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Jonathan Coe

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Message par Pinky Dim 20 Aoû - 17:18

Le Cercle fermé

Jonathan Coe - Page 3 97820711

1999, les personnages de Bienvenue au Club, vingt-cinq ans plus tard, sont quarantenaires.
On retrouve  les trois Trotter, Lois mariée mais toujours fragiles Benjamin, l’éternel amoureux de Cecily, bien que marié à Emily et expert-comptable, Paul, le député travailliste ambitieux et peu scrupuleux. Doug Anderton, journaliste de gauche et marié à Frankie issue d’une riche famille bourgeoise. Philip  Chase divorcé de Claire Newman, élevant leur fils Patrick avec sa seconde femme Carol. Et les « affreux jojo » Harding qu’on revoit au fil du roman, entre provocation et virage d’extrême droite. Culpepper, député appartenant au Cercle fermé avec Paul Trotter.
Et les filles ? Claire Newman recherche ce qu’est devenu sa sœur Miriam qui a disparu après sa liaison avec Bill Anderton. Cicely, qu’on retrouvera en extrême fin de roman.
De nouveaux personnages apparaissent, époux ou épouses des précédents et surtout Malvina, jeune femme belle et intelligente, dont l’histoire est centrale dans le récit.

Coe poursuit donc son projet qu’il décrit bien dans celui qu’expose Benjamin à sa nièce Sophie (fille de sa sœur ainée Lois), une sorte d’alter ego de l’auteur ?

[Sophie] « …Mais de quoi ça parle ?
[…]
- Eh bien…Eh bien, ça s’appelle Agitation, et ça parle des événements politiques des trente dernières années et de leur rapport avec …les événements de ma propre vie, je dirais »
Sophie hocha la tête d’un air hésitant.
- C’est plus facile de parler de la forme, en un sens. Je veux dire…. ce que j’essaie d’accomplir, formellement – je sais que ça paraît ambitieux voire délirant -c’est une articulation nouvelle entre le texte (le texte écrit) et l’oralité. C’est un roman avec accompagnement musical, tu comprends ?
- Et comment ça marche ?
- Eh bien, en plus de ça, dit Benjamin en feuilletant le manuscrit, il va y avoir un CD-Rom. Et des passages à lire sur écran, sur ordinateur. Le texte se déroule à un rythme que j’ai programmé : parfois à vitesse de lecture normale, parfois un ou deux mots seulement sur écran ; certains passages écrits déclenchent des extraits du musique à écouter également sur ordinateur.
- Tu as aussi écrit la musique ?
- Exactement…. »

L’affaire du slip de bain est un bel exemple de la manière dont Coe fait circuler les thèmes à travers les deux ouvrages - Bienvenue et le Cercle- et dans l’approche des faits eux-mêmes. Rappelons ceux-ci  : Benjamin, ado, a oublié son slip de bain. Or, dans ce cas, la punition consiste à nager nu. A cet âge de transformation du corps et de rivalités masculines, c’est la panique totale.  Benjamin prie et trouve finalement un slip dans un casier ouvert. Il y voit un miracle et se convertit. Dans Le Cercle, en lisant le journal du poète que le lycée avait alors accueilli, Benjamin comprend comment ce slip est arrivé dans le casier (trop long à raconter) et perd la foi. C’est à la fois comique et improbable d’associer cette histoire de slip et une conversion mais cela soulève finement plusieurs questions : celle du sadisme du prof de gym face à l’adolescence, de la question sans ridicule de la croyance entre hasard et providence ; enfin, de la place de la religion aussi bien dans l’éducation rigoriste des parents Newman que dans le refuge que représente Saint-Wandrille pour Benjamin et l’affreux Usborne.
Je rapprocherais ce collage entre du trivial et du pathétique en citant le passage de la décoration de l’arbre de Noël chez Paul, le frère de Benjamin dont la description des ébats avec sa maitresse alterne avec l’installation des guirlandes par Benjamin lui-même chez Susan sa belle-sœur trompée et avec ses petites filles. La chute du chapitre est à la fois pathétique et comique : Le téléphone sonne et Benjamin demande :
«
- C’était qui ?
- C’était Emily (ex-femme de Benjamin qui l’a quitté)
- Emily ? Qu’est-ce qu’elle voulait ?
- Eh bien à vrai dire, elle avait une bonne nouvelle à annoncer. Du moins, j’espère que tu considéreras cela comme une bonne nouvelle ».
Benjamin attendit, silencieux, suspendu à ses lèvres.
Enfin, Susan lui expliqua :
« Elle est enceinte »
Il ne savait pas quoi dire. La radio dans la cuisine, remarqua-t-il passait le troisième motet de Noël de Poulenc. Lentement, il ôta de son crâne le renne en plastique et se mit à dérouler la guirlande.
Cette brièveté dans la « non-réaction » m’a fait penser à Brautigan. Rire pour ne pas pleurer.

