Des Choses à lire
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Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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111 résultats trouvés pour contemporain

Roberto Bolaño

2666

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Image_10

J’avais entendu des avis très contrastés sur cet ouvrage : chef-d’œuvre absolu, arnaque…
J’ai eu le malheur d’en lire quelques lignes, alors que j’étais engagé dans d’autres lectures, et j’ai tout de suite était happé, fasciné, à l’instar d’une mouche autour d’une lampe. J’ai lu ce livre d’une traite, sans la moindre lassitude, toujours avec la même avidité, jusqu’à la fin, regrettant d’en arriver au point final ! Shocked

Difficile de résumer ou de parler d’un livre qui associe tellement d’histoires, de modes narratifs, de thèmes… On parle de « livre monde », terme facile mais qui a le mérite d’être évocateur.
2666 est donc le dernier roman de Roberto Bolano, qu’il n’a pas eu le temps de terminer avant sa mort. J’ignore les parties qu’il aurait modifiées, peut-être la dernière pour lui donner plus d’ampleur ?

L’ouvrage se divise en cinq chapitres. Bolano avait décidé in fine de les publier séparément. Ce choix était principalement dicté par un souci d’assurer des revenus financiers à sa famille après sa mort. Heureusement, ses ayant-droits et éditeurs ont décidé de rassembler l’ensemble. C’était le bon choix car les différents chapitres sont unis les uns aux autres par quantité de fils plus ou moins visibles.

1) La partie des critiques : quatre universitaires : un français, un italien, un espagnol et une anglaise sont sur la piste d’un mystérieux auteur allemand qui répond au nom improbable de Benno Archimboldi et que très peu de gens ont vu. Ils vont de colloques en colloques prêcher la bonne parole d’un écrivain qu’ils considèrent comme un maître de la littérature du XXe siècle (on parle même de lui pour le Nobel !). A l’occasion, ils s’intéressent également à un artiste qui s’est amputé d’une main pour la fixer sur un tableau… Ayant découvert une piste de la présence possible d’Archimboldi à Santa-Theresa au Mexique, trois de nos universitaires décident de s’y rendre.

2) La partie d’Amalfitano : celui-ci est un prof de philosophie espagnol qui s’est exilé à Santa-Theresa. Il vit avec sa fille qui commence à fréquenter de mauvais garçons. Amalfitano accroche un livre de géométrie sur un fil à linge le laissant dépérir au fil du temps, nouveau ready-made à la Duchamp. Il entend des voix, expérience qui l’amène aux portes de la folie.

3) La partie de Fate : journaliste afro-américain de Brooklyn, Fate vient à Santa-Theresa pour couvrir un combat de boxe. Il commence à s’intéresser aux femmes retrouvées mortes dans la ville. Fate fréquente les milieux interlopes et doit s’enfuir précipitamment avec Rosa la fille d’Amalfitano.

4) La partie des crimes. C’est le chapitre de loin le plus long, celui que j’ai trouvé le plus fort, véritable point d’acmé du roman. L’histoire s’inspire d’événements réels : les meurtres de jeunes femmes perpétrés à Ciudad Juarez (alias Santa Theresa), à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.
C’est une longue litanie mortifère, jusqu’à la nausée, d’enfants, jeunes filles et femmes un peu plus âgées, parfois torturés à mort, la plupart violés par « les deux voies », souvent étranglés avec fracture de l’os hyoïde (dont j’ignorais même l’existence avant cette lecture). Bolano nous offre un parcours sordide dans les décharges sauvages, des faubourgs glauques et déshérités à souhait, l’univers de ces malheureuses femmes, serveuses de café, prostituées, ouvrières des maquiladoras. Le lecteur est amené aussi à côtoyer les milieux policiers, le monde des narcotrafiquants, celui  de la justice et l’univers pénitencier ; mondes aux frontières perméables, mouvantes, gangrenées par la corruption.

5) La partie d’Archimboldi nous plonge dans le passé, en Allemagne lors de la seconde guerre mondiale, sur le front de l’est, lieu privilégié de multiple horreurs. C’est un des liens les plus évidents entre les deux dernières parties, la description des pires choses que l’humanité a pu inventer.

Il n’est bien entendu pas question pour moi d’aborder les multiples aspects que présente un tel livre. Je me contenterai donc de quelques réflexions que m’a inspiré cette lecture :

- l’emboîtement des histoires les unes dans les autres : l’auteur peut interrompre son récit pour suivre un nouveau personnage. Il y a ainsi un foisonnement de récits en structure « buissonnante ». Parfois des personnages reviennent, d’autre fois non. Pour ma part, J’ai trouvé ce mode de récit très cohérent avec le fil de nos existences, régies par diverses tendances dans lesquelles l’aléatoire intervient constamment : rencontres fortuites, suivies, interrompues, retrouvées parfois ; diversité de nos centres d’intérêt au cours d’une vie, etc.

- une écriture «tortueuse », « sinueuse » (je ne sais trop quel terme employer), qui se faufile dans une sorte de labyrinthe gigantesque. J’ai souvent pensé à « Mulholland drive » de Lynch.

- le décalage subtil avec la réalité : c’est une impression très forte et intrigante que j’ai eu à la lecture de 2666. Celle de ne jamais être totalement dans le réel, mais juste à côté, derrière une paroi transparente, comme dans un univers parallèle. D'ailleurs, souvent les personnages agissent et se regardent agir. Les miroirs tiennent également une grande place dans le récit. De ce fait, la frontière entre ce qui semble le réel et l’imaginaire, sous forme en particulier du rêve, est très ténue. Comme le dit très bien Dreep, une écriture en « clair-obscur », toujours entre entre deux mondes.

« Au réveil, il crut avoir rêvé d’un film qu’il avait vu peu auparavant. Mais tout était différent. Les personnages étaient noirs, et le film du rêve était donc comme un négatif du film réel ».

« Tout ça est comme le rêve d’un autre. »


- le mal : il semblerait que ce soit un thème récurrent chez Bolano. Déjà le titre du roman évoque la Bête de l’Apocalypse. Ce Mal est effectivement toujours présent dans le livre, en arrière plan, comme un bruit de fond le plus souvent ; parfois il éclate avec brutalité lors de rêves en particulier. Cela m’a rappelé quelques terreurs d’enfance.

Pour terminer, je voudrais insister sur la grande facilité de lecture de 2666 qui ne présente pas de difficultés. Je conseille de le lire sans à priori, en se laissant porter, ce n’est pas un livre policier, ni d’aventures, ni fantastique, encore moins un roman classique, mais tout cela à la fois : un livre-monstre  Very Happy
 
« Même les pharmaciens cultivés ne se risquent plus aux grandes œuvres imparfaites, torrentielles, celles qui ouvrent les chemins dans l’inconnu. Ils choisissent les exercices parfaits des grands maîtres. Ou ce qui revient au même, ils veulent voir les grands maîtres dans des séances d’escrime d’entraînement, mais ne veulent rien savoir des vrais combats, où les grands maîtres luttent contre ça, ce ça qui nous terrifie tous, ce ça qui effraie et charge cornes baissées, et il y a du sang et des blessures mortelles et de la puanteur »


mots-clés : #contemporain #creationartistique #fantastique #polar #violence
par ArenSor
le Mer 23 Mai - 17:39
 
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Sujet: Roberto Bolaño
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Zakhar Prilepine

Des chaussures pleines de vodka chaude

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 97827410

Originale: «Ботинки, полные горячей вод , сборник рассказов, Russe, 2008)
Traduction: Joëlle Dublanchet (Übersetzer)

Récueil de 11 nouvelles

C'est une très bonne façon de faire connaissance avec un auteur (à mon avis) de lire des nouvelles : on saura après quelques unes peut-être un peu mieux s'il nous parlera ou pas. Si dans le cité « San'kya » le ton politique, voir la violence, est redoutable, on trouvera ici aussi quelque chose qui marque l'écriture de Prilépine. Je trouve cela vraiment rare, qu'une certaine forme très crue, violente puisse se marier ici avec une tendresse touchante, des bribes extrêmement nostalgique. Par là même on comprendra peut-être aussi un des traits de ce pays ? Et de cet auteur un peu, voir beaucoup, controversé pour nos yeux occidentaux ?!

Et sur ce niveau-là je pense que la lecture de ces nouvelles peuvent nous aider. Elles ont quelque chose d'authentiques, de raleur, mais aussi d'humain. Toutes les nouvelles sont racontées de la perspective d'un narrateur (première personne). Certains personnages comme « ma femme, mon frère, mon ami » apparaissent ici et là. Et ainsi on a l'impression (est-ce vrai?) de participer à la vie de l'auteur même. Donc, cela paraît très authentique, même si certaines choses paraissent un peu incrédibles.

Pour moi une vraie découverte.

mots-clés : #contemporain #nouvelle #viequotidienne #violence
par tom léo
le Lun 21 Mai - 9:25
 
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Sujet: Zakhar Prilepine
Réponses: 17
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Paul Auster

4321

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 432110

Variations sur le destin d’Archie Ferguson, double d’Auster, qu’on suit d’autant mieux dans les États-Unis des années 50 à 70 que les quatre destinées sont exposées de façon intelligible, et clairement accessibles au long d’une lecture aisée de ces plus de mille pages.
Comme l’a bien remarqué Topocl, Auster poursuit ici l’interrogation de la part de l’accidentel et de l’inhérence dans le cours d’une vie humaine : l’existence est-elle conduite par les circonstances, que doit-elle à l’individualité propre ? Comment fait-on ses choix ? et choisit-on ?
« …] le jeune Ferguson en était arrivé à la conclusion qu’il vivait dans un univers sens dessus dessous, empli de situations interchangeables (jour = nuit, espoir = désespoir, force = faiblesse) [… »

Variantes existentielles donc, dont la mort prématurée, et l’homosexualité :
« Comme Albert le lui avait expliqué un jour, les règles de la fidélité en vigueur entre les hommes et les femmes ne s’appliquaient pas aux hommes entre eux et s’il y avait quelque avantage à être homo et hors la loi plutôt que marié et respectueux des règles, c’était cette liberté de s’envoyer en l’air à son gré avec qui on voulait et chaque fois qu’on en avait envie, du moment qu’on ne blessait pas les sentiments de son numéro un. Mais qu’est-ce que ça voulait dire exactement ? »

C’est aussi et surtout un retour sur l’Histoire récente et les questions qu’elle pose : mouvement des droits civiques (contre le racisme), Viêtnam, et les interrogations plus générales dans les jeunes années, comme l’existence de Dieu (mais « Nobodaddy » signifie rapidement le gouvernement, qui décide pour cette jeunesse).
« …] l’Odyssée, et l’occupation préférée des dieux c’était de se mêler des affaires des hommes. Ils ne pouvaient pas s’en empêcher, c’est pour cela qu’ils étaient nés. »

