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Message par Pinky Lun 11 Avr - 19:43

Désolée, je continue à chercher mon exemplaire des Anneaux de Saturne pour me remettre en mémoire ce que j"ai lu, il y a quelque temps
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Message par Tristram Mar 12 Avr - 13:08

J'espère que tu le retrouveras vite. Sebald dans Les Anneaux n'est pas facile à cerner ; sans compter les lacunes plus ou moins larges dans ce que j'y ai vu, j'ai pu avoir un perception partiale, voire biaisée.

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Message par Pinky Mar 12 Avr - 16:30

Je cherche mais je crois que j'ai vraiment trop de livres et pas assez d'ordre !
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Message par Tristram Mar 12 Avr - 16:38

On n'a jamais trop de livres !? (et pour l'ordre, il faut voter extrême-droite...)

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Message par Dreep Mar 12 Avr - 16:54

Bravo Tristram cheers

Non Bédoulène, ne t'inquiète pas.. je compare souvent les lectures de Sebald à des promenades improvisées avec un ami intelligent, est-ce qu'on se soucie d'avoir lu suffisamment de bouquins pour cela ?
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Message par Pinky Mar 12 Avr - 16:59

Tout à fait d'accord pour l'idée de promenades mais pour être plus précise, il me faut le bouquin...
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Message par Tristram Mar 31 Mai - 13:48

Vertiges

voyage - W.G. Sebald    - Page 3 416kbg10

Quatre parties, fondées sur des pérégrinations divagantes et des évocations littéraires :

Beyle ou le singulier phénomène de l’amour
Sur la vie passionnée de Stendhal.
« Par ailleurs Beyle écrit que même là où le souvenir dispose d’images plus proches de la vie, on ne peut guère faire fond sur elles. »
All’estero (à l’étranger, en italien)
En plein désarroi, Sebald quitte l’Angleterre pour errer dans Vienne, étranges flâneries urbaines, puis Venise.
Deux réflexions pleines de sens à propos d’une promenade nocturne en bateau sur la lagune, devant les raffineries de la côte de Mestre, et à propos de « l’Inceneritore comunale, sur l’île sans nom à l’ouest devant la Giudecca » :
« Le miracle de la vie née du carbone, entendis-je dire Malachio, part en flammes. »

« Comme je lui demandais si, sur ce site, on incinérait aussi en plein milieu de la nuit, Malachio répondit : Si, di continuo. Brucia continuamente. Ici on brûle sans interruption. »
Sebald évoque Casanova emprisonné sous les Plombs, puis s’éveille dans le silence étonnant d’une ville sans circulation automobile.
« Même au palais des Doges, Grillparzer ne témoigne qu’un respect fort parcimonieux. Malgré toute l’élégance de ses arcades et de ses créneaux, écrit-il, le palais des Doges possède un corps informe qui fait penser à un crocodile. Comment il en arrive à cette comparaison, je ne sais. Ce qui se décide ici doit être mystérieux, sévère et inébranlable, estime-t-il, et il appelle le palais une énigme de pierre. Le fond de cette énigme est apparemment l’épouvante, car aussi longtemps qu’il est à Venise, Grillparzer ne se départ pas d’un sentiment d’inquiétante étrangeté. »
L'inquiétante étrangeté, traduction de l'allemend Das Unheimliche de Freud par sa disciple Marie Bonaparte, et ainsi décrite par Martine Menès :
"L’inquiétante étrangeté, c’est quand l’intime surgit comme étranger, inconnu, autre absolu, au point d’en être effrayant."
https://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2004-2-page-21.htm
Les « vertiges » de Sebald seraient donc la translation de cette notion, notamment dans la mémoire (individuelle et collective).
« Sans relâche, en grandes fournées qui recouvrent toute la surface des cités, les vagues accourent, de plus en plus bruyantes, enflent et se cabrent, se brisent avec une sorte de frénésie au paroxysme de leur tumulte et courent sur les pierres et l’asphalte tandis qu’aux retenues des feux rouges d’autres lames se préparent déjà à déferler. Au fil des années, j’en suis arrivé à la conclusion que la vie désormais naît de tout ce fracas, celle qui vient après nous et qui lentement nous mènera à notre perte, comme nous menons lentement à sa perte tout ce qui a été là longtemps avant nous. »
Il circule ensuite dans le nord de l’Italie, revenant notamment à Vérone lors d'allers-retours, et aussi à sept ans de distance.
« Assis à une table près de la porte de la terrasse, j’avais étalé tout autour mes papiers et mes notes et faisais des transitions pour tenter de relier des événements fort éloignés, mais qui me paraissaient relever d’un même ordre d’idée. […]
Une fois elle [la patronne de son hôtel à Limone] me demanda si j’étais journaliste ou écrivain. Quand je lui dis ni l’un ni l’autre, elle voulut savoir ce que j’étais en train de rédiger et je ne lui mentis pas en répondant que je ne savais pas trop moi-même mais que j’avais de plus en plus l’impression qu’il s’agissait d’un roman policier. »
Effectivement, apparaît dans ce compte-rendu de pérégrinations spatiotemporelles un mystérieux couple d’assassins, le « GROUPE LUDWIG ».

