Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Sam 27 Juil - 4:41

242 résultats trouvés pour polar

Georges Simenon

Le Pendu de Saint-Pholien

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Le_pen10

Intrigué, Maigret suit un suspect jusque Brême – où ce dernier se suicide en constatant que Maigret a substitué une valise similaire à la sienne, qui ne contenait qu’un vieux costume… Enquête étrange de bout en bout, où le commissaire est précédé par l’une des quatre connaissances connues de la victime, l’homme d’affaires Van Damme – peut-être celui-là même qui tente de le tuer.
« Il eût été difficile de lire une pensée quelconque sur le visage de Maigret, dont la dernière des qualités semblait bien être la subtilité. »

Un drame qui sourd finalement du remords, et appréhendé avec beaucoup d’humanité.

\Mots-clés : #polar
par Tristram
le Dim 14 Jan - 11:51
 
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Sujet: Georges Simenon
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Georges Simenon

Monsieur Gallet, décédé

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Monsie11

« Chaque affaire criminelle a sa caractéristique, qu’on saisit plus ou moins vite et qui donne souvent la clé du mystère.
Est-ce que la caractéristique de celle-ci n’était pas la médiocrité ? »

La première phrase est possiblement une clé de la fameuse atmosphère qui caractérise les polars de Simenon ; mais pour la seconde partie, c’est peut-être parler un peu vite !
« Je connaîtrai l’assassin quand je connaîtrai bien la victime. »

C’est sur le mort surtout qu’enquête Maigret, et ce Monsieur Gallet, qui ne quitte pas son esprit, « avec qui il allait vivre des semaines durant dans la plus déroutante des intimités », ne se révèle pas aussi simple qu’il n’y paraissait de prime abord.
« Il revint sur ses pas, tête basse, arrangeant à nouveau dans son esprit la silhouette de M. Gallet, la mettant en quelque sorte à jour.
Le personnage, au lieu de se compléter et de devenir plus compréhensible, ne se dérobait-il pas ? La physionomie de l’homme à la jaquette trop étroite ne se brouillait-elle pas au point de n’avoir plus rien d’humain ?
Au portrait, seule image tangible, théoriquement complète que Maigret possédât, se substituaient des images fuyantes qui n’eussent dû former qu’un seul et même homme et qui refusaient de se superposer. »

Voilà dix-huit ans que Gallet avait abandonné son métier de voyageur de commerce et faisait croire à sa famille qu’il le pratiquait toujours ; il était un ingénieux bricoleur s’adonnant à la pêche, mais aussi « l’escroc des légitimistes », et fut un « gai luron » en Indochine.
De menus usages devenus désuets participent du charme des romans de Simenon (il écrivit celui-ci en 1930).
« À gauche, dans le corridor, était posé un plateau avec une seule carte cornée : celle du maire de Saint-Fargeau. »

(Une carte de visite cornée signalait qu’elle avait été délivrée en personne.)
Toujours une impression de déjà-lu, mais peut-être seulement parce qu’à la lecture de chaque Maigret on retrouve un peu le même monde. Et celui-ci constitue également un excellent cru.

\Mots-clés : #polar
par Tristram
le Mer 3 Jan - 11:18
 
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Sujet: Georges Simenon
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Juan Manuel de Prada

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Prada_10

La Tempête

Un phénomène météorologiste ? non le titre d’un tableau du Maître Giorgione - premier grand peintre vénitien du Cinquecento et de la Haute Renaissance._.
Alejandro Ballesteros, un étudiant est invité à Venise par le critique Gilberto Gabetti pour étudier le tableau de Giorgione « la Tempête » dont il a fait une analyse.

« J’avais moi-même dilapidé ma jeunesse à l’exégèse de ce tableau, je m’étais englouti des années durant dans le secret que gardaient les personnages et, après bien des recherches et des enquêtes ardues, j’avais livré à la postérité une thèse, un véritable pavé dans lequel j’ajoutais une nouvelle interprétation à toutes celles qui existaient déjà. »

Dès son arrivée à Venise en période d’acqua alta, le jeune homme ressent un mauvais pressentiment, il trouve l’ambiance sombre, ,menaçante, étouffante.

Ce sentiment se confirmera alors que de la fenêtre de l’auberge où il loge il voit un homme se traînant sur la place, visiblement blessé. Il court pour l’aider, l’homme baigne dans le sang, Alejandro le soutient comme il peut, appelle à l’aide Dina l’hôtelière de l’auberge ; la victime meurt mais a le temps de montrer sa main et le jeune homme se souvient d’avoir vu de sa fenêtre une bague lancée dans le canal et un bref instant un visage blanc traverser le palais voisin.

S’ensuit l’enquête habituelle de la police – le commissaire Nicolussi. La victime est connue de tous à Venise il s’agit d’un peintre -en fait un faussaire- Fabio Valenzin. Mr Gabetti le connaissait tout particulièrement Fabio ainsi que sa fille Chiara dont Alejandro fera la connaissance, Elle-même restauratrice de tableaux, et qui aime tout particulièrement avec un certain fanatisme, le maître Le Tintoret.

Alejandro se rend compte que Gilberto Gabetti se complait à l’humilier dans son activité d’historien de l’Art. Il y aura un « duel » entre-eux quant à la signification que le J.H. reconnait au tableau de la Tempête ; tableau insaisissable et mystérieux qui a toujours opposer les interprétations.

« comprendre l’art, c’est tout autre chose, souligna-t-il en pesant sur le mot ; seuls quelques élus en sont capables. Les érudits considèrent l’œuvre d’art comme un objet inerte qu’il faut étudier, analyser et évaluer, mais la peinture, la peinture digne de ce nom n’admet pas cette approche de taxidermiste ; c’est n être vivant, devant lequel on ne peut se conduire en simple critique, et qui a besoin de compréhension. Or, comprendre, c’est accepter sans réserve, en ne se fiant presque qu’à son intuition, avec la plus arrêtée des résolutions et la conviction la plus ferme. Comprendre est un acte de foi, voilà pourquoi l’approche de l’art est apparentée à la ferveur religieuse. »

Chiara est amicale avec Alejandro, lui s’attache à elle qui lui confie avoir aimé Fabio, travaillé avec lui et avoir des regrets de ne pas avoir pu le guérir de son activité de faussaire.
Alejandro malgré sa lucidité sur Chiara tombe amoureux.

"Je l'admirais malgré son fardeau de médiocrité et son début de folie ou de fanatisme qui la poussait à s'immoler pour une ville qui ne connaîtrait jamais son dévouement. Je commençais à accorder à l'expérience de l'amour la primauté sur l'idée de l'amour."

Alejandro devra faire face à des personnages inquiétants, à l’attitude de Chiara, Gabetti, Dina, bref à tous ceux qu’il rencontrera ; sous l’emprise  trouble de Venise. Une ville qui le contamine ; il vole la valise de la victime car il pense que là se trouve le pourquoi du meurtre. Le bagage restera très longtemps inviolable. Alejandro n'emportera de Venise que le souvenir de Chiara.

"Bien des visages s'éloignent et se précipitent dans la fosse commune de l'oubli, mais pas celui de Chiara. Parfois quand je me débarbouille et me trouve vis-à-vis de moi-même devant le miroir de la salle de bains, je me demande ce que je serais devenu sans cette consolation et cette condamnation."


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L’auteur paraît connaître cet art qu’est la peinture, c’est la maîtrise de son écriture qui me conduit à le penser.
Note : le peintre Giorgione est lui aussi mystérieux, voir sa biographie https://fr.wikipedia.org/wiki/Giorgione

La Venise décrite ici n’invite pas à la visite :
l’ambiance est lugubre, miasmatique tout au long du récit et certains personnages rencontrés ajoutent à la méfiance, au malaise.
Même l’église La Madonna dell’Orto et l’Accademia ne sont épargnées par ce ressenti
La déchéance de la minoterie Stucky et l’île de Torcello abandonnée par ses habitants.

L’auteur a donc installé Venise dans ce dramatique décor.

Faites la connaissance de cet auteur, pour ma part je vais renouveler ma rencontre.
.

