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Joseph Conrad

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Message par bix_229 Dim 11 Déc - 15:58

Joseph Conrad  (1857-1924)

Joseph Conrad  Avt_jo11

À la charnière du xixe siècle victorien et du xxe siècle moderniste, Joseph Conrad occupe une place à part dans la littérature anglaise. Bourgeois terrien, il devient marin ; marin, il devient romancier ; Polonais, il adopte la langue et la nationalité britanniques ; romantique invétéré, il fait pourtant preuve d'un pessimisme sceptique, aux accents parfois nihilistes. Toute son œuvre porte la marque de tensions non résolues. Ainsi, son idéalisme généreux, qui le pousse à défendre les opprimés, est tempéré par un conservatisme politique sans illusions sur toute possibilité de progrès. Son attachement à l'ordre et aux institutions se double d'une fascination pour la figure du paria. Ses héros, bien que liés par un contrat moral de solidarité, ne découvrent au bout de leur chemin qu'une solitude absolue. Même son art de romancier a cet aspect bifide : tout en suscitant, par la magie de la voix et du récit, l'illusion romanesque et la fuite dans un ailleurs, il se rapproche des expérimentations modernistes par sa technique de dislocation chronologique et de montage de points de vue.

Comme T. S.Eliot, Pound et D. H. Lawrence, Conrad choisit l'exil, mais de manière beaucoup plus radicale. De son vrai nom Teodor Jozef Konrad Nalecz Korzeniowski, il naît dans la partie de la Pologne occupée par la Russie. Il n'a que quatre ans lorsqu'il accompagne son père, intellectuel nationaliste exilé, dans une lointaine province russe. On trouve là les germes de ce qui hantera son œuvre par la suite : solitude de l'héroïsme, vanité du sacrifice pour une cause perdue, conviction que loyauté et trahison se rejoignent dans la même illusion, dissolution de toute action dans l'irréalité, la corruption ou l'échec.
Source :Encyclopaedia Universalis

Bibliographie :

Romans
1895 : La Folie Almayer : Page 3
1896 : Un paria des îles : Page 4
1897 : Le Nègre du Narcisse : Page 1
1900 : Lord Jim : Page 1
1901 : Les Héritiers
1903 : L'Aventure, avec Ford Madox Ford : Page 4
1904 : Nostromo : Page 1
1907 : L'Agent secret : Page 3
1911 : Sous les yeux de l'Occident : Page 4
1911 : Un sourire de la fortune : Page 1
1913 : Fortune : Page 1
1915 : Victoire
1917 : La Ligne d'ombre : Page 4
1919 : La Flèche d'or
1920 : La Rescousse : Page 4
1923 : Le Frère-de-la-Côte (ou Le pirate, Le Flibustier, Le Forban) Page 1
1924 : La Nature d'un crime
1925 : L'Attente

Recueils de nouvelles
1898 : Inquiétude (ou Histoires inquiètes) (contient Karain) : Page 4, 5, 6
1899 : Au cœur des ténèbres : Page 1, 5, 6
1902 : Jeunesse : Page 2, 5
1902 : Au bout du rouleau : Page 2, 5
1903 : Typhon et autres récits : Page 1,
         dont Amy Foster : Page 3, 5
1908 : Six nouvelles : Page 5, comprenant Gaspar Ruiz : Page 2
                                Le Mouchard,
                                La Brute,
                                Un Anarchiste,
                                le Duel
                                Il Conde  
1910 : Entre terre et mer : Page 5, comprenant Le Compagnon secret : Page 4
1915 : En marge des marées : Page 6
1925 : Derniers Contes : Page 6

Textes
1915 : Retour en Pologne
1924 : Du goût des voyages
1925 : Carnets du Congo

Mémoires
1906 : Le Miroir de la mer
1912 : Souvenirs personnels

màj le 26/07/2024
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Message par bix_229 Dim 11 Déc - 19:03

Joseph Conrad  41g3jc10

FORTUNE. - Gallimard

Je n'essaierai pas de vous raconter l' histoire. Elle est bien trop complexe, tout comme sa composition. les personnages et l' écriture très remarquables. Un style d' une sophistication, d'une subtilité et d'une précision qui l'apparentent à Henry James.

Il est étonnant de constater à quel point ces deux auteurs peuvent être proches parfois, tout en restant spécifiquement eux-mêmes. Je crois que, trop longtemps, Conrad a souffert d'être considéré comme un auteur de mer et de bateaux. Sauf pour ses lecteurs les plus fidèles.

Il sufit de savoir que le narrateur est une fois encore Marlow, un personnage qui était un peu le double de l'auteur dans d'autres livres, Jeunesse, Le coeur des ténèbres, Lord Jim. Marlow est ici un observateur, philosophe, curieux, plutôt mysogine, très ironique et pas objectif du tout.

L'histoire tourne autour de deux personnages essentiels : Flora de Barral et le capitaine Anthony. Les autres n'ont de l'importance qu'en fonction de l'influence qu'ils ont sur eux deux. Il s'agit d' une Mme Fyne, grave et dogmatique, féministe prosélyte. Du financier De Barral, père de l' héroïne et escroc patenté et de notre Marlow qui se fait un malin plaisir de les dépiauter.
Parlant de l' inénarrable couple Fyne, Marlow s' écrie :

"Je ne me crois pas sujet à des accès de délire, mais une aberration singulière évoqua soudain à mes yeux, tandis que j'attendais leur réponse, deux chiens savants dansant sur leur pattes de derrière. Je ne sais pas pas pourquoi ; peut-être à cause de la solennité ambiante."

On pourrait dire qu'il s'agit d'une histoire d'amour entre le capitaine Anthony et Flora de Barral si cet amour-là ne s'avérait pratiquement impossible. La jeune Flora n'a cessé d'être maltraitée du fait de son jeune âge, de sa naïveté et de son désir d'aimer et d'être aimée. Une victime désignée pour les prédateurs que sont d'abord sa gouvernante, puis la féministe et enfin son propre père. Et lorsqu'il s'agit de Flora, le regard de Marlow se fait chaleureux :

"Sa petite tete aux yeux bleus bien profonds, aux yeux de tendresse et de colère, sous l'arc des sourcils fins était fort calme. La bouche pointue paraissait très rouge, la forme du petit menton pointu avait quelque chose d'agressif. Svelte et quasi anguleuse sous la modeste robe noire, elle offrait une petite silhouete touchante et ... Mon Dieu ! oui... certainement désirable."

Anthony a toutes les qualités. Il est parfait ou presque. Sauf que la sublimité est très proche de l'imbécilité, comme le note Marlow. La passion subite qui s'empare de lui le rend quasiment sourd, possessif, excessif. Bref, invivable ou presque.