Le dr k. va prendre les bains à Riva
Kafka a déjà été évoqué plus haut (notamment avec des sosies jumeaux ; Sebald reconnaît dans certains passants des personnages historiques), et voici qu’est narré son voyage à Vienne et Venise en 1903.
« S’il relevait déjà de l’impossible qu’il se trouvât là, il l’était encore plus qu’au bord de la déliquescence il osât se hasarder sous ce ciel aqueux, au contact duquel les pierres elles-mêmes se dissolvaient. »
Puis il entre en cure à Riva (ville citée dans les quatre parties du livre).
« Le Dr K. est seulement malade, malade où qu’il se trouve. Et la seule consolation qui lui reste est que personne ne sache où il est. »
Son voisin qui se suicide se prénommait Ludwig, il était à Vienne avec Grillparzer, et nombre d’autres coïncidences et parallèles apparaissent avec le récit précédent.

Il ritorno in patria
Sebald revient en Angleterre par l’Allemagne et sa ville d’origine, W. (Wertach en Bavière), où il n’était pas revenu depuis trente ans.

Des rapprochements apparaissent, liens juste suggérés par la coexistence de certains faits au sein du livre, entre souvenirs tant personnels qu’historiques, entre aperçus peut-être illusoires et témoignages photographiques glanés au cours des errances tant dans l’espace géographique que dans le temps.
On pense à la loi de sérialité de Kammerer, évoquée par Jung et Koestler.

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Message par Tristram Dim 21 Aoû - 17:12

D'après nature (Poème élémentaire)

voyage - W.G. Sebald    - Page 3 D_aprz10

Triptyque poétique qui réunit trois biographies. Dans celle de Grünewald (auteur du retable d’Issenheim), Sebald dépeint une époque d’intransigeance religieuse et de violence en ce début du XVIe :
« Le 18 mai, jour où la nouvelle
lui parvint, Grünewald
ne sortit plus de chez lui.
Mais il entendit le bruit des yeux
qu’encore longtemps on continua de crever
entre le lac de Constance
et la forêt de Thuringe.
Des semaines durant, en ces temps-là,
il porta un bandeau noir
sur le visage. »
La seconde est celle de Steller, chirurgien, botaniste et zoologiste allemand de l’expédition de Bering de 1736 à 1746 au Kamtchatka.
La troisième est celle de Sebald lui-même.
« Lorsque le jour de l’Ascension
de l’an quarante et quatre je vins au monde,
la procession des Rogations passait justement
au son de la fanfare des pompiers
devant notre maison, se dirigeant
vers les champs fleuris de mai. Ma mère prit cela
d’abord pour un heureux présage, ne se doutant pas
que la planète froide Saturne gouvernait
la constellation de l’heure, et qu’au-dessus des montagnes
s’accumulait déjà la tempête qui l’instant d’après
éparpilla les processionnaires et foudroya
l’un des quatre porteurs du dais. »
Vague récurrence de la neige de ses Alpes natales, mélancolique leitmotiv de la dégradation de toutes choses, mais je n’ai pas spontanément compris comment ces poèmes biographiques s’articulent : j’en laisse à d’autres l’analyse et l’exégèse.


\Mots-clés : #poésie

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Message par Bédoulène Lun 22 Aoû - 7:50

merci Tristram ; l'émotion de ses mots me suffit

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Message par Tristram Dim 23 Oct - 12:46

Séjours à la campagne

voyage - W.G. Sebald    - Page 3 Sebald10

Recueil de textes de Sebald lecteur : sur L’Écrin de l’ami rhénan de Johann Peter Hebel (calendrier-almanach), Rousseau, Mörike, Gottfried Keller, et Robert Walser.
« Le recueil couvre à présent une période de presque deux cents ans, et l’on remarquera que sur cette longue période le trouble du comportement a fort peu changé, qui pousse à transformer en mots tout ce qu’on éprouve et, avec une sûreté surprenante, à passer à côté de la vie. »
« Ce sourire des juifs, que nous a conservé Keller, sur la crédulité et la bêtise du peuple chrétien maintenu dans l’obscurité, recèle la véritable tolérance, la tolérance de la minorité opprimée dont on supporte tout juste la présence, envers ceux qui gouvernent sa destinée. »
« Walser a lui-même fait un jour la remarque qu’au fond, il ne travaillait jamais, d’une prose à l’autre, qu’à un seul et même roman, qu’on pourrait qualifier de “livre du moi aux multiples coupures et fractures”. »
Ce recueil sera mieux apprécié de qui connaît l’Allemagne, la Suisse, et les auteurs cités ; voir le pertinent commentaire de Bix, bien documenté.

