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Philippe Descola

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Message par Tristram Mer 26 Avr - 15:28

Philippe Descola
(Né en 1949)

Philippe Descola Descol10

Philippe Descola, né le 19 juin 1949 à Paris, est un anthropologue français. Fils de l'écrivain et historien hispaniste Jean Descola, ses recherches de terrain en Amazonie équatorienne, auprès des Jivaros Achuar, ont fait de lui une des grandes figures américanistes de l'anthropologie.
À partir de la critique du dualisme nature/culture, il entreprend une analyse comparative des modes de socialisation de la nature et des schèmes intégrateurs de la pratique : identification, relation et figuration.
Philippe Descola a étudié la philosophie à l'École normale supérieure de Saint-Cloud. Il rédige une thèse de doctorat en ethnologie à l'École pratique des hautes études (VIe section), sous la direction de Claude Lévi-Strauss.
Parallèlement à son doctorat, il est chargé de mission au CNRS et effectue son travail de terrain chez les Jivaros Achuar en Équateur de septembre 1976 à septembre 1979, en compagnie d'Anne-Christine Taylor, dont il est l'époux. De cette expérience ethnographique, il tire la matière de sa thèse intitulée, La Nature domestique. Symbolisme et praxis dans l'écologie des Achuar, soutenue en 1983 et publiée en 1986.
En 1987, il devient maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est nommé directeur d'études en 1989. Au sein de l'école, il coordonne le groupe de recherche sur les « raisons de la pratique : invariants, universaux, diversité ».
En juin 2000, il obtient la chaire d'« Anthropologie de la nature » au Collège de France, succédant à Françoise Héritier. Il occupe cette chaire jusqu'en 2019.
Dans ses recherches, Philippe Descola entend dépasser le dualisme qui oppose nature et culture en montrant que la nature est elle-même une production sociale, et que les quatre modes d’identification qu’il a distingués et redéfinis (totémisme, animisme, analogisme et naturalisme) ont un fort référentiel commun anthropocentrique. Ainsi, l’opposition nature/culture n'a plus guère de sens, explique-t-il, car elle relève d'une pure convention sociale. Il propose alors en vertu de ces propositions de constituer ce qu’il nomme une « écologie des relations ». Ces travaux font l'objet de la publication de son plus important et célèbre livre, Par-delà nature et culture, devenu un texte de référence. Il s'agit d'une anthropologie non dualiste, en ce sens qu’elle ne sépare pas en deux domaines ontologiques distincts humains et non-humains, une anthropologie donc qui s’intéresse aux relations entre humains et non-humains autant qu'à celles entre humains.

Ouvrages
• La Nature domestique : symbolisme et praxis dans l'écologie des Achuar, publication par la Fondation Singer-Polignac, Paris : éditions de la Maison des sciences de l'homme, 1986
• Les Idées de l'anthropologie, avec Gérard Lenclud, Carlo Severi, Anne-Christine Taylor, préface de Françoise Zonabend, Paris, éditions Armand Colin, collection « Anthropologie au présent », 1988
• Les Lances du crépuscule : relations Jivaros. Haute-Amazonie, avec dix illustrations de Philippe Munch d'après des documents de l'auteur et huit dessins de l'auteur, Paris, éditions Plon, collection Terre humaine
• Leçon inaugurale au Collège de France, pour la Chaire d'anthropologie de la nature, Paris, Collège de France, 29 mars 2001
• Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2005
• Diversité des natures, diversité des cultures, Paris: Bayard, coll. « Les petites conférences », 2010
• L'Écologie des autres. L’anthropologie et la question de la nature, Paris, éditions Quae, 2011
• Être au monde. Quelle expérience commune ?, avec Tim Ingold, Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Grands débats » : mode d'emploi, 2014, débat présenté par Michel Lussault
• La Composition des mondes. Entretiens avec Pierre Charbonnier, Paris, Flammarion, coll. « Sciences humaines », 2014
• Les formes du visible, Paris, éditions du Seuil, 02/09/2021
• Ethnographies des mondes à venir, avec Alessandro Pignocchi, Seuil, coll. « Anthropocène », 2022

(Ainsi que beaucoup d’ouvrages dirigés et autres contributions, y compris de nombreux articles de revue)

(Wikipédia)

