Isaac Babel
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Isaac Babel
Source Le Bruit du temps, éditeur des oeuvres complètes.Isaac Babel, sans doute le plus grand prosateur de la littérature russe de la première moitié du XXe siècle, demeure une figure énigmatique. Protégé de Gorki, ce jeune homme né à Odessa en 1894 dans une famille juive, et qui rêvait, ayant étudié le français, de devenir "ce Maupassant national dont nous avons tant besoin", a connu une gloire fulgurante au début des années 1920 avec Cavalerie rouge et ses truculents Récits d'Odessa. Longtemps tenu par le régime issu de la révolution comme "l'étoile montante" de la littérature soviétique, Babel mourra fusillé en janvier 1940, et ses oeuvres non encore publiées disparaîtront dans les caves du NKVD. Sophie Benech, traductrice depuis une vingtaine d'années, entre autres pour les éditions Gallimard, Verdier, José Corti, a reçu en 2010 le prix de traduction Russophonie pour Le Conte de la lune non éteinte de Boris Pilniak (éditions Interférences, 2008) et, en 2012, le prix Laure-Bataillon classique pour les Oeuvres complètes d'Isaac Babel.
Bibliographie française
Histoires de mon pigeonnier (publication posthume, écrits de jeunesse)
Chroniques de l’an 18 (Journal pétersbourgeois)
Journal de 1920,
Contes (Récits) d’Odessa (1921-1932)
Correspondance 1925-1939
Cavalerie Rouge (1926 ; deuxième édition augmentée en 1933)
Le crépuscule (traduit aussi sous le titre Entre chien et loup) (1926-1927) (théâtre)
Marie (1935) (théâtre)
Mes premiers honoraires (récits)
Le moulin chinois (scénario)
Bénia Kirk (scénario)
Les étoiles vagabondes (scénario)
bix_229- Messages : 15439
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Re: Isaac Babel
Ces récits sont fragmentés et on comprendra peut-être mieux pourquoi si l'on dit que Babel, alors enthousiasmé par la révolution russe devint correspondant de guerre.
Pas nimporte où, mais dans la fameuse cavalerie rouge de Boudieny qui faisait campagne contre la Pologne à la poursuite des armées "blanches" de Denikine.
Une guerre atroce qui marquera Babel à jamais. Babel est un écrivain en mouvement, mais si son oeil est celui d'un reporter, tel John Reed, il est aussi celui d'un écrivain et d'un peintre, et là, on pense un peu à Chagall.
On comprend que Boudieny n'ait pas apprécié ces récits-là...
Les jours de Babel étaient comptés. Il fut probabement éxécuté et quand on lit ce livre merveilleux, on ne peut s'empêcher de penser à toute cette génération d'écrivains magnifiques et sacrifiés...
Et on a mal.
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mots-clés : #guerre #journal #nouvelle
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Isaac Babel
Bix a écrit:Cavalerie Rouge (1926 ; deuxième édition augmentée en 1933)
Je peux accéder à la version 1926 sur liseuse ; les commentaires de lecteurs sont confus : quelle version lire (as-tu lue) ?
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15964
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Re: Isaac Babel
Celle Jacques Catteau. - L' Age d' homme.Tristram a écrit:Bix a écrit:Cavalerie Rouge (1926 ; deuxième édition augmentée en 1933)
Je peux accéder à la version 1926 sur liseuse ; les commentaires de lecteurs sont confus : quelle version lire (as-tu lue) ?
De toute façon, toute traduction de ce livre peut etre considéré comme une prouesse.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
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Re: Isaac Babel
Mais les Polonais tiraient, mon brave monsieur, parce qu'ils étaient la contre-révolution, et vous tirez parce que vous êtes la révolution. Pourtant, la révolution c'est le bonheur. Et le bonheur n'aime pas qu'il y ait des orphelins au logis. L'homme bon accomplit de bonnes oeuvres. La révolution est la bonne oeuvre de bonnes gens. Mais les bonnes gens ne tuent pas. Donc la révolution est faite par de méchantes gens. Mais les Polonais sont aussi de méchantes gens. Que décidera Ghédali : où est la révolution et où est la contre-révolution? J'ai étudié autrefois le Talmud (...) Il y a d'autres personnes qui comprennent les choses, à Jitomir. Et voici que nous tous, savantes gens, nous tombons sur la face et crions à voix haute : malheur à nous ! Où est donc la douce et bonne révolution?...
