Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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175 résultats trouvés pour humour

Romain Gary

Adieu Gary Cooper

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Images15

Ce n’est certainement pas le plus connu des romans de Romain Gary, mais c’est une satire quelque peu déjantée, et que j’ai trouvé très amusante, de la société des années 60.
En résumé, quelques jeunes hommes américains viennent se réfugier en Suisse pour échapper à la conscription pour le Vietnam. Ils forment une communauté de « ski bums » qui ne se sentent bien que dans la neige, à au moins deux mille mètres « au-dessus de la merde ».

« La montagne blanche, c’est une vraie sirène. Ca vous appelle, ça vous promet. Les sommets. Le ciel. Pour un peu, on se mettrait à penser à Dieu »


Il y a parmi eux Bug Moran, riche homosexuel qui drague dans les toilettes de Zurich et qui rédige des télégrammes d’humour noir lorsqu’un des membres de la communauté va s’immoler par le feu sur les cimes pour des motifs obscurs (c’est l’époque où des bonzes s’immolent de cette façon au Vietnam).

« Votre fils s’était immolé par le feu pour protester contre le briquet de mauvaise qualité qu’on lui avait vendu stop Il est mort dans d’atroces souffrances ce qui explique pourquoi ses dernières pensées furent pour ses chers parents stop Prions chère maman venir recueillir pied gauche demeuré à peu près intact stop Vous assurons que le sacrifice de votre enfant sera pas inutile signé pour l’Association de Lutte pour l’Amélioration des Briquets, Bug Moran, pédéraste ». La poste suisse avait exigé de Moran qu’il supprimât le mot pédéraste. Cela les avait choqués.


On rencontre aussi Al Capone, un poète nouvellement arrivé, mais qui se révèle de la pire espèce :

« Et ce n’était pas tout, l’affreux mec, qui était tout barbu, avec le signe rouge de Brahma peint entre les sourcils, et qui sentait encore le tunnel – tous ses vêtements étaient imbibés de suie – s’était lancé aussitôt dans la philosophie. Bug, sans le savoir, leur avait ramené un « hippy », et s’il y avait une chose que les clochetons, les vrais de vrai, avaient en horreur, c’étaient les « hippies » qui étaient tous des fascistes, enfin, des types qui voulaient sauver le monde, bâtir une nouvelle société, chiasse de merde. Comme si celle qu’on avait n’était pas déjà pas assez jolie. »

Et Lenny (en hommage à Lenny Bruce ?), beau comme un dieu, totalement détaché des valeurs et agitations du monde qui ne possède que deux choses sacrées : sa paire de skis et une photo dédicacée de Gary Cooper, ce qui fait rire ses amis :

« Tu veux que je te dise, Lenny ? C’est fini, Gary Cooper. Fini pour toujours. Fini, l’Américain tranquille, sûr de lui et de son droit, qui est contre le méchants, toujours pour la bonne cause, et qui fait triompher la justice et gagne toujours à la fin. Adieu l’Amérique des certitudes. Maintenant, c’est le Vietnam, les universités qui explosent, et les ghettos noirs. Ciao, Gary Cooper. »


Et c’est bien de cela dont il s’agit dans ce roman, la fin des illusions et d’une conception traditionnelle de l’Amérique avec ses valeurs :

« Il y avait, derrière tout cela, une frontière perdue. Allumer un feu, seller son cheval, abattre son gibier, bâtir sa maison. Il n’y avait plus rien à décider. Toutes les décisions étaient déjà prises. On était toujours chez les autres. On prenait place, on entrait en circulation. Votre vie n’était plus qu’un jeton, vous étiez un jeton qui s’insérait dans le distributeur automatique. Insérez une pièce. Insert one. »


« Perdu rêve américain bon état Dieu famille liberté individualisme. Rapporter contre récompense, si possible avec terres vierges de l’Ouest. Révolutionnaires s’abstenir. »


Lenny comme les autres ski-bums se méfie beaucoup de types comme Al Capone qui prétendent réformer le monde :

« Jésus, pensait Lenny, ça y est. On y est. Psychologie. Sociologie. Analyse. Fais voir ton pipi je te ferai voir le mien. Il n’y a pas moyen de les semer. C’est tout de même pas croyable. Ils ont bâti un monde tellement con et tellement dégueulasse que c’est un vrai Madagascar, bourré de vierges et de poissons néfastes, avec seulement l’aliénation qui a survécu par miracle, quand on arrive à la trouver, et à la garder, et voilà qu’ils vous font encore des leçons de psychologie, de politique, et vous expliquent ce qui ne va pas, comme si quelque chose allait à part la plus grande force spirituelle de tous les temps, comme disait Bug. »


" L'Amérique maintenant c'est Freud, l'angoisse, le doute et la merde. »


« Le marxisme a quand même réussi une chose : nous sommes condamnés à nous branler. C’est ce qu’on appelle « l’absurde ».


En fait, il veut qu’on lui fiche la paix Lenny, quitte à se réfugier en Mongolie extérieure ou plus loin encore :

« Comment s’appelait déjà cet endroit qu’ils ont en Asie, comme la Mongolie extérieure, seulement encore plus loin ? Euthanasie, c’est ça. »


Ils sont parfois un peu rudes les « ski bums », comme pour cette fille, un peu paumée, que Bug a recueilli dans les toilettes de Zurich :

« De millions et des millions de spermatozoïdes qu’ils lâchent dans la nature, et après, ils appellent ça l’Amérique. Regardez-là. Complètement paumée. Les énormes conséquences de la copulation sont totalement ignorées par le couple au cours de l’acte. Cette fille n’aurait jamais dû être mise au monde, ça crève les yeux. Foutre des bébés n’importe où n’importe comment pour qu’ils deviennent n’importe quoi, c’est du génocide. Des naissances comme ça, c’est un assassinat du spermatozoïde. Vous vous rendez compte de ce qu’un spermatozoïde moyen devient aujourd’hui ? Regardez-moi ça. »


Mais quand la fille éclate en sanglot, leur bon cœur réapparait instantanément :

« Les larmes, c’est toujours intelligent. Ca vient de la compréhension. »


La philosophie des « ski bums », qu’ils formulent souvent sous forme de haïkus, est donc quelque peu désabusée et … prudente :

« Le Monde est vachement réussi
Mais que font donc les hommes ici ?
Debout, les damnés de la terre
Foutez-vous bien vite tous en l’air »


« La mort, on connaît pas encore assez là-dessus. C’est comme pour le cancer. C’est pas encore au point. J’aime mieux attendre. »


« Karl Heidegger nous dit qu’au fond,
La mort à quelque chose de con.
D’où, je tire mon argument :
Mourez, mais très, très prudemment. »


Et cette formule qui me ravit :

« Il faut surtout pas aimer ton prochain comme toi-même, il est peut-être quand même un type bien. »


Mais voilà, Lenny qui ne craint rien tant que l’attachement va trouver l’amour en la personne de Jess, fille de diplomate français, milieu que Gary connait bien et qu’il égratigne au passage :

« Vous savez très bien ce que c’est, l’immunité. Vous êtes sous votre cloche en verre en train de regarder le niveau du sang monter autour de vous, et vous traversez de temps en temps le sang dans votre Cadillac pour faire une visite protocolaire au doyen du Corps Diplomatique ou remettre aux assassins une « note verbale » dans laquelle « le gouvernement des Etats-Unis a l’honneur d’informer le gouvernement d’Irak que… » Vous êtes de retour juste à temps pour la réception que vous donnez en l’honneur d’une délégation commerciale venue pour faire des affaires avec les bourreaux… »


Jess est l’exact contraire de Lenny. Elle appartient à un groupe d’activistes parmi lesquels figure un certain Karl Böhm ! Le couple va se trouver entrainé dans une sombre affaire de trafic de devises…

On le devine, transparaît dans ce roman la vision pessimiste d’un Romain Gary qui n’est pas dupe des idéologies et de « l’air du temps », mais qui observe avec ironie, lucidité et tendresse l’univers qui l’entoure. Et toujours chez Gary il y a cet espoir, cette possibilité » de rencontre incongrue entre un Lenny et une Jess  et qui sauve tout.