Puis est évoqué le peintre Jan Peter Tripp, qui ensuite rend hommage à Sebald (deux textes également intéressants).

voyage - W.G. Sebald    - Page 3 Jan_pe10

\Mots-clés : #antisémitisme #ecriture

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Message par Tristram Lun 28 Nov - 12:10

Austerlitz

voyage - W.G. Sebald    - Page 3 Page10

Sebald rencontre à Anvers Austerlitz, architecte qui l’entretient de la démesure atteinte au XIXe dans la surenchère entre fortification et poliorcétique (art de mener un siège), la forteresse devenant de plus en plus rapidement obsolète face aux progrès de l’artillerie.
« …] nos meilleurs projets, au cours de leur réalisation, n’ont de cesse qu’ils ne se muent en leur exact contraire. »

« …] étudiant, l’architecture de l’ère capitaliste, et en particulier l’impératif d’ordonnance et la tendance au monumental à l’œuvre dans les cours de justice et les établissements pénitentiaires, les bourses et les gares, mais aussi les cités ouvrières construites sur plan orthogonal. »
Ils se revoient plusieurs fois, par hasard ; ici, à propos du palais de justice de Bruxelles :
« La construction de cette singulière monstruosité architecturale, à laquelle il songeait à cette époque consacrer une étude, avait été entreprise vers les années quatre-vingt du siècle dernier, dans la précipitation, sous la pression de la bourgeoisie bruxelloise, me raconta Austerlitz, avant que les plans grandioses présentés par un certain Joseph Poelaert aient été élaborés en détail, et la conséquence en était, dit Austerlitz, que dans ce bâtiment d’une capacité de plus de sept cent mille mètres cubes il existait des corridors et des escaliers qui ne menaient nulle part, des pièces et des halls sans porte où jamais personne n’avait pénétré et dont le vide conservait emmuré le secret ultime de tout pouvoir sanctionné. »
Ils se rencontrent encore deux décennies plus tard à Londres, et Sebald s’aperçoit qu’il ressemble à Wittgenstein, avec « son sac à dos ne le quittait jamais ».
« …] voilà qui était contraire à toute vraisemblance statistique mais d’une logique interne étonnante, pour ne pas dire inéluctable. »
Austerlitz lui raconte son histoire : dès le début de la Seconde Guerre mondiale et ses quatre ans et demi, il a été élevé par d’austères parents nourriciers, et son enfance fut froide, sinon lugubre.
« J’ai grandi, dit-il, à Bala, petite bourgade du pays de Galles, dans la maison d’un prédicateur calviniste, un ancien missionnaire nommé Emyr Elias et marié à une femme timorée issue d’une famille anglaise. »

