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Alexandre Soljenitsyne

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Message par Tristram Jeu 27 Jan - 15:28

Alexandre Soljenitsyne
(1918 - 2008)

Alexandre Soljenitsyne Alexan11


Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne ou Soljénitsyne, né le 28 novembre 1918 à Kislovodsk et mort le 3 août 2008 à Moscou, est un écrivain russe et un des plus célèbres dissidents du régime soviétique durant les années 1970 et 1980.
Né dans une famille modeste du nord du Caucase, il fait de brillantes études de mathématiques et de littérature. Il adhère alors à l'idéologie du régime communiste. Mobilisé en 1941 lorsque commence la guerre contre l'Allemagne, il suit à sa demande une formation d'officier d'artillerie à partir de 1942. Au front, il fait preuve d'une conduite exemplaire qui lui vaut d'être décoré. Il est cependant arrêté en 1945 pour avoir critiqué Staline dans une correspondance personnelle et est condamné pour « activité contre-révolutionnaire » à huit ans de détention dans un camp de travail pénitentiaire. Libéré en 1953, il est placé en relégation dans un village du Kazakhstan et ne pourra rentrer en Russie qu'en 1959, réhabilité par la Cour suprême.
À la faveur de la déstalinisation et de l'adoucissement du régime sous Nikita Khrouchtchev, il publie un premier roman en 1962, Une journée d'Ivan Denissovitch, première œuvre littéraire témoignant de l'existence de camps en URSS, qui fait l'effet d'une bombe. Alors que le régime se durcit sous la direction de Brejnev et que la police saisit certains de ses manuscrits, il parvient à publier quelques ouvrages en samizdat (Le Pavillon des cancéreux) ou à l'étranger (Le Premier Cercle). Ils lui valent une renommée mondiale, jusqu'à obtenir le prix Nobel de littérature en 1970.
En 1973, il donne l'ordre de publier à Paris L'Archipel du Goulag. Cette chronique minutieuse du système de répression politique en Union soviétique, nourrie de nombreux témoignages de rescapés des camps, connaît un retentissement mondial.
Arrêté en 1974, il est expulsé d'Union soviétique et déchu de sa citoyenneté. D'abord réfugié en Europe de l'Ouest, il s'installe ensuite aux États-Unis, dans le Vermont, où il passe vingt années d'exil, au cours desquelles il écrit sa monumentale Roue rouge. Réhabilité par Mikhaïl Gorbatchev, il rentre en 1994 à Moscou, où il termine sa vie.
Figure de proue de la dissidence soviétique, il s'en démarque cependant par une vive critique du matérialisme occidental, exprimée notamment dans son Discours de Harvard sur le déclin du courage (1978).

Œuvres traduites en français
La datation des œuvres d'Alexandre Soljenitsyne est difficile à établir avec précision, la plupart d'entre elles ayant connu une gestation très longue et plusieurs versions, parfois même une réécriture quasi complète. En ce sens, l'exergue placé au début du Premier Cercle est significatif : « Écrit de 1955 à 1958. Défiguré en 1964. Réécrit en 1968 ».

Romans
• Une journée d'Ivan Denissovitch (1962), Paris, Julliard, 1963.
• Le Pavillon des cancéreux (1968), Paris, Julliard, 1969.
• Le Premier Cercle (commencé en 1955, version définitive en 1968), Paris, Robert Laffont, 1968 (version abrégée) et Fayard, 1982 (version complète).
• La Roue rouge : ensemble de livres (« nœuds ») en plusieurs tomes, publié à partir de 1972, en France à partir de 1983
o Août quatorze : premier nœud, Paris, Fayard, 1983.
o Novembre seize : deuxième nœud, Paris, Fayard, 1985.
o Mars dix-sept : troisième nœud (4 tomes), Paris, Fayard, 1993-1998.
o Avril dix-sept : quatrième nœud (2 tomes), Paris, Fayard, 2009-2017
• Aime la révolution ! (écrit à l'armée en 1941 et resté inachevé), Paris, Fayard, 2007.

Recueils de nouvelles
• La Maison de Matriona (1963), contient aussi L'Inconnu de Krétchétovka (retraduit sous le titre Incident à la gare de Kotchétovka) et Pour le bien de la cause.
• Zacharie l'escarcelle (1971), contient aussi La Main droite, La Procession de Pâques et Études et Miniatures.
• Ego, suivi de Sur le fil (1995).
• Nos jeunes (1997).
• Deux récits de guerre (2000) contient Au hameau de Jeliabouga et Adlig Schwenkitten.
• Le Clocher de Kaliazine, Études et miniatures (2004). Ce dernier texte faisait déjà partie du recueil Zacharie l'escarcelle.
• La Confiture d'abricots et autres récits (2012), contient deux récits inédits : Sur les brisures et C'est égal.