Les choses auraient pu s'arranger, si Anthony, capitaine au grand coeur, ne tentait l'impossible : soustraire sa chère et tendre au monde cruel en l'emmenant sur son propre bateau AVEC le financier véreux, très méchant et à peine sorti de prison.. Ceci pendant des mois de navigation dans l'espace étroit et confiné d'une cabine de bateau. Et sous les yeux chagrins et réprobateurs des marins du bateau. Que croyez vous qu'il arriva ?...
Vous le saurez en lisant ce livre !

Car c'est un grand livre, Chance, remarquablement écrit et aussi traduit par Philippe Neel.
C'est aussi ce livre qui étendit le nombre de lecteurs de Conrad. Un Conrad très conscient de son talent mais qui, comme tout écrivain, cherchait la reconnaissance publique. Il était aussi très perfectionniste et n' oubliait jamais de précéder ses livres d'une préface pour expliquer sa démarche. Fortune lui demanda beaucoup d' efforts...

"Au moment critique de mon indécision, Flora de Barral passa devant mes yeux, mais si rapidement que que je ne pus d'abord la saisir. Ne pouvant qu'à contre coeur la laisser s'enfuir, je ne voyais pas bien le moyen de la poursuivre et j'étais sur le point de renoncer, lorsque ma sympathie naturelle pour le capitaine Anthony me vint en aide. Puisque cet homme est si résolu à étreindre une "écharpe de brume", ce que j'ai de mieux à faire est de me lancer avec lui dans cette aventure... Je me contenterai de suivre le capitaine Anthony. Chacun de nous s'appliqua à poursuivre son propre rêve..."
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Message par topocl Jeu 15 Déc - 11:28

Au cœur des ténèbres

Joseph Conrad  Images66

Roman d’aventure aux baroudeurs  désespérés, à la recherche d’un  génie tout à la fois fascinant et ignoble, où la brousse oppresse une rencontres tragique et lyrique, interroge sur l’humain dans ses profondeurs les plus abjectes, Au cœur des ténèbres n’était a priori pas un pari gagné pour moi.
C’était compter sans le style flamboyant de Conrad, un écrivain que je découvre et dont j’ imagine qu’il pourrait subjuguer en racontant n’importe quelle histoire, en disséquant n’importe quel anti-héros. Une prose magique. (Chapeaux bas au traducteur, JJ Mayoux)
Du fort , du beau, du lourd (au bon sens du terme).

C'est une drôle de chose que la vie - ce mystérieux arrangement d'une logique sans merci pour un  dessein futile. Le plus qu'on puisse en espérer, c’est quelque connaissance de soi-même -  qui vient trop tard - une moisson de regrets inextinguibles. J'ai lutté contre la mort. C'est le combat le plus terne qu'on puisse imaginer. Il se déroule dans une vie grisaille impalpable, sans rien sous les pieds, rien alentour, pas de spectateurs, pas de clameurs, pas de gloire, sans grand désir de victoire, sans grande peur de la défaite, sans beaucoup croire à son droit, encore moins à celui de l'adversaire - dans une atmosphère écoeurante de scepticisme tiède.

(commentaire rapatrié)


mots-clés : #aventure

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Message par topocl Jeu 15 Déc - 11:32

Typhon

Joseph Conrad  Images67

A bord du Nan-Shan, le Capitaine MacWhirr, son second Lukes, et tout l’équipage affrontent la plus inimaginable tempête qu’il ait jamais été donné à aucun de ces hommes de rencontrer.

Le Capitaine MacWhirr avait navigué sur les océans comme d'autres hommes glissent pendant des années à la surface de l'existence pour ensuite sombrer doucement dans une tombe douillette, ignorant tout de la vie jusqu'à la fin, et sans que jamais l'occasion leur eût été donnée de savoir ce qu’elle peut comporter de perfidie, de violence et de terreur. Il y a sur l’eau et sur la terre des hommes qui ont cette chance – ou qui sont ainsi négligées par le destin ou par la mer.

Dans la cale, des Chinois qui rentrent chez eux au terme de 7 ans de contrat de travail : passagers ou marchandise à 100 têtes, on ne sait jamais trop.

Un tremblement de terre, un glissement de terrain, une avalanche prennent leurs victimes incidemment, d'une certaine manière - sans passion. Mais le vent en fureur s'attaque à l'homme tel un ennemi personnel. Il essaie de lui saisir bras et jambes, de s'emparer de son esprit, il cherche à lui voler son âme.

Curieusement, pendant ma lecture, quoique convaincue de la beauté de l’écriture, je m’en fichais un peu. Puis, peu à peu, le couple de ce capitaine, ordinaire à en pleurer, mais qui révèle peu à peu une certaine grandeur caché, et Lukes, le second droit et fidèle, s’accrochant l’un à l’autre, a fait son chemin en moi.


(commentaire rapatrié)

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Message par topocl Sam 17 Déc - 9:36

Nostromo

Joseph Conrad  51tj1h10

  "Il y a dans un trésor quelque chose qui s'attache à l'esprit d'un homme. Il prie et  blasphème et persévère cependant ; il maudit le jour où il en a entendu parler pour la première fois, et laisse arriver sa dernière heure sans s'en apercevoir, croyant toujours qu'il ne l'a manqué que d'un cheveu. Il le voit chaque fois qu'il ferme les yeux. Il ne l'oublie qu'à sa mort - et même alors… docteur, avez-vous jamais entendu parler des misérables gringos de l'Azuera, qui ne peuvent pas mourir ? Ah ! ah ! Ce sont des marins comme moi. On ne peut pas échapper à un trésor une fois qu'il s'est  attaché à votre esprit."

Sur fond historique de colonialisme, de coup d'états militaires, de guerre civile, et de politique dictatoriale au Costaguana, petit pays fictif d'Amérique latine, Joseph Conrad nous fait vivre au rythme d'un groupe d'Européen, installés là-bas comme chez eux. Écartelés entre leurs amours, leurs rêves et leur cupidité, ils mènent une existence à la fois brillante et fiévreuse, où ils apprennent que la réalisation des espérances, financières ou autres,  ne mène pas forcément à l'épanouissement personnel. Même chose pour Nostromo, un marin génois débarqué ici pour faire fortune, emblématique de cette petite communauté, qui voue un mélange d'admiration et de mépris à ce personnage valeureux et  fantasque.

