La date/heure actuelle est Jeu 9 Mai - 8:24
89 résultats trouvés pour viequotidienne
Anatole Le Braz
Pâques d'Islande
Nous avons dans ce livre quelques nouvelles de cet homme de lettre breton de la deuxième moitié du XIXè siècle. Dans un français vieilli certes mais pas sans charme, il nous plonge dans les fonds sans âges d'une âme bretonne à la superstition bien ancrée. "Ici, j'apprenais le français pour chanter la Bretagne". On pense forcément folklore et "régionalisme" et il y a de ça mais comme tout collecteur de contes il cherche plus que l'image pittoresque d'un monde qu'il soit révolu ou non. Ce qui prime c'est la volonté de partager ce que peut faire vivre ou ce qui vit à travers ces images.
Bretagne de la mer avec la pêche en Islande et un article qui dénonce la condition des mousses et Bretagne de l'intérieur partagent une vie rude emprunte de fatalité ainsi que la proximité des morts. Souvent de façon indirecte, on raconte l'histoire, se découvrent des pratiques religieuses et sociales qui témoignent d'un mélange subtil de pratiques habituelles du culte et d'usages locaux.
L'écriture parfois terne parfois moins et la port morbide de l'affaire n'empêche pas de se plonger avec intérêt dans ce voyage ethnologique et humain qui ne manque pas de nous rappeler que breton ou non avec le temps les usages passent et que si on n'y perd pas toujours peut-être perd-t-on petit à petit dans ce rapport aux ancêtres (amour, respect, crainte, et zeste de ???) une chose qui remonte à "loin".
Les quelques notes biographiques aident à comprendre pourquoi le thème de la mort est si cher à l'auteur qui a vu mourir beaucoup de membres de sa famille et de ses proches.
J'en garderai surtout quelques visions d'un dépouillement grave qui laisse une place à un bonheur de la même veine.
Merci Armor.
(petite récup').
mots-clés : #documentaire #lieu #nouvelle #social #traditions #viequotidienne #xixesiecle
- le Lun 25 Juin - 21:30
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Anatole Le Braz
- Réponses: 2
- Vues: 901
Isabelle Monnin
Mistral perdu ou les événementsIsabelle Monnin enfant, adolescente, adulte. Des chapitres.
Vu comme ça, ça fait penser à des récits déjà 100 fois lus sur les années soixante dix, la cour d'école terrorisante, les premiers baisers, les premières boums, le départ pour les études... Et au début j'ai vraiment eu peur de ça. Mais l'approche si touchante d'Isabelle Monnin s'est vite précisée, et c'est devenu un texte personnel arrachant, avec ses deux versants intime et universel.
Isabelle Monnin décrit la bulle qu'elles ont formée avec sa sœur, et, scandé par ce "Nous sommes deux" récurrent, qui résume une évidence, il y a là quelque chose de quasi magique. De très ordinaire aussi, car toutes les enfances se ressemblent. Tout cela se joue sur un fond de Mistral gagnant (et oui, comme Isabelle Monnin, Renaud a sans doute été pour moi tout à la fois l'expression de ma première rébellion , comme de ma première appartenance.), dans cette petite bourgeoisie provinciale de gauche, sûre de ses idées généreuses et de son bonheur, gagné à la génération précédente sur les barricades. Tous les espoirs sont permis et cette sororité en est le carrosse.
Nous sommes deux, nous sommes des enfants et le monde est facile.
Mais assez vite, implicitement, sans qu'un mot soit dit, on sent la fracture qui rôde. On sait que cette jeune sœur rieuse et pas insouciante, un moment, ne sera plus là.
Et oui, à 26 ans, cette sœur meurt, dans un chapitre d'une brièveté déroutante, car des pourquois et des comments, dans ces cas-là, il n'y en a pas. Il faut vivre avec cela, c'est impossible mais on n'a pas le choix. Plus rien n'est partagé. Et en plus, rien ne vient comme on l'avait prévu : le monde aussi la lâche en route.
Dans l'intime, « notre troisième fils, un grand prématuré, meurt." Dans la sphère publique, la belle conscience de gauche s'effrite, la gauche n'est plus, la haine surprend de tous côtés, empaquette ignominieusement le quotidien, D'événement en événement, le monde jadis prometteur est en faillite. Le collectif n'est même plus là pour panser les plaies intérieurs. Est-ce la fin de l' histoire ? Même Renaud, vieillli, ventripotent , on n'y croit plus (il n'y croit sans doute plus beaucoup lui non plus). Que faire d'autre dans cette douleur transfixiante, que laisser ses enfants, joyeux, jouer parmi les tombes ?
Quelque part elle explique qu'elle est une maison, les briques sont les événements familiaux, le ciment les événements publics. Elle s'y sentait bien. Et maintenant, on la voit faire tout ce qu'elle peut pour que la maison ne devienne pas une ruine.
C'est terriblement beau, l'écriture d'Isabelle Monnin est d'une poésie trouble, battante, inventive. Elle empaquette cette histoire tellement intime, tellement commune pour en faire un texte douloureux, fragile, un cuisant constat d'échec commun.
mots-clés : #autobiographie #enfance #fratrie #intimiste #jeunesse #mort #viequotidienne
- le Sam 26 Mai - 10:52
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Isabelle Monnin
- Réponses: 10
- Vues: 1493
Zakhar Prilepine
Originale: «Ботинки, полные горячей вод , сборник рассказов, Russe, 2008)
Traduction: Joëlle Dublanchet (Übersetzer)
Récueil de 11 nouvelles
C'est une très bonne façon de faire connaissance avec un auteur (à mon avis) de lire des nouvelles : on saura après quelques unes peut-être un peu mieux s'il nous parlera ou pas. Si dans le cité « San'kya » le ton politique, voir la violence, est redoutable, on trouvera ici aussi quelque chose qui marque l'écriture de Prilépine. Je trouve cela vraiment rare, qu'une certaine forme très crue, violente puisse se marier ici avec une tendresse touchante, des bribes extrêmement nostalgique. Par là même on comprendra peut-être aussi un des traits de ce pays ? Et de cet auteur un peu, voir beaucoup, controversé pour nos yeux occidentaux ?!