« Nixon venait de changer la loi. Le Système de sélection militaire ne se baserait plus sur l’ensemble des jeunes Américains âgés de dix-huit à vingt-six ans pour recruter ses soldats mais seulement sur certains d’entre eux, ceux qui obtiendraient les numéros les plus bas dans le nouveau tirage au sort qui devait avoir lieu de 1er décembre. Trois cent soixante-six chiffres possibles, un pour chaque jour de l’année incluant l’année bissextile, un nombre correspondant à l’anniversaire de chaque jeune citoyen des États-Unis, un tirage à l’aveugle qui déciderait si vous seriez libre ou pas, si vous deviez aller vous battre ou rester chez vous, si vous iriez en prison ou pas, la nature même de votre avenir façonnée par les mains du Général du Hasard Stupide, grand commandeur des urnes, des cercueils et de toutes les tombes nationales.
Absurde.
Le pays avait été transformé en casino et ce n’était même pas vous qui lanciez les dés. Le gouvernement allait s’en charger à votre place. »

On trouvera une impressionnante description des réactions stupéfiées à l’assassinat de JFK, trop longue pour la citer intégralement, mais avec une chute (réitérée) qui me parle :
« Un monde sans arbres. »

Printemps 1968 dans les universités, avec entr’autres un témoignage intéressant sur les médias aux ordres :
« …] comment ne pas se poser des questions quand on voyait que le journal le plus influent d’Amérique avait volontairement travesti le compte rendu des événements de Columbia [… »

La jeunesse donc dans l’American way of life, avec ses soucis hormonaux universels, et ses invariants d’abord locaux (goût des hamburgers et des sports), puis toutes ses découvertes :
« …] Ferguson toujours frustré, qui se baladait avec l’érection permanente de tous les jeunes hommes et n’en avait jamais assez [… »

« …] tout en matière de sexe était étrange. »

« Pour la première fois de sa vie il commençait à avoir un peu peur de lui-même. »

« Tu es un solide gaillard mais tu ne seras jamais assez fort ni assez gros pour devenir une sorte d’empoté, et c’est ce qu’il faut être pour jouer au football, une sorte d’empoté bien épais, un crétin qui n’aime qu’une chose, foncer dans le tas, un animal humain. »

(Je suppose donc qu’il y a une nuance avec le base-ball…)
"La" ville, c’est New York City (« densité, immensité, complexité ») :
« …] la ville resta une part essentielle de sa vie, cette chère ville de New York sale et envoûtante, la capitale des visages, la Babel horizontale des langues humaines. »

Curieux engouement pour la France (et notamment place importante de sa littérature dans les études) :
« Ce fut la première chose qui leur fit aimer la France (cette indifférence bénie pour la vie privée d’autrui) [… »

« …] tout l’éclat à la Gershwin du printemps à Paris, le Paris aux cent romances sentimentales [… »

Il y une évidente part d’autobiographie (judéité, jugement manifestement démocrate, traductions de poètes français ; Auster a publié Le Carnet rouge, alors qu’un des Ferguson rédige Le Carnet écarlate, etc.). Peut-être même un aveu :
« Il n’allait pas monter sur les barricades, mais il encouragerait ceux qui le feraient puis il retournerait dans sa chambre écrire son livre. »

« Tu ne cherches pas à réinventer le monde, Archie, tu veux le comprendre pour y trouver ta place. »

Les quatre jeunes Ferguson se cherchent, victimes des événements, avec pour toute arme l’invariant de leur moi ; les relations, les couples se nouent et se dénouent, forment des cercles de proches et subissent leur environnement, ce monde à feu et à sang.
« …] et chaque fois qu’il se trouvait en présence de quelqu’un de différent, il devenait différent lui-même. »

« Tout le monde avait toujours dit à Ferguson que la vie ressemblait à un livre, une histoire qui commence à la page 1 et qui se déroule jusqu’à la mort du héros page 204 ou 926 mais maintenant que l’avenir dont il avait rêvé changeait, sa notion du temps changeait elle aussi. Il comprit que le temps se déplaçait en avant et en arrière, et comme les histoires des livres ne pouvaient qu’aller de l’avant, la métaphore du livre ne marchait pas. Si la vie pouvait se comparer à quelque chose, elle ressemblerait plutôt à la structure d’un quotidien populaire, avec les événements importants comme une déclaration de guerre ou un meurtre dans la pègre à la une et les nouvelles moins importantes dans les pages suivantes, mais la dernière page porte elle aussi un gros titre, la meilleure histoire du jour dans le monde trivial mais captivant du sport, et les articles sportifs étaient presque toujours lus à partir de la fin en tournant les pages de gauche à droite au lieu de les tourner de droite à gauche comme il est d’usage quand on lit les articles en partant des premières pages, on avance donc à reculons [… »

« Le temps se déplaçait dans deux directions parce que chaque pas dans l’avenir emportait avec lui un souvenir du passé, et même si Ferguson n’avait pas encore quinze ans, il avait déjà assez de souvenirs pour savoir que le monde qui l’entourait était façonné par celui qu’il portait en lui, tout comme l’expérience que chacun avait du monde était façonnée par ses souvenirs personnels, et si tous les gens étaient liés par l’espace commun qu’ils partageaient, leurs voyages à travers le temps étaient tous différents, ce qui signifiait que chacun vivait dans un monde légèrement différent de celui des autres. »

Outre l’expérience du cinéma, la littérature et l’écriture tiennent une grande place. On trouve d’intéressantes (idées de) textes du Ferguson jeune écrivain mises en abîme dans le roman, des enseignements sur le travail de l’auteur :
« …] et pour la première fois dans l’expérience que Ferguson avait du monde, le passé, l’avenir et le présent ne formaient plus qu’un seul tout. Il avait écrit le livre, puis il l’avait attendu et maintenant il le tenait entre ses mains. »

Ce que l’on peut peut-être considérer comme le projet littéraire d’Auster lui-même :
« Combiner l’étrange et le familier, voilà le but auquel aspirait Ferguson, observer le monde aussi attentivement que le plus scrupuleux des réalistes mais en même temps créer une façon de voir le monde à travers une lentille légèrement déformante, car lire des livres qui ne traitaient que du familier vous apprenait des choses que vous saviez déjà, et lire des livres qui ne parlaient que de l’étrange vous apprenait des choses que vous n’aviez pas besoin de savoir, et ce que Ferguson désirait par-dessus tout c’était écrire des histoires qui feraient une place non seulement au monde visible des êtres conscients et des objets inanimés mais aussi aux vastes et mystérieuses forces invisibles cachées sous le réel. »

Et un jugement négatif du creative writing :
« …] mais Ferguson était opposé par principe à l’enseignement de l’écriture car il était convaincu que l’écriture romanesque n’était pas une matière qu’on pouvait enseigner, que tout futur écrivain devait apprendre tout seul sa manière de procéder et en plus, d’après les informations qu’on lui avait données sur la façon dont étaient gérés ces ateliers d’écriture (le terme lui faisait immanquablement penser à une pièce pleine de jeunes apprentis occupés à scier du bois et à planter des clous dans des planches), les étudiants étaient encouragés à commenter leurs travaux entre eux, ce qui lui semblait particulièrement absurde (l’aveugle guidant l’aveugle !) et pourquoi accepterait-il que son travail soit jugé par un crétin de premier cycle, son travail tellement bizarre et inclassable qu’il serait sûrement incompris et rejeté comme étant des foutaises expérimentales. »


« Oui, c’était cela, vide dans le sens où une femme se sent vide après avoir donné naissance à un enfant, mais en l’occurrence à un enfant mort-né, un enfant qui ne changerait jamais, ne grandirait pas et n’apprendrait jamais à marcher, car les livres vivaient en vous aussi longtemps que vous les écriviez mais dès qu’ils sortaient de vous, ils étaient finis et morts. »


mots-clés : #contemporain #jeunesse
par Tristram
le Jeu 10 Mai - 20:37
 
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Sujet: Paul Auster
Réponses: 127
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Laurence Tardieu

A la fin, le silence

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 A_lafi10


Quand Laurence Tardieu "commence" ce qui doit être le début de ce roman, elle le fait car elle vient d'apprendre que la maison de ses grands-parents, maison dans laquelle elle a passé tous ses étés d'enfance et où elle est devenue la femme qu'elle est, va être vendue. C'est dans ce havre qu'elle explique avoir construit ou reconstruit celle qui parle aujourd'hui.
Elle espère que ce livre fera changer le destin de cette maison : qu'elle pourra en empêcher la vente ou si ce n'est le cas, garder une trace écrite de ces moments précieux qu'elle y a passés, des souvenirs et ainsi permettre que la maison existe toujours pour ce qu'elle représente : un refuge.
Au même moment, début 2015, sont commis en France les attentats meurtriers que personne n'a oubliés.
Comment alors ne penser qu'à la maison, alors que que ce qui se produit ne peut être même nommer et vécu.

Laurence Tardieu rédige alors un livre dans lequel alternent ses souvenirs de quiétude, ses bouleversements intimes face à la terreur, ses questionnements face au traitement des faits - car ils se produisent en France - .
Au moment de l'écriture, l'auteure attend son troisième enfant et cette vie qu'elle porte lui fait ressentir encore plus douloureusement et avec encore plus d'acuité, les événements de cette année tragique.

Ces événements la rendent poreuse comme elle le dit elle-même.


J'aime l'écriture de Laurence Tardieu et j'ai aimé ce roman : elle met parfois des mots sur des faits ou des situations que l'on ne saurait que taire. S'y entremêlent des descriptions nostalgiques de cette magnifique maison et des époques qu'elle y a vécu et les sentiments éprouvés au cours de ces jours si sombres que nous avons tous connus, ainsi que l'évidence que ce type d'action et de terrorisme ne se déroule pas qu'en France mais aussi dans des pays dont on parle moins quand la barbarie y règne.
.
Et on le referme en se posant tant de questions...


mots-clés : {#}autobiographie{/#} {#}contemporain{/#}
par Invité
le Jeu 10 Mai - 14:23
 
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Sujet: Laurence Tardieu
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Michel Houellebecq

Soumission

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Soumis10

Ce livre a déjà été abondamment et brillamment commenté, mais des citations furent réclamées, alors…
On retrouve d’emblée cette complaisance benoîte à préciser avec application notre propre médiocrité au travers de celle d’un narrateur type où l’on devine l’auteur. Houellebecq ne renonce pas à se rendre hostile une large part des lecteurs, non sans une certaine provocation plaisante, qui peut confiner au cynisme :
« Dans l'iconographie de l'ouvrage, il y avait la reproduction du prospectus d'un bordel parisien de la Belle Époque. J'avais éprouvé un vrai choc en constatant que certaines des spécialités sexuelles proposées par Mademoiselle Hortense ne m'évoquaient absolument rien ; je ne voyais absolument pas ce que pouvaient être le "voyage en terre jaune", ni la "savonnette impériale russe". Le souvenir de certaines pratiques sexuelles avait ainsi, en un siècle, disparu de la mémoire des hommes – un peu comme disparaissent certains savoir-faire artisanaux tels que ceux des sabotiers ou des carillonneurs. Comment, en effet, ne pas adhérer à l'idée de la décadence de l'Europe ? »