Le projet d’associer politique et vie privée est tenu. On peut citer cet extrait des comptes rendus du Cercle fermé auquel appartient Paul et qui est censé réfléchir et discuter de l’avenir du parti travailliste, en toute liberté, loin du contrôle du parti, de ses membres et de Tony (Blair).
« Le Cercle a donc pour but de créer au sein de la Commission un espace permettant de formuler les idées les plus novatrices et les plus radicales. Son caractère confidentiel ne vise qu’à offrir à ses membres une liberté d’expression accrue et non restreinte. M. TROTTER a rappelé à ses homologues que les initiatives de financement privé du secteur public connaissaient un essor encore impensable il y a dix ans, lorsque les conservateurs étaient au pouvoir. Des secteurs entiers des services de santé, de l’éducation publique, des collectivités locales, de l’administration pénitentiaire et même du contrôle aérien sont désormais entre les mains des entreprises privées, qui n’ont de compte à rendre qu’à leurs actionnaires plutôt qu’à l’ensemble des citoyens. »
Tout cela pourrait nous rappeler des choses pas si lointaines pour nous, citoyens français de 2023. Il faut y ajouter la montée de l’extrême droite et du racisme déjà présents dans Bienvenue.

Il est difficile de commenter le livre sans le prendre globalement avec sa première partie Bienvenue au Club et cette question du temps qui passe, des destins personnels ancrés dans un contexte politique et national précis.
La question des destins des uns et des autres, des responsabilités est posée après la rencontre de Philip et de Sean Harding qui a sombré dans le racisme et le nationalisme le plus dur et  celle de  Claire avec  Victor Gibbs, le comptable véreux qui avait voulu faire chanter Bill Anderton à propos de sa liaison avec Miriam :
« Claire : « Ce que j’ai compris ce jour-là dans le Norfolk – et c’est tout ce que j’essaie de dire- c’est qu’il y a une logique. IL faut bien la chercher, mais une fois qu’on l’a trouvée on peut se frayer un chemin à travers le chaos et le hasard et les coïncidences et remonter à la source et dire : « Ah, c’est là que tout a commencé ».
Philip : « Ce serait de la folie. Il n’y a que des individus. Et il y a des individus qui sont mauvais – c’est aussi simple que ça- et c’est d’eux qu’il faut se protéger, et même s’ils ont des raisons d’agir ainsi, neuf fois sur dix ces raisons n’ont rien à voir avec l’Histoire, rien à voir avec la société. Ce sont des raisons psychologiques, affectives. D’autres gens les ont rendus ainsi. Les parents généralement.
……………….

« Il était bien plus de minuit lorsque Claire déclara : « je ne sais pas quelle leçon tirer de l’histoire de Sean. Je ne crois pas remettre en cause ce que je disais. S’il y a une exception à la règle, ce n’est pas Sean, c’est Benjamin. Ça, je veux bien l’admettre. Personne n’est responsable de ce qui lui est arrivé. Il n’y a pas de causalité, d’engrenage. Personne ne l’a forcé à tomber amoureux de Cicely, et à gâcher vingt ans de sa vie à force d’obsession. Il est seul responsable. »
Philip intervint : « Oui, mais …Benjamin est heureux, à présent…. »

La relation aux parents, l’éducation font partie des thèmes qui jalonnent l’ouvrage, éducation parentale et éducation scolaire (présente dans Bienvenue au Club). La construction des deux ouvrages met en valeur les  relations entre les générations, celles des parents nés dans les années 1940-50 que l’on revoit dans les deux ouvrages, celles des adolescents des années 70 devenus parents et enfin ces deux jeunes gens Patrick et Sophie, héritiers au début des années 2000 de toutes ces histoires.

