Rick Bass
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Re: Rick Bass
Winter
Quand noël se retrouve au milieu de l'été et qu'on connait des gens qui ont du goût on se retrouve à lire de bons livres. J'ai donc lu Winter de Rick Bass avec un a priori positif.
Le livre se présente comme un journal qui va retracer la recherche d'un coin tranquille, raisonnablement isolé, par et pour l'écrivain, sa femme peintre et leurs deux chiens. Un besoin d'espace, de nature, d'autre chose... après plusieurs recherches infructueuses la perle rare se déniche dans le nord est du Montana dans la montagne et les bois sous la forme d'un gardiennage de propriété. Sur l'été finissant c'est le début d'une aventure.
La contrée est peu peuplée et sauvage, rapidement l'enjeu est de se préparer à l'hiver, un hiver que notre bonhomme attend avec une grande impatience. apprendre à connaître le pays, couper du bois, apprendre comment vivre au quotidien différemment. Couper du bois surtout, beaucoup, pour pouvoir se chauffer plus tard, tout au long de l'hiver.
L'hiver sera là forcément puissant et étranger, fascinant et éprouvant et puis passera. Et ce sera la fin de ce journal.
Du côté du style on est dans l'économie, la nature est très présente, les voisins le sont aussi dans tous les cas la réserve est de mise : descriptions simples. La même réserve se fait sur les thèmes abordés, toujours une retenue mais une retenue qui laisse venir, laisse entrer les objets de l'attention de notre ermite improvisé : le bois, les animaux, l'hiver... introspections et prospectives limitées pour le quotidien qui prend le pas sur les réflexions.
Il y a forcément la nature et l'amour de la nature qui transparaît dans ce livre, nature à laquelle l'économie et le refus d'un surplus de poésie donne toute sa place tranquille, dangereuse et belle... naturelle pourrait-on dire. Et il y a, intimement liée à cette nature, la quête initiatique personnelle, qui se constate. Le besoin de s'éprouver et de vivre, le besoin de la distance, du silence. On sent que c'est un choix particulier. Un choix partagé avec sa compagne sur laquelle peu de mots suffisent à esquisser la confiance et les différences, aussi comme un refus soigneux d'exposer une intimité pour faire du livre.
Se dévoile donc toute l'attente d'un homme face à une vision, un choix du monde et de quelques uns de ces habitants, un homme qui ne sait pas (côté écologie aussi les distances sont gardées bien qu'on sente le gros potentiel, choix raisonnable et non moins explicite, pas de blagues) qui n'a de cesse de se laisser prendre par le mouvement d'une saison. Il s'éprouve et il aime et il se recueille à sa manière. C'est le journal d'un apprentissage simple mais complet, pas forcément définitif pour se vivre (une façon de parler de se rapport au temps qui se change et se multiplie en quelque sorte, un effet Walden sur une seule saison).
Une manière qui parle en tout cas. Et qui donne envie de revenir à l'auteur y compris à travers quelque chose de plus romanesque.
(Et il y a même des Caribous à l'intérieur !).
extrait :
16 décembre
Ce n'est pas comme si nous étions de véritables ermites; simplement comme disait Thoreau, la plupart d'entre nous veulent examiner leur vie, en même temps que le monde qui les entoure - un monde qui, ici dans les montagnes, vous me croirez si vous voulez, n'est pas tant contrôlé par les autres que par soi-même.
Nous nous recevons à diner tous les quelques mois, et invariablement, en fin de soirée, le vin ayant coulé à flots, quelqu'un mettra sur la platine (si la génératrice fonctionne) la chanson favorite de toute la vallée, "Nigth Rider's Lament", et nous chantons tous à l'unisson avec le disque, à d'innombrables reprises.
Alors que j'étais parti chevaucher,
Service de nuit, de minuit à l'aube
La lune luisait comme une lampe de chevet
Pour lire la lettre d'un ami de chez moi
Et il me demandait
Pourquoi chevauches-tu pour gagner ta vie
Dis-moi pourquoi tu manies le lasso pour trois sous
Tout ça ne mène à rien
Et tu perds la part qui te revient
Bon Dieu, tu as dû devenir cinglé là-bas.
