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Message par Bédoulène Ven 9 Déc - 13:28

Alejo Carpentier y Valmont (1904-1980)

Alejo Carpentier Alejoc10

Alejo Carpentier y Valmont, né le 26 décembre 1904 à Lausanne1 et mort le 24 avril 1980 (à 75 ans) à Paris2, est un écrivain cubain, romancier, essayiste, musicologue, qui a profondément influencé la littérature latino-américaine durant son fameux boom.
Alejo Carpentier est le fils de Jorge Julián Carpentier, un architecte français et de Lina Valmont, un professeur de langues russe. Il a 12 ans quand sa famille s'installe à Paris. C'est là qu'il commence à étudier la musicologie. Quand il retourne s'installer à Cuba, Alejo Carpentier commence des études d'architecte, qu'il ne terminera pas. Il se consacre au journalisme, mais son engagement à gauche lui vaut un séjour en prison (1928), sous la présidence de Gerardo Machado, avant de l'obliger à s'exiler en France. Il y rencontre les surréalistes, dont André Breton, Paul Éluard, Louis Aragon, Jacques Prévert et Antonin Artaud. Durant ce séjour en France, il fait plusieurs voyages en Espagne où il développe une fascination pour le baroque.

De retour à Cuba en 1939, il poursuit une carrière de journaliste et de chroniqueur de radio. Il assiste à une cérémonie Vaudou et s'intéresse à la culture afro-cubaine. En 1943, il est marqué par un séjour à Haïti, durant lequel il visite la forteresse de la Citadelle La Ferriere et le Palais Sans Souci, bâtis par le roi noir d'Haïti Henri Christophe. En 1945 il s'installe à Caracas (Venezuela) où il vivra jusqu'en 1959. Après le triomphe de la révolution cubaine il revient à La Havane. En 1966 il devient conseiller à l'ambassade de Cuba en France où il résidera jusqu'à sa mort. Il compose plusieurs musiques de films pour la Cuba Sono Film, compagnie liée au Parti communiste de Cuba (Cf. La classe ouvrière, c'est pas du cinéma, Éditions Syllepse, 2013, p. 78).

Alejo Carpentier est célèbre pour son style baroque et sa théorie du real maravilloso. Ses œuvres les plus connues en France comprennent Le Siècle des Lumières (1962), La Guerre du Temps (1967), Concert baroque (1974). Son premier roman, Ecue-yamba-o! (1933), est d'inspiration afro-cubaine. Dans Le Royaume de ce monde (1949), son premier grand roman, il évoque le mouvement révolutionnaire haïtien. C'est aussi dans le prologue de ce roman qu'il décrit sa vision du real maravilloso ou « réel merveilleux », que les critiques identifieront au réalisme magique.


Son séjour au Venezuela de 1945 à 1959 lui inspire manifestement la description du pays sud-américain sans nom où se déroule l'essentiel de son roman Le Partage des Eaux (1953).

Son roman Le Recours de la méthode (El Recurso del Método), publié en 1974 est l'un des grands romans de la littérature latino américaine à tracer le portrait type du dictateur (en prenant ici pour modèle la figure de Machado). Il est précédé en cela par Miguel Ángel Asturias avec El Señor Presidente (1946), Augusto Roa Bastos : Yo el Supremo (1974) et suivi par Gabriel García Márquez : El Otoño del Patriarca (1975) et Mario Vargas Llosa : La Fiesta del chivo (2000). Il a été adapté au cinéma par Miguel Littín en 1978 sous le titre El recurso del método (sorti en France sous les noms de ¡Viva el presidente! et Le Recours de la méthode).

La fin de sa vie est marquée par une lutte contre le cancer, tandis qu'il termine son dernier roman
Il meurt à Paris le 24 avril 1980 à l'âge de 75 ans. Son corps est transféré à Cuba, où il est enterré dans le cimetière Colón de La Havane. Ses funérailles sont célébrées le 28 avril, en présence du président Fidel Castro.
 (source : wikipedia)

Oeuvres traduites en français :

Le Royaume de ce monde
Los pasos perdidos
Le Partage des eaux
Chasse à l'homme
Le Siècle des Lumières
Le Recours de la méthode
Concert baroque
La Harpe et l'Ombre
La Danse sacrale
La Musique à Cuba
Ekoué-Yamba-Ô
Guerre du temps et autre nouvelles





Alejo Carpentier 51xf1k10

« La danse sacrale »

Tout au long de ce livre la musique (jazz, classique, Cubaine..) et la danse  nous accompagnent, avec  les rapides déboulés,  le lecteur suit les héros en Espagne durant la guerre civile ;  suivi d’un grand jeté qui le projette à Cuba où bientôt le révolutionnaire Fidel Castro prend le pouvoir, installant le Communisme sur l’Ile.

L’aristocratie pompeuse avec ses compromissions à la dictature, voire la mafia nord-américaine,  son insolence,  son racisme est relatée avec des détails pointus qui rendent plus frappant le contraste avec  la situation du  peuple créole.
J’ai beaucoup aimé ce récit foisonnant de citations culturelles, de digressions historiques .

Les révolutions qu’elles soient   artistiques,  technologiques, sentimentales, morales….. m’ont intéressée, surtout celles conduites par le Peuple et qui ont jalonné le destin des personnages.

Ce récit entraîne le lecteur dans une danse éternelle, mais que la vie réinvente selon les contingences
J’ai eu beaucoup de plaisir aux passages dédiés à la cuisine, aux plantes (l’éloge au fromager notamment) comme ceux très critiques et intéressants  envers Paris, Caracas, New-York.

