Albert Cossery
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Albert Cossery
(1913 – 2008)
Albert Cossery est un écrivain égyptien de langue française.
Tous ses récits se déroulent dans son Égypte natale ou dans un pays imaginaire du Proche-Orient, bien qu'il ait vécu la plus grande partie de sa vie à Paris. Surnommé le « Voltaire du Nil » pour son ironie à l'égard des puissants, il a rendu hommage aux humbles et aux inadaptés de son enfance cairote et fait l'éloge d'une forme de paresse et de simplicité très éloignées des canons de la société contemporaine occidentale.
Albert Cossery était une figure de Saint-Germain-des-Prés où il résidait dans la même chambre de l'hôtel La Louisiane depuis 1945. Il fut marié quelques années avec la comédienne Monique Chaumette.
Œuvres
Poésie
1931 : Les Morsures, 1931
Romans et nouvelles
1936 : Un homme supérieur (nouvelle) dans le numéro de Noël 1936 de La Semaine égyptienne
1941 : Les Hommes oubliés de Dieu (nouvelles), initialement parues dans La Semaine égyptienne ; Page 1
1944 : La Maison de la mort certaine (roman) ; page 1
1948 : Les Fainéants dans la vallée fertile (roman) : page 1
1955 : Mendiants et Orgueilleux (roman) ; page 1
1964 : La Violence et la Dérision (roman) ; Page 1, 2
1975 : Un complot de saltimbanques (roman) ; Page 3
1984 : Une ambition dans le désert (roman) ; Page 3
1999 : Les Couleurs de l'infamie (roman) ; Page 1, 3
2005 : Œuvres complètes 1 (Mendiants et Orgueilleux - Les Hommes oubliés de Dieu - La Maison de la mort certaine - Un complot de saltimbanques)
2005 : Œuvres complètes 2 (Les Fainéants dans la vallée fertile - La Violence et la Dérision - Une ambition dans le désert - Les Couleurs de l'infamie)
Albert Cossery a également laissé quelques pages d'un roman inachevé, Une époque de fils de chiens, qui a été publié en 2009 par Télérama et ajouté dans l'édition augmentée et enrichie de Mendiants et Orgueilleux parue en 2013 chez Joëlle Losfeld.
Théâtre
2004 : Les Fainéants dans la vallée fertile, comédie en trois actes
Préfaces
Nikolai Vasil'evitch Gogol : Les Aventures de Tchitchikov ou les Âmes mortes (1959)
Galerie Lahumière : Exposition Gérard Tisserand (1964). Les Noces de Bagnolet
Scénarios cinématographiques
Jacques Poitrenaud : Ce sacré grand-père, France, 1968
Michel Mitrani : Les Guichets du Louvre, France, 1974
(source Wikipedia)
màj le 19/04/2023
ArenSor- Messages : 3433
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Re: Albert Cossery
Gohar est un intellectuel, professeur à l’université du Caire. Un jour, il se rend compte de l’inanité de son enseignement et abandonne tout pour vivre en mendiant dans les quartiers les plus déshérités de la ville indigène.
« Tous ces grands esprits, qu’il avait admiré durant des années, lui apparaissaient à présent comme de vils empoisonneurs, dépourvus de toute autorité. Enseigner la vie sans la vivre était le crime de l’ignorance la plus détestable »
Il habite maintenant une pièce sombre d’une maison en ruines, son seul mobilier consistant en une chaise, lui-même dormant sur une couche de vieux journaux. Ses besoins frugaux, à l’exception du haschich, il les contente avec l’entraide de ses amis. Gohar passe la plus grande partie de son temps à observer la vie qui l’entoure, professant un fatalisme heureux, sans se leurrer sur la nature humaine :
"Ce qu’il y a de plus futile en l’homme, pensa-t-il, c’est cette recherche de la dignité. Tous ces gens qui cherchaient à être dignes ! Dignes de quoi ? L’Histoire de l’humanité n’était qu’un long cauchemar sanguinaire qu’à cause de semblables sottises. Comme si le fait d’être vivant n’était pas une dignité en soi. Seuls les morts sont indignes »
« Gohar s’insurgeait de toute son âme contre la conception d’un univers absurde. En fait, c’était sous le couvert de cette prétendue absurdité du monde que se perpétraient tous les crimes. L’univers n’était pas absurde, il était seulement régi par la plus abominable bande de gredins qui eût jamais souillé le sol de la planète. En vérité, ce monde était d’une cruelle simplicité, mais les grands penseurs à qui avait été dévolue la tâche de l’expliquer aux profanes ne pouvaient se résoudre à l’accepter tel quel, de peur d’être taxés d’esprits primaires. »
De fait Gohar est insensible au remord. Le jeune Yéghen, poète difforme, survit difficilement grâce au trafic de haschic, il voue une admiration sans borne pour Gohar et sa philosophie n’est pas très éloignée de celle de son maître. Les armes absolues de Yéghen sont le rire et la dérision.
Le troisième compère, El Kordi, est un peu différent. Miséreux également, il bénéficie cependant d’un poste au ministère, travail qu’il sabote délibérément par ferveur révolutionnaire. En effet, El Kordi se veut redresseur de torts et rêve de délivrer la société de l’oppression des puissants. Toutefois, ses bonnes intentions peuvent disparaître subitement lorsqu’il croise une belle jeune femme dans la rue.
