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188 résultats trouvés pour humour
Gilbert-Keith Chesterton
Le Poète et les fous
Titre original: The Poet and The Lunatics. Huit nouvelles, parues en 1929, qui peuvent être lues ici en langue originale. 255 pages environ.
Il s'agit d'un énième personnage de détective chestertonnien, nommé cette fois-ci Gabriel Gale, grand jeune homme blond, peintre et poète. Il n'y a pas vraiment de nouveaux codes, toujours le parti-pris de l'apparente irréalité, de l'intuition prenant le pas sur la méthode, le scientifique. On trouve un peu moins de burlesque, un peu moins de ce fameux humour britannique dont il est un champion (ou est-ce moi qui est passé au travers ?).
On relève une jolie petite délicatesse dans le procédé littéraire, consistant à donner la chute de la première nouvelle...dans la dernière !
Ici, notre Gilbert-Keith raisonne ainsi:
Les fous, les aliénés, Lunatics en anglais, pour comprendre leurs actes lorsque ceux-ci apparaissent hors-normes ou inouïs au commun des mortels, il faut soit l'être un peu soi-même, soit emprunter des voies imaginatives quasi jamais fréquentées.
D'où le façonnage d'un type de héros comme Gabriel Gale, encore une variation de Chesterton sur le thème du détective qui n'en est pas (et ne paye pas de mine) mais parvient in fine à résoudre.
On retrouve aussi ces bonnes vieilles déclinaisons de l'auteur sur des thèmes qu'il court si volontiers, le déguisement, l'amitié, les auberges ("pubs"), l'apparence trompeuse, le détail, et ces constructions littéraires si fluides, si adaptées au format nouvelles, qui embarquent bien le lecteur, vraiment sans coup férir.
Le goût de la marge, les comptes réglés avec la pensée scientiste, ça et là (mais plus parcimonieusement ici) la formule qui fait que Chesterton reste à jamais cette mine à citations à ciel ouvert - même si là on est dans une veine moins abondante.
Un peu moins prophétique qu'il ne fut peut-être (voir L'auberge Volante, La sphère et la croix, Le Napoléon de Notting Hill...), même si, dans ce domaine-là aussi, il y a un ou deux joyaux à glaner...
Autre goût, celui de la couleur, le sens du pictural (dans son autobio, L'homme à la clef d'or, il s'en explique, disant que depuis le temps des boîtes à jouer il avait toujours conservé l'émotion d'échafauder des décors peints).
Un exemple de ce côté pictural et coloriste, et de l'embarquement garanti du lecteur, cet extrait proche de l'entame de la 2ème nouvelle:
L'oiseau jaune a écrit:C'était comme s'ils avaient atteint un bout du monde paisible; ce coin de terre semblait avoir sur eux un effet bizarre, différent selon chacune de leurs personnalités, mais agissant sur eux tous comme quelque chose de saisissant et de vaguement définitif.
Et cependant il était d'une qualité aussi indéfinissable qu'unique; il n'était en rien sensiblement différent d'une vingtaine d'autres vallées boisées de ces comtés occidentaux en bordure du Pays de Galles.
Des pentes vertes plongeaient dans une pente de forêts sombres qui par comparaison paraissaient noires mais dont les fûts gris se reflétaient dans un méandre de la rivière comme une longue colonnade sinueuse. À quelques pas de là, d'un côté de la rivière, la forêt cédait la place à de vieux jardins et vergers, au milieu desquels se dressait une maison haute, en briques d'un brun intense, avec des volets bleus, des plantes grimpantes plutôt négligées s'accrochant aux murs, davantage à la manière de la mousse sur une pierre que de fleurs dans un parterre.
Le toit était plat, avec une cheminée presque en son milieu, d'où un mince filet de fumée s'étirait dans le ciel, seul signe de ce que la maison n'était pas complètement abandonnée.
Des cinq hommes qui, du haut de la colline, regardaient le paysage, un seul avait une raison particulière de le regarder.
Enfin, le quichottisme de Gabriel Gale n'est pas sans rappeler bien d'autres héros -ou caractères principaux- de la prose du gentleman de Beaconsfield (je vous épargne la liste maison !).
Bref, on peut juger que ce n'est peut-être pas un Chesterton majeur, mais...qu'est-ce qu'il se dévore bien, tout de même !
Mots-clés : #absurde #criminalite #humour #nouvelle #satirique #xxesiecle
- le Mar 26 Mai - 19:47
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- Sujet: Gilbert-Keith Chesterton
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Tahar Ben Jelloun
L'insomnieTanger : le narrateur, un scénariste, est insomniaque et découvre qu’il ne trouve le sommeil qu’après avoir tué quelqu’un ‒ remède qui ne dure qu’un temps, et donc à renouveler régulièrement. En fait, pris dans un engrenage, il force la main aux personnes promises à une mort proche.
« Je n’étais pas un tueur, mais un "hâteur" de mort. »
« ‒ Non, pas le tuer, mais juste avancer la date de sa mort… »
L’efficacité du procédé dépend de la "valeur" des personnes qu’il aide « en fin de vie à partir en paix » :
« Les points crédits sommeil ‒ c’est ainsi que je les appelais désormais ‒ que je venais de gagner étaient dix fois plus importants que ceux que m’avait fait gagner son frère qui, du fait de sa pauvreté, ne pesaient pas lourd dans la balance de ma bourse imaginaire. »
Cette histoire, assez rocambolesque (et qui m’a rappelé Vila-Matas, peut-être aussi par contamination de ma récente lecture), est occasion sinon prétexte à rendre compte avec un esprit fort critique de la société marocaine, empreinte des « mauvais souvenirs des années de plomb », d’autoritarisme, de corruption, d’hypocrisie, de prostitution, de sorcellerie, et de la religion musulmane.
« Elle a fait le pèlerinage cinq fois et pense que mourir sur les lieux saints de l’islam est une chance inespérée. J’aurais pu lui offrir le voyage pour qu’elle se laisse piétiner par des brutes et meure sur place. Mais je n’étais pas assez croyant pour tenter le coup. »
« Je ne jeûne pas durant le mois de Ramadan. Il m’arrive de boire un verre de bordeaux ou une coupe de champagne. Je n’exagère jamais. »
« J’ai réussi cependant à lui interdire d’insulter en ma présence les juifs et les Noirs. Il se retenait et je voyais que ça le démangeait et qu’il faisait beaucoup d’efforts. »
« Comme tous les grands voyous, il devait avoir une assurance européenne qui lui permettrait d’être évacué par avion sanitaire et d’être sauvé dans un hôpital parisien. »
Le narrateur est divorcé, toujours en contact et en mauvais termes avec sa mégère d’épouse, à la base de son problème d’insomnie.
« "C’est qu’elle t’aime toujours !" Comment pouvaient-ils confondre l’amour et cette volonté de nuire ? Comment penser qu’aimer c’est harceler, poursuivre de sa hargne une personne qui a été proche ? »
Belle étude clinique de l’insomnie :
« Nuits blanches, nuits sèches, sans rêves, sans cauchemars, sans aventures. Nuits tristes. Nuits étroites, étriquées, réduites à quelque souffrance. Nuits inutiles, sans intérêt, sans saveur. Nuits à oublier, à jeter dans la poubelle. Nuits traîtresses. Nuits sans vergogne. Nuits de bandits, de truands, de salauds. Nuits sales, perverses, cruelles, hideuses. Nuits indignes du jour, du soleil, de la lumière et de la beauté du monde. »
« Je ne sais plus depuis combien de nuits je suis privé de sommeil. Je ne dors plus. Impossible de fermer l’œil, même un instant. La nuit devient blanche et creuse. Son vide me torture et me met dans tous mes états. Dès que le soir approche, je ne suis plus le même. Je me surprends à mendier à voix haute : "S’il vous plaît… un petit peu de sommeil… un petit peu de cette douce et agréable absence… Une simple échappée, une brève escapade, un pique-nique avec les étoiles dans le noir absolu me suffiraient…" Mais rien. »
« Quelqu’un chuchote dans l’oreille : le sommeil est un animal de compagnie, il faut en prendre soin, sinon il te quitte et tu auras le plus grand mal à le faire revenir, un animal doux et tendre, capricieux, parfois compliqué, plus important qu’un chien ou un chat, c’est le prince de la compagnie, s’il t’abandonne tu connaîtras une douleur étrange… »
Évidemment, « aider des vieilles personnes à s’en aller dans le calme et la dignité » évoque l’euthanasie, et ce livre peut aussi contenir une réflexion sociétale, ou même une fable ‒ à moins qu’il ne s’agisse que des fictions ou fantasmes du cinéaste, voire de ses rêves !
Dans un genre totalement différent que celui des autres livres de Tahar Ben Jelloun (au moins ceux que j’ai lu), celui-ci est finement humoristique, quoique grinçant.
Mots-clés : #humour #satirique #thriller
- le Lun 4 Mai - 0:25
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- Sujet: Tahar Ben Jelloun
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Kurt Vonnegut, jr
Les Sirènes de TitanMalachi Constant, d’Hollywood, est devenu l'homme le plus riche de l'Amérique du XXIIe siècle grâce à sa chance : en spéculant à partir de séquences tirées de la Bible. On apprend à cette occasion comment mettre en place une organisation bureaucratique propre à enfumer le Bureau des Contributions Directes…
Il rencontre le mystérieux Winston Niles Rumfoord, dont le vaisseau spatial a pénétré dans un infundibulum chrono-synclastique, endroit où « toutes les formes de vérité s’adaptent les unes aux autres aussi joliment que les rouages de la montre solaire de votre papa », et où l’on trouve « les multiples façons d’avoir raison ». Je rappelle qu’infundibulum, du latin, fait référence à une structure creuse en forme d'entonnoir, et synclastique à une surface où tous les rayons de courbure en un point quelconque ont leur centre d'un même côté de ladite surface (exemple la sphère), soit « incurvé[e] dans le même sens dans toutes les directions, comme la peau d’une orange ».
Bref, l’espace est « un cauchemar d’incommensurable inintelligibilité ». Je salue dès à présent une traduction qui présente a minima un français de qualité :
« La foule savait qu’elle ne verrait rien mais ses membres trouvaient plaisir à se savoir proches, à regarder ces murs lisses, à imaginer ce qui se passait de l’autre côté. Ce mur ne faisait qu’exalter les mystères d’une matérialisation, comme il l’aurait fait de ceux d’une pendaison ; ils n’étaient qu’écrans sur lesquels se projetaient, alliciantes images d’une lanterne magique, celles de l’imagination morbide de la masse. »
La traduction est d’autant plus méritante qu’elle est rarement soignée dans ce genre littéraire, et que les œuvres de Vonnegut sont manifestement difficiles à rendre, pleines d’allusions, de clins d’œil intraduisibles.
Rumfoord prédit son avenir à Constant, ce qui arrive effectivement : il est enrôlé dans l’Armée de Mars, qui se prépare à envahir la Terre, et pour cela pratique le lavage de cerveau des recrues et l’installation dans celui-ci d’une antenne pour les contrôler.
