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Jacques Abeille

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Message par Tristram Mer 12 Fév - 20:24

Jacques Abeille
(Né en 1942)

Jacques Abeille Jacque10
Jacques Abeille est né en 1942 d'une relation bi-adultérine. Son père, afin de pouvoir reconnaître son fils (ce que la loi de l'époque n'autorisait pas), fait établir un faux certificat de famille par le réseau de résistance auquel il appartient. Après sa mort en 1944, c'est le frère jumeau de celui-ci qui recueille Jacques Abeille, l'élevant, aux dires de l'écrivain, « à bien des points de vue [...] comme le fantôme de ce dernier ».
Après avoir séjourné quelque temps en Guadeloupe, c'est à Bordeaux que se fixe Jacques Abeille en 1959. Le choc provoqué par le contraste entre cette ville et l'espace ultramarin où il avait vécu antérieurement devait, associé à des réminiscences littéraires de la Prague de Kafka et surtout de Gustav Meyrink être à l'origine de la création de Terrèbre, la capitale de l'empire des Contrées, telle qu'elle apparaît dans Le Veilleur du jour.
Dès son enfance, Jacques Abeille explique avoir ressenti le « lancinant désir d'être un artiste », désir contrarié par « une timidité confuse, indécise et angoissée », une incapacité et un obstacle vague dont il trouvera la clé au sortir de l'adolescence : il est daltonien. « Ce fut une grande crise et un immense chagrin » expliquera l'auteur dans un entretien de 2007, qui le conduisit à abandonner la peinture pour se tourner vers l'écriture.
Jacques Abeille a poursuivi des études de psychologie, de littérature et de philosophie au terme desquelles il a obtenu l'agrégation d'arts plastiques. Sa carrière d'enseignant répondait selon lui au désir d'un « homme qui, contre la singularité du sort que lui fait sa naissance, se bat toute sa vie durant pour parvenir à une existence banale : exercer un métier sans ambition, constituer un couple solide, avoir des enfants et les choyer. »
Jacques Abeille fréquenta les milieux littéraires et artistiques bordelais liés au surréalisme ; il correspondit avec André Breton, et fit partie de ceux qui refusèrent la dissolution du groupe surréaliste trois ans après la mort de ce dernier.
Jacques Abeille publia un ensemble important de textes érotiques, sous son propre nom ou sous pseudonyme, le plus fréquent et le plus constant étant celui de Léo Barthe, qui apparaît par ailleurs en tant que personnage dans le cycle romanesque initié par Les Jardins statuaires.

Bibliographie :

Le Cycle des contrées
• I Les Jardins statuaires, Flammarion, 1982 (roman).
• II Le Veilleur du jour, Flammarion, 1986 (roman).
• III Les Voyages du Fils, Ginkgo éditeur/Deleatur, 2008 (roman).
• IV Les chroniques scandaleuses de Terrèbre, Ginkgo éditeur/Deleatur, 2008 (sept nouvelles érotiques sous le pseudonyme de Léo Barthe).
• V Les Barbares, Attila, 2011 (roman).
• VI La Barbarie, Attila, 2011 (roman).
• La Clef des ombres, Zulma, 1991 (roman).
• Les carnets de l'explorateur perdu, Ombres, 1993 (cinq nouvelles rattachées à Les Voyages du Fils).
• Lettre de Terrèbre, Deleatur, 1995 (nouvelle).
• Louvanne, gravure de Philippe Migné, la Compagnie des Indes oniriques, 1999 (nouvelle).
• L’Écriture du désert, pictogrammes de l’auteur, la Compagnie des Indes oniriques, 2003 (nouvelle).
• Les Mers perdues, dessins de François Schuiten, Attila, 2010 (roman).
• La Grande Danse de la réconciliation, dessins de Gérard Puel, Le Tripode, 2016 (nouvelle).