Pièces de théâtre et scénarios
• La Fille d'amour et l'innocent/La République du Travail (écrite en 1954, 4 actes et 11 tableaux) (1971)
• Flamme au vent (écrite en 1960) (1977)
• Les Tanks connaissent la vérité (scénario écrit en 1959 et publié en français en 1982)
• Le Festin des vainqueurs (écrite en 1951 et publié en français en 1986)
• Le Parasite (scénario écrit en 1968 et publié en français en 1986)
• Les Prisonniers (écrite en 1951 et publié en français en 1986)

Poésie
• Le Chemin des forçats (2014)

Essais et Mémoires
• Les Droits de l'écrivain (1969)
• Lettre aux dirigeants de l'Union soviétique, Seuil (1974)
• L'Archipel du Goulag (tomes I et II) (1974)
• Le Chêne et le veau (1975)
• Discours américains (1975)
• Des voix sous les décombres (1975)
• Lénine à Zurich (1975)
• L'Archipel du Goulag (tome III) (1976)
• Le Déclin du courage (1978)
• Message d'exil (1979), interview accordée à la BBC
• L'Erreur de l'Occident (1980)
• Nos pluralistes (1983)
• Comment réaménager notre Russie ? (1990)
• Les Invisibles (1992)
• Le « Problème russe » à la fin du XXe siècle (1994)
• Esquisses d'exil. Le Grain tombé entre les meules, tome 1, 1974-1978, Paris, Fayard, 1998
• La Russie sous l'avalanche (1998)
• Deux siècles ensemble, 1795-1995. Tome 1, Juifs et Russes avant la révolution (en) (2002)
• Deux siècles ensemble, 1917-1972. Tome 2, Juifs et Russes pendant la période soviétique (en) (2003)
• Esquisses d'exil. Le Grain tombé entre les meules, tome 2, 1979-1994, Paris, Fayard, 2005
• Réflexions sur la révolution de février, (2007)
• Une minute par jour (entretiens) (2007)
• Ma collection littéraire (2015)
• Révolution et mensonge (2018)
• Journal de la roue rouge (2018)

(Wikipédia)

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Tristram Jeu 27 Jan - 15:40

Une journée d'Ivan Denissovitch

Alexandre Soljenitsyne Une_jo10

Une journée de Choukhov, matricule CH-854, dans un goulag où, condamné à dix ans (au moins) pour avoir été fait prisonnier par les hitlériens pendant la Seconde Guerre mondiale (il aurait pu avoir été retourné comme espion...), il est maçon dans la construction d’une centrale électrique, depuis huit ans (on est en 1951). Le texte, extrêmement factuel et prosaïque, très lisible, est chronologique, rapportant les échanges des prisonniers, avec quelques passages en italiques qui explicitent des situations. Parmi ses compagnons, il y a des intellectuels, comme Vdovouchkine, mais aussi Senka, un rescapé de Buchenwald, et bien sûr on rapproche les deux usines à broyer des hommes ; au goulag, les gardiens sont plus proches des détenus que dans les camps nazis. Une certaine solidarité dans les brigades coexiste avec les comportements égoïstes, dans un quotidien de petites combines au jour le jour (les déportés eux aussi s’organisent).
« Au camp, on a organisé la brigade pour que ce soit les détenus qui se talonnent les uns les autres et pas les gradés. C’est comme ça : ou bien rabiot pour tous, ou bien on la crève tous. Tu ne bosses pas, fumier, et moi à cause de toi, je dois la sauter ? Pas question, tu vas en mettre un coup, mon salaud ! »
Parmi leurs maux de déportés luttant pour leur survie, le froid…
« Il fait moins 27. Choukhov, lui, fait 37,7. C’est à qui aura l’autre. »

« Ça s’est réchauffé, remarque tout de suite Choukhov. Dans les moins 18, c’est tout ; ça ira bien pour poser les parpaings. »
… et la faim, la kacha, claire bouillie de céréales, étant distribuée en maigres rations…
« Ce qu’il a pu en donner, Choukhov, d’avoine aux chevaux depuis son jeune âge... il n’aurait jamais cru qu’un beau jour il aspirerait de tout son être à une poignée de cette avoine ! »

