Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Ven 26 Avr - 13:28

133 résultats trouvés pour contemythe

Jacques Abeille

Les Carnets de l'explorateur perdu

Tag contemythe sur Des Choses à lire - Page 2 Les_ca11

Divers textes ethnologiques étudiant la légende et les faits en marge de l’invasion barbare de Terrèbre, dans le Cycle des Contrées, et attribués à Ludovic, le narrateur des Voyages du fils.
Les cavalières : le corps franc de cavalières alliées aux barbares fut-il mythique ? Cinq témoins confirment leur existence, variant de façon souvent érotique autour du thème des Amazones.
Beaucoup d’évocation de trahisons, comme dans L’arbre du guerrier.
Contacts de civilisations entre les steppes et les jardins statuaires imagine une origine possible de la culture des statues.
Deux mythes du désert : Sur l'origine de la parole et Sur l'origine des images.
« Il y eut une histoire quand Inilo s’assura que de tout ce qui existe on trouve trace. Et cela l’effraya car celui qui regarde une trace, si c’est à la chasse, il est derrière sa proie, mais celle-ci est absente. Quand il rejoint sa proie, il n’y a pas de trace ; c’est la proie qui se dresse sur la place de sa trace. Enfin, quand la proie n’est plus, la trace reste bien que le chasseur accroisse ses forces. Et voici ce qui effraya Inilo davantage encore : quand le chasseur a atteint sa proie et qu’il s’en nourrit et en nourrit les siens, ce n’est plus vers la proie que mène la trace mais vers le chasseur. Et chaque jour de nouvelles traces vont vers le chasseur qui, au fur et à mesure qu’il avance en âge, traîne à sa suite tout un réseau de traces toujours plus innombrables. »

« On dit aussi que les hommes, longtemps avant de se soucier de construire, ébauchèrent des ruines. »

Bonda la lune, cosmogonie et littérature chez les minorités désertiques : sur le thème de la lune et du soleil, pôles féminin et masculin.

Dans l'ensemble, c’est toujours la même anthropologie fictive servie par un français châtié, poétique.

\Mots-clés : #contemythe #fantastique #nouvelle
par Tristram
le Dim 13 Fév - 10:55
 
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Sujet: Jacques Abeille
Réponses: 17
Vues: 1610

Janusz Korczak

Le roi Mathias 1er

Tag contemythe sur Des Choses à lire - Page 2 Le_roi10

L’ouvrage est publié en 1922 alors que la Pologne est devenue indépendante à l’issue de la Première guerre mondiale (1918). Le récit est rédigé à hauteur d’enfant.
Face à sa photo enfant, Korczak écrivait :

Tag contemythe sur Des Choses à lire - Page 2 Korcza10

« Quand j’étais ce tout jeune garçon que l’on voit sur cette photographie, je voulais faire moi-même tout ce qui est raconté dans ce livre. Ensuite, je l’ai oublié, et à présent, me voilà vieux. Je n’ai plus le temps ni les forces de mener des guerres, ni de partir chez les cannibales. »
……………………………………………
« Je pense qu’il est préférable de montrer des photos de rois, de voyageurs ou d’écrivains sur lesquelles ils ne sont pas encore vieux. Autrement, on pourrait croire qu’ils ont toujours été aussi sages, et qu’ils n’avaient jamais été petits. Et les enfants penseraient à tort qu’ils ne peuvent pas devenir ministre, voyageur ou écrivain.
«Les adultes ne devraient pas lire mon livre ; il y a des chapitres inconvenants, ils ne comprendraient pas et ils s’en moqueraient. Mais s’ils tiennent absolument à le lire, qu’ils essaient. Le leur interdire ne servirait de toute façon à rien.. Ils n’obéiraient pas ! »


Mathias devient roi à la mort de son père. Il n’a que dix ans et désire gouverner personnellement malgré l’avis de ses ministres.  Il commence à partir à la guerre, en cachette, avec son ami Félix. Une guerre qui ressemble à celle qui vient de se terminer et où il découvre la réalité  de la vie au front, loin de l’imagerie héroïque dont il rêvait :
« C’est vrai ! les civils peuvent comme bon leur semble obéir ou non, trainer, rouspéter, mais un militaire n’a qu’une chose à faire : exécuter les ordres sur le champ ! »


Il découvre aussi, ce qui reviendra plusieurs fois dans le livre, que ses administrés ne sont pas tous en admiration devant ceux qui les gouvernent. Force de l’opinion et des médias qui les influencent voire les manipulent :

« Tous les rois sont pareils, autrefois c’était peut-être différent mais les temps ont changé.
- Qu’est-ce que nous en savons ? Peut-être qu’autrefois se prélassaient-ils aussi sous un édredon, mais comme personne ne s’en souvient, on nous raconte des bobards !
- Pourquoi nous mentirait-on ?
- Dis-nous alors combien de rois sont morts à la guerre, et combien de soldats ?
- Ce n’est pas comparable, le roi est un, alors qu’il y a beaucoup de soldats !
- Et toi, tu voudrais peut-être qu’il y en ait plus qu’un ? avec un seul, on a déjà bien assez de tracas …
Mathias n’en croyait pas ses oreilles. Il avait tant entendu parler de l’amour de la nation, et surtout de l’amour de l’armée, pour leur roi. Hier encore, il croyait qu’il devait se cacher afin que par excès d’amour on ne lui fît du mal. Et il voyait à présent que si l’on découvrait qui il était, cela n’éveillerait aucune admiration ! »


La guerre terminée Mathias désire introduire ses trois réformes essentielles  qui émanent quasi directement des enfants mais avec une vision qui est celle de son époque. On aurait du mal à souhaiter à tous ces animaux de vivre dans des cages :

«
1. Faire construire dans les forêts, les montagnes et au bord de la mer beaucoup de maisons où les enfants pauvres pourraient passer leur été.
2. Installer dans toutes les écoles des balançoires et des kiosques à musique.
3. Créer dans la capitale un grand jardin zoologique où il y aurait dans des cages un tas d’animaux sauvages : lions, ours, éléphants, singes, serpents et animaux exotiques. »


Sa vision des cannibales, chez qui il se rend, navigue entre approche bienveillante et ce qui nous semblerait une condescendance proche du racisme. On y retrouve aussi ce qui pourrait être une des racines du colonialisme :

« Il voulait aider ses amis cannibales mais il voulait aussi se procurer de l’argent pour les réformes qu’il comptait introduire dans son Etat.
Il visitait justement une grande mine d’or. Mathias demanda au roi Boum-Droum s’il ne pouvait pas lui en prêter un peu. Le roi fut pris d’un fou rire : il n’avait que faire de tout cet or … »


Mathias pense aussi à faire une œuvre civilisatrice :

« Que Boum-Droum fasse venir ici une centaine de Noirs, nos tailleurs leur apprendront à coudre les vêtements, nos cordonniers à faire des chaussures, nos maçons leur diront comment construire des maisons. Nous leur enverrons des phonographes pour qu’ils apprennent de jolies mélodies, puis des tambours, des trompettes et des flutes et encore des violons et des pianos…et aussi du savon et des brosses à dents. Et nous leur apprendrons nos danses. Une fois qu’ils auront assimilé tout ça, ils ne seront peut-être plus aussi noirs. Quoi qu’à vrai dire, ça ne fait rien qu’ils aient un aspect un peu différent. »


Klou-Klou, fille du roi Boum-Droum est un des personnages essentiels du récit. Face au roi, petit garçon, elle représente la petite fille et la petite fille émancipée qui donne une véritable peignée aux petits machistes qui essaient de faire la loi dans le Parlement des enfants.