Ce qui m’a troublée ce sont les réflexions en contre-temps,  sur les homosexuels ;   le racisme mais qu’en fin de lecture le gouvernement nouveau éradique. L’amour enfin reconnu de Calixto (Noir) et Mirta (Blanche) en est le bel exemple.

Que des sujets que j’aime dans ce livre dont le fond m’a rappelé « Zones » d’Enard par les références abondantes et dont certaines d’ailleurs se croisent.

Révérence !  à l’auteur et aux centaines de Cubains qui ont perdu la vie pour leurs idées en Espagne et à Cuba

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Message par Chamaco Lun 12 Déc - 20:10

Alejo Carpentier 51eyh010

le "Partage des Eaux"

C'est le premier roman que je lis de cet auteur, une découverte, on peut trouver ses bouquins à Cuba, je les ai croisés en librairies mais je n'avais pas été tenté par l'achat, ce sont vos notes de lectures qui m'ont appâté tel un "gobi" comme on dit à Marseille. Alejo Carpentier 3361326938

j'en suis au début et il s'est passé une chose bizarre : les premières pages ne m'ayant pas accroché, ce deballage d'ennui risquant d'être communicatif, j'ai repris vos commentaires en me disant que peut être devrai-je me rendre directement aux passages concernant la forêt tropicale. Mais entretemps un passage m'a retenu, celui où le Conservateur lui fait entendre un disque d'oiseau, le questionne et où le héros explose de colère, et là j'ai ressenti de l'interet pour le récit de l'auteur, sa langue, ses phrases ont un rythme envoutant, ce rythme que je suppose vous avez dû ressentir pour en parler avec affection...
Donc, c'est dit, je continue...

Alejo Carpentier 36161710

Comment faire la synthèse d'un récit qui fourmille de centaines de pistes qui mènent chacune au rêve et à l'imagination..?
Je ne puis pour l'instant que jeter quelques impressions de lecture :
j'ai relevé des passages étranges dont celui des réverbères qu'il énumère un par un en les situant comme des ornements d'édifices religieux, civils ou administratifs dans une graduation initiatique.
Son rapport aux femmes égoïste et un rien macho :"aussi me repliai-je sur moi-même bien décidé à jouir seul de tout ce qu'on pourrait voir, oublieux de ma compagne, même si elle sommeillait sur mon épaule en poussant des soupirs pitoyables."
Les passages sur une révolution suggérèe plus que vécue. Cette suite d'évènements qui progressivement le mène vers la forêt comme un tronc d'arbre au fil d'une rivière. Sa rencontre à un arrêt d'autocar sur une route de montagne avec une femme assise sur une borne, en état d'inanition qui l'implore de ne pas la laisser mourir à nouveau.

"La veille de notre départ en effet _ je m'en souvenais bien maintenant _ elle avait invoqué le fameux "désir d'évasion" en donnant au grand mot "Aventure" toute sa résonance d'invitation au voyage, de fuite du quotidien, de rencontres fortuites, de vision d'Incroyables Florides du poète halluciné. Mais jusqu'à présent, pour elle qui restait étrangère aux émotions qui m'enchantaient si bien chaque jour, et qui me faisaient retrouver des sensations oubliées depuis mon enfance, le mot Aventure n'avait signifié que le séjour forcé à l'hôtel de la ville, le spectacle de panoramas d'une grandeur monotone, un voyage sans incidents, au cours duquel on traînait la fatigue de nuits passées sans lampe de chevet, coupées dans le premier sommeil par le chant des coqs."

--- Dans un autre ordre d'idées j'ai bien aimé ces passages : celui décrivant la "lancha" :
" Avec sa cargaison de taureaux mugissants, de poules encagées, de cochons en liberté sur le pont, qui couraient sous le hamac du capucin, s'empêtrant dans son chapelet de graines; avec le chant des cuisinières noires, le rire du Grec chercheur de diamants, la prostituée en deuil qui se douchait à la proue, le vacarme des musiciens qui faisaient danser les marins, notre bateau me faisait penser à La Nef des Fous de Bosch...."

et cette phrase :
"Il était plus intéressant pour un peuple de conserver le souvenir de La Chanson de Roland que d'avoir l'eau chaude à domicile."
il semble que ce soit une fin ouverte, à un moment le narrateur propose à Yannes de l'accompagner à leur retour de la ville pour mettre en place le gisement découvert par le Grec, mais un peu avant on ressent qu'il envisage de retourner à la "civilisation" pour continuer la musique, c'est l'incertitude...
---Ce livre est une ode à la nature, et je commence à comprendre ce qu'est le "real maravilloso" un peu certains passages décrivant le royaume des elfes dans le Seigneur des Anneaux (toutes proportions gardées et sans confusion)..
ce long passage de la messe dans la forêt vierge, la description de la ville fondée par l'Adelantado (l'avancé), et ce fabuleux retour aux origines de l'humanité, c'est une explosion de mots, un fleuve de poèsie, j'ai aimé ce livre..
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Message par Bédoulène Mar 13 Déc - 8:43

Alejo Carpentier 51eyh010

"Partage des Eaux"  

Toujours le plaisir de l'écriture poétique, lyrique de l'auteur, il semble (à la lecture de mes 2 livres) que la musique sous tous les sons soit indispensable à cette écriture.
Une petite révolution ou une guerre civile pour situer l'époque.
Quels plaisir que les descriptions de l'auteur qui s'accompagnent de références littéraires, musicales, scientifiques selon l'objet, voire la personne étudiée.

