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Salman Rushdie

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initiatique - Salman Rushdie Empty Salman Rushdie

Message par topocl Sam 10 Déc - 9:44

Salman Rushdie
Né en1947


initiatique - Salman Rushdie 800px-12

Ahmed Salman Rushdie, né le 19 juin 1947 à Bombay, est un écrivain britannique d'origine indienne. Son style narratif, mêlant mythe et fantaisie avec la vie réelle, a été qualifié de réalisme magique. Objet d'une fatwa de l'ayatollah Rouhollah Khomeini à la suite de la publication de son roman Les Versets sataniques, il est devenu un symbole de la lutte pour la liberté d'expression et contre l'obscurantisme religieux.

Rushdie quitte son pays à l'âge de quatorze ans pour vivre au Royaume-Uni. Sa langue maternelle est l'ourdou, mais la majeure partie de son œuvre est écrite en anglais. Sa carrière d'écrivain débute avec Grimus, un conte fantastique qui passe inaperçu. En 1981, il accède à la notoriété avec Les Enfants de minuit pour lequel il est récompensé du James Tait Black Memorial Prize et le Booker Prize. Les Enfants de minuit a plus tard été désigné comme le meilleur roman ayant reçu le prix Booker au cours 40 dernières années. Après ce succès, Rushdie écrit un roman, La Honte, dans lequel il décrit l'agitation politique au Pakistan et dont les personnages sont inspirés de Zulfikar Alî Bhutto et du général Muhammad Zia-ul-Haq.

En novembre 1993, à la suite d'une vague d'assassinats d'écrivains en Algérie, il fait partie des fondateurs du Parlement international des écrivains, une organisation consacrée à la protection de la liberté d'expression des écrivains dans le monde.
Salman Rushdie s'oppose au projet du gouvernement britannique d'introduire en droit le crime de haine raciale et religieuse, ce qu'il a exposé dans sa contribution La libre expression n'est pas une offense, un recueil d'essais publié par Penguin en novembre 2005.

En juin 2007, Salman Rushdie reçoit le titre de chevalier par la reine d'Angleterre. Cette distinction provoque la colère du Pakistan. Le ministre des Affaires étrangères, Ijaz Ul-Haq, estime que cette décoration pourrait justifier des attentats-suicide. Ces protestations officielles sont accompagnées de manifestations au Pakistan où des effigies de la reine Élisabeth II et de Salman Rushdie sont brûlées. L'Iran condamne également cette distinction et des voix politiques et religieuses rappellent que la fatwa contre l'écrivain est toujours en vigueur. D'autres réactions ont eu lieu en Égypte, en Malaisie, en Afghanistan et en Inde.

L'affaire des versets sataniques
En 1988, la publication des Versets sataniques soulève une vague d'indignation dans le monde musulman, en raison de sa description jugée irrévérencieuse du prophète Mahomet. Le livre décrit un prophète de Dieu nommé « Mahound » qui mélange des « vers sataniques avec le divin ». L’Inde bannit le livre, imitée par l’Afrique du Sud puis par le Pakistan, l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Somalie, le Bangladesh, le Soudan, la Tunisie, la Malaisie, l’Indonésie et le Qatar les semaines suivantes. Le roman est l'objet d’un autodafé à Bradford au Royaume-Uni. Le 12 février, cinq personnes sont tuées par la police pendant une manifestation à Islamabad contre l'ouvrage.

Le 14 février 1989, une fatwa réclamant l’exécution de Rushdie est émise sur Radio Téhéran par l’ayatollah Rouhollah Khomeini, guide de la révolution de l’Iran. Il le condamne aussi pour apostasie, ce qui, selon l'interprétation actuelle majoritaire d'un hadith, est passible de mort. Khomeini précise que c’est désormais la responsabilité de tout musulman d’exécuter Rushdie et ses éditeurs.
À la suite de cette déclaration, une récompense est offerte pour la mort de Rushdie, qui est contraint de vivre dès lors sous une protection financée par les autorités britanniques. Le 11 juillet 1991, le traducteur japonais de Rushdie est poignardé à mort ; son traducteur italien avait été poignardé à Milan quelques jours plus tôt. En 1993, son éditeur norvégien survit de justesse à plusieurs coups de feu. Le 2 juillet 1993, trente-sept personnes sont tuées lorsque leur hôtel à Sivas en Turquie est incendié par des manifestants contre Aziz Nesin, le traducteur turc de Rushdie.

En octobre 1992, Rushdie fait sa première apparition publique depuis la fatwa lancée contre lui, à Helsinki, dans le cadre de l’assemblée annuelle du Conseil nordique, au côté de Bernard-Henri Lévy, qui lui cédera son temps de parole.

Le 24 septembre 1998, le gouvernement iranien annonce officiellement son renoncement à accomplir la fatwa, mais déclare qu'elle ne pouvait être annulée selon la loi islamique. Même si la menace de mort qui pèse sur lui n'est pas pour autant relevée, Rushdie abandonne alors son nom d'emprunt Joseph Anton.
Après la mort de Khomeini en 1989, Rushdie a publié un essai en 1990, De bonne foi, en signe d’apaisement et a publié des excuses dans lesquelles il a réaffirmé son respect pour l’islam.
source : wikipédia

Œuvre en français

Romans
- Grimus, 1975,
- Les Enfants de minuit  1981
- La Honte  1983
- Les Versets sataniques , 1988
- Le Dernier Soupir du Maure , 1995
- La Terre sous ses pieds, Plon, 1999
- Furie , 2001
- Shalimar le Clown, 2005
- L'Enchanteresse de Florence, 2008
- Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits,  2015
- La maison Golden, 2017
- Quichotte, 2019

nouvelles
The Prophet's Hair, 1981
Est, Ouest, 1994

Essais
- Le Sourire du Jaguar, 1987
- Patries imaginaires, 1992
- Franchissez la ligne, 2002

Autobiographie
- Joseph Anton, 2012

Littérature d'enfance et de jeunesse
- Haroun et la mer des Histoires, 1991
- Lukas et le feu de la vie, 2010


Dernière édition par topocl le Sam 10 Déc - 9:48, édité 1 fois

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Message par topocl Sam 10 Déc - 9:48

Joseph Anton, une autobiographie

initiatique - Salman Rushdie Images59

...ou… comment la réalité dépasse (et de loin) la fiction, nous rappelle que nous vivons dans un monde de dingues, de lâches et de courageux, où nous avons tort de dormir sur nos deux oreilles .

Vous n’avez rien compris à la fatwa lancée contre Salman Rushdie ? Vous saurez tout. Vous croyez tout en savoir ? Vous en saurez encore plus. Salman Rushdie a décidé de tout dire, de A à Z, de haut en bas, de gauche à droite, sans laisser passer un détail, sans oublier un nom, une anecdote ou une péripétie. Cela donne une impression de logorrhée obsessionnelle qui est assez jubilatoire, et curieusement, malgré 724 pages fort copieuses, on ne se lasse pas, on accroche à ce récit tout à fait passionnant. On a curieusement en même temps l’ impression que Salman Rushdie est à côté de nous pour nous raconter cette histoire, avec une vivacité qui évoque l’oralité, mais que c'est aussi formidablement écrit, avec un style époustouflant.