« Choukhov avait moins de difficulté pour nourrir toute sa famille quand il était dehors qu’à se nourrir tout seul ici, mais il savait ce que ces colis coûtaient et il savait qu’on ne pouvait pas en demander à sa famille pendant dix ans. Alors, il valait mieux s’en passer. »
À noter aussi la résilience des zeks, et la dignité humaine préservée de certains, comme Choukhov qui ne parvient pas à se départir de son inclination pour le travail bien fait…
Témoignage d’une expérience vécue par l’auteur, cette novella (que j’ai lue dans sa première traduction française) révéla le Goulag en Occident en 1962 ; on y prend la mesure du système concentrationnaire planifié, quel que soit le régime politique.
« Ce qu’il y a de bien dans un camp de travaux forcés, c’est qu’on est libre à gogo. Si on avait seulement murmuré tout bas à Oust-Ijma qu’on manquait d’allumettes au-dehors, on vous aurait fichu en taule et donné dix ans de mieux. »

« Choukhov regarde le plafond en silence. Il ne sait plus bien lui-même s’il désire être libre. Au début, il le voulait très fort et il comptait, chaque soir, combien de jours de son temps étaient passés, et combien il en restait. Mais ensuite, il en a eu assez. Plus tard, les choses sont devenues claires : on ne laisse pas rentrer chez eux les gens de son espèce, on les envoie en résidence forcée. Et on ne peut pas savoir où on aura la vie meilleure, ici ou bien là-bas.
Or, la seule chose pour laquelle il a envie d’être libre : c’est retourner chez lui.
Mais chez lui, on ne le laissera pas. »
La fin du texte :
« Choukhov s’endort, pleinement contenté. Il a eu bien de la chance aujourd’hui : on ne l’a pas flanqué au cachot ; on n’a pas collé la brigade à la “Cité socialiste”, il s’est organisé une portion de kacha supplémentaire au déjeuner, le chef de brigade s’est bien débrouillé pour le décompte du travail, Choukhov a monté son mur avec entrain, il ne s’est pas fait piquer avec son égoïne à la fouille, il s’est fait des suppléments avec César et il a acheté du tabac. Et, finalement, il a été le plus fort, il a résisté à la maladie. Une journée a passé, sur quoi rien n’est venu jeter une ombre, une journée presque heureuse.
De ces journées, durant son temps, de bout en bout, il y en eut trois mille six cent cinquante-trois.
Les trois en plus, à cause des années bissextiles. »

\Mots-clés : #campsconcentration #captivite #historique #politique #regimeautoritaire #temoignage #xxesiecle

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Message par Bédoulène Jeu 27 Jan - 15:50

merci Tristram, je n'ai pas lu cet auteur, je me le promets depuis ................

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Message par Tristram Jeu 27 Jan - 15:56

J'ai aussi lu Le Pavillon des cancéreux, Le Premier Cercle, L'Archipel du Goulag et Août quatorze, qui m'ont beaucoup impressionné.

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Message par Quasimodo Jeu 27 Jan - 17:33

Comme toi, Bédoulène, je tourne autour depuis quelques temps... Et je commencerais bien par cet Ivan Denissovitch.
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Message par Tristram Jeu 27 Jan - 17:43

C'est effectivement une bonne introduction à l'œuvre de Soljenitsyne, je pense : chronologiquement, et aussi un livre assez bref.
J'ai personnellement commencé avec Le Pavillon des cancéreux, il y a longtemps, mais je me rappelle encore lorsque l'auteur, hospitalisé, est "remisé" dans le mouroir, dont il sera ressorti "miraculeusement" vivant...

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Message par Dreep Jeu 27 Jan - 18:08

J'ai lu Pavillon des cancéreux il y a longtemps moi aussi... je n'ai pas adoré, et je ne comprends pas vraiment pourquoi. Alexandre Soljenitsyne 2441072346
J'ai dû louper quelque chose.
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Message par ArenSor Jeu 27 Jan - 18:15

Tristram a écrit:J'ai aussi lu Le Pavillon des cancéreux, Le Premier Cercle, L'Archipel du Goulag et Août quatorze, qui m'ont beaucoup impressionné.

