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Jacques Réda

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Message par Aventin Mar 6 Nov - 22:13

Jacques Réda
(Né en 1929)

Jacques Réda Jacque10


Jacques Réda est né à Lunéville le 24 janvier 1929.

Après des études inachevées de droit, il s'installe à Paris en 1953.
Il a fait paraître des poèmes dans des revues de référence, bien oubliées aujourd'hui, comme Les Lettres, La pipe en écume, Quo Vadis...

Puis il fut lié aux notoires Cahiers du Sud, Cahiers du chemin, Jazz Magazine.  

Il fut membre du comité de lecture des éditions Gallimard, avant de devenir rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française de 1987 à 1995, succédant à Georges Lambrichs.
Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1997, il sera également distingué par la remise de la bourse Goncourt de la poésie en 1999.

Bibliographie :

cliquer ici:

màj le 28/07/2023
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Message par Aventin Mar 6 Nov - 23:00

Les ruines de Paris

Jacques Réda Ruines12

Prose (?), 1977, nrf Poésie Gallimard, 160 pages environ.

Si un seul livre devait illustrer le fil Flâneries urbaines, cher à Jack-Hubert, alors ce pourrait être celui-là.
Il y a du Cingria dans Les ruines de Paris selon Jacques Réda.

Ce livre est constitué de billets, à moins que ce ne soit des vignettes (poèmes en prose ?), courts, digestes, prenants.
Réda en balade, généralement en Solex, ou à pied, souvent en train, dans un Paris insoupçonné, ou plutôt, grâce à son regard, c'est un Paris qui nous échappe généralement qui nous est restitué, révélé.
Un Paris...qui va, en fait, en fin de livre, jusqu'à la Champagne, la Bretagne, Fribourg, la Bourgogne et la Charente-Maritime, enfin, on n'est pas à ça près.

Son regard ? Tantôt onirique, perspicace, furibard, goguenard, kaléidoscopique, que sais-je encore...

Une très belle et forte lecture, avec un goût de reviens-y prononcé.
Les rares connivences énoncées (revendiquées ? ), comme Jean Grosjean, Bud Powell, Philippe Jaccottet et quelques autres, se fondent à merveille, font sens dans l'opus.

Extraits:

Le pied furtif de l'hérétique a écrit:
Et c'est sans doute l'indécision du soir qui m'ouvre cette étendue, toujours pourtant mêlée aux pierres et au fracas de Paris. Car en plein jour, surtout dans les mois mal apprivoisés (février, mars, novembre), quand l'air pâlit comme aux lisières des Landes et des marais, les rues creusent dans une lueur d'estuaire de sable: à chaque pas va surgir ce miroitement de perle entre des dunes, et le cœur bat, et d'entières forêts qui transhument stationnent aux carrefours, puis s'éclipsent d'un bond comme la licorne. Sur tous les monuments une sauvagerie élémentaire mais tende a subsisté. Réfugiée au ciel qui reste le plus sensible de cette terre, elle émeut jusqu'au marbre ignorant des heures et des saisons.  

Une noirceur de plus en plus dense a écrit:
Une noirceur de plus en plus dense annonce que la nuit va finir. Elle revient par détonations sur les gares de banlieue en pleine effervescence somnambulique. Les gens qui stationnent sous les lampes toujours insuffisantes existent peu. On ne sait pas ce qui tourne dans leurs cerveaux encore lourds de chaleur, d'espoir et de rêves prémonitoires qu'ils n'avaient pas voulus. Mais pour certains une sorte d'extase se prolonge: ils penchent, ne cherchent pas à bouger du tout. D'un quai déconcerté à l'autre qui saute comme une mine, quelque chose qui n'est plus l'espace impose la probabilité d'un monde sans histoire et sans jeu. Rien qu'une substance amorphe mais qui pèse et gonfle par massifs. Puis le roulement d'énormes dés lancés dans l'intervalle redistribue un chaos logique d'habitations. On ne distingue que les fenêtres éclairées qui sans cesse se déplacent par bonds orthogonaux, usant d'une notation aussi juste et indéchiffrable que celle des astres. Dans un entonnoir de mes doigts j'anéantis, au fond de la vitre, tous le reflets du compartiment; je guette un signe avant-coureur du jour par les échappées de campagne.      


Mots-clés : #lieu #poésie


Dernière édition par Aventin le Mer 7 Nov - 7:38, édité 2 fois
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Message par bix_229 Mer 7 Nov - 0:20

Et bien le voilà enfin !