Une région, des rites, des populations dont je n'avais aucune connaissance et dont l'évocation m'a autant, surprise, enchantée mais aussi effrayée tant notre société est en est éloignée, tant notre état primitif s'est altéré.

La conclusion de cette expérience, de ce voyage dans la profonde forêt vierge : les Indiens n'ont nul besoin de notre religion (cf l'assassinat de l'ecclésiastique) de nos lois, il semble aussi, hélas,  que le sentiment de faire partie d'une "race supérieure" s'exprime parmi ces peuplades (cf les prisonniers repoussants que découvre le narrateur)

La population métissée vit simplement en accord avec la nature, adaptant ses besoins au rythme de la journée, des saisons, des lieux, respectant la Nature et les us et religions des autres populations.

Le narrateur, exerçait un métier (musicien) qui n'était pas un métier utile pour vivre dans le dur environnement  de la forêt vierge, et je pense qu'il ne pouvait aussi pas offrir à Rosario ce qu'elle attendait d'un Homme, il s'en rend compte à son retour.

Le retour à la Nature, du moins celle-ci, semble impossible quand on a dans nos valises mentales tant de notre société matérialiste. Il ne suffit pas que de s'émouvoir des oiseaux, des plantes, des pierres, du chant de l'eau, il faut savoir gérer les dangers et nos peurs.

Il faut un corps et une âme forte mais surtout sincère pour s'adapter à une telle Nature.

Je n'ai pas saisi la fin du récit : le musicien part avec Yannes à la ville, oui mais après ? le lecteur ne peut que supposer et de toute façon il me semble que seule la musique, s'il réalise la création envisagée, pourra le sauver de la solitude, du désarroi dans lequel il se trouve.

Encore une fois c'est avec un grand plaisir que j'ai suivi Carpentier, merci à tous ceux qui par leur commentaire m'ont donné l'envie de cette découverte.


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Message par animal Dim 26 Fév - 18:52

Alejo Carpentier 51eyh010

Le Partage des eaux.

Qui se présente sous la forme du journal d'avant et de voyage d'un homme, un musicien qui a enterré ses ambitions très personnelles vis à vis de la musique, ce que sa passion a d'essentiel derrière une vie terne et embrumée par l'alcool entre une femme peu présente et une amante et ses amis, intellectuels dans le temps, qui forment une brume molle autour de sa conscience. Des vacances se télescopent avec une proposition du conservatoire pour aller retrouver dans la forêt équatoriale des instruments primitifs d'aujourd'hui. Et c'est un départ et une fuite qui dépasse le bon temps de l'équipée avec Mouche qui lui devient insupportable vers un retour aux sources en avant dans une vie différente.

Enfin ce n'est pas aussi simple que cela. Avec sa construction classique et solide, l'auteur tresse dans son récit l'enchevêtrement des thèmes et des manières, des motifs. D'entrée on ne comprend pas tout, surtout quand on n'y connait rien en musique et à l'espagnol, il y a part de mystère ! Et ça tombe bien aussi. Peut-on ne pas s'identifier à cet ennui qui écrase notre bonhomme, peut-on ne pas se laisser prendre au cheminement condensé de cet homme qui redécouvre à travers le voyage le souvenir de son enfance et ses racines intimes, cet homme qui recherche une naissance de la musique pour enfin comprendre et exprimer son apparition, ou son apparition à sa conscience, cet homme qui va rencontrer une incarnation de la femme libérée à sa manière, qui donne l'impression de vivre un choix naturel, complètement. C'est extrêmement bien écrit et décrit, la puissance de captation du lecteur est merveilleuse, on a envie de se perdre dans cette dissolution ébahie et consciente, cette sensation de révélation.

Pourtant de multiples autres figures habitent le récit : chercheurs d'or, indiens, missionnaire, et les époques entre en collision comme naturelle avec toujours l'ombre d'un universel possible à la fois montagne et gouffre au pied de l'homme. Malgré cette tentation apaisante point de primitivisme heureux, des détails très concrets empêchent que ça ne prenne complètement. Tout ce mouvement, ce retour d'une culture sur elle même, de l'homme sur lui même à son échelle, d'un temps plus grand dans ses pensées, d'un homme vers une femme matrice dans ses désirs, d'une musique vers le besoin de musique (et la grande tentation humaniste qui va avec en parfait double de la face aiguisée de la culture), la recherche du besoin d'expression plus précis à travers ce besoin de l'origine et de l'authenticité de la musique, ne mène qu'à détacher l'autre vanité. Pas celle des intellectuels surréalistes ou non qui se contentent(-eraient ?) de répéter ce qui est dans l'air du temps pour croire se sauver d'un désarroi existentiel mais celle aussi de notre homme qui est juge et erreur. A lui aussi sa révélation, si importante, échappe. Son rêve comme celui du chercheur (d'or) se dissout et devient un ailleurs qu'il nous reste à imaginer (à l'image ou non de fray Pedro). Après l'envolée, quand se referme le livre on retrouve, changé(s), le plancher des hommes.