« Moïse Calvin. Notre chef spirituel. Le grand mufti de Genève. C’est notre Gandhi, quoi. Che Guevara, si vous préférez. »



« La révolte des jeunes bourgeois contre la bourgeoisie était condamnée au canular ou au fascisme, la seule différence entre les deux étant quelques millions de morts. »



" Un journal a écrit que ce qui nous manque, aux jeunes, c'est une guerre, ce qui ne nous apprend rien sur les jeunes mais en dit long sur les vieux. »



Terminons sur ces quelques mots qui pourraient résumer la trajectoire de l’auteur


« Après elle va encore croire que je suis cynique.  Je suis pas cynique, moi. Je voudrais seulement choper la maturité, comme les gars qui se foutent enfin une balle dans la tête. »


Bon, j'édite mais finalement je laisse, ce sont deux citations qui m'ont fait rire (je sais, je suis un grand enfant  Very Happy )

« C’est le genre de sourire qu’un gorgonzola vieux de mille ans aurait eu, s’il avait encore la force de sourire, au lieu de se contenter de puer. »


« Le garçon sortit en courant du café et les regarda avec une expression de veau qui fait une prise de conscience et se rend brusquement compte avec horreur que sa mère est une vache. »


mots-clés : #aventure #humour #politique
par ArenSor
le Mar 21 Aoû - 18:16
 
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Sujet: Romain Gary
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Raymond Queneau

Le Chiendent

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Le_chi10


La scène se tient à Paris, et surtout sa banlieue, début des années trente (roman paru en 33), dans les classes populaires.
Etienne Marcel (comme la rue et la station de métro), d’abord une silhouette, devient un « être plat », puis un « être de consistance réduite », un « être de réalité minime », prenant de l’épaisseur aux yeux de l’observateur, Pierre Le Grand :
« Au lieu d’être découpé comme un soldat d’étain, ses contours s’adoucissent. Il se gonfle doucement. Il mûrit. L’observateur le distingue fort bien, mais n’en aperçoit aucune raison extérieure. Il a maintenant en face de lui un être doué de quelque consistance. Il constate avec intérêt que cet être doué de quelque réalité a les traits légèrement convulsés. Que peut-il se passer ? Cette silhouette est un être de choix. »

« J’observe un homme.
‒ Tiens. Romancier ?
‒ Non. Personnage. »

… et prenant conscience du monde et de lui-même, devenant « un homme qui pense » ; c’est la naissance d’un personnage au travers de ses propres sensations de narrateur :
« Il m’a suffi de tourner la tête à droite au lieu de la tourner à gauche, de faire un pas de plus et j’ai découvert des choses à côté desquelles je passais chaque jour, sans les voir. Je ne tournais pas la tête ; je l’ai tournée. Mais pourquoi l’ai-je tournée ? »

« …] j’ai beaucoup changé ces derniers temps je m’en aperçois maintenant oui le monde n’est pas tel qu’il apparaît, du moins quand on vit tous les jours la même chose alors on ne voit plus rien il y a pourtant des gens qui vivent pareil tous les jours moi, au fond je n’existais pas [… »

Le hasard fait donc se rencontrer Etienne (jeune employé de banque, propriétaire d'une villa inachevée dans la banlieue) et Pierre (oisif rentier), mais aussi Narcense, jeune saxophoniste de jazz au chômage et fasciné par les femmes, Sidonie Cloche, sage-femme avorteuse, Saturnin Belhôtel concierge, écrivain et philosophe à ses heures, Dominique qui tient une friterie à Blagny, Ernestine sa bonne, le père Taupe, vieux brocanteur misérable, « ivrogne et lubrique », les adolescent Théo et Clovis, le nain Bébé Toutout…
Imbroglio savamment intriqué de coïncidences, des bouts d’existences se croisent pour nouer l’intrigue structurée en boucle.
« Alors, ils quittèrent la clairière qui se trouve devant Carentan et, franchissant les fausses couches temporelles de l’éternité, parvinrent un soir de juin aux portes de la ville. Ils se séparèrent sans rien dire, car ils ne se connaissaient plus, ne s’étant jamais connus. »

Je tiens à préciser que la lecture de ce livre n’est pas laborieuse : le lecteur n’est jamais (vraiment, ou longtemps) égaré, et en définitive peu d’effort lui est demandé.
Accumulations rabelaisiennes, échos et rimes, rêves, stream of consciousness, (et même un désopilant fantasme/ digression, l’histoire du bilboquet), échanges épistolaires (ou d’« épistoles »), satires et tous genres d’humour, toutes formes de parodies (« Ernestine, Ernestine, disparue ! »), diverses techniques littéraires sont utilisées (sans jamais insister jusqu’à devenir lourd) ‒ et c’est toujours un grand plaisir de lecture.
La transcription phonétique qui caractérise partiellement son œuvre y apparaît déjà, comme une des sources de néologisme :
« Non, sa belle argent, elle l’aurait pas chtée comm’ ça su’ l’tapis vert, pour qu’aile s’envole et qu’aile la r’voie pus. Non. »

« Narcense n’ose se risquer. Il presquose, puis recule. »

D’une manière générale, c’est une vaste jubilation de mots, parfois aussi des archaïsmes :
« "Alibiforains et lantiponnages que tout cela, ravauderies et billevesées, battologies et trivelinades, âneries et calembredaines, radotages et fariboles !" se dit-elle. »

Souvent une certaine mélancolie affleure, teintée d’une réelle métaphysique :
« Sur le quai, des tas d’êtres humains tout noirs attendaient. On aurait dit du papier à mouches. Le jour, un peu abruti, n’était pas encore bien levé. L’air, parfaitement purifié par la nuit, recommençait à puer légèrement. À chaque instant, le nombre des attendants augmentait. Les uns ouvraient à peine des yeux rongés par le sommeil ; d’autres semblaient plus bas que jamais. Beaucoup étaient frais et dispos. Et presque tous avaient un journal à la main. Cette abondance de papier ne signifiait rien. »

« " C’est ça la vie, c’est ça la vie, c’est ça la vie." »

« Ils s’enfoncent dans leurs destins réciproques comme des crevettes dans le sable, ils s’éloignent et, pour ainsi dire, meurent. »

Une grande scène, celle des noces, qui se terminent par une macabre agonie :
« Elle ne saurait plus tarder ; l’autocar qui la transporte fend l’air ; sa carrosserie trépide d’impatience ; tel un cheval fougueux transportant sur son dos un capitaine de gendarmerie qui craint d’arriver à l’école du soir quand le cours de versification sera terminé, ainsi le puissant quadricycle emporte la noce joyeuse vers son destin, en avalant des kilomètres et en chiant de la poussière, rugissant comme un lion et ronflant comme un dormeur enrhumé. Il égrène un à un les villages de la route et bondit par-dessus les fossés, les ornières et les caniveaux ; les bicyclistes ne le font pas reculer, il aplatit les poules de son pneu increvable, les virages fascinés se laissent prendre à la corde, il foudroie la campagne et subjugue la ville, l’intelligent l’admire autant que l’imbécile. »

« C’est comme moi. I reste du pourri, mais la p’tite voix qui parle dans la tête quand on est tout seul, i n’en reste rien. La mienne quand è s’taira, è r’ parlera pas ailleurs. C’est ça qu’est drôle. C’est pas qu’ ça m’fâche autrement. On s’ passera d’moi. J’ m’en doute bien. Et je m’ passerai bien d’moi-même.
[...]
Bien sûr, y a quéque chose de très simple et tout l’ monde sait ça : la femme Taupe va mourir passque plus tôt ou plus tard, ça finit par arriver et si on vit c’est parce qu’on mourra. Pas vrai ? »

Grinçante caricature des "idéaux" petits-bourgeois :
« "Dans six mois au plus, songe Mme Belhôtel, nous aurons notre petite maison, notre petite maison close. Je la voudrais dans un quartier tranquille et sûr ; une clientèle bourgeoise et fidèle ; sept à huit filles, pas plus ; mais bien choisies. Il y aura tout plein d’or et de velours rouge, et l’on vivra dans l’abondance et le calme et Clovis deviendra ingénieur et il épousera la fille d’un gros industriel et les petits enfants auront une bonne anglaise avec de grandes dents et des rubans bleus flottant sur ses fesses osseuses. »

« Tu vas décrire avec régularité cette splendide trajectoire, Clovis, et rien ne pourrait t’en empêcher. (À moins qu’il ne crève en chemin, mais c’est pas la peine de le lui dire, il est d’un naturel si peureux, il se frapperait.) »