\Mots-clés : #peinture #polar
par Bédoulène
le Mar 19 Déc - 10:23
 
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Sujet: Juan Manuel de Prada
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Georges Simenon

Le Charretier de la Providence

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Le_cha10

Cette enquête constitue une plongée dans le passé (1930), un monde presque disparu, que Simenon connaissait mieux que Maigret : celui des mariniers, avec son vocabulaire.
« Et Maigret apprenait qu’un chaudron est un remorqueur, qu’un panama est un bateau qui n’a ni moteur ni chevaux à bord et qui loue un charretier avec ses bêtes pour un parcours déterminé, ce qui constitue de la navigation au long jour. »

J’ai eu dès le second chapitre l’impression de reconnaître l’histoire, déjà lu ou téléfilm ; et surtout ce monde, que j'ai eu la chance d'un peu approcher dans la réalité. J’ai été étonné de découvrir que cet univers paisible était également marqué par la hâte, dans la course aux écluses.
« Le commissaire s’épongea en entrevoyant enfin un semblant de but. Il avait le souffle court et chaud. Il venait de parcourir cinquante kilomètres sans même boire un verre de bière. »

On voit que dans ce roman Maigret donne de sa personne, et que sa consommation d'alcool est limitée.

\Mots-clés : #polar
par Tristram
le Lun 18 Déc - 9:56
 
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Laurent Binet

Perspective(s)

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Perspe10

« Or, et c’est là tout ce que vous devez savoir : l’histoire se déroule à Florence, au temps de la onzième et dernière guerre d’Italie. »

(Préface)
Et c’est une époque et une contrée où s’affrontent l’Espagne et le pape épris de morale inquisitoriale, antiprotestante et opposée à la France, d’autres régions de ce qui sera l’Italie, dont le duché de Ferrare, les républicains et les artisans en quête de reconnaissance ; dans l’esprit du censeur Savonarole, les nus sont dorénavant mal acceptés dans les arts plastiques et graphiques, où le baroque oublie la perspective.
Le peintre Pontormo est tué devant les fresques de San Lorenzo auxquelles il travaille depuis onze ans, et on découvre chez lui un tableau de Vénus et Cupidon tiré d’un dessin de Michel-Ange (qui, fort âgé, travaille à Saint-Pierre de Rome), dont la tête féminine a été remplacée par celle de Maria de Médicis, fille du duc de Florence (et nièce de Catherine de Médicis, reine de France). De plus, la tête de Noé a été retouchée dans la scène du Déluge de Pontormo.
Polar historique épistolaire, ce roman est assez rocambolesque et irrévérencieux ; je me demande quelle part de vérité historique peut être reconnue aux portraits à charge de Vasari et Cellini, par exemple.

\Mots-clés : #correspondances #historique #peinture #polar
par Tristram
le Jeu 23 Nov - 16:06
 
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Craig Johnson

Dark Horse

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 0602-c10

Absalom est un petit bled peu accueillant, et son nom évoque tant Faulkner que la Bible.
« Absalom était le fils du roi David – le fils maudit, celui qui s’est retourné contre lui. »

À propos, un dark horse est un outsider, mais aussi « une personne qui se dévoile très peu ; en particulier, qui a des capacités ou des talents inattendus », nous apprend la traductrice. À la fin du livre, Johnson explique que c’est aussi un étalon que son propriétaire faisait passer pour « un cheval de bât ordinaire », afin de gagner les paris de courses.
Le shérif Walt Longmire enquête à Absalom en « mission sous couverture » parce qu’il a un doute quant à la culpabilité de Mary Barsad, qui vient d’avouer avoir tué son mari. Polar bien mené (suspense, action), qui se passe dans un milieu rural, et même désertique, où Longmire revoit le ranch de son enfance. À souligner une présence attachante du chien et des chevaux (@Silveradow).
Pour ce qui est de lire les romans à la suite, et avec ou sans écart de temps, je n’avais plus en tête les personnages proches de Longmire, ce qui est un peu dommage, mais le livre se lit de façon autonome.
« Je pensai à la manière dont nous labourions et cultivions la terre, dont nous y plantions des arbres, l’enfermions avec des clôtures, y construisions des maisons et faisions tout notre possible pour repousser l’éternité de la distance – tout pour donner au paysage une espèce d’échelle humaine. Mais peu importait ce que nous faisions pour essayer de façonner l’Ouest, c’était l’Ouest qui nous façonnait inévitablement. »


\Mots-clés : #amérindiens #nature #polar #ruralité
par Tristram
le Jeu 2 Nov - 16:34
 
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Valerio Varesi

La Main de Dieu

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 La_mai10

Suivant la piste d’un cadavre, Soneri remonte la Parma vers les Apennins et s’installe dans un village de montagne « mutique et hostile », tant pour les besoins de l’enquête qu’à cause des conditions climatiques (on est en janvier, et la météo est prépondérante dans sa perception, entre redoux dû au sirocco et recrudescence du froid avec enneigement). Là tout est en voie d’abandon et de ruine dans une petite société en microcosme de la nôtre, avec une bande de chasseurs brutaux, le curé communiste révolté par l’époque, les Faunes, idéalistes qui vivent dans les bergeries des hauteurs, le garde forestier qui soigne la forêt pour le futur, de vieux sentiers de partisans et de vendeurs ambulants par lesquels des Marocains acheminent de la drogue, un destructeur projet de piste de ski, et surtout la forêt, notamment les hêtraies.
« C’est quoi un petit bout de vie comparé à cette forêt éternelle ? Nous manquons du sens des limites, à notre époque. Si vous l’avez, vous pensez à plus grand que vous. Si vous ne l’avez pas, vous restez un enfant qui veut tout. »

« On marche beaucoup, c’est le meilleur moyen de connaître les lieux. Il n’y a qu’en marchant qu’on les habite vraiment. »

Ce roman m’a ramentu un de ceux de Fred Vargas (peut-être Temps glaciaires). J’ai plusieurs fois constaté des tournures de phrases obscures (peut-être dues à la traduction). Et j’ai apprécié l’atmosphère de malaise en partie métaphysique (mais aussi politique et sociétal).

\Mots-clés : #actualité #huisclos #nature #polar #ruralité #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 19 Oct - 18:19
 
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Carlo Emilio Gadda

L'Affreuse Embrouille de via Merulana

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 L_affr10

Incipit :
« Tous l’appelaient désormais don Ciccio. C’était le dottor Francesco Ingravallo détaché à la garde mobile [… »

Ingravallo est molisan (du territoire du Molise, en Italie du sud), et enquête (avec son supérieur le dottor Fumi, mais aussi les agents l’Grand-Blond et l’Chippeur, et ensuite le brigadier Pestalozzi, à motocyclette) à Rome sur le vol à main armée subi par madame Menegazzi chez elle, deux cent dix-neuf via Merulana, puis sur le meurtre de sa voisine, madame Liliana Balducci, qui lui succède de peu.
Ingravallo est d’entrée convaincu de la complexité des causes :
« Il soutenait, entre autres choses, que les catastrophes inopinées ne sont jamais la conséquence ou l’effet, si l’on préfère, d’un motif unique, d’une cause au singulier : mais elles sont comme un tourbillon, un point de dépression cyclonique dans la conscience du monde, vers lequel ont conspiré toute une multiplicité de mobiles convergents. Il disait aussi nœud ou enchevêtrement, ou grabuge, ou gnommero, embrouille, qui en dialecte veut dire pelote. Mais le terme juridique « les mobiles, le mobile » s’échappait de préférence de sa bouche : presque contre son gré, semblait-il. »

C’est d’abord le personnage de Liliana, très croyante et fort déçue de ne pas avoir d’enfant, qui est approfondi, avec de longues considérations psychologiques et de genre, déjà amorcées avec madame Menegazzi :
« La longue attente de l’agression à domicile, pensa Ingravallo, était devenue une contrainte : non tant pour elle et ses actes et pensées, de victime déjà hypothéquée, que de contrainte pour le destin, pour le « champ de forces » du destin. »