Tu as lu les autres "noeuds" de "La Roue rouge" : 6000 pages tout de même (et laissé inachevé...) ?
Pour ma part, un bon souvenir du "Pavillon des cancéreux", mais il y longtemps.
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Message par Tristram Jeu 27 Jan - 18:19

Nonon, je m'en suis tenu à Août quatorze, qui m'a d'ailleurs moins intéressé que les précédents.
Il y a un côté dostoïevskien dans Le Pavillon des cancéreux, notamment.

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Message par Bédoulène Mar 8 Fév - 17:49

Alexandre Soljenitsyne Soljen10

Cette journée d'Ivan Denissovitch - Choukhov - une parmi tant d'autres, avec ses peines, ses instants d' apaisement - temps libre et sommeil -,  mais ce jour il est patraque.
le médecin : "Il dit que pour les maladies, le travail c'est le meilleur remède"

"Le froid redouble. Une brume mordante étreint Choukhov à lui faire mal et l’oblige à tousser. Il fait moins 27. Choukhov, lui, fait 37,7. C’est à qui aura l’autre."

Mais qu'a donc fait Ivan Denissovitch pour être détenu ? Il est un "faux espion", arrêté en 41 pendant la guerre, accusé d'espionnage, il  a du accepter de "se dénoncer". Les nombres d'années de camp dépendaient selon les dates décisionnaires ;   tantôt, 25, 20 ou 10.

D'autres tel d'Aliochka le sont pour adhérer à la  religion :

“ Vous voyez bien, Ivan Denissovitch, votre âme aspire à prier Dieu. Pourquoi ne pas lui donner libre cours ? ”
Choukhov regarde en coin Aliochka. Dans ses yeux, un feu couve, on dirait deux bougies. Il soupire :
“ Parce que, Aliochka, les prières sont comme les requêtes : ou bien elles ne parviennent pas à destination, ou alors c’est “ demande non accordée ”.


réflexion de Choukhov :
"Eux aussi, ils ont du malheur ; ils prient Dieu, mais qui ça gêne-t-il ? On leur a collé vingt-cinq ans, à tous, en bloc. Maintenant, c’est la période : vingt-cinq, tarif unique"


Dans cet univers implacable pour l'homme, tant par le climat, le travail, que parmi les détenus, certains sont  des "crevards", des planqués et quelques nouveaux arrivés, naïfs.

Choukhov après tant d'années est devenu un "zek" expérimenté et il a su garder sa dignité d'homme, dans ce camp de travaux forcés.

Ses petites satisfactions qui permettent de survivre : le tabac, sa cuillère bosselée qu'il a emportée du camp d'Oust-Ijma d'où il est arrivé dans celui-ci ; les bricoles trouvées, récupérées, malgré l'interdiction de détenir quoi que ce soit et au risque de se retrouver au cachot. Bien sur l'heure sacrée du repas - immonde, inconsistant, et surtout le pain, ces 2oo grs qu'il entame précautionneusement, qu'il cache parfois pour tromper la faim, plus tard.

Et que dire de ses bottes de feutre ? difficiles à faire sécher, mais seule protection avec les chaussettes, usées.

Le vol est quotidien et il faut beaucoup d'astuce pour s'en prémunir. Mais dans sa brigade la 104ème le chef est un homme juste, il ne faut pas lui en compter. Et il protège ceux de sa brigade, quitte lui aussi à user de tous les stratagèmes vis à vis du chef de la construction, des gardes et des gradés. N'hésitant pas à mettre la main à la pâte, comme il le fit ce jour où la brigade dû continuer la construction d'un mur avec les moyens sommaires. Choukhov qui a sa spécialité : la maçonnerie, a ce jour là dépassé les heures de travail, dans son enthousiasme du travail bien accompli. (et avec sa truelle qu'il cache)

"Les normes sont plus importantes que le travail lui -même. Un chef de brigade qu’est avisé met tout le paquet sur les normes. Si on mange, c’est bien grâce à elles. Un travail pas fait, faut prouver qu’il est fait ; un travail mal payé, faut se débrouiller pour qu’on le paye plus. Ça demande beaucoup de cervelle à un chef de brigade. Il faut qu’il soit en cheville avec les responsables des normes, qu’il leur graisse la patte à eux aussi"

Mais ici cela reste un camp et Choukov n'aspire qu'à retourner chez lui. Il ne reçoit aucun colis qui pourrait agrémenter un peu son quotidien, il a interdit à sa femme de lui envoyer un colis, elle doit garder l'argent pour elle et les enfants. Il ne peut non améliorer sa situation faute d'argent, raison pour laquelle il s'acquitte parfois de petits travaux pour les autres.