« Mon cher Mathias, permets-moi d’assister à la prochaine séance. Je vais leur dire ce que j’en pense ! D’ailleurs, pourquoi n’y a-t-il pas de filles dans votre Parlement ?
- Si, il y en a,  mais elles ne disent rien.
- Alors, je parlerai pour toutes. Comment ça ? Parce que dans une cour il y a une fille insupportable, il faudrait qu’il n’y ait plus de filles du tout ? Ils sont combien, les garçons insupportables ? Devraient-ils disparaître eux aussi pour cette raison ? Je ne comprends comment les hommes blancs qui ont inventé tant de bonnes choses peuvent être encore aussi sauvages et stupides ? »


A l’issue de la bataille qui l’oppose aux garçons, l’auteur revient sur ce que Klou-Klou a pensé de ce qui lui est arrivé :
« Qu’ils sachent donc ce qu’elle pense d’eux ! Ils lui avaient dit qu’elle était noire ? Elle le savait. Qu’elle aille rejoindre les singes dans leur cage ? Eh bien, elle y avait été mais qu’ils essaient à nouveau de l’y forcer à nouveau ! »

On pense alors à ces expositions exhibant des « cannibales » quasiment en cage, sorte de musées humains. Cf entre autres, une exposition du musée du Quai Branly en 2012 : Exhibitions, l’invention du sauvage.

C’est avant tout une fable écrite pour les enfants, abordant des demandes de leur âge :

« - Je veux élever des pigeons !
- Et moi un chien !
- Qu’il soit permis aux enfants de téléphoner !
- Qu’on ne nous embrasse pas !
- Qu’on nous lise des contes
- Qu’on puisse manger du saucisson !
- […]
- Qu’il n’y ait jamais d’examens blancs !
- …ni de dictées ! »


Et des thèmes politiques : la guerre, la démocratie représentative avec le rôle du Parlement, de la Presse, des relations avec les autres États, les autres cultures…
Le livre a été un immense succès. Il a été publié en France, entre autres, dans la collection Folio Junior, sans doute abrégé car il fait tout de même 300 pages.
Je l’ai lu avec beaucoup de plaisir car je m’intéresse à la littérature de jeunesse et aussi à l’éducation politique au sens large du terme. Certains pourront le trouver peu littéraire, trop didactique, daté. A chacun sa lecture.


Mots-clés : #contemythe #initiatique #litteraturejeunesse #xxesiecle
par Pinky
le Mar 7 Déc - 13:57
 
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Sujet: Janusz Korczak
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Jean-Marie Blas de Roblès

La Mémoire de riz

Tag contemythe sur Des Choses à lire - Page 2 La_mzo10

Vingt-deux nouvelles, généralement avec une part de fantastique (au moins d’après la perception du lecteur) et souvent situées en mer (Méditerranée et Bretagne), ou dans le passé (même si ce n’est parfois qu’une impression). Aussi une large part de recours à la mythologie, à la folie, aux associations et autres coïncidences, toujours avec une grande précision de vocabulaire, une imagination débordante et l’emploi de "faits divers" peu connus mais fort curieux.
Le scénario à la Borges de la nouvelle éponyme m’a paru irrecevable : qu’on puisse faire tenir une page de texte sur chacun des cinq mille grains de riz, soit ; qu’on puisse lire ces pages en désordre en leur trouvant toujours un sens est plausible (les 155 chapitres de Marelle, de Julio Cortázar, peuvent déjà être lus selon deux agencements), mais que les combinaisons de lecture restituent les œuvres perdues de maîtres anciens est inconcevable, même pour constituer une réponse aux « questions essentielles ». Dommage, ce conte a beaucoup de charme.
Loi Cioran est une intéressante anticipation de la profusion des livres : « elle stipulait que l’auteur d’un livre devrait payer de sa vie l’honneur d’une édition », ce qui calma le flux des parutions, tandis que la pléthore des livres existants est archivée en orbite − jusqu’à explosion de cette bibliothèque céleste, avec cette belle variation d’autodafé :
« Pour une minorité, dont je fais partie, la loi Cioran reste un souvenir empreint de nostalgie. Par nuit claire, nous sommes encore quelques rhapsodes à sortir dans les clairières. Nous allumons un feu de joie avec les nouvelles parutions de la semaine, et pendant que l’un d’entre nous récite, les autres regardent tomber les livres. Ils brûlent un à un au contact de l’atmosphère comme de minuscules étoiles filantes, plus ou moins lumineuses ou colorées. Le phénomène est rare, mais certains d’entre eux laissent dans le ciel d’éblouissantes traînées qui scintillent d’une façon singulière avant de disparaître. »

Le Quartette d’Alexandrie est un hommage à l’Alexandrie de Cavafy et Durrell.
L’Échiquier de Saint Louis, c’est celui sur lequel joue le roi, revenu de la septième croisade, contre un mystérieux Arabe ; le conte comme l’échiquier de cristal contiennent un vertigineux emboîtement d’ensorcelantes mises en abyme dans le genre des Mille et Une Nuits.
« Une accélération vertigineuse, et ce sont les sauriens, les lourdes hésitations diluviennes et leurs projets de mammifères avortés, les naissances tératologiques avec leurs cathédrales d’os enlisées dans la neige, et, tout à coup, l’homme, la bête nue, comme un paroxysme d’erreur à cet absurde foisonnement de monstres. »

Félix est l’histoire d’un homme heureux et sage, qui vieillit ; il apprécie les personnes selon leur nature, pas leurs opinions.
« En eux il appréciait les hommes et non les supporters d’une quelconque politique, persuadé qu’en la matière les choses se jouaient dans la façon d’être des gens plutôt que dans leurs velléitaires affirmations de force ou de générosité. »

J’eus d’emblée une impression de rapprochement tant stylistique que thématique avec Michel Rio ; d’un autre côté, je me suis aussi fréquemment ramentu Jules Barbey d’Aurevilly.
De beaux morceaux !

\Mots-clés : #contemythe #nouvelle
par Tristram
le Sam 27 Nov - 11:34
 
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Sujet: Jean-Marie Blas de Roblès
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Marguerite Yourcenar

En pèlerin et en étranger

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Brèves pochades, sur la mythologie, les marionnettes, datant des années trente et reprises au début des années soixante-dix (Grèce et Sicile), puis réflexions métaphysiques sur la finitude humaine (L’improvisation sur Innsbruck, 1929) :
« La mémoire choisit ; c’est le plus ancien des artistes. »

« Là est le privilège des personnages de l’histoire : ils sont, parce qu’ils furent. Tandis que nous ne sommes pas encore : nous commençons, nous essayons d’exister. »

« Seuls, les peintres d’autrefois, les Brueghel, les Dürer, surent éviter l’orgueil dans le tracé des perspectives : de petits êtres rampants combattent ou s’étreignent dans un coin de paysage, au bord de fleuves sans cesse écoulés, mais pourtant plus fixes qu’eux-mêmes, au pied de montagnes qui changent si lentement qu’elles paraissent ne pas changer. »

Dans Forces du passé et forces de l’avenir, Marguerite Yourcenar prédit (ou espère) en 1940 une renaissance de la civilisation après la guerre contre Hitler.
Puis c’est une Suite d’estampes pour Kou-Kou-Haï, dédiée à son pékinois (1927, texte de jeunesse).
« La nuit tombe, ou plutôt s’étale comme une onde. La nuit, dame de toutes les magies tristes, efface le temps comme la distance. »

Yourcenar nous parle ensuite de Virginia Woolf, dont elle a traduit Vagues, et qu’elle a rencontrée :
« Le regard est plus important pour elle que l’objet contemplé, et dans ce va-et-vient du dedans au dehors qui constitue tous ses livres, les choses finissent par prendre l’aspect curieusement irritant d’appeaux tendus à la vie intérieure, de lacets où la méditation engage son cou frêle au risque de s’étrangler, de miroirs aux alouettes de l’âme. »

Wilde :
« Bizarre absence de prescience ! Dans Intentions, Wilde affirmait que les œuvres parfaites sont celles qui concernent le moins leur auteur : sa gloire à lui est autobiographique. Il s’était voulu païen, au sens où ce mot passe pour signifier une vie couronnée de roses ; son De Profundis est traversé d’un glas chrétien. Il avait maudit le vieux culte de la Douleur, qui s’est vengée de lui. »

« Tout poète tient un peu du roi Midas : celui-ci dore le sordide où s’achève sa vie. »

Faust ; puis Böcklin (après Dürer et Holbein) :
« Chaque peuple a fait du christianisme catholique un paganisme différent. Celui d’Allemagne tourne autour de la danse des morts. »

« La vie porte en soi la mort, comme chacun porte son squelette. »

Caillois :
« Caillois lui-même a passionnément argué qu’il exaltait, au contraire, un anthropomorphisme à rebours, dans lequel l’homme, loin de prêter, parfois avec condescendance, ses propres émotions au reste des êtres vivants, participe avec humilité, peut-être aussi avec orgueil, à tout ce qui est inclus ou infus dans les trois règnes. »

Henry James, dont Yourcenar a traduit Ce que savait Maisie, puis Ruysdael, Rembrandt, et enfin Borges.