Et sur ce niveau-là je pense que la lecture de ces nouvelles peuvent nous aider. Elles ont quelque chose d'authentiques, de raleur, mais aussi d'humain. Toutes les nouvelles sont racontées de la perspective d'un narrateur (première personne). Certains personnages comme « ma femme, mon frère, mon ami » apparaissent ici et là. Et ainsi on a l'impression (est-ce vrai?) de participer à la vie de l'auteur même. Donc, cela paraît très authentique, même si certaines choses paraissent un peu incrédibles.
Pour moi une vraie découverte.
mots-clés : #contemporain #nouvelle #viequotidienne #violence
- le Lun 21 Mai - 9:25
- Rechercher dans: Écrivains Russes
- Sujet: Zakhar Prilepine
- Réponses: 17
- Vues: 2138
Anne Tyler
Une bobine de fil bleu- A l’enterrement, Marilee Hodges m'a dit : "je vous ai toujours enviés, toi et ta famille. Je vous voyais jouer au poker ensemble avec des cures-dents sous votre véranda, et tes deux frères si grands et si beaux, et le gros pick-up que ton père conduisait avec vous, les quatre enfants qui fanfaronniez à l'arrière."
-Marile Hodges était une gourde, dit Amanda.
C'est l'histoire de cette famille, ordinaire quoique unique avec, comme dans toutes les familles, ses récits fondateurs, ses rituels, ses inimitiés qui ne suffisent pas à détruire les liens du sang, ses rancœurs et ses souvenirs, ses non-dits, ses compromis, sa chère maison comme ancrage. Ce n'est pas plus que cela, mais raconté avec un regard acéré et tendre, une perspicacité joyeuse, une attention mutine.
J'ai moins aimé les deux chapitres qui racontent les rencontres amoureuses des couples des parents et des grands-parents, car si on y trouve la même finesse psychologique, il y manque le rythme qu'insufflait ailleurs la multiplicité des personnages.
Mais c'est une histoire de vies simples qui passe par des dialogues plus vrais que vrais, où l'on se reconnaît en tant que mère, fille, sœur qu'on a pu être au fil des décennies, quelque chose qui émeut et qui touche.
mots-clés : #famille #psychologique #viequotidienne
- le Dim 13 Mai - 20:56
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: Anne Tyler
- Réponses: 9
- Vues: 724
Joseph Mitchell
Le fond du port
Des "récits" qui sont des portraits du New York 'portuaire' et plus précisément tourner vers la pêche et l'ostréiculture. En partant du marché aux poissons de Fulton Street, Joseph Mitchell raconte une autre facette de la ville et de son histoire, avec ses vagues d'immigration, ses pratiques et élargit aussi notre champ de vision avec Staten Island ou le New Jersey voisin.
Le portrait d'un temps qui passe de la fin du 19ème au milieu du 20ème siècle pour des gens laborieux, travailleurs et attentifs au fleuve et à la mer mais pas seulement. Ca prend parfois le temps mais, après quelques énumérations de poissons ou de recettes, on en revient toujours aux gens et à leur quotidien.
Il y a bien une bonne dose de nostalgie derrière ces lignes et ces paysages différents mais ce temps qui passe n'est pas que de regrets. Sa part d'action et de contentement certainement compensent. L'angle naturaliste voire écolo inattendu participe à ce drôle d'effet.
Une vraie belle lecture et de vrais beaux portraits riches en humanité mais sans débordements. Très bon moment.
Mots-clés : #documentaire #lieu #viequotidienne
- le Mar 20 Mar - 17:52
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: Joseph Mitchell
- Réponses: 17
- Vues: 1087
Guy Delisle
Originale : Français, 2007
CONTENU :
Chronique écrite après un séjour en Birmanie en 2005
REMARQUES :
Comme d’autres BD de Delisle aussi celui-ci se refère à un séjour de longue durée dans un pays qu’on ignore (ou ignorait) assez. Delisle est maintenant lié depuis un bon moment avec Nadège et ils ont le petit Louis. L’auteur suit à vrai dire sa femme en Birmanie pour une bonne année car elle y travaille pour Médecins sans Frontières. Lui-même, il va avant tout s’occuper de l’enfant, travailler sur ses bandes dessinées et aussi faire quelque connaissances dans le monde du BD. Sinon on a l’impression qu’il raconte dans ces chroniques librement un mélange entre son vécu personnel (souvent avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision) et des petites explications de certaines expériences autour d’une donnée politique, économique, culturelle etc...
Les récents développements au Myanmar semblent aller dans un sens d’une plus grande liberté et autonomie, et les descriptions de ce livre date alors maintenant presque d’une dizaine d’années. Alors, cela a vieilli ? Peut-être certaines contraintes de la dictature militaire de plusieurs décennies (instaurée en force en 1962 après quatorze année d’essais démocratiques après l’indépendance) ont perdues un peu de force, et l’ouverture économique et démocratique sont là, néanmoins ce livre est et restera un témoignage d’une époque qui a marqué le pays: témoignage pour la Birmanie/Myanmar même, mais aussi description – comme l’auteur en fait allusion – des mécanismes d’une dictature en exercise. Et certains procèdés, on les retrouve un peu partout dans le monde en pareilles situations...