Nous avons tous - à l'exception de Breitenstein qui n'accepte jamais les invitations à dîner - quitté d'autres régions pour venir ici. Nous recevons tous des lettres analogues de nos familles, et même de nos amis, des lettres qui disent : "Il fait froid... Mais il vous faut un téléphone... Comment peut-on se débrouiller sans électricité ?... Et les animaux ?... Et les bêtes sauvages ?... Vous perdez votre temps... Vous laissez passer votre chance..."
Pour ce qui est de "Night Rider's Lament", pour ce qui est de quitter certaines choses afin de pouvoir en examiner d'autres, Jim Harrison a trouvé une excellente formule : "Les bois peuvent être un peu étranges. Il faut longtemps pour avoir enfin l'impression d'être un homme des bois, mais ensuite, jamais plus on ne peut redevenir un homme des villes."
Je découvre, ici, des vérités sur moi-même, des vérités que j'aurais dû savoir à l'heure qu'il est mais que j'ignorais pourtant. Ce qui, je crois, est moins l'indice d'une personnalité complexe que d'un esprit simple, mais cet esprit est le seul que je possède et je suis bien content de le posséder, même loin des villes.
J'avais l'habitude de penser que c'était mal, que c'était une faiblesse que d'avoir besoin d'être au milieu de la nature sauvage pour être heureux - loin de la plupart des choses. A présent, je commence à m'apercevoir que ça n'entre même pas en ligne de compte - que ce soit bien ou mal, une faiblesse ou une force : ça n'a aucune importance. Je suis comme je suis.
De ce côté-ci de la ligne de partage des eaux, les fleuves s'écoulent en direction du Pacifique.
Un des extrait les plus "bavards", mais un extrait que j'aime bien et qui reflète un des autres aspects du livre qui est le regard sur l'esprit d'une Amérique dont l'image fait partie de la vie de l'auteur et des gens. C'est aussi le rapport à la nature et aux autres. Plus loin aussi de cet extrait il y a l'existence d'une peur, qui vient des conditions de vie plus dures, et qui est aussi préexistante et plus souterraine.
(tartine récupérée).
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Re: Rick Bass
animal a écrit: Autant que la nature le récit d'un moment d'appropriation de soi. Pas ré-appropriation, d'appropriation. Physique et morale, déterminée et trouvant le contexte de son accomplissement.
Tu veux dire que c'est un livre qui t'a donné envie de changer des choses en toi?
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Re: Rick Bass
"LE LIVRE QUI FAIT REFLECHIR LES PANDAS"
- Spoiler:
- Je reprends cette citation que j'ai faite plus haut:Je commence me dissocier de la race humaine. Je ne voudrais pas passer pour un malotru - mais ça me plaît. Ça me plaît même tellement que ça me fait un petit peu peur. C'est un peu comme si en baissant les yeux vers ma main, je voyais pousser un début de fourrure.
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Re: Rick Bass
C'est le paysage, à un moment donné, que je souhaite « capturer » dans ce récit, pour rendre hommage à l'ordre et au sens qui existent dans l'élégant mouvement de chaque rouage du mécanisme.
Dans ce journal d’une année générique, sorte de livre d'heure écologique et humaniste, Rick Bass propose au lecteur, mois après mois, telle une offrande, la somme de vingt ans d'expériences, d'émotions et de réflexions dans la vallée du Yaak, où chaque jour est "un jour de plus au paradis".
De nombreux chapitres, mais une seule histoire, et le rythme de chaque mois qui passe nous amène à chanter dans ce chœur unique.
Au premier degré, c'est tout simplement le récit sublime et enchanteur de la Vallé du Yaak, une description par les cinq sens de cet espace sauvage à la limite de la frontière canadienne, où l'auteur habite depuis 20 ans avec femme et enfants. Rick Bass se décrit comme un rustaud, maladroit et glouton, mais il ne trompe personne. Il dévore avec un appétit jouissif et une gratitude sans limites, les cadeaux de cette nature et leur éternel retour, dans un mélange incessant d'action et de contemplation. Son écriture est d'une telle générosité que le lecteur, courageusement installé dans un canapé moelleux, thermostat à 19, charentaises bien accrochées, plaid bien calé sur les genoux, se voit communiquer une exaltation jubilatoire, et s'interroge sur ses choix de vie (il est bien clair que comparé à Rick Bass, le lecteur a tout faux).
