Serge Rezvani
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Serge Rezvani
Serge Rezvani
(Né en 1928)
(Né en 1928)
Serge Rezvani, né Boris Serge Rezvani le 23 mars 1928 à Téhéran, est un peintre, graveur et écrivain 3 (romans, pièces de théâtre), ainsi qu'un auteur-compositeur-interprète de chansons (il se qualifie de pluri-indisciplinaire).
Il a écrit plus de 40 romans, 15 pièces de théâtre et deux recueils de poésie. Il est l'auteur de plus de 150 chansons, dont la célèbre Le Tourbillon (de la vie), interprétée par Jeanne Moreau dans le film Jules et Jim, ainsi que de J'ai la mémoire qui flanche, également interprétée par Jeanne Moreau (il signa ces chansons sous le pseudonyme de Cyrus Bassiak, ce qui signifie « va-nu-pied » en russe).
(Beaucoup) plus d'infos ici.
Bibliographie
Romans, récits et œuvres autobiographiques
Les Années-lumière, 1967
Les Années Lula, 1968
Les Américanoïaques, 1970
Coma, 1970
La Voie de l'Amérique, 1970
Mille aujourd'hui, 1972
Feu, 1973
Fokouli, 1974
Chansons silencieuses, 1975
Le Portrait ovale, 1976
Le Canard du doute, 1979
Le voyage d'hiver, 1979 (Recueil de 4 nouvelles écrites par Serge Rezvani, Jacques Chessex, Jean Freustié et Georges Perec consacrées aux saisons)
Divagation sentimentale dans les Maures, 1979
La Table d'asphalte, récits, 1980
Le Testament amoureux, 1981
La Loi humaine, 1983
Variations sur les jours et les nuits, 1985 (journal)
La nuit transfigurée, 1986
J'avais un ami, 1987
Le 8e fléau, 1989
Phénix, 1990
L'anti-portrait ovale, 1991
La traversée des Monts Noirs, en supplément au Rêve de d'Alembert, 1992
Les repentirs du peintre, 1993
Processus, Jannink, 1994
L'énigme, 1995
Fous d'échecs, 1997
La cité Potemkine ou Les géométries de Dieu, 1998
Un fait divers esthétique, 1999
L'origine du monde, pour une ultime histoire de l'art à propos du « cas Bergamme », 2000
Le vol du feu, Arles, 2000
Le roman d'une maison, 2001
L'amour en face, (ciné-roman), 2002
L'éclipse, 2003
Venise qui bouge, 2004
Les voluptés de la déveine, nouvelles drolatiques, 2004
Le magicien ou L'ultime voyage initiatique, 2006
Le dresseur, 2009
Ultime amour, 2012
Vers les confins, 2014
Le corps d'Hélène, 2015
Le tourbillon de ma vie - Entretiens avec Michel Martin-Roland, 2015
Théâtre
Théâtre (Body - L'Immobile - Le Cerveau), 1970
Le Rémora, pièce en 2 actes, 1970
Capitaine Schelle, capitaine Eçço, 1971
Le camp du drap d'or, 1972
La Colonie, 1974
Le Palais d'hiver, 1975
La Mante polaire, 1977
Les Faucons à la saison des amours, 1990
Jusqu'à la prochaine nuit suivi de Na, 1990
La glycine, Paris, 1991
Décor, néant suivi de Les enfants de la nuit, 1993
Isola Piccola, 1994
Théâtre complet 1 et 2 (éditions Actes sud 1994 et 1998)
Essais
La folie Tintoretto, 1994
Théâtre, dernier refuge de l'imprévisible poétique, 2000
Recueil de textes extraits pour la plupart de « Du théâtre, la revue », 1993-1999
La femme dérobée, de l'inutilité du vêtement, 2005
Poésie
Doubles stances des amants, 1995
Élégies à Lula, Montolieu, 1996
Traductions
Traduction en français de Platonov, la première pièce de théâtre d'Anton Tchekhov, 2003
Traduction de l'auteur iranien Khayyam's Rubayyat.
Wikipedia
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Etre dans le vent, c'est l'histoire d'une feuille morte.
Flore Vasseur
topocl- Messages : 8551
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Re: Serge Rezvani
L'éclipse
Comme l'art est la seule façon de résister, Rezvani écrit le gouffre de cette maladie qu'il a tant de mal à nommer, Alzheimer, qui transforme Danielle, dite Lulla, son immense amour, en une morte sans cadavre. Il s'interroge sur le sens de l'amour : qu'aimait-il en elle puisqu'il ne l'aime plus, même s'il la chérit et l'entoure de toute sa tendresse épuisée. Qu'est ce qui faisait qu'elle était elle, et ne l'est plus? Et que pourtant, il veut à tout prix la garder, alors que justement elle n'est plus elle?
