Raymond Queneau
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Re: Raymond Queneau
L’incipit tiré d’Hegel incite à suspecter un niveau philosophique à ce livre :
Dans les années trente à Bordeaux : des deux sœurs Ségovie, seule Chantal est mariée, et son aînée, Julie (ou Julia), mercière, décide d’épouser Valentin Brû, seconde classe depuis cinq ans, bien qu’il soit nettement plus jeune qu’elle. Valentin, curieusement absent des registres de l’armée, n’est pas trop futé, et accepte le mariage avec cette femme de caractère (mari obéissant, il partira seul en voyage de noces à Bruges-la-Morte, parce que c’est la haute saison en mercerie...). Puis il se met avec enthousiasme au commerce de l'encadrement dans la boutique parisienne que lui cède sa belle-mère avant de mourir ; il s’émancipe progressivement dans son oisiveté relative, s’instruisant grâce à Marie-Claire, « son magazine (féminin) ». Ses clients et autres familiers se confient à lui, alors qu’il ne sait pas encore que son épouse est devenue Madame Saphir, la diseuse de bonne aventure du quartier ; lorsque son commerce périclite et que Julie tombe paralysée, il la remplace…« …c’est le dimanche de la vie, qui nivelle tout et éloigne tout ce qui est mauvais ; des hommes doués d’une aussi bonne humeur ne peuvent être foncièrement mauvais ou vils. »
Valentin essaie de suivre la grande aiguille de l’horloge sans s’égarer dans une rêverie.« − T’en fais pas, dit Julia, quand les gens ont décidé de marcher y a plus moyen de les arrêter. C’est plus de la connerie, c’est de la rage. »
Valentin suit (toujours sans sa femme) un circuit touristique en Allemagne sur le thème des victoires napoléoniennes (dont Iéna). Son antienne a toujours été que la future guerre va arriver, et il est remobilisé, comme bien d'autres qui n'y croyaient pas...« Valentin suit toujours la marche de la grande aiguille, mais il sent bien qu’il n’ira pas loin, écrasé par le poids des mots et des images. »
« Le temps qui passe, lui, n’est ni beau ni laid, toujours pareil. Peut-être quelquefois pleut-il des secondes, ou bien le soleil de quatre heures retient-il quelques minutes comme des chevaux cabrées. Le passé ne conserve peut-être pas toujours la belle ordonnance que donnent au présent les horloges, et l’avenir accourt peut-être en pagaye, chaque moment se bousculant pour se faire, le premier, débiter en tranches. Et peut-être y a-t-il du charme ou de l’horreur, de la grâce ou de l’abjection, dans les mouvements convulsifs de ce qui va être et de ce qui a été. »
Le langage populaire et les personnages remarquablement rendus, de la bêtise benoîte de Paul le beau-frère fonctionnaire pingre à grandes oreilles qui se pique le nez (il faut reconnaître qu’il doit pourvoir à l’avenir de sa fille Marinette, qui a une réputation de garce − mais n’apparaît jamais −, et qu'il se reconvertira comme cadre dans l'industrie des crosses de fusil) dont le nom de famille varie comiquement (de Butugra à Batugra en passant par Babagras, etc.), à un petit peuple plus vrai que nature (voir notamment le personnage de Jean-sans-Tête le simple d’esprit), donnent à ce roman une atmosphère franco-française (le bistro est incontournable, on est un peu médisant et/ou xénophobe) bourrée d’humour affectueux. Centrée sur le quartette des deux sœurs et de leur mari respectif, plus particulièrement Valentin, la vie est rapportée simplement, avec autant de bonhomie que d’esprit.
C’est drôle, du bon Queneau, gouleyant à souhait ! Tu devrais essayer, Bédoulène, ça se lit aisément, un pur plaisir !
\Mots-clés : #humour #viequotidienne #xxesiecle
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15950
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Re: Raymond Queneau
Incipit :
Sally Mara est une jeune irlandaise qui apprend le gaélique pour écrire un roman dans cette langue ; mais, par goût pour son professeur de français reparti en France, elle rédige son Journal intime (1934 et 1955) dans la nôtre, qu’elle manie avec des méprises comiques et souvent vertes, voire salaces, alors qu’elle est encore bien niaise…« Il n'est pas souvent donné à un auteur prétendu imaginaire de pouvoir préfacer ses œuvres complètes, surtout lorsqu'elles paraissent sous le nom d'un auteur soi-disant réel. »
Son journal retrace ses progrès dans une curieuse initiation sexuelle.« …] moi qui ai toujours voulu mettre la forme bien au-dessus du fondement [… »
« C'est une épopée fantastique : Le Combat des Asperges contre les Moules, un peu dans le style de la Batrachomyomachie d'Homère, des Voyages de Gulliver de Lewis Carroll et de l'Ale maniaque de Vermot.
