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Henri Barbusse

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Message par Tristram Ven 29 Nov - 20:27

Henri Barbusse
(1873 – 1935)


Henri Barbusse Henri_12

Adrien Gustave Henri Barbusse est né à Asnières le 17 mai 1873 et mort à Moscou le 30 août 1935.
Son père, licencié de théologie de l'université de Genève (protestante), est journaliste, chroniqueur théâtral au Siècle. Sa mère meurt avant ses trois ans.
Son premier recueil de poèmes, Pleureuses, est publié en 1895. Il s'exerce alors professionnellement dans la presse, se tourne vers la prose et publie un premier roman, empreint de décadence et de naturalisme à la fois : L'Enfer, en 1908.
En 1914, âgé de 41 ans, malgré des problèmes pulmonaires et ses positions pacifistes d'avant-guerre, il s'engage volontairement dans l'infanterie et réussit à rejoindre les troupes combattantes en décembre 1914 au 231e régiment d'infanterie avec lequel il participe aux combats en premières lignes jusqu'en 1916 : il écrira cette expérience dans Le Feu.
Fondateur du mouvement pacifiste « Clarté » et de la revue homonyme (1919-1924), il adhère au Parti communiste, en 1923, et se lie d'amitié avec Lénine et Gorki au cours de voyages qu'il effectue en URSS.
En avril 1926, il inaugure ses fonctions de directeur littéraire de L'Humanité en dressant en « une » du journal la conception qu'il se fait de la littérature : rapprocher les intellectuels du peuple, susciter un art jeune tendu vers la libération des masses, effectuer une « critique rouge » de la littérature bourgeoise.
Admirateur de la Révolution russe (Le Couteau entre les dents, 1921 ; Voici ce qu'on a fait de la Géorgie, 1929), il cherche à définir une « littérature prolétarienne ». Il fut l'un des instigateurs du mouvement pacifiste Amsterdam-Pleyel, dont il devient le président avec Romain Rolland et auquel adhère notamment Albert Camus, dès la prise du pouvoir d'Hitler en Allemagne.
Devenu une des figures emblématiques du Front populaire en France, il est acclamé par la foule qui avait envahi les rues de Paris lors du 14 juillet 1935.

Œuvres :
• Pleureuses (1895, réédité en 1920)
• Les Suppliants (1903)
• L'Enfer (1908)
• Nous autres (1914)
• Le Feu (Journal d'une escouade) (1916, prix Goncourt)
• Carnets de guerre
• Paroles d'un combattant. Articles et discours 1917-1920 (1917)
• Clarté (1919)
• L'Illusion (1919)
• La Lueur dans l'abîme (1920)
• Quelques coins du cœur (1921)
• Le Couteau entre les dents (1921)
• Les Enchaînements (1925)
• Les Bourreaux (1926)
• Force (Trois films) (1926)
• Jésus (1927)
• Les Judas de Jésus (1927)
• Manifeste aux Intellectuels (1927)
• Faits divers (1928)
• Voici ce que l'on a fait de la Géorgie (1929)
• Élévation (1930)
• Ce qui fut sera (1930)
• Russie (1930)
• Zola (1932)
• Staline. Un monde nouveau vu à travers un homme (1935)
• Lénine et sa famille (1936)
• Lettres de Henri Barbusse à sa femme 1914-1917 (1937)

(D’après Wikipédia)

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Tristram Ven 29 Nov - 20:50

L'Enfer

Henri Barbusse Laenfe10

Le narrateur, un provincial monté à Paris, prend possession de sa chambre dans une pension de famille.
« Je vis deux chaises dont l’une supportait ma valise, deux fauteuils aux maigres épaules et à l’étoffe grasse, une table avec un dessus de laine verte, un tapis oriental dont l’arabesque, répétée sans cesse, cherchait à attirer les regards. »

« La chambre est usée ; il semble qu’on y soit déjà infiniment venu. »
Par un trou dans la cloison, il découvre la chambre voisine :
« La chambre voisine s’offre à moi, toute nue. »
Il pourra ainsi observer incognito divers échantillons d’humanité dans leur intimité :
« Les êtres qu’on voit sans qu’ils s’en doutent ont l’air de ne pas savoir ce qu’ils font. »
Une réserve de ma part : l’importance donnée aux odeurs s’explique mal dans ce contexte.