C’est une forme d’anticipation (le genre littéraire qui explore des évolutions possibles de nos sociétés), mais plus une sorte de diagnostic et de matière à réflexion qu’un pronostic ou une analyse argumentée.
C’est aussi le fil de Huysmans, sujet d’études du narrateur et de l’auteur, qui leur sert de vague référence existentielle :  
« Ç'aurait été une erreur d'accorder trop d'importance aux "débauches" et aux "noces" complaisamment évoquées par Huysmans, il y avait surtout là un tic naturaliste, un cliché d'époque, lié aussi à la nécessité de faire scandale, de choquer le bourgeois, en définitive à un plan de carrière [… »

« …] les plats pour micro-ondes, fiables dans leur insipidité, mais à l'emballage coloré et joyeux, représentaient quand même un vrai progrès par rapport aux désolantes tribulations des héros de Huysmans ; aucune malveillance ne pouvait s'y lire, et l'impression de participer à une expérience collective décevante, mais égalitaire, pouvait ouvrir le chemin d'une résignation partielle. »

Structure souple, enchaînement constant, sans temps mort ; une certaine élégance dans la narration, avec le côté clinique et détaché qui convient dans ce bilan d’une existence banale.
Savoureux regard sur la place de la carrière professionnelle (et les sujets de conversation entre collègues), la politique, l’intelligentsia et les médias, bref la société post 68 sur son erre : consommation de masse induite par la croissance, allongement et démocratisation de l'enseignement, émergence de "la jeunesse" comme nouveau groupe social et transformation des mœurs, sexe et détachement dans les rapports humains, solitude, vide de perspective…
« Que l'histoire politique puisse jouer un rôle dans ma propre vie continuait à me déconcerter, et à me répugner un peu. Je me rendais bien compte pourtant, et depuis des années, que l'écart croissant, devenu abyssal, entre la population et ceux qui parlaient en son nom, politiciens et journalistes, devait nécessairement conduire à quelque chose de chaotique, de violent et d'imprévisible. La France, comme les autres pays d'Europe occidentale, se dirigeait depuis longtemps vers la guerre civile, c'était une évidence ; mais jusqu'à ces derniers jours j'étais encore persuadé que les Français dans leur immense majorité restaient résignés et apathiques – sans doute parce que j'étais moi-même passablement résigné et apathique. Je m'étais trompé. »

Les partis et personnages politiques sont donc particulièrement visés, ainsi que les médias (et c'est piquant à lire suite aux dernières élections) :  
« L'implosion brutale du système d'opposition binaire centre-gauche – centre-droit qui structurait la vie politique française depuis des temps immémoriaux avait d'abord plongé l'ensemble des médias dans un état de stupeur confinant à l'aphasie. »

« "Ce qui est extraordinaire chez Bayrou, ce qui le rend irremplaçable", poursuivit Tanneur avec enthousiasme, "c'est qu'il est parfaitement stupide, son projet politique s'est toujours limité à son propre désir d'accéder par n'importe quel moyen à la “magistrature suprême”, comme on dit [… »

« Sous l'impulsion de personnalités aussi improbables que Jean-Luc Mélenchon et Michel Onfray [… »

« La gauche avait toujours eu cette capacité de faire accepter des réformes antisociales qui auraient été vigoureusement rejetées, venant de la droite [… »

« Les fascismes me sont toujours apparus comme une tentative spectrale, cauchemardesque et fausse de redonner vie à des nations mortes [… »

« Et l'existence d'un débat politique même factice est nécessaire au fonctionnement harmonieux des médias, peut-être même à l'existence au sein de la population d'un sentiment au moins formel de démocratie. »

« …] mais les journalistes ayant une tendance bien naturelle à ignorer les informations qu'ils ne comprennent pas, la déclaration n'avait été ni relevée, ni reprise. »

« L'absence de curiosité des journalistes était vraiment une bénédiction pour les intellectuels, parce que tout cela était aisément disponible sur Internet aujourd'hui, et il me semblait qu'exhumer certains de ces articles aurait pu lui valoir quelques ennuis ; mais après tout je me trompais peut-être, tant d'intellectuels au cours du XXe siècle avaient soutenu Staline, Mao ou Pol Pot sans que cela ne leur soit jamais vraiment reproché ; l'intellectuel en France n'avait pas à être responsable, ce n'était pas dans sa nature. »

La femme est particulièrement peu épargnée, cependant :
« Aucune femme n'avait été conviée, et le maintien d'une vie sociale acceptable en l'absence de femmes – et sans le support du foot, qui aurait été inapproprié dans ce contexte malgré tout universitaire – était une gageure bien difficile à tenir. »

Houellebecq donne une raison "scientifique" un peu biscornue au succès de l’islamisme : la prégnance de la polygamie (réservée aux dominants) du point de vue de la sélection naturelle !
« C'est à peine s'il revenait sur le cas des civilisations occidentales, tant elles lui paraissaient à l'évidence condamnées (autant l'individualisme libéral devait triompher tant qu'il se contentait de dissoudre ces structures intermédiaires qu'étaient les patries, les corporations et les castes, autant, lorsqu'il s'attaquait à cette structure ultime qu'était la famille, et donc à la démographie, il signait son échec final ; alors venait, logiquement, le temps de l'Islam). »

D’un point de vue religieux et historique, il en appelle (facilement) à Nietzsche pour discréditer la démocratie :
« L'idée de la divinité du Christ, reprenait Rediger, était l'erreur fondamentale conduisant inéluctablement à l'humanisme et aux "droits de l'homme". »

Quant au titre :
« "C'est la soumission" dit doucement Rediger. "L'idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. C'est une idée que j'hésiterais à exposer devant mes coreligionnaires, qu'ils jugeraient peut-être blasphématoire, mais il y a pour moi un rapport entre l'absolue soumission de la femme à l'homme, telle que la décrit Histoire d'O, et la soumission de l'homme à Dieu, telle que l'envisage l'islam." »

Ce fut pour moi une lecture fort agréable (et pas trop longue), effectivement impossible à prendre au premier degré.
Et il m’en restera quelques phrases, comme celle-ci :
« Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d'imaginer le point de vue de ceux qui, n'ayant jamais rien eu à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière. »



mots-clés : #contemporain #identite #medias #politique #religion #romananticipation #sexualité #social
par Tristram
le Lun 30 Avr - 20:12
 
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Sujet: Michel Houellebecq
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Nicole Krauss

La grande maison

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 La_gra10

Que reste-t-il quand on a tout perdu ?

Nadia vit à New York. Son mari l'a quittée, son appartement est presque vide, les livres qu'elle écrit se vendent peu.

À Londres, Arthur affronte la maladie de sa femme, Lotte. Il découvre qu'elle lui a caché une partie de son passé. Isabel, une américaine venue étudier à Oxford, rencontre un antiquaire qui mène une traque incessante pour retrouver les biens juifs confisqués par les Nazis.

Au même moment, à Jérusalem, Aaron tente de se rapprocher de son fils, Dov, et lui adresse une lettre bouleversante.

Exilés de leur propre vie, tous sont liés sans le savoir par un objet mystérieux, un bureau comportant dix-neuf tiroirs qui aurait appartenu à Federico Garcia Lorca.

Ce livre où les récits s'entremêlent célèbre le pouvoir de l'écriture. Malgré les ombres de l'Histoire, une force subsiste, poussant chacun vers la vie, la rédemption.

Quatrième de couverture


Autant le dire tout de suite, j'ai adoré cette lecture même si je l'ai trouvée, pour bien des raisons, très perturbante.


C'est un roman à plusieurs voix, qui vont forcément à un moment, se répondre ou s'entremêler, mais il faut attendre la fin du livre pour en savoir un peu plus.

Spoiler:


Je l'ai découvert comme un roman sur l'incommunicabilité entre les êtres pourtant liés par des sentiments très intimes, un roman sur l'étouffement d'un amour trop fort, un roman sur le regard que l'on porte sur une vie écoulée.
Le livre fait évoluer les personnages au milieu de l'Histoire du vingtième siècle et , en cela, est enrichissant. On s'attache à certains personnages plutôt qu'à d'autres, on essaye de comprendre la motivation de leurs actes sans jamais oublier que les tourments des guerres modifieront à jamais leur perception de l'existence choisie ou subie.
C'est aussi un roman sur l'écriture, le travail de l'écrivain et les choix qu'il entraîne.


Au milieu de cela, le bureau aux nombreux tiroirs dont un seul est verrouillé...quel lien le lie aux différents époques, aux différents personnalités ?


Juste une dernière précision - j'ai choisi de ne pas vous dévoiler le roman car chacun l'approchera avec son propre vécu - : la dernière page tournée, il vous hantera longtemps car  il vous aura laisser beaucoup de questions auxquelles, il vous faudra tenter de répondre.

mots-clés : {#}amour{/#} {#}contemporain{/#} {#}creationartistique{/#}
par Invité
le Dim 8 Avr - 14:14
 
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Sujet: Nicole Krauss
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Milan Kundera

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 41llzm10

La fête de l’insignifiance


Originale : Français, 2014

CONTENU :
4ème de couv raccourci a écrit:Jeter une lumière sur les problèmes les plus sérieux et en même temps ne pas prononcer une seule phrase sérieuse, être fasciné par la réalité du monde contemporain et en même temps éviter tout réalisme, voilà La fête de l'insignifiance. Celui qui connaît les livres précédents de Kundera sait que l'envie d'incorporer dans un roman une part de «non-sérieux» n'est nullement inattendue chez lui. Dans L'Immortalité, Goethe et Hemingway se promènent ensemble pendant plusieurs chapitres, bavardent et s'amusent. Et dans La Lenteur, Véra, la femme de l'auteur, dit à son mari : «Tu m'as souvent dit vouloir écrire un jour un roman où aucun mot ne serait sérieux... je te préviens : fais attention : tes ennemis t'attendent.» Or, au lieu de faire attention, Kundera réalise enfin pleinement son vieux rêve esthétique dans ce roman qu'on peut ainsi voir comme un résumé surprenant de toute son œuvre. Drôle de résumé. Drôle d'épilogue. Drôle de rire inspiré par notre époque qui est comique parce qu'elle a perdu tout sens de l'humour. Que peut-on encore dire ? Rien. Lisez !


REMARQUES :
Sept parties entre 14 et 21 pages, se déroulant pour une large partie à Paris entre amis et connaissances (tous des hommes) , entre rencontres à deux ou plusieurs ou, un moment donné, lors d’une fête d’un des protagonistes (les héros principaux de ce livre sont tous des hommes). Celui-ci, d’Ardelo, a prononcé vis-à-vis d’une de ses connaissances (Ramon) et au détour d’une conversation le constat (pour se rendre important?) qu’il était atteint par le cancer. Des personnages entre questions futiles et « si importantes », entre pathos et mensonge, pas classables.

