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188 résultats trouvés pour humour
Roland Topor
Mémoires d'un vieux con
Je suis attirée -révulsée par les dessins de Topor depuis longtemps, il est fascinant.
Je le sens sombre et pourtant solaire. C'est compliqué pour quelqu'un comme moi qui suis très premier degré dans mes constructions mentales.
Rencontré notamment dans la très belle édition des oeuvres de Marcel Aymé.
Bref : un jour je vais chez mon libraire, et comme on s'achette une robe je veux m'acheter un livre. Cette librairie est petite, rien ne me tente. Je suis trop dans la pulsion d'achat. D'ailleurs je n'arrive pas à lire depuis des semaines, trop fatiguée, trop occupée.
Je tombe sur ce livre fin. Allez je prends.
Lu en 15 fois avant de dormir, au compte goutte, 10 mn avant de ronquer comme une bienheureuse : j'ai adoré.
Ce qui est génial c'est que j'ai plongé dedans "franco", en me demandant même, au bout de deux soirs de lecture brève mais gourmande si c etait vrai ou pas : delicieuse naiveté qui prouve comme il sait manier les codes du genre biographique. C'est assez évident que c'est un faux, même sans connaitre l'auteur, et à la fois c'est si foutraquement tripé qu'on a envie d'y croire.
J'ai beaucoup ri. Ce qui n'est pas fréquent pour moi. J'ai le second degré lent. Délicieux.La tournure des phrases est plus vraie que nature. Il épouse les temps de la biographie avec un appétit de surenchère joyeuse et c'est libérateur d'inhibition. Cela fait un sort à la notion de bonne foi.
\Mots-clés : #autobiographie #humour
- le Ven 11 Nov - 12:24
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- Sujet: Roland Topor
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Umberto Eco
Construire l’ennemi et autres textes occasionnelsDans Construire l’ennemi, Eco documente la stigmatisation de l’étranger, du laid, du juif, de l’hérétique, de la femme (notamment sorcière), du lépreux à travers les temps, en produisant nombre d’extraits édifiants (sans omettre les auteurs religieux).
« Il semble qu’il soit impossible de se passer de l’ennemi. La figure de l’ennemi ne peut être abolie par les procès de civilisation. Le besoin est inné même chez l’homme doux et ami de la paix. Simplement, dans ces cas, on déplace l’image de l’ennemi, d’un objet humain à une force naturelle ou sociale qui, peu ou prou, nous menace et doit être combattue, que ce soit l’exploitation du capitalisme, la faim dans le monde ou la pollution environnementale. Mais, même si ce sont là des cas « vertueux », Brecht nous rappelle que la haine de l’injustice déforme elle aussi le visage. »
« Essayer de comprendre l’autre, signifie détruire son cliché, sans nier ou effacer son altérité. »
Mention particulière à La paix indésirable ? Rapport sur l’utilité des guerres, effarante justification états-unienne (et orwellienne) de la nécessité de l’ennemi, notamment pour des raisons économiques (anonyme, préfacé par J. K. Galbraith).
Absolu et relatif nous entraîne dans un débat philosophique qui revient rapidement au problème de notre conception de la vérité (atteignable ou pas).
La flamme est belle est une réflexion sur le feu, qui n’oublie pas Bachelard, entr’autres.
« Les amis pleins de sollicitude brûlent, pour des raisons de moralité et de santé mentale, la bibliothèque romanesque de Don Quichotte. On brûle la bibliothèque d’Auto da fé d’Elias Canetti, en un bûcher qui rappelle le sacrifice d’Empédocle (« quand les flammes l’atteignent enfin, il rit à pleine voix comme il n’avait jamais ri de sa vie »). »
Délices fermentées est consacré à Piero Camporesi, auteur de L’Officine des sens et « gourmet de listes ».
« Hugo, hélas ! » La poétique de l’excès :
« Le goût de l’excès le conduit à décrire en procédant par énumérations interminables [… »
« La beauté n’a qu’un type, la laideur en a mille. »
Cela m’a ramentu cette phrase (souvenir scolaire – on a beau dire du mal de l’école…) :
« Si le poète doit choisir dans les choses (et il le doit), ce n’est pas le beau, mais le caractéristique. »
Astronomies imaginaires (mais pas astrologie, croyance ou tromperie).
Je suis Edmond Dantès ! sur le roman-feuilleton, et « l’agnition ou reconnaissance » (d’un lien de parenté entre personnages) ; le texte commence ainsi :
« Certains infortunés se sont initiés à la lecture en lisant, par exemple, du Robbe-Grillet. Illisible si l’on n’a pas compris les structures ancestrales de la narration, qu’il détourne. Pour savourer les inventions et déformations lexicales de Gadda, il faut connaître les règles de la langue italienne et s’être familiarisé au bon toscan avec Pinocchio. »
Il ne manquait plus qu’Ulysse. Époustouflant patchwork de critiques du livre de Joyce, où la bêtise le dispute à l’antisémitisme.
Pourquoi l’île n’est jamais trouvée. Incipit :
« Les pays de l’Utopie se trouvent (à de rares exceptions près, comme le royaume du Prêtre Jean) sur une île. »
Texte passionnant sur l’histoire de la (non-)découverte d’îles plus ou moins fabuleuses.
« C’est parce que, jusqu’au XVIIIe siècle, date à laquelle on a pu déterminer les longitudes, on pouvait découvrir une île par hasard et, à l’instar d’Ulysse, on pouvait même s’en échapper mais il était impossible de la retrouver. »
C’est l’argument de L’Île du jour d’avant, mais on découvre aussi l’« Ile Perdue, Insula Perdita », île des Bienheureux de saint Brendan, et même un décryptage de La Ballade de la mer salée d’Hugo Pratt.
Réflexions sur WikiLeaks
« Sur le plan des contenus, WikiLeaks s’est révélé être un scandale apparent, alors que sur le plan de la forme, il a été et sera quelque chose de plus, il a inauguré une nouvelle époque historique.
Un scandale est apparent quand il rend publique une chose que tout le monde savait en privé, et dont on parlait à mi-voix par pure hypocrisie (cf. les ragots sur un adultère). »
« Et cela ne fait que confirmer une autre chose que l’on sait pertinemment : chaque dossier élaboré pour un service secret (de quelque nation que ce soit) est constitué exclusivement de matériel qui est déjà dans le domaine public. Par exemple : dans une librairie consacrée à l’ésotérisme, on s’aperçoit que chaque nouvel ouvrage redit (sur le Graal, le mystère de Rennes-le-Château, les Templiers ou les Rose-Croix) exactement ce qui figurait dans les livres précédents. Et ce n’est pas que l’auteur de textes occultistes s’interdise de faire des recherches inédites (ou ignore comment chercher des informations sur l’inexistant), mais parce que les occultistes ne croient qu’à ce qu’ils savent déjà, et qui reconfirme ce qu’ils avaient déjà appris. C’est d’ailleurs là le mécanisme du succès de Dan Brown.
Idem pour les dossiers secrets. L’informateur est paresseux tout comme est paresseux, ou d’esprit limité, le chef des services secrets, qui ne croit que ce qu’il reconnaît.
Par conséquent, puisque, dans tous les pays, les services secrets ne servent pas à prévoir des cas comme l’attaque des Twins Towers et qu’ils n’archivent que ce qui est déjà connu de tous, il vaudrait mieux les éliminer. Mais, par les temps qui courent, supprimer encore des emplois serait vraiment insensé.
Si les États continuent à confier leurs communications et leurs archives confidentielles à Internet ou d’autres formes de mémoire électronique, aucun gouvernement au monde ne pourra plus nourrir des zones de secret, et pas seulement les États-Unis, mais même pas la République de Saint-Marin ou la principauté de Monaco (peut-être que seule Andorre sera épargnée). »
« Et même si la grande masse des citoyens n’est pas en mesure d’examiner et d’évaluer la quantité de matériel que le hacker capture et diffuse, la presse joue désormais un nouveau rôle (elle a déjà commencé à l’interpréter) : au lieu de relayer les nouvelles vraiment importantes – jadis, c’étaient les gouvernements qui décidaient des nouvelles vraiment importantes, en déclarant une guerre, en dévaluant une monnaie, en signant une alliance –, aujourd’hui c’est elle qui décide en toute autonomie des nouvelles qui doivent devenir importantes et de celles qui peuvent être passées sous silence, allant jusqu’à pactiser (cela est arrivé) avec le pouvoir politique pour savoir quels « secrets » dévoilés il convenait de révéler et ceux qu’il fallait taire.
Puisque tous les rapports secrets qui alimentent haines et amitiés d’un gouvernement proviennent d’articles publiés ou de confidences de journalistes à un attaché d’ambassade, la presse prend une autre fonction : jadis, elle épiait le monde des ambassades étrangères pour en connaître les trames occultes, désormais ce sont les ambassades qui épient la presse pour y apprendre des manifestations connues de tous. »
Tout le bref texte devrait être cité !
Et c’est toujours aussi délectable de se régaler de l’esprit d’Umberto Eco…
\Mots-clés : #complotisme #contemporain #discrimination #ecriture #espionnage #essai #guerre #humour #medias #philosophique #politique #social #universdulivre #xxesiecle
- le Lun 24 Oct - 13:57
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- Sujet: Umberto Eco
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Kurt Vonnegut, jr
Le Petit Déjeuner des ChampionsJe lis cette traduction par Gwilym Tonnerre pour Gallmeister en 2014 après (il y a longtemps) celle de Guy Durand en 1974 pour le Seuil sous le titre Le Breakfast du Champion (je n'ai pas remarqué de grandes différences en comparant succinctement les deux traductions).
