Yasunari KAWABATA
Page 4 sur 4 • Partagez
Page 4 sur 4 • 1, 2, 3, 4
Re: Yasunari KAWABATA
Nuée d'oiseaux blancs

Le titre original, Senbazuru, signifie « Mille grues », ces oiseaux étant symbole de pureté au Japon.
Kikuji est l’amant heureux de Mme Ôta, une des anciennes maîtresses de son père défunt, rivale de Chikako, « professeur en l’art du thé », elle aussi une ex-maîtresse du père, marquée d’une tache noire sur le sein et entremetteuse de Yukiko et Kikuji…
D’une pièce à thé en shino, céramique du XVIe :
Utilisée pour un usage quotidien, et donc détournée de sa destination traditionnelle dans la cérémonie du thé, la poterie prend une dimension esthétique transcendée.
Fumiko, fille de Mme Ôta (qui s’est suicidée), et à laquelle Kikuji n’est pas indifférent :

Le titre original, Senbazuru, signifie « Mille grues », ces oiseaux étant symbole de pureté au Japon.
Kikuji est l’amant heureux de Mme Ôta, une des anciennes maîtresses de son père défunt, rivale de Chikako, « professeur en l’art du thé », elle aussi une ex-maîtresse du père, marquée d’une tache noire sur le sein et entremetteuse de Yukiko et Kikuji…
Cette situation qui peut sembler assez sordide ne paraît pas telle dans la quintessence de civilisation japonaise que distille Kawabata. On peut cependant s’interroger sur les limites floues entre convenable bienséance et hypocrisie, pudeur rosissante et affectation… mais rien de mièvre dans ce bref roman.« Mme Ôta devait avoir dans les quarante-cinq ans, au moins vingt ans de plus que Kikuji ; mais elle sut si bien lui faire oublier leur différence d’âge, qu’il croyait véritablement embrasser une femme encore plus jeune que lui. »
« Jamais encore il ne s’était douté de l’existence, chez la femme, d’une réceptivité aussi souple et aussi profonde, capable de vous guider tout en vous suivant : cette passivité voluptueusement active et chaleureuse qui vous plonge dans une mer de parfums. Lui qui n’avait jamais éprouvé qu’une sorte de dégoût à la suite du désir, chaque fois qu’il avait profité des libertés que lui offrait sa vie de célibataire, il s’étonnait à cette heure de baigner au contraire dans les délices d’une langueur savoureuse et paisible. Il savait que de toute autre partenaire, il se serait écarté froidement et l’aurait repoussée, alors qu’ici, pour la première fois, son corps aimait à sentir la chaleur douce de l’autre corps tendrement serré contre lui, prolongeant indéfiniment l’étreinte. Non, il n’avait jamais connu chez une femme ces ondes caressantes d’un sentiment sans fin ; et ses sens enivrés s’y reposaient avec délices, tandis qu’il savourait intérieurement le triomphe du conquérant, du vainqueur qui se fait laver les pieds par ses esclaves. Mais en même temps, il se sentait aussi comme un petit enfant qui rêve et qui se réfugie, bien au chaud, dans les bras de sa mère. »
D’une pièce à thé en shino, céramique du XVIe :
Peut-être la touche rouge rappelle-t-elle celle de la grue ? En fait elle évoque la trace du rouge à lèvres de Mme Ôta, qui s’en servait de préférence, une sorte de glacis, de sfumato dans la transparence de l’engobe. Ambigu, sensuel, délicat…« Un délicat éclat de rouge venait comme effleurer sa matière blanche et mate, attirant et chaleureux par lui-même, sans toutefois heurter ni troubler le froid naturel et pur de la faïence. »
Utilisée pour un usage quotidien, et donc détournée de sa destination traditionnelle dans la cérémonie du thé, la poterie prend une dimension esthétique transcendée.
Une très belle œuvre, chargée de sens sans être strictement allégorique, et qui gravite autour de la beauté, mais aussi de la mort (difficile d’en parler plus sans divulgâcher).« On eût dit que la douce lumière qui se jouait, lisse et blanche, sur la surface délicate de la cruche, était comme une lumière intérieure, un éclat émané de la matière même.
