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Patrick Leigh Fermor

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spiritualite - Patrick Leigh Fermor Empty Patrick Leigh Fermor

Message par Tristram Mar 16 Avr - 12:03

Patrick Leigh Fermor
(1915 – 2011)

spiritualite - Patrick Leigh Fermor Fermor10

Patrick Michael « Paddy » Leigh Fermor, né le 11 février 1915 à Londres et mort le 10 juin 2011 à Dumbleton, Gloucestershire est un écrivain voyageur et ancien officier du SOE en Grèce durant la Seconde Guerre mondiale.
Fils d’un géologue distingué installé en Inde, Sir Lewis Leigh Fermor (1880-1954), Patrick échoue à l’examen d’entrée au collège militaire royal de Sandhurst, après avoir été mis à la porte de nombreux établissements scolaires, dont la King's School de Canterbury. Il entame alors, en décembre 1933, un voyage à pied à travers l’Europe, jusqu’à Istanbul. Il atteint en quelques mois la cité turque puis parcourt l’archipel grec, fêtant son vingt-et-unième anniversaire au mont Athos.
Après avoir suivi une formation dans un peloton d’élève-officier (Officer Cadet Training Unit, 168th OCTU), il est nommé sous-lieutenant sans spécialité (General List) le 17 août 1940. Sa connaissance de l’Europe et ses dons pour les langues étrangères en font une recrue de choix pour le Special Operations Executive. Il participe à la retraite des Britanniques des Balkans et de Grèce en avril 1941.
En 1942, il est parachuté en Crète occupée et organise pendant deux ans et demi la résistance armée aux troupes allemandes qui occupent l'île. Le 14 octobre 1943, lieutenant (capitaine à titre temporaire), il est nommé officier de l'Ordre de l'Empire britannique.
L'enlèvement du général allemand Karl Kreipe (1895-1976), le 26 avril 1944, vaut au capitaine (commandant à titre temporaire) Leigh Fermor le Distinguished Service Order le 13 juillet 19446. Le commando réussit à traverser toute la Crète avec son otage, poursuivi par les troupes allemandes, et à l'embarquer à destination d'Alexandrie. L'enlèvement eut des répercussions sur la population locale. Le général Müller ordonna l'exécution de tout homme présent dans le village d'Anógia à la suite de plusieurs opérations de résistance, dont l'enlèvement du général Kreipe. Cette opération inspire en 1957 le film Intelligence Service (Ill met by moonlight) aux réalisateurs britanniques Michael Powell et Emeric Pressburger. Dirk Bogarde joue le rôle du commandant « Paddy » Leigh Fermor et David Oxley celui du capitaine William « Billy » Stanley Moss.
Leigh Fermor devient scénariste à Hollywood après la guerre. On lui doit le scénario du film de John Huston Les Racines du ciel (1958), tiré du roman de Romain Gary.
Patrick Leigh Fermor vivait la plus grande partie de l'année en Grèce, à Kardamýli. Ami de Bruce Chatwin dont les cendres ont été enterrées près de l'église de Kardamýli, il est comme lui un célèbre écrivain-voyageur dont les livres sont considérés outre-Manche comme des chefs-d’œuvre du genre. À ce titre, il fut l'invité du festival Étonnants voyageurs qui s'est tenu à Saint-Malo, en Bretagne, en mai 1991.
À l’occasion de son anoblissement en 2004, pour services rendus à la littérature et aux relations entre le Royaume-Uni et la Grèce, on pouvait lire : « Sir Patrick Leigh Fermor est un croisement entre Indiana Jones, James Bond et Graham Greene. »

Œuvres
• The Traveller's Tree, 1950
• The Violins of Saint-Jacques, 1953
• A Time to Keep Silence, 1957. Un temps pour se taire, traduit en français par Guillaume Villeneuve, Éditions Nevicata, Bruxelles 2015
• Mani - Travels in the Southern Peloponnese, 1958, traduit en français sous le titre Mani, voyages dans le sud du Péloponnèse, Payot, 1999
• Roumeli, 1966, Ed. John Murray
• A Time of Gifts (en), 1977. Traduction G. Villeneuve : Le Temps des Offrandes, Payot, 1991 Épuisé
• Between the Woods and the Water, 1986, traduit en français par Guillaume Villeneuve : Entre fleuve et forêt, Payot, 1992 Épuisé
• Three Letters from the Andes, 1991, Courrier des Andes, traduit par Gérard Piloquet Phébus, 1992
• Words of Mercury (2003), Artemis Cooper, 2003
• Traduction et préface de The Cretan Runner: His Story of the German Occupation de George Psychoundakis, Penguin Books (2e édition, 1998) consacré aux missions de Leigh Fermor en Crète
• Préface de Albanian Assignment du colonel David Smiley, Londres, 1984, consacré aux missions du SOE en Grèce et en Albanie
• The Broken Road, edited by Colin Thubron and Artemis Cooper, Londres 2013
• Dans la nuit et le vent (Le Temps des offrandes, Entre fleuve et forêt et La Route interrompue), Préface et traduction française entièrement revue et complétée de Guillaume Villeneuve, éditions Nevicata, Bruxelles 2014
• Abducting a General, John Murray, Londres 2014. Enlever un général, avant-propos de Roderick Bailey, traduit en français par Guillaume Villeneuve, éditions Nevicata, Bruxelles 2015

