Sergueï Lebedev
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Sergueï Lebedev
Sergueï Lebedev
(né en 1981)
(né en 1981)
Sergueï Lebedev, né en 1981, vit à Moscou où il travaille comme journaliste. Il a participé à plusieurs expéditions géologiques vers le nord de la Russie, au cours desquelles il a découvert des vestiges de camps du Goulag. Cette rencontre avec les traces de la terreur stalinienne a nourri sa création littéraire.
Bibliographie
2014 La limite de l'oubli
2016 L'année de la comète
Les livres de Lebedev sont traduits en français par Luba Jurgenson, elle-même écrivaine.
source éditeur : Verdier
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Sergueï Lebedev
L'année de la comète
Ce livre n'est pas totalement de la littérature, n'est pas seulement une narration, il est bien plus que cela, à la fois étude historique et sociologique, mais aussi recherche intellectuelle des plus motivantes, il raconte l'histoire d'un petit garçon russe, moscovite, âgé de dix ans dans les années 1980, élevé par deux grands-mères veuves (la guerre est passée par là) et par des parents scientifiques. Il est donc un pur produit soviétique. Il est à la fois privé d'individualité et en quête d'un destin, persuadé que derrière les choses se cachent une vérité tue, une Pravda secrète, l'enfant observe ce et ceux qui l'entourent avec les yeux acérés du guetteur. Assuré d'être l'Elu, puisque seul descendant rescapé des temps barbares, il est aussi privé du droit à la propriété et cherche à saisir ce qu'on lui cache et en particulier à découvrir ce qu'il y a derrière le silence qui entoure ses grands-pères.
C'est à l'aide d'une langue remarquable, d'un questionnement intellectuel rare que Lebedev nous permet de découvrir les pensées intimes, les rêves, les angoisses de son narrateur. Ce petit bonhomme qui sent des choses, devine des déchirures, cherche à comprendre les silences des adultes et qui par là-même se découvre unique, indivisible au sein du collectif et riche, riche d'une histoire personnelle qui tend à raconter celle plus globale de l'Union Soviétique et de son apocalypse. Car c'est sur les ruines de la Grande Guerre patriotique que se construit le destin du garçon, c'est sur les ruines de l'Empire soviétique que le roman s'achève.
L'année de la comète n'est pas une œuvre virtuose, il n'est pas toujours passionnant, parfois la narration semble s'enliser ou plus ou moins tourner en rond, les journées d'un petit garçon ne sont pas toutes palpitantes ou troublées, certains évènements (entourant par exemple la recherche d'un certain Mister) peuvent paraître insolites, superfétatoires, il n'empêche, le livre est par sa liberté même d'un charme fou et d'une présence habitée. En cherchant à traduire les signes qui l'entoure, l'enfant puis l'adolescent raconte sa construction-destruction, suivant ainsi pas à pas celle du pays immense et désordonné dans son ordonnance que fut l'URSS.
Enrichissant.
mots-clés : #initiatique #regimeautoritaire
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Sergueï Lebedev
@shanidar : curieux de lire un extrait ... si ce n'est pas trop demandé
Intrigué...
Intrigué...
Re: Sergueï Lebedev
extrait :
L'URSS, qui réécrivait et remodelait sans cesse son passé mythique, n'était qu'une imbrication d'images et de mythes emboîtés telles des poupées gigognes. Certains formaient un ensemble cohérent, d'autres disparaissaient. A l'intérieur de cette construction, on pouvait toujours prendre pour la vérité les légendes de l'époque précédente qui accédaient au statut de "véritable passé" en vertu de leur ancienneté.
On pouvait descendre dans ce puits de mine, atteindre ses couches de plus en plus profondes sans savoir que la construction tout entière n'était qu'un simulacre. C'est pourquoi je ne savais où placer, où situer les espaces de silence : il s'agissait d'un domaine exclu de la cosmologie soviétique.
Venait alors la tentation de les étiqueter comme inexistants, de les prendre pour le fruit de son imagination, de se construire uniquement à partir de mythes historiques soviétiques érigés ainsi en réalités.