Cavalerie rouge
Cavalerie rouge
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
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Re: Isaac Babel
un livre prévu aussi ! merci Bix !
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21745
Date d'inscription : 02/12/2016
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Re: Isaac Babel
Compte tenu de la valeur de Babel et de Cavalerie rouge en particulier, un peu étonné qu'il n'ait pas plus de lecteurs.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
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Re: Isaac Babel
Mis sur la (enfin, une des) PAL !
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Tristram- Messages : 15964
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Isaac Babel
C' est vraiment un livre extraordinaire, hors norme, mais on n' en sort pas indemne.
Les flamboyances du style ne font que mieux ressentir les horreurs de la guerre.
On perçoit chez Babel un équilibre très précaire entre ce qu' il voit et ce qu' il décrit.
Il y a du Goya chez Babel.
Un Goya qui serait monstrueusement gai, allègrement terrifiant...
A signaler que l'éditeur "Le Bruit du temps" a retraduit le livre et je le relirai sans
doute dans cette traduction.
Les flamboyances du style ne font que mieux ressentir les horreurs de la guerre.
On perçoit chez Babel un équilibre très précaire entre ce qu' il voit et ce qu' il décrit.
Il y a du Goya chez Babel.
Un Goya qui serait monstrueusement gai, allègrement terrifiant...
A signaler que l'éditeur "Le Bruit du temps" a retraduit le livre et je le relirai sans
doute dans cette traduction.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Isaac Babel
avec "Points" c'est la traduction de 1926 avant la censure
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Bédoulène- Messages : 21745
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Isaac Babel
Il y a peut-être plus de lecteurs, mais on ne peut pas écrire toujours… :
Originale: Конармия (Première édition en livre 1926, premières publications dans des journaux vers 1923. Plus tard, version livresque « corrigée » (=censurée!) en 1931 et 1933.
En 1920, sommet de la guerre civile Russe, Babel fût envoyé entre Mai et Novembre 1920 comme sorte de reporter de guerre dans la 1ère armée de cavalerie du Général Budyoni. Il suivi ainsi un conseil de Maxime Gorki, se mettant volontiers à disposition à l’Armée Rouge. C’est du front qu’il envoya ces articles qui constituaient plus tard « La avalerie rouge ». Dans la première édition il s’agissait de 35 articles, nouvelles, miniatures. Ils sont ainsi qu’ils ne ressemblent pas à des récits distanciés, mais écrit dans la perspective d’un narrateur en Volhynie et Galicie. Ces articles sont pas toujours dans une suite chronologique ou logique. Sophie Benech parlait même de certaines illogicités, voir retouchements. Premier but ne serait pas, selon elle, une description absolument objectives et historique, mais l’évidence du chaos, provoqué par la guerre.
Babel n’hésite pas à décrire les horreurs des événements, voir des faits, plus tard niés, et contraires aux idéaux de la révolution. Ceci par des massacres, des vols, des pogromes, et une large trace de sang derrière l’armée. Il décrit en miniatures des destins particuliers, décrit aussi son propre combat et contradiction : Il « voudrait » tellement être capable de tuer, difficulté et dilemme de l’intellectuel.
On remarquera la violence de certaines descriptions des agressions. Mais aussi on trouvera certaines descriptions de nature, d’humour, de camaraderie, la proximité des cosaques à leurs chevaux etc. qui sont splendides et belles. Fascinosum et abhorration sont en parallèle… Les miniatures ne se ressemblent pas, toujours nouveaux les variations, la structure. Quelle richesse de narration ! Même dans des traductions toujours apauvrissantes transparaissent cette langue riche. A certains images on trébuche : Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Comment Babel lie deux images, motifs ? Et voici que des articles de la guerre atteignent un niveau demaîtrise et de renommée classique !
C’est certainement grâce à l’honnêteté de Babel qu’il aura lui-même un destin comme victime sous la repression staliniennne.
Une œuvre plus qu’impressionnante qu’on devrait peut-être goûter en petits morceaux ?!
Originale: Конармия (Première édition en livre 1926, premières publications dans des journaux vers 1923. Plus tard, version livresque « corrigée » (=censurée!) en 1931 et 1933.