Chez Deleatur
• Little Dirties for Rikki, tiré à 100 exemplaires, 1981
• Le Voyageur attardé, dessin d’Alain Royer, la Nouvelle postale, 1981.
• [Sous le pseudonyme de Léo Barthe] L’Amateur de conversation, gravure de Fred et Cécile Deux, 1981.
• Fable, poèmes, 1983.
• Un cas de lucidité, dessins de l’auteur, Petite Bibliothèque de littérature portative, 1984.
• Famille/Famine, dessins de l’auteur, coédition le Fourneau/Deleatur, 1985.
• L’Homme nu (les Voyages du Fils I), la Compagnie des Indes oniriques, 1986.
• Le Peintre défait par son modèle, les Minilivres, 1999.
• L’Arizona, collage de Philippe Lemaire, les Minilivres, 1999.
• Un beau salaud, dessin de l’auteur, les Minilivres, 2001.

Chez d'autres éditeurs
• Le Corps perdu, dessins d’Anne Pouchard, Même et Autre, 1977.
• Le Plus Commun des mortels, Les Cahiers des Brisants, 1980.
• Un journal de nuit, collages de Jean-Gilles Badaire, Les Cahiers du Tournefeuille, 1988.
• En mémoire morte, Zulma, 1992.
• L’Ennui l’après-midi, gravures de l’auteur, le Fourneau, 1993.
• Le Gésir, Tournefeuille, 1993.
• La Guerre entre les arbres, Cadex, 1997.
• Divinité du rêve, L’Escampette, 1997.
• L’Amateur, L’Escampette, 2001.
• Celles qui viennent avec la nuit, L’Escampette, 2001.
• De la vie d'une chienne, tome 1 : Histoire de la bergère, Climat, 2002.
• Pierre Molinier, Présence de l’exil, Pleine Page, 2005.
• Belle humeur en la demeure, Le Mercure de France, 2006.
• Séraphine la kimboiseuse, Atelier in8, 2007.
• Odeur de sainteté, Atelier in8, 2010.
• Le Comparse, Atelier in8, 2012.
• Brune esclave de la lenteur, avec des « petites peintures » de l'auteur, Ab irato, 2014.
• Fins de carrière, in8, 2015.
• Petites proses plus ou moins brisées, Éditions Arfuyen, 2016.
• 2 livres dans un étui, regroupant : Jacques Abeille, Tombeau pour un amour dans la lumière de sa perte & Léo Barthe, Petites pages pour un petit page, L'Âne qui butine, 2017.

(Wikipédia remanié.)

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Message par Burlybunch Mer 12 Fév - 20:34

Merci pour l'initiative Jacques Abeille 3157204030
Une lecture marquante pour moi, ses Jardins statuaires, et j'avance depuis lors avec plaisir dans son "Cycle des contrées".
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Message par Tristram Mer 12 Fév - 20:50

Les Jardins statuaires

Jacques Abeille Les_ja10


Étrange contrée où l’on fait découvrir au narrateur la culture de pierres, champignons qui poussent et deviennent des statues, amendées par les jardiniers de différents domaines. Ces statues contractent parfois une lèpre qui les condamne à être jetées dans un gouffre. Parfois les statues évoquent un jardinier disparu ‒ ou même un vivant ‒ devenant ainsi un ancêtre.
« Si on brise la statue, on ne trouvera rien ;  
Elle est si pleine qu’elle n’a pas d’intérieur. »

« Aucune statue, me dit le doyen, ne voit le jour sans caresses. »
Le récit construit une géographie fantastique, sorte d’ethnologie fictive, de relation de voyage imaginaire écrite au fil de l’inspiration (dans une belle écriture), souffle poétique d’un Michaux qui développerait ses poèmes, à la fois onirique et d’une précision kafkaïenne, à rapprocher de l’heroic fantasy et de l’utopie/ dystopie, surtout du réalisme fictionnel de ces mondes légendaires et pourtant cohérents et plausibles créés par les grands noms de la science-fiction au sens large (j’ai souvent pensé aux Villes invisibles d’Italo Calvino), tout en demeurant au carrefour du surréalisme.
C’est encore une (pseudo-)allégorie de la création artistique où l'artiste se limiterait à guider son inspiration, l’auteur s’interrogeant sur son projet d’écriture, et sur les biographies glosées des ancêtres des jardiniers.
« ‒ Sans doute, sans doute, mais il faut toujours choisir. Et il faut bien choisir, savoir reconnaître l’ébauche qui mérite de se développer, celle qu’on n’a encore jamais vue, la promesse du chef-d’œuvre rare. Il n’est pas possible de laisser venir à terme tout ce qui naît et s’efforce de croître. »