Salman Rushdie explique comment on vit, comment on aime (ses femmes, ses fils, ses amis…)ou déteste (quelques règlements de comptes affûtés), comment on écrit, publie, et surtout comment on se bat dans une situation aussi tragique, à la fois kafkaïenne et ubuesque et cela nous donne un récit palpitant, un thriller qu’on a du mal à lâcher, un roman d'aventures des temps modernes.

Mais il ne s'en tient pas la, c'est aussi une profonde réflexion sur qu’est ce écrire, qu'est-ce qu’exprimer sa liberté, qu’ est ce qui est acceptable et y a t’il des choses qui ne le sont pas, jusqu'où mener un combat, et en même temps un grand cri d'alarme face aux fondamentalistes terroristes, et donneurs de leçons en tous genres.

Et cela finit en apothéose, sur fond de 11 septembre, pour nous expliquer ce que la littérature a bien compris, que les hommes sont multiples, profonds, complexes, et que cette complexité même leur donne toujours la possibilité d'avoir quelque chose en commun, au contraire de ce que peuvent dire tous les nationalistes et extrémistes religieux, et que c'est pour ça que la littérature, ou l'art, doivent être protégés, parce qu’ils sont un pont entre les hommes et que sans eux, nous ne survivrons pas.

Salman Rushdie alias Joseph Anton dresse de lui-même un superbe portrait tout en complexité, alternativement humble et arrogant, généreux ou insupportable, adolescent ou réfléchi, un homme que le destin a malmené et dont il parle avec recul, intelligence, humour, sans complaisance aucune. Un homme qui n’a (presque) jamais cessé d’écrire :


   Il était très ému parce que l'achèvement du Dernier soupir du Maure, plus encore que celui de Haroun et la mer des histoires, était une victoire qu'il avait remportée sur les forces obscures. Même s’ils le tuaient maintenant ils ne pourraient pas le vaincre. Il n'avait pas été réduit au silence. Il avait continué d'écrire

…ni de se battre :

   Mais il savait qu'il devait continuer et qu'il allait le faire, calquant sa conduite sur celle de l'irrésistible Innommable de Beckett. Je ne peux pas continuer. Je continue

et qui se retourne sur son histoire en refusant qu'elle ne lui dicte sa vie :

   
Ce ne serait pas comme avant mais ce serait bien


Je ne peux reprocher qu'une chose Salman Rushdie aujourd'hui, c’est qu’il m'a donné envie de relire tous ses livres dont on suit avec éblouissement l'élaboration.

(commentaire rapatrié)


mots-clés : #autobiographie

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Message par bix_229 Sam 25 Mar - 20:04

Bine dit, Topocl !
Un grand livre !
Une somme sur la liberté d' expression face au fanatisme religieux et politique.


"Cher lecteur,

Merci pour ces bonnes paroles sur mon travail.
Puis-je me permettre de rappeler cette vérité élémentaire, à savoir que la liberté d' écrire est
étroitement lié à la liberté de lire, et que vous lectures ne doivent pas etre choisies, interdites
ou censurées par quelque clergé ou Communauté Outragée que ce soit.
Depuis quand une oeuvre d' art doit-elle etre définie par ceux qui e l' aiment pas ?
La valeur de l' art est dans l' amour qu' il engendre, pas dans la haine.
C' est l' amour qui fait durer les livres. Ne cessez jamais de lire."

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Message par Marie Dim 26 Mar - 4:11

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Les enfants de minuit
traduit de l'anglais par Jean Guiloineau

J'ai fini. J'ai fini, et trouvé que la lecture suivante manquait un peu.. d'épices?
Alors, il était une fois..
Non, je ne crois pas que ce soit un roman que l'on puisse résumer brièvement.
Sinon, il faudrait parler de quoi? D'un garçon de 30 ans, plein de fissures qui se creusent de plus en plus, Saleem Sinaï dit Morve au nez (il a bien d'autres qualificatifs). Qui , s'efforçant de conter plus vite que Shéhérazade , va raconter son histoire, celle de sa famille, celle de ses pays, l'Inde et le Pakistan.
Il faudrait parler des trous, trous dans les draps, trous dans les estomacs, de fragments, fragments de corps aimés successivement ou représentatifs d'un individu, nez, oreilles, genoux. du mercurochrome et du sang. Des crachoirs incrustés de lapis -lazulis. Des mères qui ne sont pas les vraies mères mais qui seront les vraies grands-mères. Et bien, oui. C'est comme cela.

Bien sûr de ce qui s'est passé le 15 août 1947 à minuit et dans l'heure qui a suivi. Des tétrapodes, de la lettre du Premier ministre, des serpents ( il y en a beaucoup) , du Singe de cuivre (qui ,après avoir chanté mange du pain au couvent, mais..chut! ), de l'importance des coffres à linge et des chutes de vélo dans le parcours d'une existence,
Des mille et un enfants de minuit, de leurs congrès et de leurs pouvoirs. Dont deux en particulier, Shiva, bien sûr et Parvati la Sorcière. De la Veuve dont les cheveux sont séparés par une raie au milieu, verts sur la gauche, noirs sur la droite. De la Veuve qui stérilise.. D'une confession , de cinéma indien, de cors aux pieds, de caves et de tapis.
De guerres qui détruisent les familles, de soldats de religion différentes ( à certains on promet au ciel quatre houris magnifiques , à d'autres d'être réincarnés en blattes ou en scorpions, ça change la donne, quand même) . De jungle et du bouddha qui tient le rôle du chien …Et du fameux chutney vert, le seul, l'unique, mais la recette, alors là..
Compliqué? Pas vraiment, qui est donc ce Saleem?:
Ma réponse: je suis la somme totale de tout ce qui m'a précédé, de tout ce que j'ai été, de tout ce qu'on m'a fait. Je suis tout le monde, toutes les choses dont la venue au monde fut affectée par la mienne. Je suis tout ce qui arrivera quand je ne serai plus et qui ne serait pas arrivé si je n'étais pas venu. Et je ne suis pas particulièrement exceptionnnel dans ce domaine; chaque « moi » , chacun des plus des six cent millions que nous sommes maintenant contient une multitude semblable. Je le répète pour la dernière fois: pour me comprendre, vous devez avaler tout un monde.

Saleem, en racontant son histoire , nous raconte l'histoire de l'Inde et du Pakistan, ses gouvernements successifs, ses guerres, ses classes sociales, ses modes de vie.
Tout cela semble un peu confus? Raconté par moi, je ne le conteste pas! Mais je ne suis pas Salman Rushdie , qui parvient ,dans la construction de cette épopée,de ce fleuve littéraire très agité, non seulement à nous tenir constamment en haleine, mais aussi à régulièrement faire des rappels, mises au point, répétitions des thèmes récurrents métaphoriques principaux.
Ce n'est pas compliqué, c'est dense, burlesque, très drôle, vif, coloré, épicé, la langue est un régal( excellente traduction de Jean Guiloineau) le rythme est assez infernal, et je n'ai pas ressenti un moment d'ennui.
Par contre, difficile de nier que pour mieux comprendre de quoi il parlait , j'ai dû consulter régulièrement l'histoire plus officielle car les principaux évènements historiques sont dévoilés, distillés, et mêlés à toutes les histoires familiales et digressions de tous ordres.