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Tristram Mer 26 Avr - 16:09

La Composition des mondes

Philippe Descola La_com10

Philippe Descola est pour le moins un digne continuateur de l’œuvre de Lévi-Strauss, et même si je connais peu son travail à ce jour, j’ai apprécié notamment Les lances du crépuscule (je peux vous baller un monceau de citations sur simple demande). Ces entretiens avec Pierre Charbonnier permettent d’aborder l’œuvre et l’homme de biais, aussi introduire à l’ethnographie (cet intérêt pour l’autre) contemporaine. (Dans le même esprit, on peut écouter actuellement https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/le-gout-des-autres-4725026, 5 x 28').
Étudiant engagé, Descola se tourne vers la philosophie, puis l’ethnologie.
« Au contraire du mythe populiste qui fait de la « génération 68 » des jouisseurs épris de facilité, beaucoup d’entre nous étions stimulés par la nécessité un peu grandiloquente de manifester une intelligence à la hauteur des circonstances. »
Choix de l’Amazonie comme terrain d’étude, avec Claude Lévi-Strauss comme directeur de thèse.
« C’est bien là que résidait le mystère à percer : ces tribus en apparence totalement anomiques, sans cesse traversées par des conflits sanglants, continuaient pourtant à manifester une très grande résilience malgré quatre siècles de massacres, de spoliations territoriales et d’effondrement démographique provoqué par les maladies infectieuses. Où était leur ressort ? Comment définir ce qui, chez elles, faisait société ? »
Aussi une conscience écologique, c'est-à-dire du rapport à la nature, qui n’était pas courante dans les années 70. Évidemment marqué par le creuset de l’ethnologie américaniste,
« …] prendre les sociétés indigènes d’Amérique du Sud comme une totalité à multiples facettes et non comme réparties entre des blocs géographiques et culturels intrinsèquement différents. »
… et le structuralisme anthropologique,
« …] l’idée d’une combinatoire rendant compte de tous les états d’un ensemble par les différences systématiques qui opposent ses éléments. »
Rôle majeur du Laboratoire d’anthropologie sociale,
« Le choix même du terme « laboratoire », inusité à l’époque dans les sciences sociales, signalait déjà la volonté de placer la recherche en anthropologie sur un pied d’égalité avec les sciences expérimentales, en mettant l’accent autant sur l’enquête de terrain que sur ce qui vaut expérimentation dans notre discipline, à savoir l’élaboration de modèles susceptibles être comparés. Si l’ethnographie est une démarche nécessairement individuelle, l’ethnologie et l’anthropologie supposent en revanche non pas tant un travail collectif que l’existence d’un collectif de chercheurs, réunis avec leurs diverses compétences ethnographiques dans un lieu où ils peuvent échanger jour après jour informations, hypothèses et appréciations critiques, et disposant en outre de l’ample documentation et des systèmes modernes de traitement des données indispensables à leur entreprise. »
… création de Lévi-Strauss.
« Il a toujours encouragé l’originalité chez ceux qui le côtoyaient et découragé les tentatives de faire la même chose que lui. De ce point de vue, la seule exigence qui comptait était celle que l’on s’imposait à soi-même afin d’être digne de celle qu’il s’imposait à lui-même. Pour ma part, et cela depuis ce premier exposé dans son séminaire qui a été publié par la suite dans L’Homme, j’ai toujours écrit pour Lévi-Strauss. On écrit souvent en ayant un lecteur à l’esprit, et le lecteur que je me suis choisi dès l’origine, c’est lui. En effet, outre ses compétences et son savoir d’anthropologue, outre son imagination théorique et son jugement acéré, outre sa familiarité avec les problèmes philosophiques et son talent d’écrivain, Lévi-Strauss avait une grande connaissance de la nature – de la botanique, de la zoologie, de l’écologie – et il avait prêté une attention toute particulière à la façon dont l’esprit exploite les qualités qu’il perçoit dans les objets naturels pour en faire la matière de constructions symboliques complexes et parfois très poétiques. J’éprouvais ainsi une affinité profonde avec sa pensée, et c’est l’une des raisons qui expliquent ce choix de le considérer comme un lecteur idéal de mon travail. »
Rôle important également de Françoise Héritier qui lui fait briguer le Collège de France.
« Au fond, je poursuis l’entreprise que j’avais amorcée à l’École des hautes études, qui est d’explorer des domaines nouveaux, et donc de ne jamais enseigner les choses que je sais déjà, mais plutôt des choses que je suis en train de découvrir ou d’apprendre à connaître. »
À propos de son approche dans sa monographie sur les Achuars :
« Pourtant, en proscrivant toute référence ouverte à sa subjectivité, l’ethnologue se condamne à laisser dans l’ombre ce qui fait la particularité de sa démarche au sein des sciences humaines, un savoir fondé sur la relation personnelle et continue d’un individu singulier avec d’autres individus singuliers, savoir issu d’un concours de circonstances à chaque fois différent, et qui n’est donc strictement comparable à aucun autre, pas même à celui forgé par ses prédécesseurs au contact de la même population. »
Un résumé de son ouvrage anthropologique, Par-delà nature et culture :