« Nous pouvons rendre le centre d’une mémoire d’homme virtuellement aussi stérile qu’un scalpel sorti de l’autoclave. Mais les grains d’une nouvelle expérience commencent de s’y accumuler aussitôt. Ces grains, à leur tour, se groupent de façon pas nécessairement favorable à la pensée militaire. Malheureusement, ce problème de la recontamination paraît insoluble. »
« Les avantages d’un système de commandants secrets sautent aux yeux. Toute rébellion au sein de l’Armée de Mars serait inévitablement dirigée contre des irresponsables. Et, en temps de guerre, l’ennemi pourrait exterminer tous les officiers martiens sans déséquilibrer en rien l’Armée de Mars. »
« Le seul succès militaire martien fut la prise d’un marché à la viande, à Bâle, en Suisse, par dix-sept Parachutistes de Marine à Ski. »
Puis entre en scène « Salo [était un] messager de la planète Tralfamadore dans la petite nébuleuse de Magellan » (qu’on retrouvera dans Abattoir 5), machine et ami de Rumfoord, (dont les pieds sont gonflables, ce qui lui permet de flotter, et) dont le vaisseau est propulsé par la « Volonté Universelle De Devenir » (VUDD), l’énergie-même qui est responsable de l'apparition de l'Univers.
Prophète, Rumfoord créera une religion, « l’Eglise de Dieu le Suprême Indifférent » :
« Et je vous le demande… la chance est-elle dans la main de Dieu ? »
Après de multiples péripéties, on découvrira « la théorie de Rumfoord selon laquelle l’homme dans le système solaire n’avait qu’une mission, celle de dépanner un messager de Tralfamadore. »
Côté imagination créatrice, mention spéciale pour les harmoniums de Mercure, des membranes vivant dans les profondeurs spéléologiques de vibrations musicales.
Il y a aussi de la satire, et un regard acéré, comme dans cette percutante définition de l’aristocratie :
« Si Rumfoord accusait les Martiens d’accoupler les gens au même titre que des animaux de ferme, il les accusait d’une chose pratiquée depuis longtemps par sa classe. La force de sa classe dépendait dans une certaine mesure de placements monétaires, mais aussi et surtout, de mariages basés cyniquement sur le sort des enfants susceptibles d’être reproduits.
Leurs desiderata : des enfants sains, charmants, intelligents. »
La société humaine est volontiers caricaturée :
« Il était des femmes auxquelles un sort imbécile avait donné le terrible avantage de la beauté. Elles luttaient contre cette injustice en portant des vêtements informes, en se tenant mal, en mâchant de la gomme, ou en employant des cosmétiques de façon excessive. »
Dans ce roman de science-fiction parodique, et surtout loufoque, voire dickien, Kurt Vonnegut joue avec les notions métaphysiques de hasard, nécessité, signification, message, manipulation, mort, amour. Cocasse et saugrenue, c’est finalement une interrogation sur le sens de l’existence, la guerre, l’existence de Dieu.
« Ce n’était pas tellement ce que les Terriens faisaient que la façon dont ils le faisaient. Ils se démenaient sans cesse comme s’ils croyaient qu’un grand œil fixé dans le Ciel attendît qu’ils le divertissent. »
« ‒ La pire des choses qui pourrait arriver à quelqu’un, dit-elle, serait de ne servir à rien pour personne. »
« ‒ A celui qui a été si loin dans une course de dupe, il ne reste guère d’autre choix que de mettre son point d’honneur à poursuivre sa mission. »
« Il nous a fallu tout ce temps pour comprendre que le but de la vie humaine – peu importe qui la contrôle – est d’aimer ce qu’il y a d’aimable. »
Mots-clés : #humour #sciencefiction
- le Jeu 23 Avr - 0:03
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- Sujet: Kurt Vonnegut, jr
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Romain Gary
La Vie devant soiLe narrateur est Mohammed ‒ « Momo pour faire plus petit » ‒, un garçon qui vit avec d’autres gosses de passage dans le « clandé » (« une pension sans famille pour des mômes qui sont nés de travers ») de Madame Rosa, une Juive rescapée d'Auschwitz et ancienne prostituée (qui donc « se défendait avec son cul »). Arrivé là pour ses trois ans, il est le plus âgé des enfants en attente de leur mère ou d’une adoption, mais a « dix ans » pour longtemps (en fait quatorze), car Madame Rosa, qui affectionne les faux papiers, s’est un peu perdue dans les dates.
« Je n'ai pas été daté. »
C’est un savoureux mélange de mots d’enfant, d’approximation langagière et d’humour vachard, avec des aperçus fulgurants (sur les stigmates des camps de concentration, la justice, la société, le sexe, la vieillesse, la pauvreté, la religion, etc.) et une humanité admirablement suggérée (sentiments paradoxalement pudiques de Momo, Madame Rosa).
Momo ignore les tabous sociaux, et notamment racistes, ce dont Gary/ Ajar profite à fond.
Et comme souvent chez cet auteur, le risque est de tout citer…
« La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur. »
« Au début, je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l'ai appris, j'avais déjà six ou sept ans et ça m'a fait un coup de savoir que j'étais payé. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on était quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleuré toute une nuit et c'était mon premier grand chagrin. »
« Pendant longtemps, je n'ai pas su que j'étais arabe parce que personne ne m'insultait. »
« Au début je ne savais pas que je n'avais pas de mère et je ne savais même pas qu'il en fallait une. Madame Rosa évitait d'en parler pour ne pas me donner des idées. Je ne sais pas pourquoi je suis né et qu'est-ce qui s'est passé exactement. Mon copain le Mahoute qui a plusieurs années de plus que moi m'a dit que c'est les conditions d'hygiène qui font ça. Lui était né à la Casbah à Alger et il était venu en France seulement après. Il n'y avait pas encore d'hygiène à la Casbah et il était né parce qu'il n'y avait ni bidet ni eau potable ni rien. »
« C'est moi qui étais chargé de conduire Banania dans les foyers africains de la rue Bisson pour qu'il voie du noir, Madame Rosa y tenait beaucoup.
‒ Il faut qu'il voie du noir, sans ça, plus tard, il va pas s'associer. »
« Madame Rosa disait que les femmes qui se défendent n'ont pas assez de soutien moral car souvent les proxénètes ne font plus leur métier comme il faut. Elles ont besoin de leurs enfants pour avoir raison de vivre. »
« Je l'ai suivie parce qu'elle avait tellement peur que je n'osais pas rester seul. »
« Moi maintenant je pense qu'il y croyait lui-même. J'ai souvent remarqué que les gens arrivent à croire ce qu'ils disent, ils ont besoin de ça pour vivre. Je ne dis pas ça pour être philosophe, je le pense vraiment. »
« Je ne sais pas du tout pourquoi Madame Rosa avait toujours peur d'être tuée dans son sommeil, comme si ça pouvait l'empêcher de dormir. »
« Les gens tiennent à la vie plus qu'à n'importe quoi, c'est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu'il y a dans le monde. »
« ‒ C'est mon trou juif, Momo.
‒ Ah bon alors ça va.
‒ Tu comprends ?
‒ Non, mais ça fait rien, j'ai l'habitude.
‒ C'est là que je viens me cacher quand j'ai peur.
‒ Peur de quoi, Madame Rosa ?
‒ C'est pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur, Momo.
Ça, j'ai jamais oublié, parce que c'est la chose la plus vraie que j'aie jamais entendue. »
« ‒ Oh qu'il est mignon ce petit bonhomme. Ta maman travaille ici ?
‒ Non, j'ai encore personne. »
« J'ai dû lui jurer que j'y reviendrai plus et que je serai jamais un proxynète. Elle m'a dit que c'étaient tous des maquereaux et qu'elle préférait encore mourir. Mais je voyais pas du tout ce que je pouvais faire d'autre, à dix ans. »
« Chez une personne, les morceaux les plus importants sont le cœur et la tête et c'est pour eux qu'il faut payer le plus cher. Si le cœur s'arrête, on ne peut plus continuer comme avant et si la tête se détache de tout et ne tourne plus rond, la personne perd ses attributions et ne profite plus de la vie. Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre très jeune, parce qu'après on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux. »
« Si Madame Rosa était une chienne, on l'aurait déjà épargnée mais on est toujours beaucoup plus gentil avec les chiens qu'avec les personnes humaines qu'il n'est pas permis de faire mourir sans souffrance. »
« Madame Lola disait que le métier de pute se perdait à cause de la concurrence gratuite. Les putes qui sont pour rien ne sont pas persécutées par la police, qui s'attaque seulement à celles qui valent quelque chose. On a eu un cas de chantage quand un proxynète qui était un vulgaire maquereau a menacé de dénoncer un enfant de pute à l'Assistance, avec déchéance paternelle pour prostitution, si elle refusait d'aller à Dakar, et on a gardé le môme pendant dix jours ‒ Jules, il s'appelait, comme c'est pas permis ‒ et après ça s'est arrangé, parce que Monsieur N'Da Amédée s'en est occupé. »
« Elle avait toute sa tête, ce jour-là, et elle a même commencé à faire des projets d'avenir, car elle ne voulait pas être enterrée religieusement. J'ai d'abord cru que cette Juive avait peur de Dieu et elle espérait qu'en se faisant enterrer sans religion, elle allait y échapper. Ce n'était pas ça du tout. Elle n'avait pas peur de Dieu, mais elle disait que c'était maintenant trop tard, ce qui est fait est fait et Il n'avait plus à venir lui demander pardon. Je crois que Madame Rosa, quand elle avait toute sa tête, voulait mourir pour de bon et pas du tout comme s'il y avait encore du chemin à faire après. »
« Monsieur Hamil m'avait souvent dit que le temps vient lentement du désert avec ses caravanes de chameaux et qu'il n'était pas pressé car il transportait l'éternité. Mais c'est toujours plus joli quand on le raconte que lorsqu'on le regarde sur le visage d'une vieille personne qui se fait voler chaque jour un peu plus et si vous voulez mon avis, le temps, c'est du côté des voleurs qu'il faut le chercher. »
« En France les mineurs sont très protégés et on les met en prison quand personne ne s'en occupe. »
« Un vieux ou une vieille dans un grand et beau pays comme la France, ça fait de la peine à voir et les gens ont déjà assez de soucis comme ça. Les vieux et les vieilles ne servent plus à rien et ne sont plus d'utilité publique, alors on les laisse vivre. En Afrique, ils sont agglomérés par tribus où les vieux sont très recherchés, à cause de tout ce qu'ils peuvent faire pour vous quand ils sont morts. En France il n'y a pas de tribus à cause de l'égoïsme. »
« Monsieur Waloumba dit que c'est la première chose à faire chaque matin avec les personnes d'un autre âge qu'on trouve dans les chambres de bonne sans ascenseur pour voir si elles sont seulement en proie à la sénilité ou si elles sont déjà cent pour cent mortes. Si le miroir pâlit c'est qu'elles soufflent encore et il ne faut pas les jeter. »
« Mais il ne se piquait pas, il disait qu'il était rancunier et ne voulait pas se soumettre à la société. Le Nègre était connu dans le quartier comme porteur de commandes parce qu'il coûtait moins cher qu'une communication téléphonique. »
« Moi je comprends pas pourquoi il y a des gens qui ont tout, qui sont moches, vieux, pauvres, malades et d'autres qui n'ont rien du tout. C'est pas juste. »
« La vie, c'est pas un truc pour tout le monde. Je me suis plus arrêté nulle part avant de rentrer, je n'avais qu'une envie, c'était de m'asseoir à côté de Madame Rosa parce qu'elle et moi, au moins, c'était la même merde. »
« Moi les Juifs je les emmerde, c'est des gens comme tout le monde. »
« C'est dommage que Madame Rosa n'était pas belle car elle était douée pour ça et aurait fait une très jolie femme. »
Le personnage de Momo est tout à fait dans la lignée de l’éponyme de Gros-Câlin.