Mais je ne me fais pas de souci quant à la conservation de cette histoire , prête à être transmise, car c'est à cela que sert la littérature. Elle tient dans " trente bocaux rangés sur une étagère, attendant d'être lâchés dans la nation amnésique ".
"Conserver, après tout, c'est donner l'immortalité; poissons, légumes, fruits, sont embaumés dans le vinaigre et les épices; une certaine altération, une légère intensification du goût ne sont sans doute pas bien graves. L'art consiste à changer la saveur en degré et non en nature; et, par dessus-tout, lui donner forme- c'est à dire sens ( J'ai déjà parlé de ma peur de l'absurdité). Un jour, peut être, le monde goûtera mes conserves d'histoire. Elles pourront être trop fortes pour certains palais, leurs odeurs pourront être trop violentes, des larmes pourront en venir aux yeux; j'espère cependant qu'il sera possible de dire d'elles qu'elles ont le goût authentique de la vérité..qu'elles sont, en dépit de tout, des actes d'amour."

J'y ai goûté, les ai trouvées tout à fait à mon goût, et me demande pourquoi j'ai mis tant de temps à lire Salman Rushdie!

récup
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Message par topocl Dim 26 Mar - 9:25

Les enfants de minuit

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Il s'agit d'une relecture, et , ça m'ennuie de le dire, je suis un peu déçue. Je n’ai pas retrouvé l’enchantement de ma première lecture, qui, à l’époque, correspondait exactement à l'enthousiasme exprimé plus haut par Marie dans son excellent commentaire. Là, j'ai eu, par moments, des accès d'ennuis, ou une vague sensation d’indigestion face à cette logorrhée aux redondances obsessionnelles et assumées. Je ne dois pas être en super-forme et  c’est une lecture exigeante. Je ne voudrais pas que cela décourage d’éventuels autres lecteurs, car, si je passe en mode objectif, je ne peux que reconnaître que ce livre est un monument, monument de littérature, monument de créativité, monument d’humour. À propos de monuments, avec ce roman, qui est la parole d'un musulman impertinent en Inde et au Pakistan, on évoquera paradoxalement un temple hindou, avec ce que cela implique de tradition, mais aussi de quotidien intimiste et passionné, de folie exubérante, de créativité provocatrice, de sagesse et d'humour. Itinéraire d'un homme, d'une famille, et de deux  pays à travers le siècle, raconté par un écrivain qui se raconte écrivant,  siècle Les enfants de minuit est le livre d'un conteur géant, filou et facétieux, dont l'intelligence, l'imagination et l'humour fleurissent à chaque page : ne tenez donc pas compte de mes réserves chagrines, et essayez-le, un jour où vous n’aurez pas envie d’un délicat roman intimiste !

(commentaire récupéré)

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Message par Tristram Mar 20 Mar - 14:22

La terre sous ses pieds

initiatique - Salman Rushdie La_ter11

Vina Apsara, star pop à la voix irrésistible, aime le génie musical Ormus Cama qui crée leur célèbre groupe rock, qui l’a découverte, puis perdue, la recherche et la retrouve, fou d’elle. Leur romance épique est narrée par Rai, ami d'enfance d'Ormus dans le Bombay des années 1950, et amant secret de Vina, qui les suit dans leur ascension en Angleterre puis aux USA, et sur toute la planète.
Ça c’est le pitch du scenario, mais il est réducteur. Le personnage principal, ce sont les mythologies indienne, grecque, en fait d’un peu partout, y compris nord-américaine (celle du showbiz), juxtaposées en une mythologie globale (mais plus dionysiaque qu’apollinienne), avec leur fondement de tragédie et destinée, et des refrains comme « Ce n’est pas ça qui devait arriver. » Avec toujours le mythe vivant que forment les deux principaux protagonistes. C’est donc un roman de la démesure, de la folie, de l’hybris, de la passion, soit l’univers mythologique transposé (ou prolongé, ou se perpétuant) de nos jours.
Un des centres est le mythe d’Orphée, un autre la culture rock, un autre encore celle de la photo (soit un monde qui imagine beaucoup, l’imaginaire étant la création d’images nouvelles, ce à quoi Rushdie excelle, étudiant la société actuelle en fabulant dessus).
D’autres thèmes sont repris : le jumeau, ou l’autre, le double mort ; la dualité qui ne se résume jamais à elle-même ; « l’amour tardif », quand il est trop tard…
Jusqu’aux tremblements de terre, qui respectent les frontières Nord-Sud, Occident-Orient : nous voici au Nouvel Âge des New Quakers !
Quand les dieux sont morts, et que la terre veut se débarrasser de nous… mais les amants mythiques sont toujours là.

« L’espèce humaine est naturellement, démocratiquement polythéiste, à part l’élite évoluée qui s’est totalement dispensée du besoin de dieux. […]
Quand nous cesserons de croire aux dieux, nous pourrons commencer à croire à leurs histoires. Bien sûr, les miracles n’existent pas, mais s’ils existaient, alors, demain, on se réveillerait pour trouver encore plus de croyance sur terre, plus de dévots chrétiens, musulmans, hindous, juifs, alors bien sûr on pourrait se concentrer sur la beauté des histoires parce qu’elles ne seraient plus dangereuses, elles seraient capables d’inspirer la seule croyance qui mène à la vérité, c'est-à-dire la croyance volontaire et non croyante du lecteur dans le récit bien raconté. » (15)

Rushdie se sert de différents genres, uchronie, anticipation, parodie, et use de jeux de mots, d’onomatopées, d’allusions référant à la politique, la littérature, les musique et cinéma :

« Plus minable que la salle des personnages de films et de séries télé jamais tournés est la pièce des rôles de théâtre non joués, et encore plus lamentable est la Chambre des députés, des trahisons futures, et le bar des livres non écrits, et la ruelle des crimes non commis [… » (4)

Urbanisation cupide de Bombay après l’indépendance :

« Une ville de pierres tombales se dresse sur le cimetière de tout ce qu’on a perdu. » (6)

Déshérence de l’émigré d’Inde à Londres, avant l’Amérique (livre de 1999) :

« Inde, fontaine de mon imagination, source de ma sauvagerie, toi qui m’as brisé le cœur.
Adieu. » (Fin de 8 )

Vision sévère du monde occidental, donc, y compris les USA :