Giuliano Valdarena, jeune séducteur cousin de Liliana, qui découvrit le corps, est d’abord suspect. Toutes les formes de parenté (consanguinité par cognation, agnation) sont décortiquées. Plus généralement, le roman est très ancré dans l’Italie, son histoire, la mythologie romaine, ses arts (l’iconographie, la littérature) et surtout son peuple.
Mais l’enquête est secondaire, la prose descriptive (et digressive) primordiale. Grandes scènes : parmi les bijoux volés, une topaze ; les gros orteils de Pierre et Paul ; les poules (chez Zamira ou au passage du train). C’est un délire d’embrouillaminis à tous les niveaux, mais soigneusement ourdi, fouillé, approfondi, passant de la physiognomonie aux rappels de Kant et de la « capillotomie dialectique » dans un acharnement des baroque et grotesque.
« À Marino, y avait aut’chose que st’ambroisie ! à la cave de don Pippo y avait l’un blanc assez méchant : un p’tit filou d’quatr’ans, dans quéqu’ bouteilles, que cinq ans plus tôt l’aurait pu l’électriser le ministère Facta [« chef du gouvernement en 1922, au moment de la Marche sur Rome, incapable de la contenir ; en réalité collaborationniste, deux ans plus tard, en 1924, il fut nommé sénateur à vie par Mussolini. »], si le Facta factorum eût été en mesure d’en soupçonner l’existence. Il faisait l’effet du café, sur ses nerfs molisans : et lui offrait par ailleurs tout le bouquet et toutes les nuances d’un vin de classe : les témoignages et les constatations modulées linguatico-palato-pharyngo-œsophagiques d’une introduction dionysiaque. Avec l’un ou deux de sté verres dans l’gosier, va savoir. »

« Et joignant en tulipe les cinq doigts de sa main droite, il fit osciller cette fleur dans l’hypotypose digito-interrogative si en usage chez les Apuliens [de la région des Pouilles]. »

« …] la mort apparut, à don Ciccio, une décomposition extrême des possibles, un détraquement d’idées interdépendantes, harmonisées jadis en la personne. Comme la dissolution d’une unité qui n’arrive plus à être et à œuvrer en tant que telle, dans la chute soudaine de ses rapports, de tout rapport avec la réalité organisatrice. »

« Il s’efforça de rassembler les évidences, si disjointes : de rapprocher les moments, les moments épuisés de l’enchaînement, du temps déchiré, mort. »

« Ce furent des allusions (et mieux que des allusions) « de caractère intime » lâchées par Balducci : en partie spontanément, comme en glissant, le chasseur-voyageur s’abandonnant à cette logorrhée spéciale à laquelle s’adonnent vaincues certaines âmes en peine, ou vaguement repenties sans doute de leurs écarts, dès que survient la phase de radoucissement, comme les bleus surviennent habituellement après les coups : par cicatrisation post-traumatique : alors qu’elles sentent, entre-temps, que le pardon les atteint, et du Christ et des hommes : en partie extraites de sa bouche, au contraire, avec la plus suave des ficelles par des argumentations courtoises, par une péroraison passionnée, par de vivaces clignements d’yeux, par une maïeutique irrésistible et par le charitable alanguissement du pavot et de l’héroïne venant tant du parler que du geste napolitains, du Golfe et du Vòmero : avec une action flatteuse en même temps que persuasive, tatràc ! d’arracheur de dents du genre aimable. »

« Elle savait inculquer, monnayant une honnête récompense, un quantum c’est-à-dire un tantinet d’énergie cinétique aux indécis, aux incertains : les conforter dans la pratique, les fortifier dans l’action. Avec dix lires, on achetait son médicament pour la faculté de vouloir. Avec dix lires supplémentaires, celle de pouvoir. Elle dékierkegaardisait les petits voyous de province en les canalisant pour qu’ils aillent « travailler » en ville, l’Urbe, après leur avoir détergé l’âme des dernières perplexités : ou des derniers scrupules. Elle indiquait le chemin aux audacieux, en leur montrant que les faibles créatures du sexe n’attendaient pas mieux, en ces années-là, que de s’appuyer sur quelqu’un, s’accrocher à quelque chose, qui fût apte à partager avec elles un orgasme sans mémoire, la douce peine de la vie : elle les catéchisait à la protection de la jeune fille, en concurrence avec l’association homonyme. Et les catéchumènes la tenaient pour leur institutrice, tout en la qualifiant entre un verre et l’autre de salope, quand ils pensaient qu’elle n’entendait pas, bien entendu, et de vieille savate et sorcière : étant donné la légèreté du siècle et leur grossièreté personnelle : et peut-être même la qualifiaient-ils de grosse cochonne, une Zamira Pàcori ! et de vieille maquerelle, tiens donc, une couturière comme elle ! une magicienne orientale avec diplôme de première classe ! Belle reconnaissance. Et qu’ils s’avaient mêm’ l’sacré culot d’en dire que les Deux-Saints… l’étaient… ‘ne paire de « j’sais pas si tu vois », accompagnant l’assertion d’une manucaptation-prolation impudente de la paire elle-même, quoique enveloppée dans l’« cheval », dans l’entrejambe : impudente, oh que si, mais assez fréquente, alors, dans les usages du peuple. Calomnies. Mauvaises langues. Pègre de paysans, qui la nuit va voler volailles. »

« La déception le réveilla d’un coup. Le temps dans lequel, dirions-nous, les rêves s’étendent a, au contraire, la rapidité diaphragmante d’un déclic de Leica, il se mesure en fulgurants tempuscules, en infinitésimaux du quatrième degré sur le temps orbital de la Terre, dit communément solaire, temps de César et de Grégoire. »

« Il essayait, il essayait de faire le bilan en raisonnant : de tirer les fils, pourrait-on dire, de l’inerte marionnette du probable. »

L’action se passe en 1927, et Gadda conspue régulièrement les fascistes, surtout Mussolini (et Hitler), ce qui n’est pas forcément manifeste dans une lecture superficielle.
J’ai déjà lu L’Affreux Pastis de la rue des Merles, traduction de Louis Bonalumi du même livre, mais il y a trop longtemps pour pouvoir comparer avec la présente traduction de Manganaro ; en tout cas j’ai retrouvé la même jubilation dans le rendu populaire, et plus généralement dans le bouillonnement stylistique, quelque chose entre Rabelais, Joyce et Céline.

\Mots-clés : #écriture #polar
par Tristram
le Dim 15 Oct - 16:13
 
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Michael Connelly

Le Poète

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Le_poz10

Le narrateur, Jack McEvoy, chroniqueur policier, apprend que son frère jumeau, Sean, chef de la section des homicides de la police de Denver, s’est suicidé en laissant pour seul message « Hors de l’espace, hors du temps ». Sean était obsédé par une enquête sur le meurtre d'une étudiante dont le corps a été retrouvé coupé en deux trois mois plus tôt ; Jack reprend ses investigations, et découvre que le suicide était en fait un assassinat maquillé.
Parallèlement, on suit William Gladden, appréhendé comme il photographiait des enfants ; grâce à un réseau pédophile auquel il appartient via Internet, il est rapidement relâché.
Jack découvre que d’autres suicides d’officiers dans le pays sont en fait des meurtres, avec comme lien un extrait des vers d’Edgar Poe.
Le principal ressort de ce roman policier, c’est que l’enquête est menée par un journaliste (comme l’auteur), Jack étant impliqué tant personnellement que professionnellement, ce qui permet d’éclairer le monde de la presse, ce « Quatrième Pouvoir » :
« Les paroles de Glenn dévoilaient la vérité qui se cachait derrière une grande partie du journalisme contemporain. Il n’y était plus guère question d’altruisme, de service public et de droit à l’information. C’était devenu une question de concurrence, de rivalité et de publicité : quel journal avait publié l’article en premier, lequel était à la traîne ? Et qui décrocherait le prix Pulitzer à la fin de l’année ? C’était une vision plutôt sombre, mais après toutes ces années dans le métier, mon point de vue avait viré au cynisme. […]
Pendant que je faisais les cent pas dans ma chambre, je songeai moi aussi, je l’avoue, aux possibilités qui s’offraient. Je pensai à la célébrité que pouvait me valoir cet article. […] En voyant plus loin, j’envisageai même un contrat avec une maison d’édition. Il y a un marché énorme pour les histoires criminelles authentiques.
Mais je chassai toutes ces pensées, honteux. Une chance que personne ne puisse connaître nos pensées les plus secrètes. Nous apparaîtrions tels que nous sommes, à savoir des imbéciles manipulateurs et prétentieux. »

