Quasimodo Lun 16 Oct - 14:53

C'est surprenant ce que les livres peuvent provoquer de différent selon le lecteur. Et pourtant nos goûts ne sont pas radicalement opposés.
C'est drôle, Confiteor traite beaucoup de sujets semblables, comme la formation d'un homme et d'un écrivain, le deuil et la culpabilité, l'amitié, la souffrance, etc. Mais Cabré me touche (et le projet de commentaire n'est pas abandonné !) Et là, le narrateur occupe moins de place, se fait plus discret - ses défauts apparaissent d'eux-mêmes sans qu'il soit besoin de les surligner. Peut-être aurais-je mieux aimé Cercas si j'avais pu me dépêtrer un tant soit peu de son narrateur.
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Message par bix_229 Lun 16 Oct - 15:52

On change beaucoup et souvent au fil des années, Quasimodo.
Le texte lui, reste le meme.
Qui sait ? Peut  etre l' apprécieras-tu plus tard.
Il y a tellement de facteurs subjectifs qui interviennent.
Ce que dit Topocl est exact. Quelle que soit la formulation
qu' on trouve -ou pas- on peut aimer un livre, malgré...
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Message par topocl Lun 16 Oct - 19:35

C'est ce qui est bien, nos ressentis si divers, alors-même que comme tu le dis
Quasimodo a écrit:Et pourtant nos goûts ne sont pas radicalement opposés.
C'est vrai qu'il n'y a aucune comparaison possible entre le style de Cabre et celui de Cercas. D'une façon générale, je suis moins exigeante que toi sur cet aspect-là, il faut bien le reconnaître.
Par ailleurs, je conserve un faible pour les auteurs qui mettent leur tripes dans un texte, ce que ceux qui n'aiment pas appellent du nombrilisme.
Ceci explique une bonne partie de nos divergences sur ce bouquin.

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Message par Quasimodo Lun 16 Oct - 22:24

Mais oui, ce serait dommage de rester sur notre seule perception (ce serait avancer avec des œillères je trouve).
Pour le style, j'aurais cru le contraire. Je crois encore ne pas être trop exigeant. Mais ça arrive qu'on tombe sur quelque chose qui nous est tellement étranger que l'organisme le rejette Wink
Qu'est-ce que tu appelles "mettre ses tripes dans un texte" ? Dans l'idée ça me plairait pourtant bien ... mais je ne trouve pas d'exemple.
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Message par topocl Mar 17 Oct - 11:43

Je veux parler d'auteurs qui ont un sujet qui n'est pas eux-même, mais qui en profite pour parler d'eux à travers leur texte. Les premiers qui me viennent à l'esprit sont Emmanuel Carrère et les frères Rollin.

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Message par Quasimodo Mar 17 Oct - 12:17

Alors je crois que c'est une des facettes du narrateur qui aurait pu me plaire. Mon agacement tient plus à son caractère, un côté négligent des autres (et dont son écriture un peu "rapide" est un des symptômes ...) mais je ne vais pas en rajouter une couche !! Et comme dit Bix, on ne sait jamais comment on évoluera.
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Message par animal Mar 17 Oct - 12:45

topocl a écrit:Je veux parler d'auteurs qui ont un sujet qui n'est pas eux-même, mais qui en profite pour parler d'eux à travers leur texte. Les premiers qui me viennent à l'esprit sont Emmanuel Carrère et les frères Rollin.
niarf. autre exemple de lectures différentes. Javier Cercas - Page 2 4143857945

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Message par topocl Mar 17 Oct - 12:56

Quasimodo a écrit:mais je ne vais pas en rajouter une couche !!
Aucun problème, les controverses entrainent souvent de nouveaux lecteurs, et ça relance le débat!