« Peut-être faut-il rappeler le point de départ de cet exercice d’ontologie structurale. C’est l’expérience de pensée d’un sujet : je ne peux détecter des qualités dans un autre indéterminé, humain ou non humain, qu’à la condition de pouvoir y reconnaître celles au moyen desquelles je m’appréhende moi-même. Or, celles-ci relèvent à la fois du plan de l’intériorité – états mentaux, intentionnalité, réflexivité… – et du plan de la physicalité – états et processus physiques, schèmes sensori-moteurs, sentiment interne du corps… Le noyau originaire est donc un invariant hypothétique, le rapport entre intériorité et physicalité, dont j’étudie les combinaisons possibles. Elles sont au nombre de quatre : ou bien les non-humains ont une intériorité de même type que la mienne, mais se distinguent de moi, et entre eux, par leurs capacités physiques, c’est ce que j’appelle l’animisme ; ou bien au contraire ils subissent le même genre de déterminations physiques que celles dont je fais l’expérience, mais ils n’ont pas d’intériorité, et c’est le naturalisme ; ou bien encore des humains et des non-humains partagent le même groupe de qualités physiques et morales, tout en se différenciant ainsi par paquets d’autres ensembles d’humains et de non-humains qui ont d’autres qualités physiques et morales en commun, et cela correspond au totémisme ; ou bien enfin chaque existant se démarque du reste par la combinaison propre de ses qualités physiques et morales qu’il faut alors pouvoir relier à celles des autres par des rapports de correspondance, et j’ai baptisé cela du nom d’analogisme. »
Du terrain à la théorie :
« Si l’on n’est pas soi-même passé par l’expérience ethnographique, si l’on ne sait pas de quoi sont faites les briques constitutives que l’on va chercher dans la littérature ethnographique afin de bricoler des modèles anthropologiques, l’on aura toute chance de ne pas prendre les bonnes briques ou de ne pas prendre ces premiers éléments pour ce qu’ils sont. Et c’est aussi en ce sens que le terrain est fondamental, parce qu’il nous donne une appréhension plus juste des conditions sous lesquelles est produit le savoir ethnographique que nous utilisons pour construire nos théories anthropologiques. »
Les plantes cultivées sont considérées comme de même filiation que les Achuars, et le gibier comme des parents par alliance. Dans La Nature domestique, l’ambition de Descola « était de mettre sur le même plan les systèmes techniques de construction et d’usage du milieu et les systèmes d’idées qui informaient ces pratiques. » C’est « l’étude d’un système d’interaction localisé dans lequel dimensions matérielles et dimensions idéelles sont étroitement mêlées » qui constate « l’usage de catégories sociales – en l’occurrence, la consanguinité et l’affinité – pour penser le rapport aux objets naturels. » Descola reprend le terme d’animisme pour désigner ce schème.
Le retour du terrain :
« Ainsi, lorsque l’on a passé plusieurs années avec très peu de biens matériels et que l’on s’est aperçu que, au fond, on n’en avait pas réellement besoin, on se trouve tout à fait décalé vis-à-vis de la surabondance d’artefacts et la valeur centrale accordée à la richesse. Manger au moins une fois par jour, dormir à l’abri de la pluie, une rivière à l’eau claire pour se laver deviennent le maximum auquel on aspire, de sorte que l’on se trouve sans repères lorsque l’on revient au sein d’un monde englué dans les objets. […] Et l’on ne peut manquer, dans ce genre de situations, d’être frappé par la pertinence des analyses que Marx consacre à ce qu’il appelle le « fétichisme de la marchandise » : pour lui, le capitalisme se caractérise par le fait que les relations entre les êtres sont médiatisées par des marchandises, et que l’on finit par leur accorder plus de réalité qu’au monde social et moral. »
Puis Descola explique comment il a pu généraliser ses découvertes sur l’animisme sur la base des données recueillies avant et ailleurs, et les opposer au totémisme tel que vu par Lévi-Strauss tout en le modifiant en intégrant les données australiennes :
« …] dans le totémisme, la nature permet de penser la société, dans l’animisme c’est la société qui permet de penser la nature. »
Puis il articule le naturalisme (notre propre culture occidentale) avec ces deux concepts « ontologiques » « dans le jeu de continuité et de discontinuité des physicalités et des intériorités » entre humains et non-humains, tout en s’inspirant de nombreux travaux de ses pairs et relevant des inversions dans les schèmes différents qu’il contraste en dialectique des pôles du continu et du discret. Alors il discerne logiquement (en combinatoire selon la psychologie cognitive) la quatrième formule ou mode d’identification au(x) monde(s), l’analogisme qui existe en Mésoamérique, système de correspondances qu’il retrouve dans la Renaissance vue par Foucault, la Chine vue par Grenet… parachevant ainsi la matrice analytique qu’il propose.
Évidemment basé sur le structuralisme :
« Mais, comme je l’ai déjà dit, pour nous, l’objet de l’anthropologie [française] ce n’est pas ces agrégats de cultures dont on cherche à tirer des leçons généralisables, ce sont les modèles que l’on construit pour rendre compte d’une totalité constituée de l’ensemble des variantes observables d’un même type de phénomène et afin d’élucider les principes de leurs transformations. »
En dépassant la théorie du déterminisme technique et environnemental, et celle de l’évolutionnisme historique qui nous considère comme un modèle à atteindre en partant du "sauvage" (et l’impérialisme, voire le néocolonialisme) :
« La question principale que pose l’exercice critique de refocalisation auquel je me suis livré est la suivante : comment élaborer des instruments d’analyse qui ne soient ni fondés sur un universalisme issu du développement de la pensée occidentale, ni complètement segmentés selon les types d’ontologie auxquels on a affaire ? »

