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Raymond Queneau

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Message par Ouliposuccion Sam 8 Avr - 21:06

Raymond Queneau
1903-1976


Raymond Queneau Tylych88

D’abord adhérent au mouvement surréaliste, Raymond Quenaud se détache de celui-ci en 1929 pour tracer son propre chemin littéraire et devenir un écrivain majeur du XXe siècle. Il s'intéresse particulièrement aux écrivains qu’il appelle les “fous littéraires” du siècle précédant, dont il compile les oeuvres, avant de se lancer lui-même dans l’écriture. L’auteur publie son premier livre 'Le Chiendent' en 1933, et obtient le prix des Deux-Magots. A 33 ans, il devient membre du comité de lecture des éditions Gallimard. L’écrivain connaît son plus grand succès avec 'Zazie dans le métro', publié en 1959, adapté au cinéma par Louis Malle un an plus tard. Fondateur de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle) aux côtés de François le Lionnais, Raymond Queneau se passionne pour la dimension formaliste et ludique de la langue, ainsi que l’attestent les ‘Exercices de style’, ‘Les Fleurs bleues’ ou ‘Mille milliard de poèmes’.
(source evene)


Bibliographie :

1933 Le Chiendent,  Prix des Deux Magots : Page 1
1934 Gueule de pierre (première partie de Saint Glinglin)
1936 Les Derniers Jours : Page 2
1937 Odile : Page 1
1938 Les Enfants du limon : Page 2
1939 Un rude hiver : Page 2
1941 Les Temps mêlés (seconde partie de Saint Glinglin)
1942 Pierrot mon Ami : Page 2
1944 Loin de Rueil  
1944 En passant
1947 Exercices de style : Page 2
1947 On est toujours trop bon avec les femmes : Page 2
1948 Saint Glinglin : Page 2
1950 Le Journal intime de Sally Mara : Page 3
1952 Le Dimanche de la vie : Page 3
1959 Zazie dans le métro : Page 1
1965 Les Fleurs bleues
1968 Le Vol d'Icare
1973 Le voyage en Grèce : Page 3
Posthume (et inachevé) Hazard et Fissile : Page 3

màj le 12/02/2023


Dernière édition par Tristram le Mer 30 Juin - 20:58, édité 6 fois
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Message par Ouliposuccion Sam 8 Avr - 21:13

Zazie dans le métro

Raymond Queneau Tylych89

- Zazie, déclare Gabriel en prenant un air majestueux trouvé sans peine dans son répertoire, si ça te plaît de voir vraiment les Invalides et le tombeau véritable du vrai Napoléon, je t'y conduirai.
- Napoléon mon cul, réplique Zazie. Il m'intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con.
- Qu'est-ce qui t'intéresse alors ?
Zazie ne répond pas.
- Oui, dit Charles avec une gentillesse inattendue, qu'est-ce qui t'intéresse ?
- Le métro.


Ce livre est la gaieté même et pourrait être une prescription à la bonne humeur.  Raymond Queneau , ce monument du mouvement OULIPO ,  il cause, il cause, pour ne rien dire…ou tout dire d’un rien  ou le rien qui dit tout… ou peut-être tout ça finalement. Visez l’artiste.
On peut rester circonspect en lisant ce roman, mais personnellement   j’ai bien "crouté", la recette  des  jeux de mots et du burlesque  des personnages  m’a mise en appétit. Je vais donc cajoler le saugrenu,  me faire tendre avec  la gramme-aire…  douce et papouillante envers ce roman.
Un puissant humour, une morale  ou pas, je n’ai pas cherché le  sens véritable  s’il y en a un… Je reste avec  l’aspect brut de légèreté, de dérision, loin de l’épigraphe d’Aristote au début du livre. Il me  semble bien plus intéressant parfois de rester à la surface d’une œuvre qui nous apporte bien plus que la décortication en vue d’y voir toujours un sens profond. Je ne serais donc pas la flicarde de la rhétorique mais bien l’arsouille cautionnant  l’anticonformisme et récidiviste pourquoi pas…l’éclatade lors des carambolages de mots  offre une voie plutôt jouissive à la trame.
Zazie dans le métro qui n’aura trouvé que la grève mais une bonne rame de loufoques.
«  La grève mon cul … J’ai vieilli »  

- Moi, déclara Zazie, je veux aller à l'école jusqu'à soixante-cinq ans. (...) Je veux être institutrice.
- Pourquoi que tu veux l'être, institutrice?
- Pour faire chier les mômes (...). Je serai vache comme tout avec eux. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses.
- Tu sais, dit Gabriel avec calme, d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension et la gentillesse. (...) D'ailleurs, dans vingt ans, y aura plus d'institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l'électronique, des trucs comme ça.