Le matin, au téléphone, Kikuji avait avoué à Fumiko qu’il ne pouvait pas regarder le mizusashi [cruche à eau] sans être pris de l’envie de la voir, elle. Et il songeait maintenant que l’exquise et douce blancheur de peau de Mme Ôta avait quelque chose de mystérieux, quelque chose comme la féminité par excellence, dans son essence la plus secrète et toute la force de son charme. »
« C’était à ce désir le plus intime de son âme qu’elle avait obéi, tout spontanément, lorsqu’elle lui avait fait présent du mizusashi de shino : ce chef-d’œuvre dont la matière émouvante, avec cette surface si mystérieusement frémissante qui paraissait rayonner de chaleur vivante en dépit de son inerte froideur d’objet, faisait mieux que rappeler Mme Ôta en lui ; il l’évoquait dans son cœur avec une suprême éloquence et une efficacité souveraine.
Oui, la cruche de shino s’offrait à son regard dans sa perfection absolue, insurpassable ; et grâce à elle, par l’effet tout-puissant de son autorité magistrale, il se trouvait transporté dans un monde de haute pureté esthétique où il ne demeurait plus rien de sombre, plus trace des noirceurs tenaces et des angoisses du péché. Plus aucune ombre.
À contempler le pur chef-d’œuvre, Kikuji se prenait à penser que Mme Ôta, elle aussi, avait atteint à la plus haute perfection, qu’elle avait été un chef-d’œuvre de beauté féminine ; et il pensait que rien d’impur, rien de suspect, absolument rien de trouble ou de haïssable ne peut aller de pair avec la beauté. Un chef-d’œuvre, par définition, est exempt de toute imperfection. »
Fumiko, fille de Mme Ôta (qui s’est suicidée), et à laquelle Kikuji n’est pas indifférent :
« Feriez-vous grief de sa mort à ma mère ? Moi aussi, quand elle est morte, j’ai été prise de colère dans mon désespoir, et j’ai pensé tout d’abord que la mort n’arrangeait rien. Tout ce que ma mère a fait, on ne peut le comprendre et l’interpréter qu’à tort, et la mort vient en quelque sorte sceller cette incompréhension, la fixer à jamais. Mourir, c’est refuser toute compréhension, et pour toujours, de la part des autres. Nul ne peut plus comprendre les actes d’un mort ; personne n’est jamais plus en mesure de les excuser. »
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14947
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Yasunari KAWABATA
La Lune dans l'eau
Voici le bel incipit de ce texte, recueilli en France dans La Danseuse d'Izu :
Mots-clés : #nouvelle
Voici le bel incipit de ce texte, recueilli en France dans La Danseuse d'Izu :
Le jeu de la spécularité engendre une certaine gémellité dans le monde. En une dizaine de pages, Kawabata touche délicatement le lecteur. Il est rapporté que l’auteur manifestait un attachement particulier à ce texte, et ce peut être également le cas du lecteur.« Un jour, la jeune femme eut l’idée de prendre sa glace à main pour monter à son mari, toujours alité dans une chambre du premier étage, une partie du potager. Il n'en fallut pas davantage pour ouvrir une vie nouvelle au malade, et cela devait aller bien plus loin qu'elle ne l'aurait imaginé. »
« Découvrirait-on les choses sous un aspect nouveau, la première fois qu’elles se reflètent dans la glace ? »
Mots-clés : #nouvelle
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14947
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Yasunari KAWABATA
Je l'ai lu assez récemment au final Le grondement dans la montagne et j'ai été déçue : je n'ai pas retrouvé cette douce petite perversité transcendée par le talent d'écriture et qui fait tout le sel de l'univers de Kawabata . La traduction aussi peut-être m'a paru alambiquée .Dreep a écrit:églantine a écrit:En survolant ce fil , lire tout le bien qui est exprimé de Kawata ,je vais envisager de faire remonter Le grondement de la montagne plus sur le dessus de ma PAL .
Moi je te conseille plutôt Kyôto, églantine.
J'ai moins aimé Pays de neige ou le Grondement de la montagne.
Ces derniers mois je n'ai pas grand flair dans le choix de mes lectures .