Le message pour lequel milite indubitablement l’auteur, c’est la mort assistée, c'est-à-dire « avorter » les vieillards qui le souhaitent :
« Je comprendrai jamais pourquoi l'avortement, c'est seulement autorisé pour les jeunes et pas pour les vieux. »
Outre ce plaidoyer, le point de vue donné par l’ouvrage est plus généralement que la vie ne vaut pas forcément le coup d’être vécue pour tous…
Des épisodes m’ont bien fait rire, notamment celui du père de Momo, Arabe à qui Madame Rosa fait accroire que son fils est devenu juif :
« Et quand on laisse son fils pendant onze ans sans le voir, il faut pas s'étonner qu'il devient juif... »
« D'abord, vous tuez la mère du petit, ensuite vous vous faites déclarer psychiatrique et ensuite vous faites encore un état parce que votre fils a été grandi juif, en tout bien tout honneur ! Moïse, va embrasser ton père même si ça le tue, c'est quand même ton père ! »
Mention spéciale également pour Madame Lola, qui travaille comme « travestite » au Bois de Boulogne, ancien boxeur sénégalais très attentif à Madame Rosa et Momo, comme d’ailleurs l’ensemble de leur immeuble d’immigrés sans papiers et autres laissés-pour-compte.
La vraie réussite de Gary, c’est de faire son lecteur se tordre de rire tandis qu’il s’émeut empathiquement pour ces marginaux « détériorés » ‒ une sorte d’effet Le père Noël est une ordure (1979).
Mots-clés : #enfance #humour #social
- le Ven 17 Avr - 15:13
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Karel Capek
L'année du jardinierTom et Bix ont déjà fait une présentation élogieuse de ce texte, je vais plutôt insister sur un de ses aspects particuliers.
Il y a une forme de jubilation dans le goût des listes et autres accumulations, comme chez Zola, Huysmans et nombres d'autres auteurs, que Čapek inventorie des verbes, amoncelle des noms de plantes ou énumère les caractéristiques (admirablement observées) des bourgeons :
« On dit qu’au printemps la nature verdoie ; ce n’est pas absolument vrai, car elle se pare aussi de bourgeons roses et écarlates. Il y a des bourgeons d’un pourpre foncé et d’un rouge brutal ; d’autres sont gris et gluants comme la poix ; d’autres sont blanchâtres comme le feutre qui recouvre le ventre d’une hase, mais il y en a aussi qui sont violets et fauves ou sombres comme du vieux cuir. Quelques-uns laissent percer de petites pointes, d’autres ressemblent à des doigts ou à des langues et d’autres encore rappellent des verrues. Les uns s’enflent, deviennent charnus, se couvrent de duvet et sont trapus comme de jeunes chiens ; d’autres s’allongent en une pointe mince et raide ; d’autres poussent des queues hérissées et fragiles. Croyez-moi, les bourgeons sont aussi étranges et aussi divers que les feuilles ou les fleurs. On n’a jamais fini de découvrir les différences qui les séparent. »
Un autre exemple de "collection" (et en l’occurrence les extraits ne peuvent pas être très courts) :
« Et puis, il y a des cactus qui ressemblent à des oursins, à des concombres, à des courges, à des candélabres, à des pots, à des barrettes de curé, à des nids de serpents ; il y en a qui sont couverts d’écailles, de tétines, de touffes de poils, de griffes, de verrues, de baïonnettes, de yatagans et d’étoiles ; il y en a qui sont trapus et d’autres étirés ; les uns sont hérissés comme un régiment de lanciers, les autres tranchants comme une troupe qui brandit le sabre ; vous en voyez qui sont gonflés, ligneux, ridés, barbus, bourrus, épineux comme des abatis d’arbres, tressés comme des paniers, semblables à des tumeurs, des animaux ou des armes : c’est la plus mâle de toutes ces plantes, portant des graines chacune selon son espèce, qui furent créées le troisième jour (Qu’ai-je fait là ? dit ensuite le Créateur, étonné lui-même de ce qu’il avait créé). »
Ce jardinier, passionné par les plantes, est surtout enthousiasmé par la terre elle-même.
« La terre de jardin ou de culture, appelée aussi humus ou terre meuble, se compose d’une manière générale de certains ingrédients qui sont : la terre, le fumier, les feuilles pourries, la tourbe, les pierres, les tessons de verres à bière, les plats cassés, les clous, les fils de fer, les os, les flèches hussites, le papier d’étain des tablettes de chocolat, les tuiles, les vieux sous, les vieilles pipes, le verre de vitres, les glaces, les vieilles étiquettes de plantes, les ustensiles de fer blanc, les ficelles, les boutons, les semelles, les excréments de chiens, le charbon, les anses de pot, les cuvettes, les serviettes, les bouteilles, les traverses, les bocaux, les boucles, les fers à cheval, les boîtes de conserves vides, les morceaux de journaux et d’innombrables autres composants que le jardinier surpris récupère chaque fois qu’il bêche ses plates-bandes. »
« Il y a des terres grasses comme du lard, légères comme du duvet, levées comme un gâteau, jaunes et noires, sèches et imprégnées d’humidité, qui sont toutes d’excellentes variétés de beauté, quoique très diverses : mais tout cela est laid et infâme qui est gluant, aggloméré, mouillé, dur, froid, stérile et donné à l’homme pour qu’il maudisse la matière non rachetée, et tout cela est aussi laid que la froideur, l’opiniâtreté et la méchanceté des âmes humaines. »
« Prendre la terre à pleines bêches, c’est une sensation aussi appétissante et gastronomique que de prendre de la nourriture à pleines louches ou à pleines cuillères. La bonne terre, comme la bonne nourriture, ne doit être ni trop grasse, ni trop lourde, ni trop froide, ni trop humide, ni trop sèche, ni trop gluante, ni trop dure, ni trop crue : elle doit être comme du pain, ou du pain d’épices, comme un gâteau, comme une pâte levée ; elle doit s’émietter mais non pas se dissoudre ; elle ne doit pas former des blocs ni des mottes, mais quand vous la retournez à pleines bêches, elle a loisir de respirer et de se répandre en petits grumeaux et en grains de gruau. Et alors ce sera une terre appétissante et comestible, cultivée et loyale, une terre profonde et tiède, perméable, aérée et tendre, bref, une terre bonne comme on dit de certains hommes qu’ils sont bons ; et dans cette vallée de larmes, il n’y a rien de meilleur, comme on le sait. »
« Je vous le dis : la mort n’existe pas ; il n’y a même pas de sommeil. Seulement nous croissons par périodes. Il faut être patient avec la vie car elle est éternelle. »
« Novembre »
Mots-clés : #humour
- le Jeu 2 Avr - 16:50
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- Sujet: Karel Capek
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James Joyce
Giacomo Joyce
Éditions Multiple, 2013, traduction de Georgina Tacou - la première version traduite, par André du Bouchet en personne en 1973, est épuisée et ardue à trouver. Non daté, sans doute écrit entre 1905 et 1920, lorsque Joyce séjourna longuement à Trieste, première publication intégrale en langue originale: post-mortem en 1968. Une douzaine de pages environ.
Texte en langue originale ici.
Giacomo est bien sûr la traduction de James en italien, mais c'est aussi, à ce qu'il paraît et merci la postface de Yannick Haenel, une désignation, en italien, pour quelqu'un qui en fait trop dans sa cour amoureuse.
En un mot il s'agit d'un désir amoureux pour une de ses élèves, Amalia Popper. Les pages traduisent un crescendo palpable de l'auto-échauffement amoureux, son rendu littéraire et Joycien...
Le mécanisme du désir est bien sûr fouillé, ponctué de descriptions qui, si elles ne constituent pas de l'érotisme à proprement parler, ont valeur suggestive et poétique avancée, c'est un des nombreux charmes de ces quelques pages, voyez par exemple (euh...par pure prétention pédante j'ai substitué ma propre trad' à celle proposée par l'édition: ne pas taper ) :
Again. No more. Dark love, dark longing. No more. Darkness.
Twilight. Crossin the piazza. grey eve lowering on wide sagegreen pasturelands, sheddin silently dusk and dew. She follows her mother with ungainly grace, the mare leading her filly foal. Grey twilight moulds softly the slim and shapely haunches, the meek supple tendonous neck, the fine-boned skull. Eve, peace, the dusk of wonder.......
À nouveau. Plus jamais. Amour illicite, noir désir. Jamais plus. Noirceur.
Crépuscule. À travers la piazza. aube grise s'atténuant en vastes pâturages vert-sauge, se débarrassant en silence de la brunante et de la rosée. Elle suit sa mère avec une élégance disgracieuse, jument conduisant sa pouliche. Le crépuscule gris moule en douceur les hanches minces et galbées, le doux souple et tendineux cou, la délicate boîte crânienne. Soir, paix, le crépuscule du questionnement......
Mots-clés : #amour #humour #poésie #xxesiecle
- le Mer 4 Mar - 15:21
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Lauren Weisberger
Trouvé dans une boîte à livre, ayant adoré le film et Meryl Streep, qui incarne merveilleusement bien ce monstre, je me suis dit qu'il fallait que je le lise.
Je ne suis pas déçue, c'est une lecture facile, agréable, très accessible (tout comme le film), même si on ne s'y connaît pas du tout dans la mode (vive la petite sauvageonne que je suis :p ), et que ça ne nous intéresse pas
On se demande jusqu'où l'horrible Miranda va aller (elle est bien plus terrible dans le livre, je ne pensais pas que c'était possible !), la fin du roman ne suit pas exactement le film, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Malgré que ça soit une lecture facile, je trouve que c'est un vrai reflet de notre société où l'on se donne corps et âme pour notre boulot, notre patron, pour un système ... Au détriment de notre vie, de nos priorités etc. Une comédie certes, mais pas que !
Pour une lecture détente, je recommande fortement, et je lirais avec plaisir d'autres romans s'ils me tombent entre les mains.
C'est tout.
Mots-clés : #contemporain #humour #mondedutravail
- le Mar 11 Fév - 19:34
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Gilbert-Keith Chesterton
Le club des métiers bizarres
Titre original: The Club of Queer Trades. Nouvelles, 1905, 190 pages environ.
Peut se lire en langue originale ici.
Six nouvelles reliées entre elles par les thèmes et les protagonistes principaux.
Autant les premiers romans de Chesterton comptent parmi ce qu'il a fait de meilleur, autant ces nouvelles-ci, ses premières, laissent un peu l'exigeant lecteur sur sa faim, j'eus souhaité qu'il sophistiquât quelque peu davantage, qu'il enjolivât encore.
En 1905, en fait de polars britanniques, existait Sir Arthur Conan Doyle et son Sherlock Holmes, et c'est à peu près tout: l'historien du genre, pointilleux, me rétorquera sans doute qu'untel ou untel (dont R-L Stevenson en personne) s'était aussi aventuré dans ce domaine littéraire-là, qui allait faire florès au XXème et toujours de nos jours, mais on parle bien d'auteurs à la fois spécialisés et grand-public, en matière de polars britanniques.
Comment prendre le pendant de l'écrivain-médecin et de sa logique clinique ?
Bien sûr, si vous avez déjà lu quelques pages de Chesterton c'est évident, le projet va de soi: face à la déduction scientifique l'auteur oppose le paradoxal intuitif, la conviction dût-elle paraître d'un absurde consommé.