Les talus, les chemins campagnards, les rues de Paris, les mirabelles.
A pied, à bicyclette, en solex, oui.
Et puis le jazz, une figure discrète, mais inoubliable, Reda.
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Message par bix_229 Mer 7 Nov - 0:30

Accidents de la circulation

Jacques Réda Reda11


Je viens de commencer ce recueil de récits poétiques et de petits voyages piétonniers de Jacques Réda.
Et je retrouve comme toujours, sa fantaisie légère et ses bonheurs d'expression. Je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer quelques extraits...
Avec ces quelques lignes en préambule :

"A première vue, penserez-vous sans doute en lisant ce livre (mais lisez le d'abord), ce sont plutot des incidents que des accidents qu'il raconte.
Mais "incidents de circulation", ça ne se dit pas, alors qu'il existe cette belle expression : "incidents de frontière", qui peut etre aurait mieux convenu. Gardons-la pour un autre livre. Et d'ailleurs : quelle frontière ?
Eh bien, celle qui passe par exemple entre le troisième et le dixième arrondissement de Paris, entre Montreuil et Bagnolet, le long d'une voie ferrée désaffectée en Bourgogne ou dans un jardin botanique de Madrid.
Car (on a beau circuler) c'est toujours et partout la meme : invisible,
certaine, de plus en plus proche.
Est-ce qu'on va enfin la franchir ? Oui, mais rien ne presse."

Récupéré


mots-clés : #autobiographie #humour #lieu
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Message par bix_229 Mer 7 Nov - 0:32

"Il m'a semblé en m'éveillant ce matin que je naissais. Ou devrai-je dire que je m'éveillai parce que je venais de naître ?
En tout cas je naissais à un age d'adulte déjà vieux, sans rien des cris de souffrance et des larmes de joie qui, d'habitude, accompagnent un tel évènement.
Durant quelques minutes, je vis penché tout contre le mien un énorme visage obscur, indéchiffrable : c'était ma mère la nuit qui, son affaire faite, se retirait en silence entre deux peupliers plantés là comme deux candélabres encore un peu funèbres, deux gardiens commis à ma surveillance et à ma protection"
Rue Triton. In : Accidents de la circulation, p. 53

"Longtemps, sur le quai de la gare, je vais suivre un trio composé d'un homme, d'une femme et d'une gamine de trois ou quatre ans.
Lui avec de longs cheveux sans doute décolorés qui bouclent et un long blouson de cuir, tel un Buffalo Bill de cirque pauvre ; elle, d'un ton de peau cuivré peut-être malais que rehausse le noir assez gai de sa robe ; la petite très blonde avec une jupe à volants et des chaussures de basket.
Et les trois avancent d'un bon pas sans échanger une parole.
Est-ce le père, est-ce la mère, est-ce leur enfant ? On croirait qu'ils se fichent ingénument de ces catégories ; qu'ils ne viennent
de nulle part et vont avec allégresse n'importe où..."
Retour à Chaury. In : Accidents de la circulation. P. 113
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Message par Tristram Mer 7 Nov - 7:08

Ça aussi, ça me plaît bien !

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par animal Mer 7 Nov - 7:58

Pourquoi pas !

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Message par Aventin Mer 7 Nov - 17:34

Grand merci aux petites mains de l'ombre, de la modération, qui veillent, pour le toilettage de la présentation Very Happy , serez-vous un jour assez reconnu(e)s et remercié(e)s ?

En complément du decorum deux albums complets de Jazz, échos aux allusions (ou plus exactement aux connivences revendiquées, à ceux-ci il faudrait ajouter le Requiem de Fauré, vous trouverez bien un TonTube tous seuls):


Mais,-de grâce commencez par là, par ce titre- It ever entered my mind, de Bud Powell, vous trouverez d'autres versions très dignes d'intérêt parmi les grands maîtres du Jazz, titre et version dont Réda fait explicitement référence, c'est un opus intimiste, introspectif et fouillé, approprié pour les jours courts de la saison - ou pour  la nuit, en toutes saisons-:
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Message par bix_229 Mer 7 Nov - 19:13

Quelques bribes diverses de Réda.