« Durant toutes les années que j’ai passées au presbytère de Bala, le sentiment ne m’a de fait jamais quitté que restait dérobé à ma vue quelque chose de très proche et de très évident. Parfois, c’était comme si j’essayais à partir d’un rêve de saisir la réalité ; puis j’avais l’impression que marchait à mes côtés un frère jumeau invisible, le contraire d’une ombre en quelque sorte. »
Ce n’est qu’au lycée, une fois sa mère adoptive morte et Elias devenu fou de chagrin dans sa sombre croyance qui ne le soutient plus, qu’on lui apprend que son vrai nom est Austerlitz. André Hilary, son professeur d’histoire, féru de l’époque napoléonienne, lui apprend l’histoire de la bataille.
Il s’initie à la photographie (comme Sebald, dont les photos illustrent le texte) ; il protège son factotum en pension, le petit Gerald Fitzpatrick, début d’une amitié ; il se trouve invité par la mère de ce dernier à Barmouth, où Alphonso, le grand-oncle naturaliste, leur fait notamment découvrir les mites et papillons.
Les souvenirs d’Austerlitz sont riches d’énumérations minutieuses (insectes, mais aussi plantes, minéraux, maladies, etc.), et tout ce qui est rapporté l’est dans un style élaboré, précis, à la fois fluide et pesant, car sans pause (la traduction semble excellente).
« Admirées surtout par Gerald, les diverses stries lumineuses qu’ils semblaient laisser derrière eux, traits, boucles et spirales, n’avaient en réalité aucune existence, avait expliqué Alphonso, elles n’étaient que traces fantômes dues à la paresse de notre œil, qui croit encore voir un reflet rémanent à l’endroit d’où l’insecte, pris une fraction de seconde sous l’éclat de la lampe, a déjà disparu. C’était à ces genres de phénomènes factices, à ces irruptions de l’irréel dans le monde réel, à certains effets de lumière dans un paysage étalé devant nous, au miroitement dans l’œil d’une personne aimée, que s’embrasaient nos sentiments les plus profonds, ou du moins ce que nous tenions pour tels. »
Suivent des considérations sur le temps (ce récit lui-même est quasiment un flux ininterrompu).
« Si Newton a pensé, dit Austerlitz en montrant par la fenêtre, brillant dans le reste de jour, le méandre qui enserre l’île des Chiens, si Newton a réellement pensé que le temps s’écoule comme le courant de la Tamise, où est alors son origine et dans quelle mer finit-il par se jeter ? Tout cours d’eau, nous le savons, est nécessairement bordé des deux côtés. Mais quelles seraient, à ce compte, les rives du temps ? Quelles seraient ses propriétés spécifiques correspondant approximativement à celles de l’eau, laquelle est liquide, assez lourde et transparente ? En quoi des choses plongées dans le temps se distinguent-elles de celles qui n’ont jamais été en contact avec lui ? Que signifie que nous représentions les heures diurnes et les heures nocturnes sur un même cercle ? Pourquoi, en un lieu, le temps reste-t-il éternellement immobile tandis qu’en un autre il se précipite en une fuite éperdue ? Ne pourrait-on point dire que le temps lui-même, au fil des siècles, au fil des millénaires, n’a pas été synchrone ? Finalement, il n’y a pas si longtemps que cela qu’il se trouve en expansion et se répand en tous sens. Et jusqu’aujourd’hui, la vie des hommes, dans maintes contrées de la terre, n’est-elle pas moins régie par le temps que par les conditions atmosphériques, autrement dit par une grandeur inquantifiable qui ignore la régularité linéaire, n’avance pas de manière constante mais au rythme de remous et de tourbillons, est déterminée par les engorgements et les dégorgements, revient sous une forme sans cesse autre et évolue vers qui sait où ? L’être-hors-du-temps qui naguère encore était le mode d’existence dans les contrées reculées et oubliées de notre propre pays, comme sur les continents non encore explorés d’outre-mer, se retrouvait aussi, dit Austerlitz, dans les métropoles régies par le temps, Londres par exemple. Les morts n’étaient-ils pas hors du temps ? Les mourants ? Les malades alités chez eux ou dans les hôpitaux ? Et non seulement eux, car il suffisait d’avoir son content de malheur personnel pour déjà être coupé de tout passé et de tout avenir. »
Austerlitz poursuit ses études à Oxford puis Paris, tandis que Gerald, passionné par les pigeons, devient aviateur et astronome.
Lors d’excursions nocturnes Austerlitz explore le milieu urbain, et on se sait parfois plus s’il s’agit de Sebald ou de lui, sorte d’alter ego. Lorsque l’auteur mentionne ses propres allées et venues en marge des confidences d’Austerlitz, l’inquiétante étrangeté et son angoisse semblent déteindre des zones lugubres traversées.
Après une évocation des morts à propos des cimetières reconquis par la ville en extension, Austerlitz rapporte sa révélation sur ses origines dans la salle d’attente abandonnée de Liverpool Street Station. Ces architectures absurdes, à la Piranèse, reviennent plusieurs fois, comme une pénétration onirique de la réalité.