Il dit l'insoluble dilemme de ne savoir s'il la veut vaillante et en lutte, donc sachant, ou protégée par l'innocence..
C'est tragique, très réfléchi dans son épuisement mortifère, décapant par son intelligence d'analyse, dévastant.
mots-clés : #pathologie
Comme l'art est la seule façon de résister, Rezvani écrit le gouffre de cette maladie qu'il a tant de mal à nommer, Alzheimer, qui transforme Danielle, dite Lulla, son immense amour, en une morte sans cadavre. Il s'interroge sur le sens de l'amour : qu'aimait-il en elle puisqu'il ne l'aime plus, même s'il la chérit et l'entoure de toute sa tendresse épuisée. Qu'est ce qui faisait qu'elle était elle, et ne l'est plus? Et que pourtant, il veut à tout prix la garder, alors que justement elle n'est plus elle?
Il dit l'insoluble dilemme de ne savoir s'il la veut vaillante et en lutte, donc sachant, ou protégée par l'innocence..
C'est tragique, très réfléchi dans son épuisement mortifère, décapant par son intelligence d'analyse, dévastant.
mots-clés : #pathologie
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8551
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Re: Serge Rezvani
plus je vieillis plus les maladies dégénératives m'effraient
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21652
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Re: Serge Rezvani
Rezvani dans l'éclipse a écrit:Donc nous étions maintenant à la merci de forces incontrôlables. Nous étions ce couple nu, retombé en quelque sorte aux origines de l'espèce ; deux bêtes que la différence des sexes avait amoureusement appariées au printemps et qui, l'hiver venu, se retrouvent presque malgré elles enfermées dans la même tanière… oui, deux bêtes pareilles à celles d'avant le langage… deux êtres que la perte de langage venait de ramener aux gestes d'avant l'humanité.
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topocl- Messages : 8551
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Re: Serge Rezvani
très réaliste certainement, la position de conjoint doit être la plus difficile à porter. (je veux dire par rapport à celle des enfants par exemple)
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Bédoulène- Messages : 21652
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Re: Serge Rezvani
Bédoulène a écrit:plus je vieillis plus les maladies dégénératives m'effraient
Malheureusement oui, un retour vers la solitude, vivre avec quelqu'un qui ne vous reconnaît plus, c'est terrible, injuste..
Chamaco- Messages : 4512
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Re: Serge Rezvani
La vie est terrible et injuste .
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8551
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Localisation : Roanne
Re: Serge Rezvani
Lisez donc Les Années Lula.
En ce temps-là, Lula était belle, aimable, aimée et célèbrée par son amant, Rezvani.
Un type bien, un artiste, Rezvani !
Et qui n' a jamais oublié de s' exposer publiquement.
Et quel destin, depuis son départ de l' Iran, son pays natal et son parcours en France.
La peinture d' abord, la littérature, la poésie, la chanson, et j' en passe.
Après 10 années de calvaire auprès de Lula, atteinte d' Alzheimer, après sa mort
Rezvani a essayé de se reconstruire.
« Je suis amputé. Je ne refais pas ma vie, je la continue autrement... »
Il épousera l' actrice Marie-José Nat en 2005, je crois, et vit auprès d' elle.
Combien de vies dans une vie ?
En ce temps-là, Lula était belle, aimable, aimée et célèbrée par son amant, Rezvani.
Un type bien, un artiste, Rezvani !
Et qui n' a jamais oublié de s' exposer publiquement.
Et quel destin, depuis son départ de l' Iran, son pays natal et son parcours en France.
La peinture d' abord, la littérature, la poésie, la chanson, et j' en passe.
Après 10 années de calvaire auprès de Lula, atteinte d' Alzheimer, après sa mort
Rezvani a essayé de se reconstruire.
« Je suis amputé. Je ne refais pas ma vie, je la continue autrement... »
Il épousera l' actrice Marie-José Nat en 2005, je crois, et vit auprès d' elle.
Combien de vies dans une vie ?
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Serge Rezvani
Le tourbillon de la vie
Jeanne Moreau
Jules et Jim 1962
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8551
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Re: Serge Rezvani
bix_229 a écrit:Lisez donc Les Années Lula.