Tant bien que mal enfin j’atteins la place de la Concorde. L’espace devient tout à coup maritime. Même par vent presque nul, un souffle d’appareillage s’y fait sentir. Et, contre les colonnes, sous les balustrades où veillent des lions, montent en se balançant des vaisseaux à châteaux du Lorrain, dont tout le bois de coque et de mâts, et les cordes, et les toiles sifflent et craquent, déchirant l’étendard fumeux qui sans cesse se redéploie au-dessus de la ville. Je vais donc comme le long d’une plage, par des guérets. Et sans doute c’est l’indécision du soir qui m’ouvre cette étendue, toujours pourtant mêlée aux pierres et au fracas de Paris. Car en plein jour, surtout dans les mois mal apprivoisés (février, mars, novembre), quand l’air pâlit comme aux lisières des landes et des marais, les rues creusent dans une lueur d’estuaire de sable : à chaque pas va surgir ce miroitement de perle entre des dunes, et le cœur bat, et d’entières forêts qui transhument, stationnent aux carrefours, puis s’éclipsent d’un bond comme la licorne. Sur tous les monuments une sauvagerie élémentaire mais tendre a subsisté. Réfugiée au ciel qui reste le plus sensible de cette terre, elle émeut jusqu’au marbre ignorant des heures et des saisons. Un angle ébloui saute alors en étrave au milieu de ce flot de métamorphoses, hissant avec lui des palais dans la splendeur du premier jour. Des attelages de bronze vert s’envolent ; on sent, perdus entre deux houles antédiluviennes de fougères, les siècles en proie à leur fragilité, et l’espérance humaine écarquillée devant sa solitude. À présent c’est vraiment la nuit.

In Les Ruines de Paris (1977), ©️ Poésie-Gallimard, 1993, p.10-11

Chemins perdus

Pareils aux inquiets, aux longs velléitaires
Qui n’auront jamais su choisir un seul chemin,
Tous ceux que j’aperçois, lorsque je passe en train,
Filer à travers bois, dans l’épaisseur des terres,
Me paraissent chacun devenir, tour à tour,
Celui que j’aurais dû suivre sans aucun doute.
Je me dis : la voici, c’est elle, c’est la route
Certaine qu’il faudra revenir prendre un jour.
Mais aussitôt après, sous la viorne et la ronce,
Un sentier couleur d’os ou d’orange prononce
Sa courbe séduisante au détour d’un bosquet,
Et c’est encore un des chemins qui me manquaient.
Puis le bord d’un canal donne une autre réponse
À ce perpétuel élan vers le départ.
Mais je vous aime ainsi, chemins, déserts et libres.
Et tandis que les rails me tiennent à l’écart,
Vous venez vous confondre au réseau de mes fibres.


In Retour au calme, poèmes, ©️ Gallimard, 1989, p. 5


Une fois de plus, j’ai bien peur de n’avoir rien appris. Mais demain je saurai peut-être. Et ensuite à nouveau l’oubli. Donc plutôt ce vagabondage, plutôt cette maladie. J’aurai tout essayé pourtant : les médecines, les philosophies ; je ne pense pas qu’on en guérisse. Eh bien tant pis. Guérir de quoi, d’ailleurs ? La poésie est-elle autre chose après tout que la vie elle-même ? Ainsi un jour ça va, un autre ça ne va plus. À chacun son petit pas de danse vers sa limite, son dieu, son précipice.

In Celle qui vient à pas légers, ©️ Fata Morgana, 1985, p. 21

P.L.M.
Voilà pourquoi j’aime le train. On y est accoudé à une sorte de barrière mobile, scellé dans une torpille d’éternité qui transperce le blindage du temps. On en vient à ne plus même concevoir de départ , d’arrivée : on ne voit qu’une multitude de points qui sont l’une et l’autre à la fois, qui déterminent selon leurs plans une si parfaite polyrythmie de vitesses (des plus lointains, très lents, aux premiers qui se volatilisent), qu’on imagine lire une musique dont mathématiquement, se combinent les mesures et s’enchaînent les accords. Et c’est la musique même de la planète, délivrée par ce plectre énorme contre deux cordes de fer, les harpes sauteuses du télégraphe.