Le livre donne dans le solide à l'ancienne, un peu comme du Malraux (le choix de destins individuels et la présence de la mort , quelque chose de cette construction ?). Ce n'est pas la même tonalité bien que la culture soit présente. C'est plutôt à rechercher dans la mise en œuvre et en mouvement d'une réflexion et la capacité de mener un récit à plusieurs strates chacune d'importance pour le sens final. C'est aussi des moments incroyablement porteurs, dans cet échappement, ce dépaysement qu'on peut qualifier de merveilleux, de salvateur... Sans négliger bien sûr ce qu'une telle lecture peut nourrir dans son lecteur, dans l'expérience faite et les graines laissées dans les recoins de la pensée.

(Rapatriement).

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Message par Tristram Lun 27 Fév - 22:03

Je découvre ce fil, mais pas ce livre, au centre de mes questionnements et expérimentations d'expatrié amazonien...
« Penché sur la chaudière démoniaque, je me sens envahi par le vertige des abîmes ; je sais que si je me laissais fasciner par ce que je vois là, par ce monde prénatal, de ce qui existait quand il n’y avait pas d’yeux, je finirais par me précipiter, par m’enfoncer dans cette effroyable épaisseur de feuilles qui disparaîtront de la planète, un jour, sans avoir été nommées, sans avoir été recréées par le Mot, œuvre peut-être de dieux antérieurs aux nôtres, de dieux mis à l’épreuve, maladroits à créer, ignorés parce qu’ils ne furent jamais désignés, parce qu’ils ne prirent jamais forme dans la bouche des hommes… »
Alejo Carpentier, « Le partage des eaux »

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Message par Avadoro Mar 7 Aoû - 22:26

Alejo Carpentier Alej_10

Le siècle des lumières

Un roman difficile à synthétiser, voire même à évoquer tant l'écriture d'Alejo Carpentier fait naitre des impressions contrastées entre ferveur et tristesse, espoirs et désillusions, avec un lyrisme poétique d'une fièvre luxuriante.

Le siècle des Lumières est avant tout un regard porté sur une déception, un renoncement, au moment où les vagues de la Révolution française déferlent vers les Antilles mais se heurtent à la démesure d'idées mortes-nées, par la violence qu'elles suscitent et les contradictions qu'elles portent. La figure historique du négociant Victor Hugues, de Cuba à la Guyane, incarne un déchirement romanesque emportant avec lui tous les protagonistes du roman, reflet d'une tragédie à la fois fascinante et éprouvante à suivre.
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Message par Bédoulène Mer 8 Aoû - 7:33

le sujet m'intéressant et plus encore ton ressenti je note ce livre, et puis c'est Alejo Carpentier, merci Avadoro !

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Message par Chamaco Mar 2 Oct - 5:30

Avadoro a écrit:Alejo Carpentier Alej_10

Le siècle des lumières

Un roman difficile à synthétiser, voire même à évoquer tant l'écriture d'Alejo Carpentier fait naitre des impressions contrastées entre ferveur et tristesse, espoirs et désillusions, avec un lyrisme poétique d'une fièvre luxuriante.

Le siècle des Lumières est avant tout un regard porté sur une déception, un renoncement, au moment où les vagues de la Révolution française déferlent vers les Antilles mais se heurtent à la démesure d'idées mortes-nées, par la violence qu'elles suscitent et les contradictions qu'elles portent. La figure historique du négociant Victor Hugues, de Cuba à la Guyane, incarne un déchirement romanesque emportant avec lui tous les protagonistes du roman, reflet d'une tragédie à la fois fascinante et éprouvante à suivre.

Noté : acheter ce livre à mon retour en décembre, Merci Very Happy
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Message par Tristram Mar 26 Juil - 13:31

Le Royaume de ce monde

Alejo Carpentier Le_roy10

Bref roman très dense, chronique menée tambour battant de la sanglante révolte des esclaves de Saint-Domingue, suivie de l'exil des colons à Santiago de Cuba. Suivant Ti Noël, victime de l’époque, Carpentier nous relate le quotidien des plantations, la mutinerie des Noirs menés par le Mandingue Mackandal, manchot rebelle qui marronne et qui, devenu puissance vaudou, empoisonne bétail et gens ; à ces croyances africaines (inspirant le « réalisme magique » de l’auteur) s’opposent celles des propriétaires, chrétiens qui refusent les idées nouvelles d’égalité humaine. Puis c’est Pauline Bonaparte, épouse du général Leclerc, beau-frère de Napoléon, ensuite le règne du roi Henri Christophe dans son palais de Sans-Souci, dans sa forteresse au mortier lié de sang de taureaux sacrifiés, indépendance haïtienne aussi dure pour les petits que la servitude précédente, avant que les mulâtres ne prennent le pouvoir et que la servitude ne se renouvelle. Une page d’histoire, brillamment étudiée et rendue : l’influence de la révolution française dans la région (que Carpentier reprendra dans Le Siècle des lumières) − un éblouissant raccourci du cours de la misère humaine dans les Caraïbes. Avec un vocabulaire fort riche, et des scènes anthologiques (comme l’épidémie, l’ambiance de fin du monde chez les colons, la mort d’Henri Christophe).
« Les pluies obéissaient aux conjurations des sages et lors des fêtes de la circoncision, quand les adolescentes dansaient, les cuisses laquées de sang, on frappait des pierres sonores qui faisaient une musique comme de grandes cascades assagies. »

« Mais avec l'âge M. Lenormand de Mézy était devenu maniaque et buvait. Une érotomanie perpétuelle lui faisait guetter à toute heure les jeunes esclaves, dont l'odeur l'excitait. »