églantine- Messages : 4431
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Savoie
Re: Yasunari KAWABATA
églantine a écrit:Ces derniers mois je n'ai pas grand flair dans le choix de mes lectures .


_________________
"Et au plus eslevé trone du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul." (Michel de Montaigne)
Armor- Messages : 4589
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 41
Localisation : A l'Aise Breizh
Re: Yasunari KAWABATA
Le Lac

Deux premières parties : Gimpei, bizarre fugitif aux « pieds hideux » et autres délires fantasmatiques, suit les jeunes filles et le long chemin tracé par le premier mensonge ; Arita, vieillard nanti, apaise ses hantises dans la fraîcheur des jeunes femmes. Miyako entretenue par le « vieil homme presque septuagénaire », Hisako séduite par son professeur de lettres, jeunesse et vieillesse, féminité et abus masculin.
Thème sans doute perçu différemment de nos jours :
Ce texte est-il aussi étrange pour un Japonais qu’à nos yeux ? Les pieds « simiesques » par opposition aux jolis petons ont-ils une connotation particulière au Japon ? (@Gnocchi pourrait peut-être nous dire ?)
Un conseil ? Lire d’une traite cette centaine de pages, d’un Kawabata "traditionnel" à la surprise d’une plus "moderne" sombreur.
Et j’ai déjà envie de le relire…

Deux premières parties : Gimpei, bizarre fugitif aux « pieds hideux » et autres délires fantasmatiques, suit les jeunes filles et le long chemin tracé par le premier mensonge ; Arita, vieillard nanti, apaise ses hantises dans la fraîcheur des jeunes femmes. Miyako entretenue par le « vieil homme presque septuagénaire », Hisako séduite par son professeur de lettres, jeunesse et vieillesse, féminité et abus masculin.
Thème sans doute perçu différemment de nos jours :
Mais cette érotique ambiguë n’est pas la seule thématique de cette dense novella. Dans la troisième partie, d’allers-retours dans le temps, la narration des deux récits tresse les fils thématiques et destinaux autour du lac (« maternel » pour Gimpei l’orphelin, qui se confirme comme personnage principal) ; la pièce d’eau est le "lieu commun" autour duquel les obsessions s’intriquent en reliant les existences des personnages. La forme structurelle est remarquable, avec les chassés-croisés du passé et du présent, du rêve et du réel : soudains fondus enchaînés d’images assez cinématographiques, comme lors de la chasse aux lucioles sur le plan d’eau. À propos de son amour d’enfance :« Mais une telle perfection ne saurait durer plus longtemps que l’âge de seize ans, dix-sept ans à la rigueur… »
Poésie mélancolique, telle l’émouvante délicatesse de la voix d’une juvénile masseuse, mais aussi observation de la dure réalité :« Le bonheur, pour le jeune Gimpei, c’était de suivre le chemin qui longe la rive, leurs deux silhouettes confondues reflétées dans l’eau du lac. »
« Spectacle classique d’un ramassis de sans-logis. Totalement indifférents aux passants, ils ne levaient même pas les yeux, ne rendaient pas le regard qu’ils ne sentaient plus se poser sur eux. On en arrivait à envier ceux de ces misérables qui s’étaient endormis sans attendre. Un couple jeune reposait tranquillement, la tête de la femme sur les genoux de l’homme, lui penché sur son dos à elle. Même dans un train, la nuit, il eût été difficile de retrouver l’emmêlement de ces deux corps endormis. On aurait dit deux moineaux, chacun la tête enfouie au sein du plumage de l’autre. Ils n’avaient pas trente ans. Gimpei s’arrêta pour les regarder : ce n’est pas commun, un couple de vagabonds. »
Tristesse et beauté, là encore, mais nettement plus teintées de morbidité (outre l’attrait pour les femmes à peine nubiles, des pulsions de meurtre chez Gimpei). La fin de la quatrième et dernière partie constitue une apothéose de noirceur aliénée.« Gimpei continuait ainsi à rêver, perdu dans son soliloque. Et n’en avait-il pas bien le droit, quand la pluie qui le faisait rêver n’existait pas ? »
Ce texte est-il aussi étrange pour un Japonais qu’à nos yeux ? Les pieds « simiesques » par opposition aux jolis petons ont-ils une connotation particulière au Japon ? (@Gnocchi pourrait peut-être nous dire ?)
Un conseil ? Lire d’une traite cette centaine de pages, d’un Kawabata "traditionnel" à la surprise d’une plus "moderne" sombreur.
Et j’ai déjà envie de le relire…
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14947
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Yasunari KAWABATA
Tristesse et Beauté