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Message par bix_229 Dim 6 Mai - 16:56

Javier Cercas - Page 2 Image117

LES LOIS DE LA FRONTIERE


Voià un livre qui m'a laissé en retrait jusqu' à la moitié du texte environ.
Et qui m'a retourné de fond en comble par la suite.
A partir de là, Cercas m'a tenu en haleine et j'ai passé une après midi pluvieuse en apné.
Topocl vos a raconté les aléas d'un trio d'abord adolescent.
Deux d'entre eux, Zarco et Tere, sont des sous prolos en quête de coups qui relèvent autant de la délinquance que d'une façon de s'affirmer. En tout cas au début.
Le temps d' un été  s'adjoint à eux Ignacio, un ado de la petite bourgeoisie, attiré par par ces deux-là et surtout par la fille.
La vie devrait les séparer et elle les sépare mais jamais définitivement.
Zarco devient un grand déliquant qui passe un moment pour un Robin des bois. Toujours plus ou moins en compagnie de Tere.
Ignacio revient dans sa famille, étudie. Il devient avocat.

Au bout de 20 ans et plus, il a enfin une idylle avec avec Tere qui sera le le plus beau moment de sa vie. Mais Tere y mettra fin. Inexplicablement.
Car ce qu' il y a d'inexplicable dans ce livre c'est le questionnement.
Les questions sans réponses.  Celles d'Ignacio, mais aussi du lecteur totalement impliqué.
Ce sont des questions essentielles dont on aura jamais les réponses.
Et c'est ce qui fait la douleur et la beauté de ce livre intense.

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Message par topocl Dim 6 Mai - 17:07

j'ai l'impression que notre approche est très similaire, Bix. J'ai envie de le relire.

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Message par topocl Lun 12 Nov - 20:30

Le monarque des ombres

Javier Cercas - Page 2 51bt-t10

Longtemps Javier Cercas a voulu ne pas écrire sur Manuel Mena, ce grand-oncle phalangiste mort à 19 ans dans la bataille de l'Ebre, resté le héros d'une famille dont Cercas ne partage pas les idées. C'était pour lui une honte, cet héritage familiale. Mais il s'est cependant attaché à réunir des témoignages, a compulsé des archives et peu à peu l'oncle a pris chair, et mené Cercas à une réflexion nouvelle sur sa famille et sur l'Espagne en général, sur les héros morts pour des idées, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, et sur la nécessité d'écrire dessus.

Cercas rapporte donc finalement l'histoire de cet oncle, alternativement historien objectif et écrivain en quête de sens. Et il se montre à l’œuvre dans sa démarche jouant avec un humour, parfois lourdingue sur opposition, historien/littérateur.

Tout cela est a priori bien intéressant, Mais Cercas caricature ici sa propension à s'interroger et tourner en rond, tergiverser, y revenir et encore . Sans compter  les fastidieux rapports de bataille, je me suis embourbée  dans la prose  pesante de Cercas, qui prend plaisir à se rouler dans les méandres complexes de ses interrogations, gavant le lecteur d'un propos répétitif et redondant, dont églantine 'n’avait pas manqué de nous faire part.

églantine a écrit:J'ai abandonné le dernier de Javier Cercas à la moitié , Le monarque des ombres .
Euh .
Bon son écriture journalistique  un peu" brouillonnée "redondante de L'imposteur m'avait quand même un peu ennuyée malgré le vif intérêt que j'ai eu pour le sujet , mais là ça ne passe plus .
Le sujet était aussi très pertinent cette fois : enquêter dans sa propre famille pour comprendre comment un être "normal " a pu basculer du mauvais côté de l'histoire . Soucieux de rester neutre et factuel dans son rapport d'enquête , il n'a de cesse de scander sa position . Une remontée historique au sein de la montée du franquisme à travers un exemple parmi tant d'autres mais le touchant personnellement  afin de proposer une forme de résilience au peuple espagnol , c'est louable mais Javier Cercas complique les choses , se vautre dans son écriture reconnaissable ...à son besoin d'alourdir , dans une absence de style , dans une forme hybride , ni fiction ni essai , indigeste .

C'est à regret  car la réflexion, quoique tortueuse,   pourrait être passionnante, et le personnage est, on s'en rend compte en même temps que l'auteur, plus complexe qu'il n'y paraît.

Mots-clés : #autofiction #culpabilité #guerredespagne #historique

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Message par Avadoro Mar 13 Nov - 13:58

Merci pour tes impressions, même si elles sont aussi mitigées...j'ai vu des avis très contrastés et vais essayer de lire cet ouvrage dans les prochaines semaines. Cercas reste un auteur qui compte énormément pour moi.
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