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Tahar Ben Jelloun

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Message par Ouliposuccion Lun 30 Jan - 10:55

Tahar Ben Jelloun
Né en 1944


initiatique - Tahar Ben Jelloun Tylych73


Lors de ses études de philosophie à Rabat, Tahar Ben Jelloun connaît le début d’une répression estudiantine. En 1965, beaucoup d’étudiants manifestent dans les grandes villes du Maroc mais les autorités réprouvent, et le jeune homme est accusé d’avoir organisé les émeutes. Il est envoyé avec 94 autres de ses camarades en camp disciplinaire de l’armée en 1966. Il n’est libéré qu’en janvier 1968 et reprend ses études. Il s’exile en 1971 en France et se spécialise dans la psychiatrie sociale. Son premier recueil de poésies est publié un an à peine après son arrivée et Le Monde s’intéresse à lui. Il devient pigiste dans ce grand journal et publie un roman en 1973 ‘Harrouda’ chez Denoël qui fait grand bruit chez les maîtres à penser comme Beckett ou Barthes. Jusqu’en 1981, Tahar continue à publier des poèmes et des articles. Son second roman ‘La Prière de l’absent’, puis en 1983 ‘L’Ecrivain public’, récit autobiographique, sont de véritables succès littéraires. Egalement essayiste, Jelloun n’hésite pas à s’engager pour des causes nobles comme le problème du racisme. En 1987, il reçoit le prestigieux Prix Goncourt pour son livre ‘La Nuit sacrée’. Ecrivain insatiable, Tahar Ben Jelloun écrit des dizaines d’ouvrages, dans presque tous les genres, son oeuvre poétique est d’ailleurs rassemblée en un volume au Seuil. Témoin révolté des crises du monde arabe, il publie en 1991 ‘La remontée des cendres’, consacré aux victimes anonymes de la guerre du Golfe, et ‘Le Racisme expliqué à ma fille’ (1998), ouvrage traduit dans le monde entier, et même en espéranto ! Son oeuvre est peuplée de personnages marginaux, en quête d'identité sexuelle et sociale. En 2008, il est nommé au jury du prestigieux prix Goncourt. il publie en 2012 chez Gallimard Le Bonheur conjugal.
(Source Evene)

Bibliographie:

Cliquer ici pour accéder à la bibliographie de cet écrivain prolifique :
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Message par Ouliposuccion Lun 30 Jan - 11:03

La nuit sacrée

initiatique - Tahar Ben Jelloun Tylych16

Parce que son père n’a pas eu de fils, une jeune Marocaine reçoit un prénom masculin : Ahmed. Récit d’une quête d’identité sexuelle et sociale, ce roman a été couronné en 1987 par le prix Goncourt.

Un livre , un écrin.
Un bijou enfermant la souffrance , le joyau d'une âme meurtrie et sans identité , l'éclat des lignes pures et oniriques , des chapitres oppressants et délicats , une écriture à couper le souffle de peur de perdre le conteur.
Une histoire qui nous montre l'hypocrisie d'une société abritant des âmes barbares et ignorantes , des êtres dénués d'humanité.
Puis vient cette voix , celle d'une identité perdue , d' une grandeur d'âme , celle qui ne rêve que de liberté du corps et de l'esprit , celle qui tente d'oublier un passé , qui découvre la vie dans un nouveau corps qui lui a si longtemps été interdit , l'oxygène suffisant pour lui permettre de se sentir vivante.
Une rencontre altruiste , philosophique , éloge de la solitude.
Mais oublie-t-on jamais..

"Rappelez-vous ! J'ai été une enfant à l'identité trouble et vacillante. J'ai été une fille masquée par la volonté d'un père qui se sentait diminué, humilié parce qu'il n'avait pas eu de fils. Comme vous le savez, j'ai été ce fils dont il rêvait. Le reste, certains d'entre vous le connaissent ; les autres en ont entendu des bribes ici ou là. Ceux qui se sont risqués à raconter la vie de cet enfant de sable et de vent ont eu quelques ennuis : certains ont été frappés d'amnésie ; d'autres ont failli perdre leur âme. Mais comme ma vie n'est pas un conte, j'ai tenu à rétablir les faits et à vous livrer le secret gardé sous une pierre noire dans une maison aux murs hauts au fond d'une ruelle fermée par sept portes



mots-clés : #conditionfeminine


Dernière édition par Armor le Mer 9 Aoû - 21:36, édité 1 fois (Raison : ti)
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Message par Tristram Lun 30 Jan - 12:41

Grand écrivain, parfois un peu obscur, mais qui rend très sensible aux thèmes qu'il aborde (condition féminine au Maghreb, mais aussi désert, écriture, etc.)