En 1920, sommet de la guerre civile Russe, Babel fût envoyé entre Mai et Novembre 1920 comme sorte de reporter de guerre dans la 1ère armée de cavalerie du Général Budyoni. Il suivi ainsi un conseil de Maxime Gorki, se mettant volontiers à disposition à l’Armée Rouge. C’est du front qu’il envoya ces articles qui constituaient plus tard « La avalerie rouge ». Dans la première édition il s’agissait de 35 articles, nouvelles, miniatures. Ils sont ainsi qu’ils ne ressemblent pas à des récits distanciés, mais écrit dans la perspective d’un narrateur en Volhynie et Galicie. Ces articles sont pas toujours dans une suite chronologique ou logique. Sophie Benech parlait même de certaines illogicités, voir retouchements. Premier but ne serait pas, selon elle, une description absolument objectives et historique, mais l’évidence du chaos, provoqué par la guerre.
Babel n’hésite pas à décrire les horreurs des événements, voir des faits, plus tard niés, et contraires aux idéaux de la révolution. Ceci par des massacres, des vols, des pogromes, et une large trace de sang derrière l’armée. Il décrit en miniatures des destins particuliers, décrit aussi son propre combat et contradiction : Il « voudrait » tellement être capable de tuer, difficulté et dilemme de l’intellectuel.
On remarquera la violence de certaines descriptions des agressions. Mais aussi on trouvera certaines descriptions de nature, d’humour, de camaraderie, la proximité des cosaques à leurs chevaux etc. qui sont splendides et belles. Fascinosum et abhorration sont en parallèle… Les miniatures ne se ressemblent pas, toujours nouveaux les variations, la structure. Quelle richesse de narration ! Même dans des traductions toujours apauvrissantes transparaissent cette langue riche. A certains images on trébuche : Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Comment Babel lie deux images, motifs ? Et voici que des articles de la guerre atteignent un niveau demaîtrise et de renommée classique !
C’est certainement grâce à l’honnêteté de Babel qu’il aura lui-même un destin comme victime sous la repression staliniennne.
Une œuvre plus qu’impressionnante qu’on devrait peut-être goûter en petits morceaux ?!
tom léo- Messages : 1353
Date d'inscription : 04/12/2016
Localisation : Bourgogne
Re: Isaac Babel
merci Tom Léo, c'est noté !
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Bédoulène- Messages : 21745
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Isaac Babel
Cavalerie rouge
Trente-quatre nouvelles généralement brèves d'Isaac Babel, correspondant de guerre dans l'Armée rouge pendant la campagne de Pologne, en 1920. C’est en fait un narrateur qui raconte, mais on croit reconnaître l’auteur dans ce « binoclard » mal intégré dans les rangs prolétaires, qui (au début) monte mal à cheval, et ne parvient pas à tuer un autre homme…
Trente-quatre nouvelles, plus quelques autres textes dont des extraits du journal et des Plans et esquisses de Babel, autant de bribes ; parfois des fragments d’un épisode réapparaissent dans plusieurs récits, ce qui donne une forte impression d’égarement, de hantise et de foisonnement.
Donc (a minima) un témoignage paraissant à la fois distancié et d’évidence vécu de la guerre et ses méfaits collatéraux sur les moujiks, petites gens des campagnes, les juifs…
À signaler en postface l’intéressant essai de Jacques Catteau, le traducteur, qui postule que le fantastique remplacerait l’épopée :
Mots-clés : #guerre #historique #temoignage
Trente-quatre nouvelles généralement brèves d'Isaac Babel, correspondant de guerre dans l'Armée rouge pendant la campagne de Pologne, en 1920. C’est en fait un narrateur qui raconte, mais on croit reconnaître l’auteur dans ce « binoclard » mal intégré dans les rangs prolétaires, qui (au début) monte mal à cheval, et ne parvient pas à tuer un autre homme…
Trente-quatre nouvelles, plus quelques autres textes dont des extraits du journal et des Plans et esquisses de Babel, autant de bribes ; parfois des fragments d’un épisode réapparaissent dans plusieurs récits, ce qui donne une forte impression d’égarement, de hantise et de foisonnement.