Queneau anticipe aussi la seconde Guerre Mondiale (roman écrit en 1932), avec « charge à la boyaux-nets » :
« Le conflit entre la Gaule et l’Étrurie va probablement tourner en conflagration mondiale. Les Ligures et les Ibères vont sans doute se joindre aux Gaulois ; les Ombriens, les Osques et les Vénètes aux Étrusques. Le peuple polonais a déclaré qu’il soutiendra son alliée de toujours et qu’il mettra sa Vistule à la disposition du gouvermint froncé. »

« Et de nouveau la culture française allait être sauvée, on allait même lui donner du bon engrais à cette culture, quelque chose de soigné, du sang et du cadavre. »

Impossible de ne pas penser à Céline, qui à la même époque publiait Voyage au bout de la nuit
Je suis particulièrement sensible au thème des personnages qui se savent dans un livre (fréquent dans l’œuvre romanesque de Queneau, pour ce que j’en ai lu) :
« ‒ Quel livre ? demandèrent les deux maréchaux errants.
‒ Eh bien, çui-ci. Çui-ci où qu’on est maintenant, qui répète c’ qu’on dit à mesure qu’on l’ dit et qui nous suit et qui nous raconte, un vrai buvard qu’on a collé sur not’ vie.
‒ C’est encore une drôle d’histoire, ça, dit Saturnin. On se crée avec le temps et le bouquin vous happe aussitôt avec ses petites paches de moutte. »

Parfois même le personnage (ou l’auteur ? ici Saturnin) apostrophe le lecteur :
« Gentil, gentil lecteur, soldat zou caporal, moule à gaufre, fesse de farine, je ne te cacherai pas plus longtemps, je suis soûl, soûl comme une vache, salement soûl. »

Le « coupe-œufs-durs-en-tranches-minces » vendu par un camelot, outre un témoignage des foires d’antan, marque l’absurde et le surréalisme qui affleurent dans ce beau roman.
Le titre fait je pense référence à la vie sous forme de reprises têtues, « multiples et complexes », cf. la première-dernière phrase.
Je regrette de n’avoir pas commencé ma découverte de Queneau par ce roman, certainement la meilleure porte d’entrée dans son univers.


mots-clés : #absurde #humour #universdulivre
par Tristram
le Dim 19 Aoû - 13:39
 
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Éric Chevillard

Défense de Prosper Brouillon
Fantaisie critique publiée en 2017

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 97828810

« C’est un petit bijou d’ironie », selon mon amie H. à qui j’ai demandé de lire Défense de Prosper Brouillon. En effet, cette fantaisie critique écrite par antiphrases est d’une habileté tout à fait remarquable.

Éric Chevillard s’amuse d’abord à détourner quelques remarques destinées au critique un peu sévère afin de nous concocter l’hilarant tableau du « microcosme germanocreusois ».
D’un côté, vous avez Prosper Brouillon ruisselant de sueur, couvert de poussière, qui a œuvré tout le jour dans la carrière pour détacher un beau morceau du monde, un quartier de réel compact avec des gens plantés dessus ; de l’autre, ces prétendus esthètes, oiseux, amphigouriques comme le mot lui-même, celui-ci ayant au moins l’excuse d’être cohérent avec sa définition alors qu’ils ne sont que des faux jetons assoiffés de reconnaissance. Ils jappent en reculant devant les auteurs de best-sellers, ils espèrent être vus enfin dans leur lumière, goûter à leur gloire en leur mordillant les orteils. Quel spectacle navrant !

Quant à Prosper Brouillon, il est la « figure de synthèse d’une vingtaine d’auteurs contemporains », déjà passés à la moulinette dans le Feuilleton qu’Éric Chevillard a tenu durant six années (2011-2017) dans Le Monde des livres. Ici, ces auteurs ne sont pas nommés, mais leurs citations réintégrées dans un petit roman niais conçu pour articuler toutes ces trouvailles horrifiantes, où la dimension érotique, grossière et ridicule, finit par devenir sordide. Je vous laisse le plaisir d’en découvrir toute la délicatesse.
Se coucher dans l’ombre bleue d’un cyprès, à jamais délivré de toutes ces horreurs…

Et déjà notre main fébrile cherche un flingue.

Des imposteurs en littérature. Dont les livres sont souvent placés en tête de gondole dans les librairies. Et ces bouquins bancals, sûrement rewrités pour la plupart, sont alors pris pour ce qu’ils ne sont pas. Nombre de lecteurs doivent être dupés par l’autorité d’une prestigieuse maison d’édition ou les fanfaronnades d’un auteur agile sur les plateaux télévisés.

Il faut le croire. Ou comment comprendre un tel engouement pour ces histoires insignifiantes et parsemées de tournures d’une vulgarité extrême ? Lesquelles laissent entrevoir une vision non moins médiocre du monde, génératrice de représentations accablantes. Parmi les perles pêchées par Éric Chevillard :
Qu’avait-elle en tête ? Des rêves de boniche, des fantasmes puérils, des chimères de ménopausée. Elle allait, oui, se détériorer, devenir une pauvre chose flasque et ridée.

[…] il y a un moment où une femme doit choisir entre son visage et son corps. Grâce à la graisse, elle avait sauvé sa figure […], mais elle était devenue énorme en dessous.


Heureusement, le trésor empoisonné nous est livré dans un fabuleux écrin. On le ressort, on le relit. Pour l’humour caustique, l’écriture ciselée et les fascinantes figures acrobatiques d’Éric Chevillard. Pour les magnifiques illustrations de Jean-François Martin, qui contribuent elles aussi à nous élever toujours plus haut au-dessus de ce marécage, un terrain saturé de clichés nauséabonds, impropre à la culture de notre esprit.

On rit beaucoup. Mais on aurait quand même un peu envie de pleurer.
J’ai coché quelques passages, donc, en lisant Les Gondoliers. Mais je me suis vite fatigué. L’écriture en est aussi hardie de bout en bout. Il faut le savoir : c’est un livre dont on ne sort pas indemne. Le lecteur prend une vraie claque. Mieux : un uppercut le plie en deux, puis le genou le cueille à la mâchoire.

Qui se décroche.


Éric Chevillard, dans l’émission de radio « Caractères » présentée par David Collin, raconte ce qui l’a incité à écrire cette fantaisie critique corrosive :
Le problème est que ça finit par être toxique. Ce n’est pas seulement ridicule. Comme c’est beaucoup lu, ça fige un certain état de la langue aussi. Ça n’est pas sans influence sur le désespoir contemporain. Au bout d’un moment, nos représentations du monde aussi mal formulées finissent par… y’a un effet de retour qui se produit dans le réel et c’est le réel même qui nous paraît cafardeux d’un coup d’un seul. Donc je me sens non seulement le droit mais le devoir de stigmatiser ce type de littérature ; parce qu’elle est toxique.

mots-clés : #humour #universdulivre
par Louvaluna
le Ven 10 Aoû - 23:26
 
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Jean Rolin

La frontière belge.

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Proxy_44


j'ai lu ça dans la soirée hier, j'ai trouvé ça drôle, loufoque, truculent. Une bande vauriens-vauriennes foldingues, sordides et poétiques, en territoire du Nord, racontée d'un ton hyper-sérieux par un Jean Rolin imperturbable dans ses subjonctifs habilement parsemés. Pas la lecture impérissable, mais sympa, joyeux, léger. Tellement pas impérissable que, après lecture, je retrouve un commentaire écrit en 2015, sur ce bouquin totalement oublié, à part cette phrase, que j’avais citée à l'époque et qui a remué en moi quelque chose dans les strates tortueuses de la mémoire, parfait reflet du côté pince-sans-rire de l'auteur:
Je n'aime pas les poissons : on voit trop, chez eux, comment le corps ne sert en fin de compte qu'à réunir la bouche et le trou du cul.

