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Malcolm Lowry

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Message par bix_229 Jeu 8 Déc 2016 - 23:53

Malcolm Lowry (1909-1957)

Malcolm Lowry   Metcal10 Malcolm Lowry   Lowry110

Malcolm LOWRY, 1909-1957, est né dans le Cheshire.

A 18 ans, il s' embarque comme steward sur un bateau en route vers la Chine. Cette première expérience sera décisive.
A son retour, il entreprend des études à Cambridge. Mais entre temps, il a fait une escapade sur un cargo norvégien.

En 1931, parait son premier roman, Ultramarine, qui est autant un récit de mer qu' une aventure intérieure.
Il est alors profondément influencé par un écrivain, Conrad Aiken, dont il deviendra le disciple avant d' être son ami.

De 1936 à 1937, il vit au Mexique, un très mauvais séjour, où il connait les pires tracasseries de la part de la police mexicaine.
Il écrit une première esquisse de Au dessous du volcan.

De 1940 à 1954, il vivra à Dollarton, en Colombie Britannique, en compagnie de Marjorie, sa seconde épouse.
De 1954 à 1957, il visite l' Italie et la Sicile et il meurt en Angleterre, victime de l' alcool et des somnifères.

L'œuvre de Lowry pâtit un peu à coté de Au dessous du volcan, un ouvrage auquel il a consacré 10 ans de sa vie, l' écrivant et le réécrivant sans cesse.
Et puis partout où il passe, les maisons flambent et ses manuscrits.
Malcolm Lowry a parlé de cette malédiction dans une nouvelle au titre ironique intitulée : Le feu du ciel vous suit à la trace monsieur.
Ce thème de la malédiction est partout présent dans Au dessous du volcan.
Malcolm Lowry a l' impression d'être là pour payer quelque chose dont il est coupable mais sans savoir quoi.
Et cette obsession réelle est très présente dans le Volcan et dans le
personnage du consul.
Toute sa vie Lowry sera obsédé par l'alcool et la littérature, mais c'est l'alcool qui aura le dernier mot. Malcolm Lowry avait en tête un vaste projet de cycle romanesque qui s' intitulerait : The Voyage that never ends.
Mais l' alcool mit un terme à ce vaste projet.

Œuvres traduites en français :

Romans et nouvelles
1933 : Ultramarine :  Page 1, 2
1947 : Au-dessous du volcan : Page 1
Le Garde-fantôme (nouvelles, y compris Chambre d'hôtel à Chartres) : Page 2, 3
Le feu vous suit à la trace, Monsieur ! suivi de Le jardin d'Etla
Le voyage infini, vers la mer blanche :  Page 2

Les œuvres suivantes ont été publiées en français uniquement dans la publication posthume Malcolm Lowry. Romans, nouvelles et poèmes :
Le Caustique lunaire (1956) :  Page 1, 3
Écoute notre voix (1961)
Sombre comme la tombe où repose mon ami
En route vers l'île de Gabriola

Poésie :
Poésies complètes
Pour l'amour de mourir

Correspondance :
Choix de lettres publié dans Malcolm Lowry. Romans, nouvelles et poèmes

MAJ le 10/01/2023



Malcolm Lowry   513ywo10

Au dessous du volcan :

Au dessous du volcan est un livre somme composé de matériaux autobiographiques et d'éléments complexes de symbolique.
Ce n'est pas un livre facile ni aimable.
La première fois que je l'ai lu, j'ai eu une impression de frustration, de rencontre ratée. Mais ce livre, comme d'autres, m'avait laissé une impression profonde et je savais que j'y retournerais. Parce que Au dessous du volcan fait partie de ces œuvres qu'on peut lire et relire sans épuiser jamais les significations possibles et les interprétations.
Je n'ignore pas qu'il y a toujours eu une confrérie de branchés autour de ce livre. Mais pas plus que autour de Carver, Bukowski, Kerouac ou Pynchon. Heureusement on les entend beaucoup moins et on peut lire le livre en toute sérénité.
En fait peu de gens l'ont vraiment lu, mais ce sont souvent ceux qui le connaissent le moins qui en parlent le plus. Il faut dire que comme certains chefs d'œuvre, c'est un livre étrange où l'on se sent assez souvent mal à l'aise et effrayé, parce que c'est un livre qui échappe à toute norme.
Par exemple le premier chapitre du roman est aussi le dernier. C'est ainsi qu' on est entraîné dans un tourbillon qui n'a pas eu de commencement et qui pourrait ne pas avoir de fin.

Les personnages disparaissent, mais les questions que le livre pose restent posées. Elles deviennent celles du lecteur.
Le personnage central est le consul Geoffrey Fermin, (un double de Malcolm Lowry lui-même).
C'est un personnage pathétique. Il ne cesse de souffrir, de délirer de chercher à fuir. D'appeler au secours. Il a l'impression affreuse  d'expier une faute qu'il n' a peut-être pas commise mais qu'il lui faut assumer jusqu' au bout. Jusqu'au châtiment.
On peut dire qu' il finira par mourir réconcilié avec le monde et avec lui-même.
Un tel personnage fait inévitablement penser à Lord Jim de Conrad. A ceci près qu' il pense qu' il n'y a aucun rachat possible. Et donc il boit jusqu' au delirium tremens.
Lowry qualifiait son œuvre de Divine Comédie ivre.
Il y a pourtant aussi une histoire d'amour belle et poignante. Une des plus belles et poignantes que je connaisse.