(Wikipédia)

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Message par Tristram Mar 16 Avr - 12:10

Un temps pour se taire

spiritualite - Patrick Leigh Fermor Un_tem10

Témoignage des expériences monacales de l’auteur, d’abord à l’abbaye bénédictine de Saint-Wandrille, plus brièvement Solesmes et la Grande Trappe cistercienne, et enfin les monastères rupestres de Cappadoce.
Leigh Fermor offre des rappels historiques, analyse la vie monastique contemplative, sans oublier le rôle de « gardiens de la littérature, des classiques, de l’érudition et des humanités », et le plain-chant grégorien. Il retrace aussi la psychologie à l’œuvre tant dans son expérience personnelle que chez les moines, et évoque Huysmans.
« Le chant alterné, issu des stalles, continuait d’ériger son invisible architecture musicale : un échafaudage qui projetait des colonnes de plain-chant, complétées par une antienne du chœur qui les coiffait comme un toit. »

« On tend en effet à voir la vie monastique comme un phénomène ayant toujours existé, puis à l’écarter de l’esprit sans l’analyser ni le commenter davantage ; c’est seulement en vivant quelque temps dans un monastère qu’on peut commencer à saisir les différences vertigineuses qui le séparent de nos vies ordinaires. Les deux modes de vie ne partagent pas un seul attribut ; non seulement les pensées, les ambitions, les bruits, la lumière, le temps et l’humeur entourant les occupants du cloître sont-ils tout à fait différents de ceux que nous connaissons, mais d’une manière étrange, ils semblent en être l’exact contraire. La période de récession des critères normaux et celle où le nouvel univers devient réalité est longue et d’abord intensément douloureuse. »

« Si mes premiers jours à l’abbaye avaient été une période de dépression, le processus de désaccoutumance, après mon départ, fut dix fois pire. L’abbaye avait d’abord été un cimetière ; le monde extérieur sembla ensuite, par contraste, un enfer de bruit et de vulgarité entièrement peuplé de goujats, de catins et de forbans. »

« Mais la défection, après la fin du long noviciat et la prise des vœux définitifs, est très exceptionnelle. Les monastères français sont un désert pour la chronique scandaleuse hebdomadaire qu’alimentent si libéralement les membres des clergés non soumis au célibat des divers autres pays. »

\Mots-clés : #historique #musique #religion #spiritualité #temoignage #traditions

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Message par Bédoulène Mar 16 Avr - 16:23

es-tu sorti facilement du livre, toi ? ou reste-t-il un peu de ta personnalité dans l'abbaye ?


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Message par Tristram Mar 16 Avr - 16:31

C'est vrai que j'ai été tenté, depuis très jeune, par une retraite en abbaye (mais pas par foi). Je vis également assez reclus (avec un chien et beaucoup de livres), et je pense que cette expérience doit être fort intéressante, de se débarrasser d'un tas de préoccupations finalement futiles, pas essentielles, de prendre le temps de méditer...

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Message par Bédoulène Mar 16 Avr - 16:45

les abbayes sont apaisantes en effet, mais je pense juste pour un certain temps !

j'aime assez me poser sur une hauteur et regarder l'horizon à perte de vue cette impression d'être seule au monde !

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Message par Tristram Mar 16 Avr - 17:05

Le monastère, c'est un peu la démarche inverse : on s'enterre...

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Message par Bédoulène Mar 16 Avr - 17:37

oui bien sur !

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Message par Tristram Sam 4 Mai - 13:20

Dans la nuit et le vent - À pied de Londres à Constantinople (1933 1935)
Volume 1 : Le Temps des offrandes - De la Corne de Hollande au moyen Danube

spiritualite - Patrick Leigh Fermor Dans_l10

En décembre 1933, Paddy, 18 ans, arrive par mer de Londres à Rotterdam, et commence son voyage à pied en solitaire vers Constantinople.
« À l’exception de cette église, la belle ville devait être totalement bombardée quelques années plus tard. Je m’y serais attardé si j’avais su. »