In L’Herbe des talus (1984), dans Poètes d’aujourd’hui, ©️ Seghers, 1986, p. 121-122

Sur : La pierre et le sel
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Message par Nadine Mer 7 Nov - 22:52

Quel beau fil.
Je dois absolument lire cet homme. Son phrasé est très particulier, il touche la beauté sans lyrisme, et le concret sans pauvreté.
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Message par bix_229 Mer 7 Nov - 23:43

Les vieux poètes en habits raides,
Ils ont aussi franchi la porte, un soir d’été
Et, le temps d’une abeille,
La petite flamme immortelle
A dansé dans leurs yeux.
Tard dans la nuit, en revenant du bal,
Ils ont pissé dans le canal,
Contre le mur du cimetière,
Et du silence autour fort comme une montagne,
Descendait le torrent de soie des peupliers.
Déjà beaucoup de morts étaient en travail sous la terre,
Mais dimanche et l’oubli même les apaisaient,
Et la herse à l’envers au bout d’un champ luisait,
Tenant entre ses dents du foin mêlé d’étoiles.
A mi-côte ils ont appelé :
Pour rien, pour le plaisir d’entendre
Leurs voix se perdre au fond des granges, des greniers
Remplis d’un blé houleux comme le corps des femmes,
Et puis dans la rumeur toujours en marche sous la nuit.


(Retour au calme/Le retour du Bal)
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Message par Tristram Mer 7 Nov - 23:49

Les vieux poètes en habits raides,

Ils ont aussi franchi la porte, un soir d’été

Et, le temps d’une abeille,

La petite flamme immortelle

A dansé dans leurs yeux.
Allusion à l'Académie ?

_________________
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Message par bix_229 Jeu 8 Nov - 15:38

Je ne pense pas. Simple métaphore à mon avis.
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Message par Aventin Sam 1 Déc - 6:59

Ponts flottants

Jacques Réda Ponts10

2006, 192 pages environ, Gallimard.
Ce "n'est pas un roman", précise l'auteur.

J'ai trouvé cet opus un peu moins fulgurant que "les ruines de Paris", toutefois il dégage beaucoup de sérénité, pas mal de recul.
C'est davantage patchwork aussi, sont-ce les aléas de la technique halieutique ?  
Jacques Réda, dans une interview a écrit:J'observe et j'écris en somme comme d'autres pêchent, sans ambition quant à la valeur de mes prises et aux raisons qu'on peut avoir de s'en enorgueillir.

Ouvrage découpé en deux parties, "Exercices d'espace" et "Présomptions quand aux éléments", elles-mêmes subdivisées en textes courts, parfois intitulés, ou groupés comme sous une bannière par un chiffre romain. L'hétéroclite apparent procède d'une construction, nous le découvrons peu à peu.
Le titre s'éclaircit enfin dans le tout dernier texte.

La partie "Présomptions quand aux éléments" est assez surprenante, tandis que les errances cingriesques des "Exercices d'espace" correspondent davantage à ce qu'on escompte trouver sous sa plume.

J'ai beaucoup aimé.
Difficile de ressortir un texte plutôt qu'un autre.
"Prose du TGV", l'étonnant et, somme toute, humoristique "L'installation", "Terminus Gallieni" et bien d'autres de ces courts textes - je mets "textes" par défaut, on ne peut pas parler de nouvelles...j'arrête là, sinon je vais tout citer...
"Belcier", un quartier de Bordeaux que je connais bien, m'a évidemment occasionné un petit bond rapide du palpitant, la description date des années 2000, Réda serait (est, peut-être) ennuyé de voir combien ce quartier a mal tourné changé en quinze ans. Car aujourd'hui c'est, comme Réda l'écrit dans et à propos d'Alouettes, il n'y a que la couleur blanche à changer:
Alouettes a écrit:
Soit un ensemble de gros cubiques immeubles tout blancs séparés par de larges avenues perpendiculaires aux arbres en crayons d'architecte, et comme on en a construit partout.
(...) ces édifices, conçus pour le meilleur rendement immobilier (...) Tout neufs et d'une propreté de laboratoire, ces blocs prennent passivement le pouls de l'espace et rendent presque palpable l'énorme amplitude de sa période qui nous inclut.  

Palmyre (Syrie) me remit en mémoire une visite quasi-similaire effectuée, peut-être la même année, à Baalbek la libanaise...

Terminus Gallieni a écrit:Enfin je reviens au lieu où la dévastation scialytique plate s'anime: une dame maigre et blonde ébouriffe sa crinière dans un abribus; dans un autre, deux amoureux donnent consistance à une tératologie contre un plan de réseau; je tourne en boitillant sur place comme un vieux marabout: on croirait le début d'un zoo déjà frappé d'interdiction administrative.