Aussi ceci: on ne meurt pas dans les enquêtes narrées par Chesterton, d'ailleurs, à ma connaissance, on ne meurt pas non plus dans ses romans ou son théâtre: ainsi les enquêtes, comme les histoires narrées au sens large, ne sont pas alourdies du fardeau de la gravité, ni de la délectation voyeuriste de la violence morbide.
Peut-être, sans trop s'avancer, peut-on suggérer que Chesterton tente d'ébaucher son personnage de détective, qui sera, bien des années plus tard, le Père Brown, Basil Grant étant un prototype abandonné d'emblée, trop typé, trop limité ?
Le détective est Rupert Grant, toujours en chasse, tandis que l'enquêteur qui démêle, le héros principal, est son frère, Basil Grant, un excentrique juge démissionnaire: dans chacune des nouvelles, à la fin, Basil démontre à Rupert qu'il n'y a eu ni crime, ni intention malfaisante de la part de ceux contre qui sont les apparences trompeuses.
Ou presque:
La dernière nouvelle (mais ne dévoilons pas !) montre un cas de justice pour des faits non répréhensibles par les lois des tribunaux, en sus de quelques baffes, mêlées, horions et autres coups de poing.
L'auteur (c'est narré au "je") dit s'appeler Swinburne (oui, comme le grand poète, encore vivant et londonien à l'époque de parution), et fait office de témoin tout en complétant le trio, basculant dans l'erreur (c'est-à-dire du côté Rupert de l'analyse):
Procédé commode pour permettre d'embarquer le lecteur vers la mystification et donner du poids aux chutes des nouvelles.
Quelques unes des marques de fabrique du gentleman de Beaconsfield sont bien là, comme l'habituelle mine à citations (bien que réduite à sa portion congrue, cette fois-ci - une ci-dessous), les descriptions très picturales et savoureuses, l'humour.
La curieuse affaire de l'agent de location a écrit:
- La vérité doit forcément être plus étrange que la fiction, dit Basil avec calme. Car la fiction n'est qu'une création de l'esprit humain et, par conséquent, est à sa mesure.
La singulière conduite du professeur Chadd (entame) a écrit:
En dehors de moi, Basil Grant avait relativement peu d'amis et cependant, il était le contraire d'un homme insociable. Il parlait à n'importe qui n'importe où et il parlait non seulement bien mais avec un intérêt et un enthousiasme parfaitement sincères pour les affaires de son interlocuteur. Il parcourait le monde, pour ainsi dire, comme s'il se trouvait toujours sur l'impériale d'un omnibus ou sur le quai d'une gare. Naturellement, la plupart de ses connaissances de hasard disparaissaient après avoir traversé sa vie. Quelques-uns, ici ou là, restaient en quelque sorte accrochés à lui et devenaient ses intimes pour toujours, mais ils avaient tous un même air d'être là accidentellement, comme des fruits abattus par le vent, des échantillons pris au petit bonheur, des ballots tombés d'un train de marchandises ou des paquets-surprises pêchés à la foire.
En langue originale c'est encore plus savoureux (et fluide, surtout !):
The Noticeable Conduct of Professor Chadd (beginning) a écrit:
Basil Grant had comparatively few friends besides myself; yet he was the reverse of an unsociable man. He would talk to any one anywhere, and talk not only well but with perfectly genuine concern and enthusiasm for that person's affairs. He went through the world, as it were, as if he were always on the top of an omnibus or waiting for a train. Most of these chance acquaintances, of course, vanished into darkness out of his life. A few here and there got hooked on to him, so to speak, and became his lifelong intimates, but there was an accidental look about all of them as if they were windfalls, samples taken at random, goods fallen from a goods train or presents fished out of a bran-pie.
Mots-clés : #absurde #humour #justice #nouvelle
- le Sam 28 Déc - 17:38
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Roger Nimier
D'Artagnan amoureux
ou: cinq ans avant
Roman, 300 pages environ, paru post-mortem en 1962.
Fiction de cape et d'épée, promenade dans le Grand Siècle français. Très surprenant ouvrage, on n'y reconnaît absolument rien du style ni de la manière du Hussard bleu.
Ces cinq ans avant du sous-titre situent l'action quinze ans après Les trois mousquetaires, d'Artagnan a trente-cinq ans.
S'amusant sans doute beaucoup, Nimier s'essaie à plagier Alexandre Dumas, et à faire défiler autour de d'Artagnan quelques personnages de pure fiction, comme Pélisson de Pélissart, maréchal de France, esprit allègre et, n'en doutons pas, génial, inventeur entre autres d'une machine volante qui ne vole pas mais roule.
Mais aussi de grands noms, telle Marie de Rabutin-Chantal, pas encore devenue Madame de Sévigné (ce qui me fais penser que j'ai un bon vingt-cinq messages de retard sur le fil de l'épistolière), son fameux parent Roger de Bussy-Rabutin, le Pape Urbain VIII, l'abbé Ménage, Paul de Gondi, futur Cardinal de Retz, Louis XIII, la Reine, Louis XIV enfant, Richelieu agonisant, Mazarin, le Duc d'Enghien (le Grand Condé de la bataille de Rocroi, orthographiée Rocroy), et jusqu'à l'évocation de Blaise Pascal, voire le nom de Rembrandt, simplement jeté sans que Nimier n'ose le portraiturer:
Une déclaration d'amour au Grand Siècle, version française. Et à Dumas...
On ne s'ennuie pas, c'est preste, enlevé, tout empli de missions secrètes, contretemps et aléas, chausses-trappes et bien sûr de méchants-qui-courrent-toujours, on croise le fer, complote, désire, échange de bons mots, se bat, défenestre, bouffe et boit à la Rabelais, nonobstant de forts curieux régimes, ou bien lorsque l'acédie prend le dessus.
À réserver à ceux d'entre les adolescents que vous côtoyez qui n'ont pas eu leur compte après avoir épuisé Les trois mousquetaires, Le vicomte de Bragelonne et Vingt ans après.
Plume et style de joli panache, tout-à-fait digne des grands succès du genre de cape et d'épée.
Chapitre Une conversation diplomatique a écrit:
"S'agirait-il, pensa d'Artagnan, d'une commande de mules faite par Richelieu qui a les pieds sensibles ? Serais-je devenu bottier sans le savoir ? Non, car on ne m'aurait pas tiré des coups de mousquet pour des mules. Attendons la suite."
- Mais s'il est un temps pour passer des mules, il en est un autre pour enfiler des bottes.
"Voilà qui est mieux, songea notre mousquetaire. Mes affaires augmentent d'une pointure."
- Or, que se passe-t-il aujourd'hui ?
Les yeux de M. Pélisson eurent le scintillement de l'enfer et le velouté du diable.
- Il se passe qu'on s'est mis à table.
"Mordious, fit d'Artagnan pour lui-même, serions-nous passés de l'orthopédie à la gastronomie ?"
- Ce qui fait qu'il se donne de fameux coups de fourchette à travers l'Europe. Le plus gros mangeur se nomme Habsbourg. Il a double tête et double estomac. Et ce double estomac contient déjà l'Espagne, Naples, la Sicile, le Milanais, l'Autriche, la Bohême, la Hongrie, les Flandres.
- Je sais cela. Je lui ai repris Arras, voici deux ans.
Sans se soucier de cette gasconnade, M. Pélisson de Pélissart poursuivit:
- En face, l'autre convive se nomme Bourbon.
Le pauvre n'a que la France.
- C'est déjà un joli morceau.
- Oui, parce qu'avec la France, il a la Gascogne, jambe de chienne ! dont nous sommes issus tous deux. Et aussi les massifs centraux d'Auvergne, d'où sortent des soldats à la tête trop dure pour les boulets ordinaires. Si bien qu'on est obligé d'aller chercher du minerai de fer en Suède pour parvenir à la leur casser.
M. Pélisson but un troisième verre.
- Ouverte ou cachée, la guerre dure depuis 1618. Cela fait donc vingt-quatre ans qu'on se trouve à table, chose suffisante pour un siècle ou deux.
- Comme vous y allez ! Moi qui n'ai pas de mines de plomb ni de champs de truffes, j'ai besoin de combats pour vivre.
- Il restera le Turc.
- Je l'ai vaincu sur mer.
- Le protestant.
- Besogne de faquins.
- Bah ! Nous arrangerons cela. Connaissez-vous Urbain VIII ?
- Non.
- Il veut vous voir.
- Moi ?
- Vous.
- Que me dira-t-il ?
- Il vous remettra un traité de paix universelle, valable pour trois siècles et contresigné par les plus grands souverains d'Europe.
- Ce qui fait qu'il n'y aura plus de guerre jusqu'au milieu du XXe siècle.
- Terminé.
- Et dans trois siècles, on pourra recommencer.
- Peut-être.
- Je serai trop vieux, soupira d'Artagnan.
- Je vous ai dit qu'on s'occuperait de vous.
- Et que ferai-je de ce traité ?
- Vous le remettrez au cardinal de Richelieu, avec un message personnel.
- Et cela suffira ?
- Cela suffira.
D'Artagnan demeura songeur. M. Pélisson de Pélissart lui tendit un verre de réconfort et s'approcha de son oreille.
Mots-clés : #humour #jeunesse
- le Lun 16 Déc - 17:11
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- Sujet: Roger Nimier
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Éric Chevillard
L'Explosion de la tortueC’est d’abord l’histoire de la piètre fin de Phoebe la tortue de Floride, « cette vie en dedans, cette vie de dos » ; puis la non-postérité de Louis-Constantin Novat, obscur écrivain mineur, s’entremêle à cette trame.
Métaphore filée jusqu’à l’absurde, c’est ensuite l’exercice de la pure digression (par exemple l’irrésistible épisode du bouchon)
« Or un bouchon qui bouche imparfaitement est un bouchon qui ne bouche pas du tout. »
C’est surtout une inventivité prodigieuse, qui fuse sans trêve, paraît inépuisable, à la limite du délire dans l’emphase burlesque ; mais dans cet humour se révèle un léger grincement qui raille bientôt l’expression convenue à la mode. Il y a quelque chose d’extrêmement actuel dans cette dérision, rappelant un peu la sourde culpabilité contemporaine (qui sera prouvé ultimement responsable, fut-ce par inadvertance ?)
Servie par une parfaite maîtrise de la langue, tout à fait contrôlée, idéalement au service du pince-sans-rire, c’est au final une mauvaise foi loufoque, aux frontières du cynisme et de la cruauté (des flashes dévoilent, comme dans un cauchemar, des aperçus inacceptables, tel petit Bab), qui éclate.
La tendance affichée par l’auteur de se substituer à Novat, typique plagiat, est bien dans l’air du temps littéraire ‒ tandis que le thème de l’écrivain méconnu est récurrent chez lui.
« Ne mangera plus jamais de betterave l'orphelin dont la mère s'étouffa avec la plante potagère et sous ses yeux mourut.
(Un jour pourtant, mais c'est une autre histoire encore, les dames de la cantine découvriront que cette maman se porte tout à fait bien et que l'enfant est un malin qui n'aime pas la betterave.)
(On peut le comprendre : à qui appartient cette main sanglante qui lâche dans notre assiette les dés du pire avenir ?) »
Eric Chevillard fait partie, avec Régis Jauffrey, un autre écrivain du succinct à profusion passé maître en humour noir, de ce qui compte dans ce qui s’écrit aujourd’hui d’original. (Et quelle est la part due par ces œuvres à l’esprit des bandes dessinées de notre adolescence ?)