« L’adéquation de la peinture et de la réalité était si totale que, tout au long de ma route, d’innombrables après-midi passés à flâner dans les musées ressuscitaient. »
Après les lumineux Pays-Bas, c’est l’Allemagne nazie. Reçu comme un goliard, étudiant vagabond, c'est-à-dire avec hospitalité, il sympathise tant en levant le coude dans les tavernes qu’en usant de sa culture gréco-latine (il est doué pour les langues et sa mémoire paraît excellente). L’érudition tant littéraire et picturale qu’historique et géographique de Fermor est d’ailleurs un des charmes de son compte-rendu rédigé plus de quarante ans plus tard. Il y a aussi une valeur testimoniale dans ce récit, comme à propos des Stocknagel dont il orne son bâton de marche, ou des « scarifications tribales » des duels estudiantins.
« Une douzaine de visages étonnés me dévisagèrent, leurs cuillères suspendues ; leurs traits éclairés par une lanterne posée sur la table étaient aussi burinés et veinés que le bois lui-même. Leurs sabots se cachaient dans l’obscurité et la pénombre engloutissait le reste de la pièce à l’exception d’un crucifix sur le mur. Mon irruption extraordinaire brisait momentanément l’harmonie de la scène : un étranger ! Une hospitalité timide et éberluée se substitua aux premières réactions de frayeur et l’on m’eut vite installé sur le banc et procuré une cuillère. »
Le récit vaut beaucoup pour les détails rapidement notés ou croqués ; le Wanderer écrit et dessine (mais son journal, qui devait préparer un livre, lui sera dérobé avec tout son bagage par un autre errant, pendant son impressionnante immersion dans la Hofbräuhaus de Munich).
« Je pris des cigarettes dans un Dante en vélin du XVIIe siècle dont les pages étaient collées et évidées : c’était le seul livre à l’horizon. »

« Me souvenant du conseil que le maire de Bruchsal m’avait donné, je m’étais enquis du Bürgermeister dès mon arrivée dans ce petit village. Je l’avais trouvé dans le Gemeindeamt où il m’avait rempli un petit formulaire. Je le présentai à l’auberge : il me donnait droit à un dîner, une chope de bière, un lit pour la nuit, du pain et un bol de café au matin ; tout cela aux frais de la paroisse. Cela me paraît incroyable aujourd’hui mais c’est bien ainsi que les choses se passaient, sans qu’il y eût d’ailleurs la moindre honte à profiter de ces avantages ; on avait toujours droit à un accueil amical. Je ne sais plus très bien combien de fois je me servis de cette coutume généreuse et apparemment fort ancienne. Elle avait cours dans l’Allemagne et l’Autriche tout entières, survivance, peut-être, de quelque antique aumône faite aux vagants et aux pèlerins désormais étendue à tous les voyageurs pauvres. »
Montée du nazisme en Allemagne, nostalgie de l'empire en Autriche, Fermor garde son enthousiasme.
Des recommandations lui réservent parfois de luxueuses étapes.
« Après avoir salué mes hôtes, je regagnais ma chambre chargé de livres, parcourais un couloir ponctué de trophées puis un escalier de pierre en colimaçon ; difficile de croire que j’avais passé la nuit précédente dans une étable. Ce régime a du bon qui fait passer directement de la paille au lit à baldaquin et inversement. Bien au chaud dans mes draps de lin, bercé par l’odeur des bûches, de la cire et de la lavande, je restais pourtant éveillé pendant des heures, à me repaître de toutes ces délices en les comparant avec ravissement aux charmes désormais familiers des étables, des granges et des remises. Cette béatitude m’habitait encore au réveil quand j’allais regarder par la fenêtre. »
L’école du Danube, le morbide réalisme allemand, Wolf Huber, Grünewald, Altdorfer font l’objet d’une analyse approfondie.
L’un des charmes de ce type de voyage, ce sont les rencontres, et le séjour à Vienne sera également riche de ce point de vue.
« (Le style architectural devient une obsession dans cette capitale. Je dois dire qu’elle triomphait dans le cercle qui m’avait accueilli. On s’y livrait au jeu des analogies ; ainsi quelqu’un avait-il proposé le coquillage du murex, avec ses circonvolutions, son asymétrie centrifuge, ses surfaces floconneuses et friables comme le résumé du Rococo. De même, les orbes symétriques et les arabesques équilibrées du baroque pouvaient être symbolisés par le violon. Une crosse épiscopale traduisait à merveille la spirale de fougère et l’exubérance végétale du style flamboyant ; quant au gothique, ce pouvait être une mitre – s’agissant d’une cathédrale, de tout un concile de mitres, empilées comme château de cartes et disparaissant, effilées, dans les ombres du triforium où vide et solide permutent et se pétrifient.) »
Puis Tchécoslovaquie, Prague.
« Les Slovaques qui buvaient là étaient coiffés de chapeaux coniques en peau de mouton, enfoncés sur leurs cheveux blond filasse, vêtus de blousons de peau dont la laine était retournée vers l’intérieur, de mocassins en cuir de vache naturel. Ils avaient les jambes prises dans un entrecroisement de lanières non tannées qui retenaient un capitonnage de feutre qui ne serait déroulé qu’au printemps. C’étaient des hommes de marais et de conifères, aux visages indéfinissables comme la toundra, aux yeux aussi bleus et vagues que des lacs encore inconnus, embrumés par l’alcool de prune. Mais ils auraient tout aussi bien pu avaler de l’hydromel mille ans plus tôt, avant de suivre les traces fourchues des aurochs à travers quelque tourbière gelée de Transcarpatie.
La liqueur distillée de pêches ou de prunes, la fumée du charbon de bois, le paprika, l’ail, les graines de pavot – ces signaux adressés à la narine et à la langue étaient bientôt associés à ceux qui concernaient l’ouïe, doucement d’abord puis avec plus d’insistance : le friselis de légers marteaux sur les cordes d’une cithare, des glissandos de violons virevoltants qui décrivaient un lacis de motifs inouïs, et, une fois, les notes liquides d’une harpe. C’étaient là les fourriers d’une nouvelle musique, exotique, enivrante, qui ne donnerait toute sa mesure que du côté hongrois du Danube. »
Fermor approche de la Hongrie, longeant le Danube (on pense obligatoirement au Danube de Magris).
« Ça doit être terrible de voir son pays coupé en morceaux comme cela et de se retrouver du mauvais côté de la frontière. Le traité de Trianon, apparemment, a été une erreur gigantesque car tous les gens du cru, quoique hongrois, se retrouvent obligatoirement citoyens tchèques aujourd’hui. Les enfants doivent apprendre le tchèque ; le pouvoir espère en faire de fervents patriotes dans deux générations. Or les Hongrois haïssent les Tchèques, de même que les Roumains, et pour les mêmes raisons – ils sont moins virulents à l’égard des Serbes, j’ignore pourquoi – et entendent bien récupérer tout leur territoire perdu. Voici pourquoi la Hongrie reste une monarchie gouvernée par un régent. Le jour de son couronnement avec l’antique couronne de saint Étienne, le roi, à cheval, doit prêter serment de conserver intactes les anciennes frontières de la Hongrie ; cela explique l’hostilité de tous leurs voisins à l’égard de la monarchie hongroise. »