Hétéroclite, et même inégal, mais aussi de belles choses, comme toujours avec Yourcenar ; l’idée de la mort est omniprésente.

\Mots-clés : #contemythe #essai #mort #peinture
par Tristram
le Dim 14 Nov - 13:20
 
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Sujet: Marguerite Yourcenar
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Jean Giono

Le noyau d'abricot et autres contes

Tag contemythe sur Des Choses à lire - Page 2 Le_noy10

Quatre brefs contes anté-Naissance de l’Odyssée et Colline, que Giono appelait des « images », sortes d’illustrations marginales des Mille et Une Nuits.
Le noyau d'abricot : Paquette enferma un lutin dans un tel fruit, dont s’empare la fille du Calife, Dzïss, que transforme en sifflet sa favorite, Grain d’anis, permettant sa tonitruante libération.
C’est déjà le style facétieux, sensuel, au riche lexique (parfois archaïque). Voici une belle expression de l’ennui qu’entraîne la satisfaction, « les tristes sagettes que dardent les désirs à l’heure de leur mort » :
« − J’ai peur, disait Dzïss, car si je mets une nouvelle tunique, ou si je pends au-dessus de mes seins des perles fraîches pêchées, ou si je mange les belles confiseries, il me reste après une immense tristesse, un vide dans la tête, un goût de cendre sur la langue, jusqu’au moment où je désire une autre chose qu’hélas ! je prévois suivie de mêmes mélancolies. »

Le buisson d’hysope : d’inspiration plus biblique (avec aussi celle du roman courtois), les aventures d’une graine d’hysope dans un paysage plutôt méditerranéen, et surtout d’autres histoires en abîme, dont un mythe d’introduction de l’olivier en Provence.

Le prince qui s’ennuyait : il a détruit les deux roses qui pouvaient le soigner d’une fée et des dogues d’un ogre qui lui sont entrés dans l’œil…

La princesse ayant envie… : un pâtre retour des hauts pâturages regonfle de son haleine parfumée les peaux de raisins dont une Princesse aspira le jus…
Déjà une grande puissance de merveilleux, même si le style s’épurera par la suite, et quelle puissance imaginative !

\Mots-clés : #contemythe #nouvelle
par Tristram
le Mer 27 Oct - 13:35
 
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Sujet: Jean Giono
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Patrick Chamoiseau

Le papillon et la lumière

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Un jeune papillon fringant converse avec un vieux papillon mélancolique dans une ville la nuit, tandis que les lumières massacrent leurs semblables qui s’y précipitent.
Le vieux papillon ne s’est pas jeté dans la lumière, cette connaissance, ce qui lui a permis de survivre, mais sans avoir connu la vie ; son tour de pensée, plutôt circulaire, empêche le jeune de le suivre dans sa méditation philosophique virevoltant, papillonnant autour des possibles.
« – Donc, mourir n’est pas une affaire de vieillesse. »

« Et quand on pense avoir raison, on est très proche de la bêtise. »

« La moindre lumière vive est pour nous un haut degré d’impossible, d’impensable, d’inatteignable. »

« – Préciser, c’est toujours fatiguer ce que l’on a voulu dire. »

« …] l’observation est l’âme du silence. »

Là encore on est proche du conte oral créole.
« Le silence est le cœur de l’écoute et l’énergie de l’attention. »

Se dégage progressivement une conception presqu’intransmissible du sens de l’existence :
« – Qu’y a-t-il d’essentiel alors ?
– Tout est essentiel.
– Alors, où se trouve l’important ?
– L’important, c’est ta vie. C’est ce que tu en fais, ce que tu en exiges, la tension avec laquelle tu l’inclines au bon moment vers des moments sublimes.
– L’action juste ?
– L’action juste.
– Comment reconnaître le bon moment pour tenter l’action juste ?
– On ne peut pas le reconnaître. Le bon moment surgit au bout de la haute attention.
– Et c’est quoi, la haute attention ?
– Le grand désir de la beauté. Désir sans sueur ni volonté de besogneux, mais grand désir. Désir terrible ! »

Ça m'a un peu rappelé Paulo Coelho − mais en moins creux et fumeux. La puérilité est peut-être le tropisme du conte philosophique... mais là on n'y tombe pas.

\Mots-clés : #contemythe #philosophique
par Tristram
le Jeu 7 Oct - 15:47
 
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Sujet: Patrick Chamoiseau
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Jean Giono

Colline

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Aux Bastides Blanches, « un débris de hameau », le vieux Janet déparle ; il tire de ses doigts des serpents qu’il est le seul à voir, et augure du réveil du monde (naturel).
« "La colline ; tu t’en apercevras, un jour, de la colline.
"Pour l’heure elle est couchée comme un bœuf dans les herbes et seul le dos paraît ; les fourmis montent dans les poils et courent par-ci, par-là.
"Pour l’heure elle est couchée, si jamais elle se lève, alors tu me diras si je déparle… »

(Giono parlera souvent de poil pour évoquer la végétation.) Cette image de la colline animée reviendra dans tout le roman, justifiant son titre.
« "Contre nous, c’est toute la colline qui s’est dressée, le corps immense de la colline ; cette colline ondulée comme un joug et qui va nous écraser la tête. »

Le thème central est un panthéisme où le monde entier forme un tout divin ; tout est animé, vivant, et c’est la montagne de Lure, encore couchée comme une bête, qui incarne « La grande force des bêtes, des plantes et de la pierre. »
« "Le crapaud qui a fait sa maison dans le saule est sorti.
"Il a des mains d’homme et des yeux d’homme.
"C’est un homme qui a été puni. »

Janet l’a « partagé d’un coup de bêche », et de même Gondran son gendre tue un lézard : et si tout est vivant dans le monde, et que l’homme y répande la douleur au moindre geste ? Cette humanité du crapaud m’a toujours ramentu le poème de Max Jacob.
Pan, c’est aussi la peur panique, cet effroi qui s’abat sur les hommes. Une mystérieuse inquiétude grandit dans le silence ; d’abord la fontaine tarie, puis la fille d’Arbaud doit s’aliter ; le Jaume croit pouvoir diriger la résistance, mais la discorde s’installe ; la superstition fausse les jugements. Puis c’est l’incendie qui ravage les environs, et nous vaut une description d’épouvante, dont voici un passage :
« Déjà, en dessous, les bois crépitent. Une lame de vent glisse entre les murs de Lure, déchire la fumée. La flamme bondit comme une eau en colère. Le ciel charrie une lourde pluie d’aiguilles de pin embrasées. Le vol claquant des pignes traverse la fumée d’un trait de sang. Un grand nuage d’oiseaux monte droit, vers l’aigre hauteur de l’air, se saoule de vent pur, retombe, remonte, tourbillonne, crie. Le souffle terrible du brasier emporte des ailes entières, arrachées, encore saignantes, qui tournent comme des feuilles mortes. Un torrent de fumée jaillit, écrase le ciel, oscille un moment dans le vent, puis, gonflant ses muscles boueux, résiste, s’étale, et dans sa chair grésille l’agonie des oiseaux. »

Un des premiers textes (écrits et publiés) de Giono, qui annonce aussi Le serpent d’étoiles.
Cette novella, lue il y a longtemps, conserve toute l’épaisseur juteuse du style imagé de Giono (même s’il a gagné en finesse plus tard) ; avec le recul, on pourrait y lire une prémonition allégorique – ou un avertissement – du rejet de l’homme par la nature, cette lecture de notre temps. Facile à dire après, quand ne restent que les livres… et justement, celui-là me semble à la racine de nombre d’autres belles écritures, souvent provençales.