En choisissant son mythe, on gagnait un vaste champ où élaborer son identité, sa personnalité, son imaginaire. En reconnaissant la réalité des espaces de silence, on restait seul dans un lieu nu, invisible. Ce choix, tel un fil rouge, traversait la vie tout entière : me maintenir à la limite entre les deux, passer de l'un à l'autre, balancer, demeurer dans l'indécision c'était une épreuve pour les sentiments. Qui étais-je ? Un sycophante solitaire et impuissant ou un légitime héritier du passé, un Thésée soviétique qui trouverait ses sandales et son épée sous une pierre ?
La première variante exigeait de la patience et une capacité de vivre sans espérer, la seconde, du courage et une foi insensée. Je suivais le deux chemins en croyant que c'était le même, ne sachant distinguer les obstacles qui se présentaient sur l'un et sur l'autre.
L'URSS, qui réécrivait et remodelait sans cesse son passé mythique, n'était qu'une imbrication d'images et de mythes emboîtés telles des poupées gigognes. Certains formaient un ensemble cohérent, d'autres disparaissaient. A l'intérieur de cette construction, on pouvait toujours prendre pour la vérité les légendes de l'époque précédente qui accédaient au statut de "véritable passé" en vertu de leur ancienneté.
On pouvait descendre dans ce puits de mine, atteindre ses couches de plus en plus profondes sans savoir que la construction tout entière n'était qu'un simulacre. C'est pourquoi je ne savais où placer, où situer les espaces de silence : il s'agissait d'un domaine exclu de la cosmologie soviétique.
Venait alors la tentation de les étiqueter comme inexistants, de les prendre pour le fruit de son imagination, de se construire uniquement à partir de mythes historiques soviétiques érigés ainsi en réalités.
En choisissant son mythe, on gagnait un vaste champ où élaborer son identité, sa personnalité, son imaginaire. En reconnaissant la réalité des espaces de silence, on restait seul dans un lieu nu, invisible. Ce choix, tel un fil rouge, traversait la vie tout entière : me maintenir à la limite entre les deux, passer de l'un à l'autre, balancer, demeurer dans l'indécision c'était une épreuve pour les sentiments. Qui étais-je ? Un sycophante solitaire et impuissant ou un légitime héritier du passé, un Thésée soviétique qui trouverait ses sandales et son épée sous une pierre ?
La première variante exigeait de la patience et une capacité de vivre sans espérer, la seconde, du courage et une foi insensée. Je suivais le deux chemins en croyant que c'était le même, ne sachant distinguer les obstacles qui se présentaient sur l'un et sur l'autre.
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Sergueï Lebedev
Merci ... Intrigante cette construction hétéroclite et mouvante de son identité ... Et cette écriture est plutôt plaisante :-)shanidar a écrit:extrait :
L'URSS, qui réécrivait et remodelait sans cesse son passé mythique, n'était qu'une imbrication d'images et de mythes emboîtés telles des poupées gigognes. Certains formaient un ensemble cohérent, d'autres disparaissaient. A l'intérieur de cette construction, on pouvait toujours prendre pour la vérité les légendes de l'époque précédente qui accédaient au statut de "véritable passé" en vertu de leur ancienneté.
On pouvait descendre dans ce puits de mine, atteindre ses couches de plus en plus profondes sans savoir que la construction tout entière n'était qu'un simulacre. C'est pourquoi je ne savais où placer, où situer les espaces de silence : il s'agissait d'un domaine exclu de la cosmologie soviétique.
Venait alors la tentation de les étiqueter comme inexistants, de les prendre pour le fruit de son imagination, de se construire uniquement à partir de mythes historiques soviétiques érigés ainsi en réalités.
En choisissant son mythe, on gagnait un vaste champ où élaborer son identité, sa personnalité, son imaginaire. En reconnaissant la réalité des espaces de silence, on restait seul dans un lieu nu, invisible. Ce choix, tel un fil rouge, traversait la vie tout entière : me maintenir à la limite entre les deux, passer de l'un à l'autre, balancer, demeurer dans l'indécision c'était une épreuve pour les sentiments. Qui étais-je ? Un sycophante solitaire et impuissant ou un légitime héritier du passé, un Thésée soviétique qui trouverait ses sandales et son épée sous une pierre ?