A l’image de phrases comme :
« Les gens ne peuvent pas se ruer les uns sur les autres dès qu’ils s’aperçoivent. Au lieu de cela, ils essaient de jeter sur l’autre l’opprobre de la culpabilité. Gagnera qui réussira à rendre l’autre coupable. »

Dans un autre fil de narration – et ils vont se réjoindre vers la fin – on est devant Staline et son Politbureau : impossibilité de rire d’un mot avant que le rire soit autorisé, obligation de rire quand le maître en donne l’exemple. Une societé qui a désappris de rire, de faire et comprendre des blagues.

… on pourrait méditer quelques profondeur de propos, ou alors se désoler d’une certaine forme de cynisme. Il s’agit, comme dit un protagoniste, de « ne pas prendre au sérieux le monde » « et « d’un ton léger et amusant ». Selon le texte de la couverture, ce choix est fait : le choix de rire, d’applaudir devant l’auteur. Vraiment ? Je n’y arrive pas pleinement : je trouve cela à l’image du titre (et où est-il dit qu’il voulait faire autre chose?) : insignifiant. Et comme certains spectateurs dans le livre je me demande si je dois « siffler ou applaudir ».

Avec une mise en page très généreuse (taille des caractères et pages libres entre les chapitres), on a peu de texte et un prix pas mal.

Comme dans le passé j’ai plutôt de la peine avec Kundera. J’avoue donc ma limitation et je vous invite (?) de vous former votre propre opinion pour élargir ce fil.


mots-clés : #contemporain
par tom léo
le Dim 18 Mar - 16:43
 
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Sujet: Milan Kundera
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Emmanuel Carrère

Limonov

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Limono10

Biographie d’un personnage peu sympathique, surtout fasciné par la célébrité, envieux, narcissique, amoral, une sorte de quintessence de loser qui "réussit" ; il m’a paru déplaisant, même si on pense ou fait référence à Henry Miller, Bukowski ou Lou Reed. C’est un petit prolo, voyou, zonard, paumé et patriote, doublé d’une sorte de fier aventurier bourré d’énergie et prenant des risques à l’instinct pour échapper « à la misère et à l’anonymat. » (IV, 3) Il classe froidement les gens (y compris les femmes) ; l’échelle des valeurs va du misérable (qu’on méprise d’autant plus qu’on l’est soi-même) au succès social.

« Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends sur ce point mon jugement. » (Prologue, 4)


Cynique au pays des cyniques, Édouard Limonov est un brun-rouge, c'est-à-dire qu’il va du côté des forts, que ce soit la dictature fasciste ou le totalitarisme rouge. Il est devenu un va-t-en-guerre fasciné par l’héroïsme guerrier, en route pour rejoindre l’Histoire, et fonder le parti national-bolchevique (ou la rencontre des deux extrêmes, la contre-culture des parias) :

« Qui, des deux [Limonov et Douguine], a trouvé le nom du Parti national-bolchevik ? Plus tard, quand ils se sépareront, chacun le revendiquera. Encore plus tard, quand ils essayeront de devenir respectables, chacun en rejettera l’idée sur l’autre. En attendant, ils en sont enchantés tous les deux. Ils sont enchantés du titre qu’Édouard, nul ne le conteste, a trouvé pour leur futur journal : Limonka, la grenade. Pas celle qui se mange, bien sûr : celle qui explose. Ils sont enchantés, enfin, du drapeau qu’a dessiné sur une table de cuisine un peintre de leurs amis doux comme un agneau, spécialisé dans les paysages d’Ombrie et de Toscane. Ce drapeau, un cercle blanc sur fond rouge, évoque le drapeau nazi, sauf qu’en noir dans le cercle blanc, au lieu de la croix gammée, il y a la faucille et le marteau. » (VII, 3)


Un zek rescapé du Goulag comme Soljenitsyne ne mérite que mépris selon notre provocateur. À son sujet, on aimerait pouvoir croire Carrère lorsqu’il écrit :

« …] dès l’instant où un homme a le courage de la dire, personne ne peut plus rien contre la vérité. Peu de livres ont eu un tel retentissement, dans leur pays et dans le monde entier. Aucun, hormis dix ans plus tard L’Archipel du Goulag, n’a à ce point, et réellement, changé le cours de l’histoire. » (I, huit)


La vie de Limonov, beau spécimen d’adaptabilité, passe par toutes sortes d’expériences et de péripéties aux USA, en France et bien sûr en Eurasie, sans manquer la case "prison" (puis le bagne), où il trouve sa place, intégré comme chef de gang (son parti politique) et reconnaissant ses pairs les bandits, déployant enfin une certaine empathie, et s’accomplissant par la méditation.
Autrement, ce livre vaut, de mon point de vue, pour l’éclairage qu’il porte sur l’Histoire récente de l’Europe de l’Est, sur le choc de la disparation du parti communiste soviétique et de l’ouverture subséquente au marché (des oligarques). Aperçus du (des) peuple(s) laminé(s) par Staline :

« Ils [les démocrates] menaient un combat perdu d’avance dans un pays où l’on se soucie peu des libertés formelles pourvu que chacun ait le droit de s’enrichir. » (Prologue, 1)

« …] ça ne les empêchera pas de voter pour le parti au pouvoir parce qu’en Russie on vote, quand on a le droit de voter, pour le parti au pouvoir : c’est comme ça. » (VII, 6)

« Il est loin de chez lui, c’est la règle plutôt que l’exception en Union soviétique : déportations, exils, transferts massifs de populations, on ne cesse de déplacer les gens, les chances sont presque nulles de vivre et de mourir là où on est né. » (I, 1)

« Zapoï, c’est rester plusieurs jours sans dessoûler, errer d’un lieu à l’autre, monter dans des trains sans savoir où ils vont, confier ses secrets les plus intimes à des rencontres de hasard, oublier tout ce qu’on a dit et fait : une sorte de voyage. […]
…] ils ont dépassé les pentes ascendante et descendante typiques de la première journée d’ivresse, atteint cette plénitude sombre et têtue qui permet au zapoï de prendre son rythme de croisière. » (I, 4)


Aussi d’intéressantes réflexions sur le totalitarisme :

« Le privilège que saint Thomas d'Aquin déniait à Dieu, faire que n'ait pas eu lieu ce qui a eu lieu, le pouvoir soviétique se l'est arrogé, et ce n'est pas à Georges Orwell mais à un compagnon de Lénine, Piatakov, qu'on doit cette phrase extraordinaire : "Un vrai bolchevik, si le Parti l'exige, est prêt à croire que le noir est blanc et le blanc noir."
Le totalitarisme, que sur ce point décisif l'Union soviétique a poussé beaucoup plus loin que l'Allemagne national-socialiste, consiste, là où les gens voient noir, à leur dire que c'est blanc et à les obliger, non seulement à le répéter mais, à la longue, à le croire bel et bien. C'est de cet aspect-là que l'expérience soviétique tire cette qualité fantastique, à la fois monstrueuse et monstrueusement comique, que met en lumière toute la littérature souterraine, du Nous autres de Zamiatine aux Hauteurs béantes de Zinoviev en passant par Tchevengour de Platonov. C'est cet aspect-là qui fascine tous les écrivains capables, comme Philip K. Dick, comme Martin Amis ou comme moi, d'absorber des bibliothèques entières sur ce qui est arrivé à l'humanité en Russie au siècle dernier, et que résume ainsi un de mes préférés parmi les historiens, Martin Malia : "Le socialisme intégral n'est pas une attaque contre des abus spécifiques du capitalisme mais contre la réalité. C'est une tentative pour abroger le monde réel, tentative condamnée à long terme mais qui sur une certaine période réussit à créer un monde surréel défini par ce paradoxe : l'inefficacité, la pénurie et la violence y sont présentées comme le souverain bien."
L'abrogation du réel passe par celle de la mémoire. La collectivisation des terres et les millions de koulaks tués ou déportés, la famine organisée par Staline en Ukraine, les purges des années trente et les millions encore de tués ou de déportés de façon purement arbitraire : tout cela ne s'était jamais passé." » (IV, 4)


Pour faire bonne mesure, regard porté sur les fascistes :

« Douguine, sans complexe, se déclare fasciste, mais c’est un fasciste comme Édouard n’en a jamais rencontré. Ce qu’il connaissait sous cette enseigne, c’était soit des dandys parisiens qui, ayant un peu lu Drieu La Rochelle, trouvaient qu’être fasciste c’est chic et décadent, soit des brutes comme leur hôte du banquet, le général Prokhanov, dont il faut vraiment se forcer pour suivre la conversation, faite de paranoïa et de blagues antisémites. Il ignorait qu’entre petits cons poseurs et gros cons porcins il existe une troisième obédience, une variété de fascistes dont j’ai dans ma jeunesse connu quelques exemplaires : les fascistes intellectuels, garçons en général fiévreux, blafards, mal dans leur peau, réellement cultivés, fréquentant avec leurs gros cartables de petites librairies ésotéristes et développant des théories fumeuses sur les Templiers, l’Eurasie ou les Rose-Croix. Souvent, ils finissent par se convertir à l’islam. » (VII, 3)


Mais revenons à notre séduisant héros, avant que finalement l’auteur fasse un parallèle entre son destin avec celui de Poutine (mais qui, lui, a réussi) ‒ ce qui n’aide pas à le rendre fort sympathique :

« Est-ce qu’il ne vaut pas mieux mourir vivant que vivre mort ? » (I, 6)

« Édouard lui avoue un jour qu’il n’est pas certain d’en être capable [tuer un homme]. "Mais si, dit Porphyre, rassurant. Une fois au pied du mur, tu le feras comme tout le monde, ne t’inquiète pas." » (III, 2)

« Tuer un homme au corps-à-corps, dans sa philosophie, je pense que c’est comme se faire enculer : un truc à essayer au moins une fois. » (VII, 7)

« Écrire n’avait jamais été pour lui un but en soi mais le seul moyen à sa portée d’atteindre son vrai but, devenir riche et célèbre, surtout célèbre [… » (IV, 3)


D’une manière générale, je trouve que cette tendance contemporaine à se pencher sur la biographie de personnalités dérangeantes (et je pense à Javier Cercas et Juan Gabriel Vásquez, actuellement débattus sur le forum), cette mise en lumière discutable et déplaisante au premier abord, est en fait justifiée et même utile, dans la mesure où elle amorce la compréhension de l’autre, évite les jugements hâtifs, les discriminations et l’ostracisme. Il est judicieux d’étudier ce qui est masqué sous l’étiquette "infréquentable", de s’interroger sur ce qui est politiquement incorrect, de sortir de sa zone de confort pour avoir un regard plus ouvert.
Voici un (long) extrait sur ce questionnement et cette remise en question, ainsi que sur les tentatives de simplification par "camps" et autres qualificatifs ‒ où d’ailleurs l’auteur ne se présente pas à son avantage :