Si le journal des cinq saisons est l'histoire d'un lieu et d'un paysage, c'est aussi le portrait d'un homme fondamentalement attachant, un grand naïf à "l'esprit d'innocence", mais qui garde les pieds sur terre, qui ramasse à chaque minute, chaque heure et chaque jour, avec les yeux, les poumons, et le cœur, mais aussi les mains du cueilleur et le fusil du chasseur, maillon du cycle de la vie. Car comment remercier mieux ce lieu qu'en jouissant de chaque instant : tous les écueils sont aussi enrichissants que les épanouissements. Mais il faut aussi se battre, pour la protéger et l'enrichir, et aussi la raconter, qu'il reste au moins cela, aux générations futures.
La nature, perpétuellement renouvelée année après année, dans des cycles inexorables offre à chacun une sécurité, confortée par le lot de surprises qu'elle sait aussi réserver. Y répondent les rituels des humains, passage obligé de cet accomplissement du soi, point d'attache face aux mystérieuses interrogations qui s'imposent dans ce monde tout à la fois éternel et éphémère: le pourquoi et le comment, l'existence probable d'un grand ordonnateur...
Dans ces vallées du nord, la première fois que cette impression vous saisit, vous vous sentez comme dépossédé, vous vous dites que ce que vous avez depuis toujours appris à croire - l'idée que vous, nous, enfin nous tous, les humains, sommes immenses et très importants, pittoresques, intéressants et créatifs - tombe et disparaît comme une petite pièce de monnaie cuivrée dans un grand champ où l'herbe pousse à une allure vertigineuse.
Les années suivantes, si vous survivez et si vous acceptez le choc de cette surprise initiale, vous serez de nouveau désarçonné par cette impression - l'arrivée en fanfare du mois de juin, avec ses couleurs, ses parfums, ses odeurs-, et vous prendrez plaisir à ce rappel de votre insignifiance. Vous serez réconforté par les tombeaux des herbes, les tombeaux des cris, la vie qui s'étire et bondit tout autour de vous, alors que votre propre existence paraît en comparaison si petite, si tranquille et si sûre : vous saurez alors que le monde est exactement ce qu'il doit être, que vous êtes un peu comme une souris minuscule au pied de ces immenses herbes fraîches et vertes qui ondulent au vent, irrémédiablement perdu, désespérément à l'abri sous l'immense mystère, le mouvement et le tumulte du monde qui s'étend au-dessus et au-delà de vous…
Rick Bass n'est pas un ermite égoïste. S'il est persuadé que l'homme est insignifiant dans le paysage du monde, il est aussi convaincu que ce même homme est unique, indispensable, irremplaçable dans sa relation à l'autre. La famille, l'amitié et la solidarité sont la seule réponse digne à la générosité de la nature. Les pages qui décrivent les relations avec ses 2 filles, où il réfléchit sur la transmission, l'éducation, la nécessité de transmettre des valeurs, mais sans les imposer et en laissant des choix, montrent toute la chaleureuse tendresse et les doutes du personnage.
Le journal des cinq saisons est une lecture passionnante, donc, unique, qui réconforte d'une certaine façon, à porter en soi au fil des jours, et qui fait comprendre pourquoi certains pandas réfléchissent.
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Re: Rick Bass
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Re: Rick Bass
animal a écrit:ça fait terriblement envie.
J'espère bien!
animal a écrit:tant qu'il ne se lance pas dans le brassage j'ai une chance de m'en remettre ?
Dans le brassage??? (mon traducteur panda-français est en panne)
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Re: Rick Bass
Il fait pluton dans la confiture d' airelles, en fait.
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Re: Rick Bass
La décimation
Original : The diezmo (Anglais, 2005 ; d’abord paru dans des épisoder dans la magazine « Narrative »)
CONTENU :
Texas au début des années 40 du XIXème siècle : ils viennent de gagner l'indépendance du Mexique, mais ceux-ci continuent à le convoiter ainsi que les Etats-Unis qui aimeraient annexer l'Etat. Les récruteurs Fisher et Green traversent l'état à la recherche de jeunes miliciens en vue d'aller à la chasse des Mexicains. Ce faisant ils ont seulement à moitié ue autorisation du président Houston et abusent certaines paroles d'envoi.
James Alexander ainsi que son meilleur ami James Shepherd se laissent ensorceler par les promesses d'aventures, de proie facile, d'un retour prochain et de la possibilité de montrer leur « virilité » (sic!). Quand le quota des 500 hommes recherchés est atteint ils partent. Mais ce qui commencent sous la belle étoile, avec la pêche et des danses autour des feux se transforme peu peu à un troupe de marodeurs, voir pire. Après des combats atroces, des échappées etc, ils doivent baisser les armes et seront embarqués dans des travaux forcés et l'emprisonnement... Est-ce qu'il y aura une fin aux humiliations et à la crasse ? Pour combien d'entre eux ?