\Mots-clés : #contemythe #lieu #nature #ruralité
par Tristram
le Jeu 30 Sep - 21:35
 
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Pierre Michon

Mythologies d'hiver

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Trois prodiges en Irlande rapportent autant d’historiettes du temps des petits royaumes belliqueux, à l’époque où saint Patrick survint, apportant le christianisme.

Neuf passages du Causse, entaillé par le Tarn, relient vaguement autant de parcelles d’histoire et d’hagiographie locales, y compris Bertran de Marseille chargé par l’évêque Guillaume de traduire en langue vulgaire la vie de sainte Énimie :
« Ce que tu écriras doit être absolu comme la puissance de Dieu, clair comme l’eau de Burle, et visible comme un arbre ou un plat de lentilles. Rends visible et clair ce qui est absolu. Décris à la perfection un plat de lentilles et l’appétit qu’on en a ; et sans reprendre souffle, décris avec les mêmes mots l’appétit que Dieu a pour la fontaine de Burle. Les barons ne doutent pas des lentilles, ils ne douteront pas de Dieu. Ils ne doutent pas de la propriété de leur écuelle, ils ne douteront pas que Dieu a son écuelle à Burle. » Il ajoute : « Pour que ces rustres t’entendent, tu vas devoir dire le vrai et cependant mentir. J’agirai avec toi comme si tu n’avais pas menti, mais je ne pourrai t’en absoudre. Le vrai que tu mettras au cœur de ton mensonge pourra seul t’absoudre. Tu en seras le maître devant Dieu. »


\Mots-clés : #contemythe #historique
par Tristram
le Mer 29 Sep - 19:34
 
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Sujet: Pierre Michon
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Michel Rio

Arthur

Tag contemythe sur Des Choses à lire - Page 2 Arthur10

Quoique toujours amoureux de sa demi-sœur Morgane, que seul le temps peut vaincre, Arthur le puissant combat ses ennemis au nord et en Armorique (ce troisième tome est davantage "de cape et d’épée"), et organise son royaume autour de la Table Ronde, dont Morgane est « l’envers noir ». Le conquérant étend l’empire tandis que son épouse délaissée, Guenièvre, le trompe avec Lancelot, qui est déchiré entre désir et loyauté : le manichéisme se dissout dans un imbroglio de contraires assemblés qui culmine en Mordred, fils de Morgane et Arthur.
Ainsi s’achève la trilogie de Michel Rio (plus tard refondue en un volume, Merlin, le faiseur de rois), où il donne sa version personnelle (plus philosophico-métaphysique et cartésiano-scientifique que merveilleuse, plus historico-logique que magique) d’un mythe mal figé en légendes, tant les variantes s’entremêlent dans l’histoire qui nous est parvenue de Merlin, Morgane et Arthur.
« Seul Merlin a compris que la sagesse, pour être sage, doit se teinter d’un peu de folie, sous peine d’être folle. »

Une certaine grandiloquence de ton, quoique congrue à cette épopée, m’a un peu lassé tout au long du récit, alors que ce sont justement les style et dialogues surréels de Rio qui valorisent ses autres ouvrages.
« Rêve inlassable de vaincre la mort, toujours assassiné par les choses, toujours renaissant dans l’esprit. Pour moi, c’est cela, avant tout, la littérature. »


\Mots-clés : #contemythe
par Tristram
le Lun 27 Sep - 13:26
 
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Michel Rio

Morgane

Tag contemythe sur Des Choses à lire - Page 2 Morgan10

Belle et sensuelle demi-sœur d’Arthur, elle est formée par Merlin qu’elle dépassera en connaissance. Son règne totalitaire et cruel domine l'île d'Avalon, révolte et chaos, opposition ambigüe à la Table Ronde, cette utopie que Merlin a fondée, et à Viviane, la Dame du Lac, qui partage l’exil volontaire de ce dernier.
« La révélation et la métaphysique ne sont pas parentes, mais contraires, car la première est une réponse toute faite, une imposture de manipulateur menant le crédule à l'esclavage, et la seconde une question de penseur menant à une incertitude qui peut être source de libre arbitre. C'est toute la différence entre le prêtre et le philosophe. »

« Et ne pouvant détruire le temps lui-même, elle fut poussée à anéantir ce qui était à la fois son témoin éloquent et sa victime. »


\Mots-clés : #contemythe
par Tristram
le Lun 27 Sep - 13:12
 
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Walter Raleigh

El Dorado


The Discovery of the Large, Rich, and Beautiful Empire of Guiana, with a Relation of the Great and Golden City of Manoa (which the Spaniards call El Dorado), performed in the Year 1595 (édition 1848 annotée par Sir Robert Hermann Schomburgk, lui-même explorateur dans cette région d’Amérique du Sud).

À titre de comparaison, voici la carte de Guyane dans l’édition Hulsius, 1599, et une vue actuelle Google de la côte de l'Orénoque à l'Amazone. Raleigh semble ne pas avoir eu le temps d’établir la carte qu’il promet maintes fois dans son compte-rendu.
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Il reprend les chimères considérées comme certaines à son époque, que ce soit venues de la mythologie gréco-romaine ou des affabulations de ses prédécesseurs, comme la cité légendaire de Manoa et le lac Parimé, mais entretient peut-être surtout la fièvre de l’or, motivation des hommes pour aller explorer ces mirifiques contrées (et influencer les mécènes). D’ailleurs les élucubrations qu’on rencontre actuellement chez certains contemporains ne le cèdent pas aux croyances aux Indiens sans tête et autres Amazones ; elles sont juste moins excusables. Par exemple, ce qu’il dit des Indiens du delta de l’Orénoque vivant dans les arbres a beaucoup été moqué, et s’est depuis avéré exact.
« Ces Tivitivas sont un peuple de très belle apparence et de très grand courage. Ils ont un parler le plus viril et le plus réfléchi que j’aie jamais entendu où que ce soit. En été ils logent dans des maisons bâties sur le sol, mais en hiver ils demeurent sur les arbres dans des villages très habilement construits, comme il est écrit, dans l’histoire espagnole des Indes occidentales, des peuples qui vivent dans les basses terres proches du golfe d’Urabá. Car, entre mai et septembre, le niveau de l’Orénoque monte de trente pieds et le sol de ces îles se retrouve noyé sous vingt pieds d’eau, à l’exception, en leur milieu, de quelques terres surélevées. Et c’est ce qui les force à vivre de cette manière. »