Personnellement j’ai apprécié ce livre et l’ensemble que constituent les deux ouvrages. Au départ, j’ai été un peu lassée par cette insistance sur le démon de Midi de nos quarantenaires qui ne voient dans les jeunes femmes que des objets de désir puis le récit a vraiment démarré et j’ai été happée par la suite des événements, des coïncidences, des rencontres. On se demande parfois ce que sont devenus nos amis ou ennemis de notre adolescence et ici, grâce au roman, le puzzle se reconstitue.

Alors Coe dépressif, noir ? A mon avis non, en tous cas jamais cynique ; cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas le ressentir comme cela. A chacun sa lecture qui résonne plus ou moins aves nos existences, nos âges, notre genre…Je pense à la place des femmes qui sont tout de même un peu cantonnées à leurs amours et à leur rôle de mère et d’épouse, sans vraies carrières professionnelles.
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Message par Bédoulène Dim 20 Aoû - 19:01

merci Pinky, je vais programmer Coe dans mes lectures

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Message par topocl Dim 20 Aoû - 21:07

Wikipedia parle d'une trilogie : Bienvenue au club, Le Cercle fermé, Le Cœur de l'Angleterre.
Comme une envie de me lancer là-dedans...

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Message par Pinky Dim 20 Aoû - 22:56

Merci topocl. J'ai vu que le Cœur de l'Angleterre se trouve à la médiathèque, je me promettais de lire un Lodge mais je vais peut-être opter pour la suite. C'est tentant.
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Message par Tristram Lun 21 Aoû - 13:08

Le Cercle fermé

Jonathan Coe - Page 3 Le_cer10

(En complément au commentaire approfondi de Pinky.)
1999 (livre paru en 2004), Claire revient d’Italie en Angleterre après cinq ans d’absence, et se confie par écrit à sa sœur Miriam, disparue (c’est la suite de Bienvenue au club, où les mêmes personnages vivaient dans les années soixante-dix). Le portable est devenu inévitable :  
« …] quantité de gens qui ne travaillent plus, qui ne fabriquent rien, ne vendent rien. Comme si c’était démodé. Les gens se contentent de se voir et de parler. Et quand ils ne se voient pas pour parler directement, ils sont généralement occupés à parler au téléphone. Et de quoi ils parlent ? Ils prennent rendez-vous pour se voir. Mais je me pose la question : quand enfin ils se voient, de quoi ils parlent ? »
Nous savons depuis que lorsque les gens se voient, ils parlent à d’autres, sur leur portable.

Intéressante mise en parallèle des vies de couple de Benjamin et Doug, qui parviennent à se ménager une vie privée digne d’un célibataire – non sans une autre présence féminine, à laquelle ils ne savent guère faire face, incapables de prendre une décision.
« C’est là un défaut pathologique du sexe masculin. Nous n’avons aucune loyauté, aucun sens du foyer, aucun instinct qui nous pousserait à protéger le nid : tous ces réflexes naturels et sains qui sont inhérents aux femmes. On est des ratés. Un homme, c’est une femme ratée. C’est aussi simple que ça. »
Les profonds changements dans la communication sont particulièrement approfondis :
« Donc, d’après vous, si je comprends bien, disait Paul, le discours politique est devenu un genre de champ de bataille où politiciens et journalistes s’affrontent jour après jour sur le sens des mots.
— Oui, parce que les politiciens font tellement attention à ce qu’ils disent, les déclarations politiques sont devenues tellement neutres que c’est aux journalistes qu’il incombe de créer du sens à partir des mots qu’on leur donne. Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est plus ce que vous dites, vous autres, c’est la manière dont c’est interprété. »

« C’est très moderne, l’ironie, assura-t-elle. Très in. Vous voyez, vous n’avez plus besoin d’expliciter ce que vous voulez dire. En fait, vous n’avez même pas besoin de penser ce que vous dites. C’est toute la beauté de la chose. »

« Il y a quelques mois, par exemple, ils ont pris des photos d’un top model particulièrement rachitique pour un article de mode du supplément dominical, mais elle avait l’air tellement squelettique et mal en point qu’ils ont renoncé à les utiliser. Et puis la semaine dernière ils ont fini par les déterrer pour illustrer un article sur l’anorexie psychosomatique. Visiblement, ça ne leur posait aucun problème. »