« Rétrospectivement, je me demande pourquoi je me suis privé d'un truc aussi romanesque et valorisant [la visite "organisée" de Sarajevo assiégée]. Un peu par trouille : j'y serais sans doute allé si je n'avais appris, au moment où on me le proposait, que Jean Hatzfeld venait d'être amputé d'une jambe après avoir reçu là-bas une rafale de kalachnikov. Mais je ne veux pas m'accabler : c'était aussi par circonspection. Je me méfiais, je me méfie toujours des unions sacrées ‒ même réduites au petit cercle qui m'entoure. Autant je me crois sincèrement incapable de violence gratuite, autant je m'imagine volontiers, peut-être trop, les raisons ou concours de circonstances qui auraient pu en d'autres temps me pousser vers la collaboration, le stalinisme ou la révolution culturelle. J'ai peut-être trop tendance aussi à me demander si, parmi les valeurs qui vont de soi dans mon milieu, celles que les gens de mon époque, de mon pays, de ma classe sociale, croient indépassables, éternelles et universelles, il ne s'en trouverait pas qui paraîtront un jour grotesques, scandaleuses ou tout simplement erronées. Quand des gens peu recommandables comme Limonov ou ses pareils disent que l'idéologie des droits de l'homme et de la démocratie, c'est exactement aujourd'hui l'équivalent du colonialisme catholique ‒ les mêmes bonnes intentions, la même bonne foi, la même certitude absolue d'apporter aux sauvages le vrai, le beau, le bien ‒, cet argument relativiste ne m'enchante pas, mais je n'ai rien de bien solide à lui opposer. Et comme je suis facilement, sur les questions politiques, de l'avis du dernier qui a parlé, je prêtais une oreille attentive aux esprits subtils expliquant qu'Izetbegović, présenté comme un apôtre de la tolérance, était en réalité un Musulman fondamentaliste, entouré de moudjahidines, résolu à instaurer à Sarajevo une république islamique et fortement intéressé, contrairement à Milošević, à ce que le siège et la guerre durent le plus longtemps possible. Que les Serbes, dans leur histoire, avaient assez subi le joug ottoman pour qu'on comprenne qu'ils n'aient pas envie d'y repiquer. Enfin, que sur toutes les photos publiées par la presse et montrant des victimes des Serbes, une sur deux si on regardait bien était une victime serbe. Je hochais la tête : oui, c'était plus compliqué que ça.
Là-dessus j’écoutais Bernard-Henri Lévy s’élever précisément contre cette formule et dire qu’elle justifiait toutes les lâchetés diplomatiques, toutes les démissions, tous les atermoiements. Répondre par ces mots : "C’est plus compliqué que ça", à ceux qui dénoncent le nettoyage ethnique de Milošević et sa clique, c’est exactement comme dire que oui, sans doute, les nazis ont exterminé les Juifs d’Europe, mais si on y regarde de plus près c’est plus compliqué que ça. Non, tempêtait BHL, ce n’est pas plus compliqué que ça, c’est au contraire tragiquement simple – et je hochais la tête aussi. » (VI, 3)


« Seulement, j’ai du mal à choisir entre deux versions de ce romantisme : le terrorisme et le réseau de résistance, Carlos et Jean Moulin ‒ il est vrai que tant que les jeux ne sont pas faits, la version officielle de l’histoire arrêtée, ça se ressemble. » (Prologue, 3)


Sur les motivations et l’éthique de reporters :

« Ni l’un ni l’autre [« les deux Jean : Rolin et Hatzfeld »], je pense, n’aimerait tenir dans ces pages le rôle de héros positif. Tant pis. J’admire leur courage, leur talent, et surtout que, comme leur modèle George Orwell, ils préfèrent la vérité à ce qu’ils aimeraient qu’elle soit. Pas plus que Limonov ils ne feignent d’ignorer que la guerre est quelque chose d’excitant et qu’on n’y va pas, quand on a le choix, par vertu mais par goût. Ils aiment l’adrénaline et le ramassis de cinglés qu’on rencontre sur toutes les lignes de front. Les souffrances des victimes les touchent quel que soit leur camp, et même les raisons qui animent les bourreaux, ils peuvent jusqu’à un certain point les comprendre. Curieux de la complexité du monde, s’ils observent un fait qui plaide contre leur opinion, au lieu de le cacher ils le monteront en épingle. Ainsi Jean Hatzfeld, qui croyait par réflexe manichéen avoir été pris en embuscade par des snipers serbes décidés à se payer un journaliste, est revenu après un an d’hôpital enquêter à Sarajevo, et la conclusion de cette enquête, c’est que les tirs qui lui ont coûté sa jambe provenaient, manque de pot, de miliciens bosniaques. Cette honnêteté m’impressionne d’autant plus qu’elle ne débouche pas sur le "tout-se-vaut" qui est la tentation des esprits subtils. Car un moment arrive où il faut choisir son camp, et en tout cas la place d’où on observera les événements. Lors du siège de Sarajevo, passé les premiers temps où, d’un coup d’accélérateur et au prix de grosses frayeurs, on pouvait tirer des bords d’un front à l’autre, le choix était de le suivre de la ville assiégée ou des positions assiégeantes. Même pour des hommes aussi réticents que les deux Jean à rallier le troupeau des belles âmes, ce choix s’imposait naturellement : quand il y a un plus faible et un plus fort, on met peut-être son point d’honneur à noter que le plus faible n’est pas tout blanc et le plus fort pas tout noir, mais on se place du côté du plus faible. On va là où tombent les obus, pas là d’où on les tire. Quand la situation se retourne, il y a certes un instant où on se surprend à éprouver, comme Jean Rolin, "une indéniable satisfaction à l’idée que pour une fois les Serbes étaient ceux qui prenaient tout cela sur la gueule." Mais cet instant ne dure pas, la roue tourne et, si on est ce genre d’homme, on se retrouve à dénoncer la partialité du Tribunal international de La Haye qui poursuit sans mollir les criminels de guerre serbes alors qu’il abandonne leurs homologues croates ou bosniaques à la prévisible mansuétude de leurs propres tribunaux. Ou encore on fait des reportages sur la condition horrible qui est aujourd’hui celle des Serbes vaincus dans leurs enclaves du Kosovo. C’est une règle sinistre mais rarement démentie que les rôles s’échangent entre bourreaux et victimes. Il faut s’adapter vite, et n’être pas facilement dégoûté, pour se tenir toujours du côté des secondes. » (VI, 3)


En conclusion :

« "L’homme qui se juge supérieur, inférieur ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité" ‒ est le sommet de la sagesse et qu’une vie ne suffit pas à s’en imprégner, à la digérer, à se l’incorporer, en sorte qu’elle cesse d’être une idée pour informer le regard et l’action en toutes circonstances. Faire de livre, pour moi, est une façon bizarre d’y travailler. » (Sutra bouddhique, IV, 2)



mots-clés : #actualité #biographie #contemporain #guerre #politique #regimeautoritaire #revolution
par Tristram
le Dim 25 Fév - 13:06
 
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Jaume Cabré

L’Ombre de l’eunuque

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 L_ombr10

Histoire de la Can Gensana (la maison ‒ ou famille ‒ Gensana), le temps d’un repas dans ladite résidence, devenue restaurant à la mode de mauvais goût. Miquel II, ultime rejeton, se raconte ; devenu le camarade Simó, estudiantin révolutionnaire assez benêt, n’ayant pas empêché Franco de mourir dans son lit (urgence qui le détourna d’étudier), c’est une savoureuse autodérision ou satire d’une jeunesse idéalo-gonadiquement perdue :

« ‒ Je ne crois pas qu'un révolutionnaire puisse se marier.
‒ Comme les curés ?
‒ Bougre.
‒ Non, il a raison, il ne peut pas se marier. Mais il peut baiser.
‒ Comme les curés.
Mais nous ne baisions pas ; comme les curés. »


Miquel vécut cette expérience traumatisante avec son ami Bolós (alias Franklin), au cours de laquelle ils furent désignés pour achever sordidement un traître d’une « critique à la nuque »... Leur ami commun, Rovira, devint jésuite, choix également cause d’échec et de lamentables amours malheureuses. Curieusement, ces vies semblent peu affectées par la guerre, la dictature contemporaines.
Miquel, c’est aussi le prénom de Rossell, ouvrier de la manufacture familiale, anarchiste parti combattre le fascisme dans le maquis jusqu’à être abattu (trahi par son employeur), et amant de Maurici. C’est que, en parallèle de la piètre épopée catho-communiste de Miquel (II), l’oncle Maurici, « chroniqueur Officiel » de la famille Gensana, livre à celui-ci ses confidences d’enfant adopté, « Sans Terre » subitement devenu héritier pour un motif qui sera dévoilé plus tard, oisif esthète décadent, pianiste et papiroflexologue (il fabrique d’étonnantes cocottes en papier), et homosexuel secret. Car tout semble clandestin, secret chez les Gensana, et l’arbre généalogique aura trois versions.

« Un des signes qu'on s'installe dans l'âge mûr, c’est lorsqu’on accepte que, dans la vie, il n’y ait pas de replay. Que la vie est un jeu où l’on ne jette les dés qu’une seule fois. »

(un leitmotiv de l’œuvre)

Cabré joue de curieuses variations de distance focale dans la perception du narrateur (Miquel) par lui-même, une étrange distanciation qui lui fait dire "je", puis "il" en parlant de soi-même, dans un dédoublement déroutant.
Concerto orchestré avec maestria, des reprises de faits du passé approfondissent en passes successives les péripéties de ces vies aux compartiments étanches, en éclairant différemment les facettes, ou en modifiant leur sens. Ainsi, reprise da capo dans le troisième mouvement qui débute la seconde partie, soit la lettre testamentaire de Mauricio à Miquel (devenu critique musical). Puis suit le duetto de l’entrelacement de l’abandon de la maison vendue et de la séance avec une surprenante prostituée. Beaucoup de virtuosité narrative, traduisant le vertige du passé qu’on reprend et module :  

« Et ils reprenaient tous les trois le dialogue qu'un jour Brahms a fixé et qui au terme de cent longues années est répété, identique mais chaque fois différent, parce que différente est la vie de qui le dit et de qui l’écoute. »


Sur le sens du titre :

« Lorsqu’il regarde derrière soi, le critique voit l’ombre d’un eunuque.
‒ Eh ?
‒ Qui donc voudrait être critique s’il pouvait être écrivain ? »


Référence à l’aoriste, ici métaphore d’un temps hors de la durée, qui demanderait l’approfondissement des notions d’aspect et de procès en linguistique pour être explicitée :

« Ma vie est un immense aoriste. »


D’une façon générale, cette approche orchestrale de l’écriture s’apparente à celle d’auteurs comme Kundera, Kertész, Saer, Ponge, Baricco, Enard et d’autres.

