Enrique Vila-Matas
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Re: Enrique Vila-Matas
Nouvelles généralement courtes, un festival de la fantaisie caractéristique de Vila-Matas avec ses boucles réflexives et son absurde particuliers, son onirisme et son goût de l’incongru quasi-surréalistes, ses jouissives transtextualité et coïncidences, ses interrogations métaphysiques (y compris du tragique, comme le suicide) et son humour, et aussi quelques récurrences comme l’ombre du dictateur espagnol, la filature d’inconnus, des rappels de Borges mais aussi Tabucchi, Perec, Nerval, Sophie Calle…
Des perles comme le très bref Signes d’identité…
…ou l’excellent Souvenirs inventés, tant sur le fond que dans la forme :« La tramontane soufflait fort, et je me souvins que dans ma jeunesse je désirais être beaucoup de personnes et beaucoup de lieux à la fois, car n’être qu’une seule personne me semblait bien peu. »
« Nous sommes trop semblables à nous-mêmes, et nous courons le risque de finir par trop nous ressembler. »
Parce qu’elle me l’a demandé est une histoire plus longue, pratiquement une novella en trois parties de cinq, quinze et sept chapitres, où la réalité et la fiction sont tout particulièrement ingénieusement entremêlés dans une vertigineuse imbrication de niveaux d’existence illustrant les échanges possibles entre écriture et vécu (ce texte est déjà présent dans Explorateurs de l'abîme, avec des échos dans Impressions de Kassel ; plusieurs des autres textes du livre sont également repris d’autres recueils).« Je me souviens d’avoir toujours pensé que la vie n’existe pas en soi, parce que si on ne la raconte pas, on n’en fait pas le récit, cette vie est simplement quelque chose qui s’écoule, mais rien de plus. Pour la comprendre, il faut la raconter, ne serait-ce qu’à soi-même. Ce qui ne signifie pas que la narration permette une compréhension en bonne et due forme car il reste toujours des vides qu’elle ne comble pas en dépit des sutures ou des reprises qu’elle s’efforce d’appliquer. C’est pourquoi la narration ne restitue la vie que par fragments. »
Un régal pour les afficionados, plus nombre d’autres lecteurs !« Il existe un but, mais pas de chemin. Ce que nous appelons chemin, ce sont des hésitations, pensa-t-elle pour penser quelque chose. »
\Mots-clés : #nouvelle
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15935
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Re: Enrique Vila-Matas
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21652
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Re: Enrique Vila-Matas
Cadaqués et le cap de Creus, puis Barcelone, pendant la crise indépendantiste catalane de 2017. Le narrateur, Simon Schneider, piètre traducteur impécunieux et écrivain raté, est le frère d’un écrivain culte vivant incognito à New York (comme Salinger ou Pynchon), Rainer "Grand" Bros, qui exploite l’intertextualité de ses « archives de citations ». C’est sa passion…
Comme d’ordinaire avec Vila-Matas, il y a plusieurs fils qui s’entrecroisent (voire s’entremêlent), et il est difficile, dans une première lecture, de dégager ce qui serait essentiel de l’accessoire – d’autant que les notions se reprennent en miroir (plus ou moins déformant) dans des volutes de mise en abyme avec effet rétroactif… Entr’autres récurrences, leur père récemment décédé (à « l’énergie née de l’absence »), la tante Victoria génie de la famille, « les cinq romans rapides » de Grand Bros qui (lui aussi) « ne poursuivait jamais un thème jusque dans ses derniers retranchements », « ce narrateur perdu dans le clair-obscur d’une matinée » de son présent brumeux comme dans l’œuvre que Simon envie tout en prétendant avoir conseillé sa « structure intertextuelle », et pour cela financièrement assisté comme Vincent Van Gogh par Théo, un tableau de Monet, l’espace infini, « ce tragique sentiment de l’existence » emprunté à Unamuno et autres questions métaphysiques, autant d’éléments d’une énigme narquoisement embrouillée en valse-hésitation autour d’une mystérieuse destination.« …] à accumuler des citations – plus il y en avait, mieux c’était –, une nécessité absolue d’absorber, de rassembler toutes les phrases du monde, un désir irrésistible de dévorer tout ce qui se mettait à ma portée, de m’approprier tout ce dont, dans des moments de lecture propice, j’envisageais de faire mon miel. »
« …] l’“art des citations” inventé – mais pas développé – par Georges Perec dans les années 1960. »
La littérature, mais aussi l’écriture, sont évidemment au centre du roman.« …] la vie respecte un patron dont le tracé s’améliore au fur et à mesure que nous apprenons à nous éloigner des événements. Parce que prendre de la distance vis-à-vis des choses – ce qui pour moi revient à prendre de la distance vis-à-vis de la tragédie, ce qui, à son tour, est la même chose qu’être maître dans l’art de ne pas se laisser voir – s’apprend avec le temps.