« Oh, de nos jours, tout dépend de la manière dont c’est présenté par les médias, pas vrai ? À croire que tout dépend de ça. »
Le Cercle fermé est créé au sein de la Commission travailliste réfléchissant au financement privé du secteur public (on est sous Tony Blair) ; l’extrême droite commence à monter.
Benjamin est un personnage central ; écrivain et musicien (assez raté), il reflète peut-être un aspect (ironique) du projet romanesque de Coe.
« Ce serait satisfaisant, d’une certaine façon ; il y aurait là un peu de la symétrie qu’il passait tant de temps à traquer en vain dans la vie, le sentiment d’un cercle qui se referme... »

« Je suis un homme, blanc, d’âge moyen, de classe moyenne, un pur produit des écoles privées et de Cambridge. Le monde n’en a pas marre des gens comme moi ? Est-ce que je n’appartiens pas à un groupe qui a fait son temps ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux fermer notre gueule et laisser la place aux autres ? Est-ce que je me fais des illusions en croyant que ce que j’écris est important ? Est-ce que je me contente de remuer les cendres de ma petite vie et d’en gonfler artificiellement la portée en plaquant dessus des bouts de politique ? »
Puis c’est le 11 septembre 2001, et l’approche de la « guerre à l’Irak ».
« La guerre n’avait pas encore commencé, mais tout le monde en parlait comme si elle était inévitable, et on était forcément pour ou contre. À vrai dire, presque tout le monde était contre, semblait-il, à part les Américains, Tony Blair, la plupart de ses ministres, la plupart de ses députés et les conservateurs. Sinon, tout le monde trouvait que c’était une très mauvaise idée, et on ne comprenait pas pourquoi on en parlait soudain comme si c’était inévitable. »
Le compte à rebours des chapitres souligne le suspense des drames personnels de la petite communauté quadragénaire immergée dans cette fresque historique.

\Mots-clés : #actualité #famille #historique #medias #politique #psychologique #relationdecouple #romanchoral #social #xxesiecle

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Lun 21 Aoû - 13:29

merci Tristram tu confirme mon envie

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Message par Pinky Lun 21 Aoû - 19:22

« Je suis un homme, blanc, d’âge moyen, de classe moyenne, un pur produit des écoles privées et de Cambridge. Le monde n’en a pas marre des gens comme moi ? Est-ce que je n’appartiens pas à un groupe qui a fait son temps ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux fermer notre gueule et laisser la place aux autres ? Est-ce que je me fais des illusions en croyant que ce que j’écris est important ? Est-ce que je me contente de remuer les cendres de ma petite vie et d’en gonfler artificiellement la portée en plaquant dessus des bouts de politique ? »

Je pense que cette citation va dans le sens de mon intuition que Benjamin est une sorte d'alter ego de Coe, ce qui pourrait confirmer ici le sentiment d'Albert d'une sorte d'apitoiement sur soi-même ou d'une auto dérision comme le voit Tristram.

Pour les hommes, "femmes ratées", je trouve ça assez drôle et parfois vérifié au moins dans le roman. N'allons pas plus loin...

Grâce à topocl, je pense qu'on va devoir attaquer le tome 3.
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Message par Tristram Lun 21 Aoû - 19:26

J'y go (d'agneau à la menthe) !

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Message par topocl Mar 22 Aoû - 7:47

Pinky a écrit:
« Je suis un homme, blanc, d’âge moyen, de classe moyenne, un pur produit des écoles privées et de Cambridge. Le monde n’en a pas marre des gens comme moi ? Est-ce que je n’appartiens pas à un groupe qui a fait son temps ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux fermer notre gueule et laisser la place aux autres ? Est-ce que je me fais des illusions en croyant que ce que j’écris est important ? Est-ce que je me contente de remuer les cendres de ma petite vie et d’en gonfler artificiellement la portée en plaquant dessus des bouts de politique ? »

Je pense que cette citation va dans le sens de mon intuition que Benjamin est une sorte d'alter ego de Coe, ce qui pourrait confirmer ici le sentiment d'Albert d'une sorte d'apitoiement sur soi-même ou d'une auto dérision comme le voit Tristram.
.

ou : lucidité?