Malcolm Lowry est mort jeune et dans des conditions mal élucidées. Et depuis sa mort, on ne cesse de publier des textes qu'il a à peine écrit lui-même.
On sait à peu près que Margerie, fait partie de ces veuves abusives qui publient des textes sans l'accord de l'auteur. En les réécrivant en partie et c'est très dommageable.

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Message par Bédoulène Ven 9 Déc 2016 - 6:42

Je n'ai lu, pour le moment, que 3 livres de Lowry, Sous le volcan, En route pour Cabriola et les nouvelles de "Ecoute notre voix O Seigneur" les mêmes thèmes se retrouvent, le bateau et l'équipage, l'alcool, l' auteur qui pense à haute voix, les incendies qui le poursuivent ; Lowry critique de l'écrivain Lowry (quel que soit le nom attribué dans les livres à l'écrivain). La "maison", cabane ou autre habitation dont la description est aussi la même et le lieu : bord de l'eau et la forêt derrière. De nombreuses citations pour étayer ses pensées, en langue étrangère comme tu le notes.
J'ai l'impression que l'écriture de Lowry se réalise en départs/retours concentriques. Mais quelle écriture ! les descriptions sont magnifiques même si elles sont accompagnées, presque toujours, d'ombres (mauvais présages, peur.......)

J'ai souffert à le lire, à suivre ses pensées je me suis perdue dans un labyrinthe.................concentrique lui aussi mais j'ai trouvé la porte ouvrant sur une autre lecture.

Je dois pas être très lisible là ! Malcolm Lowry   2441072346

Bref, je continuerai à lire Lowry !

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Message par Tristram Mar 29 Aoû 2017 - 15:56

Je découvre ce fil dans notre labyrinthique espace télématique, et relaie l'annonce suivante : une version du roman inachevé Rumbo al Mar Blanco​ (Cap sur la mer Blanche) aurait été retrouvée et sera prochainement éditée. Espérant qu'il y reste un bonne part du travail de son auteur...

« – Peut-être tu écriras un livre sur tes expériences.
Ja, peut-être, dis-je. C’est une idée. Mais le désir d’écrire est une maladie comme n’importe quelle autre maladie, et ce que l’on écrit, si l’on veut être un tant soit peu efficace, doit être solidement ancré dans une sorte d’autochtonie. Et là j’abdique. Je ne suis pas plus capable de créer que de voler dans les airs. Ce que je pourrais achever serait le sempiternel, timide premier roman dont il serait rendu compte à la morgue du Times Literary supplement, "une chose indigeste et mal agencée", quelque chose de cette nature, dont le principal personnage ne serait ni plus ni moins pris d’alcool ou d’amour que l’abominable auteur en personne. Et puis, je crains que ça ne soit qu’une maladie infantile, diarrhea scribendi, rien de plus. Mais excusez-moi, je n’exige pas que vous me suiviez, je m’exprime toujours ainsi quand je suis noir. »
Malcolm Lowry, « Ultramarine » III
« (Note : serait-ce trop que de dire que tous ces thèmes musicaux qu’aucun lecteur ne peut raisonnablement appréhender de manière consciente à la première ou à la quatrième lecture donnent néanmoins inconsciemment son poids au roman ?) »
Malcolm Lowry, lettre à son futur éditeur Jonathan Cape, concernant « Sous le volcan », 2 janvier 1946
« Malgré sa tenace gueule de bois, il se sentait joyeux. Enclos dans son propre roman. Ce qui d’une part lui donnait une illusion de puissance, de l’autre l’apparentait à une marionnette. Ou bien Dieu refermerait-il le livre sur lui comme sur un vulgaire insecte ? »

« Impossible d’échapper à la certitude que tout cela était lourd de signification, que dans nos vies tout a un sens. »
Malcolm Lowry, « Sombre comme la tombe où repose mon ami »
« Oui, il aspirait à la sobriété, cette intoxication pure. »
Malcolm Lowry, « En route vers l’île de Gabriola »

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Message par Marie Mar 29 Aoû 2017 - 18:28

Bix a écrit:La première fois que je l'ai lu, j'ai eu une impression de frustration, de rencontre ratée. Mais ce livre, comme d'autres, m'avait laissé une impression profonde et je savais que j'y retournerais. Parce que Au dessous du volcan fait partie de ces œuvres qu'on peut lire et relire sans épuiser jamais les significations possibles et les interprétations.

Même chose! Ce serait vraiment un livre pour une lecture-ou relecture- commune, c'est un roman dans lequel on se perd complètement si on ne lit pas avec attention chaque phrase , Malcom Lowry a mis une quinzaine d'années à l'écrire, on sent que tout a son importance.
Bien sûr, on retient les grands thèmes, la culpabilité qui consume, l'amour passionné mais l'impossibilité du couple. La période, une journée de 1938, jour de la fête des morts.
Et bien sûr,l'alcool..