« Comme si de négliger tous les artifices de la littérature permettait aux biographes d’atteindre dans toute sa pureté, et souvent en dépit d’eux-mêmes, à quelque chose d’essentiel ; à ce sans quoi il n’est point de littérature et que toute littérature indéfiniment recouvre comme sa source cachée ; quelque expérience sacrée, peut-être. »

« ‒ Et toi, me demanda l’enfant, tu dors toujours la nuit ?
Je la regardai par-dessus mon épaule. Elle était très grave.
‒ Non. Pas toujours.
‒ Qu’est-ce que tu fais alors ?
‒ La même chose que si je dormais. Je rêve, je fume la pipe, j’écris.
‒ Tu écris des mots comme moi ?
‒ Oui, tout à fait comme toi. »

« [je] me mis à filtrer le temps. Que faire d’autre, une fois encore, sinon remettre au creuset la masse du passé pour l’exposer de nouveau au feu de l’imagination. »
Une statue non académique incarne la marche (et fait penser à Giacometti) :
« C’était un homme qui marchait, mais sans bras ni tête, réduit, et je devrais peut-être mieux dire exalté, à la marche même. Il était d’une stature gigantesque, me dépassant d’au moins deux têtes, tout incomplet qu’il fût. Ses jambes étaient à la fois puissantes et lasses de toutes les routes parcourues, et surtout, me sembla-t-il, de toutes celles qui s’ouvraient. La poitrine était offerte avec une renversante franchise, le dos creusé d’abîmes – tous les efforts grands et vides d’un homme debout y étaient lisibles. »
Non finito ou esthétique de l'inachevé (volontairement ou non) chez Michel-Ange (ses Esclaves) et Auguste Rodin qui s’en inspire, êtres se dégageant partiellement de la matière :
« Douze blocs énormes, écrasants, et prise dans chacun une figure humaine, à des degrés d’ébauche divers, qui se convulsait et dont on ne savait si elle s’efforçait d’échapper à la pierre ou de s’y enfouir à nouveau. On eût dit que la pierre avait voulu figurer aux yeux des hommes par quels spasmes elle devait passer pour se modeler statue. Certains voulurent y voir des esclaves enchaînés, ils pensaient trop vite, je le crains, au titre sous lequel ils eussent vendu les statues si celles-ci étaient parvenues à une maturité dégagée de cette part de pierre brute. Pour moi, j’y voyais la concrétion de toutes les passions humaines, cette façon que nous avons d’être mi-partie dehors, mi-partie dedans les choses. Notre engagement à la terre. »
L’invisibilité des femmes qui sont cloîtrées intrique le narrateur, qui s’emploie à découvrir leur rôle :
« Au nombre des activités que, en étranger, j’eusse versées aussi dans le registre des arts, il convient de citer toutes les opérations entraînées dans le sillage de la couture, tous ces gestes qui ourlent ou rapprochent les bords éloignés ou même comblent les creux, les blancs que le regard masculin enjambe et confond dans le vide ou l’absence. Teinture des fibres, des fils et des tissus, broderie comme un chemin vagabond qui engendre son propre paysage [… »

« Pour rendre compte de leur état d’esprit, je dirais qu’ils ne semblaient capables de percevoir une femme que comme attachée à un domaine ou dans le statut de prostituée, et qu’à l’égard de toute autre situation ils souffraient d’une sorte de cécité. Il n’y avait pour eux que deux sortes de femmes, hors de quoi il s’agissait d’un vivant sans lieu et comme inexistant. »
Le voyageur découvre que l’impression de pérennité que donne cette paisible culture n’est que superficielle :
« …] je croyais avoir découvert ici le pays de l’harmonie. J’imaginais chaque domaine stabilisé dans une sorte de permanence heureuse. »
Lorsque, dans le Sud, la terre est temporairement muette, stérile :
« Il n’y a aucune douleur alors pour nous. En fait, il n’y a rien. Nous n’éprouvons rien. Toute sensation nous quitte. Nous ne sommes plus que les spectateurs impassibles et distants de notre propre existence qui semble s’être éloignée de nous. Pour tout vous dire, le désir, sous quelque forme qu’il se manifeste, nous abandonne absolument. Plus rien n’a la puissance de nous émouvoir. Nous sommes affrontés à la vacuité de toute chose. Et nous ne sommes pas loin de penser que ce qui généralement rattache un homme aux êtres et aux choses procède essentiellement de liens arbitrairement construits par l’imagination. En dehors de cela, il n’y a qu’une plate survie. »
Après la visite des « faiseurs de nuages », celle d'un domaine moribond, envahi par la prolifération monstrueuse d’une statue en tuméfaction cancéreuse, sera l’occasion d’une étonnante évocation fantasmagorique des tubérosités encéphaliques de la pierre :
« Privées des soins des hommes qui ne les transplantaient ni ne les émondaient plus, elles s’étaient développées dans la profusion et le désordre les plus grands, poussant toujours plus haut leurs cimes, s’entre-empêchant l’une l’autre, s’embarrassant mutuellement de leurs excroissances, se contrariant enfin et s’étouffant au point de provoquer, comme je venais de le constater, des éclatements semblables à ceux que produit le gel parmi les rochers des sommets montagneux. »

