Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Sam 27 Avr - 22:33

20 résultats trouvés pour romananticipation

Jean Baret

Bonheur™

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Bonheu10

Toshiba et Walmart (nommés d’après leurs sponsors) sont « chasseurs d’idées » dans la police au XXIIIe siècle. La consommation est obligatoire, et la publicité omniprésente, comme les IA, algorithmes et hologrammes.
« Toshiba entre dans sa Pontiac et roule vers la Zone Urbaine 1, traversant une forêt d’hologrammes publicitaires d’une densité qui l’étouffe. Il n’a jamais réalisé à quel point il est entouré d’hologrammes. Il y en a des grands, des petits, des bruyants, des silencieux, des colorés, des noir et blanc, des grotesques, des sérieux, des interactifs, des agressifs, il y en a au niveau du sol, sur les murs des tours, dans le ciel, en haut, en bas, sur les côtés, des mobiles qui suivent son véhicule, des fixes qu’il traverse comme des fantômes, des effrayants, des émouvants, des intriguants, et tous tentent d’attirer son attention, de capter son temps de cerveau disponible. »

« Les panneaux surplombant les façades des magasins ouverts jour et nuit clignotent agressivement pour attirer le chaland. Il y a des panneaux rédigés dans sa langue, mais aussi en mandarin, en arabe, en russe, en latin, en grec, en uzbek, en runes nordiques, en farsi, en hébreu, en sumérien, en puxian, et il se dit que la tour de Babel s’est effondrée et qu’ils vivent dans ses ruines. »

« – Ben, le fait que travailler est nécessaire pour qu’on ait un pouvoir d’achat suffisant, mais que travailler ne nous laisse pas assez de temps pour consommer !
– Ah… Ouais en effet… Tout est une question d’équilibre. Consommer, c’est aussi donner du travail aux autres. Te faire plaisir en t’achetant tout ce que tu veux, c’est la garantie d’un taux de chômage faible. »

« Tous s’accordent à dire que la pauvreté n’est pas une fatalité, ni un bug du système, mais, au contraire, fait partie dudit système, et que l’ingéniosité sans limite de l’économie permet d’envisager une infinité de moyens de monétiser cette couche de la population. »

La société est fort diversifiée (et à la limite monstrueuse).
« Il y en a des grands, des petits, des jeunes, des vieux, des transhumains, des furry [humains transformés en animaux], des punks, des goths, des grunges, des zazous, des dandys, des homosexuels, des bisexuels, des transexuels, des cyborgs, des hommes d’affaires, des directeurs d’entreprise, des employés, des putes, des gigolos [… »

Il y aussi les surhumains, les bioroïdes [« clones de génies des siècles passés ou de ceux qui sont modifiés génétiquement dès la naissance »], les mutants, les Moreau [« formes de vie animales ayant été élevées à un niveau de conscience humaine par des modifications génétiques et des prothèses cybernétiques », en référence au roman de H. G. Wells], etc. L’emploi fréquent de listes accumulatives rend habilement compte de la pluralité des modes d’identités, mais aussi de la saturation émotive due à la pub et aux informations incessantes qui captent tout le temps de cerveau disponible. Cette société est encore noyée dans la routine (rendue par les répétitions dans l’emploi du temps quotidien des personnages) du travail productif et des loisirs (surtout des achats aussi pulsionnels qu’obligatoires), se conformant sans cesse aux injonctions au bonheur individuel, qui est considéré comme un droit.
Toshiba a un robot pour épouse (ou plutôt esclave, surtout sexuel).
« Il finit le questionnaire en se couchant. Il prend ses antidépresseurs, mais se sent déjà soulagé à l’idée que, dès demain, Silvia [son nouvel algorithme de gestion de vie] prendra le relais et répondra à tous les messages en souffrance [sur FaceHub]. Hal-Bert [son assistant personnel] est chargé de surveiller les messages entrants pour le prévenir directement en cas d’urgence extrême.
Il fait brutalement l’amour à sa femme, achète quelques produits, et se dit que Silvia pourrait aussi être programmée pour faire des achats à sa place, ce qui lui éviterait cette corvée. Il a envie de pleurer sans savoir pourquoi. Ses amis — ou peut-être les assistants personnels de ses amis — ne sauront jamais que ce n’est pas lui qui répond. Sa vie sociale va s’enrichir, elle va même, pour ainsi dire, se poursuivre sans lui, il pourrait bien ne plus jamais revoir personne sans que cela n’ait de conséquences pour les gens qui l’aiment. Alors, pourquoi pleurer ?
Son épouse tente de le réconforter, mais il préfère la gifler pour se soulager. Il la frappe sans retenue. Elle crie, mais ce soir il n’est pas d’humeur, alors il s’interrompt, la reprogramme rapidement pour qu’elle se taise, et reprend son tabassage en règle jusqu’à l’épuisement. Il s’endort dans ses bras, tandis que le visage en plastique de son épouse reprend lentement sa forme d’origine. »

Tout est monétisé : par exemple, Toshiba parie sur les résultats des conflits armés ; mais le spree killing (tuerie à la chaîne) est difficile à rentabiliser :
« Tandis que Minute Girl [présentatrice du talk show permanent dans les ascenseurs, où s’expriment des experts aux avis contradictoires] recueille les propos tout aussi décousus d’un copain de lycée du tueur, un spécialiste reconnaît que ces tueries adolescentes posent un vrai problème social, dans la mesure où personne n’a réussi à trouver comment monétiser ce mouvement. Il se félicite de ce que, heureusement, les paris, qui sont depuis longtemps libéralisés, permettent au moins aux citoyens de faire circuler quelques crédits en misant sur le nombre de victimes de la prochaine tuerie, le lieu où elle se déroulera, le profil du tueur, etc… Mais ça n’est pas suffisant. »

La violence est prégnante dans ce que l’"information" en continu présente, mais aussi dans la vie courante.
« Avec son bol d’insectes Weetabix, il [Toshiba] avale des antidépresseurs, des nooleptiques, des thymoleptiques, des régulateurs de l’humeur, des sédatifs, des antiépileptiques, des psychoanaleptiques, des nooanaleptiques, des thymoanaleptiques, de la dopamine, de la sérotonine, de l’endorphine, de l’ocytocine, de l’œstrogène et de la progestérone. »

Toshiba décède discrètement d’une surdose médicamenteuse, et est remplacé par un autre Toshiba.
Walmart est un surhumain bodybuilder qui s’administre quantité de pilules et d’injections pour doper son organisme (et aussi beaucoup d’alcool). Son enquête sur un Netrunner aboutit à un hub révolutionnaire où circulent des réflexions du philosophe Dany-Robert Dufour (ou plutôt sa pensée synthétisée par un émulateur), qui dénonce la nouvelle religion du Marché néolibéral.
« Les Netrunners vivent dans une surcouche sociétale dénommée Noosphère. Cette dernière est un agglomérat gigantesque d’open worlds persistants thématiques dans lesquels les Netrunners se retrouvent. […]
Ils se prétendent l’avenir de la société et considèrent les flatscans [terme péjoratif qui désigne chez les Netrunners tous ceux qui n’en sont pas] comme des reliques archaïques de l’ancien monde, celui des néotènes [ceux « à qui il manque quelque chose à la naissance »], celui où le corps, même sublimé par la technologie, est toujours une insupportable limitation à la toute-puissance de la volonté humaine. »

« Aujourd’hui, nous ne pensons plus, nous dépensons. Or, l’accroissement infini des services et des biens permis par les sciences a fini par rencontrer la finitude du monde, ce qui pose la question de la fin du monde. »

Dany-Robert Dufour vante dans une postface la « transposition visuelle » de ses thèses par Jean Baret (qui se revendique du « courant de l’anticipation sociale dont les deux maîtres étaient les Américains Brett Easton Ellis et Chuck Palahniuk, auteurs de dystopies contemporaines ou futures marquantes »). Il explicite aussi la notion de pléonexie, « (du grec pleon « plus » et de echein « avoir »), qui signifie le fait d’avoir plus, de vouloir-avoir-toujours-plus, et qui est victime dans notre civilisation d’húbris, c’est-à-dire de démesure.
« Puisque Bonheur™ nous fait passer à l’autre bout de l’histoire occidentale, à la flèche du temps, comme dit Jean Baret, où l’on s’est affranchis de cette prohibition, on y sent une lourde menace peser partout. Celle du châtiment, à la fois imminent et constamment différé, qui attend ces êtres post-beckettiens, libres et abandonnés de Dieu, en somme laissés à eux-mêmes et sans limite — nous —, essayant sans cesse, grâce aux technologies d’« augmentation » promises par les prothèses numériques, génétiques et chimiques, de sortir de leur condition d’homme, de femme, de mortel, d’assigné à résidence dans le temps et l’espace… »

J’ai aussi pensé à Aldous Huxley, George Orwell, Ray Bradbury, Margaret Atwood et Philip K. Dick à la lecture de ce roman d'anticipation dystopique, à l’inventivité singulière et à l’écriture congrue, qui pousse à son extrême le libéralisme de notre modèle socio-économique actuel.

\Mots-clés : #identite #romananticipation #satirique #social
par Tristram
le Mar 12 Sep - 11:19
 
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Sujet: Jean Baret
Réponses: 3
Vues: 163

Ray Bradbury

Fahrenheit 451

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Farenh10

Le pompier Guy Montag revient du feu : il vient de brûler des livres. Dans ce monde futur surpeuplé, où les personnes ne sont guère plus que des kleenex, sa femme Mildred (Millie) vient de se suicider par abus de somnifères ; le lavage d’estomac standard la rétablit dans l’heure. C’est un univers totalement nouveau : votre porte reconnait votre main, on écoute de la musique grâce à des radio-dés enfoncés dans les oreilles, il y a des menaces de guerre, on circule en « coccinelles », on est abruti par la publicité. Les pompiers fument la pipe, et s’emploient à incendier les livres – et parfois leurs propriétaires avec eux.
« Vous connaissez la loi, énonça Beatty. Qu'avez-vous fait de votre bon sens ? Il n'y a pas deux de ces livres qui soient d'accord entre eux. Vous êtes restée des années enfermée ici en compagnie d'une fichue tour de Babel. Secouez-vous donc ! Les gens qui sont dans ces bouquins n'ont jamais existé. »

Montag sympathise avec Clarisse, une voisine de dix-sept ans, dite insociable ; elle est curieuse de tout, et craint la violence omniprésente dans cette société. Avant de disparaître mystérieusement, elle lui dit :
« Vous riez quand je n'ai rien dit de drôle et vous répondez tout de suite. Vous ne prenez jamais le temps de réfléchir à la question que je vous ai posée. »

Lui redoute le Limier, robot chien de garde de la caserne qu’on peut programmer sur une proie particulière grâce à son odeur.
Le capitaine Beatty lui raconte comment la société a évolué, et comment les pompiers, devenus inutiles puisque les maisons étaient toutes ignifugées, se sont reconvertis en gardiens du bonheur sans réflexion.
« Autrefois les livres n'intéressaient que quelques personnes ici et là, un peu partout. Ils pouvaient se permettre d'être différents. Le monde était vaste. Mais le voilà qui se remplit d'yeux, de coudes, de bouches. Et la population de doubler, tripler, quadrupler. Le cinéma et la radio, les magazines, les livres se sont nivelés par le bas, normalisés en une vaste soupe. »