« Cette Angleterre-là, corrompue par le mysticisme, hypnotisée par le miraculeux, les psychotropes, amoureuse des dieux venus d’ailleurs, a commencé à l’horrifier. Cette Angleterre-là est une région sinistrée, les vieux condamnent les jeunes en les envoyant à la mort sur des champs de bataille lointains et les jeunes leur répondent en se condamnant eux-mêmes. » (10)
« De nous trois, seule Vina a fait un voyage de retour, c’est elle qui, la première, a été prise dans le tourbillon dévorant de la faim spirituelle du monde occidental, ses abîmes d’incertitude, et elle est devenue tortue : une carapace dure sur un intérieur rempli de bouillie. Vina, la rebelle, la hooligan des mots, la hors-la-loi, la femme marginale : ouvrez-là, et vous trouverez le cristal et l’éther, vous trouverez quelqu’un qui désire être un disciple, quelqu’un qui désire ardemment qu’on lui montre le droit chemin. » (11)

Comme dans un récit d’univers parallèles, deux mondes s’interpénètrent ou entrent en collision, le nôtre et un autre (« l’autremonde », qui se révèle une variante ratée), par des déchirures, des contradictions du réel :

« …] notre irréconciabilité intérieure, la contradiction tectonique que nous avons tous en nous et qui a commencé à nous déchirer en petits morceaux comme la terre instable elle-même. » (11)

C’est un livre-monde, une œuvre totalitaire (et je m’y suis un peu enlisé ; près de 800 pages, mais ce genre de livre nécessite cette abondante matière).

J’ai constaté des contresens et des flottements au niveau de la traduction ‒ presque inévitablement, compte tenu de la somme à traduire en peu de temps.

J’ai pensé à John Irving vers le début, peut-être à cause de la sensibilité à l’enfance malheureuse. Plus évidents, il y a une proximité avec certaines œuvres de science-fiction, et une parenté avec des auteurs comme Don DeLillo.

« Mais le passé ne perd pas sa valeur en cessant d’être le présent. En fait, il est plus important parce qu’il est devenu invisible pour toujours. » (5)

« Il errait dans les rues le jour et la nuit, à sa recherche, la femme qui n’était nulle part, il essayait de l’extraire de la foule des femmes qui étaient partout, il découvrait quelques fragments dont il pouvait s’emparer, quelques bribes auxquelles il pouvait s’accrocher, dans l’espoir que ce nuage puisse au moins faire qu’elle vienne le visiter dans ses rêves.
Telle fut sa première quête d’elle. Pour moi cela me semblait presque nécrophile, vampirique. Il suçait le sang des femmes vivantes pour faire vivre le fantôme de la Disparue. » (6)

« La culture a besoin d’un vide pour s’y précipiter, quelque chose d’informe à la recherche des formes. » (13)

« L’espèce humaine est naturellement, démocratiquement polythéiste, à part l’élite évoluée qui s’est totalement dispensée du besoin de dieux. […]
Quand nous cesserons de croire aux dieux, nous pourrons commencer à croire à leurs histoires. Bien sûr, les miracles n’existent pas, mais s’ils existaient, alors, demain, on se réveillerait pour trouver encore plus de croyance sur terre, plus de dévots chrétiens, musulmans, hindous, juifs, alors bien sûr on pourrait se concentrer sur la beauté des histoires parce qu’elles ne seraient plus dangereuses, elles seraient capables d’inspirer la seule croyance qui mène à la vérité, c'est-à-dire la croyance volontaire et non croyante du lecteur dans le récit bien raconté. » (15)

« Nous changeons ce dont nous nous souvenons, puis cela nous change, et ainsi de suite, jusqu’au moment où nous nous effaçons ensemble, nos mémoires et nous-mêmes. Quelque chose comme ça. » (16)

« …] les chansonnettes regrettables devenues les hymnes totémiques du Nouvel Âge des tremblements. Nous ne devons pas considérer Ormus Cama comme il prétend modestement le faire, un simple troubadour ou un rocker ; car sa musique de haine de soi et du déracinement a été pendant longtemps au service, je dirais même au cœur, de l’Occident où la tragédie du monde est reconditionnée pour l’amusement de la jeunesse, et dotée d’un rythme contagieux qu’on marque du pied. » (18)

Amour, ConteMythe (et Mondialisation dans un certain sens)


mots-clés : #amour #contemythe #mondialisation

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Message par ArenSor Sam 24 Mar - 19:05

Jamais lu Rushdie. Tu conseilles lequel pour commencer ?
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Message par Tristram Sam 24 Mar - 20:03

Je dirais Les Enfants de minuit, qui est aussi peut-être celui qui m'a le plus plu de ceux que j'ai lu (Les Versets sataniques, Le Dernier Soupir du Maure, L'Enchanteresse de Florence).

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Message par Tristram Jeu 25 Juil - 2:45

Pour entrer (un petit peu) dans le bureau de l'écrivain, la fabrique du romancier (qui, lui, connaît ses homologues) :
https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/salman-rushdie-tous-mes-livres-sont-droles?xtor=EPR-3
Intéressant aussi sur la notion de "réalisme magique".

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Message par Marie Sam 13 Aoû - 20:40

Parce que..ça commence à bien faire, non?

Salman Rushdie cheers cheers cheers
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Message par Tristram Sam 13 Aoû - 21:20

Wikipédia a écrit:Selon l'ethnologue Jeanne Favret-Saada, la fatwa prononcée par l’ayatollah Rouhollah Khomeini le 14 février 1989 réclamant l’exécution de Salman Rushdie serait frauduleuse vis-à-vis du droit islamique le plus élémentaire. En effet, celui-ci interdit de prononcer un jugement de mort hors d'un tribunal présidé par un cadi. Jeanne Favret-Saada précise que cette condamnation prononcée par une autorité chiite marque date parce qu'elle fut acceptée, et relayée dans le monde entier, par toutes les catégories de fondamentalistes y compris ceux qui, de confession sunnite, dénient habituellement toute autorité aux chefs religieux chiites. Selon elle, cette date ouvre une nouvelle période de passions religieuses dans laquelle toute condamnation à mort se réclamant d'une fatwa, et provenant de n'importe quelle branche de l'islam, peut engendrer la mobilisation des fondamentalistes de toutes confessions.

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Dim 14 Aoû - 8:14

et la France a hébergé Khomeini !!