« L’exigence d’universalisme passe par la recherche d’une articulation entre l’ensemble des modes d’être-au-monde, par l’interopérabilité des concepts, c’est-à-dire par le fait de pouvoir nous voir nous-mêmes comme nous voyons les autres sociétés, de façon à ce que la singularité de notre point de vue ne soit plus un biais dans l’analyse, mais un objet parmi d’autres de cette analyse.
Plutôt qu’à un universalisme militant, ce à quoi j’aspire c’est à une forme de symétrisation qui mette sur un plan d’égalité conceptuelle les anthropologues et ceux dont ils s’occupent. »

« Lévi-Strauss avait employé l’analogie de la table de Mendeleïev, qui illustre bien ce qu’est à mon sens le travail de l’anthropologie : mettre en évidence les composants élémentaires de la syntaxe des mondes et les règles de leur combinaison. »
Exemple pratique : « le passage de l’analogisme au naturalisme entre le XVe et le XVIIe siècle en Europe », en considérant que « les deux pivots d’un mode d’identification naturaliste sont l’intériorité distinctive de chaque humain et la continuité physique des êtres et des choses dans un espace homogène ».
La quatrième et dernière partie confronte le monde contemporain à cette nouvelle grille de lecture. Sont présentés les divergences et échanges avec Bruno Latour, les implications en écologie, et les conséquences de l’économie humaine sur l’environnement.
« La difficulté principale de cette hypothèse est que les raisons du sous-développement volontaire des Achuar sont multiples. Il est vrai que traiter les animaux chassés comme des partenaires sociaux n’incite pas à faire des massacres inutiles, d’autant que les esprits maîtres du gibier sont toujours prompts à punir les excès, en envoyant des maladies, par exemple, ou en causant des « accidents ». Mais il y a aussi et surtout que les Achuar se sont maintenus dans un état d’équilibre environnemental pour des raisons qui sont en grande partie démographiques. Ils ont très longtemps souffert d’une forte mortalité infantile, laquelle, conjuguée aux effets de la guerre, maintenait la population à un taux de densité extrêmement faible sur un territoire assez grand. Cette « capacité de charge » confortable explique aussi pourquoi ils pouvaient se donner le « luxe » d’avoir des excédents potentiels de production considérables. Par ailleurs, comme je l’ai déjà évoqué, le temps qu’ils consacrent à la production de subsistance est très faible et inélastique ; ou plus exactement, ils ne sont pas prêts à renoncer aux mille choses qu’ils font quand ils ne travaillent pas, c’est-à-dire le plus clair du temps. »