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Message par Pinky Mar 22 Aoû - 16:15

Oui peut-être aussi lucidité mais l'autodérision en est déjà une preuve ?
En tous cas, j'attaque Le Cœur de l'Angleterre, voyons la suite....
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Message par Tristram Ven 25 Aoû - 17:27

Le Cœur de l'Angleterre

Jonathan Coe - Page 3 Le_csu10

Troisième et dernier tome de la trilogie Les Enfants de Longbridge (paru bien après Bienvenue au club et Le Cercle fermé), sur la famille Trotter dans la seconde moitié du XXe, et ici au début du XXIe.
2010, le racisme est patent sous le couvert de la société multiculturelle épanouie. Août 2011 : émeutes et pillages de jeunes (la fracture est aussi générationnelle).
« On apercevait bien quelques émeutiers blancs et quelques policiers noirs, mais le face-à-face donnait l’impression écrasante d’un conflit racial. »
Le gouvernement considère qu’il s’agit de « débordements criminels, pas politiques ».
« Mais regardez plutôt comment ça a commencé. La police a abattu un Noir et refusé de communiquer avec sa famille sur les circonstances de sa mort. Une foule s’est rassemblée devant le commissariat pour protester et les choses ont tourné à l’aigre. Ce qui est en cause c’est le problème racial et les relations de pouvoir au sein de la communauté. Les gens se sentent victimes. On ne les écoute pas. »
Comme de coutume dans cette trilogie, Coe nous entraîne dans les arcanes de la politique (notamment grâce à Doug, journaliste positionné à gauche, qui semble porter l’opinion de Coe) ; mais on aborde aussi, avec le personnage de Sophie, le milieu universitaire, « cette manie de se polariser sur un sujet jusqu’à l’obsession en ignorant superbement le reste du monde », et celui de l’édition avec Philip et Benjamin.
Après la crise de 2008, David Cameron mène une politique d’austérité, et initie le référendum qui conduira au Brexit ; il recourt au nationalisme, mais la peur de l’immigration est prépondérante ; la désindustrialisation est passée par là. Et arrive Boris Johnson…
« Pourquoi est-ce que les journalistes aiment tant les questions hypothétiques ? Et qu’est-ce qui se passe si vous perdez ? Et qu’est-ce qui se passe si on quitte l’UE ? Qu’est-ce qui se passe si Donald Trump est élu président ? Vous vivez dans un monde imaginaire, vous autres. »

« Les gens vont voter comme ils votent toujours, c’est-à-dire avec leurs tripes. Cette campagne va se gagner avec des slogans, des accroches, à l’instinct et à l’émotion. Sans parler des préjugés [… »
Entretemps, Benjamin connaît un certain succès avec la publication du roman extrait de son énorme manuscrit, roman qui reprend son histoire avec Cicely (qui est partie seule en Australie soigner sa sclérose en plaques).
Côté social, le politiquement correct est présenté comme la cible de conservateurs âgés que rebutent la société multiculturelle ; en contrepoint est présenté le cas de Sophie, suspendue (et jetée en pâture aux réseaux sociaux) car (injustement) accusée de discrimination genrée par Coriandre, l’hargneuse fille de Doug.
Les retrouvailles de Benjamin et Charlie Chappell, clown pour goûters d’enfants en conflit avec son rival Duncan Field, sont l’occasion pour Coe de réitérer sa conception du destin :
« Benjamin comprenait qu’il voyait la vie comme une succession d’aléas qu’on ne pouvait ni prévenir ni maîtriser, si bien qu’il ne restait plus qu’à les accepter et tâcher d’en tirer parti autant que faire se pouvait. C’était une saine conception des choses mais qu’il n’avait jamais réussi à faire tout à fait sienne, pour sa part. »
C’est surtout la nostalgie et la désillusion qui percent dans cet après-Brexit, marqué par un exil en Europe pour quelques Trotter cherchant à échapper au passé.

\Mots-clés : #contemporain #famille #historique #nostalgie #politique #relationenfantparent #romanchoral #social #xxesiecle

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Message par Bédoulène Sam 26 Aoû - 8:17

merci Tristram, c'est décidé je vais en faire lecture.

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Message par Pinky Lun 28 Aoû - 13:27

Le Cœur de l'Angleterre

En complément du commentaire de Tristram dans lequel je me retrouve tout à fait, tout en pointant des aspects différents du livre.