L’expression est originale, mi-romantique et mi-réaliste, souvent étrange, poétique ; parfois érotique, voire mystique, ce roman n’est pas encore totalement détaché de l’influence de Huysmans (mais son champ lexical est également choisi) ; il cultive le paradoxe (wildien ?) dans une sorte de métaphysique non dénuée de pathos (récurrente opposition de l’ombre et de la lumière).
Le narrateur voit toutes les passions humaines, médite sur les arts (la littérature notamment) et les sciences (considérations aberrantes dans le domaine médical), la politique (les propriété et patrie vues comme sources de tous les maux) ; le voyeur-témoin assiste même à un accouchement.
Barbusse aborde la religion, la mort ; il y a jusqu’à une description circonstanciée de la microfaune qui se repaît du cadavre humain selon ses stades successifs de fermentation (peut-être ce passage a-t-il inspiré les autres auteurs à s’être livré au même plaisant exercice, outre l’entomologiste Jean Henri Fabre : Raymond Queneau dans Loin de Rueil, Thierry Jonquet dans Ad vitam aeternam, Michel Houellebecq dans Les particules élémentaires…).
A signaler, vers la fin, une singulière mise en abîme du narrateur-écrivain.
Bref, une curieuse tentative totalisante (et datée) de réflexion sur la destinée humaine...
Petit florilège pour appéter (ou rebuter) le lecteur potentiel :
« Lorsque quelque chose est vraiment fini, ne semble-t-il pas que tout soit fini ? »

« Il ne peut pas plus y avoir de mystère dans la vie que d’autre espace dans le ciel. »

« Une créature trop faible et trop brisée qui pleure fait la même impression qu’un dieu tout-puissant qu’on supplie ; car, dans sa faiblesse et sa défaite, elle est au-dessus des forces humaines. »

« …] le temps, le temps qui est attaché en nous comme une maladie… »

« Les voyageurs ne connaîtraient qu’un point de la surface du moment présent ; on ne voyage pas dans le passé. Tout a été. »

« L’ombre est la réalité de miracle qui traduit l’invisible. »

« Qu’est-ce que je suis, qu’est-ce que je suis ? Ah ! il faut, il faut que je réponde à cette question parce qu’une autre y est suspendue comme une menace : Qu’est-ce qu’il va advenir de moi ! »

Mots-clés : #philosophique

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Message par Quasimodo Ven 29 Nov - 21:26

Merci, je passe mon tour !
Ce livre semble manquer de justesse et de sobriété. En revanche, Le Feu est loin d'être dépourvu. Je l'ai lu il y a longtemps mais j'en garde un souvenir très précis. Je n'oublierai pas de sitôt l'histoire de l'œuf, ni le chapitre des reliques, rares vestiges du temps civil jalousement conservés parmi le nécessaire, ni la vivacité des portraits, ni la beauté paradoxale des paysages dévastés. Le style est sobre (d'une rapidité de croquis réalisé tantôt dans l'urgence tantôt dans un pesant sursis), parfois teinté de lyrisme, globalement sans prétention. Tout le monde n'apprécie pas, mais j'y ai trouvé mon compte.
Je serais curieux de savoir ce que tu en penses.
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Message par Tristram Ven 29 Nov - 21:47

Il est le prochain sur ma liste "Barbusse", mais j'ai voulu lire dans l'ordre d'écriture.
Effectivement, L'Enfer est un livre curieux, un débordement de baroque "adolescent" pas loin du pathos, que je recommanderais à peu de personnes.

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Message par Invité Ven 29 Nov - 21:50

moi ça me donne envie, je commencerai peut-être avec L'Enfer pour mon entrée chez Barbusse !

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Message par Tristram Ven 29 Nov - 23:41

Héhé ! l'esprit aventureux !

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Message par Tristram Mar 31 Oct - 11:21