C'est très ancré dans le territoire, et comme j'en reviens, cet aspect m'a bien plu.
En fait j'ai beaucoup mieux aimé qu'à l'époque. Est-ce que je vieillis ou est-ce que je suis rattrapée par l'esprit d'enfance (ce qui, au final, n'est qu'une seule et même chose)?


mots-clés : #absurde #aventure #humour #lieu
par topocl
le Ven 10 Aoû - 8:40
 
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Sujet: Jean Rolin
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Richard Jorif

Le Navire Argo

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Le_nav10

Frédéric Mops, une sorte d’enfant sauvage, découvre Paris, les femmes et les livres, les mots : Rousseau, Littré (tenir ce dictionnaire à portée de main est un must). C’est notamment un prétexte à savourer les archaïsmes de la langue avec une dilection un peu artificielle, mais originale : c’est « rafraîchissant » dans son étrangeté, fort travaillé, mais un peu emprunté, et l’auteur y transparaît peut-être un peu trop ?
« Tu n’es pas de ceux qui parlent, tu es de ceux qui écrivent. »

Pour celles et ceux que le sujet intéressait, voir https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00735659
Aussi occasion de s’auto-citer :
« Pourquoi faut-il qu’on se souvienne
au fil des fleuves sans aveu ? »

Ayant commis son Tombeau de Littré, traqué la vie privée et les avis personnels du lexicologue dans les exemples et les citations illustrant ses définitions, Frédéric jette ses propres commentaires dans son « debribus » (joli néologisme, pour une fois). Frédéric (et Richard) témoignent également des évènements du printemps 68, de la destruction des halles et de l’édification du centre Beaubourg :
« Il s'en fallait que l'entreprise de subversion du lutin frondeur [Daniel Cohn-Bendit] recueillît l’adhésion du grand public. Toutes ces furieuses embrassades avec les policiers n’avaient d’autre fin que d’évincer les citoyens des problèmes brûlants. Tandis que de prétendus étudiants s’amusaient à la moutarde, l’équipe de France de tennis se faisait piétiner par les Anglais, et le boxeur Jean Josselin volait en éclats sous les coups d’un Italien sûr de lui, et dominateur. Que pesaient quelques échauffourées au prix de ces désillusions ? »

J’ai souvent pensé à Queneau en lisant ce roman un peu foutraque ‒ aussi à Vian. On reconnaît évidemment l'influence de Rabelais dans les listes et les descriptions d’empoignades soixante-huitardes.
« ‒ […] Le public n’est plus habitué aux excès de vocabulaire.
‒ Je sais. Il lui faut du "naturel", de la sobriété, sujet, verbe, complément, bref un style de circulaire, quelques adverbes en -ment, quelques expressions figées, et une grande liberté de ton : "Il s’éveilla frais et dispos et, sans un mot, encula Marie-Véronique." »

« ‒ Notre mémoire nous surprend comme une voleuse. Et il me déplaît d’être surpris par mes souvenirs, par toutes ces choses d’une vie engloutie qu’un rien ramène à la surface. On dirait que la mémoire profite de nos moments d’inattention, ou pis encore, de notre agonie, pour nous renvoyer à ce qui n’est plus nous, au machinal de la vie… »

« ‒ […] Mais que faites-vous de ce vocabulaire ?
‒ Je le disperse. »

« Je vous vois sans désir si l’on excepte votre goût des mots, qui est une passion morte. »

La fin de l'ouvrage renvoie au second volume de la trilogie : je vais donc lire Le burelain, et vous en rendre compte.

mots-clés : #humour #initiatique
par Tristram
le Mer 25 Juil - 20:52
 
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Sujet: Richard Jorif
Réponses: 9
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Marcel Aymé

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Tete0410

La tête des autres

Je continue ma découverte d'Aymé, cette fois par cette pièce de théâtre dénichée à Emmaüs.
Sa lecture, aisée, assez prenante, a été rapide. C'est par un premier acte bien cynique que l'auteur plante le décor de cette mordante critique écrite en 1952. Des procureurs se congratulent d'avoir obtenu la peine de mort pour un accusé dont on doute pourtant peut être de la culpabilité. S'ensuit de véritables rebondissements vaudevillesques et mafieux qui en une sorte de spirale n'auront de cesse de démontrer la noirceur des intérêts individuels.
Mon père me signale que cette pièce est truffée d'allusions d'époque, certains personnages font référence à des personnalités au passé trouble, ça a été un scandale lors de sa création.
De mon point de vue moins averti, je reste marquée par un truc qu'Aymé distille tout du long, une espèce de démonstration du pouvoir de la communication : les personnages, tous "ennemis" les uns des autres, trouvent sans cesse moyen de communiquer, voir de laisser filer la rancoeur, sans être dupes pour autant des malveillances, une espèce de tableau de la loi de la jungle individualiste, où la communication primerait pourtant, supplantant l'appareil judiciaire, lui totalement vérolé.
Corrosif.
Malgré toutes les critiques qu'il avait adressées à la justice, il s'est trouvé, en 1961, un conseiller
à la Cour d'Aix-en-Provence pour solliciter et obtenir une contribution de Marcel Aymé à une
réflexion sur l'art de juger. (Michel Lécureur, Président de la Société des Amis de Marcel Aymé)
:
« Cher Monsieur,
Je suis très touché de votre bienveillante insistance, mais je me sens peu qualifié pour dire sur le
sujet dont vous êtes occupé rien qui puisse intéresser des Juges. Je n'ai pas fait d'études de droit
et je n'ai jamais eu de procès.
Pourtant, à deux reprises dans ma vie, mon attention a été fixée sur la Justice de mon pays et
sur son appareil : la première fois, alors qu'étant collégien, je faisais l'école buissonnière, je
fréquentais, les jours de grand froid, le Tribunal correctionnel dont l'audience était chauffée. À
cette époque, en 1916, la Justice était une Justice de classe (il semble qu'elle le soit encore,
quoique avec précaution). J'ai été profondément remué et scandalisé par la dureté et la
grossièreté avec lesquelles les Juges traitaient les gens pauvres. La deuxième fois, ce fut à la
Libération, le spectacle sans précédent en France, d'une Justice d'exception acharnée à la
vengeance, et à laquelle une magistrature craintive n'a pas ménagé son concours. Comme tout le
monde, j'ai été également au courant des nombreux scandales où la Justice s'est gardée
d'intervenir, sinon de venir en aide aux concussionnaires. Voilà qui n'est pas fait pour donner
une idée rassurante de ce qu'est devenue, en France, la plus haute des fonctions. Certes, des
Juges peuvent se sentir à l'aise dans une recherche consciencieuse du verdict, lorsqu'il s'agit de
l'assassinat d'une rentière ou de l'attaque d'un coffre-fort. Mais est-ce là tout l'exercice de la
Justice ?
Les profanes de mon espèce attendent des Juges qu'ils aient le courage de poursuivre le crime et
le délit sans égard à l'argent ni au pouvoir. Il leur semble que si la Justice consent à se laisser
entamer dans ses positions les plus avancées, elle n'est plus la Justice et qu'un Juge ne peut
avoir bonne conscience, même en face d'un criminel de droit commun. Je souhaite que, dans
votre discours d'ouverture, vous mettiez en garde la magistrature contre l'indifférence et la
légèreté, bien sûr, mais d'abord contre toute espèce de complaisance. Et je souhaite que vous
soyez entendu ! »

Marcel Aymé



mots-clés : #humour #justice #théâtre
par Nadine
le Dim 22 Juil - 19:19
 
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Sujet: Marcel Aymé
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Irmgard Keun

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Irmgar10

Après minuit

J'ai lu Après Minuit, et c'est un très bon livre.
En plus c' est un témoignage sur le vif de l'atmosphère en Allemagne
en 1936. Plus précisément à Francofort.
Un peuple dopé, hypnotisé et sous influence. Il fallait avoir de la lucidité pour s'en rendre compte et prendre peur et avoir envie de partir.
Elle n'avait que 18 ans pourtant Irmgard Keun à l'époque.
Bergman a traversé le pays à cette époque et a été saisi par cette atmosphère à la fois fascinante, empoisonnée et morbide.
Il en parle dans Laterna magica.


Mots-clés : #humour #regimeautoritaire
par bix_229
le Mar 1 Mai - 16:24
 
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Kenneth Cook

Le Koala tueur et autres histoires du bush

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 6424_310
Recueil de nouvelles autobiographiques venant de ce journaliste amoureux de son pays manifestement mais réaliste sur tout ce qu'il contient de bizarreries.
Truculent est le terme le plus adéquat pour définir l'atmosphère du livre dont les histoires sont placées sous un second degré et une causticité très drôles et très agréables.
Dépaysant, frais, bien écrit, drôle, il ne postule pas à la pléiade mais nous divertit et on passe un super moment ce qui est bien le plus important.
Très belle découverte et belle entrée en matière dans la découverte de cet auteur qui ne demande qu'à être répétée.



mots-clés : #autobiographie #humour #nouvelle
par Hanta
le Mar 1 Mai - 10:15
 
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Nicolas Fargues

Rade Terminus

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 511qbp10


Rade Terminus est un livre qui parle des expatriés français à Madagascar avec une certaine ironie.