Quelques lignes:
Le Consul baisa enfin les yeux. Combien de bouteilles depuis lors? Dans combien de verres,dans combien de bouteilles s'était-il caché,seul depuis lors? Soudain il les vit, les bouteilles d'eau de vie,d'anis, de xérès,de Higland Queen,les verres,une babel de verres- immense, telle la fumée du tain aujourd'hui-dressée jusqu'au ciel,puis croulant,les verres culbutant et se fracassant,tombés des Jardins du Generalife,les bouteilles brisées,bouteilles de'Oporto tinto, blanco, bouteilles de Pernod, d'Oxygénée,d'absinthe ,bouteilles éclatées,bouteilles au rebut,tombées avec un bruit mat sur le sol des parcs,sous les ancs, les lits,les sièges de cinémas, cachées dans les tiroirs des Consulats, bouteilles de Cavados, lâchées et cassées ,ou éclatées en miettes,jetés au tas d'ordures,lancées dans la mer, la Méditerranée,la Caspienne, la mer des Caraïbes,bouteilles flottant sur l'Océan, maccabées écossais, sur les Highlands de l'Atlantique- et maintenant il les voyait, les sentait,tous, depuis le tout début- bouteilles ,bouteilles, bouteilles, et verres, verres, verres, de bitter,de Dubonnet, de Falstaff, de Rye, de Johnny Walker, de Vieux Whiskey Blanc Canadien, les apéritifs,les digestifs, les demi, les doubles, les remettez-ça-garçon,les et glas Araks, les tsuen taks, les bouteilles, les bouteilles, les belles bouteilles de tequila,et les gourdes, gourdes, gourdes,les millions de gourdes de magnifique mescal..Le Consul restait assis sans bouger. Sa conscience s'assourdissait dans le fracas de l'eau. Elle geignait et battait dans la brise spasmodique autour de la charpente de bois de la maison,elle massait,dans les nuages d'orages vus par dessus les arbres, depuis les fenêtres, ses vigies. En vérité, comment pouvait-il espérer se retrouver,tout recommencer quand, quelque part, peut être dans une de ces bouteilles perdues ou brisées, dans un de ces verres qui gisait, à jamais, l'unique clé de son identité? Comment pouvait-il retourner voir à présent, chercher à quatre pattes dans les éclats de verre, sous les éternels bars, sous les océans?

Lu avec difficulté, en m'arrêtant souvent- ce qu'il ne faut pas faire,je crois.
J'ai bien conscience que c'est un texte difficile, que Malcom Lowry définissait comme une Divine Comédie ivre.
J'y reviendrai. Peut être.Si j'en ai le courage, c'est épuisant comme lecture!

Une citation de William Blake à la dernière page:

You never know what is enough
unless you know what is more than enough.


( récup)
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Message par animal Mar 29 Aoû 2017 - 18:31

Je devrais essayer (qu'il dit le gars qui a prévu l'expérience, mais quand) ?

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Message par Tristram Mar 29 Aoû 2017 - 18:34

Répons dans cette musique :
« Tout ce à quoi tu penses c’est ton prochain verre, toi ce que tu recherches, ce à quoi tu aspires, c’est peut-être ta mort. »
Malcolm Lowry, « En route vers l’île de Gabriola »

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Message par bix_229 Sam 7 Oct 2017 - 20:28

Un mot sur Conrad Aiken. Il n' a pas été que le mentor de Lowry, mais critique, poète et romancier de premier plan.
On commence à traduire ses poèmes en France.
Au livre que cite Dreep, Au dessus de l'abysse, qu il met en parallèle avec Au dessous du volcan, j'ajoute un roman d'Aiken que j'ai
beaucoup aimé : Un coeur pour les dieux du Mexique. - La Table ronde/ La Petite Vermillon.

Quant à Lowry, il faut lire son indispensable correspondance qui nous apprend beaucoup sur l'auteur et l'homme.
Pas mal de lettres sont adressées à Aiken et aussi à son éditeur.

En effet cet éditeur demandait à Lowry de modifier le texte du Volcan et Lowry adressa à son éditeur un plaidoyer désespéré et circonstancié pour justifier la
nécessité de son manuscrit et de son contenu.
Quand on sait le nombre d'années qu'avait passé sur le manuscrit et les circonstances extraordinaires qui l'obligeaient à le réécrire, on le comprend !

Lowry a aussi écrit un court texte sur le sort du manuscrit.
Il s'agit de Le Feu du ciel vous suit à la trace, monsieur. - La Nerthe Ed., un écrit très significatif, car marqué par la culpabilité de l'auteur semblable à celle du consul poursuivi par une obscure malédiction.
Obscure, mais irréversible.
Partout où il allait, en effet, il y avait incendie et c'est ainsi que le manuscrit du volcan fut détruit.
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Message par Tristram Sam 7 Oct 2017 - 23:50

A propos de la correspondance de Lowry avec son éditeur au sujet des coupures envisagées par ce dernier :
« Ce qui paraît gratuit, je le répète, fournit en fait l’ozone. »
Lettre à son futur éditeur Jonathan Cape, concernant « Sous le volcan », 2 janvier 1946

« …] injecter dans le livre un peu de ce que Gide appelle de l’ozone [… »
Lettre à Clarisse Francillon, sa traductrice en français, 1 mars 1950  

Et à propos de l'ozone chez Gide :
« Dans les écrits de Marx, j'étouffe. Il y manque quelque chose, je ne sais quel ozone, indispensable à la respiration de mon esprit »
Gide, Feuillets

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Message par Aventin Dim 8 Oct 2017 - 6:37

Lunar caustic

Souvent traduit avec le titre anglais laissé, sinon on le trouve intitulé Le caustique lunaire.
Malcolm Lowry   Lowry_10

Étrange opus, au fragile parcours mouvementé. En 1934, Lowry subit une cure de désintoxication de son éthylisme chronique à l'hôpital (psychiatrique) Bellevue de New-York. Il projette de se servir de ce matériau, de ce vécu, pour tenter un récit qui mettrait en scène un journaliste volontairement immergé dans une détention et qui se serait entendu avec un médecin pour que ce dernier lui facilite le travail d'enquête. Le reporter a l'infortune de se trouver à son arrivée dans un tel état d'ivrognerie que les services hospitaliers le placent d'office deux jours en observation...