Nous sommes en 2010. Le livre commence par les obsèques de Sheila, épouse de Colin Trotter et mère de Lois, Benjamin et Paul. Au fil du récit, nous retrouvons les personnages que nous avions rencontrés dans les deux livres précédents : Bienvenue au Club qui se déroulait dans les années 1970 au temps de l’adolescence de Benjamin Trotter et de ses amis du Lycée King William de Birminghan, Doug Anderton, Philip Chase, Claire Newman que l’on avait retrouvés dans Le Cercle fermé à la jonction des XXe et XXIe siècle. Benjamin, séparé  d’Emily, flottait toujours entre écriture, projets avortés, Doug, journaliste de gauche, fils du syndicaliste Bill, vivait dans les beaux quartiers avec sa riche épouse Frankie et Philip tenait une jardinerie et  avait divorcé de Claire Newman. Quant à Paul Trotter, élu député travailliste, il défendait la politique néo libérale de Tony (Blair).
Pour revenir au Cœur de l’Amérique, l’histoire continue pour ces anciens ados devenus quinquagénaires, nouveaux conjoints et parfois inflexion du cours de la vie. Une réussite pour Benjamin qui n’en connaît pas beaucoup, une union avec une députée conservatrice pour Paul…mais la nouveauté c’est une vision plus approfondie de deux jeunes femmes de la nouvelle génération : Coriandre la fille de Doug, gauchiste radicale et surtout Sophie, spécialiste d’histoire de l’art qui finit par fuir son univers  universitaire. Enfin, Claire continue à hésiter avant de se fixer en Italie, libérée de la recherche sans fin de sa sœur assassinée.
De nouveaux personnages apparaissent : Helena, la mère de Ian, Grete et Lukas, ses anciens employés mais surtout Charlie, ancien ami d’enfance de Benjamin qui, n’étant pas entré à King William,  avait vu son destin s’écarter de celui de son camarade d’enfance plus gâté par la vie grâce à ses études et ses relations.
Cette pluralité de générations, de destins, de lieux de vie -Londres et ailleurs- permet à Coe de dresser une sorte de portrait polyphonique de l’Angleterre des années 2010, pré et post Brexit.
L’aspect le plus réussi du livre me semble l’analyse sociologique de ces Anglais, j’allais dire Britanniques mais non, on parle bien des Anglais par opposition au reste de l’humanité, Ecossais, Gallois ou Irlandais compris.

Ce qui m’a semblé le mieux rendu en ce qui concerne la vie privée des protagonistes, c’est la difficulté de Colin Trotter, septuagénaire, de comprendre ce monde désindustrialisé, multiculturel :
Colin Trotter, nostalgique des années où il travaillait à l’usine de Longbridge, demande à son fils Benjamin  de l’emmener sur son ancien lieu professionnel

Je veux que tu m’emmènes à  Longbridge cet après-midi.
- A Longbridge, pourquoi ?
- Je veux voir le nouveau magasin de l’usine.
- Quel magasin ?
- Ils viennent d’ouvrir un grand magasin, en plein milieu de l’usine. Ils l’ont dit à la télé hier soir. Je veux voir à quoi ça ressemble. Et puis, on ne sait jamais, je tomberai peut-être sur un ancien de l’équipe là-bas.
- Mais Papa…
Benjamin décida de tenir sa langue. Il était clair que son père n’avait pas la moindre idée de ce qu’était devenu le site. Les bâtiments avaient été démolis presque jusqu’au dernier, effacés de la surface de la terre.
…………………
- Je te parlais pas d’un magasin qui fait du commerce. Je voulais que tu m’emmènes à Longbridge.
- Mais on y est à Longbridge.
- -Jamais de la vie…
.

On peut y ajouter les tensions familiales liées au Brexit. Les déclarations d’Helena finissent par l’éloigner de son fils Ian :

M. Hu, chinois venu en Angleterre pour rencontrer M. Bishop, exportateur de lin en Chine, joue au golf et échange entre autres avec Helena, mère de Ian :
« M. Hu : Tout de même, vous vivez dans un pays libre et démocratique, vous au moins, fit-il observer, non sans circonspection.
- Détrompez-vous, malheureusement, dit Helena. L’Angleterre n’est plus un pays libre aujourd’hui. Nous vivons sous un régime tyrannique.
…………..
- Vous vivez sous la tyrannie d’une idée ?
- Précisément.
- Qui s’appelle ?
- Le politiquement correct, bien sûr. Je suis certaine que vous avez entendu cette expression.
- Certes mais pas liée à l’idée de tyrannie.
……………….
Helena : « M. Hu, je ne suis jamais allée en Chine et je me garderais bien de traiter à la légère les conditions de vie difficiles qui doivent être les vôtres là-bas. Mais ici, en Grande-Bretagne, nous sommes confrontés au même problème. Au fond, je serais tentée de dire que notre situation est pire. Vous, vous subissez une censure avouée. Chez nous, elle est occulte. »

A mon avis, le roman est surtout intéressant pour cette approche de la société anglaise à des moments cruciaux les émeutes de 2012 après la mort d’un Noir abattu par la police et le déroulement des Jeux Olympiques, nous rappelant à notre propre actualité française.