Des couples, des célibataires se préparent d’abord à partir. Ils feront connaissance là-bas, à Diégo-Suarez. Et se préparer pour partir ce n’est pas forcément de la tarte !

Les personnages, qui vont se croiser à Diégo-Suarez, qui n’est autre que la ville d’Antsiranana, sont plutôt caricaturaux, comme Philippe par exemple, qui travaille pour l’association humanitaire Écoute et Partage, une ONG, et qui souffre de ses TOCs. Que ce soit dans le comique – Amaury recruté en France par Philippe pour le seconder – ou dans le dramatique (Phidélyce qui a vraiment baisé la gueule à Maurice qui a tout quitté pour elle).

« À 65 kilomètres d’Ambanja, sans prévenir, Dieu lui donna l’ordre de pousser à 150 kilomètres à l'heure, juste pour voir : “Tu atteins 150 et puis tu redescends, d’accord ?”
– Ah non ! Arrête Dieu ! Ne me fais pas jouer avec le feu sur ce coup-là ! Faut pas déconner, là ! Je suis en bagnole, là, c’est dangereux, tu peux pas me forcer !
Dieu affecta cet air attristé qui cachait une vexation sans appel.
– Bon bon, O.K., O.K. Mais après on arrête, hein ? »


Voilà pour le TOC qui nous amuse et nous inquiète !

La description de la vie des personnages en exil, on sent que c’est du vécu ! parce que Nicolas Fargues a été le directeur de l’Alliance française de Diégo-Suarez à Madagascar, il a dû en voir passer, des expat’s !!! Le ton employé est plein d’humour, il se moque beaucoup de ses personnages (l’air de rien comme ça, un peu pince-sans-rire !).

Les Malgaches en prennent aussi pour leur grade ! Il les a bien connus et nous en décrit le portrait et les caractéristiques, selon leur origine, côtiers ou des hauts plateaux, c’est pas pareil ! Et quand un Malgache vient en France, c’est tragi-comique !

« Les Français, je leur faisais peur dans le métro parce qu’ils me prenaient pour un Arabe. Les Arabes de la cité où je dormais, eux, ils m’agressaient parce que je mangeais du porc. J’avais beau leur dire que j’étais malgache d’origine indienne mais malgache, Madagascar ils avaient jamais entendu parler, ils voulaient savoir et me traitaient de traître ! Pire encore avec les Indiens ! Je parlais pas tamoul, j’allais pas à la mosquée, ils me traitaient de Français ! »


– Tu sais, ici, toutes les filles vont voir le sorcier pour se marier avec un vazaha [un Français]. J’ai jamais vu une ville où de dix à quarante-cinq ans, la recherche du Blanc est aussi ancrée dans les esprits et, surtout aussi généralisée chez les femmes. Je ne connais pas une seule nana ici qui dirait non à un vazaha, même pas spécialement friqué. Je n’exagère pas, pas une ! »


J’ai apprécié de lire ce petit livre, plutôt drôle, et plutôt à lire en été sur une chaise longue, ou dans l’avion, ou dans l’aérogare ! (mais ce n’est pas un roman de gare !)


mots-clés : #exil #humour #lieu
par Barcarole
le Ven 6 Avr - 9:17
 
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Sujet: Nicolas Fargues
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Julio Cortázar

Cronopes et Fameux

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Cronop10

Recueil de courts récits regroupés en quatre parties : "Manuel d'instructions" (loufoques), "Occupations bizarres" (d’une famille assez déjantée), "Matière plastique" (la souplesse est une qualité récurrente) et "Histoires de Cronopes et de Fameux".
Depuis Platon, nous distinguons deux types d’hommes, sans oublier le troisième ; nous avons donc les Cronopes et les Fameux ‒ ainsi que les Espérances :

« Les Espérances, sédentaires, se laissent voyager par les choses et les gens, elles sont comme les statues qu’il faut aller voir puisqu’elles ne se dérangent pas. »
Julio Cortázar, « Voyages », in « Histoires de Cronopes et de Fameux », in « Cronopes et Fameux »


Essayer de décrire ces brefs aperçus serait aussi compendieux qu’ils sont lapidaires : il vous sera beaucoup plus vite fait de les lire. Indescriptibles, ils font penser aux Surréalistes, à Vian, à Michaux surtout ; c’est aussi du ressort de l’absurde, avec beaucoup d’humour, et de poésie. Pire, plus on s’avance dans le livre, plus c’est jubilatoire.
Les moralités éventuellement à tirer de ces sortes de contes seraient du domaine du ludique ou de l’illusoire ‒ encore que : les rigides et les légers ? les cigales et les fourmis ? les prosaïques et les poètes ? Sans oublier le troisième type...
Si j’aime ? c’est le genre d’histoires auquel je suis particulièrement sensible.

Assez inclassable ; je verrais à la rigueur l’hashtag Nouvelle ‒ voire Fantastique.

Je recommande également l’incontournable Marelle, mais aussi Le livre de Manuel, et ses nouvelles.


mots-clés : #fantastique #humour #nouvelle
par Tristram
le Mar 3 Avr - 13:50
 
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Julie Wolkenstein

Les vacances
Prix des Deux magots

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 -212

Paul, jeune thésard travaillant sur Eric Rohmer, et Sophie, universitaire retraitée spécialisée dans la Comtesse de Ségur se retrouvent par hasard à l'Institut des Mémoires de l'Edition Contemporaine de Caen pour consulter les archives relatives  au premier long-métrage de Rohmer, Les petites filles modèles, film jamais fini, disparu, méconnu… Entre recherches Google, rencontres éclairantes et pauses-cigarettes, chacun va approfondir sa connaissance de lui-même, où les liens avec leur travail émergent les uns après les autres.

C'est un livre tendre, léger et ludique, qui ne se prend absolument pas au sérieux. A travers cette recherche désespérée de points de détails sans intérêts, les deux héros arrivent finalement à l’essentiel : eux-mêmes, dans une accumulation d’observations loufoques, de détails quotidiens magnifiés, et de coïncidences astucieusement multipliées. Ce sont de vrais personnes , avec leurs incohérences, pas des héros de roman tout d'un bloc et cela les rend réellement proches du lecteur.
Un bon moment plein d'humour et de subtilité.


mots-clés : #humour #identite
par topocl
le Lun 19 Mar - 9:59
 
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Sujet: Julie Wolkenstein
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Sergueï Dovlatov

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 41t6ep10

Le Domaine Pouchkine


aussi publié comme "La Reserve"

Originale : Заповедник (Russe, 1983)

CONTENU :
Boris prend le bus de Leningrad vers Pskov, où se trouve le grand mémorial de Pouchkine, la domaine de ses parents où le poète a vécu et où on a construit plus tard un musée. C'est là que notre héros se présente en vue de devenir guide à travers la domaine. Il fait cela avec une certaine nonchalance typique pour lui et on l'embauche. Sans grandes ressources, il trouvera un abri assez modeste, voir sale, chez un alcoolique du lieu. Peu à peu il fait connaissance des lieux et va faire ses premiers tours guidés après quelques jours d'apprentissage. Pendant ce temps, sa femme Tania réfléchit à la maison, si elle va émigrer avec leur fille. Elle va venir rendre visite à Boris...

REMARQUES :
Malgré un changement de nom, on trouver sans difficultés chez le narrateur des concordances avec la biographie et le caractère de Dovlatov lui-même. Beaucoup de ses livres partent de ce matériel autobiographique. Mais il le transforme (à quel point?) et sait raconter ses évènements de sa vie avec humour, un savoir pour utiliser la langue. Ainsi on ne passera pas beaucoup de paragraphes sans rire ou sourire. L'auteur souligne et transforme encore les situations les plus absurdes et grotesques. Mais il est possible que pour certains un tel approche ne passe pas : l'alcool omniprésent (comme chez beaucoup de Russes), son amour inconsidéré pour (toutes?) les femmes.