Aucun éditeur ne souscrit au projet littéraire, mais, pressé par le besoin d'argent, Lowry reprend cette histoire en 1936, sous forme de nouvelle cette fois-ci, et l'intitule The last address.
Il la soumet à la rédaction de Story, une publication qui a déjà fait paraître plusieurs de ses nouvelles. Story achète la nouvelle, mais...ne la publie pas !

Suivant sa technique habituelle d'écriture, il revoit ensuite sa nouvelle à de nombreuses reprises, tente de la faire publier en 1939, sans y parvenir, puis élabore encore une autre mouture en 1942. C'est la seule version imprimée du vivant de Lowry. C'est celle qui est publiée sous le titre "le caustique lunaire" en seconde partie dans l'édition 10-18.

Ce qu'on sait de témoignages concordants, c'est que Lowry avait en projet une vaste œuvre, dénommée "the voyage that never ends" dont "au-dessous du volcan" serait le centre, et que cette œuvre serait composée de sept romans.
Lunar Caustic / the last address devait être épaissi, pour être l'un de ces sept romans.

Selon Maurice Nadeau en préface de l'édition 10-18 du bouquin, Lowry travaillait sur cinq, dix ou même vingt versions d'une même phrase, paragraphe ou chapitre, constamment.

Ces juxtapositions / superpositions d'une même phrase, une fois passées au tamis fin, rendent ce que Lowry fait stylistiquement de meilleur, ces élans à plusieurs plans de lecture, à tiroirs ouverts et d'une richesse débordante, et pourtant paraissant limpides et simples, fluides, mais donnant au lecteur l'impression de ne jamais tout à fait faire le tour de la proposition littéraire de l'auteur.

The Lunar caustic, le caustique lunaire, vous l'aurez compris, c'est la même nouvelle imprimée deux fois à la suite. L'une est plus noire, plus complexe, plus désordonnée sans doute, et provient de la direction arbitrale de Marjorie Lowry, la veuve de Malcom, et de l'ami de Lowry, Conrad Knickerbocker, qui ont puisé dans les fonds très garnis de Malcom Lowry.
Je doute (mais je me trompe souvent !) qu'ils aient bricolés, ou ré-écrits, certains passages, ils avaient le choix, l'abondance de versions était telle ! Et puis la version Lunar Caustic (ma préférée) sonne trop comme du Lowry pour être du travail de faussaire...pourtant ils subirent un procès d'intention, qui dure encore.

Je ne suis pas tout à fait la direction de collection dans leur choix, et si je peux jouer au petit éditeur amateur, placer la version intitulée "le caustique lunaire" avant celle éponyme à l'ouvrage (Lunar caustic) eût été plus inspiré: tout ça pour dire que je vous encourage à plutôt lire cette même histoire sous deux facettes dans cet ordre-là...

Un mot sur le titre: Lunar caustic est bien sûr composé d'après lunatic asylum, asile d'aliénés- hôpital psychiatrique.

Chapitre I a écrit:Un homme sort d'un bistrot, du côté des docks, au petit matin, une bouteille de whisky dans la poche. L'odeur de la mer emplit ses narines et il glisse sur les pavés aussi légèrement qu'un bateau qui quitte le port.
Bientôt pris dans une tempête, battu de toutes parts, il s'efforce désespérément de revenir en arrière. Maintenant, il accepterait l'abri de n'importe quel port.
Il entre dans un autre bar.
Il en émerge, astucieusement remis à flot, mais alors les difficultés recommencent.

Et notre rimbaldien bateau ivre va parvenir jusqu'à l'hôpital psychiatrique, dans une superbe brève phrase nette, souvent mise en exergue, une des plus connues du livre et qui est la dernière du chapitre 1:
Chapitre I a écrit:Avec le fracas frémissant d'un vaisseau lancé contre les récifs, la porte se referme derrière lui.
Cet hôpital borde un petit port entre deux quais et surplombe une péniche échouée que nous retrouverons tout au long du livre. Cette péniche-là en particulier est un élément essentiel du décor du livre, elle fait sens. Le chapitre 2 est entièrement consacré à la décoration "marine" environnante. On y trouve un:
Chapitre II a écrit:Les canots à moteur bleus et blancs, amarrés là, [...] et, sans cesser de se chamailler et se se taquiner sur ce fleuve d'une noirceur de suicide, ils semblaient conter de tendres histoires de jeunes filles, en été.

Au reste, chapitre 3, quand le héros, dont le nom n'est pas clair et sûrement d'emprunt (Bill Plantagenet ? Lawhill ?), reprend connaissance dans son nouvel univers carcéralo-hospitalier, il se croit dans un bateau. On est déjà dans l'espèce d'irréel, je dirais plutôt de trans-réel, qui est la marque de cette nouvelle, et qui n'est pas sans rappeler comme Maurice Nadeau le repère en préface le premier cercle de l'enfer de Dante Aligheri;  une scène de cauchemar, à moins que ce ne soit de delirium tremens, pour vous souligner tout ça, jugez plutôt:
Chapitre III a écrit:De terribles ombres s'approchèrent en foule, puis s'éloignèrent de lui. Une cataracte d'eau se déversa à travers la muraille, envahit la chambre. Une main rouge, gesticulante, l'aiguillonnait; sur le flanc ravagé d'une montagne, un torrent rapide charriait des corps sans jambes dont les plaintes jaillissaient de grandes orbites garnies de dents cassées. Une musique devint un cri perçant, s'apaisa. Sur un lit en désordre, maculé de sang, dans une maison à la façade soufflée, un énorme scorpion violait avec gravité une négresse manchote.