« Soudain, Pauline se mit à marcher par la maison de façon étrange, évitant de mettre les pieds sur l'intersection des dalles qui, c'était notoire, ne formaient des carrés que sur l'instigation impie des francs-maçons désireux de voir les hommes fouler la croix à toute heure du jour. »

« Il fallait épuiser le vin, exténuer la chair, être de retour du plaisir avant qu'une catastrophe eût enlevé toute possibilité de jouissance. »

« Çà et là se dressaient des pans de murs, telles de grosses lettres brisées. »

« Il comprenait à présent que l'homme ne sait jamais pour qui il souffre ou espère. Il souffre, et il espère et il travaille pour des gens qu'il ne connaîtra jamais, qui à leur tour souffriront, espéreront, travailleront pour d'autres qui ne seront pas heureux non plus, car l'homme poursuit toujours un bonheur situé au-delà de ce qui lui est donné en partage. Mais la grandeur de l'homme consiste précisément à vouloir améliorer le monde, à s'imposer des tâches. Dans le royaume des cieux il n'y a pas de grandeur à conquérir, car tout y est hiérarchie établie, existence sans terme, impossibilité de sacrifice, repos, délices. Voilà pourquoi, écrasé par la douleur et les tâches, beau dans sa misère, capable d'amour au milieu des malheurs, l'homme ne peut trouver sa grandeur, sa plus haute mesure que dans le Royaume de ce Monde. »
Avec une pensée pour la terrible histoire d’Haïti, sempiternellement recommencée…

\Mots-clés : #ancienregime #colonisation #esclavage #historique #insurrection #misere #regimeautoritaire

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Message par Bédoulène Mar 26 Juil - 15:18

merci Tristram, ce livre me tente et j'apprécie de lire l'auteur

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Message par Tristram Sam 27 Aoû - 11:55

Chasse à l'homme

Alejo Carpentier Chasse10

I (un quart du livre)
Le caissier d’un théâtre où est jouée la Symphonie héroïque de Beethoven, un mélomane autodidacte méconnu et/ou aigri, se fait refiler un faux billet par un spectateur arrivé à la dernière minute (suivi de deux autres). Ce théâtre (de La Havane) est situé en face du vieux palais du Mirador où le caissier loge dans les combles et où semble se tenir une veillée funèbre.
Un spectateur assiste à l’exécution de la symphonie, pantelant et se sentant rejeté par le public.
« Les rôles sont distribués en ce Théâtre, et le dénouement prévu pour l’aprèshoc erat in votis ! − de même qu’il y a la cendre dans le bois non encore allumé… »
hoc erat in votis », locution qu’on retrouve sur le fronton de l’Université havanaise, signifie « voilà ce que je désirais ».)
Avant la fin de la représentation, le caissier tente d’utiliser le faux billet pour coucher avec une prostituée, qui est trop occupée à ruminer la menace de la prison dont elle vient de faire l’objet, « une inquisition », et revient au théâtre pendant le finale.

II (de loin la plus longue partie du livre) :
Un jeune étudiant en architecture qui a délaissé ses études pour agir clandestinement contre le régime s’est réfugié sur la terrasse du Mirador, et veille une vieille dame à l’agonie. Il prie Dieu, attend « le résultat de la Démarche ». Peu à peu s’expliquent le faux billet, la prostituée. Il apparaît que le fugitif est traqué par des acolytes parce qu’il a trahi sous la torture. L’homme traqué erre dans l’ombre des colonnes et des arbres de la ville. Il se remémore son histoire, et nous la révèle ; il évoque les différentes factions de la révolution qui s’affrontent en violents règlements de comptes.
« Il crut voir en toutes choses une succession identique, un processus inéludable selon lequel elles recevaient leur énergie d’une autre chose ; un identique enchaînement des actes, qui cependant ne pouvait être indéfini. »

« On continuait à affirmer que c’était juste et nécessaire ; mais lorsque le chassé du Mirador, le condamné d’à présent, était de retour d’une expédition, il devait boire jusqu’à tomber ivre mort, afin de continuer à croire que ce qu’il avait fait était juste et nécessaire. »
Il a lui-même tué :
« Un peu plus tard, en apprenant que quelqu’un avait soudain tiré profit de cette mort, des doutes l’avaient assailli ; mais ceux qui, autour de lui, maniaient habilement les Mots qui justifiaient tout, les avaient vite dissipés. "La révolution, disaient-ils, n’est pas encore terminée." Et, de degré en degré, poussé par des mains toujours plus actives, il était tombé peu à peu dans la bureaucratie de l’horreur. La fureur des premiers temps, le serment de venger ceux qui étaient tombés, le HOC ERAT IN VOTIS invoqué devant les cadavres des condamnés se transformèrent en métier aux gains rapides, dispensateur de hautes protections. »
III (quelques pages) :
En brève coda, le dénouement de la tragédie.