« Il me semble, plus généralement, qu’il y a un abîme entre l’importance des questions écologiques dans le destin actuel de l’humanité et le faible développement de l’écologie comme science, en particulier en France. »
De même pour l’anthropologie, qui pourrait être plus politique.
« Je ne crois pas que l’on puisse s’inspirer directement des pensées non modernes, animistes ou autres, car il n’y a pas d’expérience historique qui soit transposable telle quelle dans des circonstances différentes de celles où elle a eu lieu. Quelle que soit l’admiration que l’on éprouve pour ce que l’on considère un peu confusément comme la sagesse des modes de vie ancestraux, et même si les Achuar, les aborigènes d’Australie ou les Inuit peuvent nous en apprendre beaucoup sur l’usage de la nature, notre situation présente est très différente de celles auxquelles ils ont fait face. La fascination pour ces peuples donne lieu à un commerce assez lucratif, en particulier dans le domaine éditorial, mais il faut se garder d’une recherche de modèles. Et la raison principale est que toutes ces sociétés ont résolu des problèmes à une échelle locale, alors que les enjeux qui sont ceux des sociétés urbaines modernes sont globaux. »

« Les milliers de façons de vivre la condition humaine sont en effet autant de preuves vivantes de ce que notre expérience présente n’est pas la seule envisageable. L’anthropologie ne nous fournit pas des idéaux de vie alternatifs, elle nous apporte la preuve que d’autres voies sont possibles puisque certaines d’entre elles, aussi improbables qu’elles puissent paraître, ont été explorées ailleurs ou jadis. Elle nous montre que l’avenir n’est pas un simple prolongement linéaire du présent, qu’il est gros de potentialités inouïes dont nous devons imaginer la réalisation afin de réaliser au plus tôt, sinon peut-être une véritable maison commune, à tout le moins des mondes compatibles, plus accueillants et plus fraternels. »

« La représentation que les Modernes se sont donnée de leur forme d’agrégation politique a ainsi été longtemps transposée à l’analyse des sociétés non modernes, en même temps qu’une kyrielle de spécificités, comme le partage entre nature et culture ou notre propre régime d’historicité ; et c’est avec cela que je voudrais rompre. »

« Notre acception traditionnelle de ce qui est politique, ainsi que notre prise intellectuelle sur ce genre de phénomènes, me paraît ainsi dépassée. Le politique, ici, consiste à maintenir des conditions d’interaction qui peuvent prendre la forme de l’échange, mais aussi de la prédation ou du partage, avec des voisins conçus comme étant autonomes. Et les conséquences que cela peut avoir en retour sur notre conceptualisation du politique sont aussi importantes, puisque nous sommes incités à moduler l’anthropologie politique, non plus, comme jadis, sous la forme d’une typologie des formes d’organisation marquée par un évolutionnisme larvé – horde, tribu, chefferie, État –, mais selon les modalités réelles que prend l’exercice du vivre-ensemble dans des collectifs dont les formes ne sont plus prédéterminées par celles auxquelles nous sommes habitués. C’est un nouveau domaine sur lequel l’exigence de décolonisation de la pensée s’exerce, et qui nous permet de nous défaire des modèles au moyen desquels nous avons été accoutumés à penser sous l’influence d’une riche tradition qui remonte à la philosophie grecque, à la réflexion médiévale sur la cité, au jus gentium, aux théories contractualistes, etc. Ce qui est en jeu, au fond, c’est notre capacité à prendre au sérieux ce que ces modèles politiques nous imposent, en termes de catégories d’analyse, et nous proposent, en termes d’imagination politique. »