« Le principe littéraire le plus fondamental de tous les temps, c'est celui des Mille et une nuits. Raconte-moi une histoire ou je te tue… Nous sommes condamnés à raconter des histoires sous peine de disparition. Et une société sans romanciers, sans créateurs, sans raconteurs d'histoires, est déjà une société morte. »
Tahar Ben Jelloun, entretien in Magazine Littéraire 329, février 1995

« Ma condition de femme ne pouvait être dite. Oser la parole, c’était provoquer le diable et la malédiction. Oser la parole c’était déjà exister, devenir une personne ! »
Tahar Ben Jelloun, « Harrouda », 2

« Être femme est une infirmité naturelle dont tout le monde s’accommode. Être un homme est une illusion et une violence que tout justifie et privilégie. Être tout simplement est un défi. Je suis las et lasse. »
Tahar Ben Jelloun, « L’enfant de sable », 9, « Bâtir un visage comme on élève une maison »

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Tristram Ven 3 Mai - 0:06

Le premier amour est toujours le dernier

initiatique - Tahar Ben Jelloun Le_pre10

« Ce livre raconte le déséquilibre et les malentendus entre l'homme et la femme arabes. Les histoires qu'on y trouve ne parlent que d'amour, c'est-à-dire de solitude, de secret, et d'incompréhension. Et puis ce besoin d'amour devient vite une recherche de soi, car pour aimer l'autre, pour donner, il faut s'aimer un peu soi-même. Ce n'est pas si simple, dans un pays où la tradition et la religion aident surtout l'homme à asseoir sa petite puissance, alors même que rien ne peut s'y faire sans la femme. »
(Quatrième par l’auteur soi-même)

21 textes d’une moyenne de dix pages. Dès le premier, le lecteur se retrouve dans une réalité très factuelle ‒ en tout cas, pour l’avoir côtoyé, j’ai reconnu le comportement édifiant de certaines « gens du Golfe ». Puis un conte, un souvenir (vrai ou faux), un fait-divers ; le sixième permet de retrouver le ton des romans de Ben Jelloun que j’ai déjà lu : poétique, un peu angoissant, obscurément métaphysique. Les femmes musulmanes du Maghreb et leur misère ; l’amour aussi, à Petra, à Paris, ailleurs encore.
Un écho de ma précédente lecture, Le Météore de Capek ?
« Toute fiction est un vol de la réalité et il lui arrive d’y retourner et de s’y confondre. »
Sinon (peut-être pour qui se rappelle ses premières amours, et vit les dernières) :
« Le premier amour est toujours le dernier. Et le dernier est toujours rêvé. »

Mots-clés : #conditionfeminine #nouvelle

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Message par Bédoulène Ven 3 Mai - 13:16

merci Tristram, je lis en ce moment une histoire d'amour "la seule histoire de Barnes"

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Message par Tristram Lun 4 Mai - 0:25

L'insomnie

initiatique - Tahar Ben Jelloun L_inso10


Tanger : le narrateur, un scénariste, est insomniaque et découvre qu’il ne trouve le sommeil qu’après avoir tué quelqu’un ‒ remède qui ne dure qu’un temps, et donc à renouveler régulièrement. En fait, pris dans un engrenage, il force la main aux personnes promises à une mort proche.
« Je n’étais pas un tueur, mais un "hâteur" de mort. »

« ‒ Non, pas le tuer, mais juste avancer la date de sa mort… »
L’efficacité du procédé dépend de la "valeur" des personnes qu’il aide « en fin de vie à partir en paix » :
« Les points crédits sommeil ‒ c’est ainsi que je les appelais désormais ‒ que je venais de gagner étaient dix fois plus importants que ceux que m’avait fait gagner son frère qui, du fait de sa pauvreté, ne pesaient pas lourd dans la balance de ma bourse imaginaire. »
Cette histoire, assez rocambolesque (et qui m’a rappelé Vila-Matas, peut-être aussi par contamination de ma récente lecture), est occasion sinon prétexte à rendre compte avec un esprit fort critique de la société marocaine, empreinte des « mauvais souvenirs des années de plomb », d’autoritarisme, de corruption, d’hypocrisie, de prostitution, de sorcellerie, et de la religion musulmane.
« Elle a fait le pèlerinage cinq fois et pense que mourir sur les lieux saints de l’islam est une chance inespérée. J’aurais pu lui offrir le voyage pour qu’elle se laisse piétiner par des brutes et meure sur place. Mais je n’étais pas assez croyant pour tenter le coup. »