Topocryptographies a écrit:
Sully pose ainsi dans la plaine le petit transformateur architectural d'une énergie obscure d'où provient sa clarté: il fixe la dernière image d'un conte où les forces mauvaises, mais qui attendent que nos frayeurs les appellent pour survenir et se dévouer à leur service,  ont succombé à la puissance bénigne d'un ordre mis en œuvre par une intention toute humaine de faste discret et sans frivolité.

Palmyre a écrit:Tous refusent de m'accompagner entre ces fantômes de colonnes.
Leur ombre tourne pour le soleil qui n'a pas besoin d'aiguilles ou de cadrans:
La lune boiteuse n'ébranle rien dans leur forêt de béquilles votives.
J'ai dormi là en plein midi dans l'ombre d'un temple ruiné.
J'ai visité des tombeaux d'où les morts eux-mêmes s'étaient enfuis.
Mais je n'ai pas voulu faire l'idiot sur la bosse d'un dromadaire.

Prose du TGV a écrit:
Bien établi dans le silence et la régularité de sa vitesse, le déplacement fuit sous une bulle où l'on croit ne plus bouger.
C'est le paysage qui défile dans le contrepoint rythmique de ses plans.
Les plus proches se bousculent sous le battement des poteaux qui les matraque, les réduit en balle, en bouillie.
Un peu plus loin se stabilisent des pièces de blé en voie de mûrir où, une fraction de seconde, l'œil entre des milliards isole un seul épi, le soupèse, se réjouit de l'adhésion intense et parfaitement structurée de ses grains.
Les lèvres comme les yeux au bord d'une coupe inépuisable, on boit, à même les nappes de céréales aux nuances diverses d'eau, à même le ciel étale.  
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Message par Bédoulène Sam 1 Déc - 7:52

merci beaucoup Aventin pour ce choix d'extraits et ton ressenti !

_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



[/i]
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Message par bix_229 Sam 1 Déc - 21:07

« Je regarde souvent la rue où je vais comme si
J’avais depuis longtemps quitté l’émouvante surface
Du monde pour l’autre côté sans fond qui nous efface
Un jour ou l’autre mais libre de souci. »


Mes préférés dans mon souvenir, L'Herbe des talus, Ruines de Paris, Hors les murs.
On y sent la bonhommie et parfois la mélancolie du promeneur saisi par la fuite du temps.

"L'herbe nous ressemble : elle pousse partout. Entre les pavés des capitales aussi bien que le long des talus. Et notre mémoire aussi est comme une grande prairie, où l'herbe se relève sur nos sentiers. Ainsi l'herbe nous ressemble parce qu'elle se renouvelle, tout en restant l'herbe de toujours. Elle a l'opiniâtreté de l'espérance et la profondeur de l'oubli. Le vent l'aime, il la fait courir, comme courent les mots dans nos têtes puis sur une page, quand on se laisse emporter au souffle variable des jours.Ce livre est une promenade dans l'herbe, où brillent des yeux et des souvenirs. À travers les Highlands ou en Grèce, à Rome ou à Budapest, sur la Loire ou devant le caveau de famille, à pied ou en chemin de fer, c'est un peu l'herbe elle-même qui se promène dans le livre à son tour. Elle révèle à la fin son goût de temps et d'espace au poète qui, tant par dévotion que par conscience professionnelle, n'a pas hésité à brouter."


L'Herbe des talus
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Message par Aventin Mer 27 Fév - 16:35

Des écarts expérimentaux

Jacques Réda Rzoda_10

2015, éditions Fata Morgana.

("Belle" édition je trouve pour un tarif raisonnable, couverture sobre, papier agréable au maniement.)

Trois parties (Lieux communs, Mémorables et In situ) divisées en un total d'une vingtaine de chapitres.
Pensées ou réflexions (?), 140 pages environ. Il s'agit de billets liés par un thème.


Liés par un thème disais-je ?

Mais quel thème ? Peut-être le temps, peut-être la relativité (au sens scientifique), peut-être le concept (propre à Réda) de battement par lequel l'auteur clôt le livre...

Le temps est une manière de toute-puissance, et, s'agissant d'un être central (ou "centrique") l'être humain, il est lié intimement à l'espace, à la dimension spatiale.