Mais le Brexit est ce qui focalise la suite du roman :

Benjamin ne sait pas s’il va voter Leave ou Remain pour le Brexit :
« -Je n’ai pas toutes les cartes en main. Je me noie dans les informations et les opinions contradictoires. Ça fait trois jours que je lis sur la question. J’ai quarante-sept onglets ouverts sur mon ordinateur….
Benjamin regarde la télé et voit la nouvelle affiche du Leave
La xénophobie crue et assumée de l’image fit littéralement frémir Benjamin. C’était ce qu’il avait vu de plus abject dans cette abjecte campagne. Décidant de ne plus perdre de temps sur sa déclaration publique, il oublia toutes les formulations nuancées et équitables qu’il tentait de trouver ces derniers jours et tapa illico un message de cinquante mots bien sentis qu’il envoya par mail au journal. »

Nigel Ives le chargé de communication de Cameron retrouve Doug après le vote du Brexit  et lui reproche ses déclarations sur le Premier ministre :
- Vous avez écrit que le « grand espoir blanc du conservatisme moderne n’était finalement rien d’autre qu’un imbécile narcissique, faible, lâche et malfaisant »
- Ouais, c’est une formule qui vaut son pesant d’or.
- Sauf que vous vous trompez. L’avenir reconnaîtra les années Cameron comme une grande époque. Je le crois sincèrement.

Quelques instants plus tard, Nigel Ives craque :
« - On est dans la merde jusqu’au cou. C’est le chaos. On court dans tous les sens comme des poulets sans tête. C’est le grand n’importe quoi. On est dans la merde intégrale. »
Doug, sortit précipitamment son portable et se mit à enregistrer
« Officiel ?
- On s’en fout. On est dans la merde, alors quelle importance ?
………………….
Oh, mon Dieu, dit Nigel en se prenant la tête à deux mains. Ils [Les think tanks], ils sont tout le temps sur notre dos, ceux-là. Ils viennent à toutes les réunions. Ils nous bombardent de tableaux Excel. La volonté du peuple, tu parles ! Les voilà, les cinglés qui ont pris le pouvoir.
- Cameron leur aurait tenu tête, vous croyez ?
- Cameron, répondit Nigel, avec une grimace. Quel crétin. Quel connard de première, authentique et garanti sur facture. »

On trouve aussi tout ce qui fait notre monde : les SMS, les réseaux sociaux et leur rôle plus ou moins pernicieux, l’addiction aux smartphones accompagnant des évolutions politiques aussi bien au Royaume Uni que dans le reste de l’Europe, France comprise qui affectent aussi nos vies dans ce qu’elles ont de plus intimes.
J’ai été moins convaincue par les relations sentimentales qui accompagnent ces évolutions sociales et politiques mais est-ce bien le sujet ?
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Message par Bédoulène Mer 30 Aoû - 8:33

merci Pinky ; j'ai commencé "Bienvenue au club"

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Message par Bédoulène Mar 19 Sep - 20:22

voilà terminé la trilogie, j'ai beaucoup apprécié.
topocl, Pinky et Tristram, vous avez déjà raconté le contenu de ces 3 livres et je suis d'accord avec vos analyses et réflexions.

C'est le personnage de Benjamin qui m'a bien sur attirée. Il sidère sa famille et ses amis par ses réactions ou non réactions, par la presque invisibilité pour lui de ce qui l'entoure/ Il ne trouve jamais, lui qui écrit depuis l'enfance, la parole à dire ; il vit dans son imagination, il ne voit, ni ne sent les sentiments que lui portent Claire et plus tard Jennifer. Il n'a vécu que sur son amour pour Cicely qui l'a quitté, pendant des décennies.

Jennifer lui dévoile que son "âme soeur" eh bien c'est sa soeur Lois.