« Et tous ces plis qui se creusaient et s’entrecroisaient, jusqu’à provoquer une sorte de nausée chez l’observateur, déterminaient une pullulation hallucinante de lobes dont chacun était un impavide visage de pierre au front renversé, au nez axé sur le lointain de quelque étoile, aux yeux ouverts fixant de leur regard aveugle l’infini du ciel. »
La rencontre de Vanina sera d’un érotisme lyrique, tandis que le voyageur découvre les quartiers féminins reconquis par la végétation :
« Ici, nous accédions à l’envers du décor et à son exact pendant. La fureur minérale qui affrontait la demeure sur ses devants trouvait son semblable, côté jardin, dans une colère végétale échevelée. Il semblait que tout ne fût plus que ronciers, désordres feuillus, combats de bas buissonnements. Et par ces taillis serpentait, tortueuse et menacée comme une couleuvre d’eau, une vague sente où m’attirait Vanina. Un lierre foisonnant barrait de ses langues rampantes le tracé de ce chemin, en sorte que, presque à chaque pas, nous faisions lever des bouffées de sa senteur vivace, entêtante et roide. »
La seconde moitié du livre m’a paru plus faible que la première, en tout cas moins originale : c’est l’excursion dans les steppes nordiques parcourues par les nomades formant la horde qui envahira les jardins statuaires, la rencontre de leur chef venu de ces derniers (et d’une cavalière chasseresse). La menace d’une invasion barbare apparente le récit aux Rivage des Syrtes, En attendant les barbares et Désert des Tartares, etc. (Gracq et Abeille se sont connus) :
« ‒ À quoi bon se battre si, dans les moyens mêmes dont nous userons pour nous défendre, le monde où reposent nos raisons de vivre doit disparaître ?
‒ Vous battre ne sera peut-être qu’un moyen de supporter l’insupportable. »
Le jardinier qui l’a guidé au début meurt tandis que croît une statue qui lui ressemblerait :
« Déjà les contradictions de la vie me lâchent au profit de l’identité des choses. »
Quittant l’hôtel dont le tenancier taille d’hideuses figurines de bois, il se rend avec Vanina sa sœur et une enfant promise à la prostitution chez le gardien du gouffre, qui forge des statuettes de métal, puis...

Dans une préface (qu’il convient comme souvent de lire après coup), Bernard Noël dit justement :
« L’écriture conduit en guide absolu le trajet qui s’invente et se visionne à mesure. Cette coïncidence produit un accord sans faille entre l’amble de l’écriture et l’allure du récit. »

Mots-clés : #contemythe #creationartistique #ecriture #traditions #voyage

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Message par Bédoulène Jeu 13 Fév - 8:43

merci Tristram, donc si je lis ce livre je suivrais ton conseil pour la préface.