« J’aimerais que les médias aient une vision plus globale des choses, qu’ils prennent du recul, au lieu de rechercher en permanence la satisfaction immédiate. »

À propos, Jack se confronte à Rachel Walling, agent du FBI : l’identification du « Poète », l’assassin de six inspecteurs dans autant d’États différents, et qui travaillaient chacun sur un meurtre non résolu au moment de leur mort, serait compromise si Jack publiait ce qu’il a découvert ; il négocie de participer en tant qu’observateur à l’enquête qu’il a initiée, à condition de surseoir à la parution de ses articles.
Gladden, en qui on devine de plus en plus évidemment le Poète, est un multirécidiviste pédophile et serial killer ; il est aussi brillant en droit, ce qui lui a permis d’échapper à la justice.
L’entente entre le FBI et Jack ne dure guère (mais assez pour qu’une liaison entre ce dernier et Rachel s’établisse).
Il me semble qu'on peut ici comparer la soif de gloire chez les journalistes à l'égo démesuré chez les grands criminels.
Polar très bien ficelé, même si on peut avoir des doutes sur la véracité psychologique des personnages ; les rebondissements finaux sont également un peu trop invraisemblables.

\Mots-clés : #criminalite #polar #thriller #xxesiecle
par Tristram
le Sam 7 Oct - 12:25
 
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Léo Malet

Casse-pipe à la Nation

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Casse-10

Chez Malet comme chez tous les écrivains majeurs, le style est tout :
« Je me sens tout cornichon, triste et seulâbre comme un croûton derrière un vase de nuit. »

Ainsi qu’on le constate, il réveille du vieil argot et des mots quasiment disparus, comme le regretté (?) « pitchegorne » (la piquette qui remontait le poilu). Autre échantillon de cette prose enlevée :
« C’est bien Bébert, le costaud à bobine de bibinier pour bobinard. Il a troqué sa limace rouge des jours de sortie contre un bleu de chauffe, dont la teinte s’harmonise avec celle de son tarin, lequel conserve un souvenir azuré de son contact brutal avec mon genou. »

Pittoresque peinture de la Foire du Trône (nous sommes dans le XIIe arrondissement) avec énumérations appropriées, et le scenic-railway où Nestor Burma manque d’être tué ; j’ai aussi découvert la Cité des Vins à Bercy.
Je n’ai généralement pas trop tendance à faire ma chochotte, mais franchement le rapport aux femmes m’a un peu choqué. Ce roman étant paru en 1957, j’étais trop jeune pour l’avoir lu et a fortiori me livrer au pince-fesses, mais il reste caractéristique de la société où je fus élevé, et c’est assez navrant (avec le recul, si j’ose dire).
« S’il fallait coffrer tous les pinceurs de fesses, il n’y aurait plus personne en liberté. »

L’enquête elle-même n’est pas mal ficelée, mais l’essentiel n’est pas là : c’est dans ce roman que Burma reçoit sa fameuse pipe à tête de taureau !

\Mots-clés : #polar
par Tristram
le Dim 3 Sep - 16:45
 
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QIU Xiaolong

Il était une fois l'inspecteur Chen

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 V_book10

Dans son préambule, Qiu Xiaolong rappelle qu’au début de la Révolution culturelle, dans les années cinquante, la « critique révolutionnaire de masse des ennemis de classe » du peuple caractérisait la dictature du prolétariat, et raconte comme son propre père, considéré comme un capitaliste, fut alors victime des Gardes rouges (récit de dégradation impitoyable qui à lui seul vaut la lecture).
Le roman lui-même commence comme Chen Cao, étudiant juste après la fin de la Révolution culturelle (et encore dans l’ombre de sa famille « noire »), prépare un mémoire sur Eliot (comme Xiaolong) dans la bibliothèque de Pékin, où travaille la ravissante Ling. Puis il devient policier, un peu par hasard, et s’engage dans sa première enquête, qui le replonge dans son passé (et la cité de la Poussière Rouge à Shanghai). Cette enquête, qui réunit les principales caractéristiques des romans de Xiaolong (la société chinoise contemporaine, la cuisine et la poésie chinoises), est plus un support (presque un prétexte) à évoquer les séquelles de la Révolution culturelle et ses iniques aberrations discriminatoires. C’est certes un polar, mais aussi et peut-être surtout un témoignage, à la fois historique et personnel.
« Monsieur » Fu a été assassiné ; Chen se renseigne, notamment lors des « conversations du soir » au quartier. L’homme fut accusé de capitalisme pour avoir ouvert un petit commerce de fruits de mer avant la campagne d’éradication des « Quatre Vieilleries » (« Vieilles idées, vieille culture, vieilles coutumes et vieilles habitudes »), et sa femme mourut à cause des bijoux où le couple avait placé ses gains :
« « Ensuite, elle a dû rester debout dans la rue, un tableau noir autour du cou avec son nom barré au-dessus de la phrase : Pour ma résistance contre la Révolution culturelle, je mérite de mourir des milliers de morts. Plus tard dans la nuit, pendant son supplice, elle est tombée et s’est cogné la tête contre l’évier commun. Elle ne s’est jamais réveillée. »

Fu, qui était délaissé de tous y compris ses enfants, reçut de l’État une compensation financière pour ces spoliations (après la réforme du camarade Deng Xiaoping), qui le rendit riche. Il prit une bonne, Meihua, qui lui concoctait de bons petits plats.
Cette affaire résolue, plusieurs autres sont rapidement narrées, autant d’étapes dans la carrière de l’intègre inspecteur. Autant de nouvelles aussi, qui illustrent la corruption dans une société qui combat officiellement la décadence et l’indécence dans une politique hostile à l’étranger, aux intellectuels. Également des souvenirs de jeunesse de Xiaolong (sans surprise, grand appétit pour la gastronomie et les livres, notamment occidentaux et à l’index), avec son amitié pour Lu le Chinois d’outre-mer, devenu un de ses personnages récurrents.
Cet ouvrage constitue un prequel des enquêtes de l’inspecteur Chen publiées auparavant, narrant sa jeunesse en la rapprochant de l’histoire de son auteur et de son pays d'origine. Il peut difficilement être lu uniquement comme un polar, et je comprends qu’Armor ait été déçue à sa lecture.

\Mots-clés : #autobiographie #discrimination #ecriture #historique #polar #politique #regimeautoritaire #revolutionculturelle #temoignage
par Tristram
le Sam 12 Aoû - 13:03
 
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Keigo Higashino

La Maison où je suis mort autrefois

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 La_mai11

(Je sors mon ancien commentaire du purgatoire Le One-shot des paresseux - Page 12, 23 février 2022)

Sayaka, l’ex-petite amie du narrateur, lui demande de venir visiter avec elle une mystérieuse maison dont elle a trouvé la clef et le plan d’accès à la mort de son père. La villa semble abandonnée depuis vingt-trois ans, et les horloges, arrêtées, indiquent onze heures dix. Lui est encore amoureux d’elle, qui entretemps s’est mariée et a eu une petite fille, pour qui elle avoue ne rien ressentir, jusqu’à la maltraiter. Dans la demeure abandonnée, ils trouvent le journal de Yusuke, un garçon qui vivait là avec ses parents, jusqu’à la disparition de son père, et l’apparition de « l’autre ».
« Surtout le passage qui dit que l’expérience de l’enfance de la mère pouvait avoir une influence déterminante dans de nombreux cas. »

Leur enquête progresse très graduellement ; l’énigme est fort habilement ourdie, et l’atmosphère est surtout empreinte d’angoisse.
Je relirai de cet auteur, qui promet dans ce premier roman.