Autour du trio gravite un autre personnage Nour El Dine, officier de police inverti. En effet, un crime vient d’être commis. Représentant de l’autorité, il a peur de ces mendiants qu’il ne comprend pas :
« Le spectacle de cette humanité livrée aux loisirs d’une fête perpétuelle le rendait furieusement envieux. Il leur en voulait de leur insouciance, de leur capacité à méconnaître les principes du monde dont les fondements étaient la tristesse et la contrition. Par quels sortilèges échappaient-ils à la commune détresse »
Son incompréhension va grandir lors de la rencontre avec l’homme-tronc qui donne du plaisir à sa femme et qui se permet de chanter au lieu de s’apitoyer sur son sort :
« - Il est réconfortant de savoir, dit Gohar, que même un homme-tronc peut donner du plaisir
- Un pareil monstre !
- ce monstre possède un avantage sur nous, monsieur l’officier. Il connaît la paix. Il n’a plus rien à perdre. Songe qu’on ne peut plus rien lui enlever.
- Crois-tu qu’il faille en arriver là pour avoir la paix ?
- Je ne sais pas, dit Gohar. Peut-être qu’il va falloir devenir un homme-tronc pour connaître la paix. Tu te rends compte de l’impuissance du gouvernement devant un homme-tronc ! Que peut-il contre lui ?
- Il peut le faire pendre, dit Nour El Dine.
- Pendre un homme-tronc ! Ah, non, Excellence. Aucun gouvernement n’aurait assez d’humour pour se livrer à un acte pareil. Ce serait vraiment trop beau »
J’ai pris énormément de plaisir à lire les premiers chapitres au point que je me disais avoir découvert un ouvrage « magique ». Le début notamment m’a enchanté, lorsque Gohar se réveille envahi par l’eau, pensant à une crue du Nil, puis réalisant qu’il s’agissait de l’eau servant à laver un mort dans la pièce d’à côté ! Sa balade dans le quartier avec ses rencontres amicales dans la foule grouillante sont également réjouissantes :
« Des individus, affalés contre les murs ou bien debout dans des poses immuables, prodiguaient leur inertie séculaire à déjouer la circulation. »
Puis, le meurtre avec l’enquête policière qui s’ensuit ont quelque peu refroidi mon enthousiasme. J’ai l’impression qu’Albert Cossery n’avait pas besoin de ce genre d’intrigue pour mener sa barque. Avouons toute de même que les derniers chapitres sont à la hauteur des premiers. En conclusion, un excellent livre qui aurait pu être un vrai chef-d’œuvre.
mots-clés : #psychologique #social
ArenSor- Messages : 3433
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Re: Albert Cossery
"mendiants et orgueilleux"
Bien que l'écriture permette une lecture fluide et que j'ai apprécié les premières pages, les portraits saisissants que fait l'auteur, je ressors sceptique de cette lecture
A part Gohar et ses amis je n'ai pas l'impression que beaucoup d'habitants de ce quartier voient dans leur misérable vie de quoi rire. Et peut-être que sans l'aide du hachisch Gohar et Yéghen y trouveraient moins d'intérêt, moins de paix.
Quant au meurtre, il est traité avec beaucoup de négligence ; parce qu'il s'agit d'une femme ? d'une prostituée ? Gohar n'éprouve pas de remord.
L'auteur traite la misère avec une désinvolture sidérante.
Certaines anecdotes m'ont bien sur fait sourire (les votes au bénéfice de l'âne, le couvre-lit qui change de lit, la séduction de l'homme-tronc...). Je remarque une nouvelle fois que l'auteur ironise sur le révolutionnaire, il n'aime pas les idéalistes.
je précise que je ne regrette pas cette lecture, l'auteur m'intéresse malgré tout mais je ne comprends pas cette insouciance. Cossery se moque-t-il du lecteur ?
(message récupéré)
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21732
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Re: Albert Cossery
je suis assez tiède sur cette lecture. Premier sentiment le regard de ces hommes sur les femmes me contrarie vivement (que ce soit leurs critiques sur le physique ou la mentalité, et plus Karim qui se sert et ne paie pas).
Ces personnages ne me sont pas sympathiques et peut-être que l' auteur étend aussi la dérision sur eux ? L'ex-révolutionnaire qui joue devant le commissaire jusqu'à s'abaisser, j' ai trouvé cela assez méprisable, Heykal (l'initiateur des actions contre le gouverneur) assez trouble, Urfy semble lui mériter la compassion.
La dérision serait-elle, comme dans cette fable, une arme efficace contre le gouvernement ? Je pense que les politiques se ridiculisent tous seuls assez bien.
L'auteur se prononce donc pour la non violence.
c'était ma première lecture de cet auteur.
(message récupéré)
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Bédoulène- Messages : 21732
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Re: Albert Cossery
Les fainéants de la vallée fertile
amaz.fr a écrit:Les déboires d'une famille cairote qui a fait de la paresse son art de vivre :
Quelle curieuse famille que celle-ci, qui élève sommeil et mollesse au rang d'art de vivre suprême. Le père, le vieux Hafez qui "avait toujours maintenu autour de lui une ambiance d'oisiveté éternelle", ne sort plus de sa chambre depuis belle lurette, et cherche à se marier malgré son grand âge et une hernie énorme qui déforme son corps. L'oncle Mustapha fait trembler la maison par ses soupirs profonds et sans appel. "J'aime tes soupirs ; c'est comme si le monde entier s'ennuyait avec toi", lui dit son neveu Rafik.
Ce dernier, "le seul être lucide de toute sa famille" a choisi le sommeil comme un refuge. Pour garder sa vie de fainéant, il a renoncé à épouser Imtissal, la jolie prostituée, lui brisant le cœur - et le sien par la même occasion. Quant à son frère aîné, Galal, "cela fait sept ans qu'il dort, et qu'il ne se réveille que pour manger".