- Alors, déclara-t-elle, je serai astronaute pour aller faire chier les Martiens.


mots-clés : #humour #initiatique
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Message par Tristram Dim 9 Avr - 1:49

Je commençais à m'ennuyer sérieusement de tes posts, Ouliposuccion _ et tu reviens avec l'excellent Queneau !

« Une autre bien fausse idée qui a également cours actuellement, c’est l’équivalence que l’on établit entre inspiration, exploration de l’inconscient et libération, entre hasard, automatisme et liberté. Or, cette inspiration qui consiste à obéir aveuglément à toute impulsion est en réalité un esclavage. Le classique qui écrit sa tragédie en observant un certain nombre de règles qu’il connaît est plus libre que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l’esclave d’autres règles qu’il ignore. »
Raymond Queneau, « Le voyage en Grèce », in "Atlas de littérature potentielle"
« Les longues journées que n’utilisait pas son métier il les distribua selon diverses inoccupations et parvint ainsi bientôt à exclure de son temps tout remplissage et à vider son existence des incidents souhaitables ou redoutés qui font croire que l’on vit. »
Raymond Queneau, « Loin de Rueil », II, VIII
« − Et vous ne croyez pas qu’il y en a assez comme ça des romans ?
[…]
− Méfiez-vous des [histoires] inventées. Elles révèlent ce que vous êtes au fond. Tout comme les rêves. Rêver et révéler, c’est à peu près le même mot.
− Et les vraies, elles révèlent tout aussi bien ce qu’on est dans le fond. Vous ne trouvez pas ?
− Si vous me racontez l’histoire de quelqu’un d’autre…
− Pourquoi je la raconterais si elle ne m’intéresse pas et, si elle m’intéresse, c’est comme si c’était moi. »
Raymond Queneau, « Les fleurs bleues », XII
« HUBERT
Voici donc. Je me présente : Hubert Lubert, romancier de profession, de vocation même et j’ajouterai d’un certain renom. Étant romancier, j’écris donc des romans. Écrivant des romans, j’ai affaire à des personnages. Or voici que l’un d’eux vient de s’éclipser. Textuellement. Un roman que je venais de commencer, une dizaine de pages environ, quinze au plus, et dans lequel je mettais les plus grands espoirs, et voilà que le personnage principal, à peine esquissé disparaît. Comme je ne puis évidemment continuer sans lui, je viens vous demander de me le retrouver.
MORCOL (rêveusement)
Voilà qui est bien pirandellien. »
Raymond Queneau, « Le vol d’Icare », I
« LE PASSANT
…Qu’est-ce que vous voulez…Je ne faisais que passer…
[…]
LA PASSANTE
…Qu’est-ce que vous voulez…Je ne faisais que passer… »
Raymond Queneau, « En passant », in « Contes et propos »

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Jack-Hubert Bukowski Jeu 13 Avr - 8:35

Merci pour cette belle entrée dans l'œuvre de Raymond Queneau... Smile
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Message par bix_229 Jeu 13 Avr - 16:38

LA BROUCHTOUCAILLE

Connaissez-vous la brouchtoucaille ? C' est une recette de cuisine et je sais ,qu' il y a des bonnes fourchettes...
Allez, je vous donne la recette et elle est de Raymond Queneau :

La brouchtoucaille se pérépare ainsi : prenez choux, artichauts, épinards, aubergines, laitues, champignons
potirons, cornichons, betteraves, raves, choux-raves, tomates, patates, dattes, céleris, radis, salsifis, fèves, oignons, lentilles, épis de maiz et noix de coco ; épluchez, pelez, nettoyez, lavez, coupez, hachez, concassez, triturez, tamisez, étuvez, passez, balayez, ramassez, délayez, sublimez, concrétisez, arrangez, disposez et cuisez partie e à l'eau, partie à l' huile d' olive, partei à l' huile de noix, partie à la graisse de boeuf, partie à la graisse d' oie.
Prenez d' autre part, des animaux vivants, mamifères males et volatiles femelles.
Egorgez les, écorchez les, découpez les, sectionnez les, débitez les, embrochez les et rotissez les.
Dans un graand chaudron, préparez une sauce avec huile, ail, vinaigre, moutardes diverses, jaunes
d' oeufs; fine champagne, poivre, sel, piments, safran, cumin, girofle, thym, laurier, gingembre et paprika.
Jetez y l' élément animal que vous tempérez par l' élément végétal. Touillez et ratatouillez et lorsque l' heure sera venue, servez dans le grand plat ancestral que vous aurez eu soin de ne pas laver depuis la dernière fete.