D’entrée, le livre (première publication en 1973) déplore que les Terriens aient détruit, épuisé leur planète… Un demi-siècle de lente prise de conscience d’une évidence… Mais ce n’est pas le seul travers (plus particulièrement des États-Unis) à y être ridiculisé, il y a aussi la fascination pour l’argent et le sexe, sans oublier le racisme et la guerre, la publicité et la religion ; le propos de Kurt Vonnegut est de mettre en évidence ce dysfonctionnement civilisationnel.
Kilgore Trout, auteur de science-fiction pratiquement inconnu, car publié dans des parutions pornographiques (comme il n’est pas rétribué pour ses œuvres, il travaille aussi dans les fenêtres et volets anti-tempêtes en aluminium), est invité par erreur à prendre la parole lors du festival d’inauguration du Centre artistique Mildred Barry à Midland City. C’est un pessimiste qui imagine sans cesse des histoires comme autant d’expériences de pensée, et se prend pour « les yeux et les oreilles et la conscience du Créateur de l’univers » ; pour lui les miroirs sont des « vides ».
« Ils roulèrent en silence pendant un moment, puis le conducteur fit une autre observation pertinente. Il dit qu’il avait conscience que son camion transformait l’atmosphère en gaz toxique, et qu’on transformait la planète en bitume pour que son camion puisse circuler n’importe où.
– Donc je suis en train de me suicider, dit-il.
– N’y pensez pas, dit Trout.
– Mon frère, c’est encore pire, continua le conducteur. Il travaille dans une usine qui fabrique des produits chimiques pour détruire les arbres et les plantes au Vietnam.
Le Vietnam était un pays dans lequel l’Amérique essayait d’empêcher la population d’être communiste en lui larguant diverses choses de ses avions. Les produits chimiques auxquels le conducteur faisait allusion servaient à détruire tout le feuillage, afin qu’il soit plus difficile pour les communistes de se cacher des avions.
– N’y pensez pas, dit Trout.
– À long terme, lui aussi est en train de se suicider, dit le conducteur. À croire que, ces jours-ci, les seuls emplois qu’un Américain puisse trouver reviennent à se suicider d’une manière ou d’une autre.
– Pertinent, dit Trout.
– J’ai du mal à savoir si vous êtes sérieux ou pas, dit le conducteur.
– Je ne le saurai moi-même que quand je découvrirai si la vie est sérieuse ou pas, dit Trout. Elle est dangereuse, soit, et elle peut faire beaucoup de mal. Ça ne signifie pas forcément qu’elle soit sérieuse, en plus de ça. »
C'est ainsi qu'est annoncé le thème principal du livre (assez dickien) :
« Le postulat du récit était le suivant : la vie était une expérience du Créateur de l’univers, qui souhaitait tester un nouveau type de créature qu’il envisageait d’introduire dans l’univers. Cette créature était dotée de la capacité à prendre des décisions elle-même. Toutes les autres étaient des robots entièrement programmés. »
Dwayne Hoover, riche concessionnaire Pontiac est cette « seule créature de l’univers douée du libre arbitre » ; « au bord de la folie », il est victime d’une « mauvaise chimie » selon l’auteur, qui intervient librement :
« Cette folie naissante, évidemment, était surtout une affaire de chimie. Le corps de Dwayne fabriquait des substances chimiques qui lui perturbaient l’esprit. Mais Dwayne, comme tout apprenti désaxé, avait également besoin d’une dose de mauvaises idées pour donner forme et sens à sa démence. »
Il y a d’autres personnages, comme Wayne Hoobler, une sorte de double inversé de Dwayne Hoover, un récidiviste noir qui sort de prison et cherche à s’intégrer à la société.
La rencontre longuement annoncée des trois personnages principaux (Trout, Hoover et Vonnegut) a lieu dans un bar à cocktails, et le récit contre-culture prend une dimension métaphysique, tout en atteignant un summum de loufoquerie : en lisant Trout, Dwaine se convainc d’être le cobaye solipsiste de l’expérience divine, uniquement entouré de machines.
Ce roman constitue aussi un fort beau spécimen de livre où l’auteur intervient en personne, ici en tant que Créateur de son univers ; plus que clin d’œil ou caméo, différent de l’autofiction, c’est la fabrique de l’ouvrage elle-même.
« Mon avis était que Beatrice Keedsler [une romancière] s’était alliée à d’autres conteurs ringards pour faire croire aux gens qu’il existait dans la vie des personnages principaux, des personnages secondaires, des détails significatifs, des détails insignifiants, qu’il y avait des leçons à en tirer, des épreuves à surmonter, et un début, un milieu et une fin.
À l’approche de mon cinquantième anniversaire, j’avais été de plus en plus furieux et perplexe face aux décisions idiotes que prenaient mes concitoyens. Et puis j’avais soudain fini par les prendre en pitié, car j’avais compris avec quelle innocence et quel naturel ils se conduisaient de manière si abominable, avec des conséquences si abominables : ils faisaient de leur mieux pour vivre comme les personnages qu’on rencontrait dans les histoires. Voilà pourquoi les Américains se tiraient si souvent dessus : c’était un procédé littéraire pratique pour terminer une nouvelle ou un livre.
Pourquoi tant d’Américains étaient-ils traités par leur gouvernement comme si leur vie était aussi jetable qu’un mouchoir en papier ? Car c’était ainsi que les auteurs avaient coutume de traiter les petits rôles dans les récits qu’ils inventaient.
Et ainsi de suite.
Quand je compris ce qui faisait de l’Amérique une nation si dangereuse et malheureuse d’individus qui n’avaient plus aucun rapport avec la réalité, je pris la décision de tourner le dos aux histoires. J’écrirais sur la vie. Chaque personnage aurait strictement la même importance que n’importe quel autre. Tous les faits pèseraient aussi le même poids. Rien ne serait laissé de côté. Aux autres d’apporter de l’ordre au chaos. Moi, j’apporterais du chaos à l’ordre, comme je crois y être parvenu.
Si tous les écrivains faisaient de même, alors peut-être les citoyens en dehors des cercles littéraires comprendraient-ils que l’ordre n’existe pas dans le monde qui nous entoure, qu’il nous faut au contraire nous adapter aux conditions du chaos.
C’est difficile de s’adapter au chaos, mais c’est possible. J’en suis la preuve vivante : c’est possible. »
\Mots-clés : #humour #social
- le Ven 14 Oct - 14:15
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- Sujet: Kurt Vonnegut, jr
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Carlo Emilio Gadda
Des accouplements bien réglésParmi ces quatorze récits, Saint Georges chez les Brocchi est une novella qui tympanise sarcastiquement la bonne société milanaise, pudibonde et mécène de tradition ; la famille comprend notamment la comtesse, qui malgré l’égide des saints pour lesquels elle brode des nappes d’autel craint fort la dégradation morale en ce XXe (on est au printemps 1929), mauvaises fréquentations et lectures pour son fils Luigi (Gigi, dix-neuf ans, tracassé par son éveil sexuel), Jole l’avenante femme de chambre du comte, l’oncle Agamènnone qui compose une Éthique comme Cicéron pour édifier la jeunesse virile.
« Les bulbes oculaires du professeur, gonflés de dédain, vrombirent comme frondes pour projeter au loin ce grondeur projectile. Ses bras, forts et courts, mirent en mouvement des mains voletantes, grassouillettes : un frémissement de grives.
La Marietta, qui passait chargée d’un grand plateau, lui jeta un regard de commisération, et de travers – elle en avait assez de tout ce cirque : quand elles coïncident avec des propositions exagérément nobles et virilement martelées, même des yeux de bossue et des dents de cheval peuvent atteindre à une ironie de style. »
L'Incendie de la via Keplero décrit ses ravages dans un immeuble populaire, le sort de ses occupants et leur secours.
« Des cheminées et des usines du voisinage les sirènes hurlèrent vers le ciel torréfié : et la trame cryptosymbolique des voix électriques perfectionna les appels désespérés de l’angoisse. »
« Et le regard aussi, du reste, voilé, mélancolique, perdu dans le céleste abîme de la flemme, la partie supérieure de ses bulbes oculaires dissimulée par des paupières tombantes, en une espèce de sommeil-du-front, le regard aussi prenait quelque chose du Sacré-Cœur, comme ça, un peu à la Kepler, quand ce n’était que l’opération de la Sacrée Bonbonne. »
Bien nourri contient une remarquable description d’une demeure, qui commence ainsi :
« À l’Allòro, par le raccourci, on y arrive le souffle coupé : c’est la vieille villa sur la colline, une ferme à vrai dire, gardée du dehors par le donjon du Torracchio, du sommet du coteau, et l’escouade de ses noirs cyprès : qui figurent, dans le ciel, comme des lames effilées. »
« Dans la cour, un énorme jeune homme s’avançait pesamment : projetant à chaque pas tout son corps d’un côté, chargeant la jambe et le pied tour à tour avancés dans la marche : en une ondulation compressive, d’un pavé à l’autre, qui, à chaque nouveau mouvement du pied, semblait devoir écraser la tête d’un nouveau serpent. Il tenait une cigarette entre ses doigts, avec la gravité d’un chef de chantier. Enfin Lisa vint à sa rencontre en sautillant, laissant sautiller, sur ses épaules, le flot de ses beaux cheveux qu’un ruban retenait à mi-vague : et avec plus d’un trille, l’ayant pris par la main, elle l’introduisit chez Mme Gemma. Comme le remorqueur introduit le navire dans le port. »
Socer Generque, comme d’autres textes, évoque la guerre et le fascisme.