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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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Message par Hanta Dim 14 Aoû - 10:00

Bien avant la farwa et bien avant son accession au pouvoir.
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Message par Bédoulène Dim 14 Aoû - 16:13

oui je sais mais me semble que c'était bien critiqué à l'époque

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Message par Fantaisie héroïque Dim 14 Aoû - 17:51

Les ventes des versets sataniques montent en flèche depuis le drame. D' après ce que j ai entendu, il est assez difficile d' accès mais j'aimerais le lire.
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Message par Tristram Dim 14 Aoû - 18:00

Pas très hermétique, et en tout cas pas de quoi fouetter un chat.
« Question : Quel est le contraire de la foi ?
Pas l’incrédulité. Trop catégorique, certain, fermé. En soi une sorte de foi.
Le doute. »
Salman Rushdie, « Les Versets sataniques », II

« Ils nous décrivent, chuchota l’autre d’un ton solennel. C’est tout. Ils ont le pouvoir de la description et nous succombons aux images qu’ils construisent. »
Salman Rushdie, « Les Versets sataniques », III

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Message par Hanta Dim 14 Aoû - 19:57

Je n'avais pas aimé les versets il y a quelques années.
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Message par Tristram Sam 4 Mar - 12:51

Quichotte

initiatique - Salman Rushdie Quicho10

M. Ismail Smile, vieil États-unien originaire de Bombay et voyageur de commerce, est si addict aux « programmes télévisés ineptes » qu’il a glissé dans cette « réalité irréelle », suite à un mystérieux « Événement Intérieur ».
« Des acteurs qui jouaient des rôles de président pouvaient devenir présidents. L’eau pouvait venir à manquer. Une femme pouvait être enceinte d’un enfant qui se révélait être un dieu revenant sur terre. Des mots pouvaient perdre leur sens et en acquérir de nouveaux. »
« À l’ère du Tout-Peut-Arriver », sous le pseudonyme de Quichotte il se lance dans la quête amoureuse d’une vedette de télé, Miss Salma R., elle aussi d'origine indienne.
Quichotte se crée un « petit Sancho », un fils né de Salma dans le futur, inspiré du garçon rondouillard qu’il fut avant de devenir un adulte grand et mince
Ce premier chapitre a été écrit par l’écrivain Sam DuChamp, dit Brother, auteur de romans d’espionnage aux tendances paranoïaques, qui trouve en Quichotte une grande similitude avec sa propre situation.
« Ils étaient à peu près du même âge, l’âge auquel pratiquement tout un chacun est orphelin et leur génération qui avait fait de la planète un formidable chaos était sur le point de tirer sa révérence. »
Situation des immigrants indiens :
« Puis, en 1965, un nouvel Immigration and Nationality Act ouvrit les frontières. Après quoi, retournement inattendu, il s’avéra que les Indiens n’allaient pas, après tout, devenir une cible majeure du racisme américain. Cet honneur continua à être réservé à la communauté afro-américaine et les immigrants indiens, dont beaucoup étaient habitués au racisme des Blancs britanniques en Afrique du Sud et en Afrique de l’Est tout comme en Inde et en Grande-Bretagne, se sentaient presque embarrassés de se retrouver exonérés de la violence et des attaques raciales, et embarqués dans un devenir de citoyens modèles. »
Dans ce roman, Rushdie met en scène (de nouveau) l’état du monde, politique, culturel, en faisant des allers-retours des sociétés d’Asie du Sud à celles d’Occident.
« Une remarque, au passage, cher lecteur, si vous le permettez : on pourrait défendre l’idée que les récits ne devraient pas s’étaler de la sorte, qu’ils devraient s’enraciner dans un endroit ou dans un autre, y enfoncer leurs racines et fleurir sur ce terreau particulier, mais beaucoup de récits contemporains sont, et doivent être, pluriels, à la manière des plantes vivaces rampantes, en raison d’une espèce de fission nucléaire qui s’est produite dans la vie et les relations humaines et qui a séparé les familles, fait voyager des millions et des millions d’entre nous aux quatre coins du globe (dont tout le monde admet qu’il est sphérique et n’a donc pas de coins), soit par nécessité soit par choix. De telles familles brisées pourraient bien être les meilleures lunettes pour observer notre monde brisé. Et, au sein de ces familles brisées, il y a des êtres brisés, par la défaite, la pauvreté, les mauvais traitements, les échecs, l’âge, la maladie, la souffrance et la haine, et qui s’efforcent pourtant, envers et contre tout, de se raccrocher à l’espoir et à l’amour, et il se pourrait bien que ces gens brisés – nous, le peuple brisé ! – soient les plus fidèles miroirs de notre époque, brillants éclats reflétant la vérité, quel que soit l’endroit où nous voyageons, échouons, vivons. Car nous autres, les immigrants, nous sommes devenus telles les spores emportées dans les airs et regardez, la brise nous entraîne où elle veut jusqu’à ce que nous nous installions sur un sol étranger où, très souvent, comme c’est le cas par exemple à présent en Angleterre avec sa violente nostalgie d’un âge d’or imaginaire où toutes les attitudes étaient anglo-saxonnes et où tous les Anglais avaient la peau blanche, on nous fait sentir que nous ne sommes pas les bienvenus, quelle que soit la beauté des fruits que portent les branches des vergers de fruitiers que nous sommes devenus. »
À Londres, Sister (sœur de… Brother avec qui elle est brouillée), est une coléreuse « avocate réputée, s’intéressant tout particulièrement aux questions des droits civiques et aux droits de l’homme ».
« Sister était idéaliste. Elle pensait que l’État de droit était l’un des deux fondements d’une société libre, au même titre que la liberté d’expression. »
Le Dr R. K. Smile, riche industriel pharmaceutique cousin et employeur d’Ismail, se révèle être un escroc, distribuant fort largement ses produits opiacés.
Sancho Smile est une créature au second degré (imaginé par Quichotte imaginé par Brother) qui s’interroge sur son identité.
« Il y a un nom pour cela. Pour la personne qui est derrière l’histoire. Le vieux bonhomme, papa, dispose de plein d’éléments sur cette question. Il n’a pas l’air de croire en une telle entité, n’a pas l’air de sentir sa présence comme moi mais sa tête est tout de même remplie de pensées sur cette entité. Sa tête et par conséquent la mienne aussi. Il faut que je réfléchisse à cela dès maintenant. Je vais le dire ouvertement : Dieu. Peut-être lui et moi, Dieu et moi, pouvons-nous nous comprendre ? Peut-être pourrions-nous avoir une bonne discussion ensemble, puisque, vous savez, nous sommes tous deux imaginaires. »

« C’est simplement lui, papa, qui se dédouble en un écho de lui-même. C’est tout. Je vais me contenter de cela. Au-delà, on ne peut que sombrer dans la folie, autrement dit devenir croyant. »

« Il y a trois crimes que l’on peut commettre dans un pensionnat anglais. Être étranger, c’est le premier. Être intelligent, c’est le deuxième. Être mauvais en sports, c’est le troisième coup, vous êtes éliminé. On peut s’en sortir avec deux des trois défauts mais pas avec les trois à la fois. »