Voici une illustration dans l’édition Hulsius Levinas, malheureusement une médiocre reproduction de la belle gravure les représentant.
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Reste un récit mêlé d’expérience vécue et de fable, où il est intéressant de tenter de débrouiller le vraisemblable (la légende d’une importante population amérindienne a été encore récemment rejetée parce que le territoire n’aurait pas pu subvenir à ses besoins ; de nos jours, les scientifiques pensent plutôt qu’il n’y a plus de forêt vierge depuis longtemps parce que l’agriculture était partout répandue).
« Si Dieu ne nous était pas venu en aide, nous aurions pu errer une année entière dans ce labyrinthe de rivière avant de trouver une issue, en particulier quand, au bout de quatre jours, nous atteignîmes la zone où le mouvement des marées n’est plus perceptible. Car je sais que nulle part ailleurs la terre n’offre un tel enchevêtrement de cours d’eau, tous si beaux, si larges et si semblables les uns aux autres que personne ne peut dire lequel prendre. Lorsque nous nous dirigions avec le soleil ou la boussole, nous ne faisions que tourner en rond au milieu d’une multitude d’îles et au bord de chacune d’elles poussaient des arbres si hauts qu’on ne pouvait voir plus loin que la largeur de la rivière ou la longueur de la trouée. »


\Mots-clés : #amérindiens #aventure #contemythe #historique
par Tristram
le Sam 18 Sep - 23:51
 
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Sujet: Walter Raleigh
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Darcy Ribeiro

Utopie sauvage Souvenirs de l’innocence perdue Une fable

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Fable donc, celle du lieutenant Carvalhal de l’Armée Brésilienne au nord de l’Amazonie devenu Pitum chez les Amazones, ces femmes guerrières à un seul sein, où il passe ses nuits à « sururuquer », s’interrogeant sur son destin dans une région où les hommes sont les Cannibales. Reprise donc des légendes amazoniennes (y compris l’Eldorado) avec des aspects anthropologiques des populations existantes. La « Guerre de Guyane » est occasion d’une critique de l’armée brésilienne, toujours sur le mode plaisant.
« Elles comprennent parfaitement la stratégie préventive de la guerre permanente, qui consiste à mener les forces armées brésiliennes au combat, sans but aucun mais sans trêve dans les terres du Nord. »

Après les « monotétines », Pitum passe aux mains des Galibis, dont le chef est Caliban : ce sont les Kali’nas, comme on les désigne désormais d’après leur propre langue, Indiens du groupe caraïbe qu’on croise à Kourou par exemple. Ces Indiens sont catéchisés et alphabétisés par deux nonnes, et les conceptions du ou des mondes (« Brésils ») cohabitent mal (les Galibis usent du langage pour échanger des « bobards », ils apprécient les rapports sexuels, les rêves et la défonce).
À ce propos, une étonnante image qui ramentoit Les jardins statuaires de Jacques Abeille :
« …] le missionnaire est un jardinier d’un jardin de statues de myrte ; tous les jours il s’occupe de chaque plante et de chaque figure ; s’il ne le fait pas bien, entre les cinq doigts de la main, il en pousse un sixième ; s’il est négligent, une autre jambe ou une autre tête peuvent même pousser. »

Devenu Zoreilles, Pitum (qui est noir) a un argument intéressant à propos du regard porté sur les sauvages :
« Le Noir semble avoir raison. – On ne peut croire que Dieu ait créé au Brésil tous ces indigènes païens, qu’on a si mal utilisés depuis le jour de la "découverte", et dont la seule utilité aurait été de tester et de sanctifier des missionnaires par le martyre. Tout cela me paraît douteux. Les missionnaires passent des années, des vies entières à cette pieuse obstination pour rien. Chaque nouvelle génération d’Indiens – comme de juifs ou de gitans – naît indienne et demeure indienne au plus profond de son cœur. Elle voit en nous autres des chrétiens. Serait-ce que parce que nous-mêmes ne les voyons que comme des sauvages ? »

Puis Darcy Ribeiro décrit une Utopie (toujours façon études ethnologiques foutraques et faisant référence à Thomas More entr’autres, dont évidemment Shakespeare), « civilisation nouvelle » structurée autour de deux pouvoirs, l’Empereur Immaculé et Próspero, pour mener le peuple informé dans le bonheur. Le programme est peut-être questionnable : de même que les hommes ont « mis de l’ordre » dans la nature, il s’agit maintenant « de défaire et de refaire aussi radicalement la nature humaine ».
Ribeiro use d’un procédé typique de certaines fictions, l’intervention de l’auteur s’adressant directement au lecteur (ou, de préférence, à la lectrice) :
« À ce point du récit, mon devoir est de mettre en garde le lecteur qui m’a accompagné jusqu’ici au travers de tant de sujets abordés. »

Puis il aborde divers thèmes comme l’homosexualité, l’euthanasie, l’eucharistie (cette forme d’anthropophagie), etc.
« − C’est la communion sauvage, mes amis. La consommation de la viande des parents morts déshydratés sur la braise, agglomérée avec beaucoup de farine et bien pimentée. Ainsi, dans leur genre et à leur niveau de civilisation, nos Indiens recherchent l’immortalité. Les morts, bien morts, deviennent vivants pour toujours car ils continuent d’être des vivants heureux dans le corps des vivants. »

Des notes renseignent sur les personnages historiques évoqués. Un glossaire précise les termes amérindiens, mais en fait n’éclaire pas le lecteur non averti ; ainsi, le guariba, c’est en fait l’alouate, appelé singe hurleur, singe rouge ou encore baboune en Guyane. De plus il y a des erreurs ; ainsi, le jenipapo (que nous nommons genipa) fournit une teinture bleu nuit et non rouge, la sucuri est l’anaconda et pas le boa, etc.

\Mots-clés : #amérindiens #contemythe
par Tristram
le Sam 18 Sep - 0:21
 
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Sujet: Darcy Ribeiro
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Robert Pinget

Graal Flibuste

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Récit picaresque conté par épisodes parfois peu liés les uns aux autres, où le narrateur voyage avec son cocher Brindon dans une carriole tirée par le cheval Clotho, dans un pays fantastique qui rappellerait l’imaginaire poétique de Vian (voire celui d’Audiberti), et au bestiaire digne de Michaux (la flore est tout aussi originale, et parfois elle se croise avec la faune en curieuses métamorphoses).
« Les vergedouces. Ce sont des cactées sans épines, lisses et très proliférantes. Elles forment des arbustes qui le matin, pour être gros comme des framboisiers, seront vers seize heures de la dimension d'un cèdre. Au premier souffle du large, vers dix-neuf heures, les sels marins attaquent la pulpe délicate qu'ils rongent incontinent et l'arbre n'est plus qu'un squelette, puis qu'un petit tas de fibres.
Les pavots-chiens. Plantes dangereuses parce qu'elles s'attaquent à l'homme. Nous les avons vues de loin, massées sur une colline qu'elles teintent de pourpre et d'hyacinte. Elles aboient au passage de la chair fraîche.
[…]
Les vire-ceintures. On a baptisé ainsi l'andréosylphe pompareuse, mais la raison m'en échappe. Oblongue et formée d'un seul pétale, la corolle s'évase par le haut comme une collerette qui, frottée d'un brin d'herbe, rend le son le plus mélodieux qui soit. Un musicien habile sur un bouquet de vire-ceintures pourrait jouer la gamme. »

« Une légende veut que Graal Flibuste, protecteur des banques, ait maudit tout être vivant qui foulerait le sol du sanctuaire. »

La généalogie de Graal Flibuste constitue une mythologie loufoque (quoique pas plus que certains avatars latins, grecs ou sud-américains).
« Calott épousa l'une des Éphémères, la noire Myo, qui lui donna pour fils le nain Rzwek, inventeur des céphalées et des eczémas ; une légende transarcidoine lui attribue le meurtre de la lune, qui, depuis, n'a plus de lumière propre. »

Donc association de cocasse et de poésie :
« Devant chaque stalle, une tablette de verre où étaient posés le gobelet et la brosse à dents. L'hygiène dentaire de la vache a des répercussions sensibles sur sa capacité laitière. Notre guide voulut bien nous confier que les ruminantes n'étaient pas encore en mesure de se donner ces soins elles-mêmes. »