Dès le début, le lecteur apprend que Oki, le personnage principal, se rend à Kyôto avec l’intention de rencontrer Otoko qui y réside ; Oki a violé Otoko, qui avait seize ans, il y a vingt-quatre années de cela, alors que lui-même avait trente et un ans (et était marié avec un enfant) ; elle eut de lui un bébé mort-né avant de tenter de se suicider et d’être internée dans un hôpital psychiatrique ; Oki regrette « d’avoir arraché cette femme aux joies du mariage et de la maternité », qui était tombée amoureuse de lui… et l’est toujours.
Oki est écrivain, et a écrit un roman à succès, son chef-d’œuvre, sur son amour pour Otoko (ce qui a d’ailleurs ravagé sa femme, qui tapait le manuscrit et fit une fausse couche) ; on peut soupçonner une mise en abyme autobiographique, ou au moins fantasmatique…
Roman paru en 1964 au Japon, Kawabata, Nobel 1968, dans l’esprit du temps et du lieu, à partir des faits ci-dessus, crée un chef-d’œuvre de délicatesse, de sensualité, de spontanéité, de psychologie autour de la douce Otoko et de la fantasque, ardente, belle, terrible Keiko. Érotisme de l’oreille et tombes de « Ceux dont nul ne porte le deuil »…
Mots-clés : #amour #erotisme #portrait #psychologique