Difficile de faire un commentaire  sur ce roman,  considéré par tous comme le chef-d’œuvre de Joseph Conrad, si ce n'est pour redire que c'est un roman magistral, qui se mérite, mais qui récompense généreusement l'effort qu'on a pu mettre dans sa lecture.On est captif des allers-retours temporels, des péripéties romanesques dignes des meilleurs romans d'aventure, de la complexité des personnages pris dans les rets de cette vie coloniale alternativement délicieuse et rude, cette petite communauté imbue d'elle-même, égocentrique et brillante, qui au delà de son lustre n'échappe pas à la moiteur.
Un roman âpre, foisonnant et tumultueux dont on ressort avec une satiété heureuse.

(commentaire rapatrié)


mots-clés : #colonisation #insurrection

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Message par Bédoulène Sam 17 Déc - 14:35

je n'ai lu que "le nègre du Narcisse" mais j'ai "le planteur de malata" dans ma pAL

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Message par bix_229 Sam 17 Déc - 15:26

Un texte profondément étrange et meme dérangeant de Conrad,
c'est le nègre du Narcisse, que je n'essairai pas du tout de parler,
parceque chaque lecteur aura son interprétation...

Tiens, ce Conrad me fait penser à Melville, et précisément à un grand roman
de lui Billy Budd, qui fut d'ailleurs adapté au cinéma.
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Message par bix_229 Sam 17 Déc - 15:29

Bonne nouvelle pour les amateurs de Joseph Conrad, dont je suis.Joseph Conrad  56221

Arlea publie des inédits de Conrad. Celui-ci s' appelle Le naufrage du Titanic et autres récits sur la mer.
L' un d' eux est un un texte sur le Titanic, ce navire qui coula en 2 heures après avoir heurté un bloc de glace, paquebot de luxe et de sordidité en meme temps.
Conrad s' interroge sur sur cette catastrophe et les aberrations de la conception du navire.
Et sur d' autres questions qui sont au coeur de son oeuvre...

Message récupéré
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Message par bix_229 Sam 17 Déc - 15:45

Joseph Conrad  Conrad10

Un sourire de la fortune, histoire de port


Le jour même où il aborde à l'Ile Maurice, le capitaine d'un trois mats est invité à un repas somptueux qu'un négociant lui offre en s'invitant sur son  propre bateau.
Le négociant, un nommé Jacobus, est un filou qui accueille ainsi les capitaines fraîchement débarqués. A tous, il offre ses service et leur propose tout ce qu'on peut  proposer avec de l'argent.
D'abord furieux, le capitaine finit pas s'habituer au personnage, se disant qu'après tout il est là pour faire du commerce et que Jacobus lui facilitera la tâche.

Le capitaine est jeune et vif, le commerçnt habile, expérimenté et rusé. Il a dans sa maison une fille de dix huit ans qu'il cache à tous et qui vit dans un jardin magnifique.
Si l'on se demande qu' elle est l'intrigue de ce roman, on peut dire qu' elle se dessine le jour où Marcus introduit délibéremment le capitaine auprès de sa fille et l'autorise à la voir seul à seule. Et si l'on s'interroge sur le motivations de Jacobus, je vous dirai qu'il veut écouler un stock de sept tonnes de pommes de terre. Vous ne me croirez pas, et vous aurez tort. Enfin, je ne sais pas vraiment...
Sinon que c'est un marché trés étrange...

Mis inopinément en présence l'un de l'autre, les deux jeunes gens stupéfaits ne savent comment se comporter. La fille est agressive, mal embouchée.
Aux question du jeune homme elle répond avec désinvolture : "sais pas, m'en fous". Mais plus elle le rabroue et plus il en redemande !
Les seuls moments où ils se rapprochent vraiment, c'est quand  leur corps s'exprime à leur place. Il faut  dire que la fille est belle et très sommairement vêtue. Et le jeune homme frustré et exaspéré tombe amoureux. Enfin, disons qu'il la désire impérativement.

"Je parlais avec volubilité, jovialité, persuasion, tendresse : je parlais d'une voix étouffée. Le premier venu aurait perçu le murmure suppliant
d'un amoureux. A chaque fois que je marquais une pause, plein d'espoir, répondait un profond silence.
C'était comme offrir de la nourriture à une statue assise."
P. 79

"Je regardais la fille. C'était ce pour quoi je venais chaque jour ; perturbé, honteux, fougueux ; trouvant dans son voisinage une sensation à nulle autre pareille, à laquelle je m'abandonnais avec crainte, auto-dérision, et plaisir profond, comme si c'eut été un vice secret destiné à précipiter ma perte." P. 90

Je n'en dirai pas plus. Mais n'allez surtout pas penser que cette histoire est bassement matérielle. Même si les motivations du commerçant semblent telles. Ce serait faire injure à la subtilité de Conrad.
Conrad fait partie de ces auteurs qui, comme Henry James, suggère plus qu'il ne dit. Et en dit parfois plus qu'il sait.
Et ce récit est en fait plein d'arrières plans, de zones d'ombre, de non dits, de questions. Ce qui laisse librement place à l'imagination du lecteur.
Voilà une histoire psychologiqement déroutante, complexe, par moments cruelle et sensuelle. Au style superbe. Peu connue dans l' oeuvre de Conrad, elle gagne vraiment beaucoup à être connue.
J'ajouterai seulement que cette histoire est en grande partie autobiographique, comme La ligne d'ombre.
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Message par Invité Sam 17 Déc - 16:00

Bédoulène a écrit:je n'ai lu que "le nègre du Narcisse" mais j'ai "le planteur de malata" dans ma pAL

Lu ni l'un ni l'autre, mais je ne peux qu'encourager à lire Conrad. Au moins essayer Lord Jim, ou Au coeur des ténèbres. Très sombre, mais aussi un talent d'écriture peu commun.

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Message par Aventin Ven 17 Mar - 22:24

Le flibustier
Titre original: The Rover.
Roman, écrit en 1922, publié en 1923, 275 pages environ.
Joseph Conrad  1598x110
Huile sur carton d'Élie Bernadac

Le dernier roman de Conrad, correspondant sans doute à son vieux projet caressé, au moins depuis 1902, d'un roman qui fût méditerranéen et napoléonien. Pour l'anecdote, son premier titre en traduction française fut "Le frère-de-la-côte", titre validé par Conrad, au cas où vous tomberiez sur une très ancienne édition.

Les nombreux amateurs de Conrad de ce forum le savent, le "on-dit" en vigueur prétend que le meilleur de Conrad fut écrit avant 1910, et je me rends tout à fait à cette opinion.