« Il faut bien dire que les pas décisifs de notre vie, nous les accomplissons presque tous sous la pression d’une confuse nécessité interne. »
Il poursuit ses investigations aux Archives de Prague, et retrouve Věra, sa bonne d’enfant, avec les souvenirs de sa petite enfance, il poursuit ses remémorations dans une profusion de détails. Sa mère, Agáta, était actrice, et « chanteuse d’opéra et d’opérette », juive dans l’avant-guerre…
« Ta mère Agáta, ainsi commença-t-elle, je crois, dit Austerlitz, en dépit de sa manière taciturne et quelque peu mélancolique, était une femme qui avait tout à fait confiance en la vie et se montrait parfois insoucieuse. […]
Néanmoins, dit Věra, poursuivit Austerlitz, Maximilian ne croyait en aucune façon que le peuple allemand avait été mené à sa perte ; bien plus, selon lui, partant des aspirations individuelles et de l’état d’esprit régnant dans les familles, il s’était lui-même radicalement refondé en se coulant dans ce moule pervers ; et il avait ensuite engendré ces dignitaires nazis que Maximilian tenait tous pour des bons à rien et des têtes brûlées, pour servir de porte-parole symboliques aux instincts profonds qui l’agitait. […]
Maximilian lui avait expliqué, dit Věra, que dans cette foule qui ne faisait plus qu’un seul être agité d’étranges convulsions et soubresauts, il s’était senti comme un corps étranger qui allait incessamment être broyé et expulsé. »
Quels bels emboîtements en cascade pour un cataclysme en marche avec tout un peuple ! Litanie scandée par l’indication des deux narrateurs, et passage superbe à propos de l’écho dans « le matériau de ces innombrables corps immobiles » du message « messianique » nazi.
Sur les traces de sa mère déportée, Austerlitz visite Terezín avec son bazar, sa forteresse et son musée du ghetto.
« Il ne me semble pas que nous connaissions les règles qui président au retour du passé, mais j’ai de plus en plus l’impression que le temps n’existe absolument pas, qu’au contraire il n’y a que des espaces imbriqués les uns dans les autres selon les lois d’une stéréométrie supérieure, que les vivants et les morts au gré de leur humeur peuvent passer de l’un à l’autre, et plus j’y réfléchis, plus il me semble que nous qui sommes encore en vie, nous sommes aux yeux des morts des êtres irréels, qui parfois seulement deviennent visibles, sous un éclairage particulier et à la faveur de conditions atmosphériques bien précises. »
Dans la foulée, il relate son séjour à Marienbad avec Marie de Verneuil (une Française dont il est proche), dans un étrange ressenti de désarroi et de discordance dû à sa résistance au retour de sa mémoire. Il reconnaît sourdement la gare Wilson d’où il partit pour Londres, envoyé par ses parents avec son petit sac à dos. La pérégrination dans l’espace et le temps continue avec Nuremberg, puis le camp de Theresienstadt. Dans ce dernier, les Allemands ont reconstitué une fallacieuse vitrine bienséante du ghetto afin de leurrer une commission d’inspection, aussi sinistre que cynique mascarade filmée « soit à des fins de propagande, soit pour légitimer à leurs yeux toute cette entreprise » : Le Führer offre une ville aux Juifs.
Ensuite Austerlitz cherche trace de son père, Maximilian, disparu à Paris.
« Ce genre d’intuitions me viennent immanquablement en des lieux qui appartiennent davantage au passé qu’au présent. Par exemple, lors de mes pérégrinations en ville, je jette quelque part un coup d’œil dans l’une de ces cours intérieures où rien n’a changé depuis des décennies, et je sens, physiquement presque, le cours du temps se ralentir dès qu’il entre dans le champ de gravitation des choses oubliées. Tous les moments de notre vie me semblent alors réunis en un seul espace, comme si les événements à venir existaient déjà et attendaient seulement que nous nous y retrouvions enfin, de même que, une fois que nous répondons à une invitation, nous nous retrouvons à l’heure dite dans la maison où nous devions nous rendre. Et ne serait-il pas pensable, poursuivit Austerlitz, que nous ayons aussi des rendez-vous dans le passé, dans ce qui a été et qui est déjà en grande part effacé, et que nous allions retrouver des lieux et des personnes qui, au-delà du temps d’une certaine manière, gardent un lien avec nous ? »
Pertes de connaissance ; lectures à la Bibliothèque nationale (l’ancienne puis la nouvelle).
« …] et j’en suis arrivé à la conclusion que dans chacun des projets élaborés et développés par nous, la taille et le degré de complexité des systèmes d’information et de contrôle qu’on y adjoint sont les facteurs décisifs, et qu’en conséquence la perfection exhaustive et absolue du concept peut tout à fait aller, et même, pour finir, va nécessairement de pair avec un dysfonctionnement chronique et une fragilité inhérente. »
Enfin, la gare d’Austerlitz…