QUENEAU : Saint Glinglin

C' est plus difficile à lire qu' à faire ! Il suffit d' avoir les ingrédients... Pour le reste, fiez vous à votre
flair, le dosage n' étant pas indiqué...

Bon appétit !
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Message par Tristram Jeu 13 Avr - 17:29

Excellente recette. Personnellement, je mets une pointe de wasabi, mais bien sûr on ne peut plus appeler ce plat roboratif une brouchtoucaille.

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Message par Tristram Dim 19 Aoû - 13:39

Le Chiendent

Raymond Queneau Le_chi10


La scène se tient à Paris, et surtout sa banlieue, début des années trente (roman paru en 33), dans les classes populaires.
Etienne Marcel (comme la rue et la station de métro), d’abord une silhouette, devient un « être plat », puis un « être de consistance réduite », un « être de réalité minime », prenant de l’épaisseur aux yeux de l’observateur, Pierre Le Grand :
« Au lieu d’être découpé comme un soldat d’étain, ses contours s’adoucissent. Il se gonfle doucement. Il mûrit. L’observateur le distingue fort bien, mais n’en aperçoit aucune raison extérieure. Il a maintenant en face de lui un être doué de quelque consistance. Il constate avec intérêt que cet être doué de quelque réalité a les traits légèrement convulsés. Que peut-il se passer ? Cette silhouette est un être de choix. »

« J’observe un homme.
‒ Tiens. Romancier ?
‒ Non. Personnage. »
… et prenant conscience du monde et de lui-même, devenant « un homme qui pense » ; c’est la naissance d’un personnage au travers de ses propres sensations de narrateur :
« Il m’a suffi de tourner la tête à droite au lieu de la tourner à gauche, de faire un pas de plus et j’ai découvert des choses à côté desquelles je passais chaque jour, sans les voir. Je ne tournais pas la tête ; je l’ai tournée. Mais pourquoi l’ai-je tournée ? »

« …] j’ai beaucoup changé ces derniers temps je m’en aperçois maintenant oui le monde n’est pas tel qu’il apparaît, du moins quand on vit tous les jours la même chose alors on ne voit plus rien il y a pourtant des gens qui vivent pareil tous les jours moi, au fond je n’existais pas [… »
Le hasard fait donc se rencontrer Etienne (jeune employé de banque, propriétaire d'une villa inachevée dans la banlieue) et Pierre (oisif rentier), mais aussi Narcense, jeune saxophoniste de jazz au chômage et fasciné par les femmes, Sidonie Cloche, sage-femme avorteuse, Saturnin Belhôtel concierge, écrivain et philosophe à ses heures, Dominique qui tient une friterie à Blagny, Ernestine sa bonne, le père Taupe, vieux brocanteur misérable, « ivrogne et lubrique », les adolescent Théo et Clovis, le nain Bébé Toutout…
Imbroglio savamment intriqué de coïncidences, des bouts d’existences se croisent pour nouer l’intrigue structurée en boucle.
« Alors, ils quittèrent la clairière qui se trouve devant Carentan et, franchissant les fausses couches temporelles de l’éternité, parvinrent un soir de juin aux portes de la ville. Ils se séparèrent sans rien dire, car ils ne se connaissaient plus, ne s’étant jamais connus. »
Je tiens à préciser que la lecture de ce livre n’est pas laborieuse : le lecteur n’est jamais (vraiment, ou longtemps) égaré, et en définitive peu d’effort lui est demandé.
Accumulations rabelaisiennes, échos et rimes, rêves, stream of consciousness, (et même un désopilant fantasme/ digression, l’histoire du bilboquet), échanges épistolaires (ou d’« épistoles »), satires et tous genres d’humour, toutes formes de parodies (« Ernestine, Ernestine, disparue ! »), diverses techniques littéraires sont utilisées (sans jamais insister jusqu’à devenir lourd) ‒ et c’est toujours un grand plaisir de lecture.
La transcription phonétique qui caractérise partiellement son œuvre y apparaît déjà, comme une des sources de néologisme :
« Non, sa belle argent, elle l’aurait pas chtée comm’ ça su’ l’tapis vert, pour qu’aile s’envole et qu’aile la r’voie pus. Non. »