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Message par Tristram Sam 1 Aoû - 23:14

Le Veilleur du Jour

Jacques Abeille Le_vei10

Il s’agit d’une suite aux Jardins statuaires, et les références aux statues sont fréquentes, comme d'autres au premier monde créé par Jacques Abeille. Le personnage principal est Barthélemy Lécriveur (voire « Léo Barthe, infâme auteur de récits scabreux où le désespoir le dispute à l’obscène »), qui apparaît déjà dans le premier livre.
Celui-ci suit la route qui mène à Terrèbre, la cité "tentaculaire", comme une araignée dans sa toile (et il s’efforce vainement de s’écarter de cette voie).
« "Et puis la ville s’est mise à grossir comme une toile d’araignée."
Et il croyait voir la dentelle des épeires tendue sur les rosiers sauvages et toute miroitante de rosée.
"C’est comme une main aux mille doigts crispés sur un cœur malade." »
Parvenu dans la ville, il se demande où en est le cœur… Elle est ancienne, bâtie sur des marécages, et les descriptions sont abordées avec un souci de géographe et d’historien, sans amoindrir la dimension lyrique et poétique du texte. Il y aura aussi urbanisme, histoire de l’art (statuaire), archéologie, mythologie…
« "Un homme est donc un paysage ?
‒ Un labyrinthe sur pilotis, et aussi la brume, et aussi l’eau morte dans son indifférente étendue. »
De précises descriptions ne sont pas sans rappeler celles du nouveau roman. Les préoccupations scripturaires sont d’ailleurs centrales.
« À la différence des narrations accumulées antérieurement dans ses archives où tout événement et toute circonstance sont décrits de manière si impersonnelle qu’on croirait que ce sont les choses mêmes qui prennent la parole (mais cela serait encore une autre illusion), maintenant il rédige son récit à la première personne en l’ordonnant sur le fil du temps, si bien qu’il ne peut séparer ce qu’il vit, jusque dans le détail intime, de ce qu’il ne voit pourtant qu’à la condition de s’en tenir à distance. »
L’aspect ethnologique s’illustre de nouveau, comme avec le rite d’adoption chez les bûcherons avec les trois serpents.
« ‒ Avec l’adoption se transmet la faculté d’accueillir les signes. On ne traduit pas les signes, on agit selon leur sens ; partout retentissent des appels et, de ce point de vue, on peut dire que la forêt est partout. »

Barthélemy devient veilleur de jour dans un entrepôt vide qui commande l’accès à un vieux cimetière, avec charge d’attendre la venue d’un inconnu annoncé par la légende occulte mentionnée dans un vieux livre interdit… Il explore l’antique labyrinthe géométrique que constitue la bâtisse, s’y installe.
Le roman tourne autour des passages secrets, des choses cachées, de l’envers du décor. Dans une mystérieuse atmosphère d’énigmes, une intrigue est nouée, où prennent part l’antiquaire, Coralie l’étudiante, le Professeur Destrefonds et Son Excellence le grand chancelier de Terrèbre (on perçoit une certaine défiance envers la politique) ; avec le piètre enquêteur Molavoine s’ajoute une dimension polar.
Le même beau lyrisme, parfois un peu artificiel et presque emphatique, prévaut toujours, sensuel ; la part érotique prend une plus grande place.
L’inspiration et le style pourraient être rapprochés de ceux de Mandiargues, et peut-être aussi de Rio.
Quelques phrases qui m’ont semblé être représentatives :
« Il n’y a pas de meilleurs lecteurs que les rêveurs.
‒ Ils sont inattentifs, pourtant.
‒ Que non point ; mon métier m’a accoutumée à les reconnaître ; eux seuls savent faire fleurir comme il convient les virtualités de l’écrit. Ce qui est écrit a besoin d’être déplié et c’est tout un art que de donner leurs aises aux mots ; au lieu de faire effort, il faut s’abandonner, vous comprenez ? »

« Sur la place pourtant immense la presse était infernale et, malgré l’effort des gendarmes qui s’affairaient à mouvoir la masse humaine agglutinée, il semblait que ne subsistassent que des courants tourbillonnaires très lents dans lesquels les hommes, comme d’infimes particules pétries dans une pâte convulsive, se substituaient les uns aux autres dans un piétinement indéfini ; au milieu, comme au centre d’un chaudron en ébullition on voit surgir de temps à autre quelque objet plus épais et massif que l’élément où il surnage, trois attelages de forains tanguaient et roulaient à la houle humaine et s’efforçaient d’avancer vers la rue Sainte-Sophie. »