Préface de l’auteur à l’édition française de 1958 :
« La dictature du président Machado (1925-1933), à Cuba, compte parmi les pires tyrannies qu’ait subies l’Amérique latine depuis le début de ce siècle. Renversé par une grève générale qui l’obligea à s’enfuir à l’étranger, il fut combattu non seulement par les masses de son pays mais également par des groupes terroristes, issus de l’université de La Havane, qui exercèrent leur action contre les chefs de la police répressive et quelques-uns des principaux collaborateurs de Machado − dont le président du Sénat −, mais ils échouèrent, plus d’une fois, dans l’organisation d’attentats contre le dictateur lui-même.
La fuite de Machado − longuement maintenu au pouvoir par le gouvernement des États-Unis − fut suivie d’une longue période de désordres, pendant laquelle certains groupes activistes de la première heure, dépourvus d’une idéologie valable, n’ayant plus de but précis, se transformèrent peu à peu en véritables gangsters politiques, vénaux et ambitieux, au service de tel ou tel leader qui se servait d’eux au nom de l’idéal révolutionnaire. Alors commencèrent les délations, les luttes intestines, les vendettas entre bandes ennemies, etc. Il arriva qu’un délateur fût exécuté par ses propres compagnons, comme le rapporte un chapitre entièrement véridique du présent livre.
Certains pays d’Amérique latine, situés dans ce qu’il est convenu d’appeler le "Cône Sud", assistent, en ce moment, à des événements fort semblables à ceux qui inspirèrent ce roman − événements qui lui confèrent une dramatique actualité.
L’action de Chasse à l’homme dure le temps d’une exécution traditionnelle de la Symphonie héroïque de Beethoven, soit à peu près quarante-six minutes. La structure du récit répond, en une certaine manière, à la forme d’une sonate en trois mouvements, dont le second présenterait une série de variations sur les trois thèmes-personnages du début. »
Ce récit présente plusieurs points communs avec la biographie d’Alejo Carpentier, étudiant à la Havane engagé à gauche, ce qui lui vaudra de la prison sous Machado, avant de s’exiler.
Le nouement maîtrisé de l’intrigue et la structure musicalisée de ce roman assez court exigent de la perspicacité de la part du lecteur (fort heureusement il est éclairé par l’auteur lui-même dans sa préface ci-dessus, qui ne retire rien au suspense ni à la qualité de l’ouvrage, l’enrichissant même en signalant ses perspectives).

\Mots-clés : #musique #regimeautoritaire #revolution

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Message par Bédoulène Sam 27 Aoû - 17:34

merci Tristram j'aimerais bien lire ce livre

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Message par Tristram Sam 27 Aoû - 17:43

Oui, il n'est peut-être pas très facile à lire si on ne sait pas de quoi il retourne, mais il est intéressant, outre par sa forme, pour mettre en évidence comme certaines rébellions tournent au grand banditisme.

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Message par Tristram Mar 27 Sep - 13:29

Concert baroque

Alejo Carpentier Concer10

« Le Maître », un riche mélomane mexicain du début du XVIIIe, petit-fils d’immigrés espagnols, part visiter l’Europe avec son valet Filomeno, un jeune Noir rencontré à Cuba. Après Madrid qui le déçoit, il arrive à Venise en temps de carnaval et y rencontre le prêtre Antonio Vivaldi, Domenico Scarlatti et Georg Friedrich Haendel qui ripaillent et jouent de la musique avec enthousiasme, notamment au cours d’une nuit libertine dans l’Ospedale della Pietà, un orphelinat de jeunes filles ; Filoméno se joint à eux dans ce qu’il appelle « une jam-session », et ira même applaudir Louis Armstrong ! Quant au « créole des Indes », il narre l’histoire de Montezuma à Vivaldi qui en fait un opéra avec « machines prodigieuses » (transformations de décors) et « manécanterie angélique » (chœur d’enfants), où la vérité historique n’est guère respectée.
« − Mais... Montezuma fut lapidé.
− Affreux pour un finale d’opéra. C’est bon à la rigueur pour les Anglais qui terminent leurs jeux scéniques sur des assassinats, des tueries, des marches funèbres et des propos de fossoyeurs. Ici les gens viennent au théâtre pour se divertir. »

« Tout est fable en Amérique, contes de l’Eldorado et du Potosi, villes fantômes, éponges qui parlent, moutons à la toison rouge, Amazones à sein unique, et Oreillons qui se régalent de Jésuites... »
Curieux concerto, effectivement fort baroque, scandé par les « mori », les Maures de la Tour de l’Horloge…

\Mots-clés : #musique

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Message par Bédoulène Mar 27 Sep - 20:16

je tenterai un jour car j'ai apprécié les livres lus

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Message par Tristram Lun 9 Oct - 16:59