« Je ne jeûne pas durant le mois de Ramadan. Il m’arrive de boire un verre de bordeaux ou une coupe de champagne. Je n’exagère jamais. »

« J’ai réussi cependant à lui interdire d’insulter en ma présence les juifs et les Noirs. Il se retenait et je voyais que ça le démangeait et qu’il faisait beaucoup d’efforts. »

« Comme tous les grands voyous, il devait avoir une assurance européenne qui lui permettrait d’être évacué par avion sanitaire et d’être sauvé dans un hôpital parisien. »
Le narrateur est divorcé, toujours en contact et en mauvais termes avec sa mégère d’épouse, à la base de son problème d’insomnie.
« "C’est qu’elle t’aime toujours !" Comment pouvaient-ils confondre l’amour et cette volonté de nuire ? Comment penser qu’aimer c’est harceler, poursuivre de sa hargne une personne qui a été proche ? »
Belle étude clinique de l’insomnie :
« Nuits blanches, nuits sèches, sans rêves, sans cauchemars, sans aventures. Nuits tristes. Nuits étroites, étriquées, réduites à quelque souffrance. Nuits inutiles, sans intérêt, sans saveur. Nuits à oublier, à jeter dans la poubelle. Nuits traîtresses. Nuits sans vergogne. Nuits de bandits, de truands, de salauds. Nuits sales, perverses, cruelles, hideuses. Nuits indignes du jour, du soleil, de la lumière et de la beauté du monde. »

« Je ne sais plus depuis combien de nuits je suis privé de sommeil. Je ne dors plus. Impossible de fermer l’œil, même un instant. La nuit devient blanche et creuse. Son vide me torture et me met dans tous mes états. Dès que le soir approche, je ne suis plus le même. Je me surprends à mendier à voix haute : "S’il vous plaît… un petit peu de sommeil… un petit peu de cette douce et agréable absence… Une simple échappée, une brève escapade, un pique-nique avec les étoiles dans le noir absolu me suffiraient…" Mais rien. »

« Quelqu’un chuchote dans l’oreille : le sommeil est un animal de compagnie, il faut en prendre soin, sinon il te quitte et tu auras le plus grand mal à le faire revenir, un animal doux et tendre, capricieux, parfois compliqué, plus important qu’un chien ou un chat, c’est le prince de la compagnie, s’il t’abandonne tu connaîtras une douleur étrange… »  
Évidemment, « aider des vieilles personnes à s’en aller dans le calme et la dignité » évoque l’euthanasie, et ce livre peut aussi contenir une réflexion sociétale, ou même une fable ‒ à moins qu’il ne s’agisse que des fictions ou fantasmes du cinéaste, voire de ses rêves !
Dans un genre totalement différent que celui des autres livres de Tahar Ben Jelloun (au moins ceux que j’ai lu), celui-ci est finement humoristique, quoique grinçant.

Mots-clés : #humour #satirique #thriller

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Message par Bédoulène Lun 4 Mai - 8:28

un remède pour les insomniaques ! Smile

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Message par Quasimodo Lun 4 Mai - 9:11

Je prends note : celui-ci me semble approprié pour réessayer Tahar Ben Jelloun.
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Message par Tristram Lun 4 Mai - 11:59

Franchement, ce n'est pas son meilleur livre...

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Message par Quasimodo Lun 4 Mai - 12:25

Il me tente parce qu'il semble très différent de ce que j'ai lu !
Pour lesquels tu aurais une préférence ?
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Message par Tristram Lun 4 Mai - 12:41

C'est vrai, il est différent des autres que j'ai lu ; parmi ceux-ci, La prière de l'absent ou L'enfant de sable m'avaient paru plus substantiels.