« Narcense n’ose se risquer. Il presquose, puis recule. »
D’une manière générale, c’est une vaste jubilation de mots, parfois aussi des archaïsmes :
« "Alibiforains et lantiponnages que tout cela, ravauderies et billevesées, battologies et trivelinades, âneries et calembredaines, radotages et fariboles !" se dit-elle. »
Souvent une certaine mélancolie affleure, teintée d’une réelle métaphysique :
« Sur le quai, des tas d’êtres humains tout noirs attendaient. On aurait dit du papier à mouches. Le jour, un peu abruti, n’était pas encore bien levé. L’air, parfaitement purifié par la nuit, recommençait à puer légèrement. À chaque instant, le nombre des attendants augmentait. Les uns ouvraient à peine des yeux rongés par le sommeil ; d’autres semblaient plus bas que jamais. Beaucoup étaient frais et dispos. Et presque tous avaient un journal à la main. Cette abondance de papier ne signifiait rien. »

« " C’est ça la vie, c’est ça la vie, c’est ça la vie." »

« Ils s’enfoncent dans leurs destins réciproques comme des crevettes dans le sable, ils s’éloignent et, pour ainsi dire, meurent. »
Une grande scène, celle des noces, qui se terminent par une macabre agonie :
« Elle ne saurait plus tarder ; l’autocar qui la transporte fend l’air ; sa carrosserie trépide d’impatience ; tel un cheval fougueux transportant sur son dos un capitaine de gendarmerie qui craint d’arriver à l’école du soir quand le cours de versification sera terminé, ainsi le puissant quadricycle emporte la noce joyeuse vers son destin, en avalant des kilomètres et en chiant de la poussière, rugissant comme un lion et ronflant comme un dormeur enrhumé. Il égrène un à un les villages de la route et bondit par-dessus les fossés, les ornières et les caniveaux ; les bicyclistes ne le font pas reculer, il aplatit les poules de son pneu increvable, les virages fascinés se laissent prendre à la corde, il foudroie la campagne et subjugue la ville, l’intelligent l’admire autant que l’imbécile. »

« C’est comme moi. I reste du pourri, mais la p’tite voix qui parle dans la tête quand on est tout seul, i n’en reste rien. La mienne quand è s’taira, è r’ parlera pas ailleurs. C’est ça qu’est drôle. C’est pas qu’ ça m’fâche autrement. On s’ passera d’moi. J’ m’en doute bien. Et je m’ passerai bien d’moi-même.
[...]
Bien sûr, y a quéque chose de très simple et tout l’ monde sait ça : la femme Taupe va mourir passque plus tôt ou plus tard, ça finit par arriver et si on vit c’est parce qu’on mourra. Pas vrai ? »
Grinçante caricature des "idéaux" petits-bourgeois :
« "Dans six mois au plus, songe Mme Belhôtel, nous aurons notre petite maison, notre petite maison close. Je la voudrais dans un quartier tranquille et sûr ; une clientèle bourgeoise et fidèle ; sept à huit filles, pas plus ; mais bien choisies. Il y aura tout plein d’or et de velours rouge, et l’on vivra dans l’abondance et le calme et Clovis deviendra ingénieur et il épousera la fille d’un gros industriel et les petits enfants auront une bonne anglaise avec de grandes dents et des rubans bleus flottant sur ses fesses osseuses. »

« Tu vas décrire avec régularité cette splendide trajectoire, Clovis, et rien ne pourrait t’en empêcher. (À moins qu’il ne crève en chemin, mais c’est pas la peine de le lui dire, il est d’un naturel si peureux, il se frapperait.) »
Queneau anticipe aussi la seconde Guerre Mondiale (roman écrit en 1932), avec « charge à la boyaux-nets » :
« Le conflit entre la Gaule et l’Étrurie va probablement tourner en conflagration mondiale. Les Ligures et les Ibères vont sans doute se joindre aux Gaulois ; les Ombriens, les Osques et les Vénètes aux Étrusques. Le peuple polonais a déclaré qu’il soutiendra son alliée de toujours et qu’il mettra sa Vistule à la disposition du gouvermint froncé. »