« La défense de ces dispositifs de protection des hommes et de la nature m’a conduit à militer contre un certain fondamentalisme écologiste porté par de nombreuses organisations internationales. Pour beaucoup, les populations humaines, et notamment les populations tribales, sont nécessairement des perturbateurs environnementaux, et pour protéger un écosystème, il faut les en expulser. L’idée fondamentale de cette écologie est que les milieux et les paysages naturels doivent être le plus possible déconnectés de l’influence humaine, et maintenus dans un fonctionnement hermétiquement clos. J’ai beaucoup protesté contre cela, car l’exemple de l’Amazonie montre à l’évidence qu’il est absurde d’expulser de zones de forêt que l’on cherche à protéger des populations qui ont contribué à ce que la forêt présente la physionomie qu’elle a actuellement. Cela revient à déplacer les agriculteurs normands pour protéger le bocage ! »
Autre chose, l’avis de Descola sur la muséographie (et le quai Branly, où il a dirigé l’exposition « La fabrique des images ») sont aussi fort intéressantes, comme la question des restitutions.
Conclusion sur l’éloge de la diversité.
« Un monde monotone et monochrome, sans imprévu ni rencontres improbables, sans rien de nouveau pour accrocher l’œil, l’oreille ou la curiosité, un monde sans diversité est un cauchemar. Je ne peux m’empêcher de penser que la diminution de la diversité dans les manières de produire dont la standardisation industrielle du début du XXe siècle est responsable a constitué l’un des ferments des régimes totalitaires, modèles par excellence du rejet de la diversité et de l’uniformisation des consciences et des modes d’être. Chaplin l’avait compris lorsqu’il enchaîna Le Dictateur après Les Temps modernes ! »
Le mot de la fin :
« Car exister, pour un humain, c’est différer. »
J’ai retrouvé à cette lecture une large part de l’éblouissement ressenti à celle de Lévi-Strauss (y compris au sens de perception troublée).

\Mots-clés : #amérindiens #autobiographie #contemythe #ecologie #entretiens #historique #politique #science #social #traditions #voyage

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Message par topocl Jeu 27 Avr - 8:05

A suivre, donc !

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Message par topocl Mer 10 Mai - 11:29

Ethnographies des mondes à venir
Philippe Descola et Alessandro Pignocchi


Philippe Descola, anthropologue de haut vol et Alessandro Pignocchi ex-chercheur en sciences cognitives et philosophie, auteur de BD ( Petit traité d’écologie sauvage ) dialoguent et partagent leurs expériences d’immersion auprès de peuples animistes, les bouleversements que cela a apporté dans leur vision du monde occidental et de ses valeurs et certitudes, et rêvent d’une solution mondiale à la crise écologique.
C’est très réducteur de résumer les choses ainsi, car c’est un passionnant échange de haut niveau qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion. Les petites BD de Pignocchi apportent une teinte d’humour assez jouissif et permettent une pause entre chaque chapitre.

En voici un résumé très simplifié et forcément très réducteur.

Descola appelle naturalisme cette attitude typiquement occidentale qui consiste à considérer l’homme d’une part et la nature d’autre part – même si elle se donne un aspect vertueux en souhaitant protéger la nature. L ’humain en fait est un élément du vivant. C’est ce qu’on compris un certain nombre de peuples dits primitifs, ainsi que les occupants des zad.
Se débarrasser de cette attitude est indissociable du fait de se débarrasser le capitalisme, puisqu’il ne repose sur l’exploitation du vivant.

De nombreuses sociétés, chacune ayant sa singularité, existent et ont existé, qui reconnaissent une intériorité à tous les constituants du vivant, ne se l’approprient pas, et s’autogouvernent selon des choix consensuels et non décidés par quelques un.es. Ces sociétés ne sont pas pour autant moins évoluées ou primitives : contrairement à ce que suggère l’évolutionnisme, l’État et son organisation occidentale hiérarchisée ne sont pas une fin en soi ni un aboutissement obligé, mais une solution parmi d’autres ; le progrès ne mène pas forcément au capitalisme. Celui-ci n’est pas une évolution inéluctable mais le résultat de choix.

Comprendre ces sociétés portées par des valeurs différentes des nôtres, comme le fait un anthropologue en étude de terrain, c’est adopter le concept de symétrisation : le choix d’adopter leur point de vue et non nos modalités d’analyse « rationnelles » (soit pour comprendre leur fonctionnement de l’intérieur, soit pour percevoir en quoi notre propre fonctionnement n’est pas le seul et unique).