\Mots-clés : #lieu #polar
par Tristram
le Sam 5 Aoû - 12:28
 
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Tony Hillerman

Le Peuple des ténèbres

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Le_peu10

Agent de la police tribale navajo, Jim Chee (dont c’est la première apparition dans l’œuvre de Tony Hillerman), est partagé entre univers états-unien (il hésite à entrer au FBI) et navajo (il souhaiterait devenir yataalii ou « chanteur », une sorte de shaman ou medecine-man) ; il étudie les Blancs en anthropologue, métier dont il a reçu la formation.
« On se définissait par rapport à sa famille. Sinon, comment ? Puis il se rendit compte que les Blancs ne faisaient pas la même chose. Ils se définissaient en fonction de ce qu’ils avaient accompli personnellement. »

Je ne parlerai pas de l’intrigue, bien ficelée, car à mon sens elle sert surtout à exposer les différences (comme l’intérêt pour le corps d’un mort chez les Blancs), voire complémentarités, des mondes navajo et "occidental".
Curieusement, comme dans Les Mangeurs d'étoiles de Romain Gary, le « sorcier » navajo décide de s’adonner au mal en passant par l’inceste ou le meurtre d’un proche…
Un peu de vocabulaire géographique : wash : le lit, souvent asséché, d’un cours d’eau d’importance variable que des pluies torrentielles parfois tombées très loin en amont peuvent soudain transformer en un fleuve ou un torrent en furie (correspond au wadi ou oued). L'arroyo (terme espagnol) désigne le lit sec, en général au fond d’une gorge ou d’un canyon, d’une rivière dont l’eau se tarit en été.
Intéressante également est la description de la région comprenant la réserve, ainsi que les tribus indiennes environnantes.
Après ce roman dont Chee est le héros, il y en a deux autres à découvrir dans ce qui constitue la trilogie de ce personnage (ensuite, il interviendra encore, avec Joe Leaphorn).

\Mots-clés : #amérindiens #nature #polar
par Tristram
le Dim 23 Juil - 12:54
 
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Andrea Camilleri

La démission de Montalbano

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 La_dzo11

Comme on dit, on ne présente plus Montalbano, le commissaire qui commence généralement ses journées et ses enquêtes de mauvaise humeur ; en tout cas, je ne le présente plus : voir supra. Néanmoins je dirai quelques mots de ces vingt nouvelles, de qualité inégale mais de lecture plaisante, ainsi savoureusement assaisonnées d’humour et de culture.
« – Monsieur le Questeur, dit Montalbano – auquel la mouquire, à savoir l’envie de se foutre de la gueule de son interlocuteur, était montée au nez –, sortir une arme, un pistolet, ne signifie en rien la mort de celui qui est menacé, très souvent la menace n’a pas valeur tragique, mais cognitive. C’est du moins ce que soutient Roland Barthes.
– Et qui est-ce ? demanda le Questeur bouche bée.
– Un éminent criminologue français, assura le commissaire. »


Le titre de la nouvelle Pessoa prétend ramentoit irrésistiblement Pereira prétend de Tabucchi, et je ne crois pas que ce soit une simple impression…
Le titre original, Gli arancini di Montalbano, renvoie au dernier texte du recueil, Les arancini de Montalbano : Camilleri y donne la recette sicilienne de ce qu’on appelle des Supplì al telefono à Rome.
La nouvelle qui porte le même titre que le recueil dans la traduction est assez étonnante : trouvant l’histoire trop gore, Montalbano appelle Camilleri au téléphone…

\Mots-clés : #polar
par Tristram
le Dim 7 Mai - 13:07
 
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Erri De Luca

Impossible

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Imposs10

Interrogatoires du narrateur, et à l’isolement ses lettres (non expédiées) à « l’ammoremio » : militant communiste dans une bande armée pendant les années de plomb, il est inculpé par un jeune magistrat (opiniâtre et convaincu de sa culpabilité) « d’avoir poussé dans le vide du haut d’un sentier un camarade de nos vieilles luttes politiques, devenu ensuite un délateur. » Ils débattent, il est libéré.
« La montagne, immobile par nature, est un mobile. C’est exactement ça : elle attire à elle. Chacun a ses propres raisons d’y aller. La mienne est de tourner le dos à tout, de prendre de la distance. Je rejette le monde entier derrière moi. Je me déplace dans un espace vide et aussi dans un temps vide. Je vois comment était le monde sans nous, comment il sera après. Un endroit qui n’aura pas besoin qu’on le laisse en paix. »

« Question. Je vois que vous tenez au vocabulaire.
Réponse. Parce que j’aime cette langue italienne, ses précisions qui protègent des falsifications. La langue est un système d’échange comme la monnaie. La loi punit ceux qui impriment de faux billets, mais elle laisse courir ceux qui écoulent des mots erronés. Moi, je protège la langue que j’utilise. »

« Vous savez que les souvenirs sont des reconstructions. Un enquêteur doit les faciliter. »

« Q. Je vous informe que c’était ma dernière tentative. J’ai perdu, vous avez gagné. Je n’ai pas de preuves suffisantes à faire valoir au tribunal. Pour moi, votre culpabilité est certaine, mais impossible à associer à une vérité procédurale. »

Dans cette novella où il entre dans le vif sans artifices, Erri de Luca (qu’on peut reconnaître partiellement dans le narrateur) évoque Leonardo Sciascia et le pari de Pascal, médite sur le combat politique et la fraternité, la trahison et la justice, l’insoumission et l’honnêteté avec soi-même.

\Mots-clés : #alpinisme #huisclos #polar #trahison
par Tristram
le Jeu 4 Mai - 12:24
 
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Lawrence Block

Le blues des alcoolos

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Le_blu10

Revoilà donc Matt Scudder, le détective qui rend service et fréquente les églises. Il fréquente surtout certaines chapelles (plus communément dénommées bistros) en habitué, où il cultive la gueule de bois de demain avec ses relations de comptoir : le Miss Kitty, le bar de Skip Devoe, le barman Billie Keegan chez Jimmy Armstrong, ou encore Bobby Ruslander, un vétéran (en fait réformé) perçu comme un mythomane, et ami d’enfance de Skip… et Tommy Tillary, le brillant vendeur par téléphone dont la femme se fait tuer…
« Pratiquement tous les flics ont un certain nombre de restaurants où ils bénéficient d’un certain nombre de repas gratuits. Il y a des gens que ça gêne et je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. »

Le titre original, When the sacred ginmill closes, qu’on pourrait traduire approximativement par "Quand les sacrés bistrots (« moulin à gin, alcool) ferment", et c’est la note dominante du livre. Est intégralement citée Last call, de Dave Van Ronk, à laquelle fait référence le titre :
« Et voilà, encore une nuit
De poésie et de comédie
Et chacun sait qu’il s’en ira seul
Quand fermera le bistro préféré.

Et nous boirons le dernier verre
À nos joies et nos chagrins
Dans l’espoir que l’ivresse durera
Jusqu’à l'ouverture du lendemain.

Et quand on rentre en vacillant,
Comme des danseurs paralytiques,
Chacun sait la question qu’il doit poser
Et chacun connaît les réponses.

Et nous boirons le dernier verre
Qui fait exploser l’esprit,
Et les réponses ne compteront plus,
Et il n’y aura plus de questions.

Je me suis brisé le cœur, l’autre jour,
Il sera réparé demain,
Si j’avais été saoul quand je suis né,
J’ignorerais tout du chagrin.

Et nous allons porter le dernier toast
Celui qu’il ne faut jamais prononcer :
À la santé du cœur capable de savoir
Quand il vaut mieux qu’il soit brisé. »




Quelques intéressantes précisions : https://en.wikipedia.org/wiki/Last_Call_(Dave_Van_Ronk_song)
Dave Van Ronk est aussi l'auteur de Alabama song, notamment reprise par les Doors.