En ce temps-là, Lula était belle, aimable, aimée et célèbrée par son amant, Rezvani.
Un type bien, un artiste, Rezvani !
Et qui n' a jamais oublié de s' exposer publiquement.
Et quel destin, depuis son départ de l' Iran, son pays natal et son parcours en France.
La peinture d' abord, la littérature, la poésie, la chanson, et j' en passe.
Après 10 années de calvaire auprès de Lula, atteinte d' Alzheimer, après sa mort
Rezvani a essayé de se reconstruire.
« Je suis amputé. Je ne refais pas ma vie, je la continue autrement... »
Il épousera l' actrice Marie-José Nat en 2005, je crois, et vit auprès d' elle.
Combien de vies dans une vie ?
je crois bien que c'est le livre de lui que j'ai lu il y a bien longtemps, j'avais aimé la poèsie de ce roman...
C'était l'époque de Khomeini, il y avait beaucoup de dissidents Iraniens à Paris (je sais que c'est eloigné du personnage, mais c'est à cette occasion que j'ai découvert l'auteur)...
Chamaco- Messages : 4512
Date d'inscription : 02/12/2016
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Re: Serge Rezvani
Les Années-lumière
Autobiographie de Rezvani : petite enfance de Cyrus-Boris ballottée en exil avec une mère russe atteinte d’un cancer, (puis) un père persan, magicien et infidèle. Fantaisiste, baroque et surréaliste (on peut en rapprocher par moments L'Écume des jours de Boris Vian), le récit se commente lui-même, y mêle Lula, le grand amour de sa vie au présent, dans une jubilation créative.
Mis en pension « dans la masure du bout du monde » en Suisse :
Retour en famille à Paris occupé :
Il dessine à Montparnasse, est sujet à des nausées quand il ne rêve pas de sexe : son délire libidinal (et maritime), cauchemar d’enivré, m’a ramentu Henry Miller.
Puis ce sera Lula avec le second volume de ces mémoires contorsionnées.
\Mots-clés : #autobiographie #deuxiemeguerre #enfance #exil #humour #jeunesse #relationenfantparent #sexualité #xxesiecle
Autobiographie de Rezvani : petite enfance de Cyrus-Boris ballottée en exil avec une mère russe atteinte d’un cancer, (puis) un père persan, magicien et infidèle. Fantaisiste, baroque et surréaliste (on peut en rapprocher par moments L'Écume des jours de Boris Vian), le récit se commente lui-même, y mêle Lula, le grand amour de sa vie au présent, dans une jubilation créative.
Mis en pension « dans la masure du bout du monde » en Suisse :
Son père vient le prendre pour vivre avec lui et sa compagne Pipa dans un petit appartement parisien, « le taudis aux pendolents » [pendeloques de cristaux] ; c’est un prestidigitateur qui fait de la voyance pour dames et beaucoup de pitreries.« À la fonte des neiges, nous essayons de reprendre le chemin de l’école, mais la boue a tout envahi. On enfonce jusqu’aux genoux, parfois même jusqu’au ventre. C’est décourageant. Le sous-sol travaille. Des effondrements creusent des cratères au pied même des maisons, minant les fondations. Ça glougloute de tous les côtés. D’un instant à l’autre, la rue change sous nos yeux. Il n’y a plus de sécurité à se déplacer. Traverser la cour devient une aventure.
Le village est bâti sur une poche de vide et on entend sous terre un grondement continuel de cataracte. Même les vieillards hochent la tête inquiets. La montagne frémit, des arbres entiers, tout droits avancent sur les pentes. On les voit subitement faire quelques mètres et s’arrêter. Ça glisse de tous les côtés. Des rochers énormes dérapent en silence, déplaçant les sentiers et les clôtures. Et toujours ce bruit souterrain assourdissant. Les anciens parlent d’une grotte gigantesque dont l’accès aurait été perdu depuis bien longtemps.
L’instituteur ne tient plus en place, cette histoire de grotte le fait rêver. Il n’en dort plus, il n’en mange plus. Il n’arrête pas de tourner autour des masures. Il racole les vieux pour avoir des détails. Il ne parle plus que de ça. Il est insatiable. Il fait des dessins, des plans, mais la montagne bouge tellement qu’il ne peut pas prendre de repères. Ça le désespère.