« Un mois plus tard en effet, avenue des Chemises-Noires, deux vagissements vinrent au monde, l’un après l’autre, deux petits monstres sans chemise, mais dotés chacun d’un petit engin : à la grande joie du Premier Maréchal d’Italie, qui subodora aussitôt en eux deux futurs chômeurs qu’on pourrait envoyer crever, pour le plus grand bien de l’Italie, l’un en Russie, l’autre en Libye. »
Accouplements bien réglés : un autre novella, qui traite de la transmission du capital, la « privée, très privée, propre et personnelle propriété », avec un réjouissant pataquès juridique.
« Tout comme la goutte d’eau se gonfle en s’irisant, et petit à petit se sphéricise, sous l’augmentation constante de son propre poids, au bord extrême de la gouttière : jusqu’à l’instant où, tac, elle s’en décolle tout soudain : et dans le court moment de sa chute, acquiert son identité particulière et prend le nom de goutte d’eau, Berkeley lui-même ne l’appellerait pas autrement ; elle appartient pendant deux secondes, le temps d’atterrir sur le cou de qui, au passage, en frissonne, à une vaste certitude : la certitude du « réel » historique orchestré par Dieu, historicisé par Hegel, exalté par Carlyle. Elle, la goutte, à peine captée par la dialectique de l’histoire ou la vertèbre cervicale du passant, s’évapore aussitôt : comme la Substance du marquis de Château Flambé dans le creuset dialectique de l’an 1792. »
« La concomitance d’un certain nombre de faits amène à maturation, par une opération combinatoire, d’autres faits dont la somme constitue, à nos yeux, l’après-coup logique des premiers, et nous donnons à cette somme le nom de destin, de fatum : l’interprétant comme un énoncé contraignant ou normatif éructé de bouche de prophète. »
Ce recueil me paraît constituer une entrée privilégiée dans le monde des proliférantes ramifications gaddéennes, divagations langagières que de plus longs textes rendent plus ardue ; pour vraiment y pénétrer, il me semble qu’il faudrait maîtriser l’italien de manière approfondie, ainsi que ses dialectes, et les domaines abordés (comme l’antiquité romaine, nombre d'auteurs, etc.) …
\Mots-clés : #humour #nouvelle
- le Mar 11 Oct - 14:38
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- Sujet: Carlo Emilio Gadda
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Mark Twain
A la dure
J'aurais mis le temps pour revenir partager quelques mots sur ce livre, et si je vais faire court ce sera néanmoins de bon coeur.
Pour faire injsutement synthétique qu'ai je trouvé dans ce livre :
- une lecture divertissante, pleine d'humour
- un mélange de récit de voyage et d'aventure
- un stupéfiant panorama d'images des mythes américains
De la ruée vers l'or à Hawaii, San Francisco, de galeries de personnages en péripéties improbables, c'est baignés de bonne humeur que l'on voyage au fil de ce journal. Et les images fortes que l'on parcourt sont d'étonnants échos à nos visions de films si ce n'est d'actualités et d'étrangetés d'outre atlantique.
Le ton y est pour beaucoup mais la matière vaut le détour. Super lecture avec des moments incroyables !
Mots-clés : #aventure #humour #lieu #voyage #xixesiecle
- le Dim 9 Oct - 13:04
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Éric Chevillard
Prosper à l'œuvreRetour de Prosper Brouillon dans ce petit livre désopilant, où notre auteur s’essaie au polar. Les poncifs rappellent de façon hallucinante la façon dont ce thème est invariablement décliné en série sur notre télé nationale. C’est hilarant, comme les acceptions de l’adjectif "goguenard", rattaché à Van Gogh, puis Gauguin par notre romancier à succès.
Nos médiatiques producteurs nationaux de page-turners sont une fois encore écornés de tout cœur ; en fait c’est tout le business de l’édition nationale qui est férocement satirisé.
« Il enchaînera directement avec le festival Pleines Pages de Tarloire-sur-Vilaine, où il a accepté de prononcer une conférence (« Mots et mottes »), puis avec Les Encrières de Clonche qui attirent dans un décor riant malgré la pluie un public chaque année plus âgé. De là, il est attendu aux Journées de L’Ivre Livre d’Anchoix pour une lecture publique des Gondoliers (accompagnée à la scie musicale par Jean-Estève Ducoin). »
« Oui, car force est de reconnaître que les Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke, datent un peu. Datent même de 1929 ! Certaines de ses recommandations ne sont plus aussi pertinentes aujourd’hui.
Le marché n’est plus du tout le même. »
« La littérature pour Prosper Brouillon n’est pas un simple divertissement.
Elle n’est pas une de ces vaines passions impérieuses et vitales.
Il se fait d’elle une plus haute opinion.
Il y a de fortes sommes en jeu. »
« Le commandant arrache une tenture, frappe du poing contre le mur.
Ça sonne creux.
Nous sommes bien chez Prosper Brouillon. »
Chevillard crache dans la soupe (au moins dans celle de ses confrères) – et c’est un régal…
\Mots-clés : #humour #universdulivre
- le Lun 19 Sep - 12:21
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- Sujet: Éric Chevillard
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Georges Perec
Les RevenentesPrière d'insérer :
« − Vous avez lu quelque part que la lettre la plus fréquemment utilisée de la langue française était la voyelle "e". Cela, bien sûr, vous a semblé injuste, et même intolérable, et vous avez décidé d’agir. – Vous avez donc pris un dictionnaire de la langue française et vous avez recueilli tous les mots "sans e". Vous vous en êtes servi pour raconter une histoire que vous avez appelée, évidemment, La Disparition. – Néanmoins, vous n’étiez pas entièrement satisfait. Il vous semblait que vous n’aviez fait que la moitié du chemin. Vous avez donc récidivé, en prenant, cette fois-ci, les mots ne comportant que la voyelle "e", c’est-à-dire les mots "sans a", "sans i", – "sans o" et "sans u" ("y" est une semi-voyelle et mérite un traitement particulier). Vous vous en êtes servi pour raconter une histoire qu’à juste titre vous avez intitulée “Les Revenentes”. – Vous serez peut-être surpris de constater que vos deux ouvrages se ressemblent par de nombreux traits bien qu’ils n’aient aucun mot en commun. »
L’intrigue est confuse, entre la convoitise des gemmes de Thérèse Merelbeke et le libertinage au sein de l'évêché d'Exeter, notamment à cause de la difficulté à lire cette histoire (gêne beaucoup plus grande, dans mon souvenir, que pour La Disparition).
Perec prend rapidement des libertés avec l’orthographe, qui use de l’homophonie jusqu’au calembour :
« Mets le chef reste ferme et prétend qe Thérèse est décédée ! »
Le « i » est rendu par deux « e » :
« Entre Frence et Engleterre, le jet fend l’éther. Thérèse prend le thé et feyette négleegemment l’Express »
Les jeux de mots deviennent abracadabrants :
« T’es percé, mec, j’vé te descendre qe c’en est pédestre ! »
Le franglais est appelé à la rescousse :
« J’erre vènement de mess en self et d’estemeenet en denceengs. »
Puis le récit vire à la débauche licencieuse comme au burlesque :
« Estelle relève l’embètente leeqette de l’Evêqe, besse le sleep (c’est éveedemment qelqe sleep « Emeenence », « the best ») et de ses feengers experts encercle le membre frêle de l’Evêqe. »
La contrainte que s’est imposé Perec donne quand même de savoureuses phrases.
« Teek tek, teek tek, le temps se trène. »
Une référence de circonstance à La Lettre volée de Poe :
« − Certes, mets je le décèle ézément : Te rémembères les « Lettres Menqentes » : le meyer recette de céler est de sembler lesser en éveedence ! »
\Mots-clés : #erotisme #humour
- le Mar 6 Sep - 12:26
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- Sujet: Georges Perec
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René Daumal
Le Mont Analogue − roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiquesThéodore, le narrateur est l’auteur d’une « fantaisie littéraire » parue dans la Revue des Fossiles, un article de spéculation sur « la signification symbolique de la montagne dans les anciennes mythologies », qui a été pris au sérieux par le père Pierre Sogol, un étonnant professeur d'alpinisme, mais aussi chercheur dans les sciences les plus diverses, « un Mirandole du XXe siècle ».
« "Pour qu'une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l'invisible doit être visible." »
Sogol détermine que cette montagne doit exister, qu’elle est invisible à cause d’une courbure de l'espace et qu’elle est située sur une île du Pacifique sud, en contrepoids de la masse continentale émergée et connue de la planète. Une expédition est décidée, avec huit membres (plus quatre hommes d’équipage), et Théodore devient le rédacteur de son journal lorsqu’ils parviennent au pied du Mont Analogue.