Ce qui arrive à Delisle a d’abord et presque toujours une note personnelle, et est accroché à une expérience concrète. Mais au même moment ces petites aventures touchent à toutes les domaines de la vie, soit culturelle, politique, économique, réligieuse, culinaire, répressive etc. Le livre épais est structuré en petites épisodes, petites unités thématiques d’une à six pages environs, avec sur chaque page 6-8 petites cases de desseins et de textes. Dans ce sens-là ce n’est pas un récit linéaire ininterrompu, mais plutôt des bouts d’histoires.
Je n’arrive pas bien à décrire le genre de desseins avec lequel Delisle travaille, mais c’est à mon avis un travail à l’encre et des tonalités en gris (pas de colorisations).
C’est intéressant comment Delisle raconte en passant une existence plutôt isolée souvent, des ressortissants étrangers (ambassades, ONG, industries engagés étrangers). Une séparation si typique dans tellement de pays, surtout soi-disant exotiques ou alors aussi résultant d’une certaine politique. A quel point cet isolement est choisi, conséquence d’une recherche d’une vie plus aisée ? Je ne veux pas en juger, mais dans nos pays nous condamnons souvent ces « communautarismes »...
C’est alors en passant, jouant, décrivant avec humour (et des chiffres et faits réels) que Delisle nous présente ses chroniques.
C’est bien fait, drôle, instructif...
mots-clés : #autobiographie #bd #documentaire #regimeautoritaire #viequotidienne #voyage
- le Dim 18 Mar - 16:17
- Rechercher dans: Bande dessinée et littérature illustrée
- Sujet: Guy Delisle
- Réponses: 7
- Vues: 1326
Thomas Vinau
Ici, ça vaPour échapper à un quotidien stressant, un couple trouve refuge au milieu des herbes folles, dans les ruines d'une maison familiale. Lui reconstruit, elle jardine. Et tandis que les blessures du passé surgissent entre les fissures des pierres, chacun se reconquiert, redécouvrant le goût de la vie et le chemin lumineux qui conduit à l'autre...
Quatrième de couverture
On ne sait rien, au début de la lecture, de ce qui a amené ce jeune couple à venir revivre dans cette petite maison. Nous allons le découvrir, petit à petit, par petites touches.
C'est une renaissance par un changement de mode de vie.
Nous en étions presque réduits à devenir des voisins avec ses horaires compliqués, ses cours de peinture le soir. Mon travail de la journée. Je passais plus de temps avec la télévision qu'avec elle. Quand elle arrivait, j'étais déjà fermé,vide. Je n'avais rien à partager.Ici nous pouvons ne pas échanger un seul mot de tout l'après-midi, et pourtant , nous partageons. Nous sommes reliés par un regard, un bruit, un sourire. Nous sommes ensemble. Nous pouvons dès lors savourer nos silences.
La vie s'écoule au fil des saisons, du rythme de la nature, des rencontres...On se coupe du monde pour mieux se reconstruire. Mais, Thomas Vinau raconte cet apprentissage avec beaucoup de poésie, il y a des petits bonheurs...
Aujourd'hui, je veux faire attention à ce que je vois. a ce que je touche. A ce que je goûte. aux variations de la lumière. aux odeurs. Aux mots. Tout à l'heure je suis allé à la pharmacie du village. Les enfants sortaient de l'école. Leurs cris remplissaient tout l'espace. Tout le ciel. Devant moi une petite fille racontait l'histoire d'un lapin à lunettes qui ne veut pas aller se coucher. Je ne suis pas entré dans la pharmacie. Je les ai suivis tranquillement jusqu'à la fin de l'histoire. Du coup je me suis retrové à la boulangerie. J'y ai acheté des tartes au citron. Ema adore les tartes au citron.
Et il y a les souvenirs qui reviennent un par un et
- Spoiler:
- la rencontre avec ce père disparu trop tôt.
Ce petit livre m'est tombé dans les mains au bon moment, je dirais. J'ai été très sensible à sa poésie, ses "petites choses" décrites. La vie simple loin de nos sociétés endiablées. Les références musicales et littéraires m'ont aussi parlé. Tout est dans la subtilité de l'écriture. Certains aimeront, d'autres pas...Peu importe, j'ai aimé pour dix !
mots-clés : {#}nature{/#} {#}viequotidienne{/#}
- le Mer 28 Fév - 11:43
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Thomas Vinau
- Réponses: 14
- Vues: 1166
Roberto Saviano
Deux nouvelles
Original: Il contrario della morte/L’anello (Italienisch, 2007)
CONTENU:
Le contraire de la mort
Là d’où vient Marie, la plupart des hommes portent une plaquette métallique autour du cou, avec leurs noms, la date et le lieu de la naissance. C’est ce qu’il faut dans le Sud d’Italie bien pauvre, pour être identifié lors de leurs engagements dans l’Afghanistan en guerre. Car dans cette région, les hommes ont seulement la chance de participer au crime organisé ou d’aller au militaire. Comme Gaetano, le fiancé de Marie, qui part en guerre pour pouvoir payer le mariage et la maison commune. Et qui ne revient pas. Alors Marie change la robe de marié contre le noir du deuil et du désespoir.
L’anneau
Première visite d’une fille du Nord dans le Sud de l’auteur. Comment la protéger contre les regards, les attaques des prédateurs? Lui enfiler une bague sans autre explication ! Plus tard cette femme, devenue journaliste, est encore d’un autre monde : est-ce qu’elle va jamais comprendre que naître et mourir ici signifie des fois, d’avoir été tout simplement au mauvais endroit au mauvais moment ? Et deux jeunes hommes innocents meurent…
IMPRESSIONS:
Si Gommorha avait été un roman documentaire, alors ces "scènes de la vie napolitaine" sont aussi ancrées dans la réalité, dans la vie dans le Sud de l’Italie de l’auteur.