Dans cette maison assiégée par le sommeil, Serag, le cadet de la famille, cherche à sortir de sa léthargie. Il se rend chaque jour sur le chantier d'une usine en construction dans l'espoir de pouvoir y travailler un jour. "Serag avait entendu dire que les hommes travaillaient, mais c'était seulement des histoires qu'on racontait. Il n'arrivait pas à y croire complètement. Lui-même n'avait jamais vu un homme travailler."
Avec un humour féroce et une plume alerte, Albert Cossery nous plonge dans cet univers rongé par le sommeil. Avec grâce et virtuosité, il fait vivre des personnages qu'il dit inspirés de sa propre famille. Des situations surréalistes qui tiennent le lecteur bien éveillé… jusqu'à la dernière page de ce merveilleux livre.
REMARQUES :
Non, il s'agit probablement pas d'une façon de juger une vie léthargique comme on se l'imagine parfois pour le Proche Orient ? Peut-être plutôt comme un clin d'oeil vers cet empire occidental qui ne consiste qu'en efficience et actionisme.
Cossery décrit d'une façon loufouque, drôlatique un monde avec d'autres perspectifs : pourvu qu'on échappe au faire, pourvu qu'on puisse se consacrer à l'essentiel : le sommeil. Sachant de sa propre vie à Paris, de ses entretiens sur la place de la fainéantise dans la vie, nous comprenons que l'auteur ne se moque pas cyniquemment de ses personnages, mais y est attaché.
J'ai pris très grand plaisir de faire connaissance de l'auteur et j'espère explorer encore d'autres œuvres !
tom léo- Messages : 1353
Date d'inscription : 04/12/2016
Localisation : Bourgogne
Re: Albert Cossery
Albert Cossery nous propose un conte philosophique exaltant l’insouciance, le rejet de l’autorité, l’idée que l’argent et la possession ne font pas le bonheur.
Le dénuement de cette chambre avait pour Gohar la beauté de l'insaisissable, il y respirait un air d'optimisme et de liberté. La plupart des meubles et des objets usuels outrageaient sa vue, car il ne pouvaient offrir aucun aliment à son besoin de fantaisie humaine. Seuls les êtres, dans leurs folies innombrables, avaient le don de le divertir.
Son estime allait plutôt à des gens quelconques, qui n'étaient ni poètes, ni penseurs, ni ministres, mais simplement habités par une joie jamais éteinte. La vraie valeur pour Yéghen se mesurait à la quantité de joie contenue dans chaque être. Comment pouvait-on être intelligent et triste ?
Séduisant au départ. Le récit se déroule dans un quartier miséreux du Caire, avec ce que cela implique de personnages pittoresques (mendiants, estropiés, petits boulots , maquerelles et prostituées) et de couleur locale, décrits avec vivacité. J’ai suivi avec plaisir au début ces personnages hauts en couleurs, pleins d’humour, férocement attachés à privilégier la joie de vivre aux dépens de leurs petites et grandes misères.. Puis cela me fut de plus en plus difficile , pour eux aussi d’ailleurs, puisque leur ligne de vie ne pouvait se maintenir que grâce à la consommation de haschisch, que l’insouciance frisait la veulerie, leurs blagues de potache ne faisait plus rire que l’auteur et eux-même. Je me suis retrouvée lectrice interloquée et non charmée, peinant à adhérer à leurs démêlées d’une loufoquerie qui n’avait plus rien de la légèreté joyeuse du début.. La leçon ne m’ a plus séduite, a ce prix là.
(commentaire récupéré)
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Etre dans le vent, c'est l'histoire d'une feuille morte.
Flore Vasseur
topocl- Messages : 8559
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Localisation : Roanne
Re: Albert Cossery
On s'imagine l’auteur à l'image de ses héros, c'est-à-dire léger, facétieux, ne s'appesantissant pas sur ses malheurs, joyeusement rebelle aux riches et aux puissants. Il nous décrit Le Caire, sous une forme très couleur locale plutôt réussie, racontant la misère sans se lamenter, dans un style fleuri, peut-être un peu trop fleuri.
Ce livre est une galéjade fantasque, aux personnages hauts en couleur qui ont pour seul but de saisir l'instant quand il est bon. Cela se laisse lire, mais la fréquente pesanteur du style contraste avec une impression globale d'agréable amateurisme, d’inachevé.
(commentaire récupéré)
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8559
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 64
Localisation : Roanne
Re: Albert Cossery
LA MAISON DE LA MORT CERTAINE
Il arrive qu'on rate un rendez vous avec un écrivain et ça m'est arrivé avec Cossery.
Peut-être avais-je été refroidi par la franchise brutale de l'écrivain. Pas plus qu'Ettore Scola, Cossery n'hésite pas à montrer que la misère extrême dans toute son impudeur rend les humains méchants, cruels, cupides et lâches.
Comment être autrement quand on meurt de faim littéralement dans une maison complètement pourrie… Et qu'on mobilise son énergie pour survivre. Dans les pires conditions.
Tels sont les quelques habitants de la maisons de la mort certaine dans une venelle du Caire.
Tapie au sommet de la venelle des Sept Filles, la maison de Si Khalil, le propriétaire dégoutant, craquait sous la rafale et achevait de se convertir en ruines. Il faut dire l'atroce vérité. Cette maison ne tenait debout que par miracle.
Seuls des fils de putain, aveuglés par une misère abjecte, pouvaient abriter leur chétive existence entre ces murs délabrés...