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Message par Tristram Ven 13 Sep - 20:02

Les Yeux baissés

initiatique - Tahar Ben Jelloun Les_ye10

Fathma, la narratrice, dix ans, dont le « père absent » a émigré en « Lafrance », croit que son petit frère Driss est mort empoisonné par Slima, leur tante, qu’elle décrit comme haineuse et méchante. Elle vit dans un village désolé des montagnes de pierres du Sud marocain, dénué dans la fatalité.
« Notre village devait être une erreur. Loin de tout, il n’était accessible qu’à dos de mulet. Les hommes étaient tous partis soit en ville, soit à l’étranger. Il n’y avait que des femmes, des enfants et quelques vieillards. C’était un village que la vie effleurait à peine. »
Le père revient chercher sa famille pour aller en France, abandonnant sa maupiteuse sœur, et la petite Berbère rebelle découvre ce triste pays, surtout bloquée par la langue (elle qui a inlassablement désiré apprendre à l’école ne comprend même pas l’arabe). Mais elle apprend, grandit, toujours résolue à oublier son passé.
« Ma petite fille, aujourd’hui, tout cela, c’est du passé. Nous ne vivons plus au village. Ici, nous n’avons pas de souvenirs. Nous ne pouvons pas vivre comme si nous étions encore au village. Je t’ai inscrite à l’école. Le jour où je l’ai fait, j’étais fier. Mais je dois aussi t’avouer que j’ai passé une nuit blanche. Pour moi, c’était une révolution. J’avais peur et, en même temps, je n’avais pas le droit de te priver d’école. Je ne voudrais pas passer de nouvelles nuits blanches à penser à toi, nous causant des soucis, allant plus vite que ce que nous sommes capables d’accepter. Tu vas trop vite. Je sais que Paris est une ville où même les grands se perdent.
Sache que notre morale, notre religion sont différentes de celles de tes camarades de classe. Nous n’allons pas vivre toute notre vie dans ce pays où nous sommes des étrangers. »
Le thème du déracinement est prégnant, lié à celui de l’exil/ émigration.
« Et moi, de nouveau assise sous l’arbre, attendant, fixant un arbre, espérant le voir se déplacer et partir loin… S’il s’en allait, je m’accrocherais à l’une de ses branches et me laisserais emporter. Mais l’arbre ne bougeait pas. Son immobilité me narguait. Ses racines étaient profondes et très anciennes. Je pourrais passer ma vie entière face à cet arbre, il ne bougerait pas. C’était sa nature. C’était aussi sa fonction. Il retenait la terre. Si les hommes étaient des arbres, le village ne se serait pas vidé en si peu de temps. Les hommes pensaient que la terre devait les retenir, les empêcher de partir à l’étranger. Or la terre ne retenait personne. »
Elle est déchirée entre deux cultures, surtout pendant les assassinats racistes de 1973, mis en parallèle avec l’extermination pendant la Seconde Guerre.
« Morts gratuits, orages d’été. Morts inutiles, rendant ce pays obscène. Morts pour rien, ou alors pour assurer à une partie de cette société la laideur dont elle avait besoin. »
La famille fuit la Goutte d’Or pour les Yvelines, séjourne au village ; elle songe à l’amour.
Le récit raconté a posteriori n’est pas totalement descriptif et réaliste, de petites incohérences semblent montrer qu’il a été écrit au fil de la plume, sans reprise globale ; il y également des variantes, car la narratrice évoque ses souvenirs, mais aussi ses rêveries et fictions, et une dimension superstitieuse coexiste, surtout à propos de la tante maléfique, qui convoiterait un trésor ancestral promis à Fathma (ceci est annoncé dès le départ, mais il y a vers la moitié du roman une inflexion vers l’imaginaire, une rupture de sa cohérence, tandis qu’il prend parfois des tons de parabole) ; on a l’impression que l’écrivain(e) tâtonne en différentes directions, comme avec le thème pirandellien de l’auteur aux prises avec ses personnages (développé plus loin).
« …] d’après les paroles de l’arrière-grand-père mourant, j’étais celle dont la main est douée pour découvrir le trésor caché dans la montagne. »
De même que la religion (et les superstitions), les coutumes traditionnelles sont puissantes, ainsi le respect aux parents, la pudeur.
« – Baisse les yeux quand tu me parles. »
Ben Jelloun montre aussi par plusieurs faits rapportés les hypocrisies et les comportements sordides que cette foi et ces règles n’empêchent pas (le harcèlement sexuel, la condition féminine sont particulièrement pointés).
Deux vieillards parmi les quelques personnes demeurées au village devenu stérile :
« Alors pourquoi les souvenirs grandissent-ils en nous, naissent-ils et renaissent-ils comme des herbes sauvages autour des pierres tombales ?
– Les souvenirs, c’est notre vérité ; ils sont les témoins de la pauvreté de notre présent.
– Tel est le temps !
– Telle est l’époque, une vieille araignée tissant sa toile avec nos paroles lasses et inutiles.
– Nous sommes bien seuls !
– Seuls et abandonnés ; mais on ne peut s’en prendre qu’à nous-mêmes…
– Même si nous ne sommes que des ombres ?
– Oui ! des ombres défaites par le temps, assises aujourd’hui sur un banc de pierre, attendant que les arbres se plient, que les tombes s’ouvrent et que les ancêtres surgissent au bout de la nuit, nous rappelant notre indignité… »
Victor, un personnage qu’elle a créée et qui ne veut pas être abandonné :
« Quant à mon existence, c’est à toi que je la dois, j’ai le droit de réclamer la vie. Tu ne peux pas te dire que ce n’était qu’un jeu et qu’à présent tu passes à autre chose. Je vivais grâce à ton regard et à l’attention que tu me réservais. La terre sur laquelle je marchais t’appartenait comme mes phrases, mes gestes, mes crachats, mes tics, mes insomnies. En détournant ton regard, tu as failli me porter un coup fatal. J’ai échappé à l’anéantissement parce que j’ai eu la chance de garder vive ta voix, là, dans ma cage thoracique. Quand tu parles, ça vibre dans mes bronches. J’ai un peu de toi en ce corps incertain. Mes pieds, en fait, n’ont jamais quitté le sol que tu m’avais destiné. Je suis devenu lucide et j’ai mes exigences. Pour le moment, je te veux à moi tout seul ; mais si ça se gâte, j’alerterai tous ceux que tu as créés puis abandonnés. »
L’écrivain auquel elle demande conseil :
« Je trouvai dans une revue un entretien où il disait que, quand il commence une histoire, il n’a aucune idée de la manière dont elle va évoluer ni comment elle finira, et que ce sont les personnages qui le guident et qui provoquent les événements de leur propre drame. Il disait aussi que les personnages sont comme des amis, des gens avec qui il vit et dont il a du mal à se séparer. »