Puis nous découvrons les trois futurs amis de Bill Plantagenet-Lawhill, Garry, le petit garçon "Rimbaud adolescent", à la tête pleine d'histoires qu'il invente sans cesse, M. Kalowsky, un vieillard juif errant plutôt tendre, Battle, un grand noir hyperactif:  Et, au fil des pages, nous sommes convaincus comme Bill que leur détention est un arbitraire, un malentendu, qu'ils n'ont rien à faire là. Toujours ce jeu très constant dans l'oeuvre de Lowry sur la normalité - l'adaptation au monde, et le fragile écart qui en sépare les autres, le reste, les désemparés, les aliénés, les inadaptés ou considérés comme tels.

Les tirades magistrales de l'entrevue entre Bill et le Docteur Claggart, qui constitue le chapitre 9, sont juste poignantes, et, si c'est mis dans la bouche du héros, sans doute faut-il entendre le cri direct de Malcom Lowry: trop long pour vous citer le chapitre entier.

Un mot sur l'univers artistique évoqué directement - donc, Bill Plantagenet ou Lawhill est musicien de jazz, pianiste, atteint par la tremblotte de l'éthylique, au groupe dispersé et largué par sa femme, et qui, de toutes façons, n'a pas les mains assez larges pour tenir l'octave. Donc il triche, y compris quand il joue de la guitare. La scène du piano, dans le centre de détention-hôpital, est éloquente, à savourer (chapitre 8 ).

Pour l'univers littéraire, Melville traverse tout l'ouvrage, et Rimbaud aussi: Deux auteurs que je prise tant, joie !
Très belle citation de Rimbaud tirée des "Illuminations", dans un passage fort, à propos de Bill parlant de Garry au Docteur.
Lowry / Bill Plantagenet - Lawhill  en profite pour lancer au passage, tout juste après, et brut, des références à de la lectio divinas : rien moins que Le Pentateuque, le Cantique des Cantiques, l'Apocalypse selon Saint-Jean.  

Pour l'univers musical, Bix Beiderbecke (hein, Bix, hein ?) Edward Grieg, Frankie Trumbauer, Eddie Lang avec Ruth Etting (ne serait-ce pas là l'évocation de "la" Ruth du livre, celle qui a plaqué Bill ? Cela coïncide un peu trop, je trouve), + Joe Venuti et Eddie Lang (si vous allez en page 2 du fil Malcom Lowry sur Parfum j'ai posté tous les Youtubes afférents à ces références musicales, sous spoiler).


(Rapetassé de deux messages du 1er et du 2 décembre 2013 sur Parfum)

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Message par Bédoulène Dim 8 Oct 2017 - 8:35

merci Aventin pour ce commentaire fouillé qui donne une furieuse envie de lire ce livre, de retrouver Lowry.

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Message par animal Dim 8 Oct 2017 - 9:26

Ca m'avait impressionné, remise à flot :

Malcolm Lowry   13625610

Lunar Caustic

Comme Aventin ? j'ai été frappé par les premières lignes, d'une précision et d'une magie noire, d'une sorte de poésie avec humour. L'implacable vision s'apaise par moments dans la suite mais elle est la tragique trame de cette épisode. Une réhabilitation avortée ? La coupure d'avec le monde dans cet hôpital-asile où ce Bill Plantagenet vient s'échouer s'avère un enfermement qui temporise la peur, et un changement de repères, avec ses compères le rapport à la supposée normalité est changé.

Déglingués Mr Kalowsky, Garry et Battle, victimes, naufragés ? c'est leur usure et leur fragilité qui marque. Notre narrateur 'seulement alcoolique' serait en meilleur état.

C'est le rapport à l'état meurtri qui fait vivre le bouquin, court mais avec des méandres et des changements, comme depuis les fenêtres de l'établissement. Quelques fortes pages crépusculaires, quelques-unes qui tirent un peu trop de romantisme de la situation peut-être, mais une précision soutenue, un polymorphisme entretenu de la phrase.

Une terrible rêverie, une hallucination, le récit d'un égarement plus loin.

Pour rebondir sur :

shanidar a écrit:(L'absence de femmes dans le texte en dehors des rares informations sur Ruth et des quelques interventions des infirmières, est peut-être la raison qui lui donne, à mon sens, beaucoup moins de force 'tragique' que Au-dessous du volcan... peut-être...).
 

Je me demande si ça ne participe pas de la meurtrissure, de la méditation en retrait du monde, avec la folie comme écran protecteur autant que comme prisme. Les folies sont décrites comme des fuites vers l'intérieur (The audience had broken up, each man to his inner Africa).

Et puis j'ai lu ça comme un retrait et un vertige, le vertige d'une solitude enfermée avec soi-même, une incommunicabilité que ce soit Battle qui signale en sémaphore comme damné, dans une rage perdue, les histoires des autres ou la musique qui n'est pas forcément partagée. Tout tient de l'illusion et de l'enfermement.

Mais il reste l'énigme d'une communauté et du mystère partagé.