Le Feu – Journal d’une escouade

Henri Barbusse Le_feu10

Témoignage sur l’existence des poilus pendant la Première Guerre mondiale, basé sur le carnet de guerre tenu vingt-deux mois de 1914 à 1915 par Henri Barbusse sur le front. L’auteur est le narrateur de ce récit paru en 1916, et il rapporte les propos de quelques compagnons d’escouade, dont certains suivis jusqu’à leur mort.
« Ils sont des hommes, des bonshommes quelconques arrachés brusquement à la vie. Comme des hommes quelconques pris dans la masse, ils sont ignorants, peu emballés, à vue bornée, pleins d’un gros bon sens, qui, parfois, déraille ; enclins à se laisser conduire et à faire ce qu’on leur dit de faire, résistants à la peine, capables de souffrir longtemps.
Ce sont de simples hommes qu’on a simplifiés encore, et dont, par la force des choses, les seuls instincts primordiaux s’accentuent : instinct de la conservation, égoïsme, espoir tenace de survivre toujours, joie de manger, de boire et de dormir. Par intermittences, des cris d’humanité, des frissons profonds, sortent du noir et du silence de leurs grandes âmes humaines. »
Barbusse reproduit le parler de ses camarades venus de diverses régions de France, et ce recueil d’argot populaire n’est pas le moindre intérêt du livre.
« – C’est aux oreilles. Une marmite — et un macavoué, mon ieux — qui a pété comme qui dirait là. Ma tête a passé, j’peux dire, entre les éclats, mais tout juste, rasibus, et les esgourdes ont pris.
– Si tu voyais ça, dit Fouillade, c’est dégueulasse, ces deux oreilles qui pend. On avait nos deux paquets de pansement et les brancos nous en ont encore balancé z’un. Ça fait trois pansements qu’il a enroulés autour de la bouillotte. »
C’est « la bonne blessure » (en fait elle ne sera pas suffisante) :
« – On va m’attacher une étiquette rouge à la capote, y a pas d’erreur, et m’ mener à l’arrière. J’ s’rai conduit, à c’ coup, par un type bien poli qui m’ dira : « C’est par ici, pis tourne par là. . . Na !. . . mon pauv’ ieux. » Pis l’ambulance, pis l’train sanitaire avec des chatteries des dames de la Croix-Rouge tout le long du chemin comme elles ont fait à Crapelet Jules, pis l’hôpitau de l’intérieur. Des lits avec des draps blancs, un poêle qui ronfle au milieu des hommes, des gens qui sont faits pour s’occuper de nous et qu’on regarde y faire, des savates réglementaires, mon ieux, et une table de nuit : du meuble ! Et dans les grands hôpitals, c’est là qu’on est bien logé comme nourriture ! J’y prendrai des bons repas, j’y prendrai des bains ; j’y prendrai tout c’que j’trouverai. Et des douceurs sans qu’on soit obligé pour en profiter, de s’battre avec les autres et de s’démerder jusqu’au sang. J’aurai sur le drap mes deux mains qui n’ficheront rien, comme des choses de luxe — comme des joujoux, quoi ! — et, d’ssous l’drap, les pattes chauffées à blanc du haut en bas et les arpions élargis en bouquets de violettes... »
Une semaine de répit à l’arrière :
« Après plusieurs haltes où on se laisse tomber sur son sac, au pied des faisceaux — qu’on forme, au coup de sifflet, avec une hâte fiévreuse et une lenteur désespérante à cause de l’aveuglement, dans l’atmosphère d’encre — l’aube s’indique, se délaie, s’empare de l’espace. Les murs de l’ombre, confusément, croulent. Une fois de plus nous subissons le grandiose spectacle de l’ouverture du jour sur la horde éternellement errante que nous sommes.
On sort enfin de cette nuit de marche, à travers, semble-t-il, des cycles concentriques, d’ombre moins intense, puis de pénombre, puis de lueur morne. Les jambes ont une raideur ligneuse, les dos sont engourdis, les épaules meurtries. Les figures demeurent grises et noires : on dirait qu’on s’arrache mal de la nuit ; on n’arrive plus jamais maintenant à s’en défaire tout à fait. »
Il y a un côté didactique dans le roman qui s’organise par thèmes (« embarquement », « permission », etc.), aidé en cela par le Cocon, un familier des chiffres. Ainsi l’amer dépit vis-à-vis de ceux de l’arrière.
« – Dis donc, petit, viens un peu ici, dit Cocon, en prenant le bambin entre ses genoux. Écoute bien. Ton papa i’ dit, n’est-ce pas : « Pourvu que la guerre continue ! » hé ?
– Pour sûr, dit l’enfant en hochant la tête, parce qu’on devient riche. Il a dit qu’à la fin d’mai on aura gagné cinquante mille francs.
– Cinquante mille francs ! C’est pas vrai !
– Si, si ! trépigne l’enfant. Il a dit ça avec maman. Papa voudrait qu’ça soit toujours comme ça. Maman, des fois, elle ne sait pas, parce que mon frère Adolphe est au front. Mais on va le faire mettre à l’arrière et, comme ça, la guerre pourra continuer. »
Barbusse dépeint avec vigueur scènes et figures, et pas que les tranchées, les combats et les cadavres :