« Mais un personnage est d’abord une liberté. Vous ne pouvez pas en disposer comme d’une chose malléable. Disons que l’écriture est une négociation entre l’auteur et ses personnages. Moi, j’aime raconter des histoires. Quand j’en commence une, je suis incapable de savoir ce qui va se passer. C’est cela qui est passionnant. Si je savais tout d’avance, où serait le plaisir ? Le plaisir d’écrire, c’est justement les surprises que me réservent les personnages. Certains me jouent des tours, d’autres me déçoivent, d’autres enfin me séduisent et j’en tombe amoureux, j’ai du mal à m’en séparer, alors il m’arrive de déchirer un chapitre pour le plaisir de les retrouver et de revivre avec eux durant quelques pages. Parfois je les reprends sous un autre nom ou avec une nouvelle fonction dans un autre livre. Ce sont en général des amis. On leur donne vie et consistance. On ne peut pas les abandonner seuls sur la route qui se poursuit à l’infini. Ce sont des êtres que je respecte parce que je leur dois mes livres, même si c’est moi qui les imagine. Des amis ? Oui, mais il faut s’en méfier… »

\Mots-clés : #ecriture #exil #immigration #initiatique #relationenfantparent #xxesiecle

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Message par Bédoulène Sam 14 Sep - 11:50

merci Tristram ; donc entre réalité et imagination de la part de Fathma ?

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Message par Tristram Sam 14 Sep - 12:20

Il m'a semble que le doute était savamment entretenu par Ben Jelloun, mais la dénonciation des faits est ancrée dans le réel.
Le roman part dans un autre sens avec les considérations sur la superstition, puis sur l'écriture : il est bien spécifié que l'auteur commence à raconter une histoire, avec un personnage qui lui est cher, sans ligne de conduite respectée jusqu'à la fin. Même s'il part de la réalité sociale, c'est un roman du "romancé".

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