Les dialogues et péripéties rendent avec justesse la situation du sérieux buveur.
« Il y a des jours où je ne bois pas. Il y a même des jours où je ne bois pas une seule bière. Tu sais ce que c’est ? Pour toi et moi, boire c’est un choix. C’est une décision. […]
Keegan, reprit-il, est obligé de boire. Moi, je pourrais m’arrêter n’importe quand. Je ne le fais pas parce que j’aime l’effet que ça produit sur moi. Mais je pourrais m’arrêter n’importe quand, et je suppose que c’est pareil pour toi.
– Oh, sans doute.
– Naturellement. Mais Keegan, je ne sais pas. Je n’irai peut-être pas jusqu’à dire que c’est un alcoolique...
– Ce n’est pas une chose à dire.
– Je suis d’accord avec toi. Je ne dis pas qu’il en est un, et Dieu sait que je l’aime bien, mais je crois qu’il a un problème. »

« Ma porte était fermée à clé. C’était bon signe. Je ne devais pas être en trop mauvais état si j’avais pensé à fermer la porte à clé. Cependant, mon pantalon était en tas sur une chaise. Il aurait été préférable qu’il soit suspendu dans le placard. Toutefois, il n’était pas en chiffon par terre, et je ne le portais plus. Le grand détective, examinant les indices, tentant de déterminer dans quel état il était la veille. »

« Je ne fis aucune déduction. Je me contentai de prendre les pièces du puzzle, de les tripoter et, tout d’un coup, j’eus la vision de l’ensemble, toutes les pièces trouvant naturellement et infailliblement leur place. »

« – Mais qu’est-ce que tu foutais dans une affaire de coke ?
– Je voulais me faire un peu de fric, pour changer. Je voulais sortir du trou.
– À t’entendre, on croirait le rêve américain. »

De plus, les intrigues entrelacées sont excellemment (dé)montées, ce qui n’est pas rien dans un polar !
« Je ne regrette pas un seul des verres que j’ai bus et j’espère bien que je n’en boirai plus jamais un seul. »


\Mots-clés : #addiction #polar
par Tristram
le Lun 1 Mai - 12:50
 
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QIU Xiaolong

Dragon bleu, tigre blanc

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Dragon10

L’inspecteur principal Chen Cao, qui a la réputation d’être un qingguan ou populaire fonctionnaire incorruptible, est brusquement muté comme directeur de la Commission de réforme juridique de Shanghai, une promotion qui n’est qu’apparente.
« Dans les hautes sphères chinoises, un avancement cachait souvent une mise au ban. »

« Cet intellectuel indépendant avait publié des articles sur la séparation des pouvoirs dans un blog et le Quotidien du peuple avait répondu par un éditorial affirmant qu’en Chine, les branches législatives, exécutives et judiciaires ne pourraient jamais fonctionner séparément. Zhongtian avait rétorqué que dans un système à parti unique, tant qu’il était admis que les intérêts du Parti se plaçaient au-dessus de la loi, tout débat au sujet de la réforme juridique ne pouvait être qu’une mascarade. À la suite de cela, Zhongtian avait été invité par la Sécurité intérieure à « prendre une tasse de thé », l’équivalent d’un avertissement sérieux délivré en personne. L’intellectuel avait continué à publier ses articles et il se retrouvait maintenant victime de « problèmes fiscaux », du moins d’après les sources d’Internet. »

Les chants rouges de Mao reviennent à la mode, qui avaient annoncé la révolution culturelle. Son père, sur la tombe duquel Chen est venu se recueillir, en avait beaucoup souffert en tant que penseur confucéen ; et l’immobilier funéraire est aussi gagné par l’inflation d’une finance corrompue.
Chen assiste à une hallucinante séance de dédicace en tant que traducteur de T. S. Eliot, organisée par un Gros-Sous dans une boîte de nuit (appartenant à un certain Shen, qui bénéficie de hautes protections), où il manque de se faire arrêter par la brigade des crimes sexuels de Shanghai.
« Les assassinats politiques de ce type étaient généralement d’une efficacité redoutable. »

Ayant échappé à ce coup monté, Chen va voir Nuage Blanc, puis Vieux Chasseur. Ce dernier occupe sa retraite de policier en aidant un détective, qui traite surtout des flagrants délits d’adultère à l’instigation des épouses ou des ernai, « secondes femmes », qui peuvent faire pression en menaçant de lancer une chasse à l’homme en publiant des photos sur Internet.
« Les flics travaillent pour le Parti et les détectives privés pour les individus. C’est pour ça que le terme est encore banni des médias. À l’agence, nous sommes obligés d’utiliser une autre appellation : Conseil et enquête. Le conseil couvre un champ infini. Nous n’avons pas de licence, mais nous ne sommes pas non plus dans l’illégalité. En gros, c’est comme pour le commerce du sexe. On peut appeler ça un salon de coiffure, un karaoké, un salon de pédicure, ou n’importe quoi, tant qu’on ne dit pas ce qui s’y passe vraiment. »

L’action se passe essentiellement à Suzhou, ville qui fut célèbre pour son opéra (et ses nouilles), où Chen s’est retiré pour veiller à la rénovation de la tombe paternelle. Il enquête pour Qian, une chanteuse devenue ernai de Sima, directeur du Bureau de liaison avec l’étranger, puis évincée, et qui veut poursuivre ses études à l’étranger pour faire revivre cet opéra traditionnel.
Vieux Chasseur est le père de l’inspecteur Yu, adjoint et ami de Chen promu à sa position (et mari de Peiqin) ; il manie la digression et l’allusion, caractéristiques de l’opéra de Suzhou qu’il admire, à la narration lente (et dorénavant démodée) :
« Dans la Romance des trois royaumes, le général Liu Bei se trouve dans la capitale en compagnie du premier ministre Cao. Irrité par Liu qu’il considère comme un rival potentiel, Cao veut se débarrasser de lui. Alors Liu lui fait part de son intérêt pour les légumes du jardin, comme un homme ordinaire, un homme fragile même, qui laisse soudain tomber sa coupe de vin en entendant le tonnerre éclater. Après cet incident, Cao cesse de prendre Liu au sérieux et ce dernier réussit à fuir loin de la capitale.
– C’est donc ce que Chen essaie de faire, coupa Peiqin. Il fait semblant d’être faible, de baisser les bras, de ne se soucier de rien en dehors du chantier de Suzhou. Mais pensez-vous vraiment que les autres vont le laisser en paix ? »

Tandis que Chen change de carte SIM, Vieux Chasseur utilise un enregistreur, et Peiqin se renseigne sur Internet : les nouvelles technologies sont assimilées par la population.
Qian est tuée. Yu retrouve le cadavre de Liang, « cadre du Parti véreux », qui fut l’objet d’un shuanggui (détention initiée par la Commission de contrôle de la discipline du Parti en dehors de la voie légale) suite à sa dénonciation sur Internet, avait disparu et a été tué. Chen échappe à un attentat.
Les « cadres nus » sont ceux qui font émigrer leur famille et leur compte en banque à l’étranger.
« « Un dragon bleu et un tigre blanc de bout en bout ! poursuivit-elle. Il se prend pour un dragon, un candidat au trône. » Dans l’imagerie populaire, l’expression « tigre blanc » était une image obscène utilisée pour décrire une femme sans poils pubiens. Selon la superstition, une telle femme portait malheur aux hommes. Quant au « dragon bleu »… Dans la Chine ancienne, l’empereur était perçu comme l’incarnation d’un dragon. Seul le « dragon bleu » était censé pouvoir dompter le « tigre blanc » sans attirer sur lui le mauvais sort. »

Le dragon bleu, c’est Liang, et le tigre blanc, c’est Wei, sa femme, victimes de Kai, avocate « ambitieuse, avare et orgueilleuse, issue d’une famille de princes rouges », et femme de Lai, le secrétaire du Parti de Shanghai, instigateur du retour des chants rouges.

L’ensemble du livre tourne – entr’autres – autour du « déclin moral généralisé dû à la corruption effrénée » de la « société harmonieuse »…
Comme d’habitude rehaussé d’extraits de poèmes et de proverbes (ainsi que de plats raffinés), ce polar donne surtout un aperçu (apparemment renseigné) sur la Chine du XXIe siècle, et l’intrigue est très bien ficelée.