Descola et Pignocchi envisagent (et ont l’air d’y croire…) une société composite où l’État, devenu sobre, n’est plus là que pour fédérer une multitude de territoires autonomes développant des formes de vie alternative. A travers la participation personnelle des citoyens à l’action publique, loin du capitalisme marchand, on ne distinguera plus entre l’humanité et la nature, on reconnaîtra la place des non-humains et des milieux de vie. A terme, après bien des luttes, ces interstices communaux feront tache d’huile, l’usage égalitaire des communs deviendra la norme.

Ces solutions cosmopolitiques tranchent avec le conception traditionnelle centralisatrice de l’action révolutionnaire, car elles sortent de l’idée que l’émancipation des opprimés ne peut être menée que par une avant garde qui agirait et penserait pour les autres dans le but d’obtenir la désagrégation de l’État.

Les auteurs justifient cet utopie non seulement par la nécessité de la crise écologique, mais aussi en elle-même : « réenchanter le monde ».



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Message par Tristram Mer 10 Mai - 12:36

Merci, très intéressant, mais il me semble difficile de projeter où se limiterait la logique rationnelle dans l'ouverture aux autres conceptions du monde, qui est effectivement un tout dont nous faisons partie. Plus concrètement, je ne me sens pas prêt à confier ma santé à un chamane plutôt qu'à un médecin ; tout ça reste flou, au moins pour moi.
En tout cas des pistes de réflexion intéressantes, surtout si on prend en considération les changements apportés par des mouvements comme les ZAD, qui semblent rendre de plus en plus difficiles les projets de vastes structures dans l'esprit de notre "naturalisme".
Bref, j'ai du mal à visualiser ce qu'implique cette approche dans les différents domaines.

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Message par topocl Mer 10 Mai - 16:52

Cela parait normal que cette approche nous "dérange" puisque nous avons dernière nous des décennies d'un formatage autre.
Je ne pense pas qu'un Indien Achuar aurait plaisir à confier sa santé à un médecin (là je fais de la symétrisation Smile )... Mais tu vas peut-être chez l'ostéopathe, ou tu fais de la méditation, ce qui sont des premiers pas pour laisser tomber le rationalisme occidental.

Je ne pense pas non plus qu'on puisse pleinement adhérer aux thèses de Descola, aussi ouvert.es d'esprit qu'on essaie d'être. Car on n' a pas partagé comme lui pendant 5 ans la vie d'un peuple aux valeurs différentes. Mais s'ouvrir à d'autres points de vue et réfléchir, ça reste passionnant!

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Message par Tristram Mer 10 Mai - 19:38

Je ne suis pas trop d'accord sur l'ostéopathie, aux techniques parfaitement rationnelles (mais guère reconnues par la sécu, par souci comptable), quant à la méditation c'est un vaste domaine... Certes, l'effet placebo est efficace (et de mieux en mieux étudié chez nous). Pour ce qui est des bienfaits de notre médecine, je crois qu'ils sont souvent bien accueillis des populations où séjournent les anthropologues avec leur trousse à pharmacie, en tout cas mieux que par les antivax...
L'approche analogique que nous avions avant les Lumières est toujours sous-jacente chez nous je pense, et m'a toujours intéressé (théorie des signatures, microcosme-macrocosme, correspondances, etc.)
Le mérite de Descola, outre sa "clé" conceptuelle comme outil de pensée, c'est effectivement me semble-t-il d'ouvrir notre entendement à d'autres façons de voir le monde, avec des perspectives nouvelles en écologie, en politique...

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Jeu 11 Mai - 16:34

merci topocl ; et j'espère toujours que les utopies peuvent être réalisables et je veux bien d'un monde "réenchanté".

@ Tristram "Pour ce qui est des bienfaits de notre médecine, je crois qu'ils sont souvent bien accueillis des populations où séjournent les anthropologues avec leur trousse à pharmacie, en tout cas mieux que par les antivax..." parce que ces populations ont l'esprit ouvert, elles, non ?




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Message par ArenSor Jeu 11 Mai - 16:35

Pour vous accompagner j'ai emprunté à la médiathèque "Les Formes du visible" de Descola. Je ne pense pas le lire en intégralité, c'est un gros pavé de plus de 700 pages, mais je vais le parcourir.
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Message par Tristram Jeu 11 Mai - 17:01

@Bédoulène, problème de confiance, de pragmatisme, de pari pascalien, que sais-je ?

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