« Il y a des gens qui ont besoin de donner par la force une forme au caractère informe de la vie. Pour eux, l’histoire d’une quête est toujours très attirante. Elle les empêche de souffrir les affres de la sensation, comment dit-on, d’incohérence. »
Sancho est aussi un personnage (fictif) qui rêve d’émancipation, ombre de Quichotte et qui ne veut plus en être esclave. Tout ce chapitre 6 où il parle forme un morceau d’anthologie sur le sens de l’existence et de la littérature, via l’intertextualité. Ainsi, en référence à Pinocchio :
« “Grillo Parlante, à ton service, dit le criquet. C’est vrai, je suis d’origine italienne. Mais tu peux m’appeler Jiminy si tu veux. […]
Je suis une projection de ton esprit, exactement comme tu as commencé toi-même par être une projection du sien. Il semble que tu devrais bientôt avoir une insula. »
Salma, bipolaire issue d’une lignée féminine de belles vedettes devenues folles, est dorénavant superstar dans son talk-show (en référence assumée à Oprah Winfrey) ; elle s’adonne à « l’automédication » avec des « opiacés récréatifs ».
« Elle était une femme privilégiée qui se plaignait de soucis mineurs. Une femme dont la vie se déroulait à la surface des choses et qui, ayant choisi le superficiel, n’avait pas le droit de se plaindre de l’absence de profondeur. »
Road-trip où le confiant, souriant et bavard Quichotte emmène Sancho, qui découvre la réalité, les USA, la télé :
« Nous sommes sous-éduqués et suralimentés. Nous sommes très fiers de qui vous savez. Nous fonçons aux urgences et nous envoyons Grand-Mère nous chercher des armes et des cigarettes. Nous n’avons besoin d’aucun allié pourri parce que nous sommes stupides et vous pouvez bien nous sucer la bite. Nous sommes Beavis et Butt-Head sous stéroïdes. Nous buvons le Roundup directement à la canette. Notre président a l’air d’un jambon de Noël et il parle comme Chucky. C’est nous l’Amérique, bordel. Zap. Les immigrants violent nos femmes tous les jours. Nous avons besoin d’une force spatiale à cause de Daech. Zap. […]
“Le normal ne me paraît pas très normal, lui dis-je.
– C’est normal de penser cela”, répond-il. […]
Chaque émission sur chaque chaîne dit la même chose : d’après une histoire vraie. Mais cela non plus ce n’est pas vrai. La vérité, c’est qu’il n’y a plus d’histoires vraies. Il n’existe plus de vérité sur laquelle tout le monde peut s’accorder. »
… et la vie en motels, qui nous vaut cette belle énumération d’images :
« Ce qu’il y a, surtout, ce sont des ronflements. La musique des narines américaines a de quoi vous impressionner. La mitrailleuse, le pivert, le lion de la MGM, le solo de batterie, l’aboiement du chien, le jappement du chien, le sifflet, le moteur de voiture au ralenti, le turbo d’une voiture de course, le hoquet, les grognements en forme de SOS, trois courts, trois longs, trois courts, le long grondement de la vague, le fracas plus menaçant des roulements de tonnerre, la brève explosion d’un éternuement en plein sommeil, le grognement sur deux tons du joueur de tennis, la simple inspiration/expiration ordinaire ou ronflement classique, le ronflement irrégulier, toujours surprenant, avec, de temps en temps, des pauses imprévisibles, la moto, la tondeuse à gazon, le marteau-piqueur, la poêle grésillante, le feu de bois, le stand de tir, la zone de guerre, le coq matinal, le rossignol, le feu d’artifice, le tunnel à l’heure de pointe, l’embouteillage, Alban Berg, Schoenberg, Webern, Philip Glass, Steve Reich, le retour en boucle de l’écho, le bruit d’une radio mal réglée, le serpent à sonnette, le râle d’agonie, les castagnettes, la planche à laver musicale, le bourdonnement. »
« En fait, voilà : quand je m’éveille le matin et que j’ouvre la porte de la chambre, je ne sais pas quelle ville je vais découvrir dehors, ni quel jour de la semaine, du mois ou de l’année on sera. Je ne sais même pas dans quel État nous allons nous trouver, même si cela me met dans tous mes états, merci bien. C’est comme si nous demeurions immobiles et que le monde nous dépassait. À moins que le monde ne soit une sorte de télévision, mais je ne sais pas qui détient la télécommande. Et s’il y avait un Dieu ? Serait-ce la troisième personne présente ? Un Dieu qui, au demeurant, nous baise, moi, les autres, en changeant arbitrairement les règles ? Et moi qui croyais qu’il y avait des règles pour changer les règles. Je pensais, même si j’accepte l’idée que quelqu’un virgule quelque chose a créé tout ceci, ce quelque chose virgule ce quelqu’un n’est-il, virgule ou n’est-elle, pas lié.e par les lois de la création une fois qu’il, ou elle, l’a achevée ? Ou peut-il virgule, peut-elle hausser les épaules et déclarer finie la gravité, et adieu, et nous voici flottant tous dans le vide ? Et si cette entité, appelons-la Dieu, pourquoi pas, c’est la tradition, peut réellement changer les règles tout simplement parce qu’elle est d’humeur à le faire, essayons de comprendre précisément quelle est la règle qui est changée en l’occurrence. »
Ils arrivent à New-York.
« Il y a deux villes, dit Quichotte. Celle que tu vois, les trottoirs défoncés de la ville ancienne et les squelettes d’acier de la nouvelle, des lumières dans le ciel, des ordures dans les caniveaux, la musique des sirènes et des marteaux-piqueurs, un vieil homme qui fait la manche en dansant des claquettes, dont les pieds disent, j’ai été quelqu’un, dans le temps, mais dont les yeux disent, c’est fini, mon gars, bien fini. La circulation sur les avenues et les rues embouteillées. Une souris qui fait de la voile sur une mare dans le parc. Un type avec une crête d’Iroquois qui hurle en direction d’un taxi jaune. Des mafieux affranchis avec une serviette coincée sous le menton dans une gargote italienne de Harlem. Des gars de Wall Street qui ont tombé la veste et se commandent des bouteilles d’alcool dans des night-clubs ou se prennent des shots de tequila et se jettent sur les femmes comme sur des billets de banque. De grandes femmes et de petits gars chauves, des restaurants à steaks et des boîtes de strip-tease. Des vitrines vides, des soldes définitifs, tout-doit-disparaître, un sourire auquel manquent quelques-unes de ses meilleures dents. Des travaux partout mais les conduites de vapeur continuent à exploser. Des hommes qui portent des anglaises avec un million de dollars en diamants dans la poche de leur long manteau noir. Ferronnerie. Grès rouge. Musique. Nourriture. Drogues. Sans-abris. Chasse-neige, baseball, véhicules de police labellisés CPR – courtoisie, professionnalisme, respect –, que-voulez-vous-que-je-vous-dise, ils-ne-manquent-pas-d’humour. Toutes les langues de la Terre, le russe, le panjabi, le taishanais, le créole, le yiddish, le kru. Et sans oublier le cœur battant de l’industrie de la télévision, Colbert au Ed Sullivan Theater, Noah dans Hell’s Kitchen, The View, The Chew, Seth Meyers, Fallon, tout le monde. Des avocats souriants sur les chaînes du câble qui promettent de vous faire gagner une fortune s’il vous arrive un accident. Rock Center, CNN, Fox. L’entrepôt du centre-ville où est tourné le show Salma. Les rues où elle marche, la voiture qu’elle prend pour rentrer chez elle, l’ascenseur vers son appartement en terrasse, les restaurants d’où elle fait venir ses repas, les endroits qu’elle connaît, ceux qu’elle fréquente, les gens qui ont son numéro de téléphone, les choses qu’elle aime. La ville tout entière belle et laide, belle dans sa laideur, jolie-laide, c’est français, comme la statue dans le port. Tout ce qu’on peut voir ici.
– Et l’autre ville ? demanda Sancho, sourcils froncés. Parce que ça fait déjà pas mal, tout ça.
– L’autre ville est invisible, répondit Quichotte, c’est la cité interdite, avec ses hauts murs menaçants bâtis de richesse et de pouvoir, et c’est là que se trouve la réalité. Ils sont très peu à détenir la clef qui permet d’accéder à cet espace sacré. »
Après avoir « renoncé à la croyance, à l’incroyance, à la raison et à la connaissance », ils doivent parvenir dans la « quatrième vallée » au détachement, là où « ce qu’on appelle communément « la réalité », qui est en réalité l’irréel, comme nous le montre la télévision, cessera d’exister. »
Quichotte envoie des lettres à Salma, puis sa photo, qui rappelle à celle-ci Babajan, son « grand-père pédophile ».
« Ma chère Miss Salma,