STRUCTURE :
Six chapitres avec des paragraphes séparés par ligne vide ; épilogue ; remerciements ; contenu.
REMARQUES :
Après les deux anthologies lues et très aimées ( La vie des pierres et L'ermite) je me suis essayé à un roman de Rick Bass. Il sera à localiser dans le Texas et puis, avec la chévauchée des miliciens, à l'autre coté du Rio Grande, sur le territoire mexicain. Il est à situer autour de 1842 et il est bien ancré dans la vraie histoire de l'Etat juste indépendant du Texas, entre les puissances du Mexique et les Etats-Unis. Certains conextes historiques seront bien expliqué, en passant mais n éanmoins très bien et fluidemment, dans la narration. Bass parle d'une fiction historique et intègre beaucoup de données et personnages réels. Et, selon le but de l'auteur, c'est peut-être avant tout une certaine atmosphère qu'il arrive à capter.
Les descriptions datant avant le départ de ce groupe des 500 hommes sont relativement courtes : on comprend bien que James vient d'un milieu agricole, qu'il a à peine seize ans. Ensemble avec son ami James Shepherd ils vont – quand ils peuvent – à la pêche... Le premier (qui est aussi le narrateur) se laisse plutôt entraîner par Shepherd quand les recruteurs apparaissent dans les parages : en général il paraît souvent plutôt indécis et suivant des « têtes de décideurs » ou des angoisses qu'une vraie conviction personnelle. Il est des fois pas capable à agir, mais s'arrête en route, ou va avec la meute, laisse la décision aux autres. Sans être un grand méchant, certes.
Elle est bien peinte, cette recherche initiale de la gloire et la demonstration de sa masculinité, la certitude d'une victoire rapide – ces moteurs si exaltants (?) de tant et tant de guerres et combats...! Et on se sent rappelé de certaines vagues d'enthousiasmes aux déclarations diverses autour des guerres mondiales, par exemple.
Bass décrit aussi très bien comment un tel groupe se forme et reforme, autour de « leader » et différentes motivations et intérêts.
Les descriptions virent des fois vers une certaine, voir grande, violence. Mais je ne me sentais pas proche de McCarthy (auquel Bass fût comparé ici) et son « Méridien de sang » - avec un sujet et des situations très proches - où la violence est encore à un degré supérieur. Et puis la punitions sera aussi terrible...
Mais notre protagoniste écrit en regardant en arrière de cinquante ans, alors nous savons très tôt qu’au moins lui, il aura survécu. Mais avec quels souvenirs, quels regrets ou aussi quel héritage ? « Aujourd’hui » il est devenu et encore planteur et éléveur.
S’il s’agit de la pêche, de certains événements naturels, des descriptions de plantes, d’animaux... - on y reconnaît par épisodes cet auteur de la nature dont j’ai fait connaissance dans les deux recueils mentionnés. Mais l’essentiel ici est ailleurs : comment peu à peu des hommes perdent leur humanité pour devenir, dans l’exercise de la violence, ou la subissant, des fois des spectres. Même si certaines figures restent dans la mémoire dans leur héroïsme plus qu’ambigu.
Qu’est-ce que cela veut dire que Bass dit dans les remerciements qu’il a écrit ce roman avec le début de la guerre d’Irak... : critique ? Invitation ? Rappel ? Dangers ?
En tous cas une lecture prenante et « autre », proche d’un Western spécial. Un de Rick Bass. Et partant de faits réels.
tom léo- Messages : 1353
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Re: Rick Bass
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Bédoulène- Messages : 21622
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Re: Rick Bass
Platte River
Trois nouvelles : un prêcheur entêté et une jeune femme un peu comme qui dirait en rupture dans le fin fond du Montana (un coin à la ou le même coin que Winter, des lanceurs de disques, un colosse et une femme un peu triste, un ancien footballer qui vient parler à des étudiants...