L'être humain mesure le temps. Réda échantillonne des séquences de non-temps:
In situ, entame du Chapitre Trente minutes de non-temps a écrit:
Nous menons contre le temps une sorte de guérilla qui ne remporte que de petites victoires locales et sans effet durable sur son écrasante domination
 
Réda donne, si j'en crois les titres de ses ouvrages parus dans la dizaine d'années environ précédant celui-ci, dans la collusion scientifique façon Chimie amusante de nos jeunes années.
Lieux communs, Chapitre Sur le motif a écrit:Ce sont indubitablement de telles réflexions qui m'ont amené à les vouloir étendre dans le champ des sciences physiques, avec l'enthousiasme brouillon des bricoleurs sous-équipés.
De ce mélange ressenti-science-prosodie ressortent des questionnements, creusés, retournés en tous sens.
Réda, géodésien semi-abstrait semi-concret pose ses jalons, bâtit ses tourelles, édifie ses cairns quel que soit le terrain (et la page de l'écrivain, vierge, barbouillée, aboutie ou jetée est parfois, physiquement, pour lui "un terrain" comme il l'explique dans le chapitre Papyromancies qui ouvre la dernière partie, In situ).

Temps et espace donc, ce qui paraît être l'objet discursif poursuivi par Réda est les petits "trous noirs", qu'il s'agisse de syncopes (à la manière d'un rythme syncopé), ou encore le rêve, voire la grande inconnue (Réda la désigne en citant alors Mallarmé sans le nommer, ou plutôt en disant juste "le poète"):
Lieux communs, Chapitre Miroirs a écrit: peu profond ruisseau calomnié, la mort
Il n'en reste pas moins que:
Réda, à son meilleur, ce qui n'est pas forcément dans cet ouvrage à mon humble avis (allez-y, permis de lyncher cette opinion accordé)  c'est l’œil, le regard métaphysicien dont nous avons besoin pour transposer dans l’infini sidéral des détails de petitesse, de quotidien, inaperçus -je crois- par la quasi-totalité d'entre nous.
Le cosmos à portée de trivialité, en somme:
Le chapitre "Changement à République", qui referme la partie Mémorables, est à déguster tout particulièrement en illustration de ceci.


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Message par Aventin Lun 22 Avr - 19:29

Toutes sortes de gens

Jacques Réda Rzoda10
Vingt courtes nouvelles, 2007, 105 pages environ, éditeur: Fata Morgana.

Avec son air badaud et narquois, Réda nous conte là quelques rencontres (mais en sont-ce, toutes, vraiment ?) très variées, étagées dans le temps (de son enfance à l'époque d'écriture).
Ne cherchez pas trop ce prétendu dénominateur commun aux nouvelles, c'est davantage un prétexte à batifoler de mises en perspectives à situations valant détours, circonvolutions et pose d'un mot rare dans quelque recoin de texte.

Je les ai trouvées inégales en intérêt (bon, c'est bien sûr subjectif) - en particulier une série qui se suit dans l'ordre de publication: Annonciation à Kensington - Les Géants - Les Thons - Amer Bébé - Un Pigeon.

J'admets une préférence pour: Chez Crouvizier - Les camps-volants - La Boulangerie du bout du Bois-du-Bouc - Un stylite - Le Comptable.

Et je cherche toujours, embarqué dans les méandres d'une métaphysique aux bords (contenus) du délirant, la clef de compréhension (ou d'appréhension) de Dédale des Possibles.

On pressent le cheminement, bien que nous ayons affaire à un chemineau tortueux, imprévisible, cingriesque, qui mènera Réda à Des écarts expérimentaux (voir ci-dessus).  

Je ne recommande pas particulièrement ces nouvelles-là en première découverte de l'auteur; dans ma petite hiérarchie de ce qui fut chroniqué ci-dessus, c'est bien en-deçà de Ponts Flottants et, bien sûr, du chef d'œuvre Les Ruines de Paris: mais, agréablement troussé dans une langue empreinte de séduction, ça reste tout de même fort plaisant.

Échantillon, un peu choisi pour la part de clin d'œil cingriesque j'en conviens:

L'Excursionniste a écrit:
Mais, le temps que je me repose à l'ombre d'un repli mou des collines, le soir était venu, j'établis mon petit campement.

Quelle nuit épouvantable ! Ce ne furent dans la plaine que des hurlements de vent, de bêtes, d'hommes qu'on dévalise, qu'on torture, qu'on massacre ou qu'aspire le sol sournois d'un marécage.