A man leaves a dockside tavern in the early morning, the smell of the sea in his nostrils, and a whisky bottle in his pocket, gliding over the cobbles lightly as a ship leaving harbour.
   Soon he is running into a storm and tacking from side to side, frantically trying to get back. Now he will go into any harbour at all.
   He goes into another saloon.
   From this he emerges, cunningly repaired; but he is in difficulties once more. This time it is serious: he is nearly run over by a street car, he bangs his head on a wall, once he falls over an aschcan where he has thrown a bottle. Passers-by stare at him curiously, some with anger, others with amusement, or even a strange avidity.
   This time he seeks refuge up an alley, and leans against the wall in an attitude of dejection, as if trying to remember something.
   Again the pilgrimage starts but his course his erratic it seems he must be looking for, rather than trying to remember something. Or perhaps, like the poor cat who lost an eye in a battle, he is just looking for his sight?

et merci le volatile !  Malcolm Lowry   3481408968

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Message par Tristram Dim 8 Oct 2017 - 12:57

Merci Aventin et Animal !
Le premier opus de Lowry éclaire son dessein :

« – Peut-être tu écriras un livre sur tes expériences.
– Ja, peut-être, dis-je. C’est une idée. Mais le désir d’écrire est une maladie comme n’importe quelle autre maladie, et ce que l’on écrit, si l’on veut être un tant soit peu efficace, doit être solidement ancré dans une sorte d’autochtonie. Et là j’abdique. Je ne suis pas plus capable de créer que de voler dans les airs. Ce que je pourrais achever serait le sempiternel, timide premier roman dont il serait rendu compte à la morgue du Times Literary supplement, "une chose indigeste et mal agencée", quelque chose de cette nature, dont le principal personnage ne serait ni plus ni moins pris d’alcool ou d’amour que l’abominable auteur en personne. Et puis, je crains que ça ne soit qu’une maladie infantile, diarrhea scribendi, rien de plus. Mais excusez-moi, je n’exige pas que vous me suiviez, je m’exprime toujours ainsi quand je suis noir. »
Malcolm Lowry, « Ultramarine » III

Les ingrédients de son existence de marin sont :

« …] la soude – lunar caustic – et le savon noir. »
Malcolm Lowry, « Ultramarine » IV

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Message par Invité Dim 8 Oct 2017 - 13:38

Merci de nourrir le fil.
J'en suis à la moitié de Au-dessous du volcan, et je prends toujours beaucoup de plaisir à lire cet auteur.
C'est à moitié déjanté, le tout dans une prose très travaillée (ça valait le coup de passer 10 ans dessus, chose qui m'impressionne au plus haut point, ces écrivains obsessionnels capables de retravailler un même texte des années, décennies, toute une vie ...).

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Message par Tristram Dim 8 Oct 2017 - 13:48

Moi, ce qui m'impressionne, ce sont les écrivains capables de considérer leur livre comme achevé...

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Message par Invité Dim 8 Oct 2017 - 15:39

Mais réécrire sans cesse le même texte, peut-on parler de la même oeuvre ? Entre la première ébauche 10 ans auparavant, et un texte "final" auquel il ne restera plus grand-chose de la substance initiale.
Je crois que c'est à l'écrivain de sentir si son oeuvre est "achevée" ou non. On peut toujours faire différemment. Peut-être le jour où il cesse d'y penser est-elle achevée (et là c'est foutu pour les obsessionnels).

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Message par Aventin Mer 11 Oct 2017 - 16:04

Ultramarine
Titre original éponyme, roman, 220 pages environ, 6 chapitres non intitulés, paru en 1933.
Malcolm Lowry   Ultram10
Un exemplaire de la première édition, publiée par Jonathan Cape en Angleterre.

Dès avoir pris connaissance du thème, et tourné les premières pages, on se dit: "houlà !"
Allons donc, voici un certain Malcolm Lowry, jeunot, inconnu, qui s'attaque à un roman largement autobiographique, ayant trait à la mer et à la navigation en équipage, à une date à laquelle les Melville, Stevenson, Conrad, Loti et consorts sont encore largement lus !

Et il aggrave de son cas: de surcroît il pose les questions rebattues à l'excès de l'accomplissement du jeune homme de bonne famille en homme, grâce aux humiliations et au travail de bord, dans le sillage d'un "Capitaines Courageux" de Kipling, par exemple (livre, au reste, cité dans "Ultramarine"), pour rester dans la littérature de gens de mer, et s'il faut sortir de celle-ci nous dirions que c'est là un thème littéraire dont on ne dénombre plus ceux qui s'y sont essayé, à toutes les époques.
Bref: un sujet-bateau (Malcolm Lowry   1038959943  je n'allais pas la laisser passer, celle-là).

Ultramarine narre 48 h dans la vie d'un jeune marin, pas qu'un peu moins qu'un matelot, qu'un chauffeur ou qu'un lampiste:
Un mousse. Le plus bas de l'échelle.
Dana Hilliot (c'est son nom, = Idiot ?) est à l'âge du basculement de l'état adolescent à celui d'adulte: à l'évidence ce voyage sera initiatique.
De lui, on sait des origines norvégiennes, un rapport trouble, pas réglé à ses parents et ascendants, sur lesquels il fabule, on n'est pas loin de la mythomanie, mais plutôt dans un sens abaissant envers ceux-ci.
On lui sait une idylle, un amour chaste et pudique, envers une jeune fille, Janet, anglaise, de son milieu social, et Dana va tenter de maintenir pur cet amour, un peu fleur bleue, en dépit des aléas et habitudes inhérents au métier de marin au long cours.