Décence :
"“ Voilà votre pain, César Markovitch. ”
Il n’a pas dit : “ Alors, vous l’avez touché ? ” parce que ce serait rappeler qu’il a fait la queue pour lui et qu’il a droit à un dédommagement. Il sait bien qu’il y a droit, mais il n’est pas un crevard, même après huit ans de travaux forcés, et plus le temps passe, plus il se renforce dans cette manière d’être."



Le comptage et recomptage usant pour les détenus, dans le froid, dès fois qu'un détenu se serait enfui, peu tente l'expérience, survivre dans cette région est quai impossible.

Et la journée, meilleure qu'une autre s'achève, Choukov rejoint le wagonkas et son matelas.

"Une journée a passé, sur quoi rien n’est venu jeter une ombre, une journée presque heureuse."


°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Cette nouvelle démontre bien le quotidien d'un zek avec des détails qui sont infiniment précis pour appréhender l'univers d'un détenu dans un camp de travaux forcés. Les rapports avec les chefs de brigade, un détenu également mais qui protège ceux de sa brigade dans ce qui lui est possible.

J'ai trouvé cette lecture intéressante mais bien sur une journée est réductrice par rapport aux années de camp.

(je vous invite à la lecture des livres d'Evguenia Guinzbourg)

Extraits

les gardes :
"Un homme, c’est plus précieux que l’or. S’il manquait une tête derrière les barbelés, c’est la leur qui y entrerait."
"Mais, même dans leurs pensées, les détenus ne sont pas libres. Ils reviennent toujours à la même chose ; ils remâchent : “ Est-ce qu’ils ne vont pas dégotter ma ration dans mon matelas ? Est-ce qu’ils vont m’exempter, ce soir, à l’infirmerie ? Est-ce que le capitaine va aller au mitard ou pas ? Et comment est-ce que César a bien pu se faire donner son linge chaud ? Il a dû graisser la patte au gars du magasin des effets personnels, ou alors, quoi ? ”

"Au camp, on a organisé la brigade pour que ce soit les détenus qui se talonnent les uns les autres et pas les gradés. C’est comme ça : ou bien rabiot pour tous, ou bien on la crève tous. Tu ne bosses pas, fumier, et moi à cause de toi, je dois la sauter ? Pas question, tu vas en mettre un coup, mon salaud !"

"On lui a refilé vingt-cinq ans, à Kilgas. C’est avant qu’il y avait eu cette période bénie où tout le monde avait droit au même tarif, dix ans. Mais après 49, nouvelle période : vingt-cinq ans à tous, sans distinction. Dix ans, on peut encore s’en tirer sans y rester, mais vingt-cinq ans, essayez voir !"

" Le temps est passé, tas de crapules, où vous distribuiez les années de taule ! Si tu dis un seul mot, vampire, rappelle-toi que c’est ton dernier jour ! ”

"Des espions, il y en a cinq par brigade, mais ce sont des espions pour la frime, des espions fabriqués. Dans leur dossier, ils figurent comme espions, mais ce sont de simples prisonniers de guerre. Choukhov lui aussi en est un espion.
Tandis que ce Moldave-là, lui, c’est un vrai"

"Pour le détenu, quel est l’ennemi n° 1 ? C’est l’autre détenu. Ah ! si les détenus ne se bouffaient pas le nez entre eux !..."

"Ce qu’il y a de bien dans un camp de travaux forcés, c’est qu’on est libre à gogo. Si on avait seulement murmuré tout bas à Oust-Ijma qu’on manquait d’allumettes au-dehors, on vous aurait fichu en taule et donné dix ans de mieux. Ici, on peut gueuler tout ce qu’on veut du haut des couchettes, les mouchards ne caftent pas ces trucs- là et les types de la sécurité se sont fait une raison. Mais ici, on n’a guère le temps de causer..."


Dernière édition par Bédoulène le Mer 9 Fév - 8:21, édité 1 fois

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Message par Aventin Mar 8 Fév - 19:47

Merci Bédoulène (Une journée d'Ivan Denissovitch est mon Soljenitsyne préféré, celui -le seul d'ailleurs- que j'aime relire, périodiquement) - le personnage d'Ivan Denissovitch est lumineux, héroïque à sa manière, d'avoir autant d'humanité dans l'inhumanité: comme une odeur de sainteté, dirait-on à une époque plus ancienne, dans d'autres contextes.