La trame du roman suit le concerto pour violon et orchestre A la mémoire d’un ange d’Alban Berg, audible ici.


mots-clés : #contemporain #historique
par Tristram
le Mer 21 Fév - 20:20
 
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Sujet: Jaume Cabré
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Daniel Mendelsohn

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Cvt_un10

Une odyssée – un père, un fils, une épopée  

Daniel Mendelsohn, professeur de littérature classique, héritier de générations de spécialistes de la littérature classique,  entame un séminaire de première année au Bard Collège, pour  un groupe de  tout jeunes étudiants, naïfs et enthousiastes, sur le thème de l’Odyssée d’Homère. Une transmission intellectuelle qui reproduit celle que lui ont prodiguée ses maîtres, comme un cadeau à la génération suivante. Son père, un vieil homme dur, exigent, scientifique passionné de littérature, mort depuis – et dont la mort fait l’objet du bouleversant dernier chapitre - s’impose comme auditeur libre. Tout au fil des semaines, il va « ronchonner, pinailler et contester tout ce que je m’évertuais à leur enseigner », et le fils, quoique brillant professeur thèsé va souvent  se retrouver « comme si j’avais 11 ans ». Quelques semaines après, ils vont partager une croisière thématique en Méditerranée « Sur les traces d’Ulysse », expérience qui vient couronner cette étude théorique.

l’un de mes tableaux préférés, La chute d’Icare de Bruegel, se trouvait dans ce musée.
Effectivement. Une œuvre très célèbre que vous, qui êtes classiciste, devez particulièrement apprécier.
Absolument, confirmai-je en souriant. Elle nous parle de l’hubris, de ce qu’il y a d’insensé à défier les dieux.
Il me regarda, amusé. Ou plutôt de ce qu’il y a d’insensé à défier les pères!



On a dit que c’était un livre sur son père. Mais en fait, ça s’appelle Une odyssée, en référence à l’Odyssée d’Homère. Son père ? L’Odyssée ? Qu’importe ? N’est ce pas la même chose ? Car l’Odyssée, ne l’a t’on pas dit et répété, est un livre total, un de ces livres uniques et universels qui englobent tout, après lesquels il n’est plus besoin (possible ?) d’écrire quoi que ce soit, car tout est dit. Et cela, n’est ce pas la définition d’un être humain, unique, universel, in-reproductible ? L’analyse littéraire alterne avec le récit familial, l’un éclairant subtilement l’autre et ainsi, au fil des semaines, dans une traversée à haut risque qui le ramène au pays natal, l’Odyssée va lui donner en même temps  les clés de son père et les outils pour sa propre remise en question.

Cheminant habilement, dans un acharnement érudit, entre fiction et réalité, Mendelsohn décortique, crée des liens, des correspondances, des résonances, part en digressions, réminiscences. L’Odyssée c’est la vie tout entière, à commencer par la transmission, la filiation, la fidélité, la ruse, la recherche du port d’attache et les difficultés de la vie. C’est un récit qui  permet de tout comprendre, de « révéler les tendons d’Achille », un récit où le présent fait découvrir le passé (Mendelsohn appelle ça une composition circulaire) dans un miroir intellectuellement brillant et d’une incroyable émotion. On n’a plus aucun doute sur le fait que Daniel Mendelsohn a raison d’avoir consacré sa vie et son intelligence à décortiquer les textes antiques, puisqu’ils gardent cette actualité si prégnante, qu’on peut considérer ces fictions du passé comme une répétition générale de nos vies d’aujourd’hui.

Quelle audace bienvenue que d’offrir en partage ce décorticage chronologique et scrupuleux du texte ! Et quelle jubilation intellectuelle à suivre cette analyse progressive, intelligente, humaine, cette explication de texte en direct, vivante et accessible, tout à la fois rationnelle et subjective. Daniel Mendelsohn y mêle une sensibilité, au fil de la progression de sa quête, dans des détails touchants, ces relations implicites entre trois générations, des choses intimes qui se passent entre ce père et ce fils qui ne sont jamais parlé intimement et ébauchent un dialogue et une compréhension à travers la littérature.

Hommage magnifique à un texte unique et à un père unique, comme tous les pères, Une odyssée est un récit de transmission, palpitant et tendre, qui montre la littérature à l’œuvre, indispensable, généreuse et porteuse de sens. Et si le père, Jay Mendelsohn n’en démord pas, plein d’aplomb et d’humour sous-jacent, de préférer le poème au réel, pour ma part, je dois dire que j’ai bien du mal à exprimer une préférence entre cette fiction et cette réalité, qui, étroitement entremêlées, s’unissent à lever le voile du mystère d’un homme.

mots-clés : #antiquite #autobiographie #contemporain #creationartistique #famille #relationenfantparent
par topocl
le Sam 4 Nov - 10:46
 
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Sujet: Daniel Mendelsohn
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Anne Godard

Une chance folle

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Images31

C'est l’histoire d'une petite fille qui devient grande, dans une solitude qui est celle de tous les enfants puis des adolescentes, mais exacerbée par cette brûlure qui envahit les heures et les pensées. Un horrible stigmate qui l'astreint à des traitements aussi pénibles et répétés qu'inefficaces, la condamne  au rôle du monstre regardé de travers voire moqué, ou pire encore, plaint. Elle vit  cette marque infamante dans la culpabilité  de l’horreur et de la peine qu'elle impose aux autres comme à elle-même.

Et chaque fois ce qui recommence, c'est le récit de ce dont je ne me souviens pas, tandis que ce qui compte vraiment, c'est ce que je ne raconte pas, ce qui se répète de rencontre en rencontre, leurs yeux sur moi et la question. C'est quoi, là ? Leurs yeux sur elle et la question. Qu'est-ce qui vous est arrivé ? Même lorsque la question n'est pas posée, lorsque leurs yeux ne se sont pas arrêtés, à chaque rencontre, j'attends, j'anticipe et je prévoir le moment où l'on ose enfin, le moment où l'on se permettra de me montrer que ça y est, cette chose, on l'a remarquée, cette chose sur moi qui est la trace d'une autre chose qui m'est arrivée.


Cet aspect est vraiment très bien traité, l’ostracisme lié à la différence, celui que les autres créent et celui qu'elle se crée elle-même. Magda est aimée-malaimée d'une façon tout à la fois phagocytante et rejetante par une mère à qui  le dévouement permet de se créer un personnage au détriment de sa fille. Tout cela est finement montré, les petites phrases, les petites hypocrisies, les petites maladresses qui n'empêchent pas l'amour, la grande détresse.
Ca part épatamment bien, cette relation perverses entre les  deux.

Peut-être qu'elle s'était tellement habituée de le soigner qu'elle oubliait qu'il était à moi ce corps, ou peut-être qu'elle ne faisait plus la différence entre nous, depuis le temps que nous allions ensemble en cure ou à l'hôpital, elle et moi, comme si nous n'étions qu'une.


Et puis il se greffe diverses péripéties de cette vie familiale, tragiques mais au demeurant assez banales, des épisodes vus et revus ailleurs dans les récits d'adolescence, et auxquels manque une profondeur. Les personnalités des autres personnages sont à peine ébauchées et convenues. Cela donne un résultat assez bancal, livré avec une écriture singulière et urgente, mais qui, on le regrette,  ne suffit pas à convaincre pleinement.



mots-clés : #contemporain #enfance #psychologique #pathologie
par topocl
le Mer 1 Nov - 19:55
 
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Sujet: Anne Godard
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Andreï Guelassimov

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Soif10
La Soif

La Soif est un très beau roman sur un jeune garçon ordinaire, Kostia (Constantin), qui revient de son service militaire en Tchétchénie où cette guerre fait des ravages. Au retour, il passe son temps à boire de la vodka et sombre dans l’alcoolisme jusqu’à l’écroulement, pour oublier ce qu’il a enduré, pour essayer de survivre, reconstruire sa vie au risque de mourir. Parce que Kostia est revenu mutilé et brûlé au visage. Il va devoir vivre avec son nouveau physique défiguré qui effraie les enfants.

Le char russe a été attaqué par des snipers, il a explosé. Les camarades de Kostia l’ont cru mort mais l’un d’entre eux a pu le sortir de justesse. Et puis on passe du présent au passé et vice versa, les deux se fondant, comme dans la tête de Kostia :

« – On approche des ruines ! cria-t-il dans l’émetteur. Vous m’entendez ? Putain, vous roupillez là-bas, ou quoi ? On approche. Couvrez-nous s’il y a un problème. Il reste deux cents mètres… Cent cinquante… Cent… Tout a l’air normal.. Il semble qu’il n’y ait personne ici… Il reste cinquante mètres… On est presque passés… Tout est calme… Quoi ? Non, tout est normal, je vous dis… Tout baigne…
La déflagration fut telle qu’elle me souleva et que  je me retrouvai debout sur mes pieds avant de retomber immédiatement. Le choc fit résonner ma tête comme l’intérieur d’une cloche. Devant mes yeux il y avait une bouteille vide. Et une autre encore à côté. Je les touchai de la main et elles s’entrechoquèrent. C’était agréable d’être couché par terre. Le sol était frais. J’appuyai ma joue sur le lino et fermai les yeux. Surtout ne pas bouger… »


Quand il était adolescent, son directeur d’école, un gros buveur de vodka, qui avait vu ses dessins et repéré son talent, le convoquait souvent pour lui apprendre comment dessiner, mais surtout comment voir, appréhender le regard. Regarder par la fenêtre, savoir observer comment les enfants jouent dehors, comment ils se meuvent, détailler les gestes... Kostia n’a pas oublié son enseignement. Et le dessin sera une grâce qui lui permettra de s’en sortir.

Ses trois amis sont aussi rentrés à Moscou mais l’un d’entre eux s’avère introuvable. Ils partent à sa recherche. Kostia va alors devoir revoir son père qui a fondé une nouvelle famille et se réconcilier, faire la connaissance de ses tout jeunes frère et sœur, des petits enfants : et c’est grâce au dessin qu’il partage avec eux que renaît l’espoir de vivre.

C’est un très beau roman, plutôt en retenue, sensible aussi, avec des retours vers le passé, et sur les ravages de la guerre mais avec une distance savamment dosée, car écrit par un écrivain russe engagé et qui donne de la beauté à ce roman.

mots-clés : #addiction #contemporain #guerre
par Barcarole
le Dim 29 Oct - 18:35
 
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Sujet: Andreï Guelassimov
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Mathias Enard

La perfection du tir

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Images28

Si cela veut montrer que la guerre (civile en l’occurrence) est une saloperie, c'est parfaitement réussi. Mathias Enard suit pas à pas son héros, tout jeune garçon sûr de sa cause, fier de sa puissance meurtrière, de sa maîtrise implacable. Seulement tout cela part à la dérive, le héros se laisse aller à jouer avec la puissance de son arme, dans un grand n'importe quoi malsain de turpitudes meurtrières. Cela ne l’effleure jamais qu'il est en plein délire, il ne fait que continuer sur la voie de la trahison et de l’infamie. Ce qui le déstabilise beaucoup plus, c’est la douceur sensuelle qui le met en émoi quand il embauche Myrna, une jeune fille pure de 15 ans, pour garder au  domicile sa mère entrée dans une autre forme de folie. Même cette fascination virginale a des relents de veulerie.