\Mots-clés : #corruption #polar #politique
par Tristram
le Jeu 13 Avr - 12:59
 
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Cormac McCarthy

Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme

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Llewelyn Moss chasse l’antilope dans le désert du Texas près du Mexique quand il découvre la scène d’un massacre, une livraison de drogue qui a mal tourné ; les intervenants sont tous morts, sauf un à l’agonie. Il part avec une sacoche remplie d’argent, comprenant qu’il sera toujours poursuivi – et fait l’erreur de revenir pendant la nuit avec de l’eau pour le mourant (c’est là que j’ai compris avoir déjà lu le livre – ou vu le film) : il est pris à partie par des hommes armés, et parvient à s’enfuir.
Le shérif Bell, un vétéran désemparé devant les nouvelles formes de violence, suit l’enquête, et ses commentaires en apartés sont insérés en italiques.
« Il n’y a rien dans la Constitution du Texas sur les conditions à remplir pour devenir shérif. Pas la moindre disposition. Il n’y a même rien qui ressemble à un règlement au niveau des comtés. Pense à un poste où tu as pratiquement la même autorité que le bon Dieu. Et il n’y a aucune règle qui t’est imposée et tu es chargé de faire respecter des lois qui n’existent pas alors allez me dire si c’est bizarre ou pas. Parce que ça l’est pour moi. Est-ce que ça marche ? Oui. Dans quatre-vingt-dix pour cent des cas. Il faut très peu de chose pour administrer des braves gens. Très peu. Et les gens malhonnêtes de toute façon on ne peut pas les administrer. Ou si on le peut c’est la première nouvelle. »

On suit Moss, qui fuit, et sa femme Carla Jean, qu’il a envoyée chez sa mère à Odessa (en fait sa grand-mère, qui l’a élevée, et se meurt d’un cancer), ainsi que Chigurh, un tueur psychopathe qui laisse beaucoup de morts derrière lui, notamment éliminés avec son pistolet pneumatique d’abattoir… Il y a également d’autres malfrats à la recherche de l’argent, des Mexicains et des États-Uniens, qui embauchent Wells, un tueur connaissant Chigurh, pour abattre ce dernier. C’est un vétéran, comme les autres protagonistes, mais il sera vite tué par Chigurh. Celui-ci et Llewelyn se blessent mutuellement lors d’un nouveau massacre, ce qui n’entame guère leur détermination.
Bell tente d’aider Llewelyn, parce qu’il est de son comté, et qu’il pense qu’à ce titre il est de son devoir de le protéger. Ses méditations donnent leur sens à ce qui reste un formidable thriller, un polar très bien renseigné dans les détails (à ce propos, la traduction mélange chevrotines et balles, fusils et carabines, ce qui est malheureusement courant).
« Voici quelque temps j’ai lu dans le journal que des enseignants sont tombés sur un questionnaire qui avait été envoyé dans les années trente à un certain nombre d’établissements scolaires de tout le pays. Donc ils ont eu entre les mains ce questionnaire sur les problèmes rencontrés par les enseignants dans leur travail. Et ils ont retrouvé les formulaires qui avaient été remplis et renvoyés par des établissements de tout le pays en réponse au questionnaire. Et les plus gros problèmes signalés c’étaient des trucs comme parler en classe et courir dans les couloirs. Mâcher du chewing-gum. Copier en classe. Des trucs du même tabac. Alors les enseignants en question ont pris un formulaire vierge et en ont imprimé un paquet et ont envoyé les formulaires aux mêmes établissements. Quarante ans plus tard. Voici quelques-unes des réponses. Les viols, les incendies volontaires, les meurtres. La drogue. Les suicides. Alors ça m’a fait réfléchir. Parce que la plupart du temps chaque fois que je dis quelque chose sur le monde qui part à vau-l’eau on me regarde avec un sourire en coin et on me dit que je vieillis. Que c’est un des symptômes. Mais ce que je pense à ce sujet c’est que quelqu’un qui ne peut pas voir la différence entre violer et assassiner des gens et mâcher du chewing-gum a un problème autrement plus grave que le problème que j’ai moi. C’est pas tellement long non plus quarante ans. Peut-être que les quarante prochaines années sortiront certains de leur anesthésie. Si c’est pas trop tard. »

L’action est rapide, exactement rendue par le style factuel, efficace, à l’os, y compris pour les dialogues.
« Il la regarde. Au bout d’un moment il dit : Le problème c’est pas de savoir où on est. Le problème, c’est qu’on croit qu’on y est arrivé sans rien emporter avec soi. Cette idée que t’as de repartir à zéro. Que tout le monde a. On repart pas à zéro. C’est ça le problème. Chaque chose que tu fais tu la fais pour toujours. Tu ne peux pas l’effacer. Rien de ce que tu fais. Tu comprends ce que je veux dire ? »

Chigurh abat finalement Llewelyn, puis Carla Jean, et disparaît après avoir été blessé dans un accident de la circulation (et avoir rendu l’argent au trafiquant). Lors de son dernier meurtre (connu), il parle d’une sorte de déterminisme de l’existence à partir des choix personnels, qui l’obligerai à suivre sa règle implacable, une manière d’éthique professionnelle du tueur.
« Comment venir à bout de quelque chose dont on refuse d’admettre l’existence. »

Bell visite son oncle Ellis, « le vieil homme », et ils ont une conversation qui rappelle Au cœur des ténèbres, portant sur la difficulté à trouver et admettre un sens à l’existence. Fortement imprégnée de leur croyance enracinée en « le bon Dieu » (et le mal), il y est (de nouveau) question de devoir envers les morts, et ils s’inquiètent pour le futur de la société nord-américaine. Bell, qui a décidé de démissionner, confie comme il considère avoir failli en se repliant pendant la guerre, submergé par les Allemands, abandonnant ses hommes morts ou mourants.
« Mais quand tu vas au combat tu prêtes serment sur le sang de veiller sur les hommes qui sont avec toi et je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas fait. Je le voulais. Quand on a une mission comme celle-là on doit accepter qu’il faudra vivre avec les conséquences. Mais on ne sait pas ce que seront les conséquences. Au bout du compte on prend à sa charge un tas de choses auxquelles on n’était pas préparé. Si je devais mourir là-bas en faisant ce que j’avais donné ma parole de faire eh bien c’est ce que j’aurais dû faire. Tu peux tourner les choses de la manière que tu voudras mais c’est comme ça. C’est ce que j’aurais dû faire et que je n’ai pas fait. Et il y a une part de moi qui a toujours souhaité pouvoir revenir en arrière. Et je ne peux pas. Je ne savais pas qu’on pouvait voler sa propre vie. Et je ne savais pas que ça ne rapportait pas plus gros que n’importe quoi d’autre qu’on pourrait voler. Je crois que j’ai mené ma vie le mieux que je pouvais mais ce n’était quand même pas la mienne. Ça ne l’a jamais été. »

« Je crois que je sais où on va. On nous achète avec notre propre argent. Et ce n’est pas seulement la drogue. Il y a par ici des fortunes en train de s’accumuler dont personne n’a la moindre idée. Qu’est-ce qu’on imagine qui va sortir de cet argent ? »


\Mots-clés : #criminalite #polar #social #thriller #vieillesse #violence #xxesiecle
par Tristram
le Sam 8 Avr - 13:25
 
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Lawrence Block

Huit millions de façons de mourir

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Une enquête de Matt Scudder, détective privé sans licence qui rend service contre émolument ; naguère inspecteur de police, une de ses balles perdues a tué une fillette, et il ne cesse de s’interroger sur les aléas de l’existence ; quoique non-croyant, il met dix pour cent de ce qu’il touche dans le tronc des pauvres d’une église quelconque. Il est en sevrage alcoolique (excellent rendu des affres de l’addiction, Alcooliques Anonymes, trous de mémoire – traduits par « passages à vide » –, rechute, etc.)
Kim Dakkinen, une jeune et belle call-girl venue de son Midwest, lui demande d’annoncer à son souteneur, Chance, qu’elle a décidé d’arrêter : le lendemain de son départ, elle est massacrée, et Chance le recrute pour trouver le meurtrier.
Beaucoup de faits divers évoqués illustrent la violence à New York.
« — La peine de mort, nous l’avons. Mais pas pour les assassins, non. Pour les gens normaux. L’homme de la rue a plus de chances de se faire tuer que le tueur de passer à la chaise électrique. La peine de mort, on la trouve cinq, six, sept fois par jour. […]
— Il y a huit millions d’histoires dans la ville, me dit-il. Vous vous rappelez cette émission ? C’était à la télévision, il y a quelques années.
— Je me rappelle.
— Ils disaient un truc comme ça, à la fin de chaque émission. Il y a huit millions d’histoires dans la ville nue. Celle-ci en était une.
— Je me rappelle.
— Huit millions d’histoires. Vous savez ce qu’il y a, ici, dans cette putain de ville de merde ? Vous savez ce qu’il y a ? Il y a huit millions de façons de mourir. »