Mots-clés : #absurde #humour
- le Jeu 5 Déc - 23:11
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- Sujet: Éric Chevillard
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Ryu MURAKAMI
De Ryu Murakami j’ai aussi lu „seulement „69“ et comme déjà dit, cette oeuvre semble sortir de l’atmosphère des autres livres. C’est, au moins à Tokyo, le temps de la révolte, avec les Stones, Beatles et Compagnie, et chez le héros, le narrateur principale, le souci premier de finalement perdre sa virginité. Pour vue qu’on accepte que dans cette perspectif Ryu subordonne la révolution à la recherche d’une relation amoureuse, on trouvera un livre hilarante à souhait, avec des poules perdues et des infractions rocambolesques à l’école. Il semble que ce livre fut aussi un triomphe au Japon. Et même si je ne suis pas de la même génération, je me sentais rappelé aux temps d’une certaine jeunesse.
Mots-clés : #autobiographie #humour #jeunesse #xxesiecle
- le Sam 30 Nov - 7:57
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- Sujet: Ryu MURAKAMI
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Littérature et alpinisme
Trois curés en montagne
Récit, ré-édité en 2012 par Hoëbeke, qui l'avait déjà ré-édité en 2004, première publication: 1950, éd. B. Arthaud.
165 pages environ.
Jean Sarenne est le pseudonyme du curé d'Huez en Oisans, Jean Zellweger (1915-1974).
Son pseudo est tiré du glacier de Sarenne, devenu aujourd'hui le théâtre lifté d'une...piste noire de la station de ski de l'Alpe d'Huez...O tempora...
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Avant-propos a écrit:D'ordinaire l'alpiniste "pond" son livre sur la montagne quand il a pu le bourrer d'exploits qui le remplissent comme un œuf.
Nous n'avons pas voulu faire de même, non par souci d'originalité, mais parce qu'en fait nos plus fortes émotions, nos plus beaux souvenirs, nos plus prestigieuses aventures restent attachés à notre premier contact avec la haute montagne.
Que les gens d'expérience, qui seraient tentés de crier à la mystification, veulent bien se rappeler leurs débuts.
Ils deviendront indulgents.
La découverte de l'alpinisme par de jeunes séminaristes autodidactes, à la fin des années 1930.
Il y règne un humour tendre, un humour de joie, antithétique au ricanement, le sourire fondant en rire qui ne fait pas mal, n'égratigne pas (le seul qui vaille ?), fondé sur beaucoup d'autodérision, ne se laissant jamais tout à fait aller au narquois; on pense (mais c'est facile, ils sont cités) à Tartarin sur les Alpes, d'Alphonse Daudet, et (beaucoup !) aux aquarelles de Samivel:
Ce Jean Sarenne a une très agréable plume, on sent, et c'est régal, qu'il ne se prend absolument pas au sérieux dans son rôle d'écrivain, qu'il est là pour faire passer un bon moment, dénué de la moindre prétention, à son lecteur.
On sourit d'attendrissement, un peu en pouffant "oh la la !" aux tribulations de nos séminaristes, qui ne sont d'ailleurs que deux sur un bon deux tiers de l'ouvrage.
Le dernier chapitre (dix ans après, en face nord des Drus) sonne un peu comme un addenda, chapitre de littérature alpine pas loin de l'excellence (on sent que l'auteur en connaît les codes, tiens, tiens !), qui ne déparerait pas publié dans l'une de ces revues aussi prestigieuses que confidentielles (suivez mon regard).
Mais, si ça se déguste volontiers ce type de trouvaille inespérée, c'est moins dans le ton, un peu déconnecté du reste du livre, une manière d'à-part.
On troublerait probablement la modestie de l'auteur en son repos en regrettant que ce livre-là soit sa seule parution, en ajoutant qu'il a l'œil et qu'il sait crayonner: je fus totalement embarqué par son regard doux, qu'il sait faire passer via sa plume agile, gracile même par instants, allant jusqu'à des accointances avec un burlesque un peu perdu aujourd'hui et qui faisait florès il y a un siècle, façon Pieds Nickelés ou Buster Keaton.
Chapitre 1, L'idée a écrit:Un piolet peut être très pratique. Dans les rues d'une ville, avec une soutane et le grand chapeau ecclésiastique, il peut aussi être très encombrant.
Chapitre 10, La piste a écrit:En face de nous jaillissaient en plein ciel les Bans, telle une incisive noire sur une incisive blanche. Ils étaient ce que nous avions imaginé. Par contre, le glacier était plus blanc et lumineux que prévu. Son aspect de crème fouettée nous faisait songer aux montagnes suisses; je ne sais pourquoi, car nous ne les avions pas encore vues. Il s'étirait à la base en une coulée grise semblable à une monstrueuse patte. Elle rappelait le mystère que le Corrège a peint sur les flancs de son Io.
Chapitre 9, La Gandolière a écrit: Un alpiniste a dit quelque part que dans un cas pareil le mieux est de s'occuper l'esprit avec une idée absorbante, celle de la femme aimée par exemple. La recette m'avait paru un remède de commère, injurieux et pour la dignité de l'élue assimilée aux narcotiques et pour la vigueur intellectuelle de celui qui voulait en user ainsi. Ne sachant plus comment soulager ma peine, je fus sur le point d'envier ceux qui pouvaient ainsi se droguer mentalement. Heureusement pour moi je me mis à avoir peur, ce qui me guérit de la monotonie et de ses tentations.
Chapitre 9, La Gandolière a écrit:Une large crevasse la longeait à la base.
"Ce doit être une rimaye", me dit Jo. Et il sourit comme pour s'excuser de l'emploi d'un terme aussi technique. Nous étions un peu confus et troublés, Il faut dire que les lèvres de la crevasse étaient un peu trop ouvertes pour notre ardeur de débutants. Elles semblaient avides, et découvraient de longues stalactites de glace semblables à des dents de requin...
En vérité j'aurais préféré une moins belle rimaye, mais j'ignorais encore les délicates intentions de la Providence.
Je regardais le col, quand il sembla descendre à notre rencontre. D'un seul coup, et partout à la fois, la neige qui le remplissait se mit à glisser vers nous. Cette fois je voyais l'avalanche...
Exactement dans son axe, les pieds dans une masse gluante et profonde, il nous eût été difficile de fuir. La terreur nous paralysa. Bouche ouverte, et ahuris, nous ne pûmes que nous faire tout petits en regardant l'énorme bourrelet qui dévalait de la montagne. Ils ont dû connaître notre peur les malheureux qui, le pied pris dans un rail, voient arriver sur eux soufflant et crachant un lourd train de marchandises,car ce qu'il y avait d'effrayant dans la masse qui avançait, ce n'était pas sa vitesse - elle n'allait pas vite - c'était plutôt quelque chose de comparable à un bouillonnement interne. De puissantes bielles semblaient faire tournoyer la neige sur elle-même en une multitude de rouleaux s'écrasant les uns sur les autres, et le tout avait des allures d'une vague écumeuse courant sur la grève.
Chapitre 12, Les bœufs rouges a écrit:- À la messe ?
La pauvre fille en perdit la voix. Comment, nous avions fait les fous, nous avions ri, chanté, plaisanté, nous étions trois gaillards qui semblaient être de joyeux lurons, et nous parlions de bigoteries moyenâgeuses ! Elle ne comprenait plus.
Cette histoire de messe mettait en déroute toute sa psychologie pratique. Elle se mit à nous épier.
Finalement, n'y tenant plus, elle s'écria:
"Mais qui êtes-vous donc ?
- Des séminaristes, on vous l'a dit ce matin.
- Ah !" fit-elle.
Puis, après un silence: "Et qu'est-ce au juste que des séminaristes ?"
Le ton était dégagé, comme celui qu'on prend pour dire:
Mais quel est donc ce personnage bien connu, vous savez, celui qui...
"Des séminaristes, dis-je, ce sont des gens qui portent la soutane. Nous sommes trois curés, si vous aimez mieux, trois curés en montagne."
L'incognito est toujours amusant. Mais on a quelquefois plaisir à le dévoiler. Un jour je fus pris par un clochard pour un de ses respectables confrères. Je revenais d'Oisans. La méprise était donc excusable. Notre conversation roula sur les curés, "ces salauds qui se nourrissent sur la sueur du peuple". Je sus parler du Grand Soir avec enthousiasme. Ce qui me valut plusieurs tapes dans le dos: "Toi t'es un pote, disait l'ami, viens boire un verre".
Par hasard j'avais une carte de visite. Au moment des adieux je la donnais au bonhomme en guise de souvenir. Il parut surpris.
Je crois que Simone le fut davantage. Elle devait être de celles qui touchent du bois au passage des robes noires.
Mots-clés : #alpinisme #amitié #humour #sports #xxesiecle
- le Ven 29 Nov - 19:34
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- Sujet: Littérature et alpinisme
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Rutebeuf
Le premier béguinage du royaume fut institué à Paris par et sous la protection de Saint-Louis en 1264, là nous avons une indication historique, le poème ci-dessous est à plutôt dater de la fin de la vie de Rutebeuf.Le Dit des Béguines
- Spoiler:
- Le béguinage naît à la fin du XIIème à Liège dans l'actuelle Belgique, existe encore aujourd'hui et paraît même connaître un regain non seulement d'intérêt, mais de vitalité, après une histoire toute en éclipses et discontinuités.
Pourtant, c'est un peu un pis-aller, une moins mauvaise solution à l'origine:
Les couvents ne pouvaient absorber toutes les vocations (un numerus clausus fut même promulgué, en 1215 au Concile de Latran, tellement les candidatures à la vie monacale étaient nombreuses !), surtout féminines, lesquelles ne pouvaient, en somme, pas être reversées dans le clergé séculier et donc difficilement dans le clergé régulier, à peine dans les nouveaux ordres mendiants, en particulier la branche franciscaine - les Clarisses -:
Ce sont ces ordres mendiants qui ont, sinon peut-être "inventé", du moins protégé et cherché à propager le béguinage.
S'ajoutent aux candidates de vocation un gros afflux venu du veuvage et du célibat féminin non choisi de manière générale, conséquence des guerres, épidémies, rapines et de l'insécurité (le royaume de France étant un peu plus épargné que ses voisins, ce qui peut expliquer une diffusion plus tardive du mouvement du béguinage).
Les béguines optent pour une vie communautaire (repas, prières, soins, travaux...), logent chacune dans un petit habitat individuel le plus souvent, lesquels habitats sont contigus et groupés autour d'une chapelle, ou d'une église, le béguinage étant sous la direction d'une Maîtresse entourée de son Conseil, cette hiérarchie étant le plus souvent élue, mais pouvant être nommée.
Elles ne prononcent pas de vœux et se confortent à un règlement souple qui n'est pas une Règle, à l'instar de celles de Saint-Benoît ou de Saint-François, mais tend à s'en approcher.
C'est une manière d'entraide, quelques garanties de sécurité, la protection royale et des ordres mendiants, une bonne façon de vivre sa foi tout en conservant son autonomie, en restant économiquement actif et en vivant dans le Siècle et non cloîtré: bref, ce n'est pas rien au XIIIème, on comprend l'engouement et la rapide propagation (une ville comme Strasbourg en comptera vite plusieurs dizaines !).
La réaction ne se fait pas attendre: Le Concile de Vienne de 1312 interdit les béguinages, qui subsistent toutefois en Flandre, protégés par quatre évêques n'ayant pas froid aux yeux...