Cela devrait être implacable et  terrifiant, ça l’est souvent, mais je dois dire que je me suis parfois laissée submerger par la confusion des combats et l’ennui qui en est ressorti. De très beaux passages alternent avec des descriptions totalement distanciées et factuelles. La fin par contre est un chef-d'oeuvre de poésie lyrique qui empoigne le lecteur. L’amour dont la dimension  soi-disant rédemptrice ne peut guère cacher l’appel de la chair et le despotisme du soldat ne prend vraiment toute sa valeur que dans cette dernière scène.

Un livre dérangeant donc, qui ne tient pas toutes ses promesses, et laisse un  certain malaise, sans doute voulu par l’auteur.

La chair souffre pour laisser passer la lame, entre deux côtes, un instant et c'est la victoire sur celui que l'on sent souffler contre soi. Aucun des deux ne pense, aucun des deux n'est présent, en vérité, nous ne sommes que panique et étrange courage brutal, personne n'attaque, tous se défendent, ce que l'on veut, ce que l'on désire jusqu'au plus profond de soi c’est ce repos magique de l'oubli et du sommeil


(Commentaire récupéré)

mots-clés : #contemporain #guerre
par topocl
le Dim 29 Oct - 12:55
 
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Sujet: Mathias Enard
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Chigozie Obioma

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 41fe6m10

Les Pêcheurs

Chigozie Obioma a fait fort avec Les Pêcheurs. Un superbe roman, poétique à certains moments et cruel le plus souvent, où s’entremêlent les imprécations d’un vieux fou, les superstitions, les croyances très ancrées qui mènent à la tragédie. L’histoire se déroule à Akure, au Nigeria - la ville natale de Chigozie Obioma - de la communauté igbo. Le récit se déroule dans les années 1990.

Le père des six enfants, cadre à la Banque centrale du Nigeria, est muté à Lagos, laissant et délaissant son épouse et ses six enfants à Akure. C’est une famille plutôt nantie. Les quatre aînés, Ikenna, Boja, Obembé et Benjamin n’ont pas l’intention de perdre leur temps avec des camarades de classe ou du voisinage qui ne semblent pas les accepter vraiment. Ils n’ont pas non plus l’intention de s’ennuyer dans leur coin. Le père est parti, la mère est occupée. Ils vont aller pêcher dans le fleuve Omi-Ala pas loin d’ici. C'est une très bonne idée d'Ikenna.

Le fleuve et ses rives ont la réputation d’être maudits depuis le temps de la colonisation, et malgré les interdits de s’y rendre, ils vont s'y rendre tous les jours, la pêche étant devenue une vraie passion, même s'ils ne ramènent que des têtards. Malgré le voisinage de commères et autres langues pendantes qui s’empressent de tout dénoncer à leurs parents. Le narrateur, Benjamin, raconte :

« De notre côté, nous nous contentions de recueillir des têtards dans nos boîtes de soda. J’adorais les têtards, leur corps lisse, leur tête surdimensionnée et leur apparence presque informe, telles des baleines miniatures. […] Parfois nous ramassions des coraux ou les coquilles vides d’arthropodes morts depuis longtemps. »


Sur le chemin, ils rencontrent et abordent le vieux fou, Abulu, qu'ils n'avaient jamais vu avant, une sorte de prophète malfaisant et sale, devenu une menace pour la population d’Akure.

« Tandis que nous le regardions, le fou leva les mains et les garda dressées, bizarrement, silencieusement, en un geste sublime qui me frappa de terreur. »


Abulu a la réputation de voir ses prophéties se réaliser à chaque fois. Et en effet, à chaque fois qu’il annonce la mort prochaine à quelqu’un, elle vient à coup sûr. Et Abulu prédit à Ikenna sa mort prochaine, comme une promesse… [je n’en dévoilerai pas trop quand même].

« Le plus troublant chez Abulu, c’était sa capacité à percer le passé des gens autant que leur futur, au point souvent de démanteler l’empire illusoire des âmes, de retirer le suaire du cadavre des secrets enfouis. Avec un résultat toujours sinistre. »


Dans toute l’Afrique, et ailleurs bien sûr, ce type de croyances est toujours très répandu et vivace. Quand le « mal » est lancé, rien ne peut plus l’arrêter. Les victimes prennent les mots au pied de la lettre, y croient dur comme fer, donnant tout pouvoir au prophète fou, et se positionnent aussitôt en victime, et la peur, tenace, est un moteur puissant pour aider à concrétiser ce type de malédiction. Sans cette rencontre maudite au bord du fleuve, la mort ne serait sans doute pas survenue... Ensuite tout s'enchaîne...

Abulu le maudit, Abulu le crasseux prédit à Ikenna qu’il sera tué par un pêcheur, et que ce pêcheur sera l’un de ses frères. Si Ikenna n’a pas tout entendu parce qu’un avion passait à ce moment-là, son frère Obembé, lui, a bien enregistré le message et saura le restituer à Ikenna qui l'exige de suite. La peur, intense, que la prophétie se réalise s'intensifie chaque jour un peu plus, et la méfiance entre les frères s’exacerbe jusqu’à devenir invivable... Ikenna soupçonne Boja. Boja le rassure… Ikenna s’apaise, puis ça revient comme une maladie… car ils ont mordu dans cette dangereuse chimère.

Le pouvoir des mots est d’autant plus puissant que, dans la région d’Akure, le dialecte yorouba est utilisé, l’anglais étant la langue véhiculaire réservée plutôt aux étrangers, sortis de la région. La force des mots dans la langue d'origine est encore plus intense.

« Car la prophétie, telle une bête furieuse, était incontrôlable et détruisant son âme avec toute la férocité de la folie, décrochant les tableaux, cassant les murs, vidant les placards, renversant les tables jusqu’à ce que tout ce qu’il connaissait, tout ce qui était lui, tout ce qu’il était devenu ne soit plus qu’un chaos. Pour mon frère, la peur de mourir comme l’avait prédit Abulu était devenue palpable, une cage dont il était irréversiblement captif, un monde au-delà duquel plus rien n’existait. »


En fond, Chigozie Obioma nous baigne également dans la politique dictatoriale, les partis au pouvoir à l’époque, ceux qui veulent le prendre, puis la guerre civile de 1969 est évoquée, ainsi que les élections prochaines, les troubles dans la rue, etc.

Le rêve du père de voir ses enfants réussir dans des professions au statut social valorisant s’écroule.

La suite du récit est celle d’une vengeance par les deux plus jeunes des quatre frères aînés. La suite logique, donc, de cette malédiction qui a mené toute une famille au malheur, au chaos.

C'est pour moi un livre magnifique, et même une petite merveille ! Un roman anthropologique !
Nous ne sommes pas dans le réalisme magique, mais dans la réalité de la magie, la magie comme une noirceur qui tue, et qui existe encore aujourd'hui.

mots-clés : #contemporain #famille #initiatique
par Barcarole
le Ven 27 Oct - 23:36
 
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Sujet: Chigozie Obioma
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Patrick Modiano

Dans le café de la jeunesse perdue

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Dans_l10


Quatre narrateurs, un étudiant fréquentant Le Condé (quartier de l’Odéon, donc rive gauche) ‒ ambiance d’un café avec ses habitués, d’une époque qui semble révolue ‒, un détective ‒ atmosphère de polar avec activistes, inspecteurs de police et des renseignements, indicateurs, trafiquants ‒, l'héroïne elle-même et Roland son amant, parlent de Louki, une discrète fugueuse errant rêveusement, arpentant Paris.

« Mais on était sur la rive gauche et la plupart d’entre eux vivaient à l’ombre de la littérature et des arts. Moi-même, je faisais des études. »


La ville est la vraie héroïne, avec ses zones neutres et sa matière sombre, la disparition des repères de ceux qui y vécurent.

« Ou plutôt, je sentais sa présence sur ce boulevard dont les lumières brillaient comme des signaux, sans que je puisse très bien les déchiffrer et sans savoir du fond de quelles années ils m’étaient adressés. »


L’œuvre de Modiano est la recréation nostalgique du Paris de l’après-guerre dans un récit surfacique, simple, vague : c’est en effet surtout un climat (caduc). On pense à la Trilogie new-yorkaise, à Simenon, et à bien d’autres… Et on pense aux cafés (quand on pouvait y vivre, cafetiers comme clients), à Paris, au passé…

« Si tout était écrit noir sur blanc, cela voulait dire que c’était fini, comme sur les tombes où sont gravés des noms et des dates. »


Mots-clés : #contemporain #lieu
par Tristram
le Lun 23 Oct - 23:56
 
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Sujet: Patrick Modiano
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Ricardas Gavelis

Merci Eglantine !  I love you

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 61jwkz10

Vilnius Poker

Un autre roman qui se dresse comme une ville-livre, où les rues sombres forment ensemble un labyrinthe. Une question se maintient avec une force obsédante et donne au titre tout son sens ; Qui croire ou que croire ? Vilnius prend corps de la même façon que Petersbourg chez Gogol ou Bucarest dans la trilogie Orbitor de Mircea Cartarescu (Il y aurait beaucoup d’autres exemples à évoquer). Mais alors que Bucarest prenait une forme franchement délirante, franchement fantastique, c’est plus ambigu pour Vilnius.

L’ambiance est si sombre qu’elle paraît presque irréelle, invraisemblable, mais ne peut pas être complètement noire pour cette raison : La réalité survit autant que la perception de personnages patibulaires, déprimés ou alcoolique le permet. Pourtant on sent bien que cette Vilnius fantomatique est un portrait lucide pour ne pas dire désillusionné de l’homo lithuanicus et à plus forte raison de l’homo sovieticus, de toute l’humanité réduite à un silence stupide. Une musique grisante se dégage de ce roman habilement construit, va directement au cœur d’une certaine manière. Même s’il peut en prendre plein la gueule, parce que le récit est quand même dégoûtant. Mais étrangement pas rebutant, à deux ou trois épisodes près. La troisième partie est peut-être un peu décevante par rapport au reste.

Ricardas Gavelis a écrit:Je n'ai jamais aimé les mathématiques et pourtant j'étais topologue, principalement parce que c'était pratique et sécurisant. C'est aussi la raison pour laquelle je revenais sans cesse à cette macabre et bien-aimée Vilnius. J'avais peur qu'en m'installant ailleurs, je découvre soudain que j'aurais pu, que j'aurais dû, devenir quelqu'un d'autre, mais que c'était trop tard. J'avais peur de me retourner et d'apercevoir mes vies possibles, celles que j'ai dilapidées. Alors je revenais toujours ici où je ne pouvais être rien d'autre qu'un mathématicien. Seulement, une peur encore plus terrible s'emparait de moi à chaque retour : je me rendais compte que j'étais en train de gâcher, irrémédiablement, toutes mes autres vives. J'avais si peur de quitter ces murs, ces rues... n'importe où ailleurs, j'aurais immédiatement découvert une quantité de mes avenirs déjà morts et enterrés, une multitude de possibles avortés.


