Éric Chevillard
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Re: Éric Chevillard
France Culture a écrit:Nous avons ce monde en partage avec les animaux. Les menaces qui pèsent sur eux valent aussi pour les humains. Les questions touchant la survie, le territoire, la séduction, la reproduction ou la mort nous sont communes. Mais l’animal semble toujours très assuré dans son être, fidèle au programme de l’instinct, il ne doute ni n’hésite jamais. Il n’en va pas de même de l’homme, souvent incertain, irrésolu, égaré, balbutiant et ne sachant quelle direction prendre, quoi faire, quoi dire, comment se tenir. Sauf pourtant quand il obéit à des constructions culturelles ou sociales qui lui proposent en somme des rôles à interpréter. Constitué de dialogues de bêtes captives dans un zoo – un mâle et une femelle à chaque fois, appartenant à une vingtaine d’espèces différentes –, Zoologiques met en question de manière humoristique et satirique cette communauté des destins de tous les habitants de la Terre, menacés par de grands périls et prisonniers d’un répertoire d’instincts, pour les uns, de stéréotypes, pour les autres.
Autre argument de poids : le panda y pense, parle et nous fait part de ses préoccupations !Tristram a écrit:On n'avait pas fait mieux depuis La Fontaine (et ses meilleurs interprètes) ! C'est surtout fort original en comparaison, complètement renouvelé : en un mot, c'est un théâtre de la relativité. J'ai particulièrement apprécié boa et python.
Louvaluna- Messages : 1682
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Re: Éric Chevillard
Alors c'est primo que c'est vrai deuxio que je l'ai écouté.@Tristram a écrit:
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15950
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Re: Éric Chevillard
(Présentation par Éric Chevillard lui-même)« Certes, à première vue, tout laisse à penser que Palafox est un poussin, un simple poussin puisque son œuf vole en éclats, un autruchon comme il en éclôt chaque jour de par le monde, haut sur pattes et le cou démesuré, un girafon très ordinaire, au pelage jaune tacheté de brun, un de ces léopards silencieux et redoutables, volontiers mangeurs d'hommes, un requin bleu comme tous les requins bleus, assoiffé de sang, en somme un moustique agaçant de plus, avec sa trompe si caractéristique, un éléphanteau banal, mais bientôt on se prend à en douter. Palafox coasse. Palafox nous lèche le visage et les mains. Alors nos certitudes vacillent. Penchons-nous sur Palafox. »
Palafox est un protéiforme/ polymorphe animal en perpétuelle métamorphose (un des personnages, Sadarnac, le prétend assidûment d’origine aquatique), vorace et difficile à apprivoiser/ domestiquer (ce qui ne l’empêchera pas, ou lui permettra, de gagner un concours de caniches toilettés en lion !) Le récit (roman ?) relate les péripéties occasionnées par son insertion difficile dans une famille, avec (ou malgré) l’aide de quatre zoologistes.