Le Recours de la méthode

Alejo Carpentier Le_rec10

À Paris, au début du XXe, le Premier Magistrat, autocrate d’un pays andin, apprend que s’est déclarée une nouvelle insurrection d’une partie de l’armée ; après avoir joint son fils Ariel, ambassadeur à Washington, il se met en campagne avec son secrétaire le docteur Peralta et le colonel Hoffmann, puis mate les rebelles dans le sang.
Reparti à Paris, il apprend que cette fois c’est Hoffmann qui tente de prendre le pouvoir.
« C'est dans une semblable région qu'il lui faudrait poursuivre le général Hoffmann, l'assiéger, le traquer, et enfin le placer le dos au mur d'un couvent, d'une église ou d'un cimetière, et le passer par les armes. « Feu ! » Il n'y avait pas moyen de faire autrement. C'était la règle du jeu. Recours de la Méthode. »
Mais il n’a pas besoin de faire fusiller le séditieux, qui meurt enseveli par des sables mouvants.
« Quand on ne vit plus flotter que le képi, l'un des spectateurs jeta sur ce dernier un petit crucifix, vite englouti par le bourbier, à présent revenu à sa glauque quiétude. »
Pour contrer le militaire germanophile (la Première Guerre mondiale vient d’éclater, et apportera la prospérité économique au pays) et renouveler le contenu de ses discours "patriotiques" (les notions de liberté et autres valeurs ayant perdu tout sens) le Premier Magistrat prône le métissage créole, zambas (zambos, ou métis de Noirs et d’Amérindiens) ou mulâtres (pas trop foncés quand même) et les vertus latines, notamment la Vierge Marie (qu’il révère superstitieusement) : la civilisation gréco-romaine contre la barbarie germanique.
Puis il rencontre l’Étudiant, un communiste.
« Mais celui d’En Haut, pragmatique à sa façon et connaissant bien le milieu, avait pris dans la hâte de son impatience la voie ascendante que jalonnaient à présent ses bustes et ses statues ; celui d’En Bas était tombé dans le piège d’un messianisme d’un nouveau genre, qui sur tout le continent, par un fatal processus, conduisait le naïf aux Sibéries des Tropiques, à la piètre gloire du Bertillon ou, dénouement dont les journalistes de l’avenir feraient le thème de leurs articles, à la disparition qui-ne-laisse-pas-de-traces : les familles de la victime, volatilisée, devraient déposer des fleurs, en des dates anniversaires supposées, sur des tombes sans objet, avec un prénom et un nom inscrits sur la tristesse, pire encore que celle d’un cercueil, d’une fosse vide... »
Une fois la guerre terminée, la ruine économique provoque une crise qui intensifie le chaos dans le pays, en butte notamment à une grève générale organisée par l’Étudiant.
« Tout cela confinait de plus en plus le Premier Magistrat dans une île ; cette île avec des tours de guet, des miradors, de nombreuses grilles et une parure de palmiers symétriquement alignés, qu'était le palais présidentiel, où parvenaient tant de nouvelles confuses, contradictoires, fausses ou vraies, optimistes ou poussées au noir, qu'il était impossible de se faire une idée claire, générale, chronologique, de ce qui se passait réellement. Celui qui voulait minimiser la portée d'une défaite, ôtait de l'importance à l'événement, et parlait de rencontres avec des hors-la-loi et des voleurs de bestiaux alors qu'il s'était heurté à une véritable force populaire ; tel autre qui voulait justifier son impuissance, exagérait la force des adversaires ; ou s'il voulait dissimuler les lacunes de son information, escamotait la véritable situation. »
Finalement abandonné de tous, y compris de Peralta, sauf de sa gouvernante, et de l’étrange agent consulaire yankee amateur de racines (les marines ont débarqué), « L’Ex » Premier Magistrat retrouve son havre parisien, redécoré aux goûts modernes par sa fille Ofélia ; il emploie le je, et semble être (devenu) le narrateur. Plus que jamais « métèque », il sera maintenant dépassé par le temps.
Ce récit vaut surtout pour le lyrisme baroque des descriptions, notamment du monde créole et de l’extravagance rococo en architecture.
« C'était une maison qui faisait penser à la fois au style balkanique et à celui de la rue de la Faisanderie, avec des cariatides 1900, vêtues à la Sarah Bernhardt, qui grâce à la magique résistance de leurs chapeaux garnis de plumes supportaient mieux qu'un atlante de palais berlinois, un vaste balcon-terrasse fermé par des balustres en forme d'hippocampes. Une tour-mirador-phare dont les majoliques jaspées jetaient un perpétuel éclat dominait les toits en terrasse. »
Chaque chapitre et sous-chapitre est introduit par une citation de Descartes, dont la pensée structurée s’oppose à l’exubérance tropicale.
« C'est que, selon lui, l'esprit cartésien n'étant pas notre fort (et c'est vrai : dans le Discours de la méthode on ne voit pas pousser des plantes carnivores, ni voler des toucans, ni souffler des cyclones...) nous prisons exagérément l'éloquence débordante, le pathos, la pompe du tribun toute pétrie d'emphase romantique... Légèrement froissé – notre ami ne peut s'en rendre compte – par un jugement qui blesse au vif ma conception de la nature de l'éloquence (celle-ci est pour nous d'autant plus efficace qu'elle est plus touffue, sonore, ampoulée, cicéronienne, que ses images sont plus imprévues, ses épithètes plus incisives, ses crescendos plus irrésistibles...) [… »
Avec sa profusion érudite, le baroquisme stylistique de Carpentier correspond au foisonnement de la nature, de la musique et des sons, des odeurs, de la cuisine, comme de la surabondance de l’ornementation liturgique.
« Ici en revanche, à cette heure même, les forêts vierges chevauchaient les forêts vierges, les estuaires changeaient de place, les fleuves abandonnaient leurs lits du soir au matin et empruntaient d'autres cours, tandis que vingt villes construites en un jour, passant de la cahute en pisé à la demeure de marbre, du taudis au palais, de la complainte du chanteur des rues à la voix d'Enrico Caruso, tombaient subitement en ruine, lépreuses, abandonnées dès l'instant où un gisement de salpêtre avait cessé d'intéresser le monde, où la fiente de certains oiseaux marins qui enneigeait les récifs de ses flocons laiteux, avait cessé d'être cotée en Bourse, une Bourse fiévreuse, toute bruyante d'enchères et de surenchères, parce que des chimistes allemands avaient trouvé au fond d'une éprouvette le moyen de la remplacer... »