« Et de nouveau la culture française allait être sauvée, on allait même lui donner du bon engrais à cette culture, quelque chose de soigné, du sang et du cadavre. »
Impossible de ne pas penser à Céline, qui à la même époque publiait Voyage au bout de la nuit
Je suis particulièrement sensible au thème des personnages qui se savent dans un livre (fréquent dans l’œuvre romanesque de Queneau, pour ce que j’en ai lu) :
« ‒ Quel livre ? demandèrent les deux maréchaux errants.
‒ Eh bien, çui-ci. Çui-ci où qu’on est maintenant, qui répète c’ qu’on dit à mesure qu’on l’ dit et qui nous suit et qui nous raconte, un vrai buvard qu’on a collé sur not’ vie.
‒ C’est encore une drôle d’histoire, ça, dit Saturnin. On se crée avec le temps et le bouquin vous happe aussitôt avec ses petites paches de moutte. »
Parfois même le personnage (ou l’auteur ? ici Saturnin) apostrophe le lecteur :
« Gentil, gentil lecteur, soldat zou caporal, moule à gaufre, fesse de farine, je ne te cacherai pas plus longtemps, je suis soûl, soûl comme une vache, salement soûl. »
Le « coupe-œufs-durs-en-tranches-minces » vendu par un camelot, outre un témoignage des foires d’antan, marque l’absurde et le surréalisme qui affleurent dans ce beau roman.
Le titre fait je pense référence à la vie sous forme de reprises têtues, « multiples et complexes », cf. la première-dernière phrase.
Je regrette de n’avoir pas commencé ma découverte de Queneau par ce roman, certainement la meilleure porte d’entrée dans son univers.


mots-clés : #absurde #humour #universdulivre

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Message par animal Dim 19 Aoû - 13:59

Une somme énigmatique !

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Message par Tristram Dim 19 Aoû - 14:04

Il y a beaucoup de choses dans ce chiendent, c'est vraiment une belle découverte, et un vrai régal pour le lecteur !

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Message par colimasson Dim 19 Aoû - 15:08

ça pourrait peut-être me réconcilier depuis Zazie...
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Message par Tristram Dim 19 Aoû - 15:19

Zazie m'avait assez déçu également, à l'époque (scolaire).
Souvent je ne comprends rien au jeu sous-jacent de contraintes dans ses livres, mais là j'ai dû en manquer moins, ou c'était moins gênant !

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Message par bix_229 Dim 19 Aoû - 15:32

Inégales mes lectures de Queneau, mais j' avais aimé Le Chiendent, Les Fleurs
bleues, On est toujours trop bon avec les femmes.
Il a aussi traduit un texte africain qui mérite le détour, L' Ivrogne dans la brousse.
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Message par Invité Dim 19 Aoû - 17:58

Un flop aussi pour moi, Zazie ...
Du coup j'ai laissé de côté l'auteur. C'est parfois un peu cruel de se faire une idée sur un seul livre, mais y a tellement à lire !

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Message par Bédoulène Dim 19 Aoû - 21:22

à te lire Tristram c'est certainement un très bon livre (mais je ne m'amuserais certainement pas autant que toi, manquant de références)

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Message par Tristram Dim 19 Aoû - 21:27

Ah ! c'est moins compliqué que ce que j'en dis !

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Message par Louvaluna Dim 19 Aoû - 22:04

Excellent ! Je note. Et j'aimerais bien le trouver avec la même couverture... drunken
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Message par Tristram Dim 19 Aoû - 22:15

En fait, je l'ai lu sur liseuse, et j'ai choisi cette pochette parce qu'elle correspond bien je trouve !

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Message par Tristram Mar 13 Nov - 22:40