Aussi, pour prévenir tout danger, avait-on interdit l'accès à la venelle à tout genre de véhicule et même à certains vendeurs ambulants, dont la voix trop puissante risquerait de préciiter la catastrophe.
P. 7
Car enfin qu' est-ce qui les maintient en vie ? Leur vie est un enfer et même la mort refuse de les prendre.
Mais vivent ils encore ou sont-ils seulement des fantômes affamés, exangues et et furieux ?
Condamnés à attendre la chute de leur maison.
Comme si le seul malheur autorisé résidait là. Attendre et mourir.
Pourtant derrière leurs colères, leurs gesticulations, leurs disputes, on perçoit l'humanité asservie des gens de rien.
A bout de résistance, ils font venir un écrivain public pour adresser une supplique au gouvernement.
Cher gouvernement.
Nous voulons te dire, par la présente, que notre maison est en train de s'écrouler et que Si Khalil, ce propriétaire dégoûtant, ne veut plus la réparer.
Il nous a présenté un soi-disant ingénieur possédant plusieurs diplômes, mais nous avons tout de suite compris que ce n'était qu'un inverti n'ayant en fait de diplôme que la rondeur de ses fesses.
Nous l'avons traité comme il convient, en le renvoyant d'où il était venu...
Nous espérons que tu viendras voir la maison, pour que tu puisses t'en rendre compte, sinon nous l'apporterons chez toi, ce qui est la même chose.
Nous te saluons avec respect et sommes tes serviteurs jusqu'à la fin de nos jours qui sont comptés.
P. 90
Récupéré
mots-clés : #social
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Albert Cossery
L'histoire ne m'a pas intéressé plus que cela car elle est secondaire selon moi dans cette oeuvre. Les péripéties s'enchainent de manière quasi-absurde sans fil chronologique précis ni concordance entre les différents évènements. J'ajouterais même que l'élément pertubateur arrive comme une cheveu sur la soupe et cela m'a d'ailleurs rappelé Sukkwan Island au niveau de l'effet de surprise. Récit trés bien mis en scène par le fait de suivre plusieurs personnages à la première personne et ce, successivement. Il n y a pas de liant hormis les personnages qui se connaissent. Du coup c'est un effet agréable car on est transporté d'un point de vue à un autre sans jamais trouver cela compliqué et dérangeant. Ajoutons à cela une fin magnifique avec un dialogue entre Gohar et Nour El Dine qui restera vraiment gravé dans mes souvenirs de par sa précision dans les mots et la clarté des arguments et des sentiments.
Les personnages sont vraiment le coeur de ce roman. Ce sont des personnalités très travaillées avec des descriptions de leurs pensées et de leur caractère très précises voire minutieuses. Nous ne faisons pas que suivre ces personnages, nous finissons par les connaître réellement, à nous prendre d'affection ou de dédain pour eux. Il est rare que des livres ayant d'aussi nombreux passages de description des troubles d'un personnage et de sa façon d'être ne laissent de place à l'ennui dans certains passages. Là ce n'est jamais le cas et c'est un peu logique, dés le début cela nous est annoncé : les personnages ne sont présentés que par leur manière de réfléchir et ce à la première personne donc si l'on accroche les dix premières pages alors le reste sera d'une grande fluidité également.
il est agréable de constater leurs nuances et surtout leurs défauts, leurs failles. Elles sont énervantes mais l'on se prend de compassion et même d'estime par la façon qu'ils ont de les assumer et presque de les revendiquer. Il ne s'agit pas d'un orgeuil déplacé mais d'un sentiment de révolte paisible qui a pour cause leur marginalisation extrême.
Le style est magnifique, non par le vocabulaire qui même s'il est riche reste simple ce que j'apprécie personnellement mais surtout par le rythme des phrases. C'est un rythme tranquille, reposant, agréable à suivre, continuellement paisible ce qui contraste avec le manque liant entre les évènements.
Les dialogues sont plein d'une emphase qui fait sourir et qui m'a rappelé certains dialogues platoniciens avec moultes courbettes et compliments. Les interrogations du policiers font elles-mêmes penser à l'ironie socratique où Gohar serait le meilleur des sophistes sans allusion péjorative.
Un ouvrage superbe que j'avais envie de relire dés que je l'eus fini. Je pense d'ailleurs que je le referais dans quelque temps pour y découvrir de nouvelles choses. Je suis vraiment gâté en ce moment au niveau littéraire cela fait décidément beaucoup de bien.
mots-clés : #psychologique
Hanta- Messages : 1597
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Age : 37
Re: Albert Cossery
Après avoir lu Mendiants et orgueilleux, c'est un réel plaisir de retrouver Albert Cossery. Entre deux siestes, je lis Les fainéants de la vallée fertile. Je me délecte d'oisiveté, de nonchalance, de lenteur espiègle.
tom léo a écrit:
Non, il s'agit probablement pas d'une façon de juger une vie léthargique comme on se l'imagine parfois pour le Proche Orient ? Peut-être plutôt comme un clin d'oeil vers cet empire occidental qui ne consiste qu'en efficience et actionisme.
Oui ! Plus qu'un simple éloge de la paresse, c'est une inversion des valeurs. Il semblerait bien que Cossery s'amuse à placer chez ses personnages l'opposé des valeurs dominantes du monde occidental. Il tourne en dérision avec finesse le productivisme. Ainsi, il accable de honte celui qui veut travailler, comme aujourd'hui on le ferait pour celui qui ne le voudrait pas.