« La pâleur des constellations déclinantes ne résultait pas entièrement des vapeurs qui flottent sur l’horizon. Une pâleur concurrente montait de l’autre côté du ciel et fort rapidement. Derrière le papillotement des collines s’élevait la bordure d’un croissant de lune rouge sang. Il grandit jusqu’à atteindre son diamètre complet puis s’amenuisa : peu après, une énorme lune écarlate gravissait le ciel, passant à l’orange puis au jaune avant de se vider de toute couleur pour monter dans l’effulgence aérienne et arrogante de l’argent. Au cours de ma dernière heure de marche, le crépuscule et la pénombre avaient masqué l’attitude des collines. À présent, je voyais à la lueur de la lune qu’elles avaient reculé une fois encore et permis au Danube de s’étendre à son aise. Nous étions une semaine après l’équinoxe de printemps, à quelques heures de la pleine lune et comme c’est l’un des rares méandres où le fleuve coule plein est, la ligne du reflet lunaire se posait au milieu de l’eau, là où elle court le plus vite, frémissante et scintillante comme du mercure. Les écueils, les bancs de sable, les îlots et les bras morts jusqu’ici invisibles étaient découverts. Des étendues de fougère s’étendaient sur les deux rives et scintillaient comme des fragments de miroir là où ronces, laîches ou arbrisseaux tapissaient la terre. Tout était changé. La lumière aux ombres minces jetait un charme métamorphique : roseaux et iris se transformaient en métal mince ; les feuilles de peupliers devenaient une manière de monnaie sans poids ; une légèreté de feuille d’aluminium avait envahi les bois. Ce rayonnement gelé trichait avec les niveaux et les distances et je fus bientôt cerné par un rêve sans contours, sans consistance, qui pâlissait de seconde en seconde. Tandis que la lumière cherchait de plus en plus de surfaces liquides où se mirer, le ciel, où la lune approchait de son zénith, semblait à présent une étendue de poudre d’argent au grain d’une finesse indescriptible. Le silence transcendait les notes des butors et l’industrie des grenouilles. Le calme et l’immensité s’associaient dans une impression de tension qui, j’en étais sûr, présageait des heures de veille émerveillée. Je me trompais : peu après, mes yeux succombaient sous la marée montante du sommeil. »

\Mots-clés : #autobiographie #historique #voyage #xxesiecle

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Message par Bédoulène Dim 5 Mai - 10:36

je le lirai certainement ! merci Tristram

(du temps, du temps........)

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