« Les explorateurs emportent en général avec eux, comme moyen d'échange avec d'éventuels "sauvages" et "indigènes", toute sorte de camelote et de pacotille, canifs, miroirs, articles de Paris, rebuts du concours Lépine, bretelles à poulies et fixe-chaussettes perfectionnés, colifichets, cretonnes, savonnettes, eau-de-vie, vieux fusils, munitions anodines, saccharine, képis, peignes, tabac, pipes, médailles et grands cordons, − et je ne parle pas des articles de piété. »
Ce continent "inconnu" est sous l’autorité de guides de haute montagne, et l’équivalent de l’étalon-or de la contrée est un cristal courbe, le péradam…
Au fil du récit sont insérés des contes, comme Histoire des hommes-creux et de la Rose-amère…
« Ils ne mangent que du vide, ils mangent la forme des cadavres, ils s'enivrent de mots vides, de toutes les paroles vides que nous autres nous prononçons. Certaines gens disent qu'ils furent toujours et seront toujours. D'autres disent qu'ils sont des morts. Et d'autres disent que chaque homme vivant a dans la montagne son homme-creux, comme l'épée a son fourreau, comme le pied a son empreinte, et qu'à la mort ils se rejoignent. »
… des mythes…
« Au commencement, la Sphère et le Tétraèdre étaient unis en une seule Forme impensable, inimaginable. Concentration et Expansion mystérieusement unies en une seule Volonté qui ne voulait que soi. »
… des descriptions de flore et faune locale…
« Parmi celles-ci, les plus curieuses sont un liseron arborescent, dont la puissance de germination et de croissance est telle qu'on l'emploie − comme une dynamite lente − pour disloquer les rochers en vue de travaux de terrassement ; le lycoperdon incendiaire, grosse vesse-de-loup qui éclate en projetant au loin ses spores mûres et, quelques heures après, par l'effet d'une intense fermentation, prend feu subitement ; le buisson parlant, assez rare, sorte de sensitive dont les fruits forment des caisses de résonance de figures diverses, capables de produire tous les sons de la voix humaine sous le frottement des feuilles, et qui répètent comme des perroquets les mots qu'on prononce dans leur voisinage ; l'iule-cerceau, myriapode de près de deux mètres de long, qui, se courbant en cercle, se plaît à rouler à toute vitesse du haut en bas des pentes d'éboulis ; le lézard-cyclope, ressemblant à un caméléon, mais avec un œil frontal bien ouvert, tandis que les deux autres sont atrophiés, animal entouré d'un grand respect malgré son air de vieil héraldiste ; et citons enfin, parmi d'autres, la chenille aéronaute, sorte de ver à soie qui, par beau temps, gonfle en quelques heures, des gaz légers produits dans son intestin, une bulle volumineuse qui l'emporte dans les airs ; elle ne parvient jamais à l'état adulte, et se reproduit tout bêtement par parthénogenèse larvale. »
… des considérations pseudo-ethnologiques, dialectiques, mathématiques, philosophiques, métaphysiques, ou plus générales :
« L'Animal, fermé à l'espace extérieur, se creuse et se ramifie intérieurement, poumons, intestins, pour recevoir la nourriture, se conserver et se perpétuer. La Plante, épanouie dans l'espace extérieur, se ramifie extérieurement pour pénétrer la nourriture, racines, feuillage. »
C’est donc une sorte de livre de science-fiction, entre Raymond Roussel et Jules Verne métissés de Poe, Vian et Jacques Abeille, et dans la lignée de Gestes et opinions du Dr Faustroll, pataphysicien (roman néo-scientifique), d'Alfred Jarry ; on pense même à Novalis !
On ne peut que déplorer que le récit reste inachevé, mais je pense aussi que d'autres histoires s’achèvent bien… platement, et que certaines gagnent à rester ouvertes.
À ce propos, l’allusion au titre du livre dans La Montagne de minuit de Jean-Marie Blas de Roblès faisait suite au dernier sourire de Bastien, à la vue d’une photo de mérou ; une allusion au mont Mérou des Hindous m’avait traversé l’esprit, mais je l’avais jugée trop capillotractée ! …
Car ce qui est prégnant dans ce livre, c'est surtout l'humour, même s'il est empreint d'alpinisme, de géométrie et de mysticisme, et que surtout il enflamme l'imagination.
\Mots-clés : #contemythe #humour #initiatique #lieu #spiritualité
- le Jeu 18 Aoû - 13:03
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- Sujet: René Daumal
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Claude Tillier
Mon oncle BenjaminLe récit commence par des considérations fort mélancoliques sur l’existence humaine, en contraste vif avec la suite, plus légère et surtout humoristique.
« Ce que vous appelez la couche végétale de ce globe, c’est mille et mille linceuls superposés l’un sur l’autre par les générations. »
Clamecy, au milieu du XVIIIe : Benjamin Rathery est le grand-oncle du narrateur qui rapporte quelques épisodes de la vie de ce dernier.
C’est l’histoire d’un jeune médecin (nombre de renvois à la médecine comme escroquerie ou science pour le moins incertaine), bon vivant (à crédit), élevé par sa sœur chez qui il vit dorénavant, et qui veut le forcer à se marier. Benjamin aime le vin, et banqueter dans la société de ses pairs ; il est cependant attentif aux humbles : par exemple, il ne fait pas payer les pauvres. Ce roman picaresque est aussi le prétexte d’attaques frontales contre la noblesse par privilège royal, la guerre, le clergé.
Une étonnante péripétie est celle où Benjamin se fait passer pour « M. le Juif-Errant » dans un village de naïfs ; on constate au passage qu’aucun antisémitisme ne semble exister à l’époque.
J’ai trouvé l’histoire datée avec ses poncifs sur l’ivrognerie rabelaisienne, ripaille et paillardise, mais une certaine philosophie de la vie s’en dégage cependant.
« Un autre que mon oncle eût déploré son sort sur tous les tons de l’élégie ; mais l’âme de ce grand homme était inaccessible aux atteintes de la fortune. »
« Pour lui le passé n’était rien et l’avenir n’était pas encore quelque chose. Il comparait le passé à une bouteille vide, et l’avenir à un poulet prêt à être mis à la broche. »
J’ai revu le film qui en a été tiré par Édouard Molinaro, et qui est aussi daté…
\Mots-clés : #humour #xixesiecle
- le Sam 16 Juil - 11:40
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- Sujet: Claude Tillier
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Thomas McGuane
La fête des CorbeauxRecueil de dix-sept nouvelles :
Un problème de poids
La maison au bord de Sand Creek
Ma grand-mère et moi
Les enjoliveurs
Sur une route en terre
Une vue dégagée vers l’ouest
Le ragoût
Un bon filon
Un vieil homme qui aimait pêcher
Une fille de la prairie
Le bon Samaritain
Les étoiles
Le shaman
Partie de pêche à Canyon Ferry
Camping sauvage
Une histoire lacustre
La fête des Corbeaux
Tranches de vie dans des ranches du Montana, mais aussi à la ville (et bien sûr pêche à la truite), qui tournent autour de rapports humains toxiques ou empreints de faiblesse, de l’enfance à la vieillesse. Perce aussi, souvent, une satire de la culture états-unienne contemporaine (l’argent, les banques), mais également des références à la nature.
J’ai particulièrement apprécié la première nouvelle, Un problème de poids (où le fils d’une « famille dysfonctionnelle » rejette l’idée d’une vie de couple), Les enjoliveurs (ou l’enfance morose d’Owen), Les étoiles (démêlés de Jessica avec les humains), Camping sauvage (deux vieux amis s’affrontent sourdement à propos d’une infidélité conjugale tandis qu’ils campent avec un guide assez instable) et la dernière, l’éponyme (deux frères ont placé leur mère veuve atteinte de démence sénile en maison de retraite, et elle évoque un amant Crow…)
« Il avait sombré dans la dépression, découvrant qu’il n’est pas de maladie plus brutale, plus profonde, plus implacable, et qui fait une ennemie de la conscience elle-même. »
Le bon Samaritain
« De même que les géologues s’émancipent dans le temps, pensa-t-elle, les astronomes s’affranchissent grâce à l’espace. »
Les étoiles
« La chienne, qui avait mordu son maître la première fois qu’elle l’avait vu soûl, le regardait désormais avec un détachement similaire à celui d’Owen. »
Les enjoliveurs
« Je ne vois pas bien ce que les écolos trouvent à tous ces arbres, dit Jack.
− La nature nous hait. On sera sacrément vernis de quitter ce trou et de retrouver la civilisation. »
« Mon père était boucher et moi, je suis chirurgien, dit Tony. Je suis sûr que tu as entendu pas mal de plaisanteries là-dessus en ville.
− Oui, en effet.
− Le plus bizarre, c’est que je ne voulais pas être chirurgien, mais boucher. L’accession classique de la seconde génération à un genre de stratosphère où on ne se sentira jamais à sa place. Où on ne sait jamais vraiment où l’on en est. »
« Il lui apparaissait que la nature et la vie étaient exactement pareilles, mais il n’arrivait à formuler la chose. »
Camping sauvage
\Mots-clés : #humour #Nouvelle #viequotidienne #xxesiecle
- le Ven 3 Juin - 17:21
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- Sujet: Thomas McGuane
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Théophile Gautier
Le Capitaine FracasseIl est parfois risqué de s’aventurer des décennies plus tard dans un ouvrage découvert dans l’enfance – certainement dans une version « adaptée » - et qu’on avait adoré.
Pas de suspens : la relecture du « Capitaine Fracasse » m’a à nouveau ensorcelé ! Pour d’autres raisons, mais aussi de semblables (Ah, le personnage du Matamore, navré, perdu dans la neige !)
Le capitaine Fracasse, c’est le Matamore, la Capitan, le Scaramouche de la Commedia dell’arte, croqué par Jacques Calot et Abraham Bosse, héros du « Roman comique » de Scarron et de « L’Illusion comique » de Corneille, mais singulièrement transformé, non plus vantard mais modeste, non plus peureux mais courageux. C’est le baron de Sigognac.
Inspiré de ses illustres devanciers, Corneille et Scarron, mais également très influencé par Rabelais, « Le Capitaine Fracasse » est un roman de cape et d’épée qui se passe sous le règne de Louis XIII et qui met en scène une troupe de comédiens. Théophile Gautier y fait preuve d’une qualité d’écriture exceptionnelle, alliant à la perfection le fantastique et le merveilleux. En particulier, les descriptions, souvent très développées, utilisent un vocabulaire précis, d’une grande richesse, avec parfois une touche de préciosité (on sent venir le courant symboliste !)