La première variante exigeait de la patience et une capacité de vivre sans espérer, la seconde, du courage et une foi insensée. Je suivais le deux chemins en croyant que c'était le même, ne sachant distinguer les obstacles qui se présentaient sur l'un et sur l'autre.
Re: Sergueï Lebedev
Oui et j'ai beaucoup aimé la manière dont Lebedev décrit les relations de l'enfant avec ses étonnantes grands-mères, l'une étant ici du 'peuple' et l'autre d'une ancienne famille d'aristocrates déchue par les soviétiques ; l'enfant ne comprend pas d'emblée les nuances que ces deux origines lui lèguent et combien elles sont emblématiques de son pays et de ses mystères.
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Sergueï Lebedev
La limite de l’oubli
Histoire : le narrateur étant enfant , mordu par un chien , a été sauvé par un vieillard aveugle, voisin que la famille de l’enfant surnomme « l’Autre Grand-Père ». L’enfant se sent soumis par ce vieil homme, en fait personne ne l’aime. Devenu adulte et héritier de l’appartement de « l’Autre Grand-Père » le narrateur ressent la même contrainte et décide de partir sur les traces du vieil homme, dans son passé pour connaître la part de mystère.
C’est sombre, très sombre ; les phrases de l’auteur commencent souvent par la clarté, la beauté mais l’ ombre, le tragique, la laideur, les mauvaises odeurs, la crasse s’installent.
Etranges relations de l’enfant narrateur vis-à-vis du vieil homme qui malgré son handicap en imposait.
A l’âge d’adulte la découverte de « jouets » dans l’appartement légué, ainsi que les courriers reçus par « l’Autre Grand-Père » décident le narrateur à partir sur les traces de son passé pour découvrir ce qui participe de son rejet et de l’impression qu’il a toujours eue de la privation, de l’ emprise sur sa personne par ce vieillard.
C’est donc dans la toundra que le narrateur découvrira le passé de « l’Autre Grand-Père » mais aussi le passé de son pays, un passé tragique, que ceux qui vivent là-bas veulent oublier, mais dont les stigmates sont bien visibles encore.
C’est une histoire sur la mémoire, la perte d’identité puis l’oubli. La toundra porte en elle mémoire et oubli des hommes, de la vie, particulièrement celle des détenus des camps. Le narrateur connaîtra dans ces recherches cette période tragique de son pays lui qui est né bien après ; il recevra les paroles de ceux qui se souviennent encore, les témoins car les victimes sont disparues.
C’est très bien écrit ! de nombreuses digressions qui confortent les faits, des réflexions intéressantes sur l’enfance, mais je sors de cette lecture avec un sentiment de mal-être tant les images sont évocatrices.
Il me faudra donc lire un autre livre de cet auteur.
Extraits :
« Une gamelle fumante sur le feu, on prépare une soupe de poisson ; l’ombre est tendre, il ne faut pas le faire cuire trop longtemps. Cette chair toute fraîche, frottée de sel et de poivre, laissée longtemps sous un poids, a rendu son jus : un délice. Mais ensuite vous marchez le long de la rivière, le sentier saute d’une rive à l’autre et, pendant une de ces traversées, l’un d’entre vous trébuche sur un crâne humain coincé entre les pierres, recouvert de mousse verte gluante. »
« Je sentais que sa relation avec moi était dépourvue de vie, qu’il y avait là autre chose qui ne se laissait pas nommer ; cet « autre chose », je ne pus le comprendre qu’une vingtaine d’années plus tard. »
« C’est ainsi que mon existence rejoignit la sienne et je ne fus plus jamais moi-même : le sang de l’ Autre Grand-Père qui m’avait sauvé circulait dans mes veines. Mon corps d’enfant était irrigué par le sang de ce vieillard aveugle, maigrichon, ce qui me sépara définitivement des gamins de mon âge. Je grandis sous le signe du sacrifice inappréciable que l’ Autre Grand-Père avait consenti pour moi. Je grandis comme un greffon sur un vieil arbre. »
« Je compris la raison des relégations vers la taïga, vers la toundra : il s’agissait de rayer les hommes de l’existence commune, de les déporter hors de l’histoire. Leur mort n’advenait pas dans l’histoire, mais dans la géographie. »
mots-clés : #campsconcentration #enfance #regimeautoritaire
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21622
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