Albert Cossery a écrit:Il avait l'impression de voguer au-dessus d'une humanité croupissante qui n'avait pas encore découvert sa véritable nature. La sottise des hommes étaient incommensurable. Qu'avaient-ils besoin de se démener, toujours hargneux et mécontents, lorsque l'unique sagesse résidait justement dans une attitude nonchalante et passive. C'était pourtant si simple. Le moindre mendiant aurait compris cela !
La suite de l'extrait :
Quand il pensait au destin qu'il aurait eu s'il était parti avec Imtissal, Rafik éprouvait un frisson de terreur. Il serait aujourd'hui un esclave parmi les esclaves. Et à cause d'une femme ! Car elle l'aurait induit à travailler.
La femme pousse-t-elle l'homme à s'asservir au travail ?
(@animal, on peut l'avoir ce smiley dans la boîte ? )
Ce n'est pas Alexandre le bienheureux qui contredirait Cossery !
A noter tout de même que ce sont des réflexions issues d'un monde où seuls les hommes travaillaient en majorité.
Invité- Invité
Re: Albert Cossery
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15959
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Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Albert Cossery
Recueil de cinq nouvelles, ou plutôt suite de portraits cairotes, dans les années quarante :
I – Le facteur se venge
Un repasseur drogué qui ne sort de sa paresse que pour insulter le facteur, souffre-douleur du quartier, et pour baiser sa femme ou la battre. Or le facteur rêve d’une revanche de tyran… C’est un sommet d’abjection, et on est loin d’une ode à la paresse…
II – La jeune fille et le haschache« Il se sentait trop fatigué pour aller jusqu’à chez lui et battre sa femme. Il aurait voulu plutôt dormir. »
(Le haschache est le consommateur de haschich). Une jeune fille en proie au désir se livre à un drogué qui peine à sortir de son sommeil.
III – Le coiffeur a tué sa femme« Tous les gens qui habitent ce quartier sont des imbéciles. Quant aux femmes, ce sont toutes des putains. Elles ne savent faire que des commérages lorsqu’il n’y a pas un homme pour les baiser. Comme je voudrais leur pisser à tous sur la tête. La drogue qui me rendra fou, il y a cinq jours que je n’en ai pas senti l’odeur. Le monde va bientôt finir. Si ça continue encore quelques jours, il n’y aura plus de monde. »
Chaktour, le misérable ferblantier de la ruelle Noire, n’a plus d’espoir. Son fils arrive avec une botte de trèfle, pour le « mouton de la fête », que son père n’a pas les moyens d’acheter. (Traditionnellement, chaque famille sacrifie un mouton pour le repas de l'Aïd el-Kebir, la "grande fête" musulmane qui commémore le sacrifice d'Abraham.)
Le gendarme, autre despote de quartier, évoque la « révolte des balayeurs » qu’il a maté la veille. Chaktour est déconcerté par cet évènement, ainsi que par le crime du coiffeur ambulant ; mais lui vient la conviction que la misère arrive à sa fin.« L’homme tout en travaillant pensait à la mort comme à la seule délivrance possible, et il la désirait ardemment pour lui, sa femme, son enfant et toute la ruelle. »
« Il n’était pas gêné pas sa misère. Elle était grande et large et il s’y promenait librement. Elle était comme une prison spacieuse ; il était libre d’aller d’un mur à l’autre de sa misère sans demander la permission à personne. Il était seulement gêné de la sentir si abondante. C’était une misère riche. Il ne savait comment la dépenser. Il regarda l’enfant, l’héritier d’une telle richesse. »
Sarcastique, Cossery personnifie la ville qui broie les pauvres au profit des puissants (il distingue « ville européenne » et ville indigène) ; ce texte fut considéré comme subversif par les autorités…
IV – Danger de la fantaisie
Abou Chawali est le maître de cette « école des mendiants », et le scandalise la théorie du lettré Tewfik Gad, « intellectuel raté », qui est d’user de psychologie, et de substituer la sympathie à la pitié pour toucher les « clients » :« L’école des mendiants se trouve au bout du sentier de l’Enfant-qui-Pisse, dans un endroit appelé la place du Palmier. C’est une vieille masure à l’état de ruine, effroyablement noyée dans les immondices. Elle sert en même temps de demeure à Abou Chawali. »
Une fantaisie qu’Abou Chawali rejette au nom du réalisme ‒ et de la dignité des mendiants :« La sympathie était un sentiment encore inexploité par la classe mendiante. Jusqu’alors la valeur d’un mendiant résidait dans sa misère crapuleuse, ses plaies suppurantes et son indicible saleté. Aussi cette race de pleurnicheurs incurables, aux douleurs criardes et à l’aspect mortel, devait disparaître et faire place à une foule de petites créatures habillées comme des poupées en sucre, et aux attitudes naïves et charmantes. Par leur maintien et leurs gestes pleins d’une grâce exotique, elles sauront établir chez le client un courant de sympathie, vite récompensé, car rien ne plaît à l’homme satisfait comme le spectacle qui l’émeut d’une manière agréable, sans le salir ni l’effaroucher. Il était certain que tous les idiots sentimentaux de la ville européenne seraient séduits par l’attrait irrésistible de ce pittoresque nouveau. »
On atteint dans ce texte goguenard un sommet de sordidité…« Abou Chawali, lui, répugnait à la fantaisie ; il était partisan du réalisme le plus cru, le plus dénué de complaisance, celui qui prend les clients à la gorge, les étouffe et les rend inaptes à tout genre d’optimisme. Il lui fallait des créatures rassemblant en elles les pires mutilations corporelles, souillées par mille maladies contagieuses et inguérissables. En somme, une matière humaine qui fût en mesure d’apitoyer les cœurs pourris et les consciences tarées de l’humanité repue. Et non seulement les apitoyer, mais aussi leur faire peur. Car Abou Chawali portait en lui, profondément enracinée, une idée sociale, pleine de sombres révoltes. »
« Il faut que nos enfants apparaissent tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire immondes et crasseux et qu’ils traînent dans les rues comme de vivants reproches. Il faut que le monde nous craigne et qu’il sente monter autour de lui l’odeur nauséabonde de notre énorme misère. […]
‒ La mendicité ne subira pas de modifications. Elle devra rester telle qu’elle est ou bien disparaître complètement de la surface de la terre. »
Qui a vécu au Caire se ramentera :
Excellente observation sur le mécanisme de l’émeute :« Les ordures incalculables de plusieurs générations mortes et oubliées fleurissent le long de ce sentier maudit. C’est la fin du monde ; on ne peut pas aller plus loin. La misère humaine a trouvé ici son tombeau. »
V – Les affamés ne rêvent que de pain« Alors les gens du terrain comprennent qu’un délire a éclaté quelque part et ils se précipitent tous vers le lieu du tumulte. Sans rien demander, sans s’inquiéter du motif, ils prennent l’affaire en mains, se lancent des injures et créent d’inutiles et irrémédiables confusions. »
Tristes amours de misère, la nuit, dans l’attente d’une aube d’espoir.