« Cependant, pour en revenir à notre propos, je te dirai qu’il m’importe assez peu qu’un homme se présente comme un réformateur, ou comme un révolutionnaire, ou même comme un conservateur. Je pense que tu pressens aussi bien que moi la dévaluation que dénonce l’emphase de ces termes. Ce qui m’importe et me paraît seul réel, c’est le sentiment de justice qui l’inspire. »

« Toute société se caractérise par un certain nombre de luxes, de dépenses intempestives, d’excès dont l’utilité immédiate est fort douteuse et qui contredisent ouvertement les règles pourtant inflexibles de son fonctionnement. »

« C’est cela la mort ; ce surcroît de honte dont se trouvent chargés les vivants. C’est cela l’histoire de l’humanité ; un présent de plus en plus écrasé de honte. »

Mots-clés : #fantastique

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Message par Bédoulène Dim 2 Aoû - 8:05

merci Tristram pour les extraits et ton commentaire !

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Message par Tristram Jeu 6 Mai - 0:35

Les Voyages du Fils

Jacques Abeille Les_vo11

« J’étais fatigué des livres, de ceux bien trop nombreux que j’avais lus autant que du seul que j’aie écrit et auquel il me semblait avoir sacrifié toute ma jeunesse. »
C’est l’incipit de la première partie, et j’ai déjà un doute sur la désinence de « que j’aie écrit » : pourquoi le subjonctif et pas l’indicatif ? Plus je lis et vérifie les formes du français, plus j’ai des doutes…
Le narrateur, le fils d’un bûcheron qu’il n’a pas connu et qui est le Veilleur du Jour du livre précédent, retrouve, dans les Hautes Brandes où les cavaliers barbares se sont sédentarisés, Barthélemy Lécriveur devenu vieux, qui lui raconte comment il rencontra une variante de Circé aux porcs et sa déchéance consécutive.
Puis sa quête d’identité le mène à suivre les traces du passage de Léo Barthe, le pornographe, jusqu’à apprendre que ce dernier avait un frère jumeau, Laurent, son père, qui fut victime d’un sacrifice rituel atroce.
Les lupercales forestières sont un rite coutumier où les vierges sont livrées à la chasse des charbonniers… ethnologie fantasmatique de nouveau…
Le thème de la mémoire et de l’oubli est marquant.
« Les hommes sont contraints de mettre beaucoup d’imagination dans les souvenirs qu’ils gardent de leur vie – c’est ça ou l’oubli – et même leurs gestes immédiats portent l’ombre de rêveries qui les redoublent. La vie est si plate, si peu réelle. »
Après avoir publié le livre précédent à la mémoire de son père, Ludovic le narrateur prend des notes pour rédiger le compte-rendu de ses voyages à son retour en Terrèbre ; l’écriture tient une place prépondérante dans les livres d’Abeille.
« Cette histoire que j’avais passé ma jeunesse à scruter pour la mettre au propre, avait précédé ma vie. Comme si la chose écrite pour moi bénéficiait en regard de l’existence d’une précellence tacite, je me trouvais, quant à mes actes, à mes sentiments aussi, dans la situation d’un auteur scrupuleux qui s’interdirait la répétition de certains mots ou de certaines tournures de langage pour en ménager l’éclat. Je m’avisais ainsi que chaque texte qui s’écrivait, selon l’axe de son propos, ne s’autorisait, si vaste soit-elle, qu’une réserve limitée de termes et que, celle-ci épuisée, le récit, l’essai ou la rêverie rencontrait son point final. À longue échéance, peut-être, certains retours du même étaient-ils admissibles, mais non sans parcimonie. »

« On ne devrait jamais se laisser conter l’histoire d’un manuscrit, soupira-t-il ; elle est toujours plus belle que son contenu. »
Nous retrouvons l’image de l’écrivain-médium d’une inspiration qui lui est étrangère, idée assez récurrente dans la littérature pour ne pas être totalement sans fondement.
« Mais le plus souvent les signes donnaient son tracé à l’œuvre sans que ma volonté prît la moindre part à cette opération. L’écriture se dévidait pour ainsi dire de son propre mouvement et avec une autorité qui m’en imposait. Je n’avais pas mon mot à dire. »