Du coup, les ouvrages postérieurs à 1910 sont parfois un peu laissés dans l'ombre.
On peut avoir quelques bonnes surprises, comme avec Le flibustier, que j'ai trouvé très plaisant, émouvant, et plutôt profond, riche en matière.

La note de postface précise que l'édition originale est truffée de gallicismes, et pas mal de mots, voire de phrases en français y figurent, ce qui doit être un peu crevant pour qui le lit en anglais: quant à rendre ces gallicismes...en français, les traducteurs ont dû s'en voir de belles, ça doit être à peu près impossible.

L'histoire ? Sans trop déflorer, ce livre fait, je crois, partie de ceux dans lesquels il faut entrer sans trop savoir ce qu'il y aura après la page de garde:
Un vieux coureur de mers, Peyrol, au passé plus que trouble, débarque à Marseille à bord d'un bateau pris à l'ennemi anglais, pendant la révolution française. Au lieu d'être accueilli en héros, il l'est fraîchement, les autorités se montrent soupçonneuses. Il part alors se faire oublier dans sa campagne natale, une presqu'île proche de Toulon, isolée par un marais...

Le rythme est un peu languide, il y a une touffeur toute méditerranéenne et estivale dans ces pages.
Le déroulé a une ou deux phases de confusion, curieux cela chez Conrad.
Les caractères sont lentement peints, et c'est très bien fait -toujours un peu contradictoires, les personnages Conradiens- peut-être quelques personnages, pourtant pas loin de compter parmi les principaux (Réal, Scevola, Michel, etc...) auraient mérité un traitement plus fouillé.   

Une part d'autobiographie aussi, comme un retour (c'est là que Conrad débuta dans le métier de marin).
Le sort de la tartane, le sort de Peyrol, le sort de Conrad au soir de sa vie alors qu'il l'écrivait, tout ceci densifie ces pages, pourtant jamais empesées, même en cas de situations figées (observations, guet, etc...).

Le regard extérieur ("anglais", ou Conradien ?) sur la violence aveugle du lieu et de l'époque, couplé à la dimension historique (révolution française puis époque napoléonienne) servent particulièrement bien le rendu romanesque.

Les descriptions côtières, marines et de navigation sont un pur régal, servi par un virtuose (mais ça, vous vous en doutiez).
Et le final est époustouflant.

Bref: un Conrad assez original, qui m'a bien accroché...


mots-clés : #nature #revolution
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Message par Tristram Sam 18 Mar - 1:12

Un écrivain plus profond qu'on pourrait le croire en n'en voyant que le goût de l'aventure :

« Il advint cependant que mon enthousiasme pour la géographie me valut les sarcasmes de mes camarades de classe lorsque, le doigt posé à l’endroit précis qui correspondait au milieu du cœur encore vide de l’Afrique, je leur déclarai tout de go que j’irai là. »
Joseph Conrad, « Du goût des voyages »
« En ce temps-là il existait beaucoup d'espaces blancs sur la terre, et quand j'en voyais un d'aspect assez prometteur (mais ils le sont tous), je mettais le doigt dessus et je disais, "Quand je serai grand j'irai là". »
Joseph Conrad, « Au cœur des ténèbres »

« …] je sais bien qu’un romancier n’existe que dans son œuvre. Il est là, unique réalité d’un monde inventé, parmi des choses, des faits, des gens imaginaires. En les écrivant, il ne fait que se décrire lui-même. Mais il ne se découvre jamais complètement. Il demeure, jusqu’à un certain point, un personnage voilé : une présence que l’on soupçonne plutôt qu’on ne la voit, – un mouvement et une voix derrière l’écran tendu de son roman. »
Joseph Conrad, « Des souvenirs »

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Sam 18 Mar - 6:24

et il est allé "là" !

belle définition du romancier.

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Message par Aventin Dim 19 Mar - 7:36

Lord Jim
Roman, publié en 1900, écrit entre septembre 1899 et juillet 1900.
Titre original "Lord Jim", 470 pages environ, deux parties, quarante-cinq chapitres.

Joseph Conrad  Lord_j10

Comme d'autres titres de Conrad, il est possible de le lire ici.

Conrad a entrepris Lord Jim en souhaitant faire beaucoup plus court, vingt-cinq mille mots, soixante-quinze pages environ, une nouvelle complémentaire de Jeunesse et d'Au cœur des ténèbres. C'est en ce sens qu'il signe avec la revue écossaise Blackwood's magazine, pour une parution en feuilleton. Nul ne se doute alors, à commencer par l'auteur, que l'ouvrage final sera de si longue haleine, qu'il comprendra deux vastes parties denses et bien distinctes, presque deux romans en un.

Conrad a dû s'employer. Il n'avait jamais alors exploré ses possibilités d'écriture sur une distance allant au-delà de la centaine de pages. Or, dans cette relative terra incognita de ses possibilités littéraires, il finit son roman en athlète-marathonien enfiévré, sur la bagatelle de vingt et une heures d'écriture non-stop pour apposer le point final !!

Le procédé littéraire lui fut reproché, je veux dire ce discours interminable de Marlow. De bien futiles et savants critiques ont calculé que Marlow a dû parler onze heures de rang, ce qu'ils jugent peu probable et donc disqualifiant pour cet ouvrage.
Tout à l'opposé cela me semble très moderne, comme "impossibilité physique", ça le fait sortir d'un réalisme millimétré.
Et je suis presque chagriné que Conrad ait cru bon de leur répondre, au lieu de se contenter d'un vague haussement d'épaule.

Lord Jim, entreprise novatrice, s'avère éprouvant pour le lecteur, lequel est sollicité, en effet la matière est très riche, et tout n'est pas dans la linéarité chronologique.

Comme le roman se veut une compilation, faite par Marlow, de témoignages, dont le sien propre, nous devons garder les faits mais aussi les petits indices (un peu comme dans un polar) susceptibles de ressurgir: d'où la nécessité, au moins pour chaque partie (on peut souffler longuement au milieu), d'une lecture assez rapide, histoire de bien tout garder frais en tête.
Le discours de Marlow, méandreux, à bâtons rompus parfois, n'est pas effectué par un professeur, ni par un enquêteur professionnel, mais par un pair, certes plus expérimenté et plus élevé en grade et c'est cela que veut restituer (ou instituer comme procédé) Conrad.

D'où, et nous en sommes gré à l'auteur, les détours discursifs et les petites longueurs (rares, au reste) narratives, rendant ainsi un cachet certain et une belle atmosphère à l'ensemble. Il y a ce côté "élucubrations entre gentilshommes (ou racaille) de mer", ressassant au rythme d'une lenteur régulière, qui sonne bien.  