Le point commun de ces nouvelles est leur part d'irréel, un fantasme, un grain de folie particulier, une tendance un peu simple et sauvage à une espèce de naturisme heureux. ça pourrait ressembler à de la "nouvelle américaine de base" (je pense à ma petite déception à la lecture de Sherman Alexie), après tout il s'agit de contemporains qui vont un peu mal entre couple et vie moderne, le début de la troisième nouvelle m'a même fait un peu peur... pourtant et heureusement, on en revient à cette relation particulière à la nature et au corps, un besoin de confrontation à soi même mêlé à un besoin de sentir, le froid, la fatigue, les muscles, pour les hommes comme pour les femmes d'ailleurs, quelque chose qui sorte de la torpeur, qui rappelle quelque chose de vain peut-être mais satisfaisant. Jusque dans une démesure fantasmée, un excès vivifiant et pas tout à fait moche.
Avec le bon goût de ne pas rendre la nature angélique, elle reste étrangère, fascinante, rude, vivante et mystérieuse, pas d'angélisme non plus pour l'homme, un peu paumé et qui se comporte comme un sauvage ou demi sauvage avec cette nature comme avec les siens, mais cherchant une part de lui même.
Une lecture facile (il faut reconnaître) et qui fait du bien mais pas trop gnangan la guimauve. c'est plus "tiens ? si j'allais soulevé une vache !" que "trop duuuur la viiiiiieeeeeeuuuuuh, et un zeste de références culturelles et de poésie". J'aime bien son côté basique, qui ne cherche ni à sur-décrire la nature (l'évocation d'un orignal aux andouillers de velours suffit largement à effondrer les cloisons de l'imagination) ni à en rajouter dans la description du pourquoi et du comment. reste le besoin et l'interrogation de la sensation. Sensation qui implique les thèmes : bien-être avec les siens (et ceux qui vont et qui viennent) et son milieu, et soi même, le lien physique très primaire qu'on entretient avec soi, le besoin d'usure, de force, de maîtrise, de sensation, de résistance, de bonheur... sans angélisme ou trop d'illusions. Du bon sens et de la retenue (ou du bon goût) en somme.
(Message rapatriée).
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Re: Rick Bass
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bix_229- Messages : 15439
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Re: Rick Bass
Nashville Chrome
Dans les années 50, un trio musical américain de "Country" parvint à s'imposer au point d'être longtemps en tête des charts.
Ils étaient issus d' une famille très pauvre de l' Arkansas -pauvre mais unie-.
Leur succès était justifié par l'authenticité de leur musique, mais plus encore par une qualité du son et de l'harmonie tout à fait exceptionnels.
Naifs comme ils l'étaient, ils furent arnaqués par un producteur qui établit sa fortune à leurs dépens.
Ils durent prolonger leur carrière pour survivre, mais les temps étaient en train de changer.
Et le succès les abandonna au profit de compagnons de route, tels Elvis Presley.
L'authenticité se faisait rare et la télé et les média leur firent comprendre que leur avenir était derrière eux.
Du trio, le frère et une soeur, cessèrent de bon gré leurs activités musicales au profit d' une vie familiale sacrifiée.
L'aînée ne se résigna jamais, et elle espéra tout le restant de sa vie qu' on ferait de nouveau appel à elle.
Mais le show bizz l'emportait et les chanteurs n'étaient que des produits interchangeables.
La plus grande victime fut Presley qui mourut riche, gras, comblé et désespéré.
Rick Bass a fait un roman de leur histoire. Et son récit est comme une ballade country, au son juste, mélodieux, délicat.
Un livre qui se lit tout seul et avec plaisir !
On peut aussi y percevoir une époque de transition sur tous les plans. Les parents dans cette famille ont trimé durement. Ils ont connu la crise des années 30 et la pire des misères.
Ils applaudirent évidemment au succès de leurs enfants. Meme s'ils ignorèrent le pire.
L'exploitation des musiciens. La fatigue excessive, les saouleries. Et puis, dans le métier, les accidents de parcours étaient nombreux et courants. Les sentiments fragiles et aussi les peines de coeur.
C'est un peu cela au début, la musique country : la pauvreté, les amours contrariées. La nostalgie, les souvenirs et les regrets.
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bix_229- Messages : 15439
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Re: Rick Bass
Premier essai avec Rick Bass en ce qui me concerne.
J’ai apprécié la première histoire, sans moralité allégorique évidente ‒ mais quand même celle de la vanité des éphémères activités de l’homme (sous-jacente dans tout le recueil).
N’ayant guère d’engouement pour l’apothéose béate de l’énergie musculaire, je suis peu sensible à la seconde.