Dans la première histoire (récit? reportage?) c’est un jeune couple au centre. Il semble qu’il n’y ait pas d’alternative pour gagner sa vie : soit la Camorra, soit le militaire… Gaetano va laisser veuve une fille de dix-sept ans…
Est-ce qu’ils étaient – et ce Leitmotiv revient dans le deuxième récit – tout simplement au mauvais endroit qui les met devant de telles décisions, de telles choix ? Où est la marge de manœuvre, on se le demande ! Et alors on comprendra qu’il faudra pas forcement aller dans l’Afghanistan pour trouver la guerre en Europe.
Bien sûr on pourra classer ce livre presque comme un récit, un œuvre de non-fiction. C’est un vrai témoignage de la vie sous la menace dans certaines parties de l’Italie que l’auteur connaît.
Sa langue, son style ajoute à ce récit amer une note de poésie noire, de prose magnifique.
A lire !
mots-clés : #viequotidienne #violence
- le Lun 12 Fév - 17:44
- Rechercher dans: Sciences humaines
- Sujet: Roberto Saviano
- Réponses: 5
- Vues: 643
Kent Haruf
Nos âmes la nuitComme elle se sentait trop seule, Annie, 70 ans est venue demander à son vieux voisin Louis de venir la nuit chez elle pour discuter. De cette décision fort inhabituelle va naître une relation toute en délicatesse, en pudeur et en sincérité. Celle-ci amène de beaux moments de bonheur simple, comme on croyait qu'il n'y en aurait plus, et résistera, à sa façon, au qu'en dira-t'on et à l’opprobre filiale.
Il en ressort un petit bouquin court, au style d'une platitude exaltante, que j'ai lu émerveillée par sa simplicité, sa douceur, sa sincérité. Son originalité aussi, loin des grandes péripéties romanesques, mais plein d'une authenticité qui m' a bouleversée. Un merveilleux doudou, qui se paye le luxe de ne pas manquer d'humour.
mots-clés : #amour #intimiste #solitude #vieillesse #viequotidienne
- le Lun 22 Jan - 17:45
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: Kent Haruf
- Réponses: 10
- Vues: 966
Yasunari KAWABATA
Chronique d’Asakusa
Premier roman et premier feuilleton de Kawabata, c’est sans doute une œuvre mineure, mais plaisante. Evocation de ce vieux quartier populaire de Tôkyô en 1930, de sa faune de cour des miracles, de son histoire marquée par le tremblement de terre de 1923 et son occidentalisation, l’auteur s’adresse débonnairement au lecteur pour l’emmener dans une ballade pittoresque et poétique où l’incompréhension de certains propos ajoute au charme. Guide décousu, au gré de l’actualité (récession), suivant la trame lâche de la Société des ceintures rouges (ou de la Bande du même nom), de séduisantes jeunes délinquantes entre danse, musique, spectacles et prostitution, et tout particulièrement Yumiko, qui s’avère être le personnage principal de son roman inachevé.
« Soudain, j’aperçois ces gros titres dans les journaux sur l’étalage : "Par suite des extrêmes difficultés de l’existence, on se trouve enfermé dans la cité des fous." "Tous les hôpitaux sont pleins, les malades légers doivent se retirer et laisser leur place." […]
La plupart des vagabonds d’Asakusa sont légèrement fous. Asakusa est un grand asile. Mais tous ceux qui couchent dehors ne sont pas que des mendiants ou des clochards. Cet été-là, il y avait aussi une foule de chômeurs qui naturellement venaient augmenter le nombre des mendiants et des vagabonds. »
A signaler aussi une très belle (et longue) liste-catalogue de brocante surréaliste page 326 du Quarto.
mots-clés : #lieu #viequotidienne
- le Sam 20 Jan - 15:50
- Rechercher dans: Écrivains d'Asie
- Sujet: Yasunari KAWABATA
- Réponses: 83
- Vues: 8077
Zoé Valdés
Le Néant Quotidien:
Extraits:
"Elle a faim et rien à manger. Son estomac comprend très bien qu'il doit résister. Dans son île, chaque parcelle du corps avait dû apprendre à résister. Le sacrifice était le cadre quotidien, ainsi que le néant. Mourir et vivre: un seul et même verbe, comme rire, par exemple. A ceci près qu'elle riait pour ne pas mourir de l'excès de vie obligatoire."
"Je meurs, je me meurs. Il ne peut pas m'arriver tant de choses à la fois. Pourtant, on dirait que rien ne m'est jamais arrivé, comme si je faisais toujours la même chose depuis ma naissance: me taire, éclater, pleurer. Me taire, éclater, pleurer. J'ai mis fin à ma passivité. La mélancolie est ma révolte, la grève dont je suis capable pour revendiquer l'indépendance de ma tristesse face à la tristesse collective, pour obtenir la réduction de mon temps d'angoisse salariée. Payée avec le salaire du devoir. Comme si le devoir permettait d'acheter, par exemple, du sucre, ou du pétrole..."
Résumé:
C'est l'histoire d'une jeune fille, d'abord prénommée Patria par un père syndicaliste et une mère amoureuse du Che, tout exaltés qu'ils étaient à la voir naître le lendemain de la fête du 1er mai 1959, mais qui changera son prénom pour Yocandra.
L'adolescente grandit dans La Havane des années 70 où le désanchantement commence à prendre la place du rêve, où les mouchards se cachent à tous les coins de rue, où la faim noue l'estomac. Passionnée de poésie, elle va être séduite par Le Traitre, homme plus âgé qu'elle, qui se dit écrivain et philosophe mais dont on attend toujours les premières lignes. Très vite, elle quittera le berceau familial, s'installera avec lui, l'épousera, voyagera en Europe grâce à lui et finira par divorcer de ce macho cubain dont enfin elle voit les limites.