Avant ceci, les béguinages provoquent l'ire de Rutebeuf, qui n'a ni argent, ni logement confortable ou adapté, ni vêtement, ni protection, ni revenu, ni perspectives, et leur reproche ouvertement de n'être pas tout à fait des religieuses mais de bénéficier du respect dû à celles-ci, idem, sinon de pouvoir faire tout ce qu'elles veulent, du moins de jouir d'une certaine liberté alliée à une grande considération, et de changer de vie si elles le désirent, bref, tout ce qui lui manque...
Allez, assez bavassé, en avant pour un joli morceau satirique et drôle !
Li Diz des Béguines a écrit:
Des Béguines,
ou ci encoumence
LI DIZ DES BÉGUINES
En riens que Béguine die
N’entendeiz tuit se bien non ;
Tot est de religion
Quanque hon trueve en sa vie :
Sa parole est prophécie ;
S’ele rit, c’est compaignie ;
S’el’ pleure, dévocion ;
S’ele dort, ele est ravie ;
S’el’ songe, c’est vision ;
S’ele ment, non créeiz mie.
Se Béguine se marie,
S’est sa conversacions :
Ces veulz, sa prophécions
N’est pas à toute sa vie.
Cest an pleure et cest an prie,
Et cest an panrra baron.
Or est Marthe, or est Marie ;
Or se garde, or se marie,
Mais n’en dites se bien non :
Li Rois no sofferroit mie.
Explicit des Béguines.
Proposition de transcription:
Le dit des Béguines
En chaque chose qu'une Béguine dit
N'entendez rien sauf du bien:
Tout est conforme à la religion
Quoi qu'on puisse trouver dans sa vie.
Sa parole est prophétie;
Si elle rit, c'est convivial;
Si elle pleure, dévotion;
Si elle dort, elle est en extase;
Si elle songe, c'est vision;
Si elle ment, n'en croyez rien.
Si elle se marie,
C'est sa nouvelle conversion:
Ses vœux, sa profession de Foi
N'est pas édictée pour la vie.
Cette année elle pleure et cette année elle prie,
Et cette année elle prendra baron pour mari:
Elle est Marthe, elle est Marie,
Elle est chaste, elle se marie,
Mais n'en dites que du bien sinon:
Le Roi ne le souffrirait point.
En somme Rutebeuf reproche que les Béguines aient l'avantage d'une vie ecclésiale, et l'approbation des puissants, sans en connaître les inconvénients: j'ai failli cocher #Jalousie parmi les mots-clefs suggérés.
Il préfigure la décision d'interdiction qui les frappera au siècle suivant.
Lui qui ne connaît que la paille, la misère, les expédients doit trouver que le béguinage, c'est le comble du bien-être, du nantissement en sus d'une vie orans et laborans, qui est le nec plus ultra rêvé du temps...
D'où ce ton persiffleur, cette charge, ce coup de griffe destiné à écorcher.
On est loin du raffinement, de l'aboutissement formel extraordinaire de La griesche d'yver.
Cette prosodie est rendue acérée via le balancement très incisif des S..., quasiment sur les douze vers qui précèdent les deux Or... proches des vers finaux.
Ces deux vers "Or..." marquent un ralentissement préparatif à la touche terminale du dernier vers, osée, et qui constituerait peut-être une indication de datation à mettre au conditionnel:
Ce serait sous le règne de Philippe III Le hardi et non de Saint-Louis que ce Dit des Béguines fut composé.
Mots-clés : #conditionfeminine #humour #moyenage #poésie
- le Lun 11 Nov - 10:10
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Rutebeuf
Jack-Hubert Bukowski a écrit:Difficile de trouver des citations en français moderne...
Alors on trouve environ une trentaine de poèmes (certains sont longs), avec la transcription (& annotations) en français contemporain dans l'inévitable nrf Poésie/Gallimard:
La transcription, dans cette édition, est souvent précieuse à l'amateur de sens, et les notes éclairantes, mais pèche dans le rendu poétique, l'envie qui peut prendre le lecteur de façonner par soi-même la transcription en langue française actuelle -j'y succombe joyeusement - permet de bien scruter les poèmes, mais ne dit pas mieux en termes de résultat, avec toutefois une conséquence:
À s'arrêter beaucoup sur les termes, locutions et expressions de Rutebeuf, on en apprécie d'autant mieux ses jeux de rimes, assonances et aussi le bâti des poèmes proprement dit (telle strophe amenant ou mettant en valeur telle autre, etc...).
Mon impression toute personnelle est que la scansion des poèmes de Rutebeuf devait aller de pair avec un accompagnement musical, ça me semble plus destiné à être chanté que dit, sauf sans doute les Poèmes pour prier Notre-Dame, et bien sûr les fabliaux.
_______________________________________________________________________________________________________________________________________________________
De la Griesche d’Yver,
ou ci encoumence
LI DIZ DE LA GRIESCHE D’YVER
ou ci encoumence
LI DIZ DE LA GRIESCHE D’YVER
Je me sers de ce glossaire qui a pour défaut une consultation, un maniement très peu commodes.
Et déplore de ne pas bien rendre la subtilité de certains termes (comme enviail, enviau).
Autre exemple, il doit y avoir un jeu de mots dans Li dé que li decier ont fet, que je rends en Les dés que les fabricants ont façonnés, et que vous trouverez transcrit en Les dés que les fabricants ont fait dans le nrf/poésie Gallimard, or nous passons au travers de ce jeu de mots, allègrement.
Idem la transcription fossoie les magnifiques 9 pieds / 5 pieds de Rutebeuf, et toute la richesse de ses rimes plates et ouvertes, souvent triplées, par exemple ce passage, très judicieusement élaboré:
[...]
Au premier giel.
En moi n'a ne venin ne fiel :
Il ne me remaint rien souz ciel.
Tout va sa voie.
Li enviail que je savoie
M'ont avoié quanques j'avoie
[...]
Le fait de n'utiliser que des mots qui soient mono, bi ou tri syllabes (souffrez que je m'extasiasse !) permet sans doute une scansion moins corsetée, plus apte à une liberté en matière de rythme à la diction (ou, plus vraisemblablement, au chant), lequel change peut-être, si ce n'est sûrement, au long du poème.
Les allitérations sont innombrables, le jeu prosodique se flûte assez bien, l'ensemble a une belle unité de facture, en sus d'une légèreté générale, qui contribue à souligner que, bien que le sujet soit grave, le ton est léger, et l'humour ne manque pas de poindre.
Un mot sur l'insistance, dans les termes vents et dés, figurant l'un un élément, l'autre une addiction, la manière de les répéter et de les faire tournoyer en quelque sorte (il y a baudelairienne correspondance là-dessous, ne trouvez-vous pas ?), est d'un rendu prosodique exceptionnel, on sent véritablement les assauts du vent de toutes parts, à l'identique plus loin la fatalité du jeu de dés:
[...]
Et povre rente.
Et froit au cul quant bise vente.
Li vens me vient, li vens m’esvente,
Et trop sovent
Plusors foies sent le vent.
Bien le m’ot griesche en covent
Quanques me livre ;
Bien me paie, bien me délivre :
Contre le sout me rent la livre
[...]
[...]Fors que bien fet.
Li dé qui li détier ont fet
M’ont de ma robe tout desfet ;
Li dé m’ocient,
Li dé m’aguetent et espient,
Li dé m’assaillent et deffient,
[...]
Sur l'entame, elle n'est pas sans rappeler un autre poème de Rutebeuf, avec l'allégorie de l'arbre qui se dépouille et du pauvre en hiver; en effet ici nous avons:
Contre le tens qu’arbre deffueille,
Qu’il ne remaint en branche fueille
Qui n’aut à terre,
Por povreté, qui moi aterre,
Qui de toutes pars me muet guerre,
Contre l’yver
Ci-dessous le bref poème Ci Encoumence Li Diz des Ribaux de Greive (alias Le dit des gueux de Grève):
Ribaut, or estes-vos à point :
Li aubre despoillent lor branches
Et vos n’aveiz de robe point ;
Si en aureiz froit à voz hanches,
Queil vos fussent or li porpoint
Et li seurquot forrei à manches.
Vos aleiz en estei si joint,
Et en yver aleiz si cranche,
Vostre soleir n’ont mestier d’oint,
Vos faites de vos talons planghes.
Les noires mouches vos ont point,
Or vos repoinderont les blanches[1].
Explicit.
Petite tentative de mise en langage actuel de La griesche d'yver, lien vers l'original dans un message un peu plus haut sur le fil:
La dèche d'hiver
Au temps où l'arbre se dépouille,
Qu'il ne demeure feuille sur branche
Qui ne soit au sol,
Par la pauvreté qui me saisit
Qui de toutes parts me déclare la guerre
Pendant l'hiver,
Qui modifie beaucoup le cours de ma vie
Mon poème commence par trop enclin
À une histoire d'indigence.
Ce sont pauvre talent et pauvre mémoire
Que me donna Dieu, le roi de gloire,
Et pauvres biens,
Et froid au cul quand la bise vente:
Le vent vient à moi, le vent m'évente
Et trop souvent
Je ressens les assauts du vent.
La dèche m'avait bien promis
Ce qu'elle me livre:
Elle me paie comptant, et bien s'acquitte,
Contre un sou me rend une livre
De grande indigence.
Sur moi la pauvreté revient:
La porte m'en est ouverte chaque jour,
J'y suis chaque jour
Pas une fois ne m'en suis-je désenglué.
Par la pluie mouillé, par le soleil brûlé:
Que voilà un homme fortuné !
Je ne dors que le premier somme,
De mon avoir je ne connais la somme,
N'en ayant point.
Dieu me règle si bien les saisons
Qu'en été la mouche noire me pique,
La blanche en hiver.
Je suis telle l'oseraie franche
Ou comme l'oiseau sur la branche:
En été je chante,
En hiver je pleure et me lamente
Et me dépouille aussi tel le rameau
Au premier gel.
Il n'y a en moi ni venin ni fiel:
Il ne me reste aucun bien sous le ciel,
Tout suit son cours.
Mes finesses de jeu
Ont eu raison de mon avoir,
Et fourvoyé,
Hors du droit chemin.
J'ai tenté des coups insensés,
Je m'en souvient à présent,
À présent je vois bien que tout vient, tout va;
Il convient que tout aille et vienne,
Sauf les bienfaits.
Les dés que les fabricants ont façonnés
M'ont ôté jusqu'à mon vêtement.
Les dés m'assassinent,
Les dés me guettent et m'épient,
Les dés m'assaillent et me défient,
Cela m'accable.
Je n'en peux plus et m'émeut:
Je ne vois venir ni avril ni mai,
Voici la glace.
Or je suis sur une mauvaise pente,
Les fourbes de la pire espèce
M'ont dépouillé de mes vêtements.
Le monde est si empli de sournoiserie !
Qui a quelque avoir s'en gave;
Mais que puis-je faire
Sous le joug de la misère ?
La dèche ne me laisse pas en paix
M'égare beaucoup,
M'assaille et me combat tout autant,
Jamais de ces maux je ne guérirai
Dans une telle situation.
J'ai trop arpenté de lieux mauvais;
Les dés m'ont pris et enfermé:
Je réclame que nous soyons quitte !
Fou est celui qui s'y installe:
De sa dette incapable de s'acquitter,
Ainsi s'alourdit;
De jour en jour elle croît en nombre.