Maman l'a lu, elle a trouvé que ça n'avait ni queue ni qu'est-ce. »
Caractéristiques d’une époque, l’érotisme passe par la fessée, le pince-fesses et autres claques sur la croupe.« Observé l'outil d'un âne. C'est quelque chose. Mais à quoi cela peut-il bien lui servir ? Pas à casser des noisettes tout de même. On n'attribue aucune industrie spéciale à cet animal. Ce n'est pas comme le castor qui fait des barrages avec sa queue. »
« Pourquoi ne m'a-t-il pas entraînée derrière un taillis ? S'il l'avait fait, qu'aurais-je fait ? Et si je l'avais fait, qu'aurions-nous fait ? »
« Si un type quelconque me tombait sous la main, je crois bien que je lui tirerais les oreilles. Et le paf. Non, le pif. Comme le français est une langue difficile. »
Sally a un frère ivrogne (bière et ouisqui), une sœur plus jeune qui étudie pour être postière, un père longtemps disparu pour chercher des allumettes et une mère un peu simplette, qui tricote des chaussettes pour son mari, qu’il soit là ou pas.« Encore un qui, sous prétexte de discipline et de morale, voulait me mettre la main au tutu.
Il recula sa chaise et m'ordonna de venir près de lui. Le con. Encore un général Dourakine à la manque. Et tout patriotard irlandais qu'il fût, encore un fanatique de l'éducation britannique. »
« À la messe (j'y vais de plus en plus rarement) ou dans le tramway, c'est bien rare que je ne me fasse pas pincer les fesses deux ou trois fois. »
Regard stéréotypé sur la verte Erin,
… et cuisine traditionnelle :« Il y avait simplement un peu moins de brouillard sur Dublin, mais l'odeur de Guinness était plus intense. »
Journal intime est suivi de On est toujours trop bon avec les femmes, que j’ai lu et commenté auparavant, et de Sally plus intime, recueil souvent leste de calembours, contrepèteries, citations bizarres (vraies pour ce que j’ai pu vérifier) et autres jeux de mots, y compris une savoureuse Arithmétique affective.« On a mangé des harengs au gingembre, du lard aux choux, un disque de fromage de dix livres et une tarte aux algues. »
« …] il y avait un petit dîner, une soupe aux choux, quelques mètres de boudin avec des pommes de terre au lard, un disque de dix kilos de fromage et une tarte aux algues et à la margarine [… »
« Il y avait du merlan à déjeuner. Mary a eu la fantaisie de mettre un peu de sel dessus (d'habitude nous mettons du sucre, à l'anglaise). Ça a mis papa en fureur, il s'est jeté sur elle et l'a sévèrement corrigée. »
« Prends l'humour et tords-lui son cul. »
« De l'usage des mots :
On aime le camembert et l'on ne dit pas à un camembert : je t'aime. »
\Mots-clés : #conditionfeminine #humour
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Tristram- Messages : 15950
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Re: Raymond Queneau
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21712
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Re: Raymond Queneau
Poème pour la postérité Ce soir, Si j'écrivais un poème pour la postérité ? fichtre la belle idée ! je me sens sûr de moi j'y vas et à la postérité j'y dis merde et remerde et reremerde drôlement feintée la postérité qui attendait son poème. ah mais ! (L'instant fatal) | |
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
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Re: Raymond Queneau
Début d’un roman non terminé, où on découvre avec grand plaisir Eleazard Hazard le vieux savant et Sulpice Fissile, secrétaire du banquier Minoff (qui est lecteur d’ouvrages d’occultisme), le clown (« clàoun ») Calvaire Mitaine, le magicien Funeste Agrippa, Adrien le domestique de Pierre Réussi (ce dernier rapidement trucidé), « le célèbre détective français » Florentin Rentin, Jim Jim le boxeur nègre à l’accent alsacien, Jacqueline Pi 1416, un orang-outan et un petit bonhomme de cristal qui, brisé, veut être enterré dans « un cercueil de chair »… et les pieuvres du golfe de Guinée.
C’est désopilant, et les personnages, comme l’auteur, interviennent directement dans un récit dont ils ont conscience qu’il en sont un.« Et dire que ce salaud d’auteur a fait de moi une sorte de Paillasse ridicule. Il déteste les clowns, cet imbécile. Mais je lui revaudrai ça et je lui ferai rater les chapitres les plus palpitants. »
Leurs aventures abracadabrantes sont fortement inspirées de Fantômas, et vers la fin seulement indiquées dans les notations cursives du work in progress :« "− C’est fou, Jacqueline. Mon revolver vient de disparaître.