La vie continue rythmée par les pannes d'électrivité; Yocandra obtient un travail pour une revue littéraire qui n'a pas les moyens d'éditer de magazines; elle tombe amoureuse d'un autre homme, plus jeune, baptisé Le Nihiliste, qui sous des dehors différents reste un homme cubain avec ses qualités et sa lâcheté.
Durant ses trente années, Yocandra voit ses amis chers partir par cette mer qui est à la fois symbole de liberté et de prison. Mais, avec toute sa fierté d'être cubaine, elle persiste à aimer, à rester optimiste et libre dans son néant quotidien.
Ce que j'en dis:
Tout petit livre tantôt sarcastique, révolté,tantôt plein de tendresse.
Comme toujours Valdès nous emporte dans son souffle chaud et humide des tropiques.
Comme toujours, de son trait incisif, elle nous fait vibrer, elle nous provoque mais surtout,
elle nous attendrit face à cet immense amour de son île.
mots-clés : #regimeautoritaire #viequotidienne
- le Lun 15 Jan - 14:30
- Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
- Sujet: Zoé Valdés
- Réponses: 9
- Vues: 1153
Orhan Pamuk
Cette chose étrange en moi
Dans son dernier roman, Orhan Pamuk dévoile patiemment la vie de Mevlut, vendeur de boza, ainsi que son attachement à la ville d'Istanbul qui se transforme et se renouvelle en permanence depuis l'enfance du personnage dans les années 1960...où l'on apprend également assez vite la signification de la boza, boisson fermentée faiblement alcoolisée, pour la société turque.
Cette chose étrange en moi séduit peu à peu par des allers-retours narratifs et des boucles temporelles. Pamuk s'attarde sur des détails, sur des rebondissements apparemment anodins et pourtant décisifs, pour mieux plonger le lecteur dans une atmosphère remplie de mélancolie et d'une forme de sérénité. Les tensions politiques et sociales sont une toile de fond omniprésente, mais il reste avant tout la perception de la fragilité du quotidien, qui révèle des promesses et autant de perspectives.
mots-clés : #lieu #viequotidienne
- le Dim 31 Déc - 18:33
- Rechercher dans: Écrivains du Proche et Moyen Orient
- Sujet: Orhan Pamuk
- Réponses: 21
- Vues: 2409
Laurence Boissier
Inventaire des lieux
Ca fait moderne mais c'est très bien présenté. Les lieux sur la page de gauche, barrés quand inventoriés, le texte du lieu à droite. Des petits textes qui revisitent ou plutôt reconstruisent un quotidien familier. Avec son humour distancié et un brin farfelu cet inventaire n'est pas une autopsie clinique de faits et gestes ou d'éléments de décor, dans le ton très air du temps il y a le souci de rendre le moment ou le souvenir essentiels mais non dramatiques. C'est joli. Ca pourrait passer pour anecdotique mais avec tout le plaisir qu'on peut avoir à s'y laisser prendre aux frontières d'une poésie minimaliste.
Prix suisse de littérature 2017.
mots-clés : #viequotidienne
- le Dim 31 Déc - 17:59
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Laurence Boissier
- Réponses: 9
- Vues: 616
Alice McDermott
Someone« Je haussai les épaules, consciente et ravie de cette chance d'avoir une conversation ordinaire »
« Someone », titre parfait : Marie est « quelqu'un » avec tout ce que cela implique d'anonyme, d'ordinaire mais aussi de singulier et d'intime.
C'est donc l'histoire d'une femme, de ses 7 ans à la vieillesse. C'est, en fait, totalement banal : dans son quartier de Brooklyn d'immigrés irlandais entre-deux-guerres,elle grandit entre son père alcoolique, sa mère bigote, son frère trop sérieux. Premier amour, mariage, enfants et vaisselles, veuvage, vieillesse... Qu'est-ce qui peut bien nous intéresser dans cette histoire d'une femme qui accueille la vie sans vraiment se battre, ses joies et ses peines, ses hasards ? Eh bien c'est le fait que son regard bienveillant, sa finesse, sa compréhension de l'autre font qu'au seuil de la mort, elle peut se retourner vers quelque chose de plus construit, déterminé, empathique, que le simple énoncé des péripéties pourrait le laisser croire. Cette femme accueille l'instant (la joue d'un enfant qui frotte contre la manche du manteau de son père, la lumière sur une toile cirée, une caresse effleurant l'autre…), accueille l'autre, accueille la vie, en fait un tout : sans en avoir l'air, dans son humilité délurée, elle l'impacte à sa façon. Dans son récit globalement chronologique, mais qui n'est pas totalement linéaire, fait d'instants choisis, de gestes, d'émotions partagées, elle se montre unique, roc incertain et tendre.
Bien qu'échappant aux pires stéréotypes ( puisque le père est doux et gentil et ne roule pas sous la table, la mère montre une compréhension responsable), toute la première partie m'a donné une certaine impression de déjà-vu, modulée par la sensualité du récit, la finesse descriptive et émotionnelle. J'ai accroché surtout à partir de la magnifique scène où Marie rencontre son futur époux, décrite avec une simplicité, une évidence, une générosité qui m'ont fait tomber amoureuse de Tom le bavard timide bien avant Marie. C'est ensuite dans la maturité et dans la vieillesse, où elle quitte le rôle de spectatrice et fait pleinement corps avec son histoire de vie, jouant l'éponge face aux événements, les affrontant dans une douceur loyale, que je me suis vraiment mise à aimer cette femme singulière quoique ordinaire.
Ce qui caractérise ce livre, lui donne son ton, c'est finalement la bienveillance commune à tous les personnages, cette part d'honnêteté et de bonté qu'Alice McDermott sait aller chercher au fond de chacun, cette loyauté qui fait que certains sont heureux et d'autres écorchés.