« Dans un coin de cette sale petite maison encombrée de vieilleries, de débris poussiéreux de l’autre saison, emplie par la cendre de tant de soleils éteints, il y a, à côté des meubles et des ustensiles, quelque chose qui remue : un vieux bonhomme, muni d’un long cou pelé, raboteux et rose qui fait penser au cou d’une volaille déplumée par la maladie. Il a également un profil de poule : pas de menton et un long nez ; une plaque grise de barbe feutre sa joue rentrée, et on voit monter et descendre de grosses paupières rondes et cornées, comme des couvercles sur la verroterie dépolie de ses yeux. »
Puanteur, crasse, pluie, froid, atrocités, souffrances sont décrits "de l’intérieur", et avec puissance. Je ne m’étends pas sur les nombreuses scènes d’horreur naturalistes (qui ramentoivent parfois Curzio Malaparte)…
« Un nuage de pestilence commence à se balancer sur les restes de ces créatures avec lesquelles on a si étroitement vécu, si longtemps souffert. »
Les avis sur la guerre sont imprégnés de l’antimilitarisme pacifiste de Barbusse, sans plus occulter l’égoïsme que la solidarité qui règnent dans les rangs.
« Mais les conversations sur ce sujet se terminent toujours par un haussement d’épaules : on n’avertit jamais le soldat de ce qu’on va faire de lui ; on lui met sur les yeux un bandeau qu’on n’enlève qu’au dernier moment. Alors :
– On voira bien.
– Y a qu’à attendre ! »
L’attention est surtout portée au peuple, la chair à canon.
« Chacun sait qu’il va apporter sa tête, sa poitrine, son ventre, son corps tout entier, tout nu, aux fusils braqués d’avance, aux obus, aux grenades accumulées et prêtes, et surtout à la méthodique et presque infaillible mitrailleuse — à tout ce qui attend et se tait effroyablement là-bas — avant de trouver les autres soldats qu’il faudra tuer. Ils ne sont pas insouciants de leur vie comme des bandits, aveuglés de colère comme des sauvages. Malgré la propagande dont on les travaille, ils ne sont pas excités. Ils sont au-dessus de tout emportement instinctif. Ils ne sont pas ivres, ni matériellement, ni moralement. C’est en pleine conscience, comme en pleine force et en pleine santé, qu’ils se massent là, pour se jeter une fois de plus dans cette espèce de rôle de fou imposé à tout homme par la folie du genre humain. On voit ce qu’il y a de songe et de peur, et d’adieu dans leur silence, leur immobilité, dans le masque de calme qui leur étreint surhumainement le visage. Ce ne sont pas le genre de héros qu’on croit, mais leur sacrifice a plus de valeur que ceux qui ne les ont pas vus ne seront jamais capables de le comprendre. »
Un aperçu quand même du massacre, lissé déjà par le temps passé :
« En bas, parmi la multitude des immobiles, voici, reconnaissables à leur usure et leur effacement, des zouaves, des tirailleurs et des légionnaires de l’attaque de mai. L’extrême bord de nos lignes se trouvait alors au bois de Berthonval, à cinq ou six kilomètres d’ici. Dans cet assaut, qui a été un des plus formidables de la guerre et de toutes les guerres, ils étaient parvenus d’un seul élan, en courant, jusqu’ici. Ils formaient alors un point trop avancé sur l’onde d’attaque et ils ont été pris de flanc par les mitrailleuses qui se trouvaient à droite et à gauche des lignes dépassées. Il y a des mois que la mort leur a crevé les yeux et dévoré les joues — mais même dans leurs restes disséminés, dispersés par les intempéries et déjà presque en cendres, on reconnait les ravages des mitrailleuses qui les ont détruits, leur trouant le dos et les reins, les hachant en deux par le milieu. À côté de têtes noires et cireuses de momies égyptiennes, grumeleuses de larves et de débris d’insectes, où des blancheurs de dents pointent dans des creux ; à côté de pauvres moignons assombris qui pullulent là, comme un champ de racines dénudées, on découvre des crânes nettoyés, jaunes, coiffés de chéchias de drap rouge dont la housse grise s’effrite comme du papyrus. Des fémurs sortent d’amas de loques agglutinées par de la boue rougeâtre, ou bien, d’un trou d’étoffes effilochées et enduites d’une sorte de goudron, émerge un fragment de colonne vertébrale. Des côtes parsèment le sol comme de vieilles cages cassées, et, auprès, surnagent des cuirs mâchurés, des quarts et des gamelles transpercés et aplatis. Autour d’un sac haché, posé sur des ossements et sur une touffe de morceaux de drap et d’équipements, des points blancs sont régulièrement semés : en se baissant, on voit que ce sont les phalanges de ce qui, là, fut un cadavre. »
Cette fresque sans concession aide à saisir ce que fut cette boucherie de la Grande Guerre, et à mon sens ce récit participe pleinement au devoir de mémoire nécessaire pour ne pas oublier la Der des Ders…

\Mots-clés : #autobiographie #devoirdememoire #guerre #historique #mort #premiereguerre #violence #xxesiecle

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Message par Bédoulène Mar 31 Oct - 13:17

bon, si c'est devoir de mémoire, c'est noté !

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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
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