Un jour il s’en va par les sentiers, et s’enfonce dans le chaos. Nous le regardons longtemps monter comme une mouche sur le flanc de cette nature changeante. Il zigzague entre les arbres. De temps en temps il se retourne vers le village, agite son chapeau tyrolien et reprend l’ascension. On le voit de plus en plus minuscule, ridicule, rouler, se relever, courir jusqu’à une pierre, s’agripper, sauter et s’étaler. Les arbres glissent autour de lui, les rochers par quartiers entiers se décollent et rebondissent dans les précipices.
Il me semble que l’instituteur ne revint jamais. »
Assez vite, le couple le met en pension chez un pope.« Ce fut pire qu’un accouchement, qu’une deuxième naissance, il fallait que je réapprenne à être, que je reprenne pied dans ce nouveau monde, il fallait essayer de croire à toute cette douceur. Je pleurais d’avance. C’était sûr que j’allais tout perdre. On m’emmènerait encore, on m’abandonnerait comme Lydia m’avait abandonné, on m’abandonnerait. Je bégayais : "Gaaar… dez… moi… aaah ! Gaaar… dez… moi… aaaah ! Gaaaar… deez… moi !" »
On est dans l’avant-guerre de la Seconde, vient l’exode, mais Rezvani revient toujours au rire, au délire. Les souvenirs sont développés à outrance par amplification.« Ma langue vient frapper avec un bruit infernal sur les galandales de l’entre-dents. Mes molaires, je les compte une à une avec la pointe gustative du muscle glambuleur. Je m’embrouille dans les mauvais chiffres, les incisives, les canines, les prémolaires. Le muscle glambuleur cogne entre les crocs. Quatre-vingt-deux canines, ce qui fait cent. Le muscle trémulseur cherche la petite carie sur la quatre mille huit centième dent de la galandale inférieure. Les prismes musicaux trémolotent sur la gustative quatre. Les papilles musicalisées viennent se ranger bien sagement à la suite des amygdales. Pas de problème. J’enlève deux amygdales, il en reste huit plus une molaire, ça donne une ralingue sur sept qui ne fonctionne pas. Je reprends toutes mes amygdales et je les pose une à une sur la ralingue vingt-deux. Délicatement je fais descendre la ralingue quatre. Schplokssss ! Un grand coup de cuisse sur la touffe puante et les petites violettes commencent à pousser. Hi hi hi ! La ralingue descend, descend… grummm ! Je mâche les amygdales. Soixante et quelque chose amygdales ça fait une fameuse omelette, ça bave tellement partout qu’il en ressort par la ralingue huit. Je fais venir une autre ralingue, j’hésite une seconde entre la neuf et la douze. Je la pousse avec le muscle gustatif renversé, appuyé du glambuleur, saliveur, mâchouilleur, le plus dégueulasse de tous les muscles, celui qui se gonfle derrière mes oreilles. »
Retour en famille à Paris occupé :
Il s’efforce de dessiner une sirène, qui peu à peu devient Pipa, et est de nouveau envoyé en pension, celle de l’amiral Chalapine.« Mon père ne refusait son assistance à personne. Pendant toute la guerre ce fut un carrousel incroyable. Chez mes parents c’était le no man’s land, une espèce de Suisse, minuscule en plein Paris. Mon père restait assis dans son vieux fauteuil à faire sauter sa bille, pfffuit, pffffuit, pffffuitt ! il laissait venir. Si c’était un résistant, il lui disait de faire gaffe, de raser les murs. Le résistant partait content et payait pour ce simple conseil. Si c’était un Juif il l’engageait à réaliser tout ce qu’il pouvait sur l’heure et à se cavaler le plus vite possible. Si c’était un collaborateur (et combien sont venus et revenus vomir chez le mage leur mauvaise conscience), il le pressait de retourner sa veste. Quand c’était von Fridoleïn il se faisait tout petit, petit, pas fou et il se frottait les mains, il aurait crié « Heil Hitler ! », n’importe quoi et surtout il le priait de bien essuyer ses bottes sur le paillasson, parce que sous le paillasson il y avait des actes de baptême qu’il avait mis à vieillir pour des Juifs. Des actes de baptême bien catholiques pour Juifs bien Juifs. Pas mal de curés sont venus aussi se renseigner dans le grand livre pour savoir de quel côté il valait mieux pencher. Il faut dire qu’avec Pie XII ils ne savaient plus très bien. Ceux-là payaient en actes de baptême vierges. »