Les premiers chapitres décrivant le château de la misère sont de petits bijoux :
« Les ronces, aux ergots épineux, se croisaient d’un bord à l’autre des sentiers et vous accrochaient au passage pour vous empêcher d’aller plus loin et vous dérober ce mystère de tristesse et de désolation. La solitude n’aime pas être surprise en déshabillé et sème autour d’elle toutes sortes d’obstacles. »
« Cinq ou six chaises recouvertes de velours qui avait pu jadis être incarnadin, mais que les années et l’usage rendaient d’un roux pisseux, laissaient échapper leur bourre par les déchirures de l’étoffe et boitaient sur des pieds impairs comme des vers scazons ou des soudards éclopés s’en retournant chez eux après la bataille. A moins d’être un esprit, il n’eût point été prudent de s’y asseoir, et, sans doute, ces sièges ne servaient que lorsque le conciliabule des ancêtres sortis de leurs cadres venaient prendre place à la table inoccupée, et devant un souper imaginaire causaient entre eux de la décadence de la famille pendant les longues nuits d’hiver si favorables aux agapes des spectres. »
Les habitants du château : le baron de Sigognac, son serviteur Pierre, le cheval Bayard, le chien Miraud et le chat Belzebuth, sont tout aussi pittoresques :
« Un vieux chat noir, maigre, pelé comme un manchon hors d’usage et dont le poil tombé laissait voir par places la peau bleuâtre, était assis sur son derrière aussi près du feu que cela était possible sans se griller les moustaches, et fixait sur la marmite ses prunelles vertes traversées d’une pupille en forme d’I avec un air de surveillance intéressée. Ses oreilles avaient été coupées au ras de la tête et sa queue au ras de l’échine, ce qui lui donnait la mine de ces chimères japonaises qu’on place dans les cabinets, parmi les autres curiosités, ou bien encore de ces animaux fantastiques à qui les sorcières, allant au sabbat, confient le soin d’écumer le chaudron ou bouillent leurs philtres. »
Il en est de même des comédiens
« Eclairée par ce rayon, une assez grotesque figure se dessina sur le fond d’ombre ; un crâne couleur de beurre rance luisait sous la lumière et la pluie. Des cheveux gris plaqués aux tempes, un nez cardinalisé de purée septembrale, tout fleuri de bubelettes s’épanouissant en bulbes entre deux petits yeux vairons recouverts de sourcils très épais et bizarrement noirs, des joues flasques, martelées de tons vineux et traversées de fibrilles rouges, une bouche lippue d’ivrogne et de satyre, un menton à verrue où s’implantaient quelques poils revêches et durs comme des crins de vergette, composaient un ensemble de physionomie digne d’être sculptée en mascaron sous la corniche du Pont-Neuf. […] Cette tête de fantoche, servie sur une fraise de blancheur équivoque, surmontait un corps perdu dans une souquenille noire qui saluait en arc de cercle avec une affectation de politesse exagérée. »
Belles descriptions de tavernes, ainsi le Radis couronné » :
Quand Jacquemin Lampourde entra au « Radis couronné », le plus triomphant vacarme régnait dans l’établissement. Des gaillards à mine truculente, tendant leurs pots vides, frappaient sur les tables des coups de poing à tuer des bœufs et qui faisaient trembler les suifs emmanchés dans des martinets de fer. D’autres criaient « tope et masse » en répondant à des rasades. Ceux-ci accompagnaient une chanson bachique, hurlée en cœur avec des voix aussi lamentablement fausses que celles des chiens hurlant à la lune, d’un cliquetis de couteau sur les côtes de leurs verres et d’un remuement d’assiettes tournées en meule. Ceux-là inquiétaient la pudeur des Maritornes, qui, les bras élevés au-dessus de la foule, portaient des plats de victuailles fumantes et ne pouvaient se défendre contre leurs galantes entreprises, tenant plus à conserver leur plat que leur vertu. Quelques-uns pétunaient dans de longues pipes de Hollande et s’amusaient à souffler de la fumée par les naseaux. »
Ou d’auberges :
« Passez-moi la muscade ! disait l’un ! un peu de cannelle, s’écriait l’autre ! Par ici les quatre épices ! remettez du sel dans la boîte ! les clous de girofle ! du laurier ! une barde de lard, s’il vous plaît, bien mince ! soufflez ce fourneau ; il ne va pas ! éteignez cet autre, il va trop et tout brûlera comme châtaignes oubliées en la poêle ! versez du jus dans ce coulis ! allongez-moi ce roux, car il épaissit ! battez-moi ces blancs d’œufs en père fouetteur, ils ne moussent pas ! saupoudrez-moi ce jambonneau de chapelure ! tirez de la broche cet oison, il est à point ! encore cinq ou six tours pour cette poularde ! vite, vite, enlevez le bœuf ! il faut qu’il soit saignant. Laissez le veau et les poulets :
Les veaux mal cuits, les poulets crus
Font les cimetières bossus
Retenez cela, galopin. N’est pas rôtisseur qui veut. C’est un don du ciel. Portez ce potage à la reine au numéro 6. Qui a demandé des cailles au gratin ? Dressez vivement ce râble de lièvre piqué ! »
Dernier extrait : Isabelle découvre des armures dans le château de Vallombreuse
« … elle aperçut deux figures armées de pied en cap, qui se tenaient immobiles en sentinelle de chaque côté du chambranle, les gantelets croisés sur la garde de grandes épées ayant la pointe fichée en terre ; les cribles de leurs casques représentant des faces d’oiseaux hideux, dont les trous simulaient les prunelles, et le nasal le bec ; sur les cimiers se hérissaient comme des ailes irritées et palpitantes des lamelles de fer ciselées en pennes ; le ventre du plastron frappé d’une paillette lumineuse se bombait d’une façon étrange, comme soulevé par une respiration profonde ; des genouillères et des cubitières jaillissait une pointe d’acier recourbée en façon de serre d’aigle, et le bout des pédieux s’allongeait en griffe. »
Mots-clés : #aventure #humour #xixesiecle
- le Lun 30 Mai - 16:19
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- Sujet: Théophile Gautier
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René Fallet
Le Braconnier de DieuGrégoire Quatresous, dit "Vingt Centimes", fuyant les Allemands pendant l’occupation, tomba dans la Trappe en Bourbonnais. Mais, au bout de vingt-six ans de bonheur paisible, Frère Grégoire rencontra Muscade la marinière, fit l’amour avec elle (et non « œuvre de chair »), puis se défroqua (tout en gardant sa religion débonnaire). La péniche de Muscade est partie ; il retrouve son seul ami, Toussaint Baboulot, ouvrier agricole alcoolique et acoquiné depuis avec Stanislas, un Polonais au même penchant appuyé (il y aurait beaucoup à dire sur la représentation des Polonais…). Ils travaillent donc ensemble au domaine des Pédouilles.
« Le Polonais, plus polonais que jamais, n’alla pas loin, s’égara sur le terrain de football où, capturé par les filets d’un but tel un chevesne dans un trémail, il s’endormit, La Marseillaise aux lèvres. Baboulot pédala jusqu’à Treteau, chut dans un fossé et y ferma les yeux, tout fier d’avoir pu regagner son lit sans anicroche.
Quant à Grégoire, ce fut à l’intérieur du cimetière de Boucé qu’une tombe interrompit brutalement sa fuite. Il se remit en selle, heurta une autre sépulture, culbuta dans l’allée, sidéré par la quantité de dalles essaimées sur une route nationale. Il s’allongea sur un caveau, jugea ce matelas dénué de tout confort, sombra pourtant dans le sommeil. À l’aube, à la vue de ce gisant, une vieille qui passait par là en perdit la raison, ce dont personne d’ailleurs ne s’aperçut dans sa famille. »
Outre ses retrouvailles (avec le vin notamment), il tente de fuir le péché (mais vider chopine et « arranger » les bistrotes n’en font point partie), et de devenir un « pêcheur d’hommes ». Lui apparaît Jésus (qui ne crache pas non plus sur le Saint Pourçain).
« Garde-le pour toi, Grégoire, parce que c’était pas utile d’y marquer dans les Évangiles, mais ça vaut rien, l’eau changée en pinard. Rien. Pas un coup de cidre. C’est de la bibine. Le raisin, Grégoire, le raisin, y a que ça ! Faut pas sortir de là. Tout le reste, c’est coca-cola et compagnie. »
Grégoire baptise donc des moutons puis, pour le convertir, emmène Toussaint, victime d’une « crise de foie », de l’Allier à Lourdes dans une pérégrination qui semble écrite pour le cinéma (un film du même titre sera d’ailleurs tiré du livre ; je ne me souviens pas l’avoir vu, mais le genre rappelle Fernandel et consorts).
« On se racontait, derrière eux, le dernier miracle en date. Un cul-de-jatte avait perdu une roue de son chariot. Comme il ne pouvait plus se propulser sans culbuter, on l’avait apporté à Lourdes afin qu’il y récupérât au moins ses jambes. On l’avait plongé dans la piscine, où il avait coulé et s’était noyé, ne voulant pas lâcher ses fers à repasser. Lorsqu’on l’avait repêché, Dieu merci ! son chariot avait quatre roues et quatre pneus neufs, les médecins en avaient témoigné formellement. »
Toussaint miraculé à l’eau bénite et à l’Hepatoum, les inspirés compères ouvriront le monastère d’un nouvel ordre rabelaisien, le Saint-Litre…
C’est d’un anticléricalisme bonhomme (sans épargner tous les « gardes-pêche, gardes-chasse et garde-chiourmes », y compris les gendarmes).