« J’étais habité par une pensée qui ne me visitait qu’à la condition que j’eusse la plume en main et qui, pour ainsi dire, me dictait le texte pour m’en offrir l’inlassable surprise. Oui, une pensée errante et forte, n’émanant de personne et qui, de temps à autre, m’élisait comme l’instrument de sa manifestation. Une grâce, en somme, car je suis bien sûr que je ne saurais, par mes seuls moyens, parvenir à une vérité si intense et vibrante. »
Il y a une certaine dimension érotique, mais aussi politique, avec notamment « les auteurs du second rayon » (libertins) et « la très ancienne et vénérable tradition anarchiste des métiers du livre ».
« Les discours, les écrits qui concernent les réalités du sexe ne peuvent rien avoir que de très commun. Les images qu’ils développent ne gravitent qu’autour d’un nombre fort limité de motifs qui appartiennent à tous. Le trait dominant de l’érotisme est la répétition et l’uniformité, inéluctablement. »

« …] sans hâte et par mille ruses, les pouvoirs politiques modelaient l’opinion et s’apprêtaient à régler avec une rigueur croissante le problème des livres, comme si la proche désuétude de ce véhicule de la pensée le rendait plus subversif. »
Avec toujours le même style soutenu, qui fait beaucoup du charme de ces récits.

\Mots-clés : #contemythe #ecriture #traditions #universdulivre #voyage

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Message par Bédoulène Jeu 6 Mai - 13:16

merci Tristram ! et encore un que je ne connais pas ? (les jardins statutaires me parlent ?)

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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
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Message par Tristram Jeu 6 Mai - 13:47

C'est sans conteste possible, je crois, par le premier livre du cycle des contrées qu'il faut commencer, ne serait-ce que pour l'image si forte des statues qui sont cultivées comme des plantes.

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Message par Bédoulène Jeu 6 Mai - 13:56

merci, je m'apercevrais peut-être si je le commence qu'en fait je l'ai déjà lu ! Wink

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Message par Tristram Ven 2 Juil - 14:02


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Message par Tatie Lun 5 Juil - 18:01

J'avais commencé Les Jardins statuaires. Mais je n'ai pas adhéré. Il faudrait que je retente à la lumière de ton commentaire.
Bref, j'ai besoin d'aide pour aborder cet auteur étonnant.
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Message par Tristram Lun 5 Juil - 18:08

L'idée de base m'a paru extraordinaire ; il dit dans l'interview qu'elle lui est venue en voyant des courges dans un jardin, mais il y a quand même une belle imagination !

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Message par ArenSor Lun 31 Jan - 20:53

Je viens d'apprendre que Jacques Abeille était décédé il y a quelques jours Jacques Abeille 2441072346
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Message par Tristram Lun 31 Jan - 21:05

Demeurent ses livres : je vais continuer dans Les Contrées avec Les Carnets de l'explorateur perdu.

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Message par Tristram Dim 13 Fév - 10:55

Les Carnets de l'explorateur perdu

Jacques Abeille Les_ca11

Divers textes ethnologiques étudiant la légende et les faits en marge de l’invasion barbare de Terrèbre, dans le Cycle des Contrées, et attribués à Ludovic, le narrateur des Voyages du fils.
Les cavalières : le corps franc de cavalières alliées aux barbares fut-il mythique ? Cinq témoins confirment leur existence, variant de façon souvent érotique autour du thème des Amazones.
Beaucoup d’évocation de trahisons, comme dans L’arbre du guerrier.
Contacts de civilisations entre les steppes et les jardins statuaires imagine une origine possible de la culture des statues.
Deux mythes du désert : Sur l'origine de la parole et Sur l'origine des images.
« Il y eut une histoire quand Inilo s’assura que de tout ce qui existe on trouve trace. Et cela l’effraya car celui qui regarde une trace, si c’est à la chasse, il est derrière sa proie, mais celle-ci est absente. Quand il rejoint sa proie, il n’y a pas de trace ; c’est la proie qui se dresse sur la place de sa trace. Enfin, quand la proie n’est plus, la trace reste bien que le chasseur accroisse ses forces. Et voici ce qui effraya Inilo davantage encore : quand le chasseur a atteint sa proie et qu’il s’en nourrit et en nourrit les siens, ce n’est plus vers la proie que mène la trace mais vers le chasseur. Et chaque jour de nouvelles traces vont vers le chasseur qui, au fur et à mesure qu’il avance en âge, traîne à sa suite tout un réseau de traces toujours plus innombrables. »

« On dit aussi que les hommes, longtemps avant de se soucier de construire, ébauchèrent des ruines. »
Bonda la lune, cosmogonie et littérature chez les minorités désertiques : sur le thème de la lune et du soleil, pôles féminin et masculin.