La guerre devient plus présente.« Nous pénétrons dans la chapelle. L’odeur immonde d’encens me prend à la gorge, de nouveau cette envie de vomir, des relents d’oreillons. Pouah ! Le tabernacle, hostie et compagnie, toute la quincaillerie de maniaque, ciboire russe, cuillère russe à long manche d’argent pour racler, ostensoir russe, tout ce qu’il y a de plus russe, encensoir monté sur chaînette amovible, dérailleur pour la longueur, comme ça on ne heurte pas le calice à la bénédiction finale. Il me fait la démonstration, il cavale avec son encensoir. Toc ! il passe en première longueur, pfffuit, pffffuit ! il s’imite, se singe. L’encensoir voltige. Toc ! deuxième longueur. Il fait le tour de la chapelle, frôle toutes les aspérités, fait des moulinets furieux et toc ! passe en troisième longueur. Il est lancé sur la grande vitesse, le moindre faux pas et c’est la catastrophe, il n’a pas le droit de s’arrêter, il jubile de jeter son yoyo comme ça, de le faire virevolter, pfffuit, pffffuit ! bzim ! au ras des icônes. Il s’épate lui-même. Il faut reconnaître que comme numéro de jongleur, on ne fait pas mieux. Ses cheveux longs volent, sa barbe s’enroule autour de son cou comme une étole, ses voiles palpitent en cadence, sa robe se soulève, je vois son pantalon percé aux genoux, les rotules à l’air à force de macération. Il me fait pitié. « Amine ! » Il tombe à genoux, rétrograde son extensoir à encens, bzik ! bzik ! maintenant il travaille sur la toute petite vitesse, minuscules cercles, toilette de mouche, chuchus, chichis, pchik, pchik, tournicottis sur place, menu, menu, menu, minus, mimi, zizis mesquins, et tout à coup clac ! sans crier gare il repasse direct en troisième. Toujours à genoux, il promène son encensoir à ras de terre, l’envoie, cloc ! le ramène, cloc ! à l’horizontale. Ah ! c’est un as, un vrai diabolique champion, au millimètre près, poil du cul et zéphir aux couilles. Il joue dans les rayons de soleil. Toc ! il assomme une mouche au vol et toc ! vise le Christ en croix, pfffuit à un millipoil de millipoil et toc ! la Vierge. Bzim ! re-le Christ, pfffuit re-la Vierge, bzim ! Il me regarde en biais, il quête les compliments, le vieux cabot. Ça, il a pris des risques, il faut reconnaître qu’il a de quoi jubiler de sa dextérité, l’immonde baladin hilare avec son infernale trogne. »
Puis c’est la Libération : il joue un peu au résistant, est arrêté comme collabo ou milicien par la police française (tout le monde n’est d’accord que sur une seule chose, l’exécration des Juifs) : c’est dans le registre grotesque.« Maintenant, nuit et jour, c’est un flot ininterrompu de forteresses volantes. Elles foncent dans les splendeurs naturelles de l’air vers l’Allemagne, déverser leurs cargaisons, faire leur macabre travail. Des aviateurs recroquevillés dans leurs carlingues vont répandre, oh ! sans haine, les hideux, le feu, la mort et la poix des interminables agonies. Parfois un avion déchiqueté passe au ras des arbres, on voit très distinctement des hommes accrochés à l’épave. Ils ne peuvent pas se résoudre à sauter. Des automitrailleuses sillonnent les routes, partent à travers champs, à la poursuite des aviateurs suspendus à leurs parachutes. Ils ont beau agiter les bras, les mitrailleuses se déchaînent, les hachent menu. Ils peuvent toujours demander grâce les pauvres petits pantins qui ne veulent pas mourir, ils peuvent toujours hurler, supplier sous leurs corolles blanches… tac tac tac ! les uns après les autres ils sont démantelés par la grenaille. On voit peu à peu des morceaux se détacher, tomber sur les pavillons, dans les petits jardins paisibles. Les gens ne savent que faire de tous ces bouts de viande qui dégringolent du ciel. On arrache une main encore tiède de la gueule du chien. On fait des enterrements microscopiques, un doigt ici, un pied là, le voisin une oreille. Parfois on trouve un stylo made in U. S. A. ou bien une montre, en acompte sur l’avenir. Les femmes, pour le bel été, taillent des robes dans les parachutes, d’autres préfèrent cacher les parachutistes eux-mêmes. »