Mots-clés : #contemporain #fantastique #lieu #regimeautoritaire
par Dreep
le Mer 27 Sep - 19:31
 
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Sujet: Ricardas Gavelis
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Patrick Grainville

Le lien

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Le_lie10

Le narrateur a tué au volant la mère de Maha, qui poussa une terrible cri avant qu’il ne s’enfuie. Dans un dessein rédempteur, il pygmalionnise la séduisante orpheline (qui l’a reconnu sans le dire), pour en faire une star "hors système" grâce à son cri/ chant, qui constitue leur lien (tandis qu’elle devient narratrice en alternance avec lui). Idole hiératique, Maha sera notamment confrontée à son double, Yanne, métisse également, mais plus assumée dans la sexualité et l’opportunisme du showbiz, et qui la singe (une bande de mandrills fait d’ailleurs partie de l’équipe).

« Je sens qu’elle recule encore un peu devant sa voix dénudée, ce léger falsetto qui la dévie et l’écarte de soi. Pourtant c’est ça le beau, l’idée sublime, l'idée sublime, cette voix d'alto déportée, sa parenté avec le registre du haute-contre, oui, cette voix qui a fait le deuil de la plénitude, d'un comble paradisiaque, qui s'élève sur un manque et qui le fait chanter, biseautée et sonore, dans le néant cosmique. »


Concession à l’époque, l’érotisme est aussi celui du lycra, du latex et des baskets ; cet érotisme omniprésent m’a ramentu les romans d’Emmanuelle Arsan (comme Le singe vêtu a peur), qui véhiculaient cependant une certaine métaphysique, et une approche différente de la femme. Le discours (trop) rodé de Grainville, dans sa démesure baroque à la limite de l’incohérence et du creux, mêle comme une fin en soi Éros et Thanatos, sacré et psychanalyse, danse et bestialité, image et industrie du spectacle. Et Grainville enfile les images-clichés de son lexique de l’excès, totémique et obsédé, dans une syntaxe facilement minimale, heurtée, mythologies violentes d’un lyrisme qui mêle épithètes et notions hétéroclites, qui en fait délire un peu à vide.

Mots-clés : #contemporain #creationartistique #mondialisation #sexualité
par Tristram
le Mar 26 Sep - 17:19
 
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Sujet: Patrick Grainville
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Philippe Claudel

C'est un plaisir @Tristram

Inhumaines

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Philippe Claudel s'est lâché ! Déjà peu consensuel dans certaines de ses oeuvres, le romancier grand amateur de critique sociale nous dresse un portrait au vitriol de la société au travers de petites nouvelles aux personnages volontairement répétitifs. Des nouvelles caricaturales, folles, absurdes faites pour dénoncer la perte de valeurs, la perte d'identité, la cruauté envers autrui, la montée de l'individualisme, la marchandisation de tout. Et c'est cela qui est fort, la perte de sens pour démontrer une évidence. Un paradoxe démonstratif.

Le style est acerbe, violent, cru parfois, mais toujours talentueux et délicieusement drôle quand on aime l'humour noir. On ressent un cynisme et une certaine colère sur ce bilan burlesque et cruel de la société. Une sorte de procès comme ont pu le faire Brett Easton Ellis mais en moins alambiqué, moins long également.

Quand la désillusion est drôle c'est que l'heure est grave. Merci Monsieur Claudel pour cette sorte de cri désespéré et de fou rire triste.


mots-clés : #contemporain
par Hanta
le Mer 20 Sep - 9:44
 
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Sujet: Philippe Claudel
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Todd Strasser

Tag contemporain sur Des Choses à lire - Page 5 Cvt_la11

La vague


Dans un collège aux États-unis un professeur d’histoire Ben Ross se heurte à l’incompréhension de ses élèves en ce qui concerne l’Allemagne Nazie. Les questions fusent: “Comment est-ce possible? Comment la population civile n’a-t-elle rien vu?” et des affirmations comme: “il faut oublier, cela ne peut plus arriver”. Pour leur faire comprendre, il décide de leur donner une leçon, Il décide de soumettre sa classe à une expérience un peu particulière. Par une sorte de jeu qui stimule son pouvoir sur l’élève et leur obéissance aveugle, il est promu leader tout puissant. Il leur donne de nouvelles règles qu’il suivent. Les cliques s’éffacent pour former une cohésion. Les élèves apprennent à se comporter en groupe.  Les populaires cotoient les impopulaires. L’expérience se poursuit en dehors de la classe et Ben se prend au jeu, curieux de ce l’expérience amènera. Certains élèves sont pour et ne voient pas le danger, d’autres contre, comme Laurie qui est rédactrice en chef du Grapevine, le journal du collège. Certains parents commencent à se méfier et invoque le fait qu’ils n’ont pas mis leur enfant au collège pour qu’il désapprennent à penser par lui-même.

Au début toutefois cette expérience semble plutôt positive, les élèves sont disciplinés, apprennent leurs leçons, mais souvent par coeur, sans se poser de questions ou faire d’analyse. Ben Ross est surpris par ce qu’il a engendré. Le principal le convoque et lui demande de mettre fin à l’expérience. Ben Ross lui assure que tant qu’il dirigera ses élèves, qu'il aura le controle sur eux et rien ne pourra arriver.

Le mouvement prend de plus en plus d’ampleur. Bientôt, intimidation, fanatisme, enrôlement forcé sous peine de représailles, pression, violence, abus, agressions, menaces, jouent en arrière plan. Le mouvement, “La vague” dégénère en dictature. Ben est dépassé et se demande ce que sont devenus ses objectifs de départ, faire comprendre à ses élèves ce qu’était l’Allemagne Nazie et ce que les gens vivaient au quotidien.

C’est un bouquin court, bien écrit, qui mène à bien ses objectifs de départ, lui. La fin toutefois pour se dépêtrer de cette situation intenable est un peu bâclée selon mon gout. Et j’aurais bien voulu qu’il y ait une suite qui raconte les retombées de l’expérience.

mots-clés : #contemporain #regimeautoritaire
par Pia
le Sam 16 Sep - 13:29
 
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Carlos Liscano

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La route d'Ithaque

Original: El camino a Itaca (Espagnol/Uruguay, 1994)
écrit, selon note de l'auteur sur la dernière page à Barcelone – Montévideo – Stockholm 1991-94

CONTENU:
Le narrateur Vladimir a quitté son pays d'origine, l'Uruguay, et a atterri via le Brésil – où il avait rencontre la Suèdoise Ingrid – en Europe, en Suède, pour y réjoindre dans un premier moment la dite Ingrid. „A peine il est là, qu'il est déjà parti.“ Et cela pour l'homme corporel qu'aussi bien intéreur. C'est comme si son départ le met en route pour la vie? Oui, aussi à la fuite d'une paternité en Suède, et il arrivera par Paris à Barcelone où il va rester un bon moment. Alors en tout cela il sera en contact avec les différentes réalités de la vie d'un „métèque“, comme il l'appelle lui-même, en citant ce que c'est qu'un métèque:

Un métèque, du grec ancien μέτοικος, métoikos, « celui qui a changé de résidence », est dans la Grèce antique, un statut intermédiaire entre celui de citoyen et d'étranger, réservé à des ressortissants grecs d'autres cités. Aujourd'hui, le terme a pris une connotation péjorative et désigne un étranger à l'aspect exotique qui n'inspire pas confiance.

STRUCTURE:
Unités plus ou moins longues de 2 – 8 pages, séparées par des espaces.

REMARQUES:
Après un longue séjour dégradant et sous la torture dans les prisons de son pays natal, l'Uruguay, l'auteur a connu en 1985 lui-même l'exile, et a atterri lui aussi en Suède et en Catalogne, mais alors pour d'autres raisons que notre Vladimir, figure fictive de ce roman. Et qui fût baptisé ainsi par ses parents ultra-communistes, secs, sans grand amour, en honneur du grand Oulianov/Lénine). Donc je ne serai pas étonné que dans son vécu, mais certainement dans les réflexions qui sous-tendent ce livre, Liscano y puise et s'en inspire. Ce qui était chez Liscano avant tout une nécessité politique et de sécurité, est chez Vladimir plutôt une fuite et un désir peu mur de rejoindre la femme Ingrid en Suède. Quand celle-ci tombera enceinte il ne peut supporter, peut-être aussi à cause d'une incapacité de prendre responsabilité. Il la pousse vers un avortement mais elle se refuse et il deviendra Papa malgré son refus. Il cherche alors le large, financièrement et de point de vue de logement complètement dépendant d'Ingrid, et se sentant pris en otage à cause de l'enfant.

A la suite il sera env une année et demie comme sur un chemin d'errance jusqu'au retour envisagé : de là probablement l'allusion du titre à Ithaque, lieu d'origine d'Ulysse. Et qu'est-ce qu'il ne va pas vivre pendant ce temps dans un Barcelone se préparant aux Jeux Olympiques, chassant les « perdus » de la société. D'un coté les conditions extérieures et de travail, les dépendances d'un sans papier – de l'autre coté l'intranquillité intérieure, l'état d'âme : il ne peut « rester », se reposer. Partout il s'en va avec lui-même dans les bagages, mais il fuit au même moment ces réalités. C'est la douleur qui reste, la plaisanterie est passagère. Depuis longtemps, l'Uruguay n'est plus SON pays ; y retourner il ne le peut pas. Quelles sont vraiment les alternatives..., et nos premiers jugements sur les réfugiés ne nous permettent pas à voir une forme de coupure définitive, en beaucoup de cas.

Bien sûr ce livre contient des notes et impressions autobiographiques, néanmoins on trouvera un autre perspectif plus „fictif“ que dans le „Fourgon des fous“, récit de ses années en prison et sous la torture. Nous lirons un récit crédible comment une vie de sans papier pourrait se dérouler en Europe: leurs conditions de vie, la précarité, l'exploitation par des „esclavagistes“ modernes... Alors nous saurons ce que signifie être un étranger dans l'Europe. On y trouvera dans cette domaine là des remarques perspicaces auxquelles on n'a pas forcement penser avant.

Des fois un certain sarcasme, un certain pessimisme, exprimé surtout dans la première partie du roman, face à la vie demande une forme d'encaisser, et de ne pas se laisser tirer vers le bas. Partiellement cela est empoissonné..., même si cela pourrait être compréhensible de la part de quelqu'un qui est au plus bas...

En général un livre qui éclaircit des pages sombres, ici chez nous. Et donne des perspectifs de compréhension.


mots-clés : #contemporain #exil #initiatique
par tom léo
le Dim 10 Sep - 9:11
 
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Sujet: Carlos Liscano
Réponses: 45
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