« J'ai vu des paysans teindre leurs bœufs selon la couleur du temps avant de partir aux labours ; zinzolin par temps d'orage, jonquille ou azur par beau fixe, puce ou mouche écrasée par temps de pluie, s'en vont vers le sillon les majestueux attelages. »

On croise déjà monsieur Songe, et il paraît que les différents romans de Pinget appartiennent au même univers, où se retrouvent certains personnages.
Un temps, c’est une intrigue du genre polar qui occupe le narrateur et Brindon, « Le mystère Dunu ».
« Le mystère Dunu nous intriguait chacun, à des degrés divers puisque Brindon en savait moins que son maître, mais nous occupait tous deux et de la sorte prenait corps en dépit des circonstances, presque en dépit de lui-même. Ainsi se créent ou se recréent, de par l'attention d'individus fort éloignés les uns des autres mais animés de la même passion, ce que l'on pourrait appeler des nœuds circonstanciels de temps ou de lieux, des complexes comme de matière spirituelle brute, inexplorée, disponible, toute chargée de puissance et prête à donner naissance à quelque prodigieuse invention ; mais cette force n'est que chimère, elle a toutes les apparences de la vie, elle en emprunte d'inédites au besoin, faisant apparaître entre les divers possibles des relations mystérieuses, donnant du relief à certains impondérables, sans pour cela participer du seul mystère qui soit : le réel. De même nous nous efforçons dans notre chambre de construire pour le futur un bonheur idéal, nous avons l'impression de le tenir à force de veilles et d'efforts, il ne peut échapper qu'à notre inattention et de celle-ci nous évitons la moindre seconde, nous tenant pour ainsi dire sur le qui-vive ; et parce que peut-être à plusieurs milles de là quelque rêveur agit de même, le fameux lien circonstanciel se crée et nous remplit de l'intime persuasion que nous sommes sur le point d'aboutir. Or nous nous retrouverons cent ans plus tard dans la même chambre et les mains vides pour avoir oublié d'ouvrir notre porte et de descendre dans la rue où nous attendait peut-être la fortune. »

Une certaine amertume ou angoisse transpire parfois, comme un cauchemar qui sourdrait du rêve.
« Ma mère, lorsque nous étions enfants, nous contait pour nous endormir comment elle s'y était prise pour assassiner notre père. »

Il me semble que c’est écrit au gré de l’inspiration, sans unique fil conducteur, ou plutôt sans vraie intrigue générale ; d’ailleurs le roman s’achèvera sans réel dénouement, et je ne crois guère qu'on puisse y trouver quelque message métaphysique ou moral (quoique)…
« Vous craignez vos désirs, et ce qui en retarde l'assouvissement vous est un réconfort.
− Autrement dit, je suis un lâche ?
− Certainement. »


\Mots-clés : #absurde #aventure #contemythe #fantastique
par Tristram
le Ven 30 Juil - 18:59
 
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Michel Rio

Merlin

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Ce roman est le premier d’une trilogie avec Morgane et Arthur, parus après celui-ci.
Centenaire, Merlin narre comment, « fils du Diable », il fit un nouveau monde, et le cycle arthurien, la légendaire Table Ronde, la maléfique Morgane à Brocéliande et Avalon, Viviane la Dame du Lac, etc.
Il est l’esprit de connaissance, inséparable de l’action guerrière.
« Tout ce qui vit est à jamais en guerre. »

(Tous ces héros, unanimement beaux et forts, forment finalement une aristocratie familiale (par la naissance, pour ne pas dire par les gènes.)
Le ton est épique, mais plus rationnel que merveilleux ; Michel Rio précise que cette interprétation est purement personnelle.
« …] en fin de compte, la poésie prévalait sur le pouvoir. Parce que la légende construisait inlassablement une éternité dont l’histoire s’évertuait à démontrer le mensonge. »


\Mots-clés : #contemythe #moyenage
par Tristram
le Mar 13 Juil - 12:51
 
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Pierre Louÿs

Le Crépuscule des Nymphes

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Cinq contes où la mythologie antique fait l'objet d'une reprise par Pierre Louÿs (ce ne sera pas la seule fois, loin s'en faut), où presque tous les personnages raconteront chacun leur tour l'une des histoires du livre. Presque, c'est-à-dire trois des quatre corinthiennes et seulement l'un des trois jeunes hommes qui leur tiennent compagnie...* étrangeté s'il en est venant de Pierre Louÿs, le seul conte raté de ce Crépuscule des Nymphes, est celui du jeune homme (La maison sur le Nil, ou les apparences de la vertu). Nombreuses sont les figures féminines, chez Pierre Louÿs, qui possèdent un ascendant sur les hommes, ou qui exaltent la fascination à plusieurs facettes que l'écrivain éprouvait pour elles. Aux vues des destins, triste et cruels, qui attendent les protagonistes féminins de ces contes, l'on pourrait dire que cette fois-ci, c'est uniquement en tant que conteuse qu'elles ont l'avantage. Elles foulent les terres sacrées d'Ovide avec un lyrisme qui frôle le talent de Bilitis. Le point essentiel dans Le Crépuscule des Nymphes est plutôt l'acmé que constituent ces jouissances éphémères, plaisirs des sens qui se mêlent à celui des larmes ; des conteuses qui, en dépit des vicissitudes, tendent toutes vers un bonheur secret.

*: reste un cinquième conte, celui de Thrasès qui est certes "il" mais n'est du reste pas humain.


\Mots-clés : #contemythe
par Dreep
le Sam 10 Juil - 19:41
 
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Herman Melville

Le Grand Escroc
Titre original: The Confidence-Man, his Masquerade

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Roman, 1857, 400 pages environ.


Un vapeur d'une taille certaine, empli de passagers, descend en cabotage le Mississippi. Une affiche placardée près de la cabine du capitaine prévient ces passagers d'être sur leurs gardes, en raison de la présence d'un escroc à bord.
Ce sera la seule allusion à ce capitaine (et si l'escroc c'était lui ?).
Ces passagers rencontrent, sous des dehors de hasard, un caractère principal assez ambigü, peut-être unique, peut-être multiple, en tous cas insaisissable (parce que ne se laissant pas démasquer).

Le roman est articulé en tableaux ou scènes parfois enchaînées, parfois non. Il est d'une très grande richesse et d'une indiscutable modernité.
Tout repose sur la confiance dans le rapport imposé par l'escroc, mais, d'une certaine manière (ce qui est particulièrement moderne), sur le degré de confiance que nous-mêmes mettons dans les situations narrées, c'est-à-dire que nous sommes aussi, nous lecteurs, confrontés.
Il y a de la satire allégorique mais aussi métaphysique dans l'ouvrage.


L'abord d'une foultitude de sujets variés intimes ou universels, prégnants, fait défilé ou farandole, étourdit le lecteur.
Sujets tels le bien, la charité -bien sûr la confiance - la morale -ce qu'on appelle aujourd'hui l'éthique - le cynisme, la philanthropie, la misanthropie, le matérialisme, le réalisme, la théologie, l'amitié, l'économie sont par ex. autant d'accroches dont se sert le -ou les- grand(s) escroc(s) à bord.

À noter qu'il n'escroque pas toujours pour de l'argent, comme s'il poursuivait des desseins plus mystérieux (le diable n'a pas tenté Adam et Ève pour de l'argent, est-il dit, en substance, quelque part dans le roman).


Alors, un ouvrage remarquable et méconnu ?
Oui, si l'on veut.
Pourtant, pourtant...
Ce fut un échec complet, tant auprès de la critique que du public, et l'auteur, cinglé de plein fouet -sans doute parce qu'il avait "mis" énormément de lui, de temps, de réflexion, de matière dans ce livre-là- se retirera plus ou moins de la vie littéraire pour épouser une autre carrière, nettement moins en vue.