Je suis heureux d’avoir reporté jusqu'ici la lecture de cet admirable roman (quoique l’on ait peu l’impression qu’il s’agisse d’un roman), m’y préparant avec la lecture d’autres œuvres de Sebald. Le parti pris des descriptions, digressions, énumérations, signale suffisamment que l’essentiel dans ce livre n’est pas l’histoire d’Austerlitz, ni l’Histoire, mais plutôt les impressions et coïncidences spatiotemporelles de l'existence.

\Mots-clés : #devoirdememoire #historique #identite

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Message par Bédoulène Lun 28 Nov - 16:14

merci Tristram, j'ai beaucoup apprécié cette lecture

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Message par Pinky Mer 22 Fév - 15:10

Austerlitz

voyage - W.G. Sebald    - Page 3 97827410

Je ne reviens pas sur les fils très développés qui ont suivi le récit de Sebald mais sur ce qui m'a frappé dans le texte

Un récit ininterrompu d'un narrateur qui s'entretient le plus souvent avec Austerlitz qui raconte sa propre histoire. Pas de paragraphe, pas de chapitre, on avance au gré des lieux, des souvenirs, des rencontres. Une réflexion sur ces constructions "phraraoniques", excessives, images d'un orgueil démesuré et inutile : la gare d'Anvers, le palais de justice de Bruxelles, la BNF à Paris qui par son goût des contrôles et de l’inaccessibilité nous renvoie aux forteresses elles-mêmes inutiles car le plus souvent assiégées et prises : forteresses de Terezin, de Breendonk dont  la pseudo rationalité a permis d'en faire des lieux de déportation et d'élimination pendant la seconde guerre mondiale.
Une recherche du passé, des morts des parents qui emmène le narrateur et Austerlitz dans les bibliothèques et sur les lieux des anciens camps, à la recherche d'archives.
Le détournement par le ralentissement du film de propagande allemande sur Terezin est extraordinaire d'efficacité : ce faux lieu de villégiature devient une sorte de cauchemar au ralenti dont les sons rappellent les râles des lions enfermés au Jardin des Plantes.
Les strates successives des lieux se condensent faisant se relier, se répondre passé et présent, rêve et réalité. Les gares, celle d'Austerlitz, nom du héros du livre, et celle d'Anvers, lieux de transit vers la déportation ouvrent et ferment le livre. Austerlitz d'où serait parti le père du personnage interné au camp de Gurs. La gare de la Liverpool Street où il est arrivé en Angleterre
La relation à la mort et la visite au musée d'anatomie de Maison-Alfort tranche avec la fascination esthétique qu'Olga Tokarczuk entretient avec ces tentatives de conserver les corps entiers ou non par toutes sortes de procédés chimiques. Le narrateur en restera dans un quasi coma pendant plusieurs semaines à la Salpêtrière. Pas de fascination pour la mort mais une immense mélancolie comme une tristesse sans fond, celle d'un petit garçon arraché à sa mère sans explication et à qui l'on avait pris son seul bien, ses seuls souvenirs et traces de son passé, son petit sac à dos.

Quelques extraits

Le palais de justice de Bruxelles :

" La construction de cette singulière monstruosité architecturale, à laquelle il pensait à cette époque consacrer une étude, avait été entreprise vers les années quatre-vingt du siècle dernier, dans la précipitation sous la pression de la bourgeoisie  bruxelloise, me raconta Austerlitz, avant que les plans grandioses présentés par un certain Joseph Poelaert aient été élaborés en détail, et la conséquence en était, dit Austerlitz, que dans ce bâtiment d'une capacité de plus de sept cent mille mètre cubes il existaient des corridors et des escaliers qui ne menaient nulle part, des pièces et des halls sans porte où jamais personne n'avait pénétré et dont le vide conservait emmuré le secret ultime de tout pouvoir sanctionné."

A ces lieux géométriques et mortifères, s'opposent les visions du vol des papillons, des mites, la très belle scène finale du cirque qui se trouvait à l'emplacement de cette affreuse et inhospitalière BNF.

Les mites

"Beaucoup portaient collerettes et capes, comme des messieurs distingués se rendant à l'opéra me confia à un moment Gérald ; quelques uns avaient une teinte banale et dévoilaient, quand ils remuaient les ailes, une doublure fantastique où l'on voyait des diagonales et des ondulations, des dégradés, des taches en forme de croissant, des mouchetures et des ocelles, zigzag, franges et nervures, et des couleurs qu'on ne se serait jamais imaginées, vert mousse avec des touches bleutées, brun  roux et rouge safran, jaune ocre et blanc satiné, et aussi un éclat métallique comme fait de poudre d'or ou de laiton."


Les saltimbanques


"Sur un signe qu'ils se firent, ils commencèrent à jouer, d'une manière retenue et à la fois pénétrante qui, dès la première mesure, malgré ou peut-être parce que de toute ma vie, je n'ai jamais été réellement en contact avec la musique, m'a remué jusqu'au fond de l'âme.Ce que ces cinq saltimbanques, sous leur chapiteau derrière la gare d'Austerlitz, jouèrent en ce samedi après midi pour leur maigre public accouru d'on ne sait où, je n'en ai plus aucune idée, mais il me sembla que cela venait de très loin, de l'est songeai-je, du Caucase ou de Turquie. J'ignore à quoi me faisait penser ces sons que produisaient ensemble ces musiciens, dont aucun, certainement, ne savait lire les notes. Parfois, j'ai eu l'impression d'entendre un chant d'église gallois oublié depuis fort longtemps, puis, très ténu et néanmoins de nature à donner le vertige, le tourbillon d'une valse, un motif de tyrolienne ou les accords trainants d'une marche funèbre au son de laquelle ceux qui marchent en queue à chaque pas gardent un instant le pied en l'air avant de le reposer."


L'affreuse BNF où l'on arrive :



" en suivant des bords de Seine souvent très venteux, jusqu'à ce bâtiment à la monumentalité visiblement inspiré par la volonté du président de laisser une trace pérenne de son passage, et qui, ainsi que je le constatai dès ma première visite, dit Austerlitz, tant par ses dimensions extérieures que par son agencement interne est un endroit qui vous rebute, qui d'emblée va définitivement à contre-courant des besoins de tout véritable lecteur..."