Il y aura donc une traque burlesque, occasion d’une satire des chasseurs et pêcheurs, ces affabulateurs dépassés :
Puis l’épisode du cirque :« La meute le prend en chasse, nous restons en petit comité, hommes à femmes, fumeurs de pipes, amateurs de billard et de vieux whisky, entre autres aptitudes. »
On y trouve une vision ironique de l’évolution des espèces :« Une cage a été dressée sur la piste. Pour une raison x ou y, Perla est en maillot de bain. On lâche les bêtes, deux lions, trois lionnes, un léopard, un guépard à ne pas confondre avec le léopard, et un jaguar dont la fourrure tachetée rappelle un peu celle de Palafox. Perla leur présente un cerceau, les huit fauves passent à travers, elle enflamme le cerceau, les huit fauves passent à travers, elle ajoute un cerceau, les huit fauves passent à travers. Perla tient à son idée, elle enflamme le second cerceau, mais les huit fauves passent à travers. »
C’est un peu aussi une caricature du monde animal vu par les hommes :« Il n’y aurait pas de vie ici-bas non plus, poursuit Zeiger, si chaque espèce ne s’était constituée qu’une fois ses proies favorites devenues assez grasses et nombreuses pour la nourrir, si la mangouste avait attendu le serpent, le serpent le crapaud, le crapaud la mouche, si la mouche nous avait attendus, etc., mais l’homme n’a pas attendu que l’épicier ouvre boutique pour se répandre, il a pris les devants. De même, vraisemblablement, Palafox. »
« L’animal dont la taille avoisinait celle d’une grosse guêpe ou d’un petit guépard n’était cependant ni tigré ni tacheté, ainsi nulle confusion possible. »
« Le fossé des générations – élargi et inondé dans les parcs zoologiques pour empêcher les singes ou les lémuriens de se mêler en douce aux visiteurs –, ce fameux fossé semble plus profond encore, et plus infranchissable, qui nous sépare des carcasses et autres beaux restes de nos ancêtres directs. »
Mais je pense que ce livre est surtout à considérer comme une fin en soi, une exploration inventive de l’excellente idée de départ.« Avez-vous déjà vu Palafox ou n’importe quelle autre coccinelle se révolter contre son sort et contester l’univers ? Ils se comportent en créatures, ils n’ont pas la prétention d’amender le sol sous leurs pattes, de conquérir l’espace, ni celle de mesurer le temps, ils grappillent les secondes, ce sont eux les propriétaires des sources, les habitants légitimes de ce monde, les vrais héros de Dieu. »
Cette inventivité a des modalités différentes de celles de Rabelais, Kafka, Sterne, Carroll, Michaux, Beckett, Ionesco, Jarry, Vian, Cortázar, auxquels elle s’apparente dans la longue tradition baroque (listes, accumulation, digressions, parenthèses, etc.) ; Chevillard a son propre style, grâce auquel il réinvente la fantaisie, l'absurde et le nonsense.
Délire savamment contrôlé, canalisé à chaque point, empesé des expressions toutes faites d’un langage compassé (d’un français châtié), le texte est constamment animé d’un humour souvent léger, parfois grinçant (voire cruel, ce qui ne contredit pas une sensibilité enfantine) sous de faux airs de bénévolence :« (Zeiger lui-même peut en témoigner : la découverte d’une plume par dix enfants suscite en moyenne huit vocations d’Apaches sanguinaires contre deux seulement de matelassier et d’écrivain. Le professeur ajoute que les petites squaws sont ravissantes dans leurs panoplies d’infirmières, mais là il sort de son domaine.) »
« (tel amant qui pose un baiser sur des lèvres peintes, outre cette adorable petite bouche, embrasse aussi des centaines et des centaines de cochenilles mexicaines écrasées, pressurées, puis fondues dans un bâton de graisse animale, il nous paraît normal qu’il en soit averti, s’il cherchait un prétexte pour rompre, il le tient). »
Le jeu des assonances n’est pas évité :« Je précise que vous serez logée, nourrie si vous avez faim, blanchie s’il n’est pas trop tard [… »
« Il existe beaucoup d’autres méthodes de datation plus ou moins comparables à celle-ci. Poussez un pêcheur dans l’eau et comptez les cercles qui s’élargissent autour du point de chute, vous connaîtrez l’âge du fleuve. »
L’auteur apparaît, et même intervient fréquemment :« Tendre enfant, il inventait tous les jours une sauterelle ingénieuse et employait le plus clair de ses loisirs à démonter puis remonter, les yeux bandés, des scarabées. »