__________________________________________________________________________________________________________________________________

De quoi s'agit-il ?

D'un jeune gentleman face à l'honneur, au devoir, à la solidarité, aux codes du métier de marin. Une histoire de courage, de loyauté, de manquement. En somme assez Kiplinguienne, la thématique, assez "empire britannique sur lequel le soleil ne se couche jamais".

Mais quel traitement !
Tout part, avec une excusable prémisse ancienne, d'un travers dans lequel Jim (re)tombe. Puis, qui fuit, sur une chance donnée par Marlow, le monde, toujours plus discret, toujours plus à l'est, à mesure que son histoire le rattrape.
Est-il encore "l'un des nôtres" ? (Marlow assène, à longueur de chapitres, qu'en effet c'est "l'un des nôtres").

Marlow, par son entregent, lui permet une dernière chance, dans un recoin de l'Indonésie hors du temps. Où il devient Tuan Jim, Lord Jim. Sans dévoiler le final de cette tragédie, et pourtant il le faudrait, car il se pose là et ce n'est rien de l'écrire, le "je" narratif passera entre plusieurs bouches ou écritures, revenant parfois à Charlie Marlow: le procédé n'est si fréquent, il fallait oser !

Les personnages secondaires sont extraordinairement campés, et vraiment, quand Conrad s'attarde sur "le célibataire blasé entre-deux âges qui avait une réputation d'excentrique et possédait une rizerie", ou Chester, ou Stein (ah, Stein !), Brown, Jewel, Doremin, Tamb'Itam, Cornelius, le Rajah dans la seconde partie, ou bien "le Lieutenant français d'un certain âge" rencontré à Sidney, l'extraordinaire Brierly, Mr Jones, le Capitaine et le chef-mécanicien du Patna dans la première, ce ne sont pas de ces sous-lectures au sein d'une lecture principale, qui alourdissent le pavé, mais du bon trait croqué, des gens dont le témoignage, le regard, ne sont pas forcément ceux de Marlow, et qui viennent, à leur manière, nous illustrer mais aussi nous complexifier le cas Jim.

Enfin, mais que cela ne soit pas réduit à cette seule dimension, c'est -et vous vous en doutez bien sûr- un livre de mer et d'aventure de haute tenue.
Qu'est-ce avant tout, sinon un chef-d'œuvre (au reste reconnu, je crois) aux pistes et questionnements toujours très intemporels ?

_______________________________________________________________________________________________________________________________


Relire Lord Jim une fois de plus ?

J'en brûlais. Au point (c'est ridicule, et de bout en bout j'en fus conscient) de mettre en place une véritable mise en scène, que j'ai respectée à la lettre.
Le grand privilège de la relecture, c'est peut-être cela: pouvoir se placer en situation optimale.

Lecture démarrée dans une tente ouverte (sauf la moustiquaire), à la lueur d'une frontale, une fin de nuit d'août très sereine, avec comme seul fond sonore le ressac, quelques feuilles d'arbres bruissant à peine, et des odeurs salines, de mer.    
Captain Charlie Marlow peut prendre la parole et se lancer dans son discours interminable.

Puis prolongée, aux toutes premières lueurs, et après l'intermède d'un café sur le réchaud, au bout d'une grève sableuse, contre quelques rocs calcaires, avec la compagnie de ces petits crabes si craintifs, de couleur vert-bronze.  

Magnifique lever de soleil, des stries régulières d'abord rosâtres sur ton suie, puis orangées sur ton cendre. Et le ciel se mirait à l'identique sur les flots d'huile absolument, sauf sur une légère frange agitée d'un faible clapot le long de la berge.

J'attendais la chaleur d'août, la canicule, celle de l'air épais et comme gluant, je ne l'ai pas eue, au moment de lire le balancement des pankas dans l'air surchauffé, irrespirable.

Les estivants commençant à se déverser, un recoin du port (enfin, pas du côté port de pêche ni port de plaisance), laissé aux herbes folles, puis un paisible vieux marais, envasé, à l'abandon, fournirent les lieux propices à la lecture de la première partie, pliée en 24 heures.

La seconde fut avalée en deux longs traits, deux nuits, à la maison. Puis j'ai traîné à plaisir sur les soixante-dix dernières pages (chapitre 37 et suivants), que j'avais autrefois avalées tel un boulimique, pressé de connaître l'issue, puis lors de la relecture précédente, pages parcourues sans trop chercher à voir ce qu'on peut scruter au-delà des mots et des situations, de l'action.

Pas plus de dix pages par jour. Quand le dénouement est déjà connu, il reste encore à apprécier la manière de le conduire, tout ce que je n'avais pu (ou plutôt su) apprécier jusqu'à présent.  

____________________________________________________________________________________________________________________________

Deux extraits:

Chapitre 10 a écrit:Je fus frappé par la vérité suggestive de ses paroles. Elle est très particulière, la situation d'un petit canot isolé sur une mer infinie. Sur ces vies évadées de l'ombre de la mort plane le spectre de la folie. Lorsque l'on a perdu son navire, c'est l'univers entier que l'on a perdu; cet univers qui vous a façonné, qui vous a contraint, qui a pris soin de vous.
L'âme des hommes qui flotte au-dessus d'un abîme, en contact avec l'immensité, se croit autorisé à se livrer à n'importe quel excès d'héroïsme, d'absurdité ou d'abomination.
Évidemment, comme pour les croyances, la pensée, l'amour, la haine, les opinions, et même l'aspect extérieur des objets concrets, il y a autant de sortes de naufrages que de sortes d'hommes; et, dans ce cas-là, il y avait un élément d'abjection qui rendait l'isolement plus complet.
Il y avait des circonstances d'une vilenie qui coupait plus radicalement ces rescapés de tous les autres hommes, de ceux qui n'avaient jamais eu à subir l'épreuve de cette farce démoniaque. Les trois hommes étaient exaspérés contre lui parce que c'était à contrecœur qu'il avait déserté; lui les rendait responsables de la haine et du dégoût que tout cela lui inspirait.
Il aurait voulu se venger sur eux de l'ignoble tentation qu'ils avaient poussée sous ses pas.
Rien de tel qu'un canot en haute mer pour libérer l'irrationnel tapi au cœur de toute pensée, de tout sentiment, sensation ou émotion.  