« Aujourd’hui, tiens, les curés veulent se marier. Demain, ils voudront se marier entre eux ! »
« Le front bas du gendarme se plissa et, rétrécissant ainsi d’un centimètre, diminua de moitié [… »
Dédié à Antoine Blondin, ce roman rappelle évidemment Audiard, Brassens, Robert Giraud et ses autres proches en gouaille populaire des faubourgs, et ici du patois du bourbonnais, avec un humour parfois daté, mais qui reste savoureux.
« On y sait, que l’amour, ça empêche pas les sentiments. »
Mais c’est loin d’être comparable à Paris au mois d'août, Un idiot à Paris, ou Le beaujolais nouveau est arrivé…
\Mots-clés : #humour
- le Mar 17 Mai - 12:31
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- Sujet: René Fallet
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Thomas De Quincey
De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-ArtsEn complément aux commentaires approfondis précédents, mais je retiens surtout l'aspect farcesque et provocateur.
« En tant qu’inventeur de l’assassinat et que le père de l’art, Caïn dut être un génie de premier ordre. Tous les Caïns furent des hommes de génie. Tubal-Caïn a inventé les tubes, je crois, ou quelque chose de ce genre. »
« En effet, pour peu qu’un homme se laisse aller à l’assassinat, il en viendra bientôt à boire et à enfreindre le sabbat, et de là il tombera dans l’impolitesse et la nonchalance. Une fois engagé sur cette pente, qui sait où il s’arrêtera ? Plus d’un homme a daté sa ruine de tel ou tel assassinat auquel, en son temps, il n’avait guère attaché d’importance. »
Le Post-scriptum (tenant plus de la moitié de l’ouvrage), commente principalement les fameux assassinats de John Williams à Londres.
« Mais dans la suite, cet étranger repoussant d’une lividité cadavérique, aux cheveux extraordinaires et aux yeux vitreux, qui s’était montré par intermittence de 8 heures à I l heures du soir, revint à la mémoire de tous ceux qui l’avaient fixement observé, avec à peu de chose près l’effet glacial que produisent les deux assassins dans Macbeth lorsqu’ils se présentent fumants du meurtre de Banquo, et qu’avec leurs terribles visages ils se profilent obscurément sur l’arrière-plan brumeux, à travers les pompes du banquet royal. »
Humour donc, mais aussi façon de pointer la fascination morbide des membres de toute société humaine pour les faits divers sanglants et la mort (amplifiée par la rumeur), à la racine de la peur de l’étranger, et donc du racisme…
« Un homme sur trois, pour le moins, y pouvait être tenu pour un étranger. On rencontrait à chaque pas des Lascars, des Chinois, des Maures, des Nègres. »
(Les lascars sont vraisemblablement des "matelots des Indes".)
Un pastiche à la Poe, qui raille aussi le ton didactique et grandiloquent en le caricaturant, et n’épargne pas même Coleridge, ami de l’auteur.
Pas étonnant que cet auteur figure dans l'Anthologie de l'humour noir d'André Breton (dans laquelle il manque notamment Ambrose Bierce, qui s’apparente assez à de Quincey) !
\Mots-clés : #humour
- le Mar 26 Avr - 12:35
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- Sujet: Thomas De Quincey
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John Irving
Les rêves des autresLes rêves des autres
Fred vient d’être quitté par sa femme (et sa fille), et découvre qu’il a le don de partager les rêves des personnes qui ont dormi là où il dort.
Un énergumène passe à table
Ernst Brennbar passe par une période post-prandiale plutôt chargée, et réagit à une conversation sur les discriminations comparées en intervenant pour soutenir les boutonneux ; il s’insurge au premier degré, mais sa femme transforme adroitement sa diatribe à titre personnel en métaphore de l’intelligence…
« C’est du racisme anti-boutonneux, voilà ce que c’est ! De l’acnophobie. »
« − C’est vrai que les gens intelligents constituent la minorité la plus infime. Il leur faut donc supporter la médiocrité bêlante et l’idiotie flagrante de tout ce qui est populaire. La popularité est probablement la pire insulte pour une personne intelligente. C’est pour ça, poursuivis-je avec un geste en direction de Brennbar, qui ressemblait à une nature morte, c’est pour ça que l’acné est une métaphore adéquate pour dire le sentiment d’impopularité qu’éprouvent les gens intelligents. Car l’intelligence est impopulaire, évidemment. Personne ne les aime, les gens intelligents. On ne leur fait pas confiance : leur intelligence cache peut-être une forme de perversité. C’est un peu comme de penser que ceux qui ont des boutons ne sont pas propres. »
Une facétie étrangement actuelle…
L’espace intérieur
Un urologue et sa femme passionnée d’aménagement intérieur, notamment de leur nouvelle maison, dont un beau noyer surplombe la toiture, ainsi que celle du voisin… La saison des noix arrive, tandis que le médecin tente de convaincre ses patients étudiants d’informer leurs conquêtes de leurs maladies vénériennes…
Dans un état proche de l’Iowa, ou l’itinéraire qui mène à l’état de grâce
Road trip d’un États-Unien qui fait équipe avec son véhicule, apparemment plus qu’avec son épouse…
Un royaume de lassitude
Minna, proche de la retraite, travaille dans un foyer de jeunes étudiantes ; ses confortables positions dans l’existence seront un peu chamboulées.
Faut-il sauver Piggy Sneed ?
Ce texte est peut-être celui qui m’a le plus touché, déjà à ma première (et ancienne) lecture : d’abord, Irving confie sa façon de fabuler à partir d’une expérience personnelle. Voici l’incipit :
« Ce qui va suivre est autobiographique, mais, entendons-nous bien, pour l’écrivain non dépourvu d’imagination, toutes les autobiographies sont truquées. La mémoire d’un auteur de fiction ne saurait lui fournir que des détails peu satisfaisants ; il nous est toujours possible d’en imaginer de meilleurs, de plus adéquats. Le détail juste est rarement ce qui s’est produit sans retouches ; le détail vrai, c’est ce qui aurait pu, ou qui aurait dû, se produire. Je passe la moitié de ma vie à me relire et, sur cette moitié, la moitié du temps à introduire de menus changements. La condition de l’écrivain exige qu’il sache allier l’observation minutieuse à l’imagination non moins minutieuse de ce qui ne lui a pas été donné d’observer. Quant au reste, il consiste à se colleter proprement avec le langage ; pour moi, en l’occurrence, travailler et retravailler les phrases jusqu’à ce qu’elles sonnent avec la spontanéité d’une conversation de niveau agréable. »
Ensuite, l’histoire est celle d’un misérable demeuré en butte aux blagues et moqueries de jeunes enfants, dont le narrateur-auteur, qui interroge la question du harcèlement des plus faibles d'une manière intimement liée à la démarche littéraire.
Mon dîner à la Maison-Blanche
Un deuxième texte apparemment autobiographique, une tranche de vie d’Irving dans le Vermont, et l’affirmation de sa position démocrate.
« Et, comme une soirée de fin d’année, mon dîner à la Maison-Blanche est suivi d’un bal − après tout, Hollywood est au pouvoir. »
Il me semble avoir toujours plus ou moins considéré Irving comme un auteur « gentil » ; malgré la connotation péjorative du terme, ce n’est pas si négatif, et ils sont plutôt rares dans ce genre…
\Mots-clés : #humour #nouvelle
- le Dim 24 Avr - 13:16
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- Sujet: John Irving
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Raymond Queneau
Hazard et FissileDébut d’un roman non terminé, où on découvre avec grand plaisir Eleazard Hazard le vieux savant et Sulpice Fissile, secrétaire du banquier Minoff (qui est lecteur d’ouvrages d’occultisme), le clown (« clàoun ») Calvaire Mitaine, le magicien Funeste Agrippa, Adrien le domestique de Pierre Réussi (ce dernier rapidement trucidé), « le célèbre détective français » Florentin Rentin, Jim Jim le boxeur nègre à l’accent alsacien, Jacqueline Pi 1416, un orang-outan et un petit bonhomme de cristal qui, brisé, veut être enterré dans « un cercueil de chair »… et les pieuvres du golfe de Guinée.
« Et dire que ce salaud d’auteur a fait de moi une sorte de Paillasse ridicule. Il déteste les clowns, cet imbécile. Mais je lui revaudrai ça et je lui ferai rater les chapitres les plus palpitants. »
C’est désopilant, et les personnages, comme l’auteur, interviennent directement dans un récit dont ils ont conscience qu’il en sont un.
« "− C’est fou, Jacqueline. Mon revolver vient de disparaître.
− Qu’a-t-il emporté avec lui ?
− Rien, c’est ce qui m’inquiète. Et personne que je puisse soupçonner.
− C’est que vous manquez d’imagination."
(Je prie le lecteur d’apprécier les répliques de Jacqueline, spirituelles et pleines d’esprit. C’est bien une brave petite Française. Reprenons.) »
« Non, non, le moment n’est pas aux lieux communs. Là où le langage se soulage. »
Leurs aventures abracadabrantes sont fortement inspirées de Fantômas, et vers la fin seulement indiquées dans les notations cursives du work in progress :
« Et s’il me plaît à moi de changer le nom de mes personnages ?
Sulpice Fissile sera Clotaire d’Eu et Prosper Minoff sera Virgile Mieux. Adrien sera monsieur Fromage et Jacqueline se nommera Etiennette Cimetière.