Les échos d’une guerre persistent en arrière-plan, signe peut-être que rire ne suffit pas ‒ ou que c’est là un rire jaune (poussin)...« Voilà donc un autre fait acquis, on le savait déjà féroce, Palafox est aussi très joueur. Maureen lui apporte un cerceau, une pelote de laine, Algernon sacrifie une des pantoufles qui lui servent à écrire, une pantoufle usée, percée, déformée par l’usage – l’Everest, pour risquer une comparaison, est plus soigneux de ses brodequins. Mais Palafox la préfère à tous ses autres jouets. Il ne la lâche plus. Désormais quand nous parlerons de lui, il faudra l’imaginer non loin, entre ses pattes, entre ses dents, nous ne la citerons plus par souci esthétique, mais elle sera dans le champ. »
« Moi qui vous parle, je me souviens de l’époque où il n’était pas rare de voir une épicière. Je n’en vois plus. La destruction sauvage de leur habitat les condamne. Les plus agiles d’entre elles trouvent encore refuge dans la montagne mais, à moins d’une loi de protection que rien ne laisse présager, ces dernières auront disparu à leur tour d’ici quelques années. »
« Son plumage est blanc (sujet verbe complément, nous préférerions nous en tenir là, croyez-le bien, mais alors il nous faudrait sans cesse renvoyer le lecteur aux notes en bas de page, aux addenda en fin de volume, où nous développerions, commenterions, expliciterions chacun de nos propos, ce n’est pas une vie non plus. Blanc, par exemple, blanc ne signifie rien, notion galvaudée, couleur suspecte, attention aux illusions d’optique, aux faux témoignages, passez derrière, vérifiez tout, un œil exercé ne s’y trompe pas, la neige est bleue, pâle, très pâle, mais bleue, le mouton beigeâtre, la dent jaune, le lait pistache, l’arme rouge, la race rose, les nuits d’insomnie couleur d’encre et toutes ces pages translucides à noircir encore, le plumage de Palafox est blanc). »
« Le préposé aux inscriptions – gonflons vite un petit personnage corpulent aux joues roses – relève le numéro d’immatriculation, X366, tatoué sur la face interne de son oreille droite. (Les scènes du vaccin et du tatouage, oublis ou négligences, ne figurent pas dans ce récit.) Présentez-vous avec votre animal au contrôle vétérinaire, chuinte le subalterne, moins joufflu soudain et qui semble perdre contenance à mesure que nous reculons vers la porte, se voûter, se flétrir, qui trouve encore assez de souffle pour nous indiquer le bungalow voisin, puis il rend l’âme et monte au ciel, en zigzag, s’écrase au plafond et retombe, désormais inutile, dans une corbeille. »
« Le désordre est indescriptible – il suffit d’avoir survolé deux livres pour savoir que cette formule annonce un état des lieux rigoureux, avec inventaire des objets brisés ou dispersés et reportage à chaud sur les mouvements de foule : Palafox court sur la longue table du buffet, jardine dans les saladiers, goûte à tous les plats, à tous les bouquets, plus grave, tranche la carotide des génies embouteillés il y a quarante ans par Algernon, instables et agressifs à l’époque, qui se sont bonifiés sur la paille humide de sa cave, chaque jour gagnaient en respectabilité, pour finir ainsi, déchiquetés par les tessons, noyés dans leur propre sang. »
Absurde, évidemment !
mots-clés : #absurde
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Tristram- Messages : 15950
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Re: Éric Chevillard
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Re: Éric Chevillard
De quel point de vue ? Le fond ? La forme ? Les deux ?animal a écrit:L'impression que ça ne va pas être pour moi cette cuisine !
Même pas tenté par la fiction radiophonique citée plus haut ?
(pourtant, j'ai mis le paquet pour amadouer l'assistance...)
Louvaluna- Messages : 1682
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Re: Éric Chevillard
Peux-tu m'éclairer sur ce point ?Tristram a écrit:Mais je pense que ce livre est surtout à considérer comme une fin en soi, une exploration inventive de l’excellente idée de départ.
Merci, Tristram, pour ce commentaire approfondi ainsi que les nombreux extraits.
Louvaluna- Messages : 1682
Date d'inscription : 19/03/2017
Re: Éric Chevillard
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Re: Éric Chevillard
Peut-être un panda qui ose y mettre la patte pour voir ?
(enfin, la patte ou l'aile, du coup, si c'est un panda chouette...)