Cossery préfigure Naguib Mahfouz et ses harafîch (gueux des ruelles), avec une dimension plus critique ; on trouve déjà dans ce livre le petit peuple des terrasses qu’Alaa al-Aswany dépeindra.« Passèrent d’abord un vieillard aveugle traîné par un enfant nu, mais complètement nu et qui n’avait rien fait pour l’être. Mendiant et fils de mendiant. La rue les avala peu à peu, lentement, avec dégoût.
Puis passa une femme mariée qui était très pressée, mais personne ne savait pourquoi.
Puis une charrette avec deux hommes dedans, deux hommes maigres et silencieux.
Puis quelques vagues échantillons de l’humanité crasseuse, sans couleur ni relief, et qu’on ne peut pas décrire.
Puis la rue redevint ce qu’elle était. »
Mots-clés : #nouvelle #social #urbanité
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Re: Albert Cossery
oubli j'ai lu aussi Mendiants et orgueilleux
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
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Re: Albert Cossery
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Re: Albert Cossery
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Re: Albert Cossery
Une vieille bâtisse sordide menace ruine au sommet d’une venelle des quartiers populaires du Caire ; y cohabitent plusieurs familles démunies.
Cette résignation me paraît typique de la mentalité égyptienne (mais aussi fort répandue ailleurs en Afrique et en Orient), marque d’un certain fatalisme. Un des locataires est Abdel Al le charretier, aussi famélique que les autres, mais révolté et cherchant la cause leur misère, qui va comprendre que la solidarité seule peut leur rendre justice.« Alors, ils se disaient avec sagesse qu’un malheur qu’on connaît vaut sans doute mieux qu’un malheur sournois et qui se cache. »
Les autres habitants déclinent la pauvreté sous toutes ses formes, paresse, bêtise, y compris la désolation.« Abdel Al ne cessait jamais de secouer la torpeur de ses compagnons d’infortune. Il les rabrouait continuellement. Leur nonchalance de pauvres animaux apathiques le navrait. Indifférents aux véritables raisons de leur misère, ils ne savaient que vivre honteusement en exhalant des plaintes. Ils menaient une vie amère et pleine de tristesse. Abdel Al leur en voulait de cette immonde résignation. Il eût voulu les voir rejeter ce destin trop lourd par des actes audacieux, ou simplement tenter d’en connaître la source intarissable. Il est vrai que lui-même n’avait qu’une connaissance très vague des origines de son abjecte condition sociale. Mais cet éveil imperceptible de sa conscience suffisait à lui faire sentir sa supériorité sur les autres. Il ignorait encore l’inextricable enchevêtrement de l’économie, pour pouvoir résoudre les problèmes qui le hantaient. Il en était encore à la simplicité primitive de la raison. Ce n’était encore, chez lui, que des idées imprécises, voilées, comme une aube d’hiver. Il était souvent la proie d’intuitions, de lucidités éphémères. Une force magique le poussait à comprendre et à saisir les causes secrètes de sa misérable destinée. »
Quant au propriétaire, les « marchands de sommeil » ne datent pas d’hier :« Chéhata, le menuisier, abandonnant son travail, fixait le sol avec une obstination stupide d’aveugle. Il semblait pétrifié depuis des siècles. À quoi pensait-il ? Un jour, peut-être, on le saura. Il faudra bien qu’il dise un jour tout l’inconnu de sa souffrance. On ne pourra plus jamais le faire taire. Il criera si fort sa grande faim que personne, après, ne pourra plus dormir. »
Les pronostics allant bon train sur le moment où le taudis s’effondrera sur ses occupants, ceux-ci chargent Ahmed Safa le hachâche (consommateur de hachich) d’écrire une lettre de plainte au gouvernement (bien qu’ils se défient des autorités).« Si Khalil, c’était un propriétaire de la pire espèce. Tout d’abord, sa miteuse fortune, il la devait à des spéculations franchement criminelles. Après des années de recherches sordides, il avait découvert un merveilleux filon. Muni d’un petit capital, il s’était lancé dans l’achat de certaines maisons croulantes, d’innommables ruines que leurs propriétaires – trop heureux de s’en débarrasser quelques heures peut-être avant leur complet effondrement – lui abandonnaient pour un morceau de pain. Pour repérer ces effroyables taudis, il avait acquis un flair de chien policier. Sa capacité dans la reconnaissance et l’évaluation des futures ruines de la ville était presque légendaire. À l’heure actuelle, il possédait une dizaine de ces avalanches en suspens, éparpillées dans différentes venelles des quartiers indigènes. Cependant, c’était là un jeu de hasard auquel se livrait Si Khalil, car ces maisons pouvaient très bien s’écrouler avant d’avoir jamais rien rapporté. Mais Si Khalil avait foi en sa chance. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir quelques meurtres collectifs sur la conscience, par suite de certains hasards malheureux. Toutefois ces catastrophes n’étaient pas faites pour le décourager dans sa tentative d’être un homme respectable et fortuné. »
Un passage saisissant de cette novella, l’épisode où le vieux Kawa est "séduit" par une gamine étique qui convoite son orange pourrie…« Les enfants aiment beaucoup Ahmed Safa. Il les charme par des récits fantastiques. Comme eux, il vit en enfant. Il n’a pas les soucis des adultes ; ces soucis, lourds et puants. Le hachâche n’a pas honte de sa misère. Il n’a pas cette dignité idiote qu’ont les autres, lorsqu’il s’agit de mendier. Car le plus terrible ce n’est pas d’être pauvre, c’est d’avoir honte de l’être. »
« ‒ Quelle est l’adresse du gouvernement ? dit-il.