Et ce retour de la mémoire dans la gare de Liverpool Street


Oui, et je ne vois pas seulement le pasteur et sa femme, dit Austerlitz, mais aussi le petit garçon qu'ils étaient venus chercher ; il était assis tout seul dans son coin sur un banc. Ses jambes prises dans des chaussettes blanches et montantes ne touchaient pas encore le sol et n'eût été ce petit sac à dos qu'il serrait sur ses genoux, je crois, dit Austerlitz, que je ne l'aurai pas reconnu. Mais je le reconnus à ce détail, à ce petit sac à dos, et, pour la première fois depuis que j'étais capable de mémoire, je me souvins de moi, en cet instant je compris que c'était par cette salle d'attentre que je devais être arrivé en Angleterre plus d'un demi-siècle auparavant."


Un bonheur de lecture qu'il faudrait reprendre si on voulait en saisir toutes les richesses avec ces photographies qui tentent, sans doute en partie en vain, de fixer la mémoire.
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Message par Tristram Mer 22 Fév - 17:04

Excellent compte-rendu, Pinky ; je pense que les relectures n'épuiseront pas l'indécis et l'insaisissable de ce roman...

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Message par Bédoulène Jeu 23 Fév - 18:35

merci Pinky !

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Message par Pinky Sam 4 Mar - 18:08

Vertiges

voyage - W.G. Sebald    - Page 3 97827411

Les vertiges qui prennent ceux dont le passé surgit souvent à l’improviste. Passé qu’on croit retrouver et qu’on a souvent reconstruit à partir de traces. C’est le cas de Henri Beyle qui croit se souvenir d’un lieu et qui se rend compte que c’est de la gravure de ce lieu dont il se souvient. La représentation plus prégnante que le souvenir vécu. Et que dire de ses amours ? prostituées qui lui communiquent la syphilis, maitresses dont il grave la liste sur une petite tige de bois et dont il reconstitue l’unicité fantasmée, ce qu’il évoque par la cristallisation du givre sur une branche.

« la déception avait été extrême, écrit Beyle, quand quelques années auparavant, en rangeant de vieux papiers, il était tombé sur une gravure légendée Prospetto d’Ivrea, et avait été contraint de s’avouer que l’image gardée par sa mémoire d’une ville baignée dans la lueur du couchant n’était effectivement rien d’autre qu’une copie de cette gravure. C’est pourquoi, on ne devrait, conseille Beyle, acheter aucune gravure des beaux points de vue que l’on découvre en voyageant Car une gravure a tôt fait d’occuper tout le champ du souvenir et l’on peut même dire, ajoute-t-il, qu’elle finit par le détruire. »

« Dans l’écrit de l’amour, est narré un voyage que l’auteur prétend avoir fait au départ de Bologne, en compagnie d’une certaine Mme Gherardi, qu’il appelle parfois simplement la Ghita. Cette Ghita, qui réapparaît encore quelques fois en marge de l’œuvre ultérieure de Beyle, est une figure mystérieuse, pour ne pas dire fantomatique. Il est fondé de supposer que Beyle s’est servi de son nom pour coder celui de diverses de ses amantes, telles Adèle Rebuffel, Angélique Bereyter, et bien sûr Mathilde Debrowski, et que Mme Gherardi, dont la vie, comme Beyle l’écrit à un endroit, remplirait tout un roman, n’a pas d’existence réelle en dépit de toutes les références documentaires, qu’elle n’est en quelque sorte qu’un ectoplasme auquel Beyle par la suite est resté fidèle pendant des décennies.
..............
[En 1813, après la retraite de Russie], le séjour de repos qu’il entama, une fois rétabli, dans le nord de l’Italie se passa sous le signe d’un sentiment de faiblesse et d’apaisement qui lui fit voir sous un jour entièrement neuf à la fois la nature environnante et ce besoin d’amour qui ne le quittait pas. Une légèreté singulière, jamais ressentie auparavant, s’empara de lui et c’est le souvenir de cette légèreté qui donne sa tonalité au texte écrit sept années plus tard pour relater son voyage peut-être simplement imaginaire, en compagnie d’une personne qui plausiblement ne l’est pas moins. »
Sebald a donné une place particulière à Stendhal en articulant tout son premier chapitre sur ce personnage, ancré en 1813 en Italie du Nord, date et lieu qui reviendront comme un refrain dans tout le livre.
Les allusions à Casanova sont plus ténues ; elles passent par Venise et ses Plombs. Le docteur K. est plutôt évoqué pour ses maladies.
L’auteur ou le narrateur, c’est toujours difficile à savoir, circule entre l’Italie du Nord, les lacs, Vienne, Venise, Vérone, Milan. Il est en train, en car et croise Danse, des jumeaux ressemblant à Kafka…
Le dernier chapitre est resserré sur un retour à l’enfance dans l’appartement où il a vécu. Rencontre avec un homme qui l’a connu enfant ainsi que sa famille où les souvenirs peuvent être questionnés par ceux d’un autre contemporain. Peut-on dire que cette fois, le vertige n’est pas le même. La profondeur du passé est bien celle du narrateur face à celui d’une connaissance de jeunesse qui lui explique ce qu’il n’avait pas compris enfant.
Après avoir lu Austerlitz centré sur le personnage du même nom, Vertiges m’a semblé plus « éclaté », une sorte de voyage entre l’Italie de la campagne bonapartiste d’Italie, la circulation entre Bavière et Italie mêlant lieux, auteurs, peintures, opéra et les souvenirs d’enfance du narrateur. Le plaisir de la lecture a été le même. On pourrait dire voyage entre des « lieux de mémoire » mais pas au sens de «mémoire consensuelle, collective mais mémoire individuelle, personnelle où notre passé, nos lectures, nos rencontres culturelles se croisent voire se cristallisent.
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Message par Bédoulène Dim 5 Mar - 23:41