Évidemment on ne se passe pas dans un livre d'un intellectuel russe de pas mal de références de toutes sortes, surtout littéraires. Naturellement un livre, jouant en grande partie sur le « Domaine Pouchkine » va parler de ce grand auteur et poète russe génial, considéré comme un monument national.
A coté de cela nous trouvons aussi d'autres descriptions de caractères bizarres, de vrais originaux.

Concernant la langue, on ne peut que deviner par la traduction (et les commentaires intéressants d'introduction par un ami dans la version française!) l'originalité et la pointillesse de Dovlatov.

Donc, ma deuxième lecture de cet auteur, et une invitation, de continuer dans la découverte !


mots-clés : #autobiographie #creationartistique #humour
par tom léo
le Dim 18 Mar - 16:27
 
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Sujet: Sergueï Dovlatov
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Antonio Skármeta

Une ardente patience

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Image109

C'est un petit livre tout à la fois charmant et grave, un conte moderne, qui, sous une approche poétique, facétieuse, dresse le portrait politique du Chili au  XXème siècle à travers la figure emblématique de Pablo Neruda.

Celui-ci s'est retiré à l'ïle Noire avec Matilde Urrutia, l'amour de sa vie, pour se consacrer au calme à la littérature. Mario, le jeune, facteur qui lui porte chaque jour des dizaines de lettres, arrive à l'approcher et dans sa naïveté sympathique, devient un ami  qui le relie au monde extérieur. Mario commence par apprendre ce qu'est une métaphore, vole quelques vers au Maître pour séduire sa belle, puis se met peu à peu à écrire ses propres vers. Tout le texte devient peu à peu une métaphore géante, dans un mécanise ingénieux et aérien.

Même si le monde est bien décidé à rattraper Neruda, envoyé par Allende en ambassade à Berlin, puis revenant mourir au moment du putsch, le livre reste d'une douceur amicale et plaisante. Les connaisseurs de Neruda y prendront sans doute un plaisir décuplé, car on se doute bien que le texte est truffé d'allusions, hommages et références à l’œuvre du poète.

mots-clés : #amitié #biographie #historique #humour
par topocl
le Sam 10 Mar - 10:13
 
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Sujet: Antonio Skármeta
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Jonas Jonasson

Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Cvt_le10

Alors que tous dans la maison de retraite s’apprêtent à célébrer dignement son centième anniversaire, Allan Karlsson, qui déteste ce genre de pince-fesses, décide de fuguer. Chaussé de ses plus belles charentaises, il saute par la fenêtre de sa chambre et prend ses jambes à son cou. Débutent alors une improbable cavale à travers la Suède et un voyage décoiffant au cœur de l’histoire du XXe siècle. Car méfiez-vous des apparences ! Derrière ce frêle vieillard en pantoufles se cache un artificier de génie qui a eu la bonne idée de naître au début d’un siècle sanguinaire. Grâce à son talent pour les explosifs, Allan Karlsson, individu lambda, apolitique et inculte, s’est ainsi retrouvé mêlé à presque cent ans d’événements majeurs aux côtés des grands de ce monde, de Franco à Staline en passant par Truman et Mao...


Mon avis
J'ai beaucoup aimé le début, tout un décalage : un centenaire qui doit fêter son anniversaire dans une maison de retraite alors qu'il a vécu tellement de choses au cours de sa vie. Décalage aussi au niveau de l'écriture, j'en ai beaucoup rigolé.
Nous avons le récit de sa vie "ancienne" en parallèle de sa vie actuelle, ce qui aide à comprendre la réaction de ce vieux.
J'ai trouvé dommage que les passages de sa vie antérieures soient de plus en plus longs. Je voulais savoir ce que pouvait faire un centenaire en partant de sa maison de retraite mais j'ai eu l'impression surtout de lire son passé. Ce décalage qui me plaisait a fini par être lourd, ce qui pouvait être ironique devenait lourd aussi. C'était un peu trop pour moi, ce "vieux" a survécu à toutes les guerres, a rencontré tous les dirigeants du monde, ça a fait un peu "flouf" au bout d'un moment.

mots-clés : #humour #vieillesse
par oceanelys
le Dim 4 Fév - 20:06
 
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Sujet: Jonas Jonasson
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Mark Twain

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Le journal d'Ève......Le journal d'Adam

Des petits textes très courts. Le premier étant “Le journal d’Adam”, qui est bien structuré avec un début une fin et une continuité dans le récit. Adam est très bien au paradis. Il vit nu, mange des fruits, vit avec des tigres végétalistes. Et une créature apparait, Eve. Et elle est pénible. Elle parle trop, elle veut tout comprendre, elle le suit partout, elle donne des noms à tout. Pour dire, elle a inventé le mot “nous”. Il la fuit et se dit qu’elle ne lui apportera que des ennuis. Et en effet elle mange des fruits défendus et  ils perdent le paradis. Les animaux s’entretuent pour survivre. Et d’autres créatures apparaissent Caïn et Abel. Au début Adam ne sait pas ce qu’ils sont. Des sortes de poissons? Des Ours sans poils? En tous cas, ils font beaucoup de bruits. Adam finit par s’attacher à Eve, l’interdépendance est nécessaire dans ce monde dans lequel il faut se battre pour survivre.

Le journal d’Eve est plus morcelé. Il commence comme le journal d’Adam et puis change. Il y a une partie où Eve raconte les expériences que Adam et Eve, donc font pour comprendre le monde. Et on comprend que Eve a beaucoup de tolérence pour Adam qui ne comprend pas grand-chose et s’intéresse à des choses bien inintéressantes, mais qui est là constant et fort. Eve se demande pourquoi elle aime cet homme qui semble bien médiocre sur certains plans, mais elle l’aime. Et elle l’a aimé tout de suite, quitte à interpréter ses signes de fuites autrement. Eve a eu le coup de foudre et n’aime pas être seule. Mais Eve est entreprenante et ose tout. Bref deux petits livres amusants.

Je mettrai quelques extraits plus tard.....


Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Tissot10

James Tissot

mots-clés : #contemythe #humour #xixesiecle
par Pia
le Sam 20 Jan - 16:58
 
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Daniel Pennac

Le cas Malaussène, I, Ils m’ont menti

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Retrouvé avec plaisir les personnages de la saga Malaussène, et la contagieuse empathie de leur auteur. Pour ceux qui en ont oubliés, des astérisques renvoient à un lexique en fin d'ouvrage : procédé un peu lourd, mais peut-être pas totalement inutile. Ces "caractères" m'ont rappelé ceux de Fred Vargas par leur pittoresque, leur originalité et la sensibilité à les camper.
Sans que ce soit du tout exceptionnel de nos jours, il y a beaucoup d'auto-références, et de références à la littérature et à l'écriture (cela évoque Jasper Fforde, un univers tout à fait personnel, aussi dans une série à épisodes) ; d'autre part, le livre se présente, au moins partiellement, comme une énigme policière : tout cela n'est pas fait pour me déplaire :
« …] tout enquêteur bosse comme un romancier. Il cherche la cohérence. »

On y trouve aussi nombre de réflexions pertinences, notamment sur l'actualité, sur notre société, et parfois assez acerbes.
« En période de grande lâcheté on fusille les joyeux intrépides. »

mots-clés : #famille #humour #polar
par Tristram
le Dim 14 Jan - 23:55
 
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Sujet: Daniel Pennac
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Gilbert-Keith Chesterton

La sphère et la croix
Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 51zjoa10

Titre original: The ball and the cross. Roman, 300 pages environ, 20 chapitres.

Les intitulés des chapitres sont vraiment évocateurs, allez, pour la joie de les poser là:
Spoiler:

Publié en 1910 à l'état de livre, parution en feuilletons échelonnés entre mars 1905 et novembre 1906 dans "The Commonwealth". C'est le troisième roman, par ordre chronologique, de Chesterton.

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 La_sph10
Dessin de Ben Hatke, tiré de son blogue où vous en trouverez quelques autres ayant trait à "La sphère et la croix", ainsi que quelques propos sur le livre, dont il a illustré une ré-édition.
Ici un lien vers un téléchargement du livre (en version originale), ou encore ici.

La sphère et la croix est une fable, signée d'un maître-métaphysicien. Rassurez-vous, elle est garnie en paradoxes, l'écriture est leste, décapante et joyeuse, le tout est très enlevé. Pas d'inquiétude, le sens de l'humour, si particulier, est à l'habituel niveau de cette figure de proue britannique du genre. Truculent, rondement mené et jubilatoire !  