Dès le début, le lecteur apprend que Oki, le personnage principal, se rend à Kyôto avec l’intention de rencontrer Otoko qui y réside ; Oki a violé Otoko, qui avait seize ans, il y a vingt-quatre années de cela, alors que lui-même avait trente et un ans (et était marié avec un enfant) ; elle eut de lui un bébé mort-né avant de tenter de se suicider et d’être internée dans un hôpital psychiatrique ; Oki regrette « d’avoir arraché cette femme aux joies du mariage et de la maternité », qui était tombée amoureuse de lui… et l’est toujours.
Oki est écrivain, et a écrit un roman à succès, son chef-d’œuvre, sur son amour pour Otoko (ce qui a d’ailleurs ravagé sa femme, qui tapait le manuscrit et fit une fausse couche) ; on peut soupçonner une mise en abyme autobiographique, ou au moins fantasmatique…
Jalouse, Keiko, jeune élève peintre et amante d’Otoko, séduit Oki, puis son fils, pour venger celle-ci.« Oki avait intitulé son roman Une jeune fille de seize ans. C’était un titre ordinaire et sans grande originalité, mais il y avait vingt années de cela, les gens trouvaient assez surprenant qu’une écolière de seize ans prît un amant, mît au monde un bébé prématuré et perdît ensuite la raison pendant quelque temps. Oki, pour sa part, ne voyait rien là de surprenant. »
Roman paru en 1964 au Japon, Kawabata, Nobel 1968, dans l’esprit du temps et du lieu, à partir des faits ci-dessus, crée un chef-d’œuvre de délicatesse, de sensualité, de spontanéité, de psychologie autour de la douce Otoko et de la fantasque, ardente, belle, terrible Keiko. Érotisme de l’oreille et tombes de « Ceux dont nul ne porte le deuil »…
La réponse en l’occurrence est oui, en tout cas pour la forme. Des reprises avec variations répètent par moments des éléments de l’histoire, effet musical qu’on peut aussi rapprocher d’une conversation naturelle du narrateur. C’est notamment remarquable au début de la partie Paysages de pierres (jardins zen), qui m’a particulièrement plu.« Mais un roman doit-il être forcément une jolie chose ? »
Mots-clés : #amour #erotisme #portrait #psychologique
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14947
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Yasunari KAWABATA
Quel magnifique roman, d'une poésie rare dans l'évocation de l'intimité.
Avadoro- Messages : 1255
Date d'inscription : 07/12/2016
Age : 37
Re: Yasunari KAWABATA
Je l'ai lu cet été, je l'ai trouvé très beau. Les belles endormies m'avait laissé pantoise il y a quelques années, à présent je le relirais bien, j'y vois vraiment le pendant de Tristesse et beauté : la beauté féminine qui se laisse absolument contempler et celle qui réécrit son portrait.
Et en effet ces motifs qui reviennent et se répondent...
J'ai donné le livre mais j'aurais bien cité cette conversation dans le restaurant de nouilles, où la vieille femme les remercie au nom de la région d'avoir trouvé le temps agréable ; c'était d'une joliesse !
Et en effet ces motifs qui reviennent et se répondent...
J'ai donné le livre mais j'aurais bien cité cette conversation dans le restaurant de nouilles, où la vieille femme les remercie au nom de la région d'avoir trouvé le temps agréable ; c'était d'une joliesse !
Baleine- Messages : 78
Date d'inscription : 09/07/2017
Re: Yasunari KAWABATA
« Otoko, vous souvenez-vous de cette pluie de printemps, la première fois que vous m’avez emmenée sur le mont Arashi ?
— Mais oui, Keiko.
— Et de la vieille femme qui vendait des nouilles… ? »
Deux ou trois jours après l’arrivée de Keiko, Otoko lui avait fait visiter le Pavillon d’Or, le Ryôan-ji et enfin le mont Arashi. Elles étaient entrées dans un petit restaurant où l’on servait des nouilles de froment, au bord de la rivière, non loin du pont de Togetsu. La patronne du restaurant s’était plainte de la pluie.
« J’aime bien la pluie. C’est une jolie pluie de printemps, avait répondu Otoko.
— Oh, merci beaucoup, madame », avait dit poliment la patronne, en s’inclinant légèrement.
Keiko avait regardé Otoko et lui avait murmuré : « Est-ce à propos du temps qu’elle vous remercie ?
— Comment ? » La réponse de la vieille femme avait semblé naturelle à Otoko, et elle n’y avait pas prêté une grande attention.
« Je suppose que oui. À propos du temps…
— Voilà qui est intéressant. C’est amusant de remercier quelqu’un au nom du temps, poursuivit Keiko. Est-ce ainsi que l’on fait à Kyôto ?
— Ma foi, peut-être… »
Il était, en effet, possible d’interpréter ainsi la réponse de la vieille femme. Sans doute était-ce une marque de politesse à l’intention des deux promeneuses qui avaient vu le mont Arashi sous la pluie. Pourtant, ce n’était pas la politesse qui avait poussé Otoko à répondre que la pluie ne la gênait nullement. Elle trouvait réellement un certain charme à cette pluie de printemps tombant sur le mont Arashi et c’était pourquoi la vieille femme l’avait remerciée. Elle semblait avoir parlé au nom du temps ou au nom du mont Arashi sous la pluie. C’était une réaction somme toute naturelle de la part de quelqu’un qui possédait un restaurant à cet endroit, mais elle avait paru singulière à Keiko.
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14947
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Yasunari KAWABATA
Ca fait plaisir de te lire à nouveau, Baleine !

_________________
"Et au plus eslevé trone du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul." (Michel de Montaigne)
Armor- Messages : 4589
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 41
Localisation : A l'Aise Breizh
Re: Yasunari KAWABATA
Le Lac

Un récit qui ressemble beaucoup à un rêve (ou un cauchemar) dans lequel Gimpei, toujours à la poursuite des mêmes désirs, avec des aventures qui se reproduisent et des souvenirs qui se succèdent non selon un ordre chronologique, mais par associations d’idées. Une ronde de personnages féminins tourne autour de Gimpei et si par moments il a le dessus, il finit rapidement par tomber dans sa course. On en revient toujours à la laideur, à la fois physique et morale, qui n’inspire pas la moindre empathie et dont l’intérêt a plutôt tendance à s’estomper au fil des épisodes : Certes Kawabata y mêle comme à son habitude beaucoup de douceur ― un retour au lac de sa jeunesse, un épisode de lucioles ― de la mélancolie, y ajoute un pathétique grotesque pour un ensemble pour une fois un petit peu faible, en tout cas pas très convaincant.