Donc (a minima) un témoignage paraissant à la fois distancié et d’évidence vécu de la guerre et ses méfaits collatéraux sur les moujiks, petites gens des campagnes, les juifs…
…mais aussi les cosaques, les Galiciens, les femmes (« sœurs-infirmières », servantes, prostituées) ‒ et les abeilles !« Une aube humide dévalait en flots de chloroforme vers nous. Des fusées vertes vrillaient au-dessus du camp polonais. Elles palpitaient dans l’air, s’effeuillaient comme des roses sous la lune et s’éteignaient. Et dans le profond silence, j’ai perçu les effluves lointains des râles. L’haleine du meurtre celé rôdait autour de nous.
‒ On tue, dis-je, qui est-ce qu’on tue ?…
‒ Le Polonais s’inquiète, répondit le moujik, le Polonais égorge les youpins…
[…]
‒ Le youpin, dit-il, est le coupable, pour nous comme pour vous. Après la guerre, il n’en restera plus beaucoup. Combien qu’on compte de youpins sur terre ? »
Au-delà du témoignage, c’est une œuvre littéraire qui dépasse la contingence pour faire percevoir au lecteur la brutalité de la guerre, de la mort, l’épique, l’atroce, l’Histoire, le peuple en marche, avec un style saisissant, d’une grande concision, sans rien de dilatoire, et des qualificatifs inattendus, presque surréalistes, fantastiques. J’ai par endroits songé à Kaputt de Malaparte.« C’était une fille épaisse, aux joues fleuries. Seule, une existence lentement coulée sur la fertile terre ukrainienne peut injecter à une juive des sucs bovins pareils et faire reluire son visage d’un lard aussi lustré. Les jambes de la fille, grasses, d’un rouge brique, gonflées comme des sphères, exhalaient une odeur fade et écœurante comme la viande fraîchement découpée. »
(Entre crochets et en italiques, passages de l’édition princeps ensuite censurés.)« Et après qu’y a-t-il eu ? Après, ça a été le front, la Cavalerie Rouge et la troupe qui sent le sang tiède et la chair morte. »
« Devant moi, voici la halle, la mort de la halle aussi. Elle est tuée, l’âme grasse de l’abondance ! Des cadenas muets pendent aux étals et le granit des pavés est net comme la calvitie d’un squelette. »
« Rutilant des gueules de chevaux cousues sur nos soutaches, échangeant des chuchotements et tintant des éperons, nous tournons dans l’édifice sonore et la cire coule sur nos mains. Les Vierges, aux parures de pierres précieuses, suivent notre chemin de leurs prunelles roses comme celles des souris, la flamme palpite dans nos doigts refermés et des ombres angulaires se tordent convulsivement sur les statues de saint Pierre, de saint François et de saint Vincent, sut leurs petites joues vermeilles et leurs barbes frisotées, enluminées de carmin. »
« ‒ Pourquoi que les femmes, elles se donnent tant de mal, répondit-il plus tristement encore, pourquoi les accordailles, les mariages ? Pourquoi que les commères, elles prennent tant plaisir aux noces !…
Une traînée rose irradia la nue et s’éteignit. La voie lactée filtra d’entre les étoiles.
‒ Ça me fait rire, dit Grichtchouk avec amertume et il m’indiqua de son fouet un homme assis au bord de la route, ça me fait rire de voir pourquoi que les femmes, elles se donnent tant de mal…
L’homme, assis au bord de la route, était Dolgouchov, le téléphoniste. Les jambes déjetées, il nous regardait droit dans les yeux.
‒ Voilà je…, dit Dolgoucov lorsque nous fûmes près de lui, je suis foutu… Compris ?
‒ Compris, répondit Grichtohouk, en arrêtant les chevaux.
‒ Il faut claquer une balle pour moi, dit Dolgouchov [avec sévérité].
Il était assis, adossé à un arbre. Ses bottes dressaient leurs pointes écartées. Sans me quitter des yeux, il retroussa précautionneusement sa chemise. Il avait le ventre arraché, les boyaux glissaient sur ses genoux, et on voyait les battements du cœur. »
« La nuit volait vers moi sur de fringants chevaux. La plainte aiguë des chariots emplissait l’univers. Sur la terre ceinte de jappements, les routes s’éteignaient. Les étoiles s’extirpaient du ventre rond et frais de la nuit et les villages désertés s’embrasaient au-dessus de l’horizon. »
« Bientôt Sachka revint. Elle changea les pansements du blessé et leva son falot sur la plaie qui se gangrenait.