« On doit tous être pareils. Nous ne naissons pas libres et égaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend égaux. »

« Les Noirs n'aiment pas Little Black Sambo. Brûlons-le. La Case de l'Oncle Tom met les Blancs mal à l'aise. Brûlons-le. Quelqu'un a écrit un livre sur le tabac et le cancer des poumons ? Les fumeurs pleurnichent ? Brûlons le livre. La sérénité, Montag. La paix, Montag. À la porte, les querelles. Ou mieux encore, dans l'incinérateur. »

(Sambo le petit noir est un livre écrit en 1899 par Helen Bannerman, autrice écossaise de littérature jeunesse ; à cause de ses clichés d’un racisme paternaliste, des éducateurs noirs et leaders des droits civiques états-uniens ont demandé dans les années trente le retrait des bibliothèques publiques de ce best-seller.)
Mais Montag n’est pas heureux ; il a récupéré secrètement quelques livres, car dans un élan incertain il veut comprendre. Sa femme le dénonce, et Beatty (personnage ambigu qui curieusement accumule les citations littéraires) le force à incendier sa maison ; il brûle ensuite Beatty et le Limier, et s’enfuit chez son seul interlocuteur, Faber, un enseignant à la retraite, passionné de littérature. Puis il quitte la ville, et la nature remplit le vide qu’il ressentait.
« Un daim. Il sentit le lourd parfum musqué auquel se mêlaient une pointe de sang et les effluves poisseux du souffle de l'animal, odeur de cardamome, de mousse et d'herbe de Saint-Jacques dans cette nuit immense où les arbres se précipitaient sur lui, reculaient, se précipitaient, reculaient, au rythme du battement de son cœur derrière ses yeux.
Des milliards de feuilles devaient joncher le sol ; il se mit à patauger dans cette rivière sèche qui sentait le clou de girofle et la poussière chaude. Et les autres odeurs ! De partout s'élevait un arôme de pomme de terre coupée, cru, froid, tout blanc d'avoir passé la plus grande partie de la nuit sous la lune. Il y avait une odeur de cornichons sortis de leur bocal, de persil en bouquet sur la table. Un parfum jaune pâle de moutarde en pot. Une odeur d'œillets venue du jardin d'à côté. Il abaissa la main et sentit une herbe l'effleurer d'une caresse d'enfant. Ses doigts sentaient la réglisse. »

Il rencontre des dissidents qui errent, « clochards au-dehors, bibliothèques au-dedans » : chacun a appris un livre, et ils sauvegardent le savoir en attendant la fin de la guerre qui vient de se déclarer. Lui a mémorisé « une partie de l'Ecclésiaste et de l'Apocalypse », que Faber lui lisait la nuit dans son « coquillage » (oreillette).
« Nous ne sommes que des couvre-livres, rien d'autre. »

« Qu'as-tu donné à la cité, Montag ?
Des cendres.
Qu'est-ce que les autres se sont donné ?
Le néant. »

La ville disparaît dans un bombardement.
« Il y avait autrefois, bien avant le Christ, une espèce d'oiseau stupide appelé le phénix. Tous les cent ans, il dressait un bûcher et s'y immolait. Ce devait être le premier cousin de l'homme. Mais chaque fois qu'il se brûlait, il resurgissait de ses cendres, renaissait à la vie. Et on dirait que nous sommes en train d'en faire autant, sans arrêt, mais avec un méchant avantage sur le phénix. Nous avons conscience de l'énorme bêtise que nous venons de faire. Conscience de toutes les bêtises que nous avons faites durant un millier d'années, et tant que nous en aurons conscience et qu'il y aura autour de nous de quoi nous les rappeler, nous cesserons un jour de dresser ces maudits bûchers funéraires pour nous jeter dedans. À chaque génération, nous trouvons un peu plus de monde qui se souvient. »

Je me souvenais surtout du film, revu plus récemment, et bien sûr des images fortes des autodafés et des hommes-bibliothèques. Mais en dehors de cela, la façon dont l’histoire est narrée m’a assez déçu, même si cet apologue annonce l’actuelle fascination creuse des écrans (livre paru en 1953, en plein maccarthisme et guerre froide), « les grands murs chatoyants tout couleurs et mouvements ».

\Mots-clés : #regimeautoritaire #romananticipation #sciencefiction
par Tristram
le Mer 18 Jan - 11:54
 
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John Brunner

Sur l'onde de choc

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Tome 4 de la tétralogie Noire :
Wikipédia a écrit:Un monde où règnent la surpopulation, l'eugénisme et le terrorisme dans Tous à Zanzibar (1968), la violence, la haine raciale et le complexe militaro-industriel dans L'Orbite déchiquetée (1969), la pollution, l'activisme écologique et les toutes-puissantes corporations dans Le Troupeau aveugle (1972), les réseaux informatiques, les virus et la manipulation de l'information dans Sur l'onde de choc (1974).

J’ai déjà lu le très recommandable Tous à Zanzibar :
« Pour être moderne, il ne suffit plus d’acheter aujourd’hui et de jeter demain.
Il faut acheter aujourd’hui et jeter aujourd’hui. »

« Le monde réel n’existait plus. Il s’éloignait de Donald comme les images fugitives d’un rêve : expression suprême du principe d’incertitude, déchirées par l’effort même tenté pour les saisir. »

« Nous sommes au courant de tout ce qui se passe à l’échelle de la planète, et nous n’acceptons plus que notre horizon limité circonscrive la réalité. Ce que nous retransmet la télé est bien plus réel. »

Nick Haflinger est un des surdoués pupilles de Randémont, « institut du génie », organisation fédérale des USA au XXIe qui forme l’élite intellectuelle propre à servir le pays, ou plutôt son gouvernement. Ce dernier promeut le « style-de-vie banane », hyper-informatisé et contrôlé par l’État, et Nickie échappe au système afin de ne pas devenir son instrument, ayant trouvé le moyen de changer d’identités, y compris pour les ordinateurs tous connectés.
« Créateur d’utopies, conseil en style-de-vie, spéculateur delphique, expert-saboteur en informatique, rationalisateur système et Dieu sait quoi encore. »

Avec une imagination éblouissante, Brunner narre ses mésaventures (il rencontre Kate, une étudiante fort intuitive, et surtout « sage », c'est-à-dire sensée ; il sera repris) tout en peignant dans cette dystopie un monde qui ressemble curieusement à ce qu’il tend vraiment à devenir de nos jours : un récit qui n’a pas pris une ride, malgré des inventions fort originales (d’un jeu, celui des tringles, et d’une danse, dite de « coley », aux cités marginales où les rescapés du grand tremblement de terre californien organisent des communautés « écotarciques » à l’écart du système global et liberticide – en passant par le Pavillon d’Eustache, service téléphonique de défoulement cathartique à l’abri du gouvernement, pour lequel Nick installe une « couleuvre » protectrice, genre de virus-firewall). C’est une brillante anticipation des hackers et lanceurs d’alerte (à une époque où Internet balbutiait).
« Les rumeurs étaient destinées à faire plaisir aux gens en leur faisant croire que le monde se portait vraiment aussi mal qu’ils en avaient l’impression. »

« Tout se passe comme si le paradoxe suivant était démontré : chacun ignore de quoi il retourne, mais tout le monde sait de quoi il s’agit. »

« Avec une certaine nostalgie, il racontait quelques anecdotes comiques sur les erreurs commises de son temps. La plupart provenaient du préjugé alors en vigueur selon lequel une certaine dose d’émulation est nécessaire pour obtenir des gens un maximum d’efficacité. Alors qu’au contraire, ce qui caractérise une personne douée de sagesse, c’est qu’elle voit tout de suite que l’émulation est une source de gaspillage de temps et d’énergie. »

« La possibilité de devenir qui vous vouliez au lieu d’être ce que vous étiez dans la mémoire des ordinateurs. »

« Autant vouloir prétendre que le mouvement de la mer qui polit les galets sur la grève leur rend un grand service parce qu’il est préférable pour un galet d’avoir des contours lisses plutôt que rugueux. Le galet ne se soucie pas de la forme qu’il a. Mais pour une personne, c’est une chose très importante. Et chaque vague que vous produisez réduit la variété de formes qu’un être humain peut revêtir. »

« En théorie, n’importe lequel d’entre nous a accès à plus d’informations que dans toute l’histoire du monde, et cela grâce à une simple cabine de viphone. […]
Malgré tout ce qu’on raconte sur le pouvoir "libérateur" du réseau informatique, la vérité est qu’il afflige la plupart d’entre nous d’une nouvelle raison de se précipiter dans la paranoïa. »

« Washington : hier. L’exercice du pouvoir personnel. Le privilège de la fonction. La réduction du consensus populaire à un unique porte-parole, écho d’une période où les gens d’une même communauté arrivaient à s’accorder parce qu’ils n’étaient pas assaillis par cent versions incompatibles des événements. »

« S’il existe un phénomène tel que le mal absolu, il consiste à traiter un autre être humain comme un objet. »

« UN : Notre planète est riche. Par suite, la pauvreté et la faim en sont indignes, et puisque nous avons les moyens de les supprimer, nous le devons.
DEUX : Nous appartenons à une espèce civilisée. Par suite, nul ne pourra désormais tirer de profit illicite du fait que, tous ensemble, nous savons plus de choses qu’un seul d’entre nous n’en peut connaître.
»


\Mots-clés : #politique #romananticipation #sciencefiction #social
par Tristram
le Lun 8 Aoû - 12:12
 
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Ernest Callenbach

Tag romananticipation sur Des Choses à lire 51xara10

Ecotopia

Trois états de l’ouest de Etats-Unis ont fait sécession il y a 20 ans pour créer une république écologique, qui a rompu tous les ponts diplomatiques avec les USA. William Weston est chargé de produire des reportages sur cette initiative tous à la fois méprisée et fascinante, avec ses nombreuses qualités et ses défauts et de lancer une première tentative de réconciliation.

Si on lit avec les yeux d’une lectrice de la fin des années 70 ont est émerveillée par les idées renversantes et séduisantes de société proposées par Callenbach. Une société sans entrave, sans voitures, mais transports gratuits, où les plastiques sont d’origine végétale et tout est recyclé, une semaine de 20 heures, un revenu universel. Les arbres sont des vrais vivants, la famille a éclaté et les codes sexuels ne sont plus les mêmes. Il n’y a que les ordinateurs personnels et le téléphone portable auxquels l’auteur n’a pas pensé.

Si on lit avec les yeux d’une lectrice de 2021, on se dit que tout était bien là en  1975,  et qu’on a  perdu pas mal de temps à ne pas faire grand-chose de neuf. C’est assez déprimant.

En dehors de cet aspect, la lecture n’est pas folichonne (ce qui peut s’exprimer chez les topocl par « pas fou-fou ») car le style est vraiment journalistique (et journalistique qui ne s’est pas foulé) l’intrigue prévisible et les sentiments assez niaiseux.


\Mots-clés : #ecologie #romananticipation
par topocl
le Dim 21 Fév - 10:13
 
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Sigridur Hagalin Björnsdottir

L’île

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L’Islande est brutalement privée de tout contact extérieur : plus de communications téléphoniques, radio ou internet, plus de bateaux ou avions qui arrivent. Il faut s’organiser à vivre en autarcie, et les dérives ne tardent pas à se manifester : dérive fascisante du gouvernement, désinformation des médias, épuisement en énergie, famine, milices, pillage et bandes organisées, rejet des étrangers…

S’attachant à quelques personnages différemment perdus dans cette débâcle, S H Sigridur Hagalin Björnsdottir  livre un récit collapsologique terriblement bien analysé, glaçant et glacé, même si les dernières pages apportent une note d’espoir de la résilience possible d’un petit groupe de survivants. Lecture terrifiante, tout aussi efficace si ce n’est plus que les conclusions du GIEC, car ramenée à notre échelle de simples humains : cette fiction ne nous attend-elle pas à notre tour ?


Mots-clés : #insularite #romananticipation
par topocl
le Dim 15 Nov - 11:06
 
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Sujet: Sigridur Hagalin Björnsdottir
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Ernest Callenbach

Ecotopia : Notes personnelles et articles de William Weston

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Ecotop10


Le journaliste new-yorkais William Weston, envoyé spécial du Times-Post et premier visiteur américain officiel en Écotopia vingt ans après la sécession des États de la côte Ouest (nord de la Californie, Oregon et Washington), tient son journal personnel et produit ses articles.
« Ils étaient malades à cause de la pollution de l’air, de la nourriture chimique, de la publicité délirante. Ils se sont tournés vers la politique, car en fin de compte c’était la seule voie possible pour assurer leur survie. »

Il découvre un pays demeuré secret, dont le mode de vie, pour étonnant qu’il soit à ses yeux d’États-Unien, est viable, généreux même.
Une révolution a bouleversé la région, économique comme sociétale, à commencer par la semaine de vingt heures jusqu'à une démocratie assez directe, décentralisée.  
« Aussi incroyable que cela puisse paraître, les Écotopiens aiment travailler. »

Le principe écologique essentiel est le recyclage, dans la recherche du maintien d’un équilibre :
« L’homme est fait pour s’insérer modestement dans un réseau continu et stable d’organismes vivants, en modifiant le moins possible les équilibres de ce biotope. Cette approche impliquait de mettre un terme à la société de consommation tout en assurant la survie de l’humanité, ce qui devint un objectif presque religieux, peut-être assez proche des premières doctrines du "salut" chrétien. »

« Mais l’essentiel est que notre agriculture a atteint un état d’équilibre presque parfait, où quatre-vingt-dix-neuf pour cent de nos déchets sont recyclés. Bref, nous avons créé un système alimentaire pouvant durer indéfiniment. »

« Nous n’essayons pas d’être parfaits, simplement d’atteindre un équilibre général – en additionnant tous les hauts et les bas. – Mais ça revient à renoncer à toute notion de progrès. Vous désirez seulement trouver ce point de stabilité et y rester, comme une masse inerte. – C’est peut-être ton impression, mais dans la pratique il n’y a pas de point stable. Nous essayons sans cesse d’y parvenir, sans jamais l’atteindre. »

D’abord insupporté par le silence et l’obscurité nocturne, les déplacements à pied ou en vélo, ce qui frappe le plus William sont les rapports sociaux, notamment caractérisés par de plus grandes solidarité et stabilité qu’aux États-Unis, ainsi que par un certain laisser-aller et surtout laisser-faire ; c’est la culture de la « famille élargie », les gens sont plus francs, ouverts aux « festivités improvisées »...
« Le goût du contact physique est ici une caractéristique frappante de la sociabilité. »

« Les relations humaines sont beaucoup plus libres et détendues dans ce pays que dans le nôtre, et l’on accepte comme normales les manifestations d’hostilité les plus extrêmes. »

Le grand souci de Will, ce sont les femmes, indépendantes, très engagées et influentes en politique, « fortes, assurées, prêtes au plaisir, très honnêtes et directes » :
« J’ai l’impression d’être soudain débarrassé de tout le sempiternel psychodrame américain des soupçons réciproques entre les sexes, des demandes et des contre-demandes sexuelles, de nos efforts désespérés afin de résoudre ce que nous prenons pour le problème inextricable de la sexualité. »

« À mon avis, mon héritage puritain explique que je n’aie jamais fait l’amour avec deux femmes en même temps, bien que j’aie souvent regretté de ne pas avoir eu l’audace d’essayer. »

En Écotopia l’exercice physique, notamment en plein air, donne une bonne santé aux gens, qui vont beaucoup dans la nature, apprendre la survie, pratiquer la chasse (à l’arc) et la pêche.
« …] la scène sportive existe seulement pour ceux qui les pratiquent. »

Le sport spectacle de masse télévisé n’a pas cours, mais d’étranges jeux de guerre rituels servent à compenser le besoin de compétition physique…
Le démarquage des sociétés autochtones est patent :
« Compte tenu du relâchement des habitudes de travail dans ce pays, l’abattage des arbres y est mené avec une efficacité surprenante. Les gens passent le plus clair de leur temps à ne rien faire dans les camps forestiers ; mais lorsqu’une équipe part en mission, leur rapidité et leur esprit de coopération sont impressionnants. Ils coupent les arbres et les élaguent avec un respect étrange, presque religieux, en manifestant toute l’intensité émotionnelle et le soin que certains d’entre nous mettent, par exemple, à répéter un ballet classique. »

À une certaine pénurie (énergie, métaux) répond une vraie abondance biologique.
Le bois constitue le matériau d’élection ; il a aussi été développé une nouvelle industrie de plastiques biodégradables fabriqués à partir de produits naturels. La recherche scientifique et l’innovation sont encouragées.
« Les gens trouvent normal que les produits manufacturés soient costauds, durables et réparables – moyennant quoi ils sont aussi frustes, comparés aux nôtres. »

De curieuses références récurrentes à la France :
« Néanmoins, les Écotopiens sont restés très américains pour certaines choses, tout en trahissant un curieux héritage français : les horaires des trains et les listes de prix par exemple sont d’une précision impitoyable. Cette rigueur intellectuelle est peut-être nécessaire pour compenser la frivolité et la décontraction de la vie personnelle. »

Ce modèle socio-économique est bien sûr en franche opposition avec celui des États-Unis :
« …] le capitalisme souffre d’un défaut peu remarqué mais fondamental : on ne peut pas imposer justement ses propriétaires, car sous un gouvernement capitaliste la richesse trouve invariablement une niche où se cacher. »

Santé :
« Le système de sécurité sociale est étonnamment réduit, car les Écotopiens jouissent d’une "garantie" à vie leur assurant logement, nourriture et soins médicaux. »

« Aucun Écotopien n’hésite à avoir recours aux soins médicaux à cause de leur coût ou des difficultés d’accès aux services concernés. »

« Après l’Indépendance, le corps médical écotopien passa la pharmacopée au peigne fin et en élimina sans pitié de nombreux tranquillisants, énergisants, somnifères et d’autres médicaments tels que les remèdes contre le rhume. Aujourd’hui, il n’autorise la vente d’aucun médicament susceptible de modifier le comportement des gens. »

Par contre, la marijuana est légalisée…
Savoureux épisode où, après l’Indépendance d’Écotopia, le camp des faucons états-unien déclencha la guerre des hélicoptères, une tentative d’invasion qui tourna au fiasco et demeura cachée aux États-uniens…
Ce qui m’épate toujours dans ces utopies et anticipations, c’est ce qui s’avère depuis ‒ ce qu’on savait arriver… Les catastrophes, mais aussi les innovations, comme celle de l’impression à la demande, ou des MOOC :
« …] chaque citoyen peut s’inscrire à des cours par vidéo pour apprendre la biologie, l’engineering, la musicologie ou des centaines d’autres disciplines. »

Mais ce qu’on retrouve surtout, ce sont les éléments fondamentaux du mouvement écologiste, y compris la sensibilité pour l’arbre !
« Semi-utopie » selon Callenbach, cette histoire postule qu’une politique écologiste aurait également de profondes et salutaires incidences sociétales, concernant notamment la condition féminine et la décroissance (économique, mais aussi démographique).

Mots-clés : #ecologie #romananticipation
par Tristram
le Mer 5 Aoû - 12:26
 
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Sujet: Ernest Callenbach
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René Barjavel

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Ravage

Un roman d'anticipation.....et on peut dire que René Barjavel a drôlement bien anticipé ! Dire que ce livre a été écrit en 1943 !!!!

L'action se situe en 2052 ....la technologie a pris la place de l'humain....(on n'en est pas loin).....

" En 2052, tout le fonctionnement de la société repose sur la technologie. La ville de Paris a été reconstruite à partir des travaux de l'architecte Le Cornemusier (paronyme de Le Corbusier), seul Le Sacré Coeur, vestige de l'ancienne civilisation, domine encore la capitale. Les véhicules se déplacent dans les airs, les robinets distribuent de l'eau et du lait. Les grands écrans ont envahi les logements."

Un jour, une gigantesque panne d'électricité paralyse tout le monde. Rapidement, vivre devient impossible et il faut se battre pour survivre. François Deschamps, un jeune homme originaire de la campagne, décide de fuir la capitale et espère construire un monde meilleur. Il rassemble quelques affaires et des provisions, regroupe ses amis, auxquels se joint Blanche, une jeune fille qu'il connaît et aime depuis longtemps et ensemble ils prennent la route."

Hallucinant....de vision :

"L'élevage, cette horreur, avait également disparu. Elever, chérir des bêtes pour les livrer ensuite au couteau du boucher, c'étaient bien là des moeurs dignes des barbares du xxe siècle. Le "bétail" n'existait plus. La viande était "cultivée" sous la direction de chimistes spécialistes et selon les méthodes, mises au point et industrialisées, du génial précurseur Carousel, dont l'immortel coeur de poulet vivait encore au musée de la Société Protectrice des Animaux. Le produit de cette fabrication était une viande parfaite, tendre, sans tendons, ni peaux ni graisses, et d'une grande variété de goûts !!! "

Nous y sommes, il y a déjà des steaks qui n'en sont pas...mais qui y ressemblent à s'y méprendre......marché ciblé : vegans et végétariens.

' L'humanité ne cultivait presque plus rien en terre. Légumes, céréales, fleurs, tout cela poussait à l'usine dans des bacs.

Les végétaux trouvaient là, dans de l'eau additionnée des produits chimiques nécessaires, une nourriture bien plus riche et plus facile à assimiler que celle dispensée chichement par la marâtre Nature."


Nous y sommes aussi (enfin presque ...à quelques détails près) l'hydroponie !

Donc, un petit groupe fuit Paris pour rejoindre la verte campagne afin d 'essayer de survivre à cette catastrophe.....un incendie gigantesque qui détruit tout sur son passage, développe des tonnes de cendres, et fait régner une chaleur infernale....très dures conditions, l'eau se fait rare.......ça ressemble beaucoup aux prédictions des plus pessimistes sur l'évolution de notre malheureuse planète.....beaucoup de péripéties au cours du chemin, c'est malgré tout très violent..les affrontements entre humains sont sans pitié.... François, le chef de la bande mène tout d'une main de maître....sans indulgence, sans faiblesse...

Au final, une fois leur but atteint, la polygamie est instaurée, pour repeupler cette malheureuse terre, le ratio hommes/femmes n'étant pas en équilibre....ce bon vieux MLF a du plomb dans l'aile..... Tag romananticipation sur Des Choses à lire 1390083676 Tag romananticipation sur Des Choses à lire 1390083676

Bref, j'ai lu ce roman avec intérêt.....le style est un peu vieillot, évidemment, écrit en 1943....si ce malheureux Barjavel vivait encore il serait consterné devant l'évolution de notre société..je suppose....il avait prévu pas mal de choses....mais pas internet, les ordinateurs, la folie des smartphones !!!

Un des protagonistes :

" Tout cela, dit-il, est notre faute. Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s'en rendre Maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. Ils emploient pendant quelques temps ces forces pour construire, puis un beau jour, parce que les hommes sont des hommes, c'est-à-dire des êtres chez qui le mal domine le bien, parce que le progrès moral de ces hommes est loin d'avoir été aussi rapide que le progrès de leur science, ils tournent celle-ci vers la destruction. "

Nous y voici :

Au cours du récit il y a un empereur noir, un peu (voire beaucoup) cinglé qui projette d'envoyer des missiles partout et qui fait une déclaration sur ce qu'a subit son peuple de la part des blancs (ce qui n'est pas faux) qui rappelle furieusement l'actualité.....

Lire ceci aujourd'hui ne manque pas d'intérêt....

La chérie de François s'appelle "Blanchette"....nul doute qu'il choisirait un autre prénom aujourd'hui.... Tag romananticipation sur Des Choses à lire 1390083676 Tag romananticipation sur Des Choses à lire 1390083676


\nMots-clés : #romananticipation
par simla
le Jeu 25 Juin - 5:54
 
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Sujet: René Barjavel
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Ramuz Charles-Ferdinand

Présence de la mort

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« Par un accident survenu dans le système de la gravitation, rapidement la terre retombe au soleil et tend à lui pour s’y refondre : c’est ce que le message annonce. »

D’après ce postulat, c’est de science-fiction post-apocalyptique qu’il s’agit ici, de l’anticipation des effets d’une chaleur croissante, vécus au bord du lac Léman. C’est surtout une apocalypse qui s’insinue progressivement dans le quotidien lausannois, par petites scènes indépendantes, comme autant de points de vue, y compris celui d’un narrateur qui d’efforce d’écrire.
« ‒ La seule différence est qu’on s’en ira tous ensemble, au lieu de s’en aller chacun de son côté. »

Plus largement, ce récit amorce une méditation sur la mort (et sa réciproque, l’existence), comme le signale d’ailleurs très clairement son titre :
« Et, tout à coup, la vie fut là, mais en même temps la mort fut là, qu’il n’avait pas connue encore, parce qu’il n’avait pas connu la vie. L’une ne vient pas sans l’autre. L’une vient, l’autre vient aussi. L’une n’était pas encore venue, c’est pourquoi l’autre non plus. »

Puis sont esquissées les réactions des savoyards écrasés par la canicule qui embrase le ciel et fait craquer la terre.
Une sorte de dénouement eschatologique trouve une issue mystique dans la verticalité montagnarde.
Le Ravage de Barjavel vient à l’esprit, aussi Giono. Mais le ton de Ramuz est celui de la ruralité, posé, élémentaire, fataliste.
J’ai trouvé un peu trop de facilité dans les paradoxes, et ce texte assez hétéroclite montre peu de cohésion.
« Encore une fois, vous dire, vous citer, vous énumérer, vous compter, choses de là-bas, chères choses qui sont en face de moi, et me porter vers vous encore à travers l’eau avec mon cœur comme sur une barque, vous saluant d’abord du large, et puis le large est supprimé, la distance n’existe plus ; on vient, on est là, on touche, et déjà commencent à traluire les grappes pendant beaucoup plus haut que la main.
Vendange qui ne se fera pas peut-être ; alors, justement, c’est pourquoi… »

Délicieux helvétisme que ce traluire, du raisin qui devient translucide en mûrissant…

Mots-clés : #catastrophenaturelle #mort #romananticipation
par Tristram
le Mer 8 Jan - 21:19
 
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Sujet: Ramuz Charles-Ferdinand
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Cécile Wajsbrot

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Destruction

Honte à moi je n'arrive pas à l'auteur par la lecture du fil mais par un conseil du libraire en réponse, suite à une râlerie, échantillons à l'appui, ayant pour thème un nivellement par le bas de la production actuelle, à la question : "mais alors, un exemple, d'un auteur d'aujourd'hui, et vivant ?"

Destruction donc. Une faible anticipation, une projection qui nous entraîne avec une tonalité étrangement et étonnamment familière vers la dissolution ou destruction de notre aujourd'hui. Ou autrement une reconfiguration, voire une réécriture par un totalitarisme discret.

Le récit d'un journal audio adressé à une personne inconnue par une femme qui a pour mission de rendre compte de son présent. Un constat qui dit l'effacement du passé dans la culture, la ville, l'habitude. Disparition des livres, technologie et réseaux sociaux... des grands thèmes traités à la fois avec évidence, finesse et références et pour les deux derniers sans diabolisation.

Une "lecture monde", envoûtante par sa régularité et son homogénéité (et qui ferait une belle mine à citations ?). Une voix à la fois singulière et presque collective.

Une belle expérience, un peu flippante aussi, qui trouve beaucoup d'échos dans le paysage contemporain, ses propositions politiques, médiatiques (plus que culturelles ?) ou de "normalisation".

La possibilité d'un futur moins noir n'est pas absente pour autant et l'ouverture sur une référence-citation à Stifter...

Pour insister sur les surprises qui nous concernent plus particulièrement ici, le récit de la relation qu'on dirait trop vite virtuelle et le flottement qu'elle induit parfois entre ce qui est communiqué et le plus intime... le réconfort incertain mais palpable (ou l'inverse) qu'elle peut être, sa collectivité potentiellement très réelle. Cécile Wajsbrot n'est pas dans l'effet de manche.

Très construit, très réfléchit, intellectualisé mais aussi très sensoriel, sensitif, sensible, observateur.... ça m'a rappelé ? Potentiellement Hélène Cixous mais pas seulement ? Trou de mémoire.

C'est du solide et ça fait quelque chose de relire ce fil ouvert par Shanidar...

Mots-clés : #contemporain #journal #regimeautoritaire #romananticipation
par animal
le Jeu 23 Mai - 19:39
 
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Sujet: Cécile Wajsbrot
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Chuck Palahniuk

Survivant

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Tender Branson a détourné un Boeing 747, et relâché passagers et équipage. Dans l'avion en pilotage automatique, avec l’équivalent d’environ 7 heures de vol selon le carburant restant, il raconte sa vie à l'enregistreur de vol avec l'espoir que la boîte noire gardera une trace de son récit. Les pages du roman sont numérotées dans l'ordre décroissant, et il se déroule du chapitre 47 au premier, en compte à rebours du crash.
C’est fort brillant, il y a d’étranges moments irréels alternés avec d’impitoyables aperçus de la société états-unienne.
Très vite on rapproche le texte de Chuck Palahniuk de ceux de Bret Easton Ellis et de l’"anticipation sociale", mais cette comparaison n’est pas réductrice. Il y a du gore et du cynisme, mais pas que cela ‒ et notre époque ne peut honnêtement pas exclure une autoreprésentation ignoble.
Rescapé de l’église creedish, genre amish, une secte qui aurait apporté la Délivrance à ses membres par le suicide collectif, qu’il aurait manqué parce qu’absent, Tender Branson bénéficie du « programme de conservation des survivants »…
« À grandir au sein de la colonie du district de l’église, la moitié de vos études concernait la doctrine et les règles de l’église. L’autre moitié concernait le service. Le service comprenait le jardinage, les bonnes manières, l’entretien des tissus, le ménage, la menuiserie, la couture, les animaux, l’arithmétique, l’art d’ôter les taches, et la tolérance. »

« Nous croyions que tous ces enseignements étaient destinés à nous rendre intelligents. Ça ne faisait que nous rendre plus stupides. Avec tous les petits faits que nous apprenions, nous n’avions jamais le temps de penser. Aucun d’entre nous n’envisageait jamais ce que serait une vie passée à nettoyer derrière un inconnu tous les jours de notre existence. »

« Nous savons ce pour quoi vous avez été programmé, à ce stade. Nous sommes préparés à vous placer en observation pour empêcher que cela se produise. »

Occasion de casser de l’assistante sociale et de la psychologie appliquée :
« Les obsessionnels compulsifs, me dit-elle, se consacraient soit à la vérification des choses, soit à leur nettoyage (Rachman et Hodgson, 1980). Selon elle, j’appartenais à la seconde catégorie.
En vérité, j’aimais nettoyer, tout bonnement, mais toute ma vie j’avais été entraîné à obéir. Tout ce que je faisais, c’était essayer de faire en sorte que son diagnostic paraisse juste. L’assistante sociale m’énonçait les symptômes, et je faisais de mon mieux pour les illustrer de façon manifeste avant de la laisser m’en guérir.
Après avoir été un obsessionnel compulsif, j’ai été un cas de stress post-traumatique.
Puis j’ai été agoraphobe. […]
Pendant environ trois mois après ma première rencontre avec l’assistante sociale, j’ai été un cas de dissociation de la personnalité parce que je ne voulais pas parler de mon enfance avec la dame.
Puis j’ai été un schizoïde parce je ne voulais pas me joindre au groupe hebdomadaire de thérapie qu’elle dirigeait.
Ensuite, parce qu’elle a pensé que cela ferait une bonne étude de cas, j’ai eu le syndrome de Koro, lorsque vous êtes convaincu que votre pénis devient de plus en plus petit et que, une fois disparu, vous mourrez (Fabian, 1991 ; Tseng et al., 1992).
Après cela, elle m’a fait avoir le syndrome de Dhat, lorsque vous êtes en crise parce que vous êtes convaincu que vous perdez tout votre sperme lorsque vous avez des rêves mouillés ou que vous pissez un bock (Chadda et Ahuja, 1990). L’idée se fonde sur une vieille croyance hindoue selon laquelle il faut quarante gouttes de sang pour créer une goutte de moelle osseuse et quarante gouttes de moelle pour créer une goutte de sperme (Akhtar, 1988). Elle m’a dit qu’il n’était pas surprenant que je sois tout le temps fatigué. […]
Quels qu’aient pu être mes véritables problèmes, je ne voulais pas les voir réglés. Aucun des petits secrets que je portais à l’intérieur de moi ne voulait être découvert et expliqué. Par des mythes. Par mon enfance. Par la chimie. Ma peur était : que resterait-il alors ? Et donc aucun de mes ressentiments ou frayeurs véritables n’est jamais réapparu à la lumière du jour. »

« À la fin de cette édition du DSM sont notées les révisions effectuées depuis la dernière édition. Et les règles ont déjà changé.
Voici les nouvelles définitions de ce qui est acceptable, de ce qui est normal, de ce qui est sain.
L’inhibition orgasmique masculine devient le désordre orgasmique masculin. Ce qui était l’amnésie psychogénique devient l’amnésie dissociative.
Le désordre de l’angoisse du rêve devient le désordre du cauchemar.
D’édition en édition, les symptômes changent. Des gens sains d’esprit deviennent fous selon un nouveau critère. Des gens qualifiés de fous sont des modèles exemplaires de santé mentale. »

« Les gens n’aiment pas qu’on remette de l’ordre dans leur vie. Personne ne veut voir ses problèmes résolus. Ses drames, ses égarements, ses histoires réglées, sa vie débarrassée de ses merdes. Sinon, que resterait-il à tout un chacun ? Rien que l’inconnu, ce vaste inconnu qui fiche la trouille. »

Ainsi formé au nettoyage par la secte, il est donc devenu "homme de ménage" « dans le monde extérieur méchant et malfaisant », domestique d’un couple de riches qu’il ne voit jamais mais qui le surveille sans cesse :
« Tout à côté du téléphone mains-libres se trouve un gros agenda, un cahier-journal où ils consignent toutes les choses que je dois faire. Ils veulent que je sois à même de rendre compte de mes dix années à venir, tâche après tâche. De cette façon, tout ce qui fait votre existence se transforme en élément d’une liste. Quelque chose à accomplir. Vous y gagnez à voir votre vie totalement mise à plat. La plus courte distance entre deux points, c’est une ligne temporelle, un programme détaillé, une carte de votre temps, l’itinéraire du restant de votre existence. Rien ne vous montre mieux qu’une liste la ligne droite qui va d’ici aujourd’hui à la mort. »

Son numéro de téléphone étant pris pour celui d’un appel de détresse, il assassine impunément en conseillant le suicide aux désespérés.
« Gravés ici à jamais se trouvent les noms des gens qui ont suivi mes conseils. Allez-y. Tuez-vous. »

Il rencontre la sœur d’une de ses victimes au mausolée, et en tombe amoureux :
« Je demande : donc va-t-elle se suicider comme son frère ?
"Non", fit Fertilité.
Elle lève la tête et me sourit.
Nous dansons, un, deux, trois.
Elle dit : "Pas question que je me tire une balle. Je prendrai probablement des cachets." »

Considéré comme le seul survivant de la secte, il devient un produit marketing bodybuildé aux mains de son agent publiciste, « un chef spirituel, une célébrité religieuse » :
« Vous vous rendez compte que les gens prennent de la drogue parce que c’est la seule aventure personnelle qui leur reste dans leur petit monde de loi et d’ordre, tellement limité en temps, entièrement obnubilé par la propriété individuelle omniprésente.
C’est uniquement dans la drogue et la mort que nous verrons un tant soit peu de neuf, et la mort maîtrise bien trop l’individu.
Vous vous rendez compte qu’il ne sert à rien de faire quoi que ce soit si personne ne regarde. »

« Vous êtes devenu anaérobie, vous brûlez du muscle en lieu et place du gras, mais votre esprit est d’une limpidité de cristal. La vérité, c’est que tout ceci n’était que partie intégrante du processus suicidaire. Parce que le bronzage et les stéroïdes ne sont véritablement un problème que si vous envisagez de vivre longtemps. Parce que la seule différence entre un suicide et un martyre, vraiment, c’est la couverture presse. »

« L’autre option qu’envisage l’agent est que nous nous passions d’intermédiaires pour fonder notre propre grande religion. Établir notre propre marque. Être ainsi reconnus. Et vendre directement au consommateur. »

Fertilité, dont la profession est mère porteuse (quoique stérile), son « boulot de malfaisance », est aussi voyante (comme l’était son frère), et permet à Tender d’annoncer des miracles :
« C’est une sorte de journal télévisé avant les faits. »

Voici une partie d’une scène remarquable où, installé dans les toilettes à lire les graffiti, Tender écoute la voix de Fertilité par le trou dans la cloison :
« La bouche dit : "Nous nous ennuyons tous à mourir. " Le mur dit : j’ai baisé Sandy Moore.
Tout autour, dix autres mains ont gratté : moi aussi. Quelqu’un d’autre a gratté : y a-t-il quelqu’un ici qui n’ait pas baisé Sandy Moore ?
Tout à côté, il y a gratté : pas moi.
Tout à côté, il y a gratté : pédé.
"Nous regardons tous les mêmes programmes télévisés, dit la bouche. Nous entendons tous les mêmes choses à la radio, nous nous répétons les uns aux autres les mêmes bavardages. Il n’y a plus de surprises. Il n’y a juste qu’un peu plus de pareil au même. Des rediffusions."
À l’intérieur du trou, les lèvres rouges disent : "Nous avons tous grandi avec les mêmes programmes de télévision. C’est comme si nous avions tous les mêmes implants de mémoire artificielle. Nous ne nous souvenons de pratiquement rien de notre enfance véritable, mais nous avons un souvenir exact de tout ce qui est arrivé aux familles des sitcoms. Nous avons tous les mêmes buts fondamentaux. Nous avons tous les mêmes craintes."
Les lèvres disent : "L’avenir n’est pas brillant. Très bientôt, nous aurons tous les mêmes pensées au même moment. Nous serons parfaitement à l’unisson. Synchronisés. Unis. Égaux. Exacts. À la manière des fourmis. Insectes dans l’âme. Des moutons."
Tout est tellement peu original. Dérivé de dérivé. Référence d’une référence d’une référence.
"La grande question que les gens posent n’est pas : quelle est la nature de l’existence ? dit la bouche. La grande question que les gens posent, c’est : d’où ça vient ?"
J’écoutais le trou à la manière dont j’écoutais les gens se confesser au téléphone, à la manière dont j’écoutais les cryptes en quête d’un signe de vie. J’ai demandé : pourquoi donc a-t-elle besoin de moi ? »

Evidemment, la suppression du statut iconique de Tender accoutumé à la célébrité déclenche un syndrome de manque d’attention :
« Je ne veux pas d’un foutu cheeseburger tout graisseux et plein de gras, je lui hurle en retour.
"Il faut que vous mangiez du sucre, du gras, du sel, jusqu’à redevenir normal, dit Fertilité. C’est pour votre propre bien."
Il me faut une épilation à la cire de tout le corps, je hurle. Il me faut du gel coiffant.
Je martèle la porte à coups redoublés.
Il me faut deux bonnes heures dans une bonne salle d’haltérophilie. Il me faut trois cents étages à grimper sur un bon stepper. »

Adam Branson, son « aîné de trois minutes trente secondes », fut l’héritier de la famille creedish, qui tirait ses revenus de l’esclavage des autres enfants loués à l’extérieur de la communauté, ilotes castrés spirituellement à défaut de physiquement.
« Le sexe est l’acte qui nous sépare de nos parents. »

« La campagne Genesis a été le remède vite fait élaboré par l’agent. Chaque jour un peu plus, tout dans mon existence était un remède remédiant à un remède précédent qui remédiait à un remède précédent, jusqu’à ce que j’oublie ce qu’était le problème originel. Dans le cas présent, le problème était que vous ne pouvez pas être un Américain adulte vierge sans que quelque chose n’aille pas chez vous. Les gens sont incapables de concevoir en autrui une vertu qu’ils sont incapables de concevoir en eux-mêmes. Au lieu de croire que vous êtes plus fort, c’est tellement plus facile d’imaginer que vous êtes plus faible. Vous êtes un drogué du plaisir solitaire. Vous êtes un menteur. Les gens sont toujours prêts à croire le contraire de ce que vous leur dites. »

Adam "suicide"-t-il les ultimes Creedishs ? Tender est-il vraiment resté à bord jusqu’au crash ?
Voyages trans-US en maison préfabriquée sur poids-lourd ! District de l’église détruite transformé en décharge de pornographie obsolète ! Images, symboles forts, peut-être plus de notre société psychopathe que de son avenir.
« Ne me demandez pas quand parce que je ne m’en souviens pas, mais à un moment donné je n’ai pas cessé d’oublier de me suicider. »

« Les confessions qu’on me faisait dans mon appartement, les confessions qu’on me faisait à la télévision nationale, tout ça, c’est exactement pareil à l’histoire que je raconte en ce moment dans l’enregistreur de vol du cockpit. Mon confessionnal. »



mots-clés : #religion #romananticipation
par Tristram
le Dim 20 Jan - 18:31
 
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Sujet: Chuck Palahniuk
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Deon Meyer

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L'année du lion

Deon Meyer s'éloigne ici du genre policier pour évoquer l'Afrique du Sud dans un futur proche et dramatique, où un mystérieux virus a précipité la mort d'une majeure partie de la population mondiale. L'année du lion est alors le récit d'une reconstruction, tentative d'établir un nouvel idéal face au risque constant du vide, de la destruction et de la disparition.

La relation d'un père et d'un fils au milieu d'un chaos, au centre de tous les enjeux, peut rappeler La Route de Cormac McCarthy, mais Deon Meyer parvient à exprimer une forte singularité dans son approche d'un monde bouleversé, entre dystopie et utopie. S'il s'attache à décrire minutieusement un environnement à la fois fascinant et hostile, il saisit surtout la fragilité d'une volonté de créer un édifice social et politique sur les décombres d'un passé enfoui. Et les paysages tourmentés de l'Afrique du Sud reflètent les déchirements d'une humanité avant tout confrontée à son histoire et à sa propre noirceur, à travers une vision qui mêle l'image de l'avenir à celle d'un présent rempli de contradictions, de souffrances et de promesses.

L'épilogue, qui prend la forme d'un rebondissement décisif, m'a semblé trop brusque dans ses intentions mais l'impression laissée par ce roman atypique et audacieux reste forte.




mots-clés : #initiatique #romananticipation #violence
par Avadoro
le Jeu 23 Aoû - 23:56
 
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Sujet: Deon Meyer
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Michel Houellebecq

Soumission

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Ce livre a déjà été abondamment et brillamment commenté, mais des citations furent réclamées, alors…
On retrouve d’emblée cette complaisance benoîte à préciser avec application notre propre médiocrité au travers de celle d’un narrateur type où l’on devine l’auteur. Houellebecq ne renonce pas à se rendre hostile une large part des lecteurs, non sans une certaine provocation plaisante, qui peut confiner au cynisme :
« Dans l'iconographie de l'ouvrage, il y avait la reproduction du prospectus d'un bordel parisien de la Belle Époque. J'avais éprouvé un vrai choc en constatant que certaines des spécialités sexuelles proposées par Mademoiselle Hortense ne m'évoquaient absolument rien ; je ne voyais absolument pas ce que pouvaient être le "voyage en terre jaune", ni la "savonnette impériale russe". Le souvenir de certaines pratiques sexuelles avait ainsi, en un siècle, disparu de la mémoire des hommes – un peu comme disparaissent certains savoir-faire artisanaux tels que ceux des sabotiers ou des carillonneurs. Comment, en effet, ne pas adhérer à l'idée de la décadence de l'Europe ? »

C’est une forme d’anticipation (le genre littéraire qui explore des évolutions possibles de nos sociétés), mais plus une sorte de diagnostic et de matière à réflexion qu’un pronostic ou une analyse argumentée.
C’est aussi le fil de Huysmans, sujet d’études du narrateur et de l’auteur, qui leur sert de vague référence existentielle :  
« Ç'aurait été une erreur d'accorder trop d'importance aux "débauches" et aux "noces" complaisamment évoquées par Huysmans, il y avait surtout là un tic naturaliste, un cliché d'époque, lié aussi à la nécessité de faire scandale, de choquer le bourgeois, en définitive à un plan de carrière [… »

« …] les plats pour micro-ondes, fiables dans leur insipidité, mais à l'emballage coloré et joyeux, représentaient quand même un vrai progrès par rapport aux désolantes tribulations des héros de Huysmans ; aucune malveillance ne pouvait s'y lire, et l'impression de participer à une expérience collective décevante, mais égalitaire, pouvait ouvrir le chemin d'une résignation partielle. »

Structure souple, enchaînement constant, sans temps mort ; une certaine élégance dans la narration, avec le côté clinique et détaché qui convient dans ce bilan d’une existence banale.
Savoureux regard sur la place de la carrière professionnelle (et les sujets de conversation entre collègues), la politique, l’intelligentsia et les médias, bref la société post 68 sur son erre : consommation de masse induite par la croissance, allongement et démocratisation de l'enseignement, émergence de "la jeunesse" comme nouveau groupe social et transformation des mœurs, sexe et détachement dans les rapports humains, solitude, vide de perspective…
« Que l'histoire politique puisse jouer un rôle dans ma propre vie continuait à me déconcerter, et à me répugner un peu. Je me rendais bien compte pourtant, et depuis des années, que l'écart croissant, devenu abyssal, entre la population et ceux qui parlaient en son nom, politiciens et journalistes, devait nécessairement conduire à quelque chose de chaotique, de violent et d'imprévisible. La France, comme les autres pays d'Europe occidentale, se dirigeait depuis longtemps vers la guerre civile, c'était une évidence ; mais jusqu'à ces derniers jours j'étais encore persuadé que les Français dans leur immense majorité restaient résignés et apathiques – sans doute parce que j'étais moi-même passablement résigné et apathique. Je m'étais trompé. »

Les partis et personnages politiques sont donc particulièrement visés, ainsi que les médias (et c'est piquant à lire suite aux dernières élections) :  
« L'implosion brutale du système d'opposition binaire centre-gauche – centre-droit qui structurait la vie politique française depuis des temps immémoriaux avait d'abord plongé l'ensemble des médias dans un état de stupeur confinant à l'aphasie. »

« "Ce qui est extraordinaire chez Bayrou, ce qui le rend irremplaçable", poursuivit Tanneur avec enthousiasme, "c'est qu'il est parfaitement stupide, son projet politique s'est toujours limité à son propre désir d'accéder par n'importe quel moyen à la “magistrature suprême”, comme on dit [… »

« Sous l'impulsion de personnalités aussi improbables que Jean-Luc Mélenchon et Michel Onfray [… »

« La gauche avait toujours eu cette capacité de faire accepter des réformes antisociales qui auraient été vigoureusement rejetées, venant de la droite [… »

« Les fascismes me sont toujours apparus comme une tentative spectrale, cauchemardesque et fausse de redonner vie à des nations mortes [… »

« Et l'existence d'un débat politique même factice est nécessaire au fonctionnement harmonieux des médias, peut-être même à l'existence au sein de la population d'un sentiment au moins formel de démocratie. »

« …] mais les journalistes ayant une tendance bien naturelle à ignorer les informations qu'ils ne comprennent pas, la déclaration n'avait été ni relevée, ni reprise. »

« L'absence de curiosité des journalistes était vraiment une bénédiction pour les intellectuels, parce que tout cela était aisément disponible sur Internet aujourd'hui, et il me semblait qu'exhumer certains de ces articles aurait pu lui valoir quelques ennuis ; mais après tout je me trompais peut-être, tant d'intellectuels au cours du XXe siècle avaient soutenu Staline, Mao ou Pol Pot sans que cela ne leur soit jamais vraiment reproché ; l'intellectuel en France n'avait pas à être responsable, ce n'était pas dans sa nature. »

La femme est particulièrement peu épargnée, cependant :
« Aucune femme n'avait été conviée, et le maintien d'une vie sociale acceptable en l'absence de femmes – et sans le support du foot, qui aurait été inapproprié dans ce contexte malgré tout universitaire – était une gageure bien difficile à tenir. »

Houellebecq donne une raison "scientifique" un peu biscornue au succès de l’islamisme : la prégnance de la polygamie (réservée aux dominants) du point de vue de la sélection naturelle !
« C'est à peine s'il revenait sur le cas des civilisations occidentales, tant elles lui paraissaient à l'évidence condamnées (autant l'individualisme libéral devait triompher tant qu'il se contentait de dissoudre ces structures intermédiaires qu'étaient les patries, les corporations et les castes, autant, lorsqu'il s'attaquait à cette structure ultime qu'était la famille, et donc à la démographie, il signait son échec final ; alors venait, logiquement, le temps de l'Islam). »

D’un point de vue religieux et historique, il en appelle (facilement) à Nietzsche pour discréditer la démocratie :
« L'idée de la divinité du Christ, reprenait Rediger, était l'erreur fondamentale conduisant inéluctablement à l'humanisme et aux "droits de l'homme". »

Quant au titre :
« "C'est la soumission" dit doucement Rediger. "L'idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. C'est une idée que j'hésiterais à exposer devant mes coreligionnaires, qu'ils jugeraient peut-être blasphématoire, mais il y a pour moi un rapport entre l'absolue soumission de la femme à l'homme, telle que la décrit Histoire d'O, et la soumission de l'homme à Dieu, telle que l'envisage l'islam." »

Ce fut pour moi une lecture fort agréable (et pas trop longue), effectivement impossible à prendre au premier degré.
Et il m’en restera quelques phrases, comme celle-ci :
« Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d'imaginer le point de vue de ceux qui, n'ayant jamais rien eu à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière. »



mots-clés : #contemporain #identite #medias #politique #religion #romananticipation #sexualité #social
par Tristram
le Lun 30 Avr - 20:12
 
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Sujet: Michel Houellebecq
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Omar El Akkad

American war

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Images48

On est dans le Sud, tout au long de  la deuxième Guerre de Sécession  américaine (2074-2093). La montée des eaux et le dérèglement climatique ont déplacé des populations entières. Le Sud refuse la loi des nordistes qui interdit l'énergie fossile. Ses habitants subissent les ravages de cette guerre (guerre bactériologique, drônes...), et soutiennent les valeurs des combattants rebelles. Le père de Sarat meurt dans un attentat, sa famille est déplacée dans un camp de réfugiés où, devenue adolescente,  elle est approchée par des recruteurs, en collaboration avec les service secrets de l'Empire Bouazizi (qui regroupe tous les  anciens pays du Moyen Orient). On l'incarcère et la torture des années dans une île qui ressemble fort à Guantánamo, dont elle ressort détruite, définitivement transformée en un être de haine et de vengeance.

On accompagne tout au long du livre Sarat, cette petite fille qui, enfant, était heureuse et qui se transforme en quelques années en un monstre génocidaire.  C'est un beau (quoique terrible) portrait de femme, qu'on découvre, assez horrifié de cette nouvelle démonstration du fait que la violence n’entraîne que souffrance et violence.

Assez jouissive est cette image des Etats-Unis dévastés, pays qui n'a plus les manettes, livré à l'aide humanitaire internationale, subissant toutes les exactions qu'elle a imposé jusque-là aux autres sur la planète . Il y a des longueurs , certes, mais la guerre est longue; et le scénario se  déroule implacable, rendu totalement crédible par des personnages qui nous ressemblent, pris dans le monde que nous leur préparons.  Ce livre est terriblement angoissant, il montre dans un récit habile tout ce que nous redoutons, et même un peu plus. Plus moyen de croire que nous l'éviterons.


mots-clés :
mots-clés : #ecologie #guerre #romananticipation #terrorisme #violence
par topocl
le Lun 27 Nov - 21:23
 
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David Foster Wallace

L'infinie comédie

Tag romananticipation sur Des Choses à lire 515lw110

on sent que c'est génial. Il m'a fallu cette deuxième lecture pour mieux l'appréhender. C'est génial mais on ne sait pas si on adore ou si on est mitigés.
Il y a tant de styles, tant de récits, tant de personnages, tant de trames que l'on en deviendrait presque fous à garder chaque détail en tête.
La critique sociale de l'abêtissement généralisé, nous y sommes et nous le vivons, la victoire des médias, la victoire d'un système, le combat pour résister à l'inertie sont des choses, des contextes que nous appréhendons aisément. Le trouble qui s'en dégage, l'angoisse qui s'en généralise nous la ressentons également.
L'auteur semble se délester de son sac de pierres afin de nous le transmettre. C'est bien lourd, c'est ardent, c'est acerbe et mélancolique. C'est splendide.
Je ne peux en dire plus c'est un livre délicat à décrire. Si vous n'avez pas peur de cette richesse et de cette épaisseur lisez le, n'hésitez pas.


mots-clés : #romananticipation
par Hanta
le Ven 22 Sep - 20:35
 
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Sujet: David Foster Wallace
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Jean Hegland

Dans la forêt

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Images47

Il s'agit d'un roman post-apocalyptique, qui montre, dans une  belle confiance en l'homme (ou plutôt la femme, ici) comment celui-ci peut s'affranchir de la consommation, et en quoi la nature peut bercer une renaissance.

Eva et Nell, les deux sœurs sortant de l'adolescence, ont été  élevées en pleine foret par des parents rejetant les dogmes établis. Peu à peu, parce qu'une guerre (dont on ne saura rien) sévit au loin, le pétrole n'arrive plus, l'électricité est coupée, les vivres viennent à manquer et les maladies s'abattent sur la ville lointaine. Le monde devient hostile et comme leurs parents sont décédés, cela va faire beaucoup deuils à dépasser, une façon pour le moins brutale de passer à l'âge adulte.

Un côté un peu culcul ("qui veut peut", "ce qui ne te tue pas te rend plus fort", avec l'amour on peut tout...) ainsi que les inévitables péripéties plus ou moins attendues, peuvent par moment lasser. La douceur des notations psychologiques et la poésie de cet ode à la nature, posées par Nell dans un journal intime, nourrissent cependant un attachement à ce roman d'utopie douce entremêlant nature-writing, références aux ancêtres indiens et message politique. Cette ambivalence est finalement balayée par la fin (qu'on redoutait plus gnangnan), scène d'anthologie qui illumine le livre et le propos dans une explosion brillante et poétique.


mots-clés : #nature #romananticipation
par topocl
le Mar 29 Aoû - 10:05
 
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Gérard Delteil

Nouvelle récup mi-SF mi-polar :

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Balles de charité

Même qualités que Riot gun. On profite cette fois encore d'un type moyen genre cadre moyen, peut-être encore plus moyen que celui de Riot gun avec pas forcément beaucoup de scrupules et besoin d'avoir son chèque à la fin du mois.

Surtout que dans un futur proche si on n'a pas de sous on se retrouve déclassé et parqué dans des ghettos. Notre bonhomme travaille pour la Compagnie du Christ une grosse entreprise d'humanitaire parmi d'autres qui se livrent à une lutte sans merci pour avoir le plus gros des marchés. Vous voyez le genre ? Vous pouvez ajouter quelques boites plus conventionnelles comme des grosses boites d'industrie électronique qui détiendrait des quartiers ou villes entières sur un fond de magouilles bien rustiques.

Très efficace dans le déroulement de l'action et dans l'exposition de ce panorama SF franchouillard de région parisienne, solidement noir et grinçant mais certainement plus désabusé que cynique. Tout se passe encore une fois sans que soit jouée la carte des excès techniques ou des prouesses de gros bras ou de gros cerveaux.

Un portrait d'une société à plusieurs vitesses avec sa dose de centre commerciaux et de clinquant creux atroce mordant et réussi, un excellent moment de lecture dans son genre, j'en redemande !

Et savoir qu'on doit bien avoir quelques autres titres à lire pour peu qu'on pense à mettre la main dessus ça fait du bien.


mots-clés : #polar #romananticipation
par animal
le Mer 12 Avr - 21:33
 
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Blandine Le Callet

La Ballade de Lila K

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Tylych47

La ballade de Lila K, c’est d’abord une voix : celle d’une jeune femme sensible et caustique, fragile et volontaire, qui raconte son histoire depuis le jour où des hommes en noir l’ont brutalement arrachée à sa mère, et conduite dans un Centre, mi-pensionnat mi-prison, où on l’a prise en charge.
Surdouée, asociale, polytraumatisée, Lila a tout oublié de sa vie antérieure. Elle n’a qu’une obsession : retrouver sa mère, et sa mémoire perdue.
Commence alors pour elle un chaotique apprentissage, au sein d’un univers étrangement décalé, où la sécurité semble désormais totalement assurée, mais où les livres n’ont plus droit de cité.


Société futuriste, 2100, tout s’articule autour du ministère dans l’intra-muros qu’est devenu Paris.
En dehors, la zone, ceux qui ne respectent pas les nouvelles règles de ce monde.
Au milieu d’un futur ultra fliqué, Lila K , enfant surdouée , réapprend la vie ,  lutte contre la tumulte extérieure et vomit lorsqu’on la touche.
Informations faussées sur grammabook , livres interdits , caméra à domicile , dispositifs sécuritaires pour toute action de la vie quotidienne , liberté altérée.
Au-delà d’une histoire, celle de Lila K , relatant sévices et troubles psychologiques , c’est tout un système qui est dénoncé , celui vers lequel peut-être nous nous précipitons , protocolaire  et dénué d’humanité.
La liberté ne se situe-t-elle pas dans cette zone, celle qui est tant pointée du doigt, celle dans laquelle les livres subsistent et où les résistants complotent contre les instructions…
Désormais, à chacun de choisir son camp, la prison dorée d’intra-muros ou la lutte essentielle  contre un mal  qui ne comprend plus  son prochain.
La ballade de Lila K , c’est peut-être demain.

« Souviens-toi ,la vérité sort des livres … »



mots-clés : #romananticipation
par Ouliposuccion
le Lun 13 Mar - 18:08
 
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Hermann Hesse

Tag romananticipation sur Des Choses à lire 97822510

Le Jeu des Perles de Verre

Sous forme d’essai biographique, c’est un récit d’anticipation qui débute par une savoureuse description critique de l’époque des "articles de variétés", c'est-à-dire, le manuscrit ayant été rédigé du début des années 30 à 1942, de l’entre-deux guerres et de ce qu’il imaginait de la nôtre :

« De temps à autre on se plaisait particulièrement à interroger des personnalités connues sur des questions à l’ordre du jour ; Coldebique consacre un chapitre spécial à ces entretiens, au cours desquels on faisait, par exemple, exprimer à des chimistes réputés ou à des pianistes virtuoses leur opinion sur la politique, tandis que des acteurs en vogue, des danseurs, des gymnastes, des aviateurs ou même des poètes devaient dire ce qu’ils pensaient des avantages et des inconvénients du célibat, leur sentiment sur les causes présumées des crises financières, etc. La seule chose qui importât, c’était d’associer un nom connu à un sujet qui se trouvait être d’actualité. »
« Ils vivaient au contraire une vie d’angoisses, au milieu de la fermentation des séismes de la politique, de l’économie et de la morale ; ils ont fait force guerres atroces et force guerres civiles ; leurs petits jeux culturels n’étaient pas tout bonnement un enfantillage gracieux et dépourvu de sens, ils répondaient à un besoin profond de fermer les yeux, de se dérober aux problèmes non résolus et à un pressentiment angoissant de décadence, pour fuir dans un monde irréel, aussi inoffensif que possible. »
« Le Jeu des Perles de Verre » (pp. 72-73)


Puis viennent La vocation, Celle-les-Bois, et Les années d’études, qui nous retracent la formation du héros, Joseph Valet, dans la goethéenne (et lourdement élitiste, engoncée dans le rituel, sous l’égide des Maîtres à penser) « province pédagogique » à Castalie : écoles à l’écart du siècle, qui mènent à L’Ordre (surtout musique et méditation).

« …] ce non-sens gros de sens d’une course en rond de l’élève et du Maître, cette cour faite par la sagesse à la jeunesse, par la jeunesse à la sagesse [… »
« Magister Ludi » (p. 306)


Amitiés, avec des condisciples comme Tegularius (très doué et indiscipliné ‒ inadapté ; identifiable à Nietzsche), et avec le bienveillant Maître de la Musique, en voie de transfiguration sereine. Etude de la langue chinoise, et références au confucianisme (servir le groupe avec humilité est une charge, un lien antagoniste avec l’arrivisme ou ses autres désirs et impulsions personnels). Bref séjour chez le Frère Aîné dans le Bois des Bambous : Yi‒King (le Livre des Métamorphoses, ou traité des mutations) et tirage d’oracles, Tchéuang-Tsi (ou Tschuang Tsé ; il doit s’agir de Tchouang-Tseu).
Toujours dans la défiance vis-à-vis du pouvoir en général et le doute sur le sens final (de l’esthétique en particulier), qui apparaissent en filigrane tout au long de ce bildungsroman, l’élève cherche la voie de l’éveil, hésitant entre action et contemplation, prenant conscience de sa prédisposition et/ou destinée de chef.

Les deux ordres, puis La mission : Joseph Valet est envoyé en représentation dans le monastère bénédictin de Mariafels (soit Rome, le premier ordre puisque religieux, et garant de la civilisation beaucoup plus ancien et expérimenté). Après deux ans de présence, sa mission de diplomate se précise, en vue d’un rapprochement des deux ordres. Il traite amicalement avec le père Jacobus, vieil érudit et remarquable politique, qui lui apprend l’histoire (dont la notion à Castalie est déconnectée de la réalité).

Magister Ludi, puis En fonctions : il devient le nouveau Maître du Jeu ‒ administrateur, défendeur, représentant de Castalie au Vicus lusorum ‒, l’instrument pour dompter la « classe supérieure » que l’ambition obnubile, lui enseigner et l’éduquer, bien qu’ayant tendance à s’occuper des plus jeunes.

Les deux pôles : alors qu’il s’est docilement soumis aux obligations et devoirs de sa charge, il continue son évolution en assumant sa dualité, partagé entre dévotion à la perfection et conscience de la faillibilité de cette Province hiératique, trop distante du (reste du) monde (ce qu’on pourrait appeler « le temps », puisqu’il a pleine conscience de sa précarité).

Une conversation : son ami et rival Plinio Designori, qui fut au temps de leurs études l’enthousiaste avocat du pays extérieur, (celui auquel il appartient, n’étant qu’un auditeur provisoire à Castalie, dont Valet était promu le représentant), revient souffrant et désenchanté par la vulgarité du siècle, entièrement voué au lucre, et juge puérile, artificielle, stérile, châtrée, lâche et parasite, la sérénité de l’Ordre.

Préparatifs : calcul ou naïveté, Valet réintègre le maussade Plinio à Castalie traditionnaliste et conformiste, dont il se prépare à s’évader vers le monde sans sens ni valeur, pour y devenir le précepteur de Tito, fils de Plinio.

La circulaire : Valet expose ses motivations au Directoire : dénonçant la suffisance inconséquente d’un Ordre qui, né des efforts des intellectuels ayant survécu à l’ère de violence des guerres mondiales, est apparu et disparaitra dans l’histoire, il annonce son déclin dans une époque critique.

« L’histoire sociale a toujours pour ressort de l’essai de constituer une aristocratie. […] Le pouvoir, qu’il soit monarchique ou anonyme, s’est toujours montré disposé à favoriser une noblesse naissante par sa protection et par des privilèges, qu’il s’agisse d’une noblesse politique ou d’une autre nature, d’une noblesse de la naissance ou de la sélection et de l’éducation. »
« La circulaire » (p. 457)


Son message (celui de l’auteur) est de sacrifier le Jeu pour perpétuer l’enseignement de la valeur fondamentale, la recherche sans concession de la vérité et la sauvegarde de l’esprit ; il demande en conséquence de devenir maître d’école dans le monde extérieur (et obtient une fin de non-recevoir).

« …] notre fonction première et essentielle, celle qui qui nous rend nécessaires au peuple et fait qu’il nous entretient, consiste à garder pures les sources du savoir. […]
Quand, dans les conflits des intérêts et des mots d’ordre, la vérité est en danger d’être dévaluée, défigurée et violentée comme l’individu, la langue, les arts, comme toute création organique et le fruit de toute haute culture, alors notre unique devoir est de résister et de sauver la vérité, je veux dire sa recherche, comme article suprême de notre foi. »
« La circulaire » (pp. 470-471)


La légende : Valet va essayer d’expliquer sa montée d’un degré d’éveil, chemin qu’il accepte docilement, au Président qui y voit une nouveauté effrayante dans l’Ordre. Dans sa faim de se frotter à la réalité dans l’action, il rejoint son nouvel élève, et se noie.

Ecrits posthumes de Joseph Valet : Les poèmes de l’écolier et de l’étudiant, puis Les trois biographies :

Le faiseur de pluie : il y a bien longtemps, au temps du matriarcat, Valet devient l’apprenti du faiseur de pluie, qui lui transmet son expérience : quand la peur des dangers du monde devient respect et spiritualité. Lui-même, simple chaînon, forme un élève pour servir, et se donne en holocauste pour conjurer une malédiction.

Le confesseur : Josephus Famulus est un ermite au désert qui se découvre le don d’écoute, doux et ne jugeant jamais ; las de cette mission, il déserte, et se confesse à Dion Pugil, un autre pénitent, terrible confesseur qui le ramène à sa vocation et en fait son successeur, lui avouant que lui aussi, doutant de sa propre utilité, avait fui pour aller se confesser… à Josephus.