Tout commence dans le "vaisseau volant" du professeur Lucifer, accompagné par un moine-ermite âgé, bulgare "de grande sainteté", du nom de Michaël, qu'il a kidnappé dans le but de le convertir à ses idées. Croyant aborder une planète inconnue, tout en croisant le fer (verbal) sur des thèmes emprunts de symbolique avec Michaël, Lucifer manque de justesse percuter...la cathédrale Saint-Paul à Londres, surmontée d'une sphère et d'une croix. Furieux des arguments du moine, le professeur Lucifer jette Michaël hors du "vaisseau volant", celui-ci se rattrape in extremis aux branches de la croix qui surmonte la sphère.

S'ensuit un passage remarquable, poético-philosophique, celui de la descente du moine, qui rencontre un gardien, lequel l'amène via les escaliers au sol, avant de le remettre entre les mains de la police, afin de le faire interner en tant qu'aliéné.

De façon concomitante, un jeune écossais catholique (Evan MacIan) fracasse la vitre d'un homme de plume athée dont les écrits et son commerce ne provoquent qu'une totale indifférence (James Turnbull), après avoir lu en vitrine quelques propos comparatifs entre la Vierge et une divinité mésopotamienne.
S'ensuit un attroupement, une demande de régler cela en duel, et l'affaire finit au tribunal, où MacIan campe sur sa position, tandis que Turnbull, plus roué et plus au fait de ce qui peut se dire à la barre d'un tribunal londonien, s'en sort à son avantage. Mais, à la sortie, coup de théâtre: Turnbull, qui a enfin rencontré quelqu'un qui réagit à ses travaux -la chance de sa vie !-, exige son duel, et voilà nos comparses fouinant dans la boutique d'un antiquaire, afin de trouver les épées ad hoc. Ils en trouvent, ligotent l'antiquaire qui leur refusait le droit de se battre dans son jardinet, et leur duel est interrompu par le fait que l'antiquaire, s'étant libéré, a ameuté la police.

Nos protagonistes s'échappent en cab "réquisitionné" de force, puis quittent la ville afin de poursuivre leur querelle ailleurs, tandis que leur affaire fait grand bruit dans les journaux, et que la police les pourchassent. Chesterton, tout en tirant quelques remarques bien senties et paradoxales sur le journalisme et sur la marche du monde, donne dans le quichottisme.
Chesterton a toujours la délicate gaité consistant à poursuivre un genre prisé il y a longtemps, et qui semble avoir perdu ses lettres de noblesse, la farce, ainsi que le burlesque, comme à plusieurs reprises souligné pour ce qui concerne d'autres de ses romans, que j'ai eu la joie de commenter sur ce fil.

Mais Turnbull et MacIan seront sans cesse interrompus dans leurs tentatives de duel, ce qui participe à l'effet comique. Un pseudo-ange pacificste (?), un philosophe sanguinaire quelque peu dérangé, la marée, une dame de la haute société qui les sauve de la police, jusqu'à une fuite en bateau sur une île de la Manche (où, grimés, ils intervertissent leurs rôles en quelque sorte, pour quelques pages savoureuses), et même sur ce qu'ils croient être une île déserte ils sont sans cesse conduits à remettre leur duel.

Je ne vais pas m'étendre sur le pourquoi c'est si spécifiquement pré-kafkaien et pré-borgésien, ce serait vraiment trop dévoiler. Les personnages secondaires, empêcheurs de s'entretuer en rond ou non, sont remarquables. Et le monde -la société moderne- qui empêche deux gentlemen de s'entretuer pour un prétexte qui, paradoxalement toujours, pourrait être le seul qui vaille, donne aussi l'occasion à Chesterton de renverser ce qui est interprété comme la folie ordinaire du côté de la normalité, et vice-versa. Le retournement du regard du lecteur est finement amené, c'est, là aussi, très chestertonien, et de haute volée.

Chesterton, ailleurs que dans ce roman a écrit:Toute ma vie, j’ai aimé les bords, les arêtes ; et la limite qui amène une chose à se dresser très vivement contre une autre.


Pour les principaux caractères, Michaël/Lucifer (très allégoriques) et MacIan/Turnbull sont, peut-être, à rapprocher de Chesterton/G-B Shaw, ou encore Chesterton/Robert Blatchford (directeur de The Clarion comme, dans le roman, Turnbull est directeur de The Atheist).

Il est intéressant de noter la complicité de Turnbull et MacIan, fraternisant, somme toute, très vite dans l'adversité. MacIan veut expédier le duel avant de trop éprouver d'amitié (=caritas, amour du prochain) envers Turnbull. Et le non-dit final, déductible (permettez que je reste vague, c'est pour l'intérêt des futurs lecteurs) les rapproche encore plus.

Affirmer que j'ai aimé & aime ce livre est peu affirmer.
Je m'efforce de ne rien dévoiler, de tout laisser intact pour que ceux qui sont susceptibles de le parcourir.
Au surplus quelques extraits:

Chapite II a écrit:Londres l'intimida un peu, non qu'il le trouvât grand ni même terrible, mais parce que cette ville le déconcertait. Ce n'était ni la Cité d'or ni même l'enfer, c'étaient les Limbes. Une émotion le saisit quand, tournant le coin merveilleux de Fleet Street, il vit Saint-Paul se dresser dans le ciel:
"Ah, dit-il après un long silence, voici une chose qui fut bâtie sous les Stuarts !".
Puis, avec un sourire aigre, il se demanda quel était le monument correspondant dû aux Brunswicks et à la Constitution protestante. Après réflexion, il opta pour une annonce juchée sur un toit et qui recommandait des pilules.


chapitre XI a écrit:Le père et la fille était de cette sorte de gens qui normalement auraient échappé à toute observation,, celle, du moins, qui dans ce monde extraordinairement moderne sait tout découvrir, excepté la force. Tous deux avaient la force sous leur apparence superficielle, comme ces paisibles paysans qui possèdent dans leurs champs d'immenses mines non exploitées. Le père, avec son visage carré et ses favoris gris, la fille, avec son visage carré et la frange d'or de ses cheveux, étaient tous deux plus forts qu'on ne le supposait. Le père croyait à la civilisation, à la tour historiée que nous avons dressée pour braver la nature, c'est-à-dire que le père croyait à l'Homme. La fille croyait à Dieu et était encore plus forte. Ni l'un ni l'autre ne croyait en lui-même, car c'est là une faiblesse décadente.  


chapitre VIII a écrit:     Je commence à comprendre un ou deux de vos dogmes, monsieur Turnbull, avait-il dit énergiquement, alors qu'ils gravissaient avec peine une colline boisée. Et je m'inscris en faux contre chacun de ces dogmes à mesure que je les comprends.

   Celui-ci, par exemple: vous prétendez que vos hérétiques et vos sceptiques ont aidé le monde à marcher de l'avant et tenu bien haut le flambeau du progrès. Je le nie. Rien n'est plus évident, d'après la véritable histoire, que chacun de vos hérétiques a bâti un cosmos de son invention et que l'hérétique venu après lui a pulvérisé ce cosmos.

   Qui donc aujourd'hui sait exactement ce qu'enseigna Nestorius ? Qui s'en soucie ? Nous ne sommes, sur ce sujet, certains que de deux choses. La première est que Nestorius, en tant qu'hérétique, eut une doctrine tout à fait opposée à celle d'Arius, l'hérétique qui le précéda, et sans aucun intérêt pour James Turnbull, l'hérétique qui vint après lui. Je vous défie de revenir aux libres penseurs du passé et de trouver un asile aupès d'eux. Je vous défie de lire Godwin ou Shelley ou les déistes du XVIIIème ou les humanistes adorateurs de la nature, à l'époque de la Renaissance, sans découvrir que votre pensée est éloignée de la leur deux fois plus qu'elle ne diffère de celle du pape.

   Vous êtes un sceptique du XIXème siècle et ne cessez de répéter que j'ignore la cruauté de la nature. Au XVIIIème siècle, vous m'auriez reproché d'ignorer sa bonté et sa bienveillance. Vous êtes athée et vous glorifiez les déistes du XVIIIème. Lisez-les au lieu d'en faire l'éloge et vous découvrirez que leur univers ne subsiste ou n'est détruit que par l'idée de divinité. Vous êtes matérialistes et vous tenez Bruno pour un héros de la science. Voyez ce qu'il a dit et vous le prendrez pour un aliéné mystique. Non, le grand libre penseur, quelles que soient son habileté et sa bonne foi, ne détruit pas pratiquement le christianisme.  Ce qu'il détruit, c'est le libre penseur venu avant lui.