Chapitre 19 a écrit:Tous furent également empreints de cette absurde noblesse d'intention qui rendait leur futilité profondément émouvante. Renoncer à son pain quotidien afin d'avoir les mains libres pour se colleter avec un fantôme est peut-être un acte d'héroïsme prosaïque.
D'autres l'ont fait avant lui (mais nous, qui avons vécu plus longtemps, nous savons que ce n'est pas une âme obsédée, mais un corps affamé qui fait le hors-la-loi), et certains hommes qui mangeaient et entendaient bien manger chaque jour ont applaudi à cette folie pleine de bonnes intentions. La chance n'était pas avec lui, vraiment, car toute cette instabilité ne pouvait parvenir à le mettre à l'abri de ce fantôme.
Un doute subsista toujours sur son courage. La vérité, me semble-t-il, c'est qu'il n'est pas possible de se libérer du fantôme d'un fait. Vous pouvez lui faire face, ou l'éviter, - et j'ai connu un ou deux hommes capables de faire un clin d'œil à leurs spectres familiers.
Manifestement, Jim n'était pas un homme à clins d'œil.
Mais ce que je n'ai jamais pu tirer au clair, c'est si sa stratégie avait pour but d'éviter son fantôme ou de le défaire en combat singulier.  


(Ramené toiletté d'un commentaire du 31 août 2014, et du 1er septembre 2014 pour les extraits)



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Message par Tristram Dim 19 Mar - 13:04

Aventin a écrit:Le grand privilège de la relecture, c'est peut-être cela: pouvoir se placer en situation optimale.
Bravo pour cette "mise en scène" de relecture, effectivement un grand moment d'approfondissement jouissif d'une oeuvre !

« En naissant, un homme tombe dans un rêve comme on tombe à la mer. S'il veut se débattre pour en sortir, comme le font les gens sans expérience, il se noie… »

« Le Roman avait élu en Jim un de ses héros, et c'était là la seule partie vraie d'une histoire qui n'était autrement que mensonge. »

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Dim 19 Mar - 16:45

Tu t'es mis dans d'agréables conditions pour cette relecture Arensor ! tu mérites ton plaisir ! Smile

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Message par ArenSor Dim 19 Mar - 20:46

Bédoulène a écrit:Tu t'es mis dans d'agréables conditions pour cette relecture Arensor ! tu mérites ton plaisir ! Smile

Moi, mais je n'ai rien dit Very Happy

Spoiler:
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Message par Bédoulène Lun 20 Mar - 8:20

zut c' est Aventin le lecteur de Lord Jim !

Arensor j' ai donc bien fait de t'interpeller Joseph Conrad  1390083676 (dit celle qui n'a lu que le Nègre du Narcisse)

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Message par Aventin Ven 7 Avr - 22:35

Bix et Bédoulène, mais aussi "Le flibustier" m'ont donné envie d'une relecture:





Le nègre du Narcisse
Histoire de gaillard d'avant
Titre original: The Nigger of the Narcissus, A Tale of the Sea.
Titre original américain: The children of the Sea, A Tale of the Forecastle
NB: Nigger posait problème aux éditeurs américains de l'époque. Il fallut attendre les années 1920 pour que The Nigger of the Narcissus s'impose aussi comme titre pour les éditions d'outre-atlantique.

On voit que la traduction française propose un mélange des deux titres.
Au reste, Conrad a proposé la bagatelle de treize titres à ses éditeurs (!), quelques exemplaires prisés des bibliophiles arborent des titres rares.


Roman, 150 pages environ, cinq chapitres, paru en 1897, l'écriture a débuté (en Bretagne pendant la lune de miel des Conrad) en juin 1896 pour s'achever en janvier ou février 1897.

Joseph Conrad  Otago_10
Le trois-mâts-barque Otago, sur lequel Conrad servit comme Capitaine en 1888 et pendant trois mois en 1889.


___________________________________________________________________________________________________________________________


Le procédé littéraire:

Conçu pour être à l'origine une nouvelle, celle-ci s'allonge au gré des retouches de l'auteur, pour devenir plus un court roman qu'une longue nouvelle.
On note que Conrad a effectué une traversée à bord d'un navire (trois-mâts-barque) nommé "Narcissus", entre Bombay et Dunkerque, ici le Narcisse navigue entre l'Inde et Londres.
Il a sans doute puisé là le matériau nécessaire à l'écriture de ce livre, et remarquons en outre que c'est le seul cas de bateau ayant réellement existé, traduit sous son propre nom, dans les ouvrages de Conrad.

L'intrigue ? Cela va être vite vu, il n'y en a pas, ou si peu: le bateau va-t-il réussir sa traversée, parvenir à bon port, accessoirement James Wait (le "Nègre du Narcisse") va-t-il guérir ?

La construction, ce sont cinq chapitres formant un Opus quasi-symphonique. En cela c'est un joyau, à classer vraiment parmi le tout meilleur de Conrad.

Le prélude est en douceur, presque enjoué, de petites notes exotiques de port de nuit d'une côte indienne. Le brouhaha des conversations dans le gaillard d'avant - j'ai toujours pensé que ce chapitre en particulier avait inspiré Malcolm Lowry pour quelques pages un peu similaires, de bribes de conversations décousues, d'équipage, dans (un autre chef-d'œuvre) Ultramarine.
L'appel du rôle, de l'engagement à bord. In extremis, noir sur ténèbres, paraît James Wait qui jette un "Wait !" ambigu, est-ce son nom, est-ce une apostrophe (qui serait, alors, provocante, irrespectueuse) envers la hiérarchie du bord ?

Le chapitre I et II (le plus bref) nous présentent l'équipage et brossent les trente-deux premiers jours de mer - quelques individualités sont déjà appuyées.
James Wait est un pivot de cette histoire, une individualité centrale, peut-être à son insu, du corps homogène que forme l'équipage, est-il un imposteur qui singe la maladie, ou bien souffre-t-il réellement ?
Un autre matelot, Donkin, rescapé d'on ne sait quelles prisons coloniales, inscrit au rôle en haillons, sans coffre ni vêtements, écorché-vif, brebis galeuse, insoumis et tire-au-flanc, est lui aussi en rupture vis-à-vis du corps on ne peut plus disparate, mais uni et discipliné, que forme les autres marins.

Le III glisse sur l'élément, la mer tempétueuse, une accumulation de touches négatives, de fragments hostiles crayonnés.

Conrad, magistral, recentre sur l'humain au milieu de tout ce négatif en nous livrant un morceau de bravoure positif (cinq hommes affrontent le péril pour aller désincarcérer Wait de sa cabine). La mise en exergue de la mâle vigueur coordonnée, de l'héroïsme ordinaire, du sens même de ce que forme un bord, de la responsabilité, autant de thèmes qui hantent les ouvrages de Conrad.

Dans "Le nègre...", dans ce chapitre en particulier, ces messages sont introduits de façon non démonstrative, ramassée, sans en faire des tonnes, de manière vraiment talentueuse je trouve.    