merci Pinky je reviendrais plus tard à Sebald

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Message par Tristram Lun 8 Mai - 12:43

La Description du malheur − À propos de la littérature autrichienne

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Dix essais portant sur Stifter, Schnitzler, Hofmannsthal, Kafka, Canetti, Thomas Bernhard, Peter Handke, Ernst Herbeck et Gerhard Roth (et aussi Walter Benjamin, voire Baudelaire).
Je suis toujours étonné de trouver des idées apparemment si actuelles, comme ici concernant l’environnement (Les Cartons est paru en 1841, et le recueil d'essais de Sebald en 1985) :
« Si, inspirées par une philosophie de la nature qui déplore la déperdition dont la vie organique souffre dans sa substance et sa diversité, les grandes nouvelles de Stifter ont pris la forme de mémoires conservateurs et nostalgiques, cela relève moins d’une politique réactionnaire que d’un engagement paracelsien qui s’oppose à une démarche se bornant à mesurer, à quantifier et à exploiter la nature. Avec Les Cartons de mon arrière-grand-père, Stifter a établi un code qui définit une pratique visant à octroyer les mêmes droits à l’homme et à la nature, mais qui, il est vrai, arrive déjà trop tard à la grande époque du capitalisme. »
Sebald se place ouvertement sous l’autorité de Freud, et ses analyses basées sur la sexualité sont parfois outrancières, en tout cas discutables :
« Il est de notoriété qu’un talent prononcé pour la pédagogie va la plupart du temps de pair avec des désirs pédophiles non assouvis. »

« Les lignes de séparation – le chiffre d’or que le regard fétichiste applique au corps féminin – procurent plaisir et souffrance et mènent pour finir, conformément au principe voulant que seule la nature segmentée livre son secret, à la salle d’anatomie ou à la pornographie. »

« La culture bourgeoise, depuis qu’elle s’est propagée, a inscrit à son programme, concernant aussi bien ceux qui écrivent que ceux qui lisent, un strict refoulement de l’intérêt pour les sujets érotiques. Paradoxalement, il se trouve que de concert, l’exploration de l’interdit est devenue la principale source d’inspiration de l’imaginaire littéraire. La tabouisation de l’érotisme a entraîné ce besoin impératif d’explicite qui, dans la littérature française, sous la houlette du Divin Marquis, donne accès au vaste champ des diverses obsessions. De Chateaubriand à Huysmans en passant par Baudelaire et Flaubert se développe sur fond d’orthodoxie bourgeoise une science hérétique qui trouve son bonheur dans l’identification et la description de ce qui est réprouvé et met en œuvre la théorie de l’excès conçue par Sade. »

« Mais ce sont précisément ces innocents tâtonnements de l’enfance, ainsi que Freud le souligne toujours, qui portent en germe toutes les perversions. »
Hormis cette psychanalyse douteuse, m’a desservi dans ma lecture le peu de présence à l’esprit des œuvres de ces auteurs (lorsque j’en ai lu au moins une partie) ; à lire donc en postface de ces livres. Reste que cette « grille interprétative ou psychologique » m’a profondément rebuté.

\Mots-clés : #ecriture #essai

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Message par Bédoulène Lun 8 Mai - 18:08

je comprends "Reste que cette « grille interprétative ou psychologique » m’a profondément rebuté."


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Message par Tristram Lun 8 Mai - 18:11

Oui, tout voir au crible de Freud (et de Marx) est en définitive bien réducteur.

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