Dans une histoire que j’ai lue, enfant, et que, par une chance inespérée, vous pouvez voir aujourd’hui portée à l’écran sur Amazon Prime, un monastère tibétain fait l’acquisition du super-ordinateur le plus puissant du monde parce que les moines sont convaincus que la mission de leur ordre est de dresser la liste des neuf milliards de noms de Dieu et que l’ordinateur pourrait les aider à y parvenir rapidement et avec précision. Mais apparemment, il ne relevait pas de la seule mission de leur ordre d’accomplir cet acte héroïque d’énumération. La mission relevait également de l’univers lui-même, si bien que, lorsque l’ordinateur eut accompli sa tâche, les étoiles, tout doucement et sans tapage aucun, se mirent à disparaître. Mes sentiments à votre égard sont tels que je suis persuadé que tout l’objectif de l’univers jusqu’à présent a été de faire advenir cet instant où nous serons, vous et moi, réunis dans les délices éternelles et que, quand nous y serons parvenus, le cosmos, ayant atteint son but, cessera paisiblement d’exister et que, ensemble, nous entamerons alors notre ascension au-delà de l’annihilation pour pénétrer dans la sphère de l’Intemporel
. »
« Autrefois, les gens croyaient vivre dans de petites boîtes, des boîtes qui contenaient la totalité de leur histoire et ils jugeaient inutile de se préoccuper de ce que faisaient les autres dans leurs autres petites boîtes, qu’elles soient proches ou lointaines. Les histoires des autres n’avaient rien à voir avec les leurs. Mais le monde a rétréci et toutes les boîtes se sont trouvées bousculées les unes contre les autres et elles se sont ouvertes et à présent que toutes les boîtes sont reliées les unes aux autres il nous faut admettre que nous devons comprendre ce qui se passe dans les boîtes où nous ne sommes pas, faute de quoi nous ne comprenons plus la raison de ce qui se passe dans nos propres boîtes. Tout est connecté. »
Quichotte a (comme Brother) une demi-sœur, « Trampoline », avec qui il s’est brouillé en l’accusant de détournement de leur héritage, devenue une défenderesse des démunis, et dont il voudrait maintenant se faire pardonner.
« Il n’accordait guère de temps aux chaînes d’actualités et d’informations, mais quand il les regardait distraitement il voyait bien qu’elles aussi imposaient un sens au tourbillon des événements et cela le réconfortait. »
Son, le fils de Brother, s’est aussi éloigné de ce dernier depuis des années, « passant tout son temps, jour et nuit, perdu quelque part dans son ordinateur, à s’immerger dans des vidéos musicales, jouer aux échecs en ligne ou mater du porno, ou Dieu sait quoi. »
Un agent secret (nippo-américain) apprend à Brother que son fils serait le mystérieux Marcel DuChamp, cyberterroriste qui porte le masque de L’Homme de la Manche, et l’engage à le convertir à servir les USA dans cette « Troisième Guerre mondiale ».
« Je ne suis pas critique littéraire mais je pense que vous expliquez au lecteur que le surréel, voire l’absurde, sont potentiellement devenus la meilleure façon de décrire la vraie vie. Le message est intéressant même s’il exige parfois, pour y adhérer, un considérable renoncement à l’incrédulité. »
Le destin d’Ignatius Sancho, esclave devenu abolitionniste, écrivain et compositeur en Grande-Bretagne, est évoqué à propos.
« Les réseaux sociaux n’ont pas de mémoire. Aujourd’hui, le scandale se suffisait à lui-même. L’engagement de Sister, toute une vie durant, contre le racisme, c’était comme s’il n’avait jamais existé. Différentes personnes qui se posaient en chefs de la communauté étaient prêtes à la dénoncer, comme si faire de la musique à fond tard le soir était une caractéristique indéniable de la culture afro-caribéenne et que toute critique à son égard ne pouvait relever que du préjugé, comme si personne n’avait pris la peine de remarquer que la grande majorité des jeunes buveurs nocturnes, ceux qui faisaient du scandale ou déclenchaient des bagarres, étaient blancs et aisés. »