En été il ne recherche pas l'ombre,
Ni la fraîcheur d'une pièce,
Sur un lit nu sont souvent ses membres:
Du fardeau de son voisin il ne s'occupe,
Mais pleure le sien.
Sur lui la dèche s'est abattue,
L'a dépouillé en vitesse,
Et nul ne l'aime.
Celui qui l'appelait son cousin auparavant
Lui dit en riant: "Ici se rompt la trame,
Usée par la débauche".
Par la foi que tu dois à Sainte Marie,
Va donc à la Draperie,
Emprunter du tissu;
Si le drapier ne veut pas
Alors file droit à la foire
Et va chez les Changeurs.
Et si tu jures par Saint Michel l'archange
Que tu n'as sur toi ni lin ni linge
Qui vaille de l'argent,
Là te verront de beaux sergents,
Et les gens te verront tel quel:
On te croira.
Quand de ces lieux tu te retireras,
Argent ou haillon emporteras."
Voilà la paye du jour.
C'est ainsi que l'on m'appointe,
Je n'en peux plus.
Dénouement de La dèche d'hiver
Mots-clés : #addiction #humour #moyenage #poésie
- le Dim 10 Nov - 7:39
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- Sujet: Rutebeuf
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Dany Laferrière
belle conclusion !
Ça me rappelle ça :
Le second m'intimidait par son flegme, mais il en jouait avec adresse, et je le trouvai très drôle lorsque d'une voix neutre, le visage mort, il exposa à notre auditoire la folie des passions.
- le Ven 8 Nov - 16:44
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Dany Laferrière
Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ?Dany Laferrière rebat les poncifs de son précédent roman et succès, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, précisant même que « la plupart des clichés sur les rapports sexuels entre le Nègre et la Blanche sont vrais. » ; il reconnaît d’ailleurs que ce qu’il cherche en écrivant, c’est le succès (et l’argent).
Il a été commandité pour tirer un texte d’un voyage au travers de l’Amérique du Nord, et part avec sa Remington 22 sur les traces de Whitman et Kerouac en autobus Greyhound, d’abord dans le countryside du Sud et du Midwest.
« Ailleurs n’existe pas. L’idée de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie leur est alors plus étonnante que l’idée de l’Amérique pour les contemporains de Christophe Colomb. »
Son témoignage n’est pas aussi inintéressant qu’attendu, même si le niveau général ne dépasse pas celui de son précédent opus, avec les redites du genre « Pourquoi les écrivains nègres préfèrent-ils les blondes ? », ce lumineux et méprisant phantasme américain à longues jambes et odeur de lait qui va régulièrement aux toilettes pour tourmenter le mâle de sa démarche. A ce propos, Laferrière se confie sur ses choix de titres (plus importants que le contenu des livres).
Il continue son reportage décousu avec des portraits, des instantanés sur la société « Americana », le racisme, etc. ‒ mais pourquoi ce bouquin est-il dénommé « roman » ? Voici ce que l’auteur déclare dans une sorte de préambule :
« Le roman contemporain américain est, généralement, une collection de textes brefs reliés entre eux par un fil souple et solide (le sentiment d’être américain). Comme la vie d’un Américain est une collection de faits (la sensation du vide). Ce livre n’échappe pas à cette règle. »
On apprend que « le baseball est le sport national américain » parce que c’est un jeu « profondément homosexuel », comme l’Amérique elle-même est « une nation essentiellement homosexuelle, ce qui explique sa grande homophobie. »
Extrait d’une interview d’Ice Cube, « peut-être le chanteur de rap le plus écouté aux États-Unis » :
« ‒ Il n’y a pas beaucoup de spiritualité dans la musique rap. On chante le sexe, la violence, le mépris des femmes.
‒ Non. On essaie de montrer le chemin qu’il ne faut pas suivre. C’est une autre façon d’enseigner. Et on le fait avec le langage des jeunes. »
Beaucoup d’humour, donc.
Mots-clés : #humour
- le Ven 8 Nov - 13:36
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- Sujet: Dany Laferrière
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Rutebeuf
De Brichemer,
ou
C’EST DE BRICHEMER
I
Rimer m’estuet de Brichemer
Qui jue de moi à la briche:
Endroit de moi je l’ doi amer ;
Je ne l’ truis aeschars ne chiche.
N’a si large jusqu’outre mer,
Quar de promesse m’a fet riche :
Du forment qu’il fera semer
Me fera anc’ouan flamiche.
II
Brichemer est de bel afère ;
N’est pas uns hom plains de desroi :
Cortois et douz et debonère
Le trueve-on, et de bel aroi ;
Mès n’en puis fors promesse atrère,
Ne je n’i voi autre conroi :
Autele atente m’estuet fère
Com li Breton font de lor roi.
III
Ha, Brichemer ! biaus très doux sire,
Paié m’avez cortoisement,
Quar vostre bourse n’en empire,
Ce voit chascuns apertement ;
Mès une chose vos vueil dire
Qui n’est pas de grand coustement :
Ma promesse fetes escrire ;
Si soit en votre testament.
Explicit de Brichemer.
Alternance d'une rime en -iche, féminine et en -roi, masculine, entre I et II, et joli glissement d'une rime en -ère en II vers -ire en III.
Brichemer a-t-il été le débiteur de Rutebeuf, est-ce bien son vrai nom ? Si c'est le cas, fort décapante entame:
Rimer m’estuet de Brichemer
Qui jue de moi à la briche:
Le ton me semble humoristique, mais rejoint une préoccupation majeure de Rutebeuf: faire entrer un minimum l'argent.
Dans cet ordre d'idées:
Est-il si curieux qu'on ne trouve pas un vers sur le roi Saint-Louis, alors que Rutebeuf en fit sur son successeur, Philippe III le Hardi, bien que la juxtaposition des dates présumées de naissance et de décès de Rutebeuf épousent davantage, dans le temps, celles de Saint-Louis ?
Pas tant que ça.
Roi iconique pour ses sujets, Rutebeuf a pu estimer qu'il serait tabou de l'égratigner, ou, à tout le moins, si périlleux...
Or, sous l'influence des Ordres Mendiants naissants (en premier lieu les franciscains), Saint-Louis prône une vie nettement plus dépouillée que celles de ses prédécesseurs, et les activités des bateleurs, ménestrels, jongleurs, montreurs d'ours et autres sont regardées comme futiles, si ce n'est néfastes, en ce sens qu'elles ne contribuent pas au Salut de l'âme, voire l'en détournent.
Le grand Saint d'Assise, à l'origine de cette déferlante, celle des nouveaux Ordres (mendiants) pourtant fort musicien et compositeur, canonisé en 1228 seulement deux ans après sa mort, préconise qu'on se suffise de la Lectio Divinas, jeûne sans cesse et, sinon, se contente d'une très faible nourriture mendiée.
La grande affaire de la vie terrestre étant de réussir sa mort (comme dirait Fabrice Hadjadj), arriver impeccable au Jugement Dernier:
Comme les moines des Ordres Mendiants ne sont plus cantonnés dans les monastères, ainsi que l'étaient, par exemple, bénédictins et clunisiens, ni les ermites dans leurs Déserts, mais sillonnent les chemins et vivent de l'aumône, il y a, pour Rutebeuf et ses confrères, compétition perdue d'avance.
Quant à l'argent proprement dit, n'est-ce pas déjà coupable de courir un tant soit peu après ?
Adaptation (traduction ?) maison:
De Brichemer
I
Il m'échoit de rimer sur Brichemer
Qui se joue de moi par tromperie.
Pour ma part je l'apprécie,
Ne l'estimant ni mesquin ni chiche;
Jusqu'en outre-mer on n'en trouve de si prodigue,
Car de promesses il me fit riche:
Du froment qu'il fera semer
L'an prochain me cuira une galette.
II
Brichemer est un homme d'importance,
N'est pas homme accablé:
Courtois et doux et débonnaire
Le rencontre-t-on, et en belles dispositions,
Mais je n'en puis obtenir que des promesses,
Et je n'y rencontre que cette disposition:
Je dois attendre de façon similaire
À celle des Bretons le retour de leur roi.
III
Ha ! Brichemer, beau sire très doux,
Vous m'avez payé avec courtoisie,
Sans que votre bourse ne se délie,
Ce que voit ouvertement chacun;
Mais je veux vous dire une chose
Qui ne vous coûtera pas beaucoup;
Écrire la promesse à moi faite,
Qu'ainsi elle figure en votre testament.
Dénouement de Brichemer.
Mots-clés : #humour #moyenage
- le Dim 3 Nov - 9:54
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Antoine Blondin
Quasimodo a écrit:Je ne saurais pas bien lequel choisir pour une première approche. Les Enfants du bon Dieu peut-être ?
L'Europe buissonnière conviendrait bien, à mon humble avis, Monsieur Jadis peut-être encore mieux (ça dépend si tu souhaites découvrir d'abord le styliste, ou le personnage et le styliste remarquable en même temps).
Quasimodo a écrit:Ça commence à faire un beau panorama (il ne te manque que Monsieur Jadis, Aventin ?)
Voilà-voilà, ça vient, servi chaud !
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Monsieur Jadis ou l'école du soir
Antoine Blondin, époque capillairement verlainienne.
Roman, 1970, 190 pages environ.
Il n'y a pas qu'en matière chevelue que Blondin peut ressembler à Verlaine.
Aux vers faciles, indignes de lui a-t-on avancé (et j'opine tout-à-fait avec cette sentence), du décadentiste au déclin, on est tenté de mettre en parallèle l'écriture alimentaire pour Blondin, dans L'Équipe dont il est une plume poids-lourd, en effet il couvre rien moins (excusez du peu !) que cinq Jeux Olympiques, plusieurs Tournois des cinq nations en rugby, et vingt-sept Tours de France pour le compte du quotidien (et j'ai ouï-dire que ses articles furent tonitruants et à succès, très démarqués de la presse sportive, on sort du style télégraphique et informatif, si Blondin se déplace ou si on déplace Blondin, c'est pour raconter, pour narrer des histoires, pas pour donner la dernière mouture du score ou du classement).
Et puis il y a l'alcool. Lequel coulait déjà à flot dans Un singe en hiver. L'équivalent de la fée verte de l'ex-Parnassien, on ne sait pas toujours ce que c'est - Blondin ne semble pas avoir une boisson attitrée en particulier, qui soit à ce point de prédilection.
L'infaillible œil d'accipitridé de l'éminent Grand Citateur du forum, Tristram, n'a pas manqué d'isoler ce verdict de Blondin, sans appel:
on boit pour être ensemble mais on est saoul tout seul.
Monsieur Jadis, qui est Blondin lui-même et dont il parle à la troisième personne du singulier, est un danseur extrême sur glace mince. Au petit jour elle cède et, à je ne sais combien de reprises dans ce livre, Jadis-Blondin se trouve embarqué au commissariat, placé en cellule, ceinture et lacets ôtés. Jamais pour de longs séjours, type Mons pour l'auteur de Sagesse, non, ça s'arrange toujours assez vite.
Dans Monsieur Jadis, l'auteur nous livre peut-être davantage de son drame personnel, toujours avec beaucoup de retenue, de pudeur, et c'est troussé si aimablement que l'on ne va pas s'apitoyer, le plaindre, du moins dans un premier temps, ni même le livre fraîchement achevé et refermé, oui, même quand ses deux fillettes, qui devaient passer la Noël chez lui, trouvent porte close et s'en retournent, Jadis-Blondin s'étant malencontreusement assoupi en les attendant, lui qui avait tant préparé cette fête: même là, le comique de situation l'emporte.