Dans l'ensemble, c’est toujours la même anthropologie fictive servie par un français châtié, poétique.

\Mots-clés : #contemythe #fantastique #nouvelle

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Message par Tristram Dim 17 Avr - 13:24

Les Mers perdues, illustrations de François Schuiten

Jacques Abeille Les_me10

Le narrateur est recruté pour tenir le journal de voyage d’une expédition vers l’est, au-delà des contrées reconquises, avec un dessinateur, une belle géologue et leur guide, un chasseur de grand gibier (et un groupe de natifs du désert, les Hulains, pisteurs et domestiques).
Aux confins des terres connues, ils parviennent à un rivage, puis à des installations industrielles gigantesques et des mines abandonnées (où le chasseur disparaît).
« Le délire technicien fonctionnait en circuit fermé. Les richesses arrachées au sous-sol, pour leur plus grande part, étaient réinvesties dans leur transformation en moyens supplémentaires d’exploitation de la nature jusqu’à épuisement de toutes les ressources. »
Puis c’est ensuite une mystérieuse tour sculptée dans une aiguille rocheuse, le désert, enfin une légendaire cité en ruine où des géants de pierre sont incomplètement sortis de terre (croissance qui renvoie aux Jardins statuaires du premier volume du cycle des contrées) jusqu’à s'être figés et s’ébouler partiellement.
« Disons donc que tout minéral comporte une structure intime qui peut livrer, pour ainsi dire, l’histoire ou le sens de sa gestation. »
Suit l’exploration d’un immense promontoire taillé en forme d’ours dressé et creusé de passages débouchant sur l’extérieur, premier de nombreux colosses vandalisés, enlaidis, « le spectacle figé dans la pierre d’un combat sans merci entre les œuvres humaines et le surgissement des statues ».
« Nous nous avancions sur de vastes avenues que bordaient d’immenses édifices dressés à de telles hauteurs que leurs sommets se perdaient dans les nuées. Comme le premier monument que nous avions visité, ces immeubles ne comportaient nul aménagement habitable. Ils constituaient seulement un cauchemardesque décor plein, taraudé de galeries obscures et de rampes servant à dégager le matériau rejeté par le façonnage de vaines et fausses modénatures. »

« Je me garderai bien de rapporter dans le journal de l’expédition le sentiment profond qui me porte à croire que ces éruptions minérales furent, d’une manière que je ne puis concevoir et en des temps très lointains, vivantes comme une indécision de la terre entre des règnes encore mal différenciés. Comme si la terre dans ses intentions obscures n’avait pas toujours accepté les lois de la nature, alors que nous, les hommes, sommes restés aveugles aux signes qu’elle nous adressait. »

« …] la coutume de crever la peau des statues en y découpant des baies aveugles afin que leur élan vital fût dispersé et leur intériorité privée de tout ressort. De plus, en imposant en creux la marque de leurs méfaits sur le paysage qui les entoure, les hommes, depuis des temps fort reculés, se sont assurés que perdurerait la honte qui est le vrai chemin de la barbarie. »
Viennent ensuite des statues monumentales d’hommes-léopards surmontés de pylônes électriques qui les blessèrent, encore des rivages, des forteresses, et la révélation par les Hulains du mythe originel des éleveurs de statues à partir de semences des géants de roche.
C’est une quête aux visions fortement graphiques, idoine pour un rêve de pierre, et propre à inspirer l’illustrateur (qui rappelle les gravures de Vivant Denon dans son Voyage dans la basse et la haute Égypte, ou les aquarelles ultérieures de David Roberts).
« …] ce lieu de la pensée où les cristallisations du songe épousent la pure rigueur des mathématiques. »

\Mots-clés : #aventure #contemythe #fantastique #voyage

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Message par Bédoulène Dim 17 Avr - 23:17

merci Tristram ! Il me semblait bien avoir lu l'un de ses livres mais finalement je n'en suis pas sure ?

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