− Qu’a-t-il emporté avec lui ?
− Rien, c’est ce qui m’inquiète. Et personne que je puisse soupçonner.
− C’est que vous manquez d’imagination."
(Je prie le lecteur d’apprécier les répliques de Jacqueline, spirituelles et pleines d’esprit. C’est bien une brave petite Française. Reprenons.) »
« Non, non, le moment n’est pas aux lieux communs. Là où le langage se soulage. »
L’imagination est rocambolesque, farfelue, et même surréaliste, un peu à la manière d’un Vian.« Et s’il me plaît à moi de changer le nom de mes personnages ?
Sulpice Fissile sera Clotaire d’Eu et Prosper Minoff sera Virgile Mieux. Adrien sera monsieur Fromage et Jacqueline se nommera Etiennette Cimetière.
D’autre part, je ne sais plus où j’en suis. Non merde. Voilà trois mois à peu près que j’ai arrêté les frais de ce petit roman. Alors où suis-je ? Je, donc, pense en être à une sorte de poursuite. »
Un régal, malheureusement inachevé…« Au Ve siècle, une beste fort redoutable ayant l’aspect d’un serpent fort long, mais ayant une sorte de parement de peau noire assez semblable à une soutane et une arête ronde comme un chapeau de curé, ravagea les environs de Limoges. Elle avait plusieurs centaines de kilomètres de long, un jour on la tua (méthode de la séparation du fondement) et on la plaça dans une glacière. Il y avait tellement à manger dedans que l’on déguste encore sa viande et, gratuitement, dans tout Limoges, et qu’il y en a encore pour plusieurs siècles. »
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Tristram- Messages : 15950
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Re: Raymond Queneau
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Bédoulène- Messages : 21712
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Re: Raymond Queneau
Recueil par l’auteur d’articles datés des années trente.
Dans la présentation de l’ouvrage, Queneau donne le verdict suivant :
Ce sont d’abord, en première partie, des comptes rendus de lectures dans de nombreux domaines, où alternent l’érudition et le vitriol.« …] toute littérature digne de ce nom se refuse au relâchement : automatisme scribal, laisser-aller inconstructif, etc. »
Dans la seconde partie sont réunis des billets d’humeur.« Enfin signalons la table des matières qui permet de fermer avec soulagement un livre qu'il était inutile d'ouvrir. »
Intéressant article sur la première publication (à Paris) de Tropique du Cancer (Henry Miller).« Parmi les rares essais de compréhension qui ont été tentés de la mythologie hellénique, un des plus célèbres et des plus remarquables est celui de Nietzsche qui décrivit admirablement l'esprit apollinien et l'instinct dionysiaque, leur antagonisme et leur conciliation dans la tragédie attique. »
Critique de la littérature du moment, notamment du surréalisme, et s’attaquant tout particulièrement au « goût de l'inachevé », des esquisses et des inédits ; réprobation aussi de la facilité, du rôle de l’inconscient (la psychanalyse est en vogue), de la prétendue inspiration.
Queneau se montre assez « réactionnaire », et certains de ses points de vue sont discutables, voire limités.« Les naturalistes ont été des chapeliers qui se sont contentés de prendre l'empreinte de la tête et s'en sont tenus là. L'art pour l'art a consisté à faire des chapeaux pour le musée de la chapellerie. Les poètes expérimentateurs se sont évertués à fabriquer des couvre-chefs systématiquement inutilisables. La littérature de parti a cru bien faire en plantant dans de vieilles casquettes ou de vieux bérets de petits drapeaux rouges ou tricolores.
Il s'agit de faire et de bien faire quelque chose qui vaille d'être fait. Un bon et beau chapeau par exemple.
Or, l'œuvre d'art en étant simplement cela est aussi par là-même un chapeau magique qui va à toutes les têtes et à chacune selon sa capacité ; et donne à ceux qui le mettent force et valeur. »
« Le classique véritable n'a pas besoin d'être néo pour être classique. Son sens même est d'être une nouveauté continuelle : renouvellement constant, de générations en générations, des œuvres anciennes ; originalité réelle des œuvres nouvelles. Et cette originalité repose toujours sur une connaissance de la tradition et des œuvres anciennes ; l'imitation en est toujours la source. Imiter, c'est le seul moyen de faire du nouveau et d'être à la fois à hauteur des anciens et de son époque. »
« Ainsi, simplement, le travail du Poète, et du Prosateur, consiste à collaborer à l'établissement, au fondement, au développement et à l'embellissement du langage de ceux qui parlent la même langue que lui. »
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Re: Raymond Queneau
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