Commentaire récupéré
mots-clés : #enfance #famille #viequotidienne
- le Jeu 28 Déc - 15:46
- Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
- Sujet: Alice McDermott
- Réponses: 17
- Vues: 958
Gunnar Gunnarsson
Nuit et Rêve
Originale : Natten og drømmen (Danois, 1926)
CONTENU : Il s'agit du troisième tome (de cinq dans l'originale) de la saga d'inspiration autobiographique de l'auteur islandais. De ces premiers tomes j'ai parlé plus haut. Le fil de narration reprend là, où le deuxième tome s'est achevé : après la mort de la mère, c'est l'arrivée d'une belle-mère dans la maison d'Uggi. Dans les premiers pages il décrit le matin de son neuvième anniversaire... et la narration va nous conduire jusqu'à ses 18 ans et son départ vers le Danemark, pour des études dans une école.
REMARQUES :
Le livre se divise en douze chapitres, qui sont encore sous-divisés par des unités de sujets, thèmes divers, indiqués par une séparation de quelques points (dans mon édition allemande des années 20).
Le roman autobiographique est très chronologique et construit simplement, sans trop d'artifices. L'histoire nous est raconté par un narrateur, parlant de son propre passé assez lointain, son enfance, sa jeunesse dans une Islande rurale, assez dure, simple.
Si les deux premières parties avaient été empreintes de souvenirs d'enfance presque romantiques, se terminant avec la mort de la mère, nous trouvons dans ce tome à la suite de ce recit des descriptions beaucoup plus marquées par des expériences dures, tristes. Ainsi la nouvelle femme du père va être difficilement adoptée par les enfants et Uggi doit se retenir fortement pour ne pas exprimer son malaise. Seulement après beaucoup d'années il semble reconnaître les efforts de sa belle-mère et commence à l'apprécier. Mais une certaine innocence a disparu et le deuil de sa mère, une solitude et le sentiment d'un monde perdu marquent ces années après sa mort. S'ajoutent encore d'autres séparations : le départ d'amis pour le plus ou moins lointain, le refus d'un premier amour.
On trouvera les descriptions des travaux plus ou moins quotidiens ou exceptionnels ; les achats dans la prochaine bourgade ; les cours temporaires à l'école de la ville et l’hébergement là-bas ; le naufrage d'un bateau et comment on videra la cargaison etc
Et à coté de tout ce travail très prenant le désir d'aller plus loin dans l'apprentissage qui est perçu comme une concurrence qui va enlèver des mains tant utiles de la ferme dans des périodes d’appauvrissement. Et les premières tentatives d'écriture, la découverte aussi de la lecture....
Et bien sûr nous continuons à trouver des descriptions impressionnantes de la (force de la) nature : on vit en et avec elle, des fois comme partenaire, des fois comme un jouet face aux éléments. J'ai lu en allemand, mais dans ces scènes il me semble que la langue de l'écrivain devient des fois grandiose et nous tire avec lui. Bon, certains pourraient la trouver un peu pathètique, contenant des anciennes tournures et idées, mais ce livre se meut souvent entre nuit et rêve, entre réalité dure et espoir, lumière. Dans ce mélange de réalisme et d'humanisme Gunnarsson rappelle vraiment un peu un certain Maxime Gorki, ou aussi, de point de vue de style, de langue, des fois à l’œuvre de Knut Hamsun ou Ernst Wiechert.
Donc recommandation (de ma part) pour les amateurs de ces auteurs et un recit qui se situe dans l'environnement nordique, islandais !
mots-clés : #autobiographie #initiatique #viequotidienne
- le Mar 7 Nov - 22:23
- Rechercher dans: Écrivains de Scandinavie
- Sujet: Gunnar Gunnarsson
- Réponses: 15
- Vues: 3672
Gunnar Gunnarsson
Le Jeu des brins de paille
Vaisseaux dans le ciel
Vaisseaux dans le ciel
Originale : Danois, « Leg med strå » 1923 et « Skibe på himlen » 1925
CONTENU :
La description des années d'enfance d'Uggi est sans pareil dans la littérature islandaise. Certains la comparent avec les récits autobiographiques d'un Maxim Gorki ou d'un Marcel Pagnol.
Si je présente ici ces deux premiers tomes de la tétralogie autogiographique romancée de Gunnar Gunnarsson, c'est parce qu'en allemand ils sont réunis dans un seul tome (et difficilement trouvable...)
REMARQUES :
Ces deux livres sont quasiment de la même longueur (dans mon édition 185 pages chacun), divisés en 7, voir 8 chapitres. Dans ceux-ci vous trouverez des sujets visiblement facilement séparables. Le roman/le récit est raconté dans une stricte chronologie, du point de vue d'un narrateur dans la première personne : étant adulte (quel âge?) il se souvient de son enfance, à cheval entre le XIXème et XXème siècle, dans une Islande très rurale. A la fin du deuxième tome, le personnage central, Uggi a environ sept ans.
Cette concentration d' »histoire racontée » sur ces premières années de vie montre déjà à merveille, à quel point le narrateur y voit une source de richesse, pleine de vie, de rencontres, de sagesses. Je ne cessais de m'émerveiller comment un garçon, vivant dans une ferme somme toute assez reculée, peut nous conter et raconter de tant de choses vécues. Bien sûr il s'agit moins de richesse matérielle que de richesse d'autres types. Il vit avec sa famille grandissant dans un élevage de moutons, ensemble aussi avec quelques autres figures centrales : des serviteurs, des voisins, des personnes diverses et avant tout ses parents, ses frères et sœurs. Cette vie est encore entièrement en harmonie, en étroit lien avec la nature, les animaux, le temps.