Matt enquête donc (il soupçonne que le meurtrier de Kim pourrait être un « petit ami »), et interroge les autres filles de Chance, ce qui est l’occasion de détailler leurs profils, de la poétesse éprise d’indépendance à la journaliste féministe qui voudrait écrire un roman sur la prostitution, « une fin en soi ». L’une d’elles se suicide. Le réceptionniste de l’hôtel où Kim a été tuée disparaît. Une prostituée transgenre est massacrée de la même façon que celle-ci.
Matt, têtu mais déboussolé et se sentant coupable dans sa lutte pour tenir sans alcool vingt-quatre heures par vingt-quatre heures, prend conscience de l’importance de l’indice de l’émeraude verte que portait Kim au doigt, alors que Block avait déjà soigneusement attiré notre attention dessus.
« — Je me demande, dit-elle, si elle était une émi-ou une immi-grante.
— Que voulez-vous dire ?
— Partait-elle de ou pour ? C’est une question de point de vue. Quand je suis arrivée à New York, j’étais partie pour, j’étais également partie de chez mes parents et de la ville où j’avais été élevée, mais c’était secondaire. Par la suite, quand je me suis séparée de mon mari, je fuyais quelque chose. Le fait de partir était une chose en soi, qui comptait plus que la destination. »

« L’argent trop vite gagné ne dure pas. Autrement, Wall Street appartiendrait aux dealers. »

« Au cours des réunions, on entend les gens dire : « Le pire de mes jours de sobriété vaut mieux que le meilleur de mes jours d’ivresse ». Et tout le monde hoche la tête comme le petit chien en plastique sur le tableau de bord d’un Portoricain. Je songeai à cette soirée avec Jan, puis je regardai la petite cellule qui me sert de chambre et j’essayai de comprendre en quoi cette soirée-ci était meilleure que cette soirée-là. »

« On glane un truc par-ci, un truc par-là et on ne sait jamais s’ils vont se recouper. »

« J’essaie de ne pas penser au fait qu’on l’a tuée, et pourquoi et comment elle est morte. Vous avez lu un livre qui s’appelle Watership Down ? (Je ne l’avais pas lu.) Eh bien, ça parle d’une colonie de lapins, des lapins semi-domestiques. Ils ont toute la nourriture qu’il leur faut parce que les humains leur en apportent. C’est une sorte de paradis pour lapins, sauf que les hommes qui leur donnent à manger le font pour pouvoir tendre des pièges et avoir de temps en temps un lapin pour le dîner. Les lapins survivants ne parlent jamais des pièges, ni de leurs compagnons que les pièges ont tués. Ils ont une sorte d’accord tacite en fonction duquel ils font comme si les pièges n’existaient pas et comme si leurs copains morts n’avaient jamais existé. (Jusque-là, en parlant, elle ne m’avait pas regardé. Mais ses yeux se fixèrent sur les miens quand elle poursuivit : ) Vous savez, je crois que les New-Yorkais sont comme ces lapins. Nous vivons ici pour profiter de ce que la ville peut nous procurer sous forme de culture, de possibilités d’emploi ou ce que vous voudrez. Et nous détournons les yeux quand la ville tue nos voisins et nos amis. Oh, bien sûr, nous lisons ça dans les journaux, nous en parlons pendant un jour ou deux, mais après, nous nous empressons d’oublier. Parce qu’autrement, nous serions obligés de faire quelque chose contre ça et nous en sommes incapables. Ou bien il nous faudrait aller vivre ailleurs et nous n’avons pas envie de bouger. Nous sommes comme ces lapins, vous ne croyez pas ? »

« Le proxénétisme n’est pas difficile à apprendre. Tout ce qui compte, c’est le pouvoir. On fait comme si on l’avait déjà, et les femmes viennent vous le donner d’elles-mêmes. C’est pas plus compliqué que ça. »


\Mots-clés : #addiction #criminalite #polar #social #solitude #urbanité #xxesiecle
par Tristram
le Ven 17 Mar - 11:29
 
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Sujet: Lawrence Block
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Pétros Márkaris

Liquidations à la grecque

Tag polar sur Des Choses à lire - Page 2 Liquid10

À la première personne, le commissaire Kostas Charitos raconte au jour le jour, d’un embouteillage au suivant, son enquête à Athènes sur la décapitation de personnes du milieu financier par un mystérieux « Robin des banques ».
Stathakos, de la Brigade antiterroriste, qu’il déteste avec réciprocité, veut en faire une affaire terroriste, et il n’est pas le seul (y compris à l’international) à trouver cela avisé dans le contexte de la « crise grecque » (ce roman publié en 2010 est le premier d’une trilogie de Markaris sur cette dernière). C’est effectivement cette fameuse crise, pas seulement économique et financière, qui forme le noyau de ce polar, et ce qui m’a intéressé : comment subit-on cet effondrement social, qui bouleverse notamment l’existence des gens de peu (comme au Liban plus récemment) ?
Aux assassinats se greffe une campagne d’affichage qui enjoint aux particuliers de ne plus rembourser ses emprunts aux banques (un peu un écho de l’État qui a manqué à maîtriser les siens au sein de l’Europe, et dorénavant sous l’emprise de « la Troïka », FMI, Banque centrale et Commission européennes). L’argent, sale ou propre, ne circule plus.
Bien sûr, on n’échappe pas à la politique, notamment avec Zissis le communiste :
« Tu sais ce que ça représente, passer sa vie en prison, en déportation, en tortures, parce que tu veux changer la société, et entendre ce type te dire que ce que tu veux changer n’existe pas ? Ça te fout tout par terre. […]
Vous avez ouvert un cloaque, vous autres, et vous y jetez tout le monde en les appelant terroristes. Les terroristes tuent car ils pensent pouvoir ainsi changer le monde. Ils sont les victimes de Che Guevara. C’est toujours pareil. Quelqu’un commence plein de bonnes intentions, puis d’autres arrivent qui foutent la merde. C’est ce qui s’est passé avec Guevara et les terroristes, et aussi avec nous qui voulions apporter le socialisme, tu as vu le résultat. »

Le recul de l’âge de la retraite fait partie des réformes budgétaires :
« Je ne sais pas ce que vous allez faire, mais je me souviens de ce qu’on disait dans le temps : les quatre-vingts premières années sont difficiles, puis tu meurs et tu es tranquille. Mais maintenant, les quatre-vingts premières années ne sont pas seulement difficiles, on va les passer à bosser. – Tu connais une meilleure solution ?
– Bien sûr. Diminuer la population de moitié. Nous ne serons plus que cinq millions et demi et nous dépenserons moitié moins. On ferait comme les Français qui chassent les Roms.
– Nous dépenserons moitié moins, et gagnerons moitié moins aussi. Tu y as pensé ?
– Bien sûr. On chasserait ceux qui doivent vingt-quatre milliards d’euros en impôts. On leur en ferait cadeau et on les chasserait. De toute façon, on n’a aucune chance de les récupérer, même dans les quatre-vingts années difficiles qui nous attendent. Resteront seulement les imbéciles qui paient leurs impôts. Donc, les dépenses et la corruption diminueront avec le départ des fraudeurs, et les gains seront les mêmes, grâce aux imbéciles. »

Je suis malheureusement encore moins expert en finance que Markaris… dont un des personnages compare l’activité des banques au dopage…
« Les fondations sont la vitrine de la fraude fiscale. »

Un livre encore plus raccord avec la triste actu ces jours-ci...

\Mots-clés : #economie #polar
par Tristram
le Jeu 2 Mar - 10:43
 
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Sujet: Pétros Márkaris
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