C'est un but recherché par l'écrivain, je n'en doute pas une seconde, lequel entend faire passer un bon moment à son lecteur et c'est louable, pas si facile comme objectif somme toute.
D'où toutes ces situations cocasses, le foutraque du personnage de Jadis, ses excellents acolytes (alcoolytes ?), comme Mademoiselle Popo, inénarrable, un grand personnage, ou bien son pote écrivain Roger Nimier, associé à Blondin au mouvement littéraire dit des Hussards: ça n'a pas raté, Blondin m'a donné envie de lire Nimier dont je n'ai jamais parcouru une page, oui, même le fameux Hussard bleu.
En illustration, l'entame, toujours du très très haut-niveau pour parler comme un chroniqueur sportif à deux centimes (tout à l'opposé de vos articles en la matière, donc, cher Antoine, si j'en crois la rumeur); est-il possible de dire qu'on vient de se faire plaquer et flanquer à la porte aussi pudiquement ?
Monsieur Jadis savait qu'il ne passerait pas la nuit. Du moins sur le divan d'Odile. Dans quelques instants, il se retrouverait de l'autre côté de la porte, sans s'être vu partir.
Sur la nappe, à peine desservie, son rond de serviette, anneau patiemment conquis, plus subtil qu'une alliance, lui rappelait que l'amour est un demi-pensionnaire. Ainsi Odile en avait-elle décidé. Ils étaient de ces amants qui peuvent dire: "nous prenons nos repas ensemble". C'était déjà beau et plutôt chaste. Il eut été peu digne de bramer. Pour ménager l'avenir, il pliait sa serviette.
Dans la cuisine, Odile brisait de la vaisselle avec mauvaise foi, en s'écriant: "Regarde ce que tu me fais faire !"; ensuite ce fut: "Il vaudrait mieux me laisser seule"; enfin cette constatation déchirante: "Je suis toute seule..." qui bouleversait chaque fois Monsieur Jadis [...]
Sur la formidable Mademoiselle Popo (et "l'art fantastique de la gaie déchéance", qui sied à Blondin), ce passage solaire bien que cellulaire (matinée au mitard après ivresse et diverses peccadilles, précédent un rendez-vous crucial d'une mondanité littéraire à laquelle Blondin est convié pour la toute première fois) - comment rendre le glauque sombre et le sordide abject légers, il y faut une plume pas ordinaire:
...La drôlerie de la chose, reprit Popo, parce qu'enfin, notre aventure pourrait s'intituler: Ne te promène donc pas tête nue...Je ne t'entends pas rire ? Songe que tu vas pouvoir raconter tout ça chez Madame Washington-Post, tu vas avoir un succès fou de taulard. À ta place j'en remettrais encore dans le genre existentialiste et visqueux. Si seulement, je pouvais t'arranger un peu, tu serais comme l'ambassadeur de la nuit. J'espère que ton œil prend tournure...
Monsieur Jadis avait oublié ce coquard, contracté dans les tourbillons du panier à salade. Passant sa main sur sa paupière, il ressentit une légère douleur qui ne le renseigna pas sur le volume ni sur la couleur. Pourquoi Popo s'ingéniait-elle à lui parler ainsi, sinon pour lui communiquer par gentillesse son art fantastique de la gaie déchéance ?
- Il me faudrait une glace, répondit-il.
- J'aimerais être cette glace, dit-elle par-dessus le mur.
- Et toi, comment es-tu ?
- Heureuse, je te l'ai dit, de t"avoir un peu pour moi toute seule. Et sais-tu ce que je pense ? c'est que les gens qui sont comme nous en ce moment devraient se retrouver automatiquement mariés devant le commissaire du bord. À la sortie, on ferait un gueuleton extraordinaire, uniquement composé d'apéritifs, puisque tu ne manges rien...J'ai une idée ! C'est idiot d'en arriver là, mais si on demandait à pisser ensemble pour pouvoir se regarder ? ...
- Ensemble !
- Je veux dire en même temps. (Elle rit.)
[...]
Monsieur Jadis estimait que s'il leur restait une chance d'être libérés avant le déjeuner, il y avait intérêt à ne pas faire de vagues.
Un peu plus tard, après le même cérémonial de sons et de lumières qu'ils avaient déjà connu, quelques agents envahirent à nouveau le corridor où ils étaient parqués. Cette fois, Monsieur Jadis, qui feignait de les ignorer, sembla retenir davantage leur attention.
- Montre-toi un peu, qu'on voie si tu es présentable.
Il s'approcha, porté par un vague espoir. "Ça va, hein ?" murmurèrent-ils. À ce moment, Popo se mit à glapir:
- Et mon cul, il est présentable ?
- Pourquoi pas ? fit le plus rougeaud. Les gars, on pourrait peut-être procéder à une reconstitution du crime ?
- Faudrait y mettre le prix, dit Popo.
Ils se transportèrent d'un bloc vers la cellule voisine et Monsieur Jadis n'eut plus devant les yeux qu'une surface verte et délavée, sur laquelle se projetait l'ombre de ses barreaux.
- De toute façon, dit une voix, après ce que tu as fait dans la rue, tu n'as rien à perdre à te montrer un peu rigolote avec les collègues. Eux aussi, ils demandent à voir.
- Mais lui, à côté, il n'a rien fait, plaida Popo.
- Tiens, justement, son cas se discute à l'heure qu'il est; alors sois gentille...
- Non, dit Monsieur Jadis. Popo, ne bouge pas !
- Mon vieux, répondit-elle, on file pour la rançon de Duguesclin avec ce qu'on a sous la main. Si ça amuse ces gros cochons...Parce que là, vous reconnaîtrez que vous êtes bien des dégueulasses...
Mots-clés : #addiction #amitié #humour #xxesiecle
- le Ven 1 Nov - 8:15
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Antoine Blondin
Les enfants du bon Dieu
En exergue du roman: "Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages", qui inspirera le titre du premier long-métrage de Michel Audiard, la phrase figurant dans le livre, et l'exergue sans paternité, je crois qu'il faut attribuer cet adage à valeur proverbiale (un peu désuet aujourd'hui, il est vrai), à Blondin lui-même.
Paru en 1952 (ré-édité en 2016, éd. La Table Ronde), 280 pages environ.
Une tranche de vie de Sébastien Perrin, professeur d'histoire, époux avec une belle-famille intrusive, qui lui impose le séjour d'un Prince allemand, et Perrin de mener double-vie avec sa fille, une princesse allemande rencontrée alors qu'il était garçon d'écurie débutant en Allemagne au titre du STO.
Le personnage de Muguet, dans L'Europe buissonnière, se retrouve embarqué dans une scène palefrenière similaire lors de son tonitruant passage en Allemagne, y-a-t-il du vécu, même vague, reproduit ici par Blondin ?
L'entame du livre est plus que croquignolette, elle est succulente:
Chapitre premier a écrit:Là où nous habitons, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière. Les chemins qui conduisent de l'École militaire aux Invalides semblent s'ouvrir sur des funérailles nationales. Un trottoir à l'ombre, l'autre au soleil, ils s'en vont entre leurs platanes pétrifiés, devant deux rangées de façades contenues, sans une boutique, sans un cri. Mais une anxiété frémissante peuple l'air:c'est l'appréhension du son des cloches.Le ciel vole bas sur mon quartier prématurément vieilli. Et je n'ai que trente ans et le sang jeune.
Ma maison s'élève au carrefour de deux silences. L'absence de sergent de ville ajoute à la distinction du lieu. Donc, cette ancienne bâtisse neuve achève là de noircir avec élégance et modestie. Quelques moulures en forme de corne d'abondance et une manière de clocheton pointu dont les seuls ornements consentis à sa frivolité. Pour le reste, on dirait un thermomètre, elle est haute et étroite, tout en fenêtres pour prendre le jour. Elle ne le renvoie pas. Je me demande ce qu'elle en fait. C'est d'ailleurs l'un des principes qui gouvernent la vie de la maison - ce peu de vie que nous avons en commun - de ne jamais rien renvoyer: ni le jour, ni l'ascenseur, ni les bonnes.
L'ensemble est fort théâtral, et pourrait je crois être adapté au théâtre. Assez vif de peinture, un rien goguenard mais discrètement, d'une façon policée. Et toujours beaucoup de cocasserie, de comique de situation et de répartie...
Mots-clés : #humour #xxesiecle
- le Sam 26 Oct - 20:58
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Vénus Khoury-Ghata
La maison aux orties
Roman, 2006, éditions Actes Sud, 110 pages environ.
J'ai beaucoup aimé ce roman.
Vénus Khoury-Ghata explique le projet en prologue:
Prologue a écrit:Deux années de travail acharné, des dizaines de pages sacrifiées avec la fausse impression de coller à la réalité. Le mot "Fin" étalé sur la dernière page et m'étant relue, j'ai constaté que ces pages ne contenaient que des pépites de ce que j'ai vécu. L'écriture seul maître à bord a tiré les ficelles et m'a entraînée vers une réalité enrobée de fiction.
Il m'est impossible de faire la part du vrai et de l'inventé, de démêler la masse compacte faite de mensonges et de vérité. À quelle date exacte avait commencé la déchéance de mon frère ? Où fut enterré mon père ? La guerre limitant les déplacements, on enterrait sur place à l'époque. Les personnages de ce livre n'étant plus de ce monde, je les ai convoqués par la pensée et leur ai demandé de donner leur version personnelle des faits.
Penchée par-dessus mon épaule, mon analphabète de mère me dicte ses espoirs et ses désillusions. Mon jeune mari mort il y a deux décennies me donne rendez-vous dans un café, et me demande de lui décrire ma vie après lui. Seul mon frère reste sourd à mes appels.
La maison aux orties est la maison natale au Liban, la mère de Vénus se promettait chaque jour de les arracher, ces plantes envahissantes, inutiles et inesthétique afin de planter par exemple des hortensias, et, par procrastination, différait chaque jour cette tâche promise: elle ne l'a jamais accomplie.
Roman névrotique, passablement ravagé, avec plus d'humour qu'il n'y paraît.
Il est bon d'avoir lu l'autre bouquin avec une maison dans le titre (Une maison au bord des larmes) auparavant. Au reste, l'écriture en est assez différente.
Le style est nettement plus savoureux, réfléchi, avec la mise en valeur par jeu de reliefs de passages complets que dans le tempétueux Une maison au bord des larmes, montrant ainsi que Vénus Khoury-Ghata, poète, traductrice et romancière, a décidément bien des cordes à son arc, est-il si fréquent de voir de telles évolutions stylistiques, en peu d'années, chez un romancier ?
Vénus, son défunt jeune mari, feu ses parents, son voisin Boilevent, ses chattes, sa fille Yasmine alias Mie, son amant (désigné par l'initiale M., peintre chilien de grande notoriété - pour les moins perspicaces, j'avance le nom complet tel que je le présume: Matta), les coulisses du prix Max-Jacob avec des évocations marquantes (Alain Bosquet, Jean Kaplinski, etc...), bien des petits détails tout à fait croquignolets et quantité d'autres choses encore: roman de la solitude et de la vieillesse approchant, mais certainement pas roman de la décrépitude ! Madame, vos morts sont si emplis de vie !
Mots-clés : #amitié #amour #autobiographie #humour #mort
- le Sam 21 Sep - 11:20
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- Sujet: Vénus Khoury-Ghata
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