C'est aussi un ouvrage roboratif, un peu trop riche comme l'on dit d'un mets ultra-calorifique.
Si, en effet, le lecteur est étourdi, grisé par le déroulé, le côté incessant, il solliciterait parfois volontiers un tempo un peu moins enlevé, une pause.
Enfin peut-être Melville eût-il gagné à davantage de concision, de dépouillement, quelque chose de plus ramassé (avis au potentiel lecteur: s'engager dans ces pages est une entreprise d'une certaine haleine, pas seulement en raison du nombre de pages).

Et puis:
Je n'ai pas trouvé ce si fort alliage, que je prise tant chez Melville, entre la force et la grâce dans l'écriture (mais il est vrai qu'avec Melville, qui m'a tant transporté et que je porte volontiers au pinacle, je suis si peu indulgent): alliage dont sont sertis Benito Cereno, Moi et ma cheminée, Moby Dick, Bartleby et tant d'autres...

Mais malgré tout ce Grand Escroc, pour mitigé que je puisse paraître, reste un livre tout à fait à recommander.



Mots-clés : #absurde #amitié #contemythe #social #voyage #xixesiecle
par Aventin
le Jeu 24 Juin - 17:03
 
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Pierre Michon

Abbés

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Trois chroniques autour des premiers monastères bénédictins de l’Ouest.
Dernière phrase d’une chronique imputée à Pierre de Maillezais, cette antienne sera commune aux trois récits :
« Toutes choses sont muables et proches de l’incertain. »

Vers « l’an mille », l’abbé Èble se retire sur « l’île naine de Saint-Michel », et entreprend de démêler Tohu et Bohu, la terre et les eaux, asséchant les vases entre mer et rivières.
Les passions de la gloire et de la femme le hantent…
« Et cette grande femme qui est debout devant lui, qui déjà s’éloigne sur ses pieds de marbre, c’est la verticale sans frein de l’éclair. »

La seconde chronique évoque justement Maillezais, de ces abbayes qui aménagèrent le marais poitevin, celle-là fondée sur la bauge d’un sanglier, et la volonté d’une femme, Emma.
La troisième, typique de cette époque entichée de reliques, raconte l’histoire assez irrévérencieuse d’une dent de Jean-Baptiste qui, dérobée, s’avèrera fausse.
« Cette époque, on le sait, aime les os. Pas tous les os, ils ont grand soin de choisir, disputent et parfois s’entretuent sur ce choix : les os seulement qu’on peut revêtir d’un texte, le Texte écrit il y a mille ans ou les textes écrits il y a cent ans, ou le texte qu’on écrit à l’instant pour eux, les os que Cluny ou Saint-Denis a nommés et scellés, ceux qui à des signes patents pour nous illisibles, firent partie d’une carcasse d’où s’évasait la parole de Dieu, la carcasse d’un saint. »

Ces trois chroniques liées s’achèvent sur « le verset de l’Ecclésiaste où il est question de paroles et de vent », sans doute celui auquel répondit « la vox clamans in deserto » de Jean-Baptiste…
Lecture savoureuse, spécialement si on fait l’effort de se renseigner sur les sources.

\Mots-clés : #contemythe #historique #moyenage #religion
par Tristram
le Lun 31 Mai - 16:52
 
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Jacques Abeille

Les Voyages du Fils

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« J’étais fatigué des livres, de ceux bien trop nombreux que j’avais lus autant que du seul que j’aie écrit et auquel il me semblait avoir sacrifié toute ma jeunesse. »

C’est l’incipit de la première partie, et j’ai déjà un doute sur la désinence de « que j’aie écrit » : pourquoi le subjonctif et pas l’indicatif ? Plus je lis et vérifie les formes du français, plus j’ai des doutes…
Le narrateur, le fils d’un bûcheron qu’il n’a pas connu et qui est le Veilleur du Jour du livre précédent, retrouve, dans les Hautes Brandes où les cavaliers barbares se sont sédentarisés, Barthélemy Lécriveur devenu vieux, qui lui raconte comment il rencontra une variante de Circé aux porcs et sa déchéance consécutive.
Puis sa quête d’identité le mène à suivre les traces du passage de Léo Barthe, le pornographe, jusqu’à apprendre que ce dernier avait un frère jumeau, Laurent, son père, qui fut victime d’un sacrifice rituel atroce.
Les lupercales forestières sont un rite coutumier où les vierges sont livrées à la chasse des charbonniers… ethnologie fantasmatique de nouveau…
Le thème de la mémoire et de l’oubli est marquant.
« Les hommes sont contraints de mettre beaucoup d’imagination dans les souvenirs qu’ils gardent de leur vie – c’est ça ou l’oubli – et même leurs gestes immédiats portent l’ombre de rêveries qui les redoublent. La vie est si plate, si peu réelle. »

Après avoir publié le livre précédent à la mémoire de son père, Ludovic le narrateur prend des notes pour rédiger le compte-rendu de ses voyages à son retour en Terrèbre ; l’écriture tient une place prépondérante dans les livres d’Abeille.
« Cette histoire que j’avais passé ma jeunesse à scruter pour la mettre au propre, avait précédé ma vie. Comme si la chose écrite pour moi bénéficiait en regard de l’existence d’une précellence tacite, je me trouvais, quant à mes actes, à mes sentiments aussi, dans la situation d’un auteur scrupuleux qui s’interdirait la répétition de certains mots ou de certaines tournures de langage pour en ménager l’éclat. Je m’avisais ainsi que chaque texte qui s’écrivait, selon l’axe de son propos, ne s’autorisait, si vaste soit-elle, qu’une réserve limitée de termes et que, celle-ci épuisée, le récit, l’essai ou la rêverie rencontrait son point final. À longue échéance, peut-être, certains retours du même étaient-ils admissibles, mais non sans parcimonie. »

« On ne devrait jamais se laisser conter l’histoire d’un manuscrit, soupira-t-il ; elle est toujours plus belle que son contenu. »

Nous retrouvons l’image de l’écrivain-médium d’une inspiration qui lui est étrangère, idée assez récurrente dans la littérature pour ne pas être totalement sans fondement.
« Mais le plus souvent les signes donnaient son tracé à l’œuvre sans que ma volonté prît la moindre part à cette opération. L’écriture se dévidait pour ainsi dire de son propre mouvement et avec une autorité qui m’en imposait. Je n’avais pas mon mot à dire. »

« J’étais habité par une pensée qui ne me visitait qu’à la condition que j’eusse la plume en main et qui, pour ainsi dire, me dictait le texte pour m’en offrir l’inlassable surprise. Oui, une pensée errante et forte, n’émanant de personne et qui, de temps à autre, m’élisait comme l’instrument de sa manifestation. Une grâce, en somme, car je suis bien sûr que je ne saurais, par mes seuls moyens, parvenir à une vérité si intense et vibrante. »

Il y a une certaine dimension érotique, mais aussi politique, avec notamment « les auteurs du second rayon » (libertins) et « la très ancienne et vénérable tradition anarchiste des métiers du livre ».
« Les discours, les écrits qui concernent les réalités du sexe ne peuvent rien avoir que de très commun. Les images qu’ils développent ne gravitent qu’autour d’un nombre fort limité de motifs qui appartiennent à tous. Le trait dominant de l’érotisme est la répétition et l’uniformité, inéluctablement. »

« …] sans hâte et par mille ruses, les pouvoirs politiques modelaient l’opinion et s’apprêtaient à régler avec une rigueur croissante le problème des livres, comme si la proche désuétude de ce véhicule de la pensée le rendait plus subversif. »

Avec toujours le même style soutenu, qui fait beaucoup du charme de ces récits.