Avec la fin de la tempête et l'arrêt du "marche ou crève", Jimmy Wait reprend une position centrale, le haineux Donkin aussi, qui monte la tête des uns et des autres, versant sa rage de brebis galeuse. C'est alors que le Narcisse traverse une longue accalmie. D'idiosyncrasies en formules emporte-pièce et rhétorique de caniveau, Donkin parvient à ses fins, retourner l'équipage contre la hiérarchie du navire. Une scène d'une grande violence verbale met aux prises Donkin et Wait. Puis le prosélyte cuisinier Podmore objurgue Jimmy Wait de tous les feux de l'enfer, au point que le commandant doit recadrer Podmore.  

A l'occasion d'une matinée radieuse, le même commandant, fin psychologue sous son abord très sec, règlera aussi le cas Donkin.  

Reste l'épilogue, plutôt allegro ma non troppo, qu'on ne dévoile pas.

Mais tout ceci serait peu de choses, s'il n'y avait cette poétique par séquence sublime, vraiment, et l'étrange alliage, qui fonctionne, de celle-ci avec cette justesse, cette profusion de termes de marine et de souci d'exactitude dans le réalisme de navigation.

L'un des messages que fait passer l'auteur est cette chaleur fraternelle de l'équipage, qui, s'il est conduit par des supérieurs hiérarchiques à la hauteur, arrive presque à transcender en noblesse, en ce que l'homme peut effectuer de meilleur, ce travail dur, sous-considéré, sous-payé, de marin à la façon de la marine marchande à voile au XIXème.

Quelques pages de Loti, de Melville, ou encore de Stevenson vont sans doute dans un sens similaire, et, vous l'aurez compris, l'intérêt principal -l'attrait- du livre n'est pas non plus dans cette petite démonstration-là.  

______________________________________________________________________________________________________________________________


Les personnages:

On note qu'ils sont exclusivement masculins. Toutefois, à bien regarder, Wait cristallise un côté féminin je crois, et, d'une certaine façon, la mer elle-même, voire le Narcisse, constituent un nécessaire pendant féminin à ce monde viril.

Chapitre III a écrit:Il buvait ce qui restait gravement, d'une longue goulée; tandis que les lourds embruns crépitaient sur son ciré et que les cinglants paquets de mer déferlaient sur ses hautes bottes. Il gardait les yeux rivés sur le navire, comme un amant observe le généreux labeur d'une frêle femme à la vie de laquelle est suspendue, comme par un fil ténu, la plénitude de la joie et la signification de ce monde. Nous observions tous le navire. Il était magnifique et avait une faiblesse.

L'équipage est une masse-magma, un chœur de tragédie antique, servant le navire comme la narration. Parfois un membre s'avance, tel un bref soliste, jusqu'au premier rang.
Outre Donkin le faux, Podmore et Belfast déjà cités, évoquons Singleton le vétéran, marin instinctif et inébranlable, à la bravoure hors pair, patriarcal et visionnaire à force d'expérience, Wamibo le colosse étranger, les scandinaves doux et en un "ailleurs", Baker, l'officier en second, qui ne prend jamais de galon mais mène bateau et hommes à merveille, participant à cet encadrement efficace, composé de trois hommes semblant disparates.

Et Wait.
Wait, le malentendu, le quiproquo dès son arrivée à bord.
Wait le personnage-pivot, ce qui justifie sa présence en titre.

___________________________________________________________________________________________________________________________________

Un chef-d'œuvre ?
Le "Nègre..." ?
On se situe dans le courant littéraire dit réaliste, à ce qu'il à proposer de meilleur.
Il vient pourtant d'un écrivain qui était, à sa parution, encore un débutant à peine confirmé, loin de son firmament.

Résumons: Un roman XIXème, réaliste donc daté, donnant dans la littérature de genre (littérature de mer), peu voire pas d'intrigue ni de suspense, mâtinant la narration de traits qualifiables sans excès de poésie en prose (brillante), mais, dites-moi, cela a tout pour être rébarbatif, enfin, à tout le moins vieillot, dépassé !

Et bien non.

Je ne m'explique pas tout:
Pourquoi est-ce que "ça prend", comment ça fonctionne encore aussi magistralement, pourquoi est-ce un ouvrage qu'on ressent aussi fort aujourd'hui, pourquoi je le recommande et le glisse entre des mains amies dès que possible, etc...

Le même sujet, avec les mêmes ingrédients, traité par une plume de moindre envergure aurait confiné à l'oubliable reportage pour terriens ou urbains de l'époque.

Expliquer pourquoi c'est un ouvrage aussi majeur ? J'en suis bien incapable, et ce n'est pas faute de l'avoir décortiqué patiemment (je n'ai pas compté mes relectures, je sais que je n'en suis pas à la dernière).

Mais, trêve de bavardages, partageons plutôt une petite dégustation de cette prose si chargée en poésie -paradoxalement- réaliste... (pour la qualité du réalisme chez Conrad, on note que Conrad écrit ce qu'il a lui-même éprouvé -ça aide-, mais cela ne saurait expliquer complètement pourquoi il nous semble si brillant...pour une évidence, soulignons que le vécu, en réalisme, est un matériau de choix, mais distinct du talent d'assemblage littéraire, qui reste la part de l'art en écriture).

chapitre III a écrit: À minuit, ordre fut donné de serrer le petit hunier et le perroquet de fougue. Au prix d'immenses efforts, les hommes, impitoyablement battus par le vent, se hissèrent dans la mâture, sauvèrent la toile et redescendirent quasiment épuisés pour endurer en un silence pantelant le cruel martèlement des énormes lames.

Pour la première fois peut-être dans l'histoire de la marine marchande, le quart, invité à laisser son poste, ne quitta pas le pont comme s'il était contraint d'y demeurer sous la fascination d'une violence venimeuse.

À chaque forte rafale les hommes, blottis les uns contre les autres, se murmuraient: "Ça peut pas souffler plus fort" - et, après, la bourrasque leur infligeait un démenti avec un hurlement perçant et leur coupait le souffle au fond de la gorge.

Un grain furieux parut fendre l'épaisse masse de vapeurs fuligineuses; et, par-delà la débâcle des nuages lacérés, on put entr'apercevoir la lune à son apogée qui revenait traversant le ciel à une vitesse effrayante droit dans l'œil de la tempête.

Beaucoup opinaient du chef, murmurant que "ça les retournait" de regarder ça. Bientôt les nuages se refermèrent et l'univers redevint ténèbres aveugles et folles qui en hurlant lapidaient le vaisseau solitaire de grésil et d'embruns salés.      