Au loin de l'autre côté de la plaine, je finis par discerner une lueur d'une turbulente intensité.

Oh, pensai-je, voici que la buvette a pris feu et - sachant quel sommeil de plomb la noyait après ses vaticinations exaltées - quede  ma diserte et tendre hôtesse il ne restera qu'un pain de charbon !

Puis je m'endormis dans mon duvet confortable, et ne rêvai pas une seule fois.

Au matin je scrutai l'horizon pour y découvrir la moindre fumée: rien.

Je n'avais à coup sûr fait qu'ajouter au corpus des légendes une péripétie de mon cru, et je l'ai gardée pour moi durant des dizaines d'années: je n'y songeais presque plus.

J'y songeais déjà moins quand, franchi le maigre obstacle des collines, je rencontrai bientôt, à l'écart d'un village de trente-et-une maisons, une halte ferroviaire dont le gardien, ma foi, me fit fête, et avec qui je disputai plusieurs parties de jacquet, jeu que je déteste, mais j'y prenais une part d'agrément.

Peut-être parce que, les perdant les unes derrière les autres, je me réjouissais de procurer à cet homme souvent privé de compagnie une grande satisfaction.

Cependant j'avais raté de peu le seul de la journée qui m'eût reconduit vite et directement chez moi.    

   



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Message par Aventin Ven 10 Mai - 14:51

Accidents de la circulation

Jacques Réda Accide12
180 pages environ. Nouvelles, bien que l'auteur préfère récits. Paru en 2001.


L'arpenteur du quotidien urbain sublimé nous entraîne cette fois-ci (et pour ne pas trop changer) dans son Paris maintes fois encré dans sa prose, entre narquois, préciosité, poésie et agapes quasi de l'ordre cingriesque.
Avec incursions, à moins qu'excursions ne soit un terme préférable, en France profonde, à Lisbonne, à Madrid, à Bologne (pour "les cravates", qu'on peut trouver ailleurs chez cet auteur - il doit aimer donc ce récit-là, à moins que l'amateur ne soit son éditeur).

Homme aux semelles d'évent, il met en évidence tout ce que la confrérie de la voirie et du fil à linge cèle, de façon géo-poétiquement correcte (cher Jack-Hubert, si tu passes par ce fil d'auteur, qui n'est pas qu'à linge...).

Nul besoin d'aller s'immerger dans des tessons de civilisations rares, dans des paysages sublimes, des rencontres hors du commun: le simple franchissement géographique de votre boîte aux lettres suffit à entrer dans un monde exceptionnel, à condition bien entendu de subodorer sa présence, ce qui est une autre paire de manches.
Mais-bonheur et tutoriel-, voilà Réda à la rescousse, puis à la manœuvre et à la barre, on lève le doigt pour se laisser désigner passager attentif et silencieux.

Ces Accidents de la circulation, dans lesquels il n'y a jamais crash ! au sens ballardien du terme, et plutôt collusion que collision, ont leur charme (usuel chez l'auteur) un peu bric-et-broc.

Narquois disais-je, flegmatique, bonhomme et gentiment humoristique, le gentilhomme Réda.  

Un mot sur le découpage du livre:
25 récits (ou nouvelles), charpentés en 4 titres de chapitre, qui valent qu'on les cite parce qu'ils se répondent et composent une phrase:

Quand on sent que le temps va tourner à l'orage,
(11 récits)
il vaut mieux s'aviser de prendre un peu de champ,
(5 récits)
puis reprendre la route, en roulant, en marchant,
(5 récits)
en se laissant porter au loin comme un nuage.
(4 récits).

Récit Roman de l'escabeau a écrit:
Peut-on attendre davantage d'une rue ? Raisonnablement: non, ou pour mieux dire: en bonne justice. Au-delà, les rues, si on leur tourne la tête, on ne sait pas de quoi elles seront capables ensuite pour leur malheur. Elles ressembleront à celles de la banlieue pavillonnaire qui ont complètement perdu le nord, auxquelles il faudrait sans arrêt rappeler le parcours qu'elles ont à suivre ou simplement leur nom qui se répète dans les communes avoisinantes.  Si je renais au mot la rue du Retrait dans les intentions qu'elle manifeste, ce serait abuser de l'innocence, parce qu'elle propose quelque chose qu'elle ne comprend pas bien.




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Message par Bédoulène Ven 10 Mai - 15:43

merci Aventin, ça ressemble à de la flânerie (?)

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