« Car c'étaient des terres de forêts, sur des flancs de montagnes toujours enveloppées de brouillard, estompées par des brumes qui se dissipaient ici quand elles s'épaississaient plus loin, laissant s'infiltrer le soleil quelques minutes par-ci par-là, par une brèche du ciel – pour éclairer la superbe ignorée de fleurs sans nom, grimpées sur les cimes des arbres impénétrables, ou magnifier inutilement, puisque personne ne la verrait, une splendide éclosion d'orchidées sur le toit de la sylve ; terres de forêts où sur des acajous, des jucaros, des cèdres et des quebrachos, et des essences si nombreuses et si rares qu'elles prenaient en défaut les classifications traditionnelles – elles avaient déconcerté Humboldt lui-même –, tombaient des pluies telles que les hommes, devinant leur approche par une odeur venue de loin, avaient l'impression d'entrer dans une année de sept mois, comprise avec son propre cycle dans une année de douze, et qui ne connaissait que deux saisons : l'une courte, empire de la moisissure, aux gestations précipitées, et l'autre longue, pluvieuse, mère d'un ennui sans limite. Lorsque retentissait le dernier coup de tonnerre de la saison, une nouvelle vie commençait – nouvelle étape, nouveau saut en avant – dans une végétation si humide et si empêtrée en son humidité qu'elle semblait engendrée par les lagunes et les marécages de la contrée, où coassaient inlassablement les grenouilles, grouillants de crapauds, irisés par les bulles errantes de pourritures englouties... »

« Le gros bourdon de la cathédrale se mit à sonner des coups solennels et rythmés. Et comme si sur l’œuvre primitive d’un gigantesque fondeur de cloches, eût retenti un énorme marteau père de cloches-filles, de filles-cloches, répondirent les clochettes vierges, au son aigu, jamais fêlées, de l’ermitage de la Paloma, juché sur les hauteurs, aux frontières neigeuses du Volcan Tutélaire. Leurs voix furent reprises par le soprano de Saint-Vincent de Río Frío, le baryton des petites sœurs de Saint-Joseph-de- Tarbes, le registre aigu du carillon des Jésuites, le contralto de Saint-Denis, la basse profonde de Saint-Jean-de-Latran, les notes argentines du sanctuaire de la Vierge Mère. Alors éclata une fête de sons, de gammes, d’appels, de tintements, d’accords joyeux. Des sonneurs de cloches et des enfants de chœur, des séminaristes et des capucins, malins et agiles, étaient suspendus aux cordes, montaient et descendaient, les jambes écartées, gigotaient dans les airs, remontaient d’un coup de talon, pour s’élever en un va-et-vient incessant au rythme du scandale du ciel, dans le grand puits sonore des clochers. Concerto du nord au sud, symphonie d’est en ouest, enveloppant la ville dans une prodigieuse polyphonie de pendules, de battements et de percussions, tandis que les sirènes des usines, les klaxons des automobiles, les poêles frappées avec des cuillères, les casseroles, les boîtes de conserve, tout ce qui pouvait faire du bruit, résonner, produire un vacarme assourdissant, élevait son tintamarre au-dessus des rues étroites de la vieille ville ou des nouvelles et larges avenues asphaltées. À présent les locomotives sifflaient, les voitures de pompiers hululaient, les sonneries de tramways vibraient avec une résonance de cuivre. »

« L’agent consulaire me montre à présent une curieuse collection de racines-sculptures, de sculptures-racines, de racines-formes, de racines-objets – racines baroques ou d’aspect sévère, avec leur surface polie ; compliquées, enchevêtrées, ou noblement géométriques ; dansantes, parfois, parfois statiques, ou totémiques, ou sexuelles, mi-animal, mi-théorème, jeu de nœuds, d’asymétries, tantôt vivantes, tantôt fossiles – que le yankee dit avoir recueillies au cours de ses nombreuses randonnées sur les côtes du continent. Racines arrachées à leurs sols lointains, entraînées en un flux et reflux incessant par les cours d’eau en crue ; racines sculptées par l’eau, culbutées, polies, patinées, argentées, désargentées, qui à force de tant voyager, secouées, se heurtant aux rochers, se cognant à d’autres souches charriées par les eaux, finissaient par perdre leur morphologie végétale ; détachées de l’arbre-mère, arbre généalogique, elles présentaient des rondeurs de seins, des arêtes de polyèdre, des têtes de sangliers, des faces d’idoles, des dentures, des crocs, des tentacules, des phallus, et des couronnes, elles se mariaient en d’obscènes imbrications, avant d’échouer, au terme de voyages séculaires, sur quelque plage que les cartes ignoraient. »
La satire, quoiqu’elle dépasse celle du dictateur (comme avec l'Académicien français admirateur de Gobineau), regroupe les constantes chez les tyrans : rapports ambigus avec la puissance des « Amerloques », manipulations constitutionnelles en vue de réélection, fortune bâtie sur la corruption, projets monumentaux mégalomanes (Capitole, prison modèle), éloquence oratoire, élimination physique des opposants, résidence (et soins médicaux) à l’étranger, etc.
Portrait générique du dictateur sud-américain auquel se sont adonnés plusieurs écrivains majeurs de l’Amérique latine, celui-ci est peut-être un peu plus sympathique que les autres, déchiré entre l’« ici » et le « là-bas », alternativement Paris et son pays. Passionné d’art, opéra et peinture occidentale principalement, le Premier Magistrat est fasciné par la civilisation raffinée de l’ancien monde (beaucoup d’allusions à l’univers proustien : Vinteuil, Verdurin, etc.), et curieusement cultivé pour un despote sanguinaire.

\Mots-clés : #portrait #regimeautoritaire

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Message par Bédoulène Mar 10 Oct - 11:19

merci Tristram, il me faudra revenir ver l'auteur

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