Mais, dans ce cas, je conseillerais au panda mignon d'y mettre la patte en commençant par Ronce-Rose.
Louvaluna- Messages : 1682
Date d'inscription : 19/03/2017
Re: Éric Chevillard
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Tristram- Messages : 15950
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Re: Éric Chevillard
Oui, je suis d'accord avec cela. Et ce n'est pas non plus un exercice de style. J'apprécie Chevillard pour de nombreuses raisons, et notamment parce que dans ses livres le monde est sens dessus dessous. Et en même temps, tout tient à merveille. Le réel m'apparaît autrement. Il enrichit mon regard. Qu'attendre de mieux d'un écrivain ?Tristram a écrit:Je dis "fin en soi" pour rejeter toute idée de finalité telle que parabole, message ou autre exemplification : il n'y a pas de "leçon" ou de "morale" à y chercher, pas trop de "fond", justement, même si l'exercice n'est pas "vain"... Enfin, c'est un point de vue...
Louvaluna- Messages : 1682
Date d'inscription : 19/03/2017
Re: Éric Chevillard
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Tristram- Messages : 15950
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Re: Éric Chevillard
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21711
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Re: Éric Chevillard
J'y vois une certaine profondeur éclairante sur notre humaine condition actuelle (mais ce n'est peut-être qu'une bévue de gaffateur ayant misé dans l'intelligence artificielle).Le publicitaire vend des consommateurs aux marchandises.
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Tristram- Messages : 15950
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Éric Chevillard
Louvaluna a écrit:Mais, dans ce cas, je conseillerais au panda mignon d'y mettre la patte en commençant par Ronce-Rose.
C'est parti pour la patte :
Ronce-Rose
J'y suis donc allé du bout de la patte et j'ai surtout tourné autour. Pourtant dans cette histoire à hauteur de petite fille et un poil décalée on est assez vite dedans. C'est très fluide et sa manière de pied / contre-pied est au point et assez efficace même, il y a même des attentions qui me plaisent, tour de passe-passe nonchalant autour d'un petit rien, dans la démarche ça me plait. En pratique je suis prêt à trouver ça sympathique sans avoir réussi à vraiment me couler dans le texte. L'impression qu'il pourrait en faire des kilomètres sur le même mode sur presque tout, peut-être ? Ce qui ne m'empêche heureusement pas d'avoir apprécier et souri à certains passages et de ne pas du tout regretté cette expérience.
Dans ce passage par exemple, si l'ensemble ne m'emballe pas forcément, j'aime bien la phrase en gras :
Rascal en ce moment est noir avec une tache blanche si large qu'on pourrait aussi bien dire le contraire. Il ne fait pas de différence entre l'affût et la sieste et il y consacre presque tout son temps. Peut-être qu'il attire ses proies en rêvant de baies et de graines. Mais là, il s'est remué, il a même cru pouvoir attraper une mésange dans le sureau. Maintenant, il est coincé là-haut, incapable de redescendre et il regarde les oiseaux qui picorent dans l'herbe les graines et les baies de son rêve. Si c'était une vache celui-là, il faudrait lui fourrer à la main le foin dans les bajoues !
mots-clés : #contemporain #contemythe #enfance #humour #initiatique
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Re: Éric Chevillard
animal a écrit:J'y suis donc allé du bout de la patte et j'ai surtout tourné autour.
Je craignais pour la patte et je craignais pour la ronce...
De l'utilité de lire avec des gants : on ose y goûter.
Pour le prochain roman, il faudra se munir d'un casque...
En janvier 2019 paraît L'Explosion de la tortue !
Louvaluna- Messages : 1682
Date d'inscription : 19/03/2017
Re: Éric Chevillard
J'ai hâteLouvaluna a écrit:En janvier 2019 paraît L'Explosion de la tortue !
Quasimodo- Messages : 5461
Date d'inscription : 02/12/2016
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Re: Éric Chevillard
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Etre dans le vent, c'est l'histoire d'une feuille morte.
Flore Vasseur
topocl- Messages : 8552
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