Odile

Raymond Queneau Odile_10

Hautement autobiographique, ce récit reporte chronologiquement (dix ans après) des souvenirs d’armée au Maroc (brièvement), puis un retour à Paris où l’auteur se livre solitairement à de savants calculs mathématiques, fréquente le "milieu", sympathise avec Odile, et rejoint les surréalistes.
« On devait traverser à gué une rivière pour aller chercher la soupe. Ainsi se lavait-on les pieds. L’intérêt de tout ceci n’est que médiocre ; mais enfin, le prologue de ce récit ; et puis, je sais ce que je fais. Je ne raconte pas des histoires à tort et à travers. Donc, c’est ainsi qu’on se lavait les pieds.
Lorsque les supérieurs les eurent jugés suffisamment propres, nous décampâmes et montâmes vers de plus hauts sommets relever un bataillon de je ne sais plus quelle espèce et que l’on devait lancer incessamment à l’attaque. Nous fûmes disséminés dans de tout petits postes ; le nôtre entourait la tombe d’un saint musulman. Une source servait de centre au bataillon et près du village berbère un marchand vendait du vin et des conserves. Nous étions tout près de la frontière du Maroc espagnol et les villages qui se trouvaient devant nous étaient encore en dissidence. On les bombardait de toutes sortes de façons. Au loin, on pouvait voir un grand village qui me paraissait une Mecque. J’espérais que nous irions jusque-là ; le goût des voyages, vous comprenez.
En dehors de la tombe, il y avait un canon et un spécialiste qui tirait avec. Voyait-il deux ou trois Arabes là-bas, qu’il les visait aussitôt et les ratait. Il se distrayait aussi en peignant à l’aquarelle sur des feuilles d’aloès et chantait "il savait mentir pour calmer nos folles alarmes". Cette jeune fille paraissait heureuse. Nous montions la garde devant la tombe du saint et construisions des murettes avec des pierres que défendaient scorpions et serpents, mais seule m’intéressait cette ville où nous n’allâmes pas. »

« G… n’aimait les Arabes que dans la mesure où les Français les opprimaient, car il était communiste. Il n’avait aucune sympathie pour cette civilisation qu’il méprisait en tant que moyenâgeuse. Seules des considérations sur l’impérialisme en tant que dernière phase du capitalisme l’empêchaient de désigner les musulmans au moyen de ces petits mots aimables qu’utilisent d’ordinaire les fiers coloniaux conquérants. »
Le portrait du cercle autour d’Anglarès-Breton, pseudo révolutionnaire imbu de lui-même, donne un plaisant témoignage de la coterie surréaliste où se mêlent médiumnique, croyance aux coïncidences signifiantes et goût pour l’inconscient freudien, ésotérisme sectaire, fumisterie de l’« infrapsychisme » et communisme tendance bourgeoise ‒ « de la chiromancie au stalinisme en passant par le papusisme et la criminologie ».
« Je suis encore parfois attablé avec eux lorsque je regarde mes images, mais ce sont des spectacles qui s’effacent de plus en plus devant l’indifférence sous laquelle maintenant ils reposent. »

« On vida Chènevis [Eluard] de L’Humanité quand on l’entendit (avec quelle stupeur) soutenir (singulière imprudence) que la Révolution devait s’inspirer des états contra-rationnels tels que le rêve, l’ivresse et certaines formes de la folie. Le scandale fut considérable et Saxel [Aragon] blâma Chènevis. Puis Vachol [Péret] fit une non moins mauvaise impression en déclarant que chaque ouvrier devait se faire un devoir d’assommer chaque prêtre qu’il rencontrerait sur son chemin : on le prit sinon pour un agent provocateur, du moins pour un énergumène. Saxel blâma Vachol. Enfin Anglarès se fatigua très vite d’aller à sa cellule, une cellule de rue où il ne rencontrait que des concierges et des cafetiers qui regardaient avec suspicion le large cordon noir qui retenait son binocle, ses cheveux balayant ses épaules et sa vêture mi-salon de la rose-croix et mi-ère du cocktail. »

« Lorsque j’eus appris toutes ces petites choses, je m’aperçus que je n’étais pas sorti du domaine du presque rien. »
Dans la sorte de détachement et d’attraction de l’échec qui caractérisent la vie de l’auteur en cette période (soit entre 1927, retour de l’armée, et 1932, voyage en Grèce), les expériences du monde des mathématiques, de la petite pègre comme de la mesquine bouffonnerie du cénacle surréaliste, ne font pas sens.
« Je perdis alors plus d’une fois la trace de mon existence et mon délire prenait forme de chiffres et ces chiffres exprimaient des nombres aux propriétés hostiles et malveillantes. Ils se coagulaient, ils se dissolvaient, ils se diversifiaient, ils se corrompaient comme de vulgaires êtres vivants ou des produits chimiques. Ils s’agitaient éperdument sans que j’intervinsse en rien dans leurs voltes et leurs chassés-croisés. »
Odile est un personnage un peu mystérieux, ou plutôt le rapport du narrateur à elle : il est hors de question pour lui (d’accepter l’idée même) de l’aimer, alors qu’il ira jusqu’à l’épouser (pour la « délivrer ») :
« ‒ Je ne regarde plus autour de moi, me disait-elle, ni au-dessus, ni au-dessous. Nulle part. Je vais où je vais : nulle part. C’est dans votre genre.
‒ Oui, ça me ressemble. C’est vrai, ça me ressemble.
‒ On est copains alors ?
‒ On est copains, dis-je, »
(Janine Kahn sera la femme de Raymond Queneau, sa sœur Simone ayant été l’épouse d’André Breton...)