D’autre part, je ne sais plus où j’en suis. Non merde. Voilà trois mois à peu près que j’ai arrêté les frais de ce petit roman. Alors où suis-je ? Je, donc, pense en être à une sorte de poursuite. »
L’imagination est rocambolesque, farfelue, et même surréaliste, un peu à la manière d’un Vian.
« Au Ve siècle, une beste fort redoutable ayant l’aspect d’un serpent fort long, mais ayant une sorte de parement de peau noire assez semblable à une soutane et une arête ronde comme un chapeau de curé, ravagea les environs de Limoges. Elle avait plusieurs centaines de kilomètres de long, un jour on la tua (méthode de la séparation du fondement) et on la plaça dans une glacière. Il y avait tellement à manger dedans que l’on déguste encore sa viande et, gratuitement, dans tout Limoges, et qu’il y en a encore pour plusieurs siècles. »
Un régal, malheureusement inachevé…
\Mots-clés : #humour
- le Mer 16 Mar - 12:12
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- Sujet: Raymond Queneau
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Jorn Riel
La Maison des célibatairesCinq célibataires vivent tranquillement dans une maison du Groenland, oisifs et grands buveurs. Mais l’un d’eux, capitaine d’un bateau transporteur de charbon, qui ne se lave jamais et assure avec son salaire la seule entrée d’argent de la maisonnée, s’inquiète de leur éventuelle dispersion lorsque l’âge de la retraite sera venu. Toujours avec humour, Riel rend compte du genre de vie dans cette contrée exotique.
« Elle les invita à entrer et leur servit café et schnaps dans des tasses. Avec le café, elle leur servit de longues lanières de viande de mouton séchée accompagnées de délicieux petits dés de phoque frits. »
En postface à cette novella, Riel parle de sa riche existence, qui ne se résume pas à l’Arctique, et confie :
« Un racontar, c'est une histoire vraie qui pourrait passer pour un mensonge. À moins que ce ne soit l'inverse ? »
\Mots-clés : #humour
- le Lun 14 Mar - 11:58
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- Sujet: Jorn Riel
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Eduardo Mendoza
Le mystère de la crypte ensorceléeEffectivement picaresque, et qui m’a ramentu, outre Don Quichotte, Six problèmes pour Don Isidro Parodi, de Borges et Casares (et même Gadda, ce qui peut être douteux puisque j’ai aussi pensé à mes pommes de terre sautées qui mijotaient dans une marmite en fonte). On est en 1965, « ère prépostfranquiste », et c’est un régal désopilant de reprises des poncifs du genre comme de cette époque.
« Nous avons besoin pour cela d’une personne qui connaisse les ambiances les moins reluisantes de notre société, une personne dont le nom puisse être éclaboussé sans préjudice pour nulle autre, capable d’effectuer le travail à notre place et de laquelle, le moment venu, nous puissions nous débarrasser sans encombre. »
« Je me mis donc au lit avec cette idée consolante et tentai de m’endormir en ressassant l’heure à laquelle je voulais me réveiller : car je sais que le subconscient, en plus de dénaturer notre enfance, déformer nos attachements, nous rappeler ce que nous sommes anxieux d’oublier, nous révéler ce que notre condition a d’abject, en bref, nous démolir la vie, fait aussi office de réveil quand on en a envie, comme par une sorte de compensation. »
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- le Jeu 20 Jan - 16:16
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Enrique Vila-Matas
Cette brume insenséeCadaqués et le cap de Creus, puis Barcelone, pendant la crise indépendantiste catalane de 2017. Le narrateur, Simon Schneider, piètre traducteur impécunieux et écrivain raté, est le frère d’un écrivain culte vivant incognito à New York (comme Salinger ou Pynchon), Rainer "Grand" Bros, qui exploite l’intertextualité de ses « archives de citations ». C’est sa passion…
« …] à accumuler des citations – plus il y en avait, mieux c’était –, une nécessité absolue d’absorber, de rassembler toutes les phrases du monde, un désir irrésistible de dévorer tout ce qui se mettait à ma portée, de m’approprier tout ce dont, dans des moments de lecture propice, j’envisageais de faire mon miel. »
« …] l’“art des citations” inventé – mais pas développé – par Georges Perec dans les années 1960. »
Comme d’ordinaire avec Vila-Matas, il y a plusieurs fils qui s’entrecroisent (voire s’entremêlent), et il est difficile, dans une première lecture, de dégager ce qui serait essentiel de l’accessoire – d’autant que les notions se reprennent en miroir (plus ou moins déformant) dans des volutes de mise en abyme avec effet rétroactif… Entr’autres récurrences, leur père récemment décédé (à « l’énergie née de l’absence »), la tante Victoria génie de la famille, « les cinq romans rapides » de Grand Bros qui (lui aussi) « ne poursuivait jamais un thème jusque dans ses derniers retranchements », « ce narrateur perdu dans le clair-obscur d’une matinée » de son présent brumeux comme dans l’œuvre que Simon envie tout en prétendant avoir conseillé sa « structure intertextuelle », et pour cela financièrement assisté comme Vincent Van Gogh par Théo, un tableau de Monet, l’espace infini, « ce tragique sentiment de l’existence » emprunté à Unamuno et autres questions métaphysiques, autant d’éléments d’une énigme narquoisement embrouillée en valse-hésitation autour d’une mystérieuse destination.
« …] la vie respecte un patron dont le tracé s’améliore au fur et à mesure que nous apprenons à nous éloigner des événements. Parce que prendre de la distance vis-à-vis des choses – ce qui pour moi revient à prendre de la distance vis-à-vis de la tragédie, ce qui, à son tour, est la même chose qu’être maître dans l’art de ne pas se laisser voir – s’apprend avec le temps.
N’est-ce pas, Banksy ? »
La littérature, mais aussi l’écriture, sont évidemment au centre du roman.
« La grande prose ne tente-t-elle pas d’aggraver la sensation d’enfermement, de solitude et de mort et cette impression que la vie est comme une phrase incomplète qui à la longue n’est pas à la hauteur de ce que nous espérions ? »
Rainer revient rencontrer Simon, et son alcoolisme digne d’Hemingway affronte la paranoïa de ce dernier.
Malicieux maestro, Enrique Vila-Matas nous embobeline comme de coutume.
\Mots-clés : #ecriture #humour
- le Lun 20 Déc - 11:36
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Mark Twain
Nouvelles du Mississippi et d'ailleursVingt-deux nouvelles souvent brèves, pleines d’un humour parfois un peu daté : c'est un genre qui semble ne pas être immuable, du moins dans certaines de ses formes…
Ces récits sont généralement présentés comme vécus ou au moins véridiques, souvent rapportés par quelqu’un de rencontre, fréquemment dans un train.
La célèbre grenouille sauteuse du comté de Calaveras est le cas d'un conteur aussi farfelu qu'intarissable.
Une journée à Niagara relate une visite touristique aux célèbres chutes ; remarque d’autant plus comique qu’on ne faisait pas les selfies soi-même à l’époque :
« Il n’y a pas de véritable mal à faire de Niagara l’arrière-plan où exposer sa merveilleuse insignifiance à une bonne lumière bien claire, mais s’y autoriser requiert une sorte d’autocomplaisance surhumaine. »
Les tribulations de Simon Erickson est l’histoire d’un jeune cultivateur épris des navets, et surtout d’une curieuse lettre dont le texte se transforme absurdement…
Une histoire vraie, c’est celle d’une Noire qui retrouva son fils, vendu treize ans plus tôt, dans l’armée de l’Union.
Le marchand d’échos est un réjouissant exemple de la passion des collections, avec le cas loufoque de celle… d’échos !
Les amours d’Alonzo Fitz Clarence et Rosannah Ethelton est une intrigante histoire de temps déréglé, de maison où la saison est différente d’une pièce à l’autre, et finalement de conversations téléphoniques...
Ce qui sidéra les geais bleus est une amusante historiette de geais qui parlent, et font preuve d’humour.
Une bien curieuse expérience : espionnage pendant la guerre de Sécession ?
La famille McWilliams et les signaux d’alarme : il s’agit d’une burlesque alarme anti-intrusion ; Twain semble avoir beaucoup de problèmes avec les nouveautés technologiques…
« J’acceptai ce compromis. Je dois vous expliquer que lorsque je veux quelque chose, et que Mme McWilliams veut autre chose, et que nous nous prononçons finalement – comme nous le faisons toujours – en faveur de ce que veut Mme McWilliams, elle appelle ça un compromis. »
Le chasseur et la dinde machiavélique a un accent de souvenir d’enfance.
\Mots-clés : #humour #nouvelle
- le Lun 13 Déc - 19:44
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Umberto Eco
Pastiches et PostichesRecueil de textes divers.
Dans Nous sommes au regret de ne pouvoir publier votre ouvrage…, des rapports de lecture à l’éditeur déconseillent le choix éditorial de quelques chefs-d’œuvre de la littérature mondiale ; pas assez ou trop de sexe, « gros travail d’editing » à prévoir, invendable, etc. : c’est désopilant !
Trois notes de lecture : sur les billets de banque, Histoire d’O « (projet de note de lecture pour "Marie-Claire") et L’Amant de lady Chatterley.
Nonita est un hilarant pastiche de Lolita, ou les confessions d’Umberto Umberto, jeune éphèbe épris de séniles « parquettes » ! La parodie met en abyme les démarquages d’autres auteurs que Nabokov, comme son modèle renvoyait à des références littéraires.
Fragments, ce sont ceux découverts après une catastrophe nucléaire là où se trouvait l’Italie, bribes de chansons populaires qui attestent d’une civilisation fantasmée dans d’érudites et hasardeuses extrapolations !