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Message par Aventin Sam 1 Juil - 22:19

Nostromo
Titre original: Nostromo – A Tale of the Seaboard.
Roman, 1904, 520 pages environ + 7 pages liminaires de note de l'auteur.

Joseph Conrad  Conrad10
Un exemplaire de l'édition originale.




Il s'agit d'une relecture, et ça ne sera pas la dernière.

_____________________________________________________________________________________________________________________________________

Le contexte et le thème:

Comme pour Lord Jim par exemple, Conrad entreprend une nouvelle, mais au final...signe un pavé, celui-ci passant les 500 pages.

Encore un prodige de travail de Conrad, façon Flaubert: songez qu'il s'est immergé dans l'écriture de cet opus, quasi cloîtré deux années durant, s'est documenté, a assemblé sans relâche, a puisé dans son fonds de souvenirs personnels de marin. Le tout dans la difficulté: sa santé n'était alors guère brillante, il laissa gros dans la faillite de la banque où étaient entreposés ses fonds, et son épouse fut contrainte à une immobilité démesurément prolongée en raison d'une grave blessure aux deux genoux.

Il s'agit d'une vaste fresque, contemporaine à la date d'écriture, se situant sur une côte ouest, une ville portuaire isolée (Sulaco) dans un pays fictif d'Amérique Centrale ou du sud (le Costaguana). On est, sans surprise, dans la veine du roman réaliste. Les idiomes s'y chevauchent, on y croise de l'espagnol, de l'anglais, voire de l'allemand, du français. Des tournures empruntent à l'hispanisme et au gallicisme, nous assurent les deux traducteurs (Odette Lamolle et Patrick Le Moal) dont j'ai pu lire les versions du livre (elles ne diffèrent en rien de sensible, du reste).

Sur fonds de développement économique, et de troubles révolutionnaires, un capataz de cargadores, tenant du docker en chef, de l'homme de confiance à tout faire et de l'attaché-subrécargue à la fois, est chargé d'un périlleux convoi de lingots d'argent par mer (et frêle esquif) hors de la ville prise d'assaut.

Le personnage principal:
Il est en fait assez peu dévoilé au début, en revanche le final lui est dédié.
Ce capataz de cargadores, chargé de délicate mission, a pour sobriquet "Nostromo", autrement dit notre homme:
Chapitre V, Ière partie a écrit:Ce chef de camp était le marin italien que tous les européens de Sulaco, adoptant la mauvaise prononciation du capitaine Mitchell, avaient pris pour habitude d'appeler Nostromo.
Son vrai nom est Gian Battista Fidanza (Fidanza suggère quelque chose comme confiance en italien).

Le roman sollicite beaucoup le lecteur dans la première partie, une avalanche de descriptions, de faits, l'introduction de nombreux personnages, les retours chronologiques, nous sommes conviés à un banquet lors duquel il nous faut tout ingérer, et je comprends que certains lecteurs puissent jeter l'éponge: Conrad est exigeant, en l'occurrence. La relecture aide en revanche.

La morale, ou l'enseignement substantifique de Conrad ici ?  
Ce sceptique, mais vertueux, droit jusqu'à la rectitude, écrit que l'argent tue - la chance en langue française étant que le même terme est utilisé pour le métal (l'argent de la mine) que pour l'argent, la monnaie. S'étrenne la litanie des touchés-coulés: Le père de Gould, les indigènes de la mine première version, les morts par appâts, Decoud et la poétique (oui, oui...) façon dont il coule, les ambitieux militaires et autres potentats à graines de dictateurs, le couple Gould lui-même, engoncé dans une stérilité altière, et bien sûr Nostromo.

La fresque, comme je l'appelais plus haut -cette Amérique du sud ou centrale (mettons latine) - est brossée avec vigueur, fouillée dans les détails, Conrad a voulu faire honneur au réalisme en art du roman et y réussit. La facture est superbe et je n'ai pas fini de l'apprécier.

Allez, j'arrête là sinon ce sera un commentaire-fleuve qui entraînerait beaucoup trop loin sans pour autant, peut-être, donner à quiconque envie d'ouvrir (ou d'ouvrir à nouveau) ces pages.

Juste un petit extrait, afin de laisser entrevoir l'étendue potentielle des qualités plastiques et la façon exquise dont elles servent le narratif, avec ce rythme, ce sens de l'amené, très caractéristique de la patte Conrad, point sur lequel je ne transige pas sur l'appellation de "Maître" à son égard - et qui font que, malgré toutes ses incommodités, Nostromo est à classer dans ce que le romancier Conrad a pu signer de meilleur:

Chapitre V, IIIème partie a écrit:

La populace dans l'attente s'était emparée pendant la nuit de tous les clochers de la ville pour saluer l'arrivée de Pedrito Montero, qui faisait son entrée après avoir passé la nuit à Rincón.
Venait en tête, et en désordre, par la porte de l'intérieur, la bande armée de vagabonds de toutes les couleurs, de tous les teints, de tous les types et de tous les degrés de dépenaillement qui se faisait appeler Garde nationale de Sulaco et que commandait le señor Gamacho.
Semblable à un torrent de détritus, s'écoulait au milieu de la rue une masse de chapeaux de paille, de ponchos, de canons de fusil, au milieu desquels, dans un nuage de poussière, battait au rythme furieux des tambours un énorme drapeau jaune et vert.
Les spectateurs se plaquaient contre les murs des maisons pour crier leurs "Viva !". Derrière la canaille on voyait les lances de la cavalerie, "l'armée" de Pedro Montero. Il marchait lui-même entre les señores Fuentes et Gamacho, à la tête de ses llaneros, qui avaient réussi l'exploit de traverser au milieu d'une tempête de neige les paramos de l'Higuerota.
Ils allaient par rangs de quatre, montés sur des chevaux confisqués sur le Campo, ayant puisé leurs vêtements dans le stock hétérogène des boutiques du bord de la route, qu'ils avaient pillées en toute hâte pendant leur course rapide à travers le nord de la province; car Pedro Montero avait été très pressé d'occuper Sulaco.
Les foulards négligemment noués autour de leurs cous étaient flambant neufs, et ils avaient tous coupé au niveau de l'épaule la manche droite de leur chemise afin de ne pas être gênés pour lancer le lasso. Des vieillards émaciés avançaient aux côtés de jeunes hommes maigres et bruns, marqués par toutes les rigueurs d'une campagne, portant des lambeaux de bœuf cru enroulés autour de leur chapeau et d'énormes éperons de fer fixés à leurs talons nus.    


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