Biographie indienne : Dasa, tout jeune prince écarté de la succession de son père par sa marâtre, est devenu berger et rencontre un saint yoghin dans la forêt ; il devient paysan par amour, jusqu’à ce que son usurpateur lui prenne sa femme, et qu’il le tue ; il erre jusqu’à retrouver l’ermite et se mettre à son service ; comme le souvenir de sa femme le tourmente toujours, il retourne dans la maya, retrouve son trône, son épouse qui lui donne un fils, jouit des jardins et des livres, mais aussi des soucis et de la fatalité de la guerre, de la perte ; il n’a fait que rêver son cycle de vie dans la roue impitoyable, et se rend au service du yoghin.



mots-clés : #initiatique #romananticipation
par Tristram
le Lun 2 Jan - 23:26
 
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Sujet: Hermann Hesse
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Michel Houellebecq

Soumission

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Image247

Je ne sais pas si je suis vraiment à même de « juger » ce roman, car je n'ai jamais lu Huysmans, ni Nietzsche, je n'ai même jamais entendu parler de Guénon. Je n'y connais pas grand-chose en politique, ni intérieure ni internationale, je vois juste que je suis dans un monde qui se délite pour lequel je n'ai pas de projection, ni de solutions. Enfin, je ne connais pas l’œuvre de Houellebecq, et en outre, je ne suis pas très bonne pour décrypter les symboles, les sens cachés, les choses qui s'adressent à l'inconscient. J'en ai donc fait une lecture très « grand public ». Avec Hoellebecq, je dirai :

Tout cela était très agréable à lire ; en même temps, (...) la démonstration me paraissait fausse ; mais enfin ça me changeait de mes problèmes de plomberie


Comme roman, Soumission, c'est l'histoire d'un type pas intéressant.
Un prof d'université médiocre, François,dont les deux seuls centres d'intérêt sont Huysmans et le sexe. Lui-même trouve sa vie minable, mais pas suffisamment pour se suicider. La politique, qui ne l'intéresse pas, va le rattraper et mettre un peu de sel dans tout cela,. Mais beaucoup plus parce que cela chamboule ses petites habitudes universitaires que parce que cela  bafoue la dignité, ou méprise les droits de l'homme, accessoirement de la femme.
Cet homme, tout comme notre monde occidental, cherche désespérément une « renaissance ». Il va la trouver , et décréter comme phrase ultime « je n'aurais rien à regretter » face a cette soumission, cette compromission minable qui lui ouvre une compensation soi-disant salvatrice. Au lecteur de se faire son opinion.

Comme vision et analyse du monde.
D'abord tout ce qui montre que notre monde  va vers la vacuité, est prêt à toutes les compromissions, que les politiques ne sont pas des gens très intéressants, ceci n'est pas très nouveau, mais c'est plutôt bien raconté .
Mais l'aspect de politique-fiction, je l'ai trouvé assez limité,  Houellebecq a manqué d’approfondissement et d'inventivité. D'ambiiton, peut-être . On est finalement plus dans l'étude de meurs, Houellebecq s'intéresse plus aux petitesses diverses et aux « conversations courtoises entre gens instruits », voire érudits, qu'au destin du monde.
On dira facilement que c'est outré, qu'il est inimaginable qu'une chose pareille se passe en 2022, je ne suis pas loin de partager cette idée, mais c'est un roman et donc pourquoi pas. J'ai d'ailleurs trouvé la fin surjouée, la provocation houellebecquienne glissant vers la galéjade, et que cela enlevait un peu de force à son propos.
En tout cas, cela a le mérite de rappeler que ce qui est fondamentalement antidémocratique, c'est installer et entretenir une société de misère et  de découragement, que cela ouvre la porte à toutes les  « solutions miracles », à toutes les intransigeances, et surtout à accepter l'inacceptable, l'histoire l'a déjà démontré et il serait naïf de croire que cela n'est que du passé .

Comme écrivain, je trouve que Houellebecq  mène bien son intrigue,qu'il écrit plutôt bien, en ce sens que c'est très vif, dynamique, coulant, souvent brillant. Il  a un sens certain de la formule, et échappe, le plus souvent (mais pas toujours,il faut le nuancer quand même),à l'aphorisme généralisateur clinquant, pour le plaisir de faire bon mot. Il y a parfois aussi des parties assez douces, sur la littérature, en particulier, ou celle-ci 

Je me promenai pendant un quart d'heure sous les arcades de poutrelles métalliques, un peu surpris par ma propre nostalgie, sans cesser d'être conscient que l'environnement était vraiment très moche, ces bâtiments hideux avaient été construits durant la pire période du modernisme, mais la nostalgie n'a rien d'un sentiment esthétique, elle n'est pas liée non plus au souvenir d'un bonheur, on est nostalgique d'un endroit simplement parce qu'on y a vécu, bien ou mal peu importe, le passé est toujours beau, le futur aussi d'ailleurs, il n'y a que le présent qui fasse mal, qu'on transporte avec soi comme un abcès de souffrance qui vous accompagne entre deux infinis de bonheur paisible.



Je me serais par contre passée de phrases du genre : »enfin tout ça était complètement à chier » ou « une période supercool de ma vie » , mais je suis vieux jeu.
Je me serais aussi passée du traînage-dans-la boue frisant l'insulte de François Bayrou, qui est loin d'être mon idole, mais ne mérite pas (pas plus que d'autres en tout cas) le numéro d'humoriste radiophonique revanchard à grandes dents que Houellebecq lui a concocté.
Je me serais passé aussi des scènes de sexe, le sexe m'ennuie toujours dans les livres, mais elles ne sont finalement pas si nombreuses que ça, et si je ne veux pas de sexe, j'ai qu'à ne pas lire Houellebecq. Les scènes de spéculation intellectuelle sur certains littérateurs et en particulier sur Huysmans m'ont aussi parfois un peu ennuyées, mais là, je crois, c'est que je ne suis pas à la hauteur, et par ailleurs elles se justifient : Huysmans est décrit lui aussi comme un homme  assez terne qui  a connu une conversion, et c'est une thématique qui sous-tend tout le livre.

Et alors, Houellebecq et l'islam ?

Eh bien,  je dois dire que comme à Houellebecq, un pouvoir islamique, même « ouvert » me ferait peur. L'islam, en tant que système politique, ça n'a nulle part été la panacée. Mais que Houellebecq parle surtout de convertis à l'islam, et ce pour des motifs pas toujours très honorable, ayant éventuellement fréquenté  antérieurement des milieux identitaires, et je trouve que cela fausse un peu les cartes, et je comprends que des musulmans puissent être gênés , voire choqués par ce genre de raccourcis.


Ensuite, Houellebecq et les femmes .
C'est sûr qu'on se sent un peu viande fraîche en lisant ce livre, pas si fraîche pas  que ça,car j'ai peur que les années fassent de moi quelqu'un de pas très intéressant pour Houellebecq. Mais je crois que de toute façon , dans la vraie vie, on est encore plus viande fraîche que ça et que tout ce qu'on peut imaginer, alors... on va juste dire que Houellebecq est un peu plus honnête les autres. Je remarque juste que François regarde d'abord de haut  la polygamie et les secondes et troisièmes épouses de 15 ans puis qu'il se laisse tenter, d'ailleurs ce n'est ni mieux ni pire que ses escorts habituelles de looser.
Quant à la mère de François, elle a une présence extrêmement fugitive et tellement peu approfondie qu'on se demande bien ce qu'elle fait par là.



Ce que ce livre montre, c'est que Houellebecq est un type intelligent, cultivé,plein d'humour et de pas mal de défauts, qui a une vision à lui de l'évolution de nos sociétés et la raconte plutôt bien.
Génial, sans doute pas. Mais talentueux certainement.

(commentaire récupéré)


mots-clés : #romananticipation
par topocl
le Ven 30 Déc - 10:12
 
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Sujet: Michel Houellebecq
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Nick Harkaway

Tag romananticipation sur Des Choses à lire Gonzo11 Gonzo Lubitsch ou l'incroyable odyssée

Ce roman d'anticipation paraitra à certains un pur bavardage, une logorrhée inepte, un ovni littéraire sans saveur, délirant, ingrat, trop lourd, trop gros, trop long.

C'est ce que j'ai failli penser en commençant cette lecture de longue (très longue) haleine. 670 pages qui racontent la vie de l'autre, l'autre, c'est le double de Gonzo, son presque frère jumeau, en tout cas un petit bonhomme qui va suivre, quasiment pas à pas, la carrière de son égo. Et quelle carrière…

Tout commence par le milieu. Oui. Nous sommes dans un bar, les gens s'amusent et soudain l'électricité s'éteint, on apprend que la ligne Jorgmund est en feu. Ce qui est tout bonnement techniquement impossible. C'est insoutenable !

On enchaine avec l'enfance de Gonzo et de notre narrateur, ombre dans l'ombre, petit être intelligent, légèrement inférieur en tout à son modèle à moins qu'il ne lui soit un chouya supérieur. Après quelques cours de kung-fu, un délire sur les combattants ninjas, un respectable maître Wu, des amours adolescentes puis estudiantines assez convenues ; notre héros fait sa révolution au nom d'un petit pays inconnu de nos radars l' Addeh-Katir. Cela lui vaudra un passage à tabac, la peur de la chaise électrique et finalement le rabattage vers les forces spéciales… et l'envoi en Addeh-Katir. Là, un savant fou va expérimenter une bombe spéciale (qui au final s'avèrera connue et utilisée par le monde entier). Cette bombe utilise une substance, La Substance qui désinforme l'information (parce que ne croyez pas que nous sommes seulement dans un livre d'arts martiaux et de belles pépés infirmières et bien roulées), non, nous sommes aussi dans un roman d'anticipation avec de vraies réflexions politiques et géostratégiques. Donc. La Substance efface les informations ou les déforme. C'est-à-dire qu'une ville entière peut simplement disparaître de la carte et du territoire (ce n'est pas la même chose) ou ses membres peuvent se transformer en chimères (du moins en ce à quoi ils sont en train de penser, rêver, réfléchir au moment de l'attaque). C'est assez effrayant. C'est même parfois particulièrement hostile. Bombe à Effacer puis Réification.

Heureusement Gonzo, notre narrateur, son infirmière et leurs amis font partie des forces spéciales et se regroupent pour imaginer un monde meilleur à construire sur les ruines de l'ancien. Cela donne lieu à quelques passes d'armes mémorables avec (au choix) des monstres ou d'affreux humains mercantiles. Et là on se retrouve au début : la Frontière flambe et il faut envoyer nos courageux soldats pour combattre le feu.

Si Nick Harkaway ne manque pas d'imagination, si parfois le lecteur peut craindre ses sauts du coq à l'âne, sa manière irrationnelle de traiter une histoire, de relater une aventure, il n'en reste pas moins qu'au bout d'un certain temps on se retrouve un peu piégé par l'univers tout feu tout flamme (voire foutraque) de notre narrateur et qu'on finit par s'attacher à cet étrange bloc de muscles et de neurones, parfumé à la testostérone et caparaçonné de matière grise. Le tour de force est finalement de parvenir à nous intéresser à une histoire qui part dans tous les sens, qui peut sembler un brin légère, voire scabreuse et qui finalement fascine. Les deux cents dernières pages, brillantes, héroïques, je dirais même ninjas sont absolument remarquables.

"Plus que tout, j'ai voulu que ce livre soit drôle, dit Harkaway, plus drôle que votre vie de tous les jours". Pari réussi pour un auteur qui n'a pas à rougir de son œuvre naissante.


Au final, un truc bizarre, qui ne ressemble à rien de connu, mais qui m'a plu. Uh uh.


mots-clés : #romananticipation
par shanidar
le Mer 7 Déc - 10:14
 
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Sujet: Nick Harkaway
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