‒ Tu passeras demain, dit Sachka en épongeant la sueur froide de Chévéliov. Tu passeras demain, elle s’est glissée dans tes tripes, la mort. »
« De nouveau, il se mit à pleuvoir. Des souris mortes dérivaient sur les routes. L’automne tenait nos cœurs encerclés dans ses embuscades et les arbres, cadavres nus remis debout, titubaient à la croisée des chemins. »
« Nos troupes avaient lâché pied et s’étaient emmêlées. Le train de la Section Politique battait en retraite, rampant sur l’échine morte des champs. [Et une Russie monstrueuse, invraisemblable, comme un troupeau de poux de corps, bordait nos wagons d’un piétinement de chaussons de tille] Une moujikaille typhique roulait devant elle la gibbosité familière de la camarde à soldats. Elle bondissait sur les marche-pieds de notre train et retombait, refoulée à coups de crosses. Ce n’était que souffles rauques, raclements, vols en avant et silence. »
À signaler en postface l’intéressant essai de Jacques Catteau, le traducteur, qui postule que le fantastique remplacerait l’épopée :
Épopée sans sublime, à l’orée du XXème siècle...« Toutes les deux puisent au même fonds ancestral : l’épopée exalte la naissance d’un ordre dans le fer et le sang, le fantastique pour peu qu’il s’éloigne de la simple activité ludique, pressent l’éclatement de cet ordre et la sourde montée d’un nouvel ordre ennemi ; il enregistre les effrois d’une société qui croule et désespérément se réfugie dans l’idéal ancestral… Ainsi la littérature fantastique déploie ses somptueuses fleurs vénéneuses aux heures d’échec, de désespoir ou de l’attente trouble d’une nouvelle ère tandis que les épopées flambaient aux aurores des peuples, transmettant d’âge en âge la flamme première. »
Mots-clés : #guerre #historique #temoignage
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15964
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Isaac Babel
Récits d’Odessa et autres récits
Évocation d’habitants d’Odessa au début du XXe, surtout des bandits, des soldats, mais aussi des prostituées, des commerçants, des ivrognes, juifs, musulmans, Russes, Polonais, Cosaques, Tsiganes, honnêtes ou pas mais hauts en couleur. Certains personnages reviennent d’une histoire à l’autre, notamment Bénia Krik, dit le roi, et Froïm Gratch, le borgne, truands célèbres.
Ces contes truculents valent beaucoup pour leur style, inspiré de leur origine traditionnelle.
\Mots-clés : #humour #viequotidienne
Évocation d’habitants d’Odessa au début du XXe, surtout des bandits, des soldats, mais aussi des prostituées, des commerçants, des ivrognes, juifs, musulmans, Russes, Polonais, Cosaques, Tsiganes, honnêtes ou pas mais hauts en couleur. Certains personnages reviennent d’une histoire à l’autre, notamment Bénia Krik, dit le roi, et Froïm Gratch, le borgne, truands célèbres.
(« La justice » est, aussi, une coopérative.)« … J’étais devenu courtier. M’étant fait courtier à Odessa, je me suis couvert de verdure et j’ai déployé mes rameaux. Encombré de branchages, je me sentais malheureux. La raison ? La raison est dans la concurrence. Sans ça, je ne me serais pas mouché dessus, sur la justice. Mes mains ne renferment aucun métier. L’air se tient droit devant moi. Il brille comme la mer au soleil, ce bel air vide. Les rameaux veulent manger. Ces rameaux, j’en ai sept, ma femme est le huitième. Je ne me suis pas mouché sur la justice. Non. C’est la justice qui s’est mouchée sur moi. La raison ? La raison est dans la concurrence. »
Ces contes truculents valent beaucoup pour leur style, inspiré de leur origine traditionnelle.
C’est Nathan Zuckerman, rencontré il y a peu, qui m’a ramentu Babel ; pas de ségrégation positive chez eux !« − Il n’est pas encore temps, répondit Bentchik, mais le temps passe. Écoute ses pas et laisse-le passer. Mets-toi de côté, Liovka. Et Liovka se mit de côté pour laisser passer le temps. »
\Mots-clés : #humour #viequotidienne
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Tristram- Messages : 15964
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Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Isaac Babel
merci Tristram, le deuxième extrait me fait sourire !
c'est noté (encore)
c'est noté (encore)
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― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21745
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Localisation : En Provence
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