N’est-ce pas, Banksy ? »
Rainer revient rencontrer Simon, et son alcoolisme digne d’Hemingway affronte la paranoïa de ce dernier.« La grande prose ne tente-t-elle pas d’aggraver la sensation d’enfermement, de solitude et de mort et cette impression que la vie est comme une phrase incomplète qui à la longue n’est pas à la hauteur de ce que nous espérions ? »
Malicieux maestro, Enrique Vila-Matas nous embobeline comme de coutume.
\Mots-clés : #ecriture #humour
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Tristram- Messages : 15935
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Bédoulène- Messages : 21652
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Bédoulène- Messages : 21652
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Re: Enrique Vila-Matas
Présentée comme un essai, c’est l’étude de la société secrète des shandys (nom suggéré par le Tristram Shandy de Laurence Sterne), qui s’est notamment inspirée de la boîte-en-valise de Marcel Duchamp pour théoriser leur mouvement littéraire aux temps de dada (cf. Histoire portative de la littérature abrégée de Tristan Tzara, où elle est un considérée comme « un art de vivre ») et du surréalisme.
(Pour mémoire, la boîte-en-valise est un concept de musée portatif des œuvres miniaturisées de l’auteur, une sorte de cabinet des curiosités portable.)
De nombreux artistes, surtout écrivains, sont rattachés à cette société, un condensé de références (comme ce livre lui-même), dont Marcel Duchamp et Walter Benjamin :
Les shandys partagent « esprit d'innovation, sexualité extrême, absence totale de grand dessein, nomadisme infatigable, coexistence tendue avec la figure du double, sympathie à l'égard de la négritude, tendance à cultiver l'art de l'insolence. »« Ils savaient l’un et l’autre que miniaturiser, c’est rendre portatif et que c’était là le meilleur moyen de possession des choses pour un vagabond ou un exilé. »
« C’est comme si, pour Duchamp, le monde était une miniaturisation du monde que le lecteur habite. »
« L’instinct de collection qui caractérisait les shandys leur fut bien utile. Apprendre était pour eux une manière de collectionner, comme dans le cas des citations et des extraits de leurs lecture quotidiennes qu’ils accumulaient sur les carnets de notes qu’ils transportaient partout et qu’ils avaient coutume de lire au cours de leurs réunions de conjurés dans les cafés. Penser était aussi une manière de collectionner, ou du moins l’avait-ce été dans les premiers temps de leur existence. Ils notaient consciencieusement les idées les plus extravagantes, ils développaient de véritables mini-essais dans des lettres à leurs amis ; ils récrivaient des plans pour des projets futurs ; ils transcrivaient leurs rêves ; ils tenaient des listes numérotées de tous les livres portatifs qu’ils avaient lus. »
La part est belle de la fiction dans cette exégèse biographique et bibliographique décidément aussi fabuleuse que farfelue. Apparaissent des femmes fatales dans ce groupe de célibataires, dont Berta Bocado, une sorte de Rrose Salévy ; on y découvre le principe de « la possibilité de réaliser le suicide dans l’espace même de l’écriture » ; l’Afrique noire est une des constantes du mouvement, notamment à travers l’évocation de Raymond Roussel et de l’Anthologie nègre de Cendrars, mais aussi la danse, la paresse, la création littéraire, et le scandale insolent :
À Paris, puis Vienne, puis Prague, puis Trieste, les odradeks (kafkaïens), puis golems (meyrinkiens) et bucarestis assaillent ses membres. À bord du Bahnhof Zoo, un sous-marin immobilisé, la « pauvre et pitoyable Mort » leur rend visite.« Un scandale considérable, le triomphe de l’insolence considérée comme un des beaux-arts. »
Un des premiers romans d’Enrique Vila-Matas et caractéristique de son œuvre, cette excellente élucubration bouffonne fait ressurgir l’esprit du milieu littéraire des années vingt, qu’il est utile de connaître pour en apprécier les rappels (ou au moins une partie : je ne connaissais pas Aleister Crowley, George Antheil ou Andreï Biély). Au-delà, elle renvoie à tout un imaginaire qui se retrouve souvent sous-jacent dans les belles-lettres (double de l’auteur, minimalisme, mises en abyme, collections, listes, etc.). Tout cela traité avec esprit, humour, inventivité, et de belles fulgurances poétiques.« Les Shandys composent à eux tous le visage d’un shandy imaginaire ; portrait portatif sur les traits duquel on peut lire les faits qui ont figuré sa tragique existence : la carte de sa vie imaginaire. »
Voir aussi le point de vue fort juste de Shanidar ICI, et pour creuser le sujet, LÀ.
\Mots-clés : #absurde #biographie #creationartistique #historique #humour #reve #universdulivre #voyage #xxesiecle
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Tristram- Messages : 15935
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Re: Enrique Vila-Matas
lire Biély, pourquoi pas, Cendrars, bien sur
et l'auteur bien sur
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