« Mais aujourd’hui c’était le règne de la discontinuité. Hier ne signifiait plus rien et ne pouvait pas nous aider à comprendre demain. La vie était devenue une suite de clichés disparaissant les uns après les autres, un nouveau posté chaque jour et remplaçant le précédent. On n’avait plus d’histoire. Les personnages, le récit, l’histoire, tout cela avait disparu. Seule demeurait la plate caricature de l’instant et c’est là-dessus qu’on était jugé. Avoir vécu assez longtemps pour assister au remplacement, par sa simple surface, de la profonde culture du monde qu’elle s’était choisi était une bien triste chose. »
Trampoline est passée par un cancer qui lui a valu une double mastectomie, et elle recouvrit confiance en elle grâce à Evel Cent (Evil Scent, « mauvaise odeur » – Elon Musk !), un techno-milliardaire qui prétend sauver l’humanité en lui faisant quitter notre planète dans un monde en voie de désintégration ; Quichotte la brouilla avec lui, actuellement invité de Salma dans son talk-show. Trampoline révèle à Sancho que son « Événement Intérieur » fut une attaque cérébrale, et Quichotte obtient le pardon de ses offenses envers elle, rétablissant ainsi l’harmonie, prêt pour la sixième vallée, celle de l’Émerveillement.
« La mort de Don Quichotte ressemblait à l’extinction, en chacun d’entre nous, d’une forme particulière de folie magnifique, une grandeur innocente, une chose qui n’a plus sa place ici-bas, mais qu’on pourrait appeler l’humanité. Le marginal, l’homme dont on ridiculise la déconnexion d’avec la réalité, le décalage radical et l’incontestable démence, se révèle, au moment de sa mort, être l’homme le plus précieux d’entre tous et celui dont il faut déplorer la perte le plus profondément. Retenez bien cela. Gardez-le à l’esprit plus que tout. »
Brother retrouve Sister à Londres, qui se meurt d’un cancer (elle aussi), pour présenter ses excuses alors qu’il n’a pas souvenir de ses torts. Elle lui apprend que leur père avait abusé d’elle.
« C’était déconcertant à un âge aussi avancé de découvrir que votre récit familial, celui que vous aviez porté en vous, celui dans lequel, dans un sens, vous aviez vécu, était faux, ou, à tout le moins, que vous en aviez ignoré la vérité la plus essentielle, qu’elle vous avait été cachée. Si l’on ne vous dit pas toute la vérité, et Sister avec son expérience de la justice le savait parfaitement bien, c’est comme si on vous racontait un mensonge. Ce mensonge avait constitué sa vérité à lui. C’était peut-être cela la condition humaine : vivre dans des fictions créées par des contre-vérités ou par la dissimulation des vérités réelles. Peut-être la vie humaine était-elle dans ce sens véritablement fictive, car ceux qui la vivaient ne savaient pas qu’elle était irréelle.
Et puis il avait écrit sur une gamine imaginaire dans une famille imaginaire et il l’avait dotée d’un destin très proche de celui de sa sœur, sans même savoir à quel point il s’était approché de la vérité. Avait-il, quand il était enfant, soupçonné quelque chose, puis, effrayé de ce qu’il avait deviné, avait-il enfoui cette intuition si profondément qu’il n’en gardait aucun souvenir ? Et est-ce que les livres, certains livres, pouvaient accéder à ces chambres secrètes et faire usage de ce qu’ils y trouvaient ? Il était assis au chevet de Sister rendu sourd par l’écho entre la fiction qu’il avait inventée et celle dans laquelle on l’avait fait vivre. »
Sister et son mari (un juge qui aime s’habiller en robe de soirée) se suicident ensemble avec le « spray InSmileTM » qu’il a apporté à sa demande. Le Dr R. K. Smile charge Quichotte d’une livraison du même produit pour… Salma !
« …] elle passait à la télévision, sur le mode agressif, son monologue introductif portant le titre de “Errorisme en Amérique” ce qui lui permettait à elle et à son équipe de scénaristes de s’en prendre à tous les ennemis de la réalité contemporaine : les adversaires de la vaccination, les fondus du changement climatique, les nouveaux paranoïaques, les spécialistes des soucoupes volantes, le président, les fanatiques religieux, ceux qui affirment que Barack Obama n’est pas né en Amérique, ceux qui soutiennent que la Terre est plate, les jeunes prêts à tout censurer, les vieux cupides, les trolls, les clochards bouddhistes, les négationnistes, les fumeurs d’herbe, les amoureux des chiens (elle détestait qu’on domestique les animaux) et la chaîne Fox. “La vérité, déclamait-elle, est toujours là, elle respire encore, ensevelie sous les gravats des bombes de la bêtise. »
Des troubles visuels et d’autres signes rappellent la théorie de l’effilochement de la réalité dans un cosmos en amorce de désagrégation.
Le nouveau Galaad rencontre Salma pour lui remettre cette « potion » qui devait la rendre amoureuse de lui ; son message d’amour ne passe pas, et Salma fait une overdose avec le produit du Dr R. K. Smile, qui est arrêté pour trafic de stupéfiants (bizarrement, se greffe un chef d’inculpation portant sur son comportement incorrect avec les femmes…).
Maintenant, la télévision s’adresse directement à Quichotte, et son pistolet lui conseille de tuer Salma, sortie de l’hôpital mais dorénavant inatteignable. Sancho, qui lui aussi s’est trouvé une dulcinée et s’émancipe de plus en plus, agresse sa tante pour la voler ; il a changé depuis qu’il a été victime d’une agression raciste.
« Depuis qu’il avait été passé à tabac dans le parc, Sancho avait eu l’impression que quelque chose n’allait pas en lui, rien de physique, plutôt un trouble d’ordre existentiel. Quand vous avez été sévèrement battu, la part essentielle de vous-même, celle qui fait de vous un être humain, peut se détacher du monde comme si le moi était un petit bateau et que l’amarre le rattachant au quai avait glissé de son taquet laissant le canot dériver inéluctablement vers le milieu du plan d’eau, ou comme si un grand bateau, un navire marchand, par exemple, se mettait, sous l’effet d’un courant puissant, à chasser sur son ancre et courait le risque d’entrer en collision avec d’autres navires ou de s’échouer de manière désastreuse. Il comprenait à présent que ce relâchement n’était peut-être pas seulement d’ordre physique mais aussi éthique, que, lorsqu’on soumettait quelqu’un à la violence, la violence entrait dans la catégorie de ce que cette personne, jusque-là pacifique et respectueuse des lois, allait inclure ensuite dans l’éventail des possibilités. La violence devenait une option. »
Des « ruptures dans le réel » et autres « trous dans l’espace-temps » signalent de plus en plus l’imminente fin du monde.
Dans des propos tenus à son fils Son, « l’Auteur » met en abyme dans la fiction le projet de l’auteur.
« “Tant de grands écrivains m’ont guidé dans cette voie”, dit-il ; et il cita aussi Cervantès et Arthur C. Clarke. “C’est normal de faire ça ? demanda Son, ce genre d’emprunt ?” Il avait répondu en citant Newton, lequel avait déclaré que s’il avait été capable de voir plus loin c’était parce qu’il s’était tenu sur les épaules de géants. »

« Il essaya de lui expliquer la tradition picaresque, son fonctionnement par épisodes, et comment les épisodes d’une œuvre de ce genre pouvaient adopter des styles divers, relevé ou ordinaire, imaginatif ou banal, comment elle pouvait être à la fois parodique et originale et ainsi, au moyen de ses métamorphoses impertinentes, mettre en évidence et englober la diversité de la vie humaine. »

« Je pense qu’il est légitime pour une œuvre d’art contemporaine de dire que nous sommes paralysés par la culture que nous avons produite, surtout par ses éléments les plus populaires, répondit-il. Et par la stupidité, l’ignorance et le sectarisme, oui. »
Dans la septième vallée, celle de l’annihilation d’un monde apocalyptique livré aux vides, Quichotte (et son pistolet) convainc Salma d’aller avec lui au portail d’Evel Cent en Californie pour fuir dans la Terre voisine : celle de l’Auteur.

C’est excellemment conté, plutôt foutraque et avec humour, mais en jouant de tous les registres de la poésie au polar en passant par le picaresque ; relativement facile à suivre, quoique les références, notamment au show business, soient parfois difficiles à saisir pour un lecteur français. Beaucoup de personnages et d’imbroglios dans cette illustration de la complexité du monde. De nombreuses mises en abîme farfelues, comme l’histoire des mastodontes (dont certains se tenant sur les pattes arrière et portant un costume vert), perturbent chacun des deux fils parallèles en miroir (celui de Quichotte et celui de Brother), tout en les enrichissant. Récurrences (jeu d’échec, etc.), intertextualité (le « flétan », qui rappelle Günter Grass, etc.). J’ai aussi pensé à Umberto Eco, Philip K. Dick.

\Mots-clés : #Contemporain #ecriture #famille #Identite #immigration #initiatique #Mondialisation  #racisme #sciencefiction #XXeSiecle

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Message par Bédoulène Sam 4 Mar - 17:38

ce livre à l'air très "nourri"

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