L'élève qui arrive "au moulin" en France fait un constat sans bavure de la vie de Benjamin, après avoir lu son unique roman "Rose dans épine"

Si tous les personnages sont bien distingués, Doug pour le thème politique est très réaliste ; même si bien sur les actualités françaises chroniquaient sur le Brexit dans ce livre la position des Anglais, et ce qui a suivi le brexit donne ne idée plus précise des conséquences sur le pays et les habitants.

J'ai bien ressenti le racisme dans les divers évènements et surtout dans les discours et agissements de certains personnages.

J'ai apprécié aussi les problèmes sociaux et notamment en suivant le parcours de Bill le syndicaliste et père de Doug.

Bref ces premières lectures de cet écrivain me conduisent à continuer sa connaissance et merci à vous de m'y avoir incité par vos excellents commentaires.


Ah! j'ai bien sur trouvé agréable les descriptions de Marseille

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Message par Pinky Mer 20 Sep - 10:14

Contente Bédoulène que tu aies apprécié la trilogie. Il me reste en réserve, Billy Wilder et moi. Je n'aime pas parler de PAL ce qui indiquerait une forme d'obligation "à lire" ...
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Message par Bédoulène Jeu 21 Sep - 8:08

je continuerai à le lire

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Message par Plume Sam 27 Jan - 20:38

Bonjour à tous, salut Topocl,

Testament à l'anglaise. Mon premier Coe.
Un gros livre... Pas désagréable... mais touffu! Coe, le roi de la digression...
Il faudrait le lire d'une traite, mais ce serait indigeste...
A lire les commentaires, Coe fait rire... j'ai plutôt ressenti une certaine tristesse tout au long du roman..
Scénario bien ficelé cependant, et les personnages sont attachants...

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Message par Tristram Dim 11 Aoû - 13:01

Expo 58

Jonathan Coe - Page 3 Expo_511

Son défunt père ayant tenu un pub et sa mère étant d’origine belge, Thomas Foley, jeune et obscur fonctionnaire britannique au Bureau central de l’Information, est choisi pour superviser le Britannia, pub anglais de l'Exposition universelle de Bruxelles (1958).
« Que voulait dire être britannique, en 1958 ? On n’en savait trop rien. L’Angleterre s’enracinait dans la tradition, c’était un fait acquis : ses traditions, le monde entier les admirait et les lui enviait, avec son panache et son protocole. Mais, en même temps, elle s’engluait dans son passé : bridée qu’elle était par des distinctions de classe archaïques, sous la coupe d’un Establishment porté au secret et indéboulonnable, l’innovation l’effarouchait. »
L’Atomium est le symbole du progrès et de la modernité dans cet après-guerre où le nucléaire émerge, armement militaire comme potentielle source d’énergie civile, au lendemain de la signature du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne, et alors que la confrontation Est-Ouest est déjà bien engagée dans la guerre froide. Dans cette Foire où de nombreuses liaisons se créent, notamment charnelles, Thomas se trouve plongé dans un imbroglio loufoque d’espionnage international, fantaisistement inspiré des romans d’Ian Fleming.
« Le Britannia était factice : faux pub, projetant une image fausse de l’Angleterre, transporté dans un décor factice où tous les autres pays projetaient de même des images fausses de leur identité nationale. »
On mesure comme la distanciation de l’Angleterre au continent n’était pas nouvelle à l’époque (pré-Brexit) de la parution de ce livre (2013). Jonathan Coe confiait alors :
« Nous, Britanniques, sommes-nous naturellement proches de l’Europe ou des Etats-Unis ? J’ai toujours ressenti fortement le fait que la Grande-Bretagne était constamment confrontée à ce choix. La plupart des écrivains anglais que je connais n’éprouvent pas ce sentiment d’identité supra-nationale européenne ; ils se sentent appartenir, culturellement, à la sphère de la langue anglo-saxonne. Mais moi, non. Je ne lis d’ailleurs pas énormément de romans américains. Et durant mes années de formation, j’ai surtout lu les grands écrivains classiques européens, français ou russes. Si, en tant que romancier, je m’inscris dans une histoire, une tradition, c’est celle-ci. Je me sens européen plutôt qu’anglo-saxon, sans hésitation. »
(Télérama)

\Mots-clés : #espionnage #humour #xxesiecle

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par topocl Dim 11 Aoû - 16:27

On mesure comme la distanciation du commentaire ne laisse en aucun cas entrevoir un enthousiasme débordant.

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