Le bateau lui-même porte le nom d'Œdipus Tyrannus, rien que ça n'est-ce pas, tout un programme !
Pour l'anecdote Lowry, dans la première édition d'Ultramarine, l'avait nommé "Nawab".  
Œdipus Tyrannus, c'est le nom que Lowry donnera au bateau sur lequel Hugh, le demi-frère de Geoffrey Firmin, embarquera pour faire, lui aussi, l'apprentissage du métier de marin dans "Au-dessous du volcan".
Le navire a tantôt été norvégien de pavillon, tantôt britannique. La Norvège était un des pays les plus pauvres d'Europe à l'orée du XXème siècle. Souvenons-nous que Malcolm Lowry a parfois soutenu, sans que ce soit vraisemblable, que lui-même avait quelque ascendance norvégienne.
Un autre bateau (toujours cette fine technique du contrepoint chez Lowry) "navigue" au long cours tout au long de ce roman: l'Oxenstjerna ("Front-de-bœuf", en norvégien), qui revient à de multiples reprises, comme un bateau-arche, sublimé, mythifiable, obsédant et mystérieux, dont nous ne savons rien, ou si peu.


L'Œdipus Tyrannus le rejette, lui est incompréhensible. On sent d'emblée que, de l'adaptation de Dana au navire, dépendra son accomplissement (la réussite ou l'échec de son voyage initiatique), non seulement de marin, mais sa transfiguration de jeune homme de bonne famille en marin (déclassement social, mais désiré), d'adolescent en adulte.

Lowry en vient même à évoquer Dana en termes plus généralement employés pour des machines, histoire de rendre évident le côté fusionnel - et sa nécessité:
Chapitre VI a écrit:La tragédie de l'après-midi , les affres du voyage, tout était oublié. Subitement il eut de lui-même une vision d'une parfaite netteté: une feuille rouge tombée sur un torrent blanc. D'un seul coup, dans sa vie, il n'y eut plus d'incohérences, ni ruptures de temps, ni flottements, ni grippages. C'était lui, rien que lui, dont les rouages intérieurs s'étaient disloqués.

Et, tout d'un coup, le tintamarre tourbillonnant des mécanismes enchevêtrés et des aciers étincelants fit place, en son esprit, à une claire intuition des relations logiques qui commandaient les impitoyables cadences de ces barres de mouvements; les leviers se mirent à danser en mesure avec une étrange cantilène que Hilliot, inconsciemment, avait modelée sur leur murmure, et il lui apparut qu'à travers tout ce complexe engrenage - pièce agrippant une autre pièce, tiges droites qui se levaient pour s'emparer de tiges courbes, leviers qui culbutaient en arrière, se contorsionnaient vers l'avant, - c'étaient sa propre raison d'être, ses propres conflits qui étaient en cause. Finalement, le sens même de son voyage lui devenait évident, et de cela, il devait rendre grâce au puissant, généreux navire.  

Ces énormes cônes de lumière qui inondaient certains espaces, ménageant d'autre part des masses d'ombres brisées, c'étaient, à l'intérieur d'une maison de ténèbres, les luminaires de son esprit qui se mouvaient; mais ces luminaires mêmes, quelquefois, étaient engloutis par l'irruption du grand jour, et la maison de ténèbres se transfigurait en un arbre éblouissant.

Dana évolue dans un monde clos et masculin qui le rejette et l'humilie. Son déclassement social volontaire n'est pas accepté ("il prend la place d'un brave petit gars, sans besoin"). Confiné à des tâches basses -les plus basses à bord-, il cherche à approcher deux marins norvégiens d'origine comme lui, Norman et Andy; afin de s'en faire des compagnons.

Andy est tutélaire, respecté par l'équipage, influent au-delà de ses fonctions (il est coq, chef cuistot).
Une parfaite figure de père de substitution, incarnant, en somme, la loi à bord du navire, navire dont on ne se lasse pas de rappeler qu'il se nomme Œdipus Tyrannus.
Norman, son subalterne mais qui ne le quitte pas non plus en dehors du temps de travail, paraît être "un bon gars", simple et sans calculs.

Andy a, peut-être aussi, quelque chose de totémique via son extranéité, totale vis-à-vis du milieu dans lequel se mouvait Dana Hilliott; en ce sens Andy rappelle Queequeg de Moby Dick de Melville, et pas seulement par les tatouages, mais aussi par l'expérience brute, tangible, l'école du terrain, d'où découle sa position (somme toute en vue, à sa façon aristocratique ou plus exactement élevée, à l'échelle du navire) obtenue par ses mérites, avec l'assentiment d'un équipage entier.  
Ou encore, en figure tutélaire de père de substitution sorti de la confrontation directe avec la mer, de manière longue, c'est-à-dire éprouvée à l'aune du temps, et qui en fait un chef incontestable confinant au totem, voir le Capitaine Disko Troop de Capitaines Courageux de Rudyard Kipling.

Mais Andy, selon une rude pratique traditionnelle envers les nouveaux, et aggravée par les origines de Dana, repousse Dana, l'éprouve, le houspille sans cesse, l'accable de remontrances, de travail, d'humiliations.

Une phrase-clef du livre est: "le bateau t'adoptera si tu le mérites" (notez encore la personnification du bateau).
La manière dont Dana se débarrasse peu à peu de ses faux-semblants, comme d'une gangue inutile, est fort bien tournée.
Est-ce du vécu, Monsieur Lowry ?
Je pense à singer le parler, et les manières à bord, qui ne sont à l'évidence pas les siens, attitude à laquelle il finit par renoncer, mais en douceur.
Je pense à la façon d'assumer des erreurs commises d'emblée, comme s'être rendu au rôle d'embauche en voiture - en limousine - au vu et au su de l'ensemble du futur équipage, ce qui, pour un mousse à cette époque où les automobiles étaient plutôt rares, non seulement ne se fait conventionnellement pas, mais est rien moins qu'inimaginable, erreur au demeurant commise par Lowry lui-même, à ce qu'il semble, lorsqu'il tenta sa chance dans la marine, à l'âge de son héros fictif -mais si autobiographique- Dana.