Un récit qui ressemble beaucoup à un rêve (ou un cauchemar) dans lequel Gimpei, toujours à la poursuite des mêmes désirs, avec des aventures qui se reproduisent et des souvenirs qui se succèdent non selon un ordre chronologique, mais par associations d’idées. Une ronde de personnages féminins tourne autour de Gimpei et si par moments il a le dessus, il finit rapidement par tomber dans sa course. On en revient toujours à la laideur, à la fois physique et morale, qui n’inspire pas la moindre empathie et dont l’intérêt a plutôt tendance à s’estomper au fil des épisodes : Certes Kawabata y mêle comme à son habitude beaucoup de douceur ― un retour au lac de sa jeunesse, un épisode de lucioles ― de la mélancolie, y ajoute un pathétique grotesque pour un ensemble pour une fois un petit peu faible, en tout cas pas très convaincant.
Dreep- Messages : 1456
Date d'inscription : 08/12/2016
Age : 30
Re: Yasunari KAWABATA
Kyôto

Même si la trame du récit est l'histoire de deux soeurs jumelles qui se retrouvent et qui n'ont pas connu la même existence, il reste une fois le livre refermé autre chose que juste cela.
On garde en mémoire les paysages, les évocations de la nature, les couleurs des cerisiers en fleurs et autres éclosions d'azalées, la majesté des cryptomères, les saisons qui sont évoquées, la description des fêtes traditionnelles au Japon, l'histoire des tissus, du tissage de ces ceintures qu'on imagine si bien, l'atmosphère des quartiers visités et les senteurs des bols de thé.
C'est le récit de toute une culture qui nous est partagé.
Ce livre est un peu, comme un tableau qu'on aurait regardé de longs moments pour s'en imprégner et qui laisserait sur la rétine comme un chatoiement de couleurs.
L'écriture de Y Kawabata se déroule toute en petites touches comme celles d'un impressionniste qui se ferait poète.
Reste que j'ai fait là une merveilleuse lecture et je remercie vivement @Dreep de ses conseils.

Même si la trame du récit est l'histoire de deux soeurs jumelles qui se retrouvent et qui n'ont pas connu la même existence, il reste une fois le livre refermé autre chose que juste cela.
On garde en mémoire les paysages, les évocations de la nature, les couleurs des cerisiers en fleurs et autres éclosions d'azalées, la majesté des cryptomères, les saisons qui sont évoquées, la description des fêtes traditionnelles au Japon, l'histoire des tissus, du tissage de ces ceintures qu'on imagine si bien, l'atmosphère des quartiers visités et les senteurs des bols de thé.
C'est le récit de toute une culture qui nous est partagé.
Ce livre est un peu, comme un tableau qu'on aurait regardé de longs moments pour s'en imprégner et qui laisserait sur la rétine comme un chatoiement de couleurs.
L'écriture de Y Kawabata se déroule toute en petites touches comme celles d'un impressionniste qui se ferait poète.
Ce que Vincent Van Gogh écrivait dans une lettre à Théo en 1888, pourrait se dire pour l'écriture de Yasunari Kawabata, il me semble.
J'envie aux Japonais l'extrême netteté qu'ont toutes choses chez eux. Jamais cela n'est ennuyeux et jamais cela parait fait trop à la hâte.
Reste que j'ai fait là une merveilleuse lecture et je remercie vivement @Dreep de ses conseils.