Cette adresse allait compromettre toute l’affaire.
Personne ne savait l’adresse du gouvernement.
‒ Le gouvernement, dit Rachwan Kassem, n’a pas d’adresse. Personne ne sait où il habite et personne ne l’a jamais vu.
‒ Pourtant il existe, dit Abdel Al.
‒ Qui le saura jamais ? dit Ahmed Safa. On n’est sûr de rien, en ce monde. »
« ‒ Peut-être que le gouvernement ne sait pas lire, mon fils, dit-il comme en se parlant à lui-même. »
Pour avoir vécu au Caire, je peux confirmer que, comme à Marseille, il est trop fréquent qu’un immeuble s’écroule ; le savoir-faire des bâtisseurs des pyramides n’est pas en cause, mais plutôt la corruption et l’incurie (permis de construire pour un étage, et on en monte deux-trois par-dessus…) Ça et le goût pour les encorbellements (balcons et autres moucharabiehs) dans une région où l’activité sismique n’est pas négligeable… J’ai en mémoire un bâtiment qui s’est effondré dans mon quartier, loin d’ailleurs d’être des plus miséreux : pour agrandir au rez-de-chaussée, on avait supprimé des piliers, évidemment porteurs…
La venelle, ou ruelle, c’est la hara cairote, lieu caractéristique qu’évoquent tous les romanciers de la ville.
« Jusqu’au soir, ils discutèrent de la situation, accroupis dans la cour. Ils n’avaient plus envie de se lever ni de faire le moindre geste. Ils se sentaient emprisonnés dans leur destinée et à jamais bannis du reste du monde. La maison pouvait s’écrouler, elle les trouverait prêts au suprême sacrifice. À quoi bon bouger, si tout doit finalement retomber dans le néant de la mort ? »
\Mots-clés : #lieu #misère #viequotidienne
Dernière édition par Tristram le Lun 11 Jan - 15:56, édité 1 fois (Raison : MAJ TAGS)
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Re: Albert Cossery
Un père et ses trois fils vivent ensemble, ou plutôt dorment de concert. Serag, le dernier, rêve d’une émancipation qu’il appelle « travailler », même si le concept de travail paraît biaisé dans son milieu et alors qu'une brève promenade l’épuise, le laissant hébété et ressentant douloureusement un manque, celui de l’activité, de l’ardeur. Rafik, le second, est un paresseux remué par la malveillance, qui a « étudié à l’école des ingénieurs » et renoncé par souci de sa quiétude à épouser Imtissal, prostituée spécialisée dans les étudiants, tandis que l’aîné, Galal, parvient difficilement à se lever pour manger.