Je ne suis pas sûr qu'on se rende encore compte aujourd'hui du contexte de la parution de cet opus, et de la portée déflagrante qu'il eut, pour ainsi dire fondateur de la littérature dissidente à l'URSS dans les années 1960.

À la fin, Ivan Denissovitch Choukhov -ou plutôt matricule M.854- estime que c'est une journée de passée, pas si mauvaise et même plutôt bonne (le quignon de pain grappillé, ce n'est pas tous les jours), il a pu aider des compagnons d'infortune avec des petits riens:

Il s’endormait, Choukhov, satisfait pleinement. Cette journée lui avait apporté des tas de bonnes chances : on ne l’avait pas mis au cachot ; leur brigade n’avait point été envoyée à la Cité du Socialisme ; à déjeuner, il avait maraudé une kacha ; les tant-pour-cent avaient été joliment décrochés par le brigadier ; il avait maçonné à cœur joie ; on ne l’avait point paumé avec sa lame de scie pendant la fouille ; il s’était fait du gain avec César ; il s’était acheté du bon tabac ; et au lieu de tomber malade, il avait chassé le mal.
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Message par Hanta Mar 8 Fév - 20:40

Oui une Journée ce n'est pas assez, je t'invite à compléter par l'Archipel du Goulag Wink
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Message par Bédoulène Mer 9 Fév - 8:25

merci de m'avoir lu (j'ai corrigé l'erreur : la main à la pâte et non à la patte)

je note l'archipel, mais les livres autobiographiques de Guinzbourg sont aussi interêssants car nous voyons le processus d'internement du début, entrevues, prison jusqu'au camp et les années passées, puis la sortie etc.... (ce que Tom Léo avait souligné)

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Message par Tristram Mer 9 Fév - 10:25

Oui, j'ai lu tes commentaires sur Guinzbourg, Bédoulène, il me faut le lire (mais c'est épais...)

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Message par Dreep Ven 4 Nov - 13:57

Une journée d'Ivan Denissovitch

Alexandre Soljenitsyne Ivan-denissovitch

Je voulais Une journée d’Ivan Denissovitch depuis longtemps, j’attendais sans doute un prétexte : celui-ci n’a guère été réfléchi, et a suivi ma lecture d’un livre de Thomas Bernhard (Le Froid). L’idée de l’enfermement. Chez Soljenitsyne, ce qui m’a troublé au premier abord, c’était juste sa manière de raconter. Soyons un peu naïf, cela n’a rien à voir avec cette crise provenant du fond de l’être chez Bernhard. Au bagne des zeks, il n’y a guère de révolte : c’est une journée froide mais plutôt ensoleillée, une journée de murmures et de « cracs » dans la neige, une journée atroce mais une « bonne » journée. Celle-ci est marquée par une routine répétitive et brutale, rythmée par le labeur, les courses pour obtenir un peu de pain ou de tabac (ou le conserver) les appels et les contre-appels. Soljenitsyne décrit les gestes, les moments d’agitations ou de prostration ; les séquences sont courtes, ou alors, elles donnent l’impression qu’il ne se passe rien ― rien qui n’ait de sens, rien d’humain. Les zeks turbinent tels les matelots du Vaisseau des morts, où le corps est traité en machine, embarqué dans le wagon « des morts » comme le dit l’un des zeks. Des bruits, des voix passent tout le long de cette journée fatidique. Leur amertume est mêlé d’un fatalisme presque gouailleur, se moquant du soleil qui se lève par décret « il s’était ramené à l’heure, le matin » mais ces paroles sont comme des petites touches timides, espacées. Hors un moment où les zeks se posent et racontent leur histoires, ces voix se perçoivent de façon éclatée et c’est la monotonie qui gagne. Toute empathie est quasi-constamment empêchée, c’est la dureté des conditions qui ressort, nonobstant les lueurs d’humanité que le récit distille.

Alexandre Soljenitsyne a écrit:Maintenant, Choukhov va souper. D’abord, il boit et reboit le liquide. C’est chaud. Ça s’épand par tout le corps (ce que votre dedans palpitait d’attente !) Et c’est d’un bon ! Ça dure le temps d’un clin d’œil, mais c’est pour ce clin d’œil que vit un zek.
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Message par Bédoulène Ven 4 Nov - 17:32

merci Dreep, mes souvenirs remontent

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