   La libre pensée peut être suggestive, elle peut être excitante, posséder autant qu'il vous plaira ces mérites qui viennent de la vivacité et de la variété. Mais il est une qualité que la libre pensée ne peut jamais revendiquer...la libre pensée ne peut jamais être un élément de progrès. Elle ne le peut pas, parce qu'elle n'accepte rien du passé; elle recommence chaque fois au commencement, et, chaque fois, s'en va dans une direction nouvelle. Tous les philosophes rationalistes sont partis sur des routes différentes, si bien qu'il est impossible de dire lequel a été le plus loin. Qui peut discuter sur le point de savoir si Emerson fut optimiste à un degré supérieur ou Schopenhauer fut pessimiste ?
   C'est comme si l'on demandait si ce blé est aussi jaune que cette colline est escarpée.  


chapitre XX a écrit:- Vous me refusez ma demi-bouteille de Médoc, la boisson la plus salutaire et qui m'est la plus habituelle. Vous me refusez la société et l'obéissance de ma fille que la Nature elle-même impose. Vous me refusez la viande de bœuf et de mouton, alors que nous ne sommes pas en carême. Vous me défendez maintenant la promenade, une chose nécessaire à une personne de mon âge. Inutile de me dire que vous faites cela en vertu d'une loi. Les lois sont fondées sur le contrat social. Si le citoyen se voit dépouillé des plaisirs et des facultés dont il jouirait même à l'état sauvage, le contrat social est annulé.

- Tous ces bavardages n'ont pas de raison d'être, Monsieur, dit Hutton, car le directeur gardait le silence. Nous sommes ici sous le feu des mitrailleuses. Nous avons obéi aux ordres, faites de même.

- Tout fonctionne ici dans la perfection, approuva Durand, comme s'il avait mal entendu; tout marche au pérole, je crois. Je vous demande seulement d'admettre que si par de telles choses nous sommes privés même du confort de l'état sauvage, le contrat social est annulé. Voilà un point intéressant à débattre.


Porté, incomplet mais avec un zeste de retouches, depuis un message sur Parfum du 25 juillet 2015.


mots-clés : #fantastique #humour #religion
par Aventin
le Ven 12 Jan - 15:40
 
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Sujet: Gilbert-Keith Chesterton
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Jean-Paul Dubois

Après, il y a eu comme une respiration::

Je pense à autre chose


Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 Images12

Quinze ans avant le cas Sneijder, Dubois écrivait déjà la même histoire : Un homme, Paul, hospitalisé en service psychiatrique raconte son incapacité à accepter son bonheur, les failles qui s’infiltrent peu à peu dans sa vie et l’entraînent dans un système délirant , où l’autre est responsable de son enfermement, qu’il prend comme système de référence. L’autre, ici Simon, c’est le jumeau toujours honni, c’est Anna , l’ex-épouse qui s’est détachée de lui.

Dubois glisse très subtilement les indices de la fragilité de Paul, de ses petits décalages qui ne choquent pas fondamentalement en première lecture mais qui deviennent une faille profonde et sont ainsi rétrospectivement éclairés. C’est très astucieusement fait et on met longtemps à voir venir le délire, dans un glissement progressif insensible puis patent.

Une première partie d’exposition éblouissante d’humour et de vivacité mélancolique, on pense souvent à Woody Allen dans cette façon de voir décalée et désenchantée de ce juif laïque, dont le frère jumeau est outrageusement religieux et la femme goy. Une petite perte de vitesse au milieu, avec des diversions météorologiques (comme les ascenseurs dans le cas Sneijder) et une reprise en force sur la fin , où la description de ce monde clos dans lequel Paul vit,  pense et s‘enferme devient prenante.
Un roman inégal donc, intéressant, drôle mais tragique,  et brillant par moments.

Commentaire récupéré



mots-clés : #famille #humour #pathologie
par topocl
le Lun 8 Jan - 20:52
 
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Sujet: Jean-Paul Dubois
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Joël Haroche

Tag humour sur Des Choses à lire - Page 6 97822410

L'affaire Rosenblatt


Originale : Français, 2017

Grasset a écrit:Début des années soixante : les Rosenblatt ont posé leurs valises au Texas. Juifs au milieu de la plus importante population évangélique du pays ; russes d’origine à une époque où l’on se prépare à vitrifier les « ruskoffs » ; gauchistes dix ans après que les époux Rosenberg ont grillé sur la chaise : l’intégration ne va pas aller de soi…
Julius, le père de famille, est un avocat raté. Sa femme Rose rêve d’adaptation et entreprend à cette fin de burlesques tentatives. Leur dernier fils Nathan, génie de huit ans, scande la vie familiale de ses obscénités. Quant à l’aîné Elias, narrateur du récit, il oppose un humour salvateur aux idées morbides qui l’assaillent.
Début 1963, les Rosenblatt se lient à un jeune couple encore plus paria qu’eux : lui est un Marines dyslexique en rupture de ban, elle une fragile exilée d’URSS.
Comment imaginer, à suivre leurs innocentes parties de campagne, que bientôt va se produire une déflagration promettant enfin la célébrité à ce petit monde de paumés ?

Fable tragi-comique sur l’adaptation impossible et la revanche des humiliés, ce roman irrésistible de charme et de drôlerie nous promène avec délices dans la petite histoire pour mieux nous propulser dans la grande.



REMARQUES :
Certains, comme moi, pourraient être perplexe face à catégoriser ce roman : historique ? Humour ? Satire ? Voire, une présentation d’une vie de tentatives (échouées) d’adaptation de Juifs russes, plutôt gauchiste, dans l’Amérique du début des années 60 ? Oui, on le devinera : le cadre va jouer un rôle, et qui situe le lieu de vie au Texas, et voir s’approcher le Novembre ‘63 pourrait se douter de quelque chose. Je ne l’ai pas vu venir trop tôt…

Mais le terme de tragi-comédie pourrait aller bien : Quelle drôlerie dans les descriptions par le fils Elias, de cette vie familiale déjantée. Presque pas une phrase sans ironie, observation pittoresque… Parfois, non : souvent, à la limite de l’humour très noir ?! Mais le roman, ou l’auteur, ne se contente pas dans ce jeu là. Il y intègre une dose de cadre historique même très crédible et vrai pour l’essentiel (des gens confronté à être proches d’un événement historique par des circonstances non choisies). Juste on pourrait se demander si l’humour noir dans certains domaines devrait, peut s’appliquer « à tout ». J’étais alors gêné, moi, par le maintien de cette approche.

Oui, parfois on devine derrière la voix du narrateur fictif (somme toute un enfant d’une douzaine d’années) beaucoup trop « mûr » ou ironique pour son âge, la voix de réflexion de l’auteur. Ces deux approches ou facettes ne font aucun problème pour beaucoup, peuvent même constituer le sel de la lecture. Elles peuvent aussi être perçues comme une discontinuité, ou un manque de maintien de la ligne choisie ? Moi, je n’ai pas pu me joindre à des éloges sans bémol à ce choix. Ce qui n’empêche pas que beaucoup trouveront dans ce roman une très bonne lecture! A vous de voir !


mots-clés : #famille #humour #immigration
par tom léo
le Ven 6 Oct - 7:25
 
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Sujet: Joël Haroche
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Leo Perutz

Le tour du cadran

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Difficile de parler de ce roman, sans en révéler la clé, qui n'est donnée au 9e chapitre c'est-à-dire à la moitié du livre, car se serait renoncer à se faire facétieusement manipuler par Leo Perutz.
Sachez juste que c'est un texte léger, cocasse et plein d'humour.  Léger en apparence, en tout cas, car à travers 24 heures de la vie d'un jeune homme, 24 heures de galères, de quiproquos et de déconvenues,  il parle de liberté, de ce que c'est que d'avoir les mains liées par l'amour, le besoin d'argent, les convenances sociales.
Plaisant, comme toujours chez Perutz, même si ce n'est pas le meilleur.

Mots-clés : #humour
par topocl
le Jeu 5 Oct - 18:49
 
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Sujet: Leo Perutz
Réponses: 27
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