Le Père Greipur est au début administrateur sur la ferme de son frère, pasteur, avant de prendre en propre régie pendant une année une autre ferme. Lors de son retour, son beau-père propose à la famille de s'approcher de son lieu de vie (à quatre jour de cheval). Assez riche, il leur offre une ferme dans l'entourage. Après le déménagement, une nouvelle vie commence sur cette autre ferme.
Des rencontres et des adieux marquent la vie aussi, dans un pays où les distances éloignent les gens des fois pour toujours. En se souvenant de son enfance, c'est avec un regard d'adulte que le narrateur se souvient de la fuite du temps : que tel ou tel moment était définitivement « la dernière fois ». Sinon c'est un ton léger, plein d'humour d'un enfant (dans le meilleur sens) qui marque le récit. Pas une page où le lecteur ne trouvera pas une raison pour sourire. Mais aussi de se poser des questions, p.ê justement avec les rythmes contemporains : où est-ce que nous nous trouvons aujourd'hui ? La vitesse de vie, c'est quoi le progrès ? Y-avait-il une qualité de vie avant le portable ?...
Ce qui m'a frappé aussi : la place qu'occupait alors encore le récit, la narration, le conte, l'affabulation dans la vie des gens ! Oui, c'est encore une culture essentiellement orale : on ne cesse de se raconter des histoires et d'éveiller la phantasie, la créativité dans ce sens-là. Des figures d'un monde mythique ou de conte sont toutes proches, le rêve omniprésent.
Dans les descriptions des caractères on a toujours l'impression de rencontrer des personnes « originales », un peu à part. Quelques fois avec leurs cotés tranchants ou blessées, mais « entières ». Mais dans l'âge d'Uggi – et il l'admettra dans une réflexion très belle – il se demande s'il ne se trouvait pas encore dans la grâce d'un âge où malgré des colères possibles, l'autre restait foncièrement bon. On ne connait pas encore, malgré toutes blessures et offenses, le mèpris profond qui nous est parfois propre plus tard et qu'on appelle « maturité ». En cela, c'est une confiance plus profonde, l' »Urvertrauen », qui est le propre de ce récit.
Et ce n'est pas si mal. Et cela fait du bien !
Je recommande la lecture : j'ai été ravi de ces pages. S'il y a bien référence à un univers réligieux (et comment ne serait-ce pas le cas dans ces temps-là?), il y a pourtant rien qui empêchera une lecture fructueuse. Le narrateur est poussé aussi, dans les derniers pages, devant les questions éternelles qui font justement douté d'une sécurité qui l'environnait jusqu'à là...
mots-clés : #famille #traditions #viequotidienne
- le Mer 1 Nov - 7:42
- Rechercher dans: Écrivains de Scandinavie
- Sujet: Gunnar Gunnarsson
- Réponses: 15
- Vues: 3672
Marie-Hélène Lafon
Nos vies
Après le retour de mes camarades ci -dessus, j'ai envie d'ajouter que tout le livre semble enroulé autour de la sidération que la narratrice suggère avoir ressenti lors du départ brutal et silencieux de son compagnon, des années avant le présent narré.
Il en ressort, par la maitrise narrative de Lafon, une grande acceptation
mais aussi une grande impuissance, abandonnée à son évidence.
La mise en scène du quotidien, la mise en avant de quelques-uns des acteurs de sa vie,
qu'elle brosse en y incluant l'imaginaire qui s'y amarre,
la fragilité de cet imaginaire,
qu'elle met en scène dans sa fiction
produisent un tableau très aigu, mais doux, de solitude moderne, asexuée et sensible.
C'est assez déprimant, c'est beau de vérité, c'est un livre sur la personne qui est restée sur le quai. morte vive. Mais vue par Lafon, donc vive de reception.
mots-clés : #solitude #viequotidienne
- le Ven 27 Oct - 12:25
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Marie-Hélène Lafon
- Réponses: 70
- Vues: 5675
Georges Hyvernaud
Le wagon à vaches.
Un peu plus tard, la guerre finit, et on érigea un monument aux morts.
Le narrateur, revenu de la guerre rapporte quelques souvenirs de ses premiers jours de mobilisation, avant l'assaut, et de sa captivité où il a été emmené dans des Wagons à vaches. Il en garde "cette amertume sommaire, cette passivité ".
Bonne vieille race obstinée des hommes : toujours prête à tout recommencer, à remettre ça. Se raser, cirer ses souliers, payer ses impôts, faire son lit, faire la vaisselle, faire la guerre. Et c'est toujours à refaire. Ça repousse toujours, la faim, les poils, la crasse, la guerre.
Il parle surtout de sa vie terne d'employé de bureau, pour laquelle ses parents, des gens ternes et convenus, l'ont fait étudier afin qu'il dépasse leur condition. Il essaie d'écrire le soir chez lui, il raconte le quotidien nauséeux de cet après-guerre , et s’attache à portraiturer un petit monde étriqué et vaniteux. Pas un pour rattraper l'autre. Les personnages sont des médiocres, des petits bourgeois compassés dont il fustige la capacité à s'habituer, à faire comme si, alors que la guerre colle encore à la peau de chacun. Il y met une ironie mordante, qu'il épice d'un peu de scatologie sarcastique.
Des médiocres vivants, incapables de donner du relief à leur vie. Impuissants à imposer au malheur la richesse et l'intensité d'une aventure - au hasard, la figure d'un destin.
Un projet de monument aux morts se dessine et révèle les petites mesquineries, les grandes récupérations, les jalousies et les ambitions sordides, avant de sombrer devant la faiblesse des contributions.