\Mots-clés : #contemythe #ecriture #traditions #universdulivre #voyage
par Tristram
le Jeu 6 Mai - 0:35
 
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Sujet: Jacques Abeille
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Valère Novarina

Le Jeu des Ombres

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Le Jeu c’est celui avec les mots (aussi en latin)…
« LA BOUCHE HÉLAS.
Avis aux Huminiâtres, aux Huminiacés ! Psaumes aux Théosaures, aux Penseurs Perpendiculaires, aux Anthropo-bisphoriques – et urbains de la même farine ! »

« LE CLAVIER.
Déchroniquons-le ! Mourons-y ! Tuons-le ! Mourons-y !
LE PHRASÉ.
Démourissons-le avant que nous y fûmes. »

… et les Ombres ce sont les morts, dans l’enfer mythologique de la Rome antique principalement (Hécate, Pluton, surtout Orphée et Eurydice), mais aussi le Dieu biblique, et même Mahomet chevauchant le Bourak.
« ORPHÉE.
"Les mots sont devenus dans les langues humaines comme autant de morts qui enterrent des morts, et qui souvent même enterrent des vivants. Ainsi l’homme s’enterre-t-il lui-même journellement avec ses propres mots altérés qui ont perdu tous leurs sens. Ainsi enterre-t-il journellement et continuellement la parole." »

Le discours est souvent de tendance métaphysique (le temps et l’espace, le jour/ lumière et la nuit).
« Je vais tracer au compas
La limite qui est invisible
Entre naître… et n’être pas
Entre n’être… et naître pas. »

« LE CONTRE-CHANTRE.
Tous les hommes sont des écriteaux égaux : homme et emmoh : égal est l’homme, légal le mot.
LE CHANTRE.
La parole est aux hennissements !
FLIPOTE.
Ôtez l’espace du lieu : rien ne reste. Prenez le temps, enlevez-lui chaque moment : l’instant est là. Ôtez-lui le mot : le temps file à vau-l’eau. »

« La nature est un jeu d’énergies, une phrase dite et respirée par toute la création, par toutes les créatures vivant ensemble : d’un souffle, en un geste pluriel, d’un seul tenant. Comme une donnée : l’apparition de tout. »

On pense tout de suite à Michaux, puis à Jarry, Audiberti, entr’autres.
Cette pièce est a minima une comédie bouffonne (avec des personnages comme l’Ambulancier Charon, Marcel-Moi-Même, etc.), où explose l’inventivité jubilatoire de Valère Novarina concernant la parole, du verbe, du langage.
« ANTIPERSONNE I.
Ce qui fait extrêmement peur, ce n’est pas le chaos d’ici, ni l’infini, ni le labyrinthe, ni la chair, ni le mystère de la matière – mais le rangement absolu de tout et l’apparition soudain de l’univers dans une langue ordonnée.
Ce n’est pas le chaos de la matière qui fait peur, c’est d’entendre un ordre dedans ; ce n’est pas une chose qui s’entend par la vue – puisque tout est désordre à voir, mais une chose que l’on entend dans l’ordre du souffle. Dans l’architecture du langage, nous entendons un ordre dans le langage. »

« Conclusion : Ceux qui ont tagué "La mort est nulle" au bord du canal de l’Ourcq ont bien fait.
Nous ne sommes pas du tout faits pour ça. Ce n’est pas une fin pour nous. Nous sommes dévorés par elle mais nous ne sommes pas ses sujets. »

Apparaissent une multitude de figures humaines ou mythologiques, dont de nombreux animaux, et des machines ; l’Huissier de Grâce annonce régulièrement l’entrée de nouveaux personnages, parfois en longues listes extraordinaires, comme celle qui clôt la pièce.
« L’HUISSIER DE GRÂCE.
Entrent Les Phases, Les Phrases, Les Ombres, Les Nombres, Les Âmes et Les Enfants Pariétaux. »

Des personnes réelles en font partie, dont nombre appartiennent au monde du spectacle.
« PIERRE BERTIN.
Je traversais ma mort à temps plein, et de plein jour comme en pleine nuit. Telles étaient mes scènes, qui n’avaient pas encore eu lieu à c’t’époque-là.
On ne voit ici dans la nuit noire plus que la nudité vraie de la lumière : sa force est écrasante tant elle se répand. Cependant le sol était là – et je continuais à vivre uniquement pour me venger d’exister. »

Il y a aussi des allusions littéraires, comme à Molière (Le vivant malgré lui, Le mort imaginaire), et une curieuse récurrence du chiffre huit, (qui rime avec nuit dans presque toutes les langues) et onze.
On retrouve la Dame autocéphale et le Valet de Carreau évoqués par Louvaluna dans sa lecture de L'Opérette imaginaire ; démonstration par l’inverse de ma méthode de lecture chronologique des auteurs, j’ai malencontreusement abordé Novarina par sa dernière pièce…

\Mots-clés : #absurde #contemythe #mort #philosophique #spiritualité #théâtre
par Tristram
le Mar 4 Mai - 20:35
 
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José Saramago

Le radeau de pierre

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La péninsule Ibérique se sépare de l’Europe par « rupture des Pyrénées », et José Saramago nous raconte avec bonhomie cette scission fantastique, et les réactions des personnes comme des gouvernements et scientifiques.
« Il y eut une pause, on sentit passer dans l’air comme un grand souffle, la première et profonde respiration de celui qui se réveille, et la masse de pierre et de terre, couverte de villes, de villages, de rivières, de bois, d’usines, de forêts vierges, de champs cultivés, avec ses habitants et ses animaux, commença de bouger, barque qui s’éloigne du port et met le cap vers l’océan, une fois encore inconnu. »

Elle a pris la mer comme une île, et la vision forte est à la fois rendue avec réalisme et poésie, un certain onirisme, du merveilleux et de l’humour sur un substrat de mythologie infernale (avec notamment les chiens).
Joana Carda griffe le sol avec une branche d’orme, Maria Guavaira dévide interminablement un bas de laine bleue, Joaquim Sassa fait ricocher une lourde pierre sur la mer, les étourneaux suivent José Anaiço, Pedro Orce est le seul à ressentir le tremblement de la terre, et tous vont se réunir pour voyager à travers l’ex-péninsule.
La foule va voir passer le rocher de Gibraltar, tandis que d’après les calculs l’archipel des Açores se trouve sur la route suivie…
La recherche stylistique novatrice, habituelle à Saramago, va vers un allégement de la ponctuation, moins marquée notamment dans les dialogues ; cette fois, elle ne gêne pas la compréhension du lecteur, souligne le flux de paroles ou pensées sans artificialité. De plus, le narrateur s’adresse directement au lecteur, et digresse volontiers sur l’écriture, le langage (et les noms, qui apparemment fascinent l’auteur). Saramago fait aussi de nombreuses allusions aux littératures espagnoles et lusophones, y compris à ses propres œuvres, et affectionne les dictons.
« Joaquim Sassa ne répondit pas, il fit taire son imagination, car le dialogue menaçait de tourner en rond, il allait devoir répéter, Je ne sais pas, et ainsi de suite, avec quelques légères variantes, d’ordre formel, en prenant malgré tout le maximum de précautions car, on le sait, la forme mène au fond, le contenant au contenu, le son d’un mot à son sens. »

« Une aura, une lueur sans éclat, une sorte de lumière non lumineuse semblait planer sur elle, mais cette phrase, composée comme toutes les autres presque uniquement de mots, peut-elle échapper à l’équivoque. »

« …] c’est le narrateur, amant de la justice, qui n’a pu résister à faire ce commentaire. »

« Enfin, le dernier car il en fallait bien un, Pedro Orce dit, Où on dira je vais, et cette phrase qui offense manifestement la grammaire et la logique par excès de logique et sans doute aussi de grammaire, restera telle quelle, peut-être finira-t-on par lui trouver un sens particulier qui la justifie et l’absolve, celui qui a l’expérience des mots sait qu’on peut tout en attendre. »

« …] tout ce que nous disons s’ajoute à ce qui est, à ce qui existe [… »

De mon point de vue, une belle réussite !

\Mots-clés : #contemythe #fantastique #insularite
par Tristram
le Mer 7 Avr - 13:40
 
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