Invité- Invité
Re: Yasunari KAWABATA
Merci, Janis, je n'ai pas encore lu Kyoto.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Yasunari KAWABATA
merci Janis !
_________________
"Prendre des notes, c'est faire des gammes de littérature Le journal de Jules Renard
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 20028
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 78
Localisation : En Provence
Re: Yasunari KAWABATA
Nuée d'oiseaux blancs
Dans un premier temps, Yasunari Kawabata nous laisse croire que l'intrigue, ourdie par une Chikako Kurimoto quelque peu tyrannique ― il s'agit de marier Kikuji, d'écarter l'ancienne maîtresse de son père, mort depuis peu ― formera l'armature du roman. Ce qui neutralise toute forme de décision dans le récit, est l'étrange passivité de Kikuji, mû seulement par l'attirance ou dans une moindre mesure par le dégoût ; il ne décide rien, sauf ces trajets dans un Japon pluvieux (à Kamakura, pour être plus précis). Si ceux-ci sont motivés par des rencontres, ce sera autant d'occasions de "détourner" l'attention, ou plutôt d'amener le lecteur vers le véritable sujet de cette Nuée d'oiseaux blancs, après l'avoir fait glisser dans la brume et la confusion...! Lors de ces rencontres, les personnages ne se focalisent "que" sur des objets, objets et rites d'une tradition millénaire : La cérémonie du thé... dans laquelle la trame du roman a l'air de se dissoudre (en réalité ces rites ou leurs contrefaçons ont une portée symbolique que l'on comprendra par la suite, mais je vous la laisse découvrir).
Tranquillement, le monde mental de Kikuji s'impose. Les êtres ― morts ou vifs ― sont pour lui des images ― rattachées à des circonstances antérieures ― qui distillent leur venin plus ou ou moins suave dans son esprit ainsi que de dans celui du lecteur s'il se laisse prendre dans les enveloppements successifs de cette écriture : cette fameuse "brume", un entrelac de motifs sensoriels qui ressortent et obsèdent comme par envoûtement... Puis, ces pures sensations de flottement, où les temps se confondent. À plus ou moins grande échelle, d'ailleurs : on ne sait ici ou là si Kikuji est dans le moment présent et accompagné ou s'il est désormais seul et qu'il se souvient de ce qui vient de se produire. Dans sa totalité, Nuée d'oiseaux blancs est un roman où le présent se laisse boire par le passé, où le fils est confondu avec le père... l'intensité de la narration monte au moment où l'on sent que Kikuji est obligé de réagir.
Dans un premier temps, Yasunari Kawabata nous laisse croire que l'intrigue, ourdie par une Chikako Kurimoto quelque peu tyrannique ― il s'agit de marier Kikuji, d'écarter l'ancienne maîtresse de son père, mort depuis peu ― formera l'armature du roman. Ce qui neutralise toute forme de décision dans le récit, est l'étrange passivité de Kikuji, mû seulement par l'attirance ou dans une moindre mesure par le dégoût ; il ne décide rien, sauf ces trajets dans un Japon pluvieux (à Kamakura, pour être plus précis). Si ceux-ci sont motivés par des rencontres, ce sera autant d'occasions de "détourner" l'attention, ou plutôt d'amener le lecteur vers le véritable sujet de cette Nuée d'oiseaux blancs, après l'avoir fait glisser dans la brume et la confusion...! Lors de ces rencontres, les personnages ne se focalisent "que" sur des objets, objets et rites d'une tradition millénaire : La cérémonie du thé... dans laquelle la trame du roman a l'air de se dissoudre (en réalité ces rites ou leurs contrefaçons ont une portée symbolique que l'on comprendra par la suite, mais je vous la laisse découvrir).
Tranquillement, le monde mental de Kikuji s'impose. Les êtres ― morts ou vifs ― sont pour lui des images ― rattachées à des circonstances antérieures ― qui distillent leur venin plus ou ou moins suave dans son esprit ainsi que de dans celui du lecteur s'il se laisse prendre dans les enveloppements successifs de cette écriture : cette fameuse "brume", un entrelac de motifs sensoriels qui ressortent et obsèdent comme par envoûtement... Puis, ces pures sensations de flottement, où les temps se confondent. À plus ou moins grande échelle, d'ailleurs : on ne sait ici ou là si Kikuji est dans le moment présent et accompagné ou s'il est désormais seul et qu'il se souvient de ce qui vient de se produire. Dans sa totalité, Nuée d'oiseaux blancs est un roman où le présent se laisse boire par le passé, où le fils est confondu avec le père... l'intensité de la narration monte au moment où l'on sent que Kikuji est obligé de réagir.
Dreep- Messages : 1456
Date d'inscription : 08/12/2016
Age : 30
Page 4 sur 4 • 1, 2, 3, 4
Des Choses à lire :: Lectures par auteurs :: Écrivains d'Asie
Page 4 sur 4
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|