L'auteur-narrateur a une plume talentueuse et croque ce petit monde provincial et ordinaire avec une certaine vivacité , mais trop est peut-être trop: que fait-il de mieux, pour s'autoriser cette causticité morne, cette supériorité fustigeante? La guerre, il n'est pas le seul à l'avoir traversée. Chacun s'en remet et s'en défend comme il peut, et un soupçon d'indulgence n'aurait pas forcément gâché la sauce.
mots-clés : #captivite #devoirdememoire #guerre #viequotidienne
- le Lun 16 Oct - 20:52
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Georges Hyvernaud
- Réponses: 17
- Vues: 1717
Geneviève Brisac
Un année avec mon pèreDe la mort de sa femme dans un accident de voiture (sa femme qu'il a en quelque sorte tuée) jusqu'à son propre décès, Geneviève Brisac a vécu une bonne année proche de son père, dans un compagnonnage subtil. Auprès de cet homme vaillant mais fragile, exigent et secret, il fallait une bonne louche de délicatesse pour que l'exercice, sur la corde raide, reste léger et confortable.
Ni grands discours, ni déballage d'émotions, ce n'est pas le genre de la maison, tout passe en fierté et non-dits. Il faut un œil et une oreille acérés pour détecter l'épaule qui tombe de fatigue, le rare mot tendre (« ma grande »), la paupière qui cligne d'exaspération, cachés derrière la crânerie et le brio revendiqué. Et une bonne dose de doigté et de patience pour faire accepter le coup de main, sans amputer sur un territoire et une liberté farouchement revendiqués. Quelques souvenirs émergent, quelques confidence, assez rares, car nos parents, ces êtres parmi les plus proches de nous, restent aussi parmi les plus mystérieux.
Sous la désinvolture apparente du récit, sous la tendre ironie, Geneviève Brisac cache des sentiments qui la (nous) prennent à la gorge.
mots-clés : #autobiographie #famille #mort #vieillesse #viequotidienne
- le Mar 12 Sep - 15:21
- Rechercher dans: Écrivains européens francophones
- Sujet: Geneviève Brisac
- Réponses: 10
- Vues: 1151
Réjean Ducharme
Encore une fois Ducharme m'a séduite, quel livre ! Et comment vais-je arriver à vous communiquer mon plaisir de lecture avec mes mots faibles devant la force de son écriture ? Il faut suivre André et Nicole s'accrocher à leurs pas comme ils le font eux-mêmes avec leur "Petit Pois" (Catherine) jeune femme belle et artiste, leur "Toune" la voix qui les fait vibrer, l'air * qu'il veulent entendre, qui les fait accourir auprès d'elle, qui coupe leur souffle quand elle s'absente ou les renvoie.
"(Pour ne pas passer notre temps à attendre son coup de téléphone, on lui a téléphoné pour lui demander si elle prévoyait qu'elle nous téléphonerait.)"
"Mais c'est injuste d'aimer quelqu'un pour sa beauté ; c'est aussi barbare et malotru que d'admirer la force, le talent ; celui qui est laid et épais** ce n'est pas de sa faute ; choisir c'est, plus que se tromper, tromper tout ce qu'on a pas choisi."
L'affection que les frère et soeur se portent est très forte, exceptionnelle ; en marge de la vie ils sont ensemble, ont les mêmes goûts pour les alcools, écoutent les mêmes musiques, philosophent et ont une prédisposition à ne rien faire, ce qui demande des efforts. Et même s'ils ne sont pas matérialistes il faut de temps à autre travailler, mais "la job payante" leur échappe, sans les bouleverser.
"Nous regagnons notre base solide : notre rêve de ne rien avoir et de ne rien faire."
"A jeun tu as beau chercher, creuser ta tête, passer des journées à ça, tu n'arrives pas à comprendre ce qui se passe. Après deux Bloody Mary, ça vient tout seul, tu le sens, tu l'as : le sens de la vie c'est d'être soûl. Et alors tu commence à parler comme un vrai Verbe."
Leurs peurs, leurs renoncements, leur générosité, leur recherche du bonheur à travers leur "Petit Pois" m'ont émue.
autres extraits
"Les cailloux portent des chevelures de mousses ou béent comme des bouches de sangsues, il ne leur manque que des yeux ; les algues propèrent, visqueuses, tentaculaires, telles qu'on n'a pas osé les regarder de travers de peur qu'elles se mettent à courir après nous."
"L'érotique c'est comme la politique pour nous ; on n'est pas capables ; c'est au-dessus de nos moyens ; on n'a pas les facultés qu'il faut. Mais en même temps que nos coeurs fuient ce danger avec des battements de grandes ailes blanches, la honte et la colère nous harcèlent : on est écoeurés d'être si épaisser, introvertis, si peu enjoués, sportifs."
"Ca fait depuis minuit qu'on se recouche puis qu'on se relève. Ca fait quatre aspirines, quatre tasses d'eau chaude et quatre douches qu'on prend. On a fait assez de tours d'horizon critiques de nos vies pour donner le vertige au hyde-a-bed. On s'est fait tellement de serments de ne plus jamais se remettre les pieds dans des plats pareils qu'on ne sait plus quoi faire avec ."
"Je suis bouffi et boutonneux, du nez, des joues, des fesses, tout partout. Ca ne fait rien. Avec sa peau lisse et satinée, avec sa petite face de minoune, Nicole est en masse belle pour deux."
"Comme d'autres font des oeuvres sans titres, elle ne ferait que des titres, des titres sans oeuvre."
"On sait un tas de choses, des bien pires encore, mais on aime mieux ne pas les dire, on ne veut pas amocher cette institution (Beaux-arts), on veut qu'elle reste comme elle est : rien. Plus qu'il n'y a rien plus qu'on est bien. Mange du vide, ça ne te restera pas sur l'estomac."
mots-clés : #social #viequotidienne
- le Mer 30 Aoû - 14:56
- Rechercher dans: Écrivains du Canada
- Sujet: Réjean Ducharme
- Réponses: 22
- Vues: 2273
Page 4 sur 5 • 1, 2, 3, 4, 5