Les deux textes suivants sont dans le genre des Mythologiques de Barthes :
Platon au Crazy Horse :
« Si, psychologiquement, le rapport du strip-tease est sadomasochiste, ce sadomasochisme, sociologiquement, est essentiel au rite d’enseignement qui s’accomplit : le striptease démontre inconsciemment au spectateur, qui accepte et recherche la frustration, que les moyens de production ne sont pas en sa possession. »
Phénoménologie de Mike Bongiorno (le Guy Lux italien) :
« L’idéal du consommateur de mass media est un surhomme qu’il ne prétendra jamais devenir, mais qu’il se plaît à incarner en imagination, comme on endosse pour quelques minutes devant un miroir le vêtement de quelqu’un d’autre, sans même songer à le posséder un jour. »
Esquisse d’un nouveau chat : dans le genre de Robbe-Grillet et du Nouveau roman.
L'autre empyrée : témoignage sur l’immobilisme du Dieu de l’Ancien Testament face aux progrès scientifiques :
« Lucifer, on essaye maintenant de le faire passer pour un communiste, mais je veux être pendu s’il était même social-démocrate. Un intellectuel avec des idées réformistes, voilà ce qu’il était ; de ceux qu’on liquide ensuite, dans les vraies révolutions. »
La Chose : le professeur Ka a fabriqué le premier biface, et le général utilise la technologie pour massacrer.
De l’impossibilité d’établir une carte de l’empire à l’échelle de 1/1 : en référence à Borges.
Trois chouettes sur la commode : parodie de philologie d’un poème.
Industrie et répression sexuelle dans une société de la plaine du Pô : savoureuse étude du « village de Milan » par des anthropologues de Mélanésie et des îles de l’Amirauté ! Avec étrange interprétation du Risorgimento (le réveil national italien).
« Le fait de condamner les occidentaux comme peuples primitifs uniquement parce qu’ils s’adonnent au culte de la machine et sont encore loin d’un contact vivant avec la nature constitue un bel exemple de cet arsenal d’idées fausses qui a servi à nos ancêtres pour juger les hommes incolores et en particulier les Européens. »
« Et il n’est pas dit – on me l’accordera – que cueillir des noix de coco en grimpant pieds nus sur un palmier constitue un comportement supérieur à celui du primitif qui voyage en jet en mangeant des chips enfermées dans un sachet en plastique. »
« L’Église, d’après ce qui ressort des témoignages recueillis sur place, est une puissance laïque et temporelle, aspirant à la domination terrestre, à l’acquisition de terrains à bâtir, au contrôle du pouvoir politique, alors que l’Industrie est une puissance spirituelle visant à la domination des âmes, à la diffusion d’une conscience mystique et d’un mode de vie ascétique. »
Où allons-nous finir ? : Héraclite et « l’homme-masse », point de vue critique fort documenté sur la démocratie et sa soif d’information instantanée sous la coupe de « l’industrie culturelle » dans la culture attique, d’une magnifique mauvaise foi…
« Quant à Médée, la culture de masse nous offre là son morceau de bravoure, nous parlant des névroses privées d’une hystérique sanguinaire, à grand renfort d’analyses freudiennes, et nous fournissant un parfait exemple de ce que peut être un Tennessee Williams du pauvre. »
La découverte de l’Amérique : fabuleux reportage télévisé en direct de la découverte de l’Amérique sur le modèle du premier pas sur la lune, avec commentaires de Vinci et autres autorités de l’époque…
« Léonard – Très bien, excusez-moi. Voilà : la caravelle utilise le système de propulsion dit "wind and veil" et flotte en vertu du principe d’Archimède qui veut que tout corps plongé dans un liquide subit une poussée verticale, dirigée de bas en haut, égale au poids du fluide déplacé. La voile, élément essentiel de la propulsion, est répartie sur trois mâts : le grand mât, le mât d’artimon et le mât de misaine. Le beaupré a une fonction particulière : le foc et le clinfoc y sont fixés, alors que le perroquet et la brigantine interviennent dans l’orientation.
Telmon – La thalassonavette arrive-t-elle dans l’état où elle est partie, ou bien y a-t-il des éléments qui se détachent en cours de route ?
Léonard – Je vais vous dire : il y a un processus d’appauvrissement de la thalassonavette qu’on appelle couramment "kill and drawn". C’est-à-dire que lorsqu’un matelot se conduit de façon incorrecte avec l’amiral, il reçoit un coup sur la tête et on le jette à la mer. C’est le moment du "mutiny show-down". En ce qui concerne la Santa Maria, il y a eu trois cas de" kill and drawn", qui ont permis à l’amiral Colomb de reprendre le contrôle de la thalassonavette… En pareilles circonstances, l’amiral doit être très attentif et intervenir au bon moment…
Telmon – Autrement, il perd le contrôle du bâtiment. Je comprends. Et dites-moi, quelle est la fonction technique du mousse ?
Léonard – Très importante. On dit que c’est une fonction de "feeding back". Pour le public, nous pourrions traduire par "soupape de sécurité". C’est un problème technique dont je me suis longtemps préoccupé et, si vous voulez, je vais vous montrer quelques-uns de mes dessins d’anatomie…
Telmon – Merci, professeur Vinci, mais il me semble que le moment est venu d’établir la liaison avec le studio de Salamanque. À toi Bongiorno ! »
« Parodi – Putain con, Amiral, mais elles sont toutes nues !
Stagno – Qu’est-ce qu’il a dit, Orlando ?
Orlando – On n’a pas bien entendu, mais ce n’étaient pas les mots convenus. Quelqu’un me suggère ici qu’il doit s’agir d’un phénomène d’interception des communications. Il paraît que ça arrive souvent dans le Nouveau Monde. Mais voilà, l’amiral Colomb va parler !
Colomb – C’est un petit pas pour un marin, mais c’est un grand pas pour Sa Majesté Catholique… Bordel, mais qu’est-ce qu’ils ont au cou ?… Putain, c’est de l’or, ça ! De l’or !
Orlando – Le spectacle qui nous est transmis par la caméra est véritablement grandiose ! Les marins se mettent à courir vers les indigènes en faisant de grands bonds, des bonds immenses, les premiers bonds de l’homme dans le Nouveau Monde… Ils prennent au cou des indigènes les échantillons du minerai du Nouveau Monde et les fourrent dans de grands sacs en plastique… À présent, les indigènes aussi font de grands bonds en cherchant à fuir ; l’absence de pesanteur les ferait s’envoler si les marins ne les retenaient pas à terre avec de lourdes chaînes… Maintenant les indigènes sont tous bien sagement alignés en colonne, tandis que les matelots se dirigent vers les navires avec les lourds sacs chargés du minerai local. Ce sont des sacs vraiment pesants, et il a fallu beaucoup d’efforts tant pour les remplir que pour les transporter…
Stagno – C’est le fardeau de l’homme blanc ! Un spectacle que nous n’oublierons jamais. Aujourd’hui commence une nouvelle ère de la civilisation ! »
Do your movie yourself : variations autour du scénario-type de quelques cinéastes (Visconti est particulièrement gratiné).
Lettre à mon fils : curieux paradoxe qui défend le droit des parents à choisir un fusil, par rapport à d’autres jouets, pour leurs enfants.
« Vous pouvez les identifier dès maintenant. Les gros spéculateurs de l’immobilier, les spécialistes de l’expulsion en plein hiver, qui ont façonné leur personnalité sur l’infâme Monopoly, s’habituant à l’idée du commerce d’immeubles et de la cession désinvolte de paquets d’actions. Les pères Grandet d’aujourd’hui qui ont sucé le lait de l’accumulation et du gain en bourse avec les billets de tombola. Les planificateurs de l’extermination formés par le Meccano ; les morts vivants de la bureaucratie qui ont préparé leur mort spirituelle avec les albums de timbres-poste. »
« Stefano, mon fils, je t’offrirai des fusils. Parce qu’un fusil n’est pas un jeu. C’est le point de départ d’un jeu. À partir de là, tu devras inventer une situation, un ensemble de rapports, une dialectique d’événements. Tu devras faire "poum" avec la bouche, et tu découvriras que le jeu vaut par ce que tu mets dedans, et non par ce que tu y trouves de tout fait. Tu imagineras que tu détruis des ennemis, et tu satisferas une impulsion ancestrale que même la meilleure des civilisations ne réussira jamais à te masquer, à moins de faire de toi un névrosé bon pour les tests d’aptitude professionnelle de Rorschach. Mais tu comprendras que détruire les ennemis est une convention ludique, un jeu parmi d’autres, et tu apprendras ainsi que c’est une pratique étrangère à la réalité, dont tu connais bien les limites en jouant. Tu te libéreras de tes rages, de tout ce que tu réprimes en toi, et tu seras prêt à accueillir d’autres messages, qui n’ont pour objet ni mort ni destruction ; il sera important, au contraire, que mort et destruction t’apparaissent à jamais comme des produits de l’imagination, ainsi que le loup du petit chaperon rouge, que chacun de nous a haï sans que soit née de là une haine irraisonnée pour les chiens-loups. »
Belle dénonciation des jargons lettrés, et collection de loufoques contresens des doctes ! Ça rappelle par endroits l’OULIPO, et Queneau.
Bourré d’esprit et fort drôle ! Dommage de ne pouvoir saisir toutes les allusions, notamment celles en rapport avec la culture italienne.
\Mots-clés : #humour
- le Mar 16 Nov - 12:40
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- Sujet: Umberto Eco
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