Je ne suis pas trop sportif non plus, mais la troisième m’a conquis par sa tristesse désabusée immanente.
Je compte continuer dans l’œuvre de Rick Bas (avec La vie des pierres).
Je dois lire bientôt les Légendes d’automne, de Jim Harrison. Volontairement ou non, je vais comparer les deux…
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15922
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Re: Rick Bass
Ce recueil de nouvelles commence par Païens (qu’on peut lire intégralement ici https://www.christianbourgois-editeur.com/une-nouvelle.php?Id=191), un superbe texte où contrastent pollution extrême de l’environnement et vigueur de la jeunesse :
Après avoir lu les premiers textes, je me suis dit que, paradoxalement, chacun d’eux décrivait un état de grâce. J’ai tant goûté cette lecture que je me suis demandé à quel point elle profitait du contraste avec les précédentes, (inutilement ?) cruelles et malsaines.« Il restait peut-être un million, ou même seulement cent mille, en tout cas au moins dix mille endroits de ce genre dans le monde à ce moment-là. De minces veines de rêve encore envisageable, des lieux où aucune frontière n'avait été tracée ‒ des endroits avec des gisements de possible à ciel ouvert attendant d'être revendiqués par qui les voudrait, par qui serait prêt à retrousser ses manches, à faire preuve d'imagination. Des endroits encore riches et salubres, même au beau milieu des poisons qui vous pourrissent le cœur et vous dévorent les entrailles.
Pour la première fois cependant, Richard et Kirby commencèrent à se sentir en compétition. L'idée ne s'imposait jamais longtemps ; ils en avaient invariablement honte et réussissaient à la chasser sur commande : mais pour la première fois, elle était là.
L'aigrette tomba lentement en morceaux. Recuite au soleil, battue par les pluies, assiégée par les vents, rongée par les fourmis, elle perdit peu à peu du volume comme si la vie ne la quittait que maintenant ; puis elle continua de se désintégrer jusqu'à ce que ne subsistent que des tas de plumes délavées par le soleil entre les trous et les crevasses du tas de ferraille, et puis aussi quelques plumes éparses qui s'accrochaient encore à la carcasse spectrale de ses propres ossements, gisant tout là-haut au sommet des détritus.
Au fil de cette décomposition, apparurent également les proies qui se trouvaient à l'intérieur, le dernier repas qu'avait fait l'oiseau, et ils découvrirent dans la prison de la cage thoracique toute une collection de squelettes de petits poissons, avec des tas de poussière d'écailles autour qui brillaient comme des grains de sable. Il y avait des grosseurs et des tumeurs, de curieuses déviations dans l'arête centrale de ces poissons, et tandis qu'ils finissaient de pourrir (les mouches se repaissant de leurs restes dans cette cage thoracique ouverte aux quatre vents, comme prises au piège d'une bouteille mais libres d'aller et venir), le limon toxique de leurs cadavres finit de se déliter et laissa sur l'îlot une sorte de résidu métallique brillant, qui formait çà et là comme des traînées de peinture argentée. »
J’ai particulièrement apprécié chez Bass l'approche sensible du monde vivant (y compris humain et tellurique), sa conscience de vivre la disparition de certaines espèces, la notion du temps géologique, l’absence de tout mysticisme.
Ces textes ne parlent pas directement d’écologie sauf, à mi-ouvrage, Fibre, qui est une sorte de diatribe militante et rageuse pour la survie des espèces sauvages nord-américaines. Le dernier, Géant, en est aussi imprégné :
Tous les textes sont poignants de l’enchantement d’univers bientôt disparus.« …] des grenouilles léopard, luisantes et si élégamment mouchetées, qui sont aujourd’hui en voie de disparition. A l’époque, on en trouvait partout, et personne n’aurait jamais pu imaginer qu’elles puissent un jour simplement ‒ enfin, pas aussi simplement que ça ‒ disparaître. Quel autre élément naturel va ainsi disparaître durant notre vie, n’être plus que souvenir, histoire, conte et héritage, puis fragment d’histoire et d’héritage, puis plus rien, seulement du vent ? »
« Je comprends la nature de l’avidité. Je suis persuadé que c’est là l’essence de la terrible vérité de notre temps : il ne reste plus tout à fait assez de quoi que ce soit. Sauf peut-être d’une chose ‒ douce, et déconnectée de tout ‒, mais je serais incapable de dire laquelle, d’en donner la nature exacte. »
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