« C’est le fameux bombardement de Bétigny-les-Rateaux qui commence. Par vagues serrés, les forteresses volantes inaugurent le grand lâcher final. Des trains de bombes, torpilles, fusées, rockets, shrapnells, éclats gros comme des navires pleuvent sur les labours. Toute l’astucieuse machinerie à mixer les morts se met en branle. Je m’aplatis entre les choux, je rampe, mon carton à dessin à la remorque. Cloc ! le voilà percé d’un éclat. Toute mon œuvre à ce jour poinçonnée au même moment, curiosité pour la postérité… ha, ha, ha, ha ! ça y est, je me marre. Mes mâchoires claquent. Je meurs de peur et je ris à ne plus pouvoir avancer. J’en pisse de rire. La ferraille pleut autour de moi, grésille dans la rosée limpide. Je quatrepatte, je plaventre, je surledos, avance, nage, pissote, foirotte, tortille, claquedent et galipette dans la boue. Je suis infusoire, flagellé vert, amibe, hydre d’eau douce, H2O, bicarbonate de soude, fumée d’azote. Je coud’enterre, nombril en S, danse du ventre, roulement à billes, serpente, tortillou, nage papillon, vert de peur, de terre, de n’importe quoi dans la gadoue. Et les usines entières se déversent sans relâche. Toutes les merdeuses zones industrielles de Brooklyn à Sing-Sing, les quartiers honteux, échelles de fer, gratte-ciel en morceaux, ponts suspendus sont balancés par-dessus bord sur Bétigny-les-Rateaux. À coups de pied, on nous les expédie du ciel. L’Hudson en tronçons, acier liquide, boulons et contre-écrous se fichent en terre. Tout le trop-plein. Ford, General Motors, se débarrassent des invendus. Voitures entières s’enfoncent dans la glèbe, explosent en plein Millet. Bourrées de nitroglycé, juste ce qu’il faut pour être aussi meurtrières que possible, les Cadillac, pare-brise, en miettes, portières, roues de secours, V8, triples carburateurs à masturbation sphérique, culbuteurs, soupapes et vilebrequins dégringolent avec tous les chevaux de l’Apocalypse dans un rythme, une pulsation syncopée digne du pire Harlem. Disques explosifs, stylos piégés, chewing-gum à retardement spécialement étudiés pour décervelage éclair, machines à laver, machines infernales déguisées en bloc opératoire, frigos incendiaires, vieilles fabriques de chaussures, gares de triage abandonnées avec wagonnets, rails et aérodynamiques locomotives, autoroutes démodées sans parler de tous les cimetières de ferrailles pourries, marteaux-pilons rouillés, fils de fer phosphorescents et volcans liquides, zizis sournois, chichis usinés spécialement pour blessures incurables, déluge barbare exporté en plein angélus. Enfer du ciel ! »
Il dessine à Montparnasse, est sujet à des nausées quand il ne rêve pas de sexe : son délire libidinal (et maritime), cauchemar d’enivré, m’a ramentu Henry Miller.
Puis ce sera Lula avec le second volume de ces mémoires contorsionnées.
\Mots-clés : #autobiographie #deuxiemeguerre #enfance #exil #humour #jeunesse #relationenfantparent #sexualité #xxesiecle
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15935
Date d'inscription : 09/12/2016
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Localisation : Guyane
Re: Serge Rezvani
bien tentée, une nouvelle fois ! donc tu vas lire Lula ?
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
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Re: Serge Rezvani
Si je trouve Les Années Lula, que recommandait Bix.
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15935
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Re: Serge Rezvani
bix_229 a écrit:Lisez donc Les Années Lula.
En ce temps-là, Lula était belle, aimable, aimée et célèbrée par son amant, Rezvani.
Un type bien, un artiste, Rezvani !
Et qui n' a jamais oublié de s' exposer publiquement.
Et quel destin, depuis son départ de l' Iran, son pays natal et son parcours en France.
La peinture d' abord, la littérature, la poésie, la chanson, et j' en passe.
Après 10 années de calvaire auprès de Lula, atteinte d' Alzheimer, après sa mort
Rezvani a essayé de se reconstruire.
« Je suis amputé. Je ne refais pas ma vie, je la continue autrement... »
Il épousera l' actrice Marie-José Nat en 2005, je crois, et vit auprès d' elle.
Combien de vies dans une vie ?
J'avais lu il y a tres tres longtemps "les années Lula" à cette époque là j'avais perdu mon meilleur ami, j'en garde un souvenir comme une cicatrice...la perte c'est terrible
Chamaco- Messages : 4512
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