Il a une occasion de briller aux yeux de cet équipage, lorsqu'un pigeon, d'une totale incongruité, vient se poser sur un mât, à bord. Une façon de montrer qu'il est preux, capable d'actes courageux et gratuits, en somme d'"avoir la vedette" lui est offerte, cadeau tombé du ciel; mais il tergiverse, et c'est Norman qui réalise l'acte de bravoure consistant à aller récupérer le curieux -en ce lieu- volatile.

Plus tard, vers la fin du livre, ce pigeon, adopté et encagé par Norman, fournira une seconde occasion similaire à Dana, en passant malencontreusement par dessus bord, sans pouvoir se servir de ses ailes: et Dana, excellent nageur pourtant, par crainte des requins après une mise en garde d'Andy, ne plonge pas pour le secourir.
Le second signe de ce pigeon est fort différent, pour des incidents assez similaires: mais point trop ne conterai-je les conséquences, ce serait inélégant envers ceux qui lisent ces lignes sans avoir lu le livre, et souhaitent peut-être s'y plonger un jour.

Par fidélité envers Janet -pour ne pas risquer être tenté, noble et sage attitude- Dana passe les escales à bord, refusant de descendre à terre, creusant ainsi davantage le fossé qui le sépare de l'équipage.
Pourtant, tout bien réfléchi, tout bien pesé, un jour il s'y risque, au Japon. Il finit par rencontrer un autre marin, allemand, d'un autre bateau. S'ensuivent quelques pages, savoureuses, d'un Lowry très à l'aise sur un thème commun à tous ses ouvrages:
Quiconque a parcouru quelques pages de cet auteur sait combien Lowry est exceptionnel, vraiment au-dessus du lot, pour ce qui est de décrire l'ivrognerie.

Mais l'un des plus grand apports littéraires de ce livre -j'y viens enfin- tient à un procédé que je trouve remarquable, fort réussi et donnant toute sa dimension à l'ouvrage, bien que je sois certain qu'il navrera, agacera ou fera rejeter le livre par d'autres lecteurs; imaginez des motifs syncopés, composés de bribes de conversations de marins, parfois se raccordant, parfois passant là, sans intérêt, ni queue ni tête, et traversés par Dana Hilliot entièrement plongé dans de l'interne, à soliloquer en silence, avec, pour parachever l'étrange narration, des citations, parfois en grec ancien, parfois en anglais je présume, tout ceci se superposant à l'argot de gens de mer et aux débris de chants de marins...très belle et rare technique scripturale !

Le traducteur, comme l'éditeur, très confiants (trop en ce qui me concerne) dans l'érudition du lecteur, ont omis de traduire les citations en grec ancien, tandis qu'il l'ont fait pour celles des autres langues -s'il y a d'autres langues que l'anglais, ce qui est probable mais non certain.

Au grand jeu "retrouvez l'auteur de la citation", je mise quelques piécettes sur Homère et Eschyle pour le grec ancien, et peut-être Shakespeare, Yeats, Keats, Milton, Melville...
Il faut vraiment que je me procure une édition plus complète, ou plus appropriée en tous cas à mon seuil d'incompétence, lequel s'atteint il est vrai avec une célérité des plus rares.  

En conclusion, Ultramarine ne donne pas l'impression d'un galop d'essai de jeune littérateur en devenir.
Non, vraiment, je reçois Ultramarine comme un Lowry de premier plan, c'est, certes, un livre "moindre" qu"Au-dessous du volcan", mais c'est un roman extrêmement riche, je dirais même généreux en propositions littéraires, et en tous points remarquable.

Il est intrigant, et sans doute vain, de rapprocher le titre du fameux projet que Lowry, cueilli par la mort, n'a pu mener à bien, et qu'il pensait intituler "The journey that never ends" - le voyage qui ne finit jamais, et dans lequel "Au-dessous du volcan" prenait part directe au futur corpus.  
En effet, la notion d'outre-mer du titre n'est peut-être pas celle que nous entendons généralement: "outre les mers qui baignent les côtes de notre continent", en somme; mais bel et bien plutôt outre toutes les mers, outre toutes les navigations cumulées, possibles sur notre planète.
Via le voyage marin (via l'élément maritime et le bateau voguant) une sublimation, une quête abstraite en marche.



Renfloué tel quel d'un message sur Parfum du 25 février 2015, il eût fallu profiter de l'occasion pour faire plus ramassé, synthétique, disons-le: lisible, mais c'est hors de mes capacités.
Quémandant votre indulgence.



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Message par Tristram Mer 11 Oct 2017 - 16:42

Merci Aventin pour ce commentaire fouillé, qui me donne envie de relire Ultramarine !

« Mais, ô Janet, la pire souffrance est celle dont il ne reste rien. »
« Ultramarine », V

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Message par Invité Mer 11 Oct 2017 - 17:09

Lowry semble féru de Conrad, il revient souvent à Lord Jim dans Au-dessous du volcan.

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Message par Barcarole Mer 11 Oct 2017 - 22:19

Moi qui voulais commander et lire Ecoute notre voix, ô seigneur, c'est râpé !
L'éditeur ne l'édite plus.
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Message par Tristram Mer 11 Oct 2017 - 23:41

On le trouve d'occasion (sur le net), Barcarole

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