Le vieil Hafez, qui a recueilli Mustapha son frère ruiné, réside seul à l’étage de leur maison ; quoique affligé d’une grotesque hernie, il a décidé de se remarier par l'intermédiaire de l’entremetteuse Haga Zohra, afin de réaffirmer sa tyrannique autorité sur ces fils dont le repos risque d’être perturbé par ce changement. Hoda, la jeune serve plus que servante, insultée et violentée, amoureuse de Serag, complète la maisonnée en veillant aux tâches nécessaires parmi les dormeurs.« J’avais peur de tout ce qui n’était pas notre maison. De tout ce qui bouge et se démène vainement dans la vie. Quand je ne suis pas dans mon lit, il me semble qu’un tas de choses funestes peuvent m’arriver. Je ne suis vraiment tranquille que couché. C’est pourtant facile à comprendre. Fais un effort. »
Ce livre est hallucinant : c’est une description très précise de la fainéantise avec ses variantes, paresse érigée en système du rien faire « – la volonté du moindre effort – » comme « philosophie de vie ». L’exposé de ce comportement est si minutieux qu’on a l’impression d’une étude sur le vif de cette sorte d’irrépressive apathie, genre d’anémie morbide et généralisée. Certes l’humour donne le sourire, mais le sordide de cette condition ne permet pas d’y voir autre chose qu’une satire – en tout cas pas un éloge de l’oisiveté. Seul un Égyptien pouvait dresser un tel portrait sans s’attirer des accusations de paternalisme et de mépris pour le petit peuple du Nil : Cossery donne vie au préjugé le plus réactionnaire qu’un lecteur, surtout occidental, puisse avoir sur cette population. Évidemment il force le trait et il serait stupide de généraliser son point de vue, mais il y a sans doute un fond de vérité dans cette accablante dénonciation d'une malédiction familiale, d'un certain fatalisme oriental. À noter que Cossery voit un travers systémique, national, dans cette fascination du sommeil :
Mimi l’artiste inverti, Abou Zeid le misérable marchand de cacahuètes, Antar l’énergique enfant vagabond sont d’autres protagonistes gravitant autour de la famille, mais le thème central est bien la turpitude des membres de cette dernière. Leurs rares velléités d’action, généralement motivées par le vague ressentiment qui les habite, n’aboutissent qu’à un épuisement résigné qui semble atavique. Ils émanent la torpeur, retombent sempiternellement dans un stérile abattement.« Ils n’avaient par l’air harassé, mais plutôt triste. Eux aussi devaient dormir dans leurs bureaux poussiéreux au fond de quelque ministère. Ce qui les tracassait surtout, c’était de ne pouvoir dormir chez eux. Il fallait qu’ils se déplacent pour aller dormir ailleurs, et donner ainsi l’impression qu’ils accomplissaient de hautes besognes. »
Serag, ayant renoncé à la perspective de travailler dans une usine dont la construction est abandonnée, décide d’aller en ville ; je ne peux m’empêcher de voir dans ce personnage poignant l’image dramatique d’une jeunesse qui ne rêve que d’aventure, de partir dans une fuite polarisée par un projet plus ou moins chimérique, ce qu’est souvent l’émigration.
Petit livre déroutant, donc recommandable !
\Mots-clés : #Famille #misere
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Re: Albert Cossery
Gohar est devenu un misérable drogué, mais épris de liberté et refusant le fatalisme, ayant en fait renoncé à sa complicité dans le soutien de l’ordre établi pour jouir de l’existence.
C’est Yéghen, un poète aussi misérable que lui, doté d’un « optimisme féroce », « Le laid condensé », qui le ravitaille en haschisch, et l’appelle « maître ».Ainsi, malgré son apparente déchéance, il conservait toujours ce rôle d’intellectuel omnipotent qui avait été sa gloire dans le passé, à l’époque où il enseignait l’histoire et la littérature dans la plus grande université du pays.
« Enseigner la vie sans la vivre était le crime de l’ignorance la plus détestable. »
Les deux personnages incarnent une « frivolité devant la misère » qui dit beaucoup de Cossery, ou en tout cas de ses valeurs d’oisiveté et de joie.« Ce que Gohar admirait surtout en lui, c’était son sens véritable de la vie : la vie sans dignité. Être vivant suffisait à son bonheur. »
Dans un moment de manque, Gohar étrangle une jeune prostituée pour lui voler ses bracelets dorés (pourtant évidemment de pacotille), afin de réaliser son rêve d’aller en Syrie, « paradisiaque » pays voisin où le haschisch est répandu et légal.
Dans les proches relations des deux amis, El Kordi, un petit fonctionnaire révolté, dans sa soif de justice sociale « considère que la société est seule responsable de ce crime » ; ce révolutionnaire inconsistant, prétendument amoureux d’une jeune prostituée malade, forme un contrepoint avec l’officier de police Nour El Dine, « pédéraste » intelligent et représentant du pouvoir qui enquête sur le meurtre, mais aussi avec son ami Gohar et sa philosophie prônant la simplicité de « cet extraordinaire dénuement, ce vide merveilleux et tentant comme un mirage, cette nudité », tout en saluant « l’effarant orgueil de ces va-nu-pieds ».
Mais la misogynie demeure explicite.« − Il faut choisir, dit Gohar. Le progrès ou la paix. Nous avons choisi la paix. »
« Il n’a plus rien à perdre. Songe qu’on ne peut plus rien lui enlever. »
« L’attitude de Yéghen et de ses semblables le déconcertait toujours ; ils avaient l’air de ne pas se rendre compte qu’il y avait un gouvernement. Ils n’étaient pas contre le gouvernement ; simplement ils l’ignoraient. »
On est dans le Caire d’après-guerre, entre « ville indigène » et « ville européenne »… La ville populaire est celle du sordide homme-tronc qui excite la jalousie de sa femme, celle de la vie profuse :« Il est simplement sous l’influence de toute une littérature européenne qui prétend faire de la femme le centre d’un mystère. El Kordi s’ingénie à croire que la femme est un être pensant ; son besoin de justice le pousse à la défendre en tant qu’individu social. Mais au fond, il n’y croit pas. Tout ce qu’il demande à la femme c’est de coucher avec lui. Et encore, la plupart du temps sans payer, parce qu’il est pauvre. »
Cet excellent roman a été composé dans l’admiration de Cossery pour Dostoïevski, manifestement inspiré de Crime et Châtiment. Sorte de conte philosophique avec en climax le discours de Gohar à la fin comme l’a souligné Hanta, il décrit aussi à merveille les Égyptiens que j’ai coudoyés, souvent pauvres, souriants, affables et… plutôt oisifs…« Il était onze heures du matin et la place fourmillait d’une multitude de gens dont les allures affairées ne trompaient personne. Yéghen admirait cette persistante stagnation au milieu de ce désordre et de ce mouvement illusoire. Pour un œil exercé, il était facile de se rendre compte qu’il ne se passait exactement rien d’urgent ni de sensationnel. »
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