Voici peut-être une clé de l’œuvre quenienne à venir :
« Prenez cet autre exemple : l’inspiration. On l’oppose à la technique et l’on se propose de posséder de façon constante l’inspiration en reniant toute technique, même celle qui consiste à attribuer un sens aux mots. Que voit-on alors ? l’inspiration disparaître : on peut difficilement tenir pour inspirés ceux qui dévident des rouleaux de métaphores et débobinent des pelotes de calembours. Ils se traînent dans le noirâtre espérant y déterrer les marteaux et les faucilles qui briseront les chaînes et sectionneront les liens de l’humanité. Mais ils ont perdu toute liberté. Devenus esclaves des tics et des automatismes ils se félicitent de leur transformation en machine à écrire ; ils proposent même leur exemple, ce qui relève d’une bien naïve démagogie. L’avenir de l’esprit dans le bavardage et le bredouillement ! J’imagine au contraire que le vrai poète n’est jamais "inspiré" : il se situe précisément au-dessus de ce plus et de ce moins, identiques pour lui, que sont la technique et l’inspiration, identiques car il les possède suréminemment toutes deux. Le véritable inspiré n’est jamais inspiré : il l’est toujours ; il ne cherche pas l’inspiration et ne s’irrite contre aucune technique.
Sans doute était-ce un tel poète cet Arabe que je vis un jour sur la route de Bou Jeloud à Bab Fetouh en longeant les murs de la ville. Il avait plu mais le soleil séchait la boue du chemin. Dans les dernières flaques d’eau je voyais se dissiper les derniers nuages. Rien ne me permettait de penser ainsi mais j’attribuais à cette image des vertus de significations multiples. »
Ainsi marqué par son expérience nord-africaine, avec cette image récurrente qui fixe sa dépression, il accepte un voyage en Grèce ; et de même que l’histoire a commencé dans le Rif, elle finit dans un théâtre antique proche d’Athènes.
« Mon histoire finit là. Après cela j’ai continué à vivre : naturellement ; ou plutôt j’ai commencé ; ou bien encore : j’ai recommencé. »
Et Queneau commence dans une île grecque l’écriture de Le chiendent, son premier roman, avant de revenir en France, vers Odile.

Question style, si l'ensemble est conventionnellement réaliste, à signaler quand même une belle liste des recrues potentielles d’Anglarès, qui souhaite « regrouper toutes les sectes éparses et tous les groupes dispersés » :
« les polysystématiseurs
les co-matérialistes phénoménophiles
les télépathiciens dialecticiens
les sympathisants piatiletkiens non réformés
les anthroposophes discordants
les dysharmonistes plurivalents
les Yougoslaves anticonceptionnels
les médiumnistes paralyriques
les fanatiques irrésolus partisans de l’ultra-rouge
les spirites incubophiles
les révolutionnaires asymétriques purs
les polypsychistes intolérants
les terroristes antifascistes promussoliniens d’extrême-gauche
les fruitariens antiflics
les métapsychistes incoordonnés
les pararchistes disséminés
la ligue pour les barbituriques
le comité de propagande pour la psychanalyse par correspondance
le groupe Édouard Salton
les socio-bouddhistes dissidents (déjà cités)
les phénoménologues néantisseurs en inactivité
l’association des anti-intellectuels révolutionnaires
les révoltés nullificateurs intégraux
les syndicalistes antimaconniques initiés
et trente et un groupements belges. »




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Message par ArenSor Mer 28 Nov - 18:24

A mon avis, Queneau est un auteur mésestimé actuellement.
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Message par bix_229 Mer 28 Nov - 19:45

Peut etre parce que son style oscille entre novation et recherche et par ailleurs, l'attachement à un style plus conventionnel.
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