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Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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170 résultats trouvés pour regimeautoritaire

Sergueï Lebedev

La limite de l’oubli

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 314f9k11

Histoire : le narrateur étant enfant , mordu par un chien , a été sauvé par un vieillard aveugle, voisin que la famille de l’enfant surnomme « l’Autre Grand-Père ». L’enfant se sent soumis par ce vieil homme, en fait personne ne l’aime. Devenu adulte et héritier de l’appartement de « l’Autre Grand-Père » le narrateur ressent la même contrainte et décide de partir sur les traces du vieil homme, dans son passé pour connaître la part de mystère.

C’est sombre, très sombre ;   les phrases de l’auteur commencent souvent par la clarté, la beauté mais l’ ombre, le tragique, la laideur, les mauvaises odeurs, la crasse s’installent.

Etranges relations de l’enfant narrateur vis-à-vis du vieil homme qui malgré son handicap en imposait.  

A l’âge d’adulte la découverte de « jouets » dans l’appartement légué, ainsi que les courriers reçus par « l’Autre Grand-Père »  décident  le narrateur à partir sur les traces de son passé pour découvrir ce qui  participe de son rejet et de l’impression qu’il a toujours eue de la privation, de l’ emprise sur sa personne par ce vieillard.

C’est donc dans la toundra que le narrateur découvrira le passé de « l’Autre Grand-Père »  mais aussi le passé de son pays, un passé tragique, que ceux qui vivent là-bas veulent oublier, mais dont les stigmates sont bien visibles encore.

C’est une histoire sur la mémoire, la perte d’identité puis l’oubli. La toundra porte en elle mémoire  et oubli des hommes, de la vie, particulièrement celle des détenus des camps. Le narrateur connaîtra dans ces recherches cette période tragique de son pays lui qui est né bien après ; il recevra les paroles de ceux qui se souviennent encore, les témoins car les victimes sont disparues.

C’est très bien écrit ! de nombreuses digressions qui  confortent les faits,  des réflexions intéressantes sur l’enfance, mais je sors de cette lecture avec un sentiment de  mal-être tant les images sont évocatrices.

Il me faudra donc lire un autre livre de cet auteur.

Extraits :
« Une gamelle fumante sur le feu, on prépare une soupe de poisson ; l’ombre est tendre, il ne faut pas le faire cuire trop longtemps. Cette chair toute fraîche, frottée de sel et de poivre, laissée longtemps sous un poids, a rendu son jus : un délice. Mais ensuite vous marchez le long de la rivière, le sentier saute d’une rive à l’autre et, pendant une de ces  traversées, l’un d’entre vous trébuche sur un crâne humain coincé entre les pierres, recouvert de mousse verte gluante. »

« Je sentais que sa relation avec moi était dépourvue de vie, qu’il y avait là autre chose qui ne se laissait pas nommer ; cet « autre chose », je ne pus le comprendre qu’une vingtaine d’années plus tard. »

« C’est ainsi que mon existence rejoignit la sienne et je ne fus plus jamais moi-même : le sang de l’ Autre Grand-Père  qui m’avait sauvé circulait dans mes veines. Mon corps d’enfant était irrigué par le sang de ce vieillard aveugle, maigrichon, ce qui me sépara définitivement des gamins de mon âge. Je grandis sous le signe du sacrifice inappréciable que l’ Autre Grand-Père avait consenti pour moi. Je grandis comme un greffon sur un vieil arbre. »

« Je compris la raison des relégations vers la taïga, vers la toundra : il s’agissait de rayer les hommes de l’existence commune, de les déporter hors de l’histoire. Leur mort n’advenait pas dans l’histoire, mais dans la géographie. »




mots-clés : #campsconcentration #enfance  #regimeautoritaire
par Bédoulène
le Sam 12 Jan - 19:05
 
Rechercher dans: Écrivains Russes
Sujet: Sergueï Lebedev
Réponses: 6
Vues: 1015

Amor Towles

Un gentleman à Moscou

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 61jkqf10


Ce gentleman est un aristocrate Russe, le Comte Alexandre Illitch  Rostov, lequel avait quitté le pays, pour raison personnelle,  quelques années,  pour y revenir en 1918. C’est la publication d’un poème,  Où est-il passé ? qui a été perçu par le Tribunal Bolchévique comme une invitation à réaction après l’échec de la révolution de 1905 qui lui vaut une condamnation « allégée » :  la « résidence surveillée » dans une pièce du beffroi de l’hôtel Métropol, lieu habituel de sa résidence.

C’est donc à l’intérieur de ce grand Hôtel que se déroule cette histoire ; Alexandre prendra son assignation avec la droiture que l’on peut attendre d’un « gentleman » ; son éducation, sa culture  et ses connaissances du monde ( il a voyagé), l’amèneront à participer activement à la vie de l’hôtel et tout particulièrement au profit de la restauration, il deviendra serveur du luxueux restaurant Boyarski.

Deux rencontres, celle de Nina et de Sofia à quelques années d’intervalle apporteront beaucoup de joies mais aussi de soucis dans la vie du Comte.

Durant ses nombreuses années à résidence Alexandre suivra  l’histoire du pays, de son pays la Russie ; les principaux évènements,* personnages politiques seront évoqués,  que des notes à chaque chapître complèteront.

C’ est une lecture agréable, car l’écriture est assez ludique malgré le contexte de ces années sous autoritarisme, malgré la résidence surveillée, que l’on peut qualifier de sereine. (Je ne sais si ce genre de verdict (assignation à résider dans un hôtel) était réaliste à cette époque ?)
D’autre part, il faut supporter le fait de ne pouvoir sortir à l’extérieur, c’est tout de même une prison même si on peut la qualifier de dorée.
Est intéressant aussi la vie de ce grand hôtel, deux restaurants, barbier, couturière, fleuriste etc….

*Construction : Centrale électrique, aciéries, usines de fabrication de machines
Plan quinquennal : exil d’un million de koulaks, les autres paysans s’opposaient à la moindre innovation ; tracteurs en nombre insuffisant, météo défavorable ; la famine qui s’abattit sur l’Ukraine fit un million de victimes parmi les paysans.


Extraits :
« Au total,  il y avait presque dix mille casiers. Plus de cent mille bouteilles. Et sur chacune d’entre elles, on avait enlevé l’étiquette.
-Qu’est-ce qui s’est passé ? s’étrangla le comte ?
Andréï hocha la tête d’un air sombre.
-Quelqu’un a déposé plainte auprès du camarade Teodorov, le commissaire au Ravitaillement, au motif que l’existence de notre liste de vins va à l’encontre des idéaux de la Révolution. Que c’ est un condensé des privilèges de la noblesse, de la décadence de l’intelligentsia et des pratiques rapaces des spéculateurs.
- Mais c’est grotesque ! «


« Merveille d’efficacité sémantique, camarade pouvait être utilisé pour saluer, ou pour prendre congé. Pour féliciter, ou mettre en garde. Appeler à agir, ou bien harangue. Il pouvait aussi servir à attirer l’attention dans le hall bondé d’un grand hôtel. Et grâce à la plasticité du terme, les Russes avaient enfin pu se débarrasser des formalités épuisantes, des titres vieillots, des expressions gênantes – et même des noms ! Dans quel pays européen pouvait-on, en criant un simple mot, héler n’importe quel compatriote, homme, femme, jeune, vieux, ennemi ?
- Camarade ! »


« Mais l’impératif était de nourrir les villes, et la baisse précipitée des récoltes entraîna une hausse des quotas et des réquisitions réalisées sous la menace des fusils. »
Staline compris en lisant la presse étrangère que la Russie devait donner d’elle une autre image.
« La vie s’est améliorée, camarades », la vie – de fait – s’améliora !
« Les membres du politburo troquèrent leurs uniformes militaires contre des costumes sur mesures ; et ces jeunes ouvrières qui posaient devant leurs usines furent encouragées à s’habiller non pas comme des paysannes, mais comme des Parisiennes sur les Champs-Elysées. »

« Comme beaucoup d’autres personnes, elle se rendait dans ce magasin-là parce qu’il y avait dans la petite chapelle au fond de l’église une mosaïque du Christ et de la femme au puits que personne ne s’était donné la peine de démonter ; et les femmes qui attendaient de pouvoir acheter leur lait étaient prêtes à vous garder votre place pendant que vous filiez discrètement faire une petite prière. »
« Le monde serait-il meilleur si nous rangions tous nos boutons dans un gros bocal en verre ? Dans ce genre de monde-là, chaque fois que tu voudras prendre un bouton d’une couleur particulière, tu l’enfoncerais au fond du pot en cherchant à l’attraper, et alors tu ne le verrais plus. Pour finir, tu serais tellement énervée que tu renverserais tout le contenu du bocal par terre – et tu passerais une heure et demie à ramasser tes boutons.
- C’est de vrais boutons que nous parlons ? demanda Anna avec un intérêt non feint. Ou bien s’agit-il d’une allégorie ? »




mots-clés : #lieu #regimeautoritaire #relationenfantparent (assignation à résidence)
par Bédoulène
le Mar 27 Nov - 16:13
 
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Sujet: Amor Towles
Réponses: 2
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Martín Caparrós

A qui de droit

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 Fullsi10

Dans la passion de sa jeunesse,, Carlos a participé à la lutte armée contre les militaires. Sa femme, enceinte,  a été capturée sous ses yeux, et nul ne sait ce qui lui est advenu. Il a passé ces trente ans dans une fidelité morbide à ressasser cela, imaginer des destins possibles à Estela. Il regarde avec amertume l'Argentine d’aujourd’hui, témoin de leur échec, du désastre, de la débâcle : un pays où posséder un écran plat est plus important qu'une société égalitaire et juste, Il voit souvent Juanja, ancien du mouvement, aujourd'hui au gouvernement, avec qui il se livre à quelques joutes verbales, et tous les  jeudis une jeune femme, incarnation de la   nouvelle génération pour qui lutter n’est plus une option. Elle lui donne du plaisir et le pousse dans ses retranchements.

Je l'ai toujours dit, Estela, la conséquence la plus grave de la dictature militaire n’est pas qu'ils vous aient tués, ce n’est pas vous, les morts, les disparus ; c’est ce pays, l'Argentine d'aujourd'hui.


La soixantaine dépassée, une maladie appelée Le Mal le rattrape, se manifestant curieusement par une simpe odeur nauséabonde, les questionnements  s'enrichissent, l'imaginaire ne suffit plus, il recherche des faits, la question de la vengeance se pose. Mais quel sens a-t'elle encore, quarante ans après ?

Peut-être aussi parce que ce serait ma dernière fin d'année et que je m'abandonnais à la triste jouissance des dernières fois. Quand elles deviennent les dernières, les choses retrouvent un sens, des significations dont la répétition les avait privé depuis longtemps.


Très beau roman introspectif et politique, à la prose parfois un peu lourde. Plein de nuances et de vérités regardées en face, il met en scène les bourreaux et les victimes, montre leur place dans al société d'aujourd'hui. Carlos, plein d'amertume, ne vit que de son passé, Est-ce parce que ce passé était glorieux, ou est-ce qu'il n'a simplement pas pu le dépasser, devenu un homme finalement geignard et procrastinateur ? Est-on un héros à vie ? Les comptes sont loin d'être soldés,  et si la société détourne le regard, ce n'est pas le cas de notre héros.




mots-clés : #devoirdememoire #insurrection #regimeautoritaire #vengeance
par topocl
le Dim 11 Nov - 11:26
 
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Sujet: Martín Caparrós
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Delphine Minoui

Je vous écris de Téhéran

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 51l7i010

Delphine Minoui est née à Paris d'une mère française et d'un père exilé iranien. Elle a toujours voué un culte particulier à son grand-père resté à Téhéran. Devenue journaliste, elle va s'installer pour quelques temps,qui, au fur et çà mesure que grandit sa fascination pour se pays, deviendront des années, chez sa grand-mère devenue veuve.

C'est l’occasion de participer intimement aux événements de la Révolution islamique , des coups d'état, des tentatives de  contre-révolution qui émaillent l'histoire de l'Iran de la la fin du XXème et du début du XIXème siècle.  De sentir dans sa chair les angoisses et les affres de la répression, de croiser divers destins d'Iraniens, plus ou moins rebelles, plus ou moins fascinés par le pouvoir. C'est le moment  de comprendre (ou tenter) les contrastes et les ambiguïtés, de remodeler les  certitude, celles sur l'Iran, les Iraniens, ses grands-parents et sa propre identité.

Bien que le style soit assez travaillé, il pêche par moment de tout en laissant un petit goût de superficialité du fait de l’abord journalistique.


Mots-clés : #autobiographie #lieu #regimeautoritaire #temoignage
par topocl
le Dim 4 Nov - 17:55
 
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Sujet: Delphine Minoui
Réponses: 3
Vues: 1106

Juan Marsé

Des lézards dans le ravin

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 51nw6410

L’histoire se déroule pendant la période franquiste. Le narrateur est l’ enfant que porte « la rouquine » mère de 3 enfants, l’ainé Juan mort dans un bombardement en 1940, David le cadet qui vit actuellement avec elle ; depuis la disparition du père, Victor Bartra. Lequel s’est enfuit précipitamment alors que les policiers venaient l’arrêter, comme c’est le sort, sous ce régime dictatorial, de tous les gens de gauche, les anarchistes… ou soupçonnés de porter ces idéaux.

David est affligé par d’importants acouphènes qu’il contrôle comme il le peut. Mais cet adolescent a aussi une imagination débordante que par contre il ne contrôle pas. Aussi dialogue-t-il avec les vivants et les morts : son père, son frère ainé, le fœtus, le chien Etincelle et même un personnage de pilote sur une affiche.

Ce livre est donc très vivant, par les intéressants et nombreux dialogues.

L’inspecteur de la brigade politico-sociale qui se renseigne, discrètement ou pas, interroge le voisinage et la rouquine sur son mari Victor Bartra déplait à David, aussi ne voit-il pas d’un bon œil tous les petits cadeaux, si difficile à se procurer dans ce temps, que celui-ci fait à sa mère qui les accepte.

C’est souvent un face à face entre l’inspecteur et l’adolescent dont l’insolence n’a de pareille que son imagination.

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Un très bon livre et une belle écriture, pour moi. La période est bien sur intéressante par ce qu’elle représente ; et la difficulté de vivre à Barcelone et plus précisément dans ce quartier est bien rendue.

Extraits :

« Pendant qu’elle s’efforce de frotter le pelage du chien avec une serviette, il y a dans le regard dont elle enveloppe mon frère cette tendresse dont le destin n’a pas voulu qu’elle arrive jusqu’à moi, mais dans mon rêve je perçois pourtant le petit papillon de lumière qui volette dans sa voix :
- Tu ne pourrais pas réfléchir un peu, mon chéri, avant de faire les choses ?
Je suis de cet avis, mon frère.
Toi, je ne te parle pas, avorton, marmonne David en se tournant vers le mur, tête basse. »


« - Mais non, dit la rouquine. Ton père s’est laissé glisser le long de la pente sur les fesses. La malchance a voulu qu’il chope un bout de verre pointu, probablement un éclat de bouteille, et qu’il lui fende la fesse comme si c’était une pastèque, Voilà ce qui s’est passé, ni plus, ni moins.
- Et bien sur avec sa bouteille intacte et à l’abri, il n’aurait plus manqué que ça. Voilà comment ton cher père a quitté la maison. Un bien triste spectacle, mon fils. »


Impertinence de David vis-à-vis de l’Inspecteur de la brigade politico-sociale, Galvan.
« -Nous ne parlons pas de ça. La rouquine n’aime pas ça.
- Comment oses-tu l’appeler comme ça, ta propre mère ?
- Ca lui est égal. – David ébauche un sourire et arque la hanche. – C’est comme un compliment. Mon petit papa l’appel toujours comme ça. »


« Pour tuer l’attente, la rouquine allume une cigarette et ouvre un vieux livre très chéri à couverture dure, un roman que je garde, couvert avec du papier bleu. Elle a toujours aimé lire et elle profite de toutes les occasions de le faire, combien de fois David l’ a-t-il vue debout, son livre ouvert dans une main et une cuillère dans l’autre remuant le pot-au-feu et marmottant du bout des lèvres, attentive à sa lecture et à son fricot comme s’ils faisaient tous deux partie d’un rite, et elle aime aussi mettre des images de couleurs très vives entre les pages pour savoir où elle en est arrivée, et recouvrir ses livres comme on le lui a appris à l’école quand elle était petite. »


« Juan s’assied à califourchon sur la chaise bras pendant par-dessus le dossier, en face du lit de David. Il a la tête bandée et son pantalon déchiré laisse voir sa jambe coupée net sous le genou, mais il n’y a aucune trace de sans sous l’os éclaté. Son écharpe marron e ses vêtements chauds gardent toute la poussière rougeâtre de l’immeuble qui s’est entièrement effondré sur lui un certain jour de mars à midi et il ne fait pas l’âge qu’il avait alors, mais celui qu’il aurait aujourd’hui, vingt ans à peu près.
Tu serais mon frère ainé, se lamente David. Quel dommage.
Ca n’a pas été possible, petit, n’y pense plus.


Le BB a venir : « Je jurerais que cet-après-midi, si elle l’avait pu, en sortant pour aller chez le docteur, elle m’aurait volontiers laissé à la maison. Mais comment le savoir ? A ce moment-là, je me balançais au bord de la vie et à un pas de la mort, dos tourné au monde et sûrement la tête en bas. »

« Elle sait que je l’aime, malgré tout, ajoute papa tout en lavant son mouchoir dans le souvenir d’autres eaux, dans le flot sombre et violent d’autres temps, d’autres amours. La déchirure de son pantalon laisse entrevoir le mauvais aspect de sa blessure.
Tu saignes beaucoup papa, dit David. Ca va s’infecter.
Bêtises. Le sang versé pour la patrie ne s’infecte jamais, il est immunisé contre tous les microbes, parce qu’il est déjà pourri et bien pourri. »


« David et Etincelle, unis par la laisse sous le soleil implacable, se frayant un chemin au milieu d’un essaim d’abeilles, remontent lentement le lit du torrent en avançant sur tuf et décombres, pierres boueuses et langues de sables semblables à des épées, voix de l’eau, présages et intuitions. »

« L’inspecteur le fait taire en le visant de son doigt tendu, sans le moindre signe d’impatience ni dans le geste ni dans la voix :
- L’autre jour, je t’ai prévenu, garçon. Tu te rappelles ce que je t’ai dit ?
- -Oui Bwana. Vous m’avez dit que j’étais sur une mauvaise pente, sussurre David. Mais vous partiez, non ? Ou est-ce que vous avez un mandat de perquisition ?
Sans lever la tête ou à peine il observe le policier qui allume une cigarette avec son briquet Dupont, cling ! «


«- Cette fiche et ce dossier sont une insulte à l’intelligence de mon mari, dit-elle sereinement. A son intégrité morale et à ses idéaux. C’est une farce.
- Bon, à en juger par certains points de sa déclaration, dit l’inspecteur, il faudrait voir qui se moque de qui. Mais laissons cela, Madame Bartra. Je comprends que vous défendiez vos idées…
- Ne vous trompez pas sur mon compte, inspecteur. Je défends mon mari et je respecte son idéal, mais je ne suis pas son porte-voix idéologique, ni le sien, ni celui de personne ; je suis la femme qui élève ses enfants, la couturière, la cuisinière, la souillon. Ca vous semble peu ? »


« -Vous voyez, dit-elle, comme si elle devinait ses pensées. En ce moment même mon mari pourrait être ici avec moi, et pourtant il n’ est pas là, et je ne sais même pas où il se trouve. Mais vous savez quoi ? La nuit, en rêve, quand je tâte son bras pour m’appuyer dessus, je le trouve toujours. »




mots-clés : #famille #fantastique #pathologie #regimeautoritaire #viequotidienne
par Bédoulène
le Dim 26 Aoû - 16:24
 
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Sujet: Juan Marsé
Réponses: 26
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Chen Ming

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 Inkedd13

Les nuages noirs s'amoncellent

La moitié de ma vie est le reflet du régime communiste. Ma vie n'a cessé d'être instable. Enfant, je dus me battre contre la misère. Grâce aux études, j'ai réussi à devenir professeur d'université. En plein épanouissement intellectuel, j'ai dû renoncer à toute activité et je fus envoyé dans un camp. Ensuite ce furent vingt-cinq années d'oppression et d'humiliation sans relâche.
Mon cauchemar a duré trente ans à cause d'une erreur de l'histoire.


Chen Ming est né en 1908 dans la province du Shanxi, au nord de la Chine. Son enfance fut misérable, marquée du sceau de la tristesse de sa mère, qui vit plusieurs de ses enfants mourir faute de soins. Chen Ming vivait dans un même habit rapiécé à l'infini, et ne mangeait que rarement à sa faim. Pourtant, sa mère, ignorant les quolibets des voisins, l'envoya coûte que coûte à l'école. Et son fils lui donna raison. A force de ténacité et grâce à la générosité de quelques amis, il devint professeur d'histoire contemporaine à l'université. Il pensait enfin pouvoir couler des jours heureux avec son épouse lorsque l'arrivée des communistes au pouvoir en décida autrement, signifiant le début d'un cauchemar qui devait durer près de 30 ans...

Les purges parmi les intellectuels chinois débutèrent dès 1951. Sans aucun jugement, sans savoir ce qu'on lui reprochait, Chen Ming fut condamné à 5 ans de laogai (le goulag chinois), où il vécut les pires sévices. Et sa libération en 1956 ne signifia en rien la fin de ses tourments...
Comme ancien détenu, mais aussi comme intellectuel, il fut brimé sans fin. Son sort était à la merci des décisions arbitraires et fluctuantes d'un régime totalitaire devenu fou. Vingt années durant, il dut balayer les rues sans relâche. Les fouilles et pressions policières, tout comme les interrogatoires, étaient continuels. Sa femme fut elle aussi cataloguée de «droitière », et dut comme lui subir des « séances d'autocritique », terribles humiliations publiques sous les quolibets de la foule.
Ce cauchemar ne prit fin qu'en 1978, lorsque Chen Ming fut finalement réhabilité, et que l'état chinois reconnut qu'il avait été condamné par erreur. Comme par miracle, les mêmes qui, la veille encore, le vilipendaient et lui crachaient dessus, n'étaient désormais que sourire à son égard... Comment imaginer les sentiments de cet homme de 70 ans, dont la vie avait été broyée par l'Histoire, comme celles de tant de ses compatriotes ?

Ainsi que l'indique Jean-Luc Domenach dans la préface, le récit de Chen Ming « contribue à corriger l'impression fausse, propagée après le retour au pouvoir de Den Xiaoping, qui fait de la Révolution culturelle un délire soudain et comme accidentel. » En réalité, les campagnes visant à écraser le milieu intellectuel ne cessèrent de se succéder, et la Révolution culturelle n'en fut que le paroxysme. Nombreux furent ceux qui se suicidèrent de désespoir. Mais Chen Ming a refusé de se laisser fléchir, de cesser de réfléchir. Le lavage de cerveau n'a jamais pris sur lui ; en secret, il est toujours resté un homme libre.

Au soir de sa vie, devenu veuf, Chen Ming entreprit de rédiger ses mémoires. Conscient qu'il était impossible de les publier dans son pays, il les confia à Camille Loivier, alors jeune étudiante en Chine. A charge pour elle de les traduire et de les faire publier en France.
C'est donc ainsi que nous est parvenu ce récit terrible et poignant. Jusqu'au bout, Chen Ming garda une part de son mystère, ne partageant qu'avec grande parcimonie ses pensées les plus intimes et les ressorts qui lui permirent de tenir face à la barbarie. On sent là toute la retenue d'un être qui vivait encore en Chine, et à qui la vie avait appris qu'on ne peut vraiment faire confiance à personne... Et pourtant, ce sont bien les phrases de cet homme hors du commun qui nous permettent, à nous lecteur, de garder foi en l'humain, en son incroyable capacité de résistance et de résilience...
Un témoignage rare, bouleversant, essentiel.


mots-clés : #autobiographie #campsconcentration #regimeautoritaire #revolutionculturelle
par Armor
le Sam 18 Aoû - 21:48
 
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Sujet: Chen Ming
Réponses: 5
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Alan Pauls

Histoire des cheveux

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 Cvt_hi10


Buenos-Aires, le narrateur est obsédé par l'aspect de sa chevelure, obsession qui agace sa femme ainsi que ses habitudes, ses petites manies.

"... il faudrait avant tout se poser une question et c'est celle-ci : pourquoi lui, qui est un cas, pourquoi lui, avec son petit problème, continue-t-il à se rendre dans des salons de coiffure qu'il ne connait pas ? Pourquoi persiste-t-il à se rendre de cette façon à l'abattoir ? Et pourtant c'est ainsi, il continue. Il ne peut pas ne pas continuer. C'est la loi des cheveux. Chaque salon de coiffure qu'il ne connait pas et dans lequel il s'aventure est un danger et un espoir, une promesse et un piège. Il risque de commettre une erreur et de plonger dans le désastre, cependant, et si c' était le contraire ? Et s'il tombait soudain sur le génie qu'il cherche ? Et si par crainte il n'entrait pas et ratait l'occasion de sa vie ?

Et il trouvera le génie : Celso qui d'ailleurs le désignera à un ami de rencontre, un ancien combattant de retour d'exil : "le malade des cheveux"

  Car les cheveux du narrateur ont leur petit problème, c'est alors qu'il  n'a que 11 ou 12 ans adopte  le style afro, transformation "maison" qui aura des conséquences néfastes sur sa chevelure ;  il voit le film d'Agnès Varda sur les  Blacks Panthers  ; au début des années 70 les enfants des classes moyennes,  moyennement aisées, de la bourgeoisie,  rejettent les privilèges dont ils ont joui jusque là s'externaliser  de leur milieu, s'intéressent au sort des classes exploitées. Lui que fait-il ? il abandonne sa chevelure blonde et raide héritée de la branche "poilue" de la famille.

"il est évidemment "grotesque et pathétique, comme le sont pratiquement toujours les Blancs lorsqu'ils tentent d'usurper le rôle des Noirs....cette parodie de style afro."

"Que désirez-vous faire ? ou la variante cynique que désirez-vous que nous fassions ?" question de circonstance quand il pénètre chez le coiffeur mais à laquelle  il ne sait répondre

"Y répondre vraiment, autrement dit, satisfaire simultanément deux exigences : celle de qui veut se faire couper les cheveux, qui possède ou devrait avoir à l'esprit une idée de la façon dont il veut se les faire couper, et celle de qui se prépare à les lui couper et qui a besoin, si ce n'est d'instructions, du moins de quelque piste pour mener son travail à terme. Lui, en tout cas, n'en a jamais été capable."

"Où démarre cette malédiction des cheveux, la condamnation à dire en toutes lettres ce qu'il attend des cheveux, ce que lui-même attend de ses propres cheveux ? A quel putain de moment est-il devenu responsable de ses cheveux ? Il a vécu un mois sans penser une seule fois à ses cheveux. Peut-être pourrait-il désormais vivre sans se les couper ?


A travers le vécu de la chevelure du narrateur l'auteur fait surgir le drame de l'Argentine, la dictature, les exilés et leur retour, de même avec l'histoire d'une perruque Montonera (les montaneros étaient des unités militaires d'extraction rurale) étant censée avoir appartenu à Norma Arrostito laquelle avait  participé à la séquestration et l'assassinat du Gal Arambaru.
Spoiler:


La fameuse perruque d'Arrostito, nul ne peut la payer, elle n'a pas de prix ; peut-on chiffrer des souvenirs, les sentiments, le passé, la mort ?


Autres extraits

 "depuis qu'Eva en a eu assez de ses yeux constamment cernés, de sa fidélité inconditionnelle, de sa bonne humeur, de sa manie d'accrocher les serviettes de toilette après les avoir utilisées, de son goût pour les plans et les pique-niques, de son talent pour le calcul mental et de son petit problème de cheveux et qu'elle s'est décidée à déménager..."

"Ce genre de trait de flèche ponctuel, qui atteint une cible secrète mais ne libère aucun sens particulier, comme si sa seule fonction était de pointer une coïncidence vertigineuse, est ce qui lui fait un instant penser que son pays natal pourrait devenir autre chose que l'origine ou la toile de fond héritées, génériques, constamment hors-champ, que lui impose toute une vie vécue loin de lui, d'abord protégé et élevé, confiné ensuite, macéré même dans un monde, celui des exilés, et dans un faubourg particulier de ce monde, celui des enfants d'exilés, qui naissent tous deux par obligation et se constituent par nécessité, un peu comme l'architecture du bunker, par exemple, fait son apparition en réponse à l'éventualité de bombardements aériens, mais demeurent obstinément en vigueur une fois que le temps a passé et a emporté ce qui les avait rendus nécessaires, accrochés aux règles et aux habitudes qui se sont imposées au début, essentiellement basées sur le culte d'un esprit de corps inconditionnel, sans fissure, même lorsque à l'extérieur il ne reste déjà plus rien pour justifier qu'on les conserve, et que l'air qu'on y respire, qui autrefois, alors que le monde était une oppression, a été le seul air libre et salutaire, y est à présent devenu toxique."


Encore une très bonne lecture, quelle inventivité, quelle habileté ludique à voir le destin de l'Argentine, des exilés en suivant les coupes et transformations d'une chevelure, puis d'une perruque oubliée.

J'aimerais vraiment que vous découvriez cet auteur ; j'ai besoin de votre ressenti pour lui reconnaître tout ce que je ne sais exprimer.


mots-clés : #exil #lieu #regimeautoritaire
par Bédoulène
le Sam 4 Aoû - 9:36
 
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Sujet: Alan Pauls
Réponses: 23
Vues: 1607

Alan Pauls

Histoire de larmes

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Septembre 1973, au Chili le palais de la Moneda est en flammes et Salvadore Allende, le Président meurt. Le narrateur se trouve chez un ami tous deux regardent la télévision mais seul l’ami est en larmes, lui il ne peut pas pleurer il ne pleure plus depuis qu’il l’a décidé à l’âge de 7 ans. Pourtant lui plus que bien d’autres aurait des raisons de pleurer ;  instruit politiquement, il lit toute la littérature  marxiste, il attend fébrilement tous les mardis la sortie du journal « la Cause Péroniste ».

Pourtant il était un enfant très sensible, sensibilité que son père vantait, mais les pleurs ne se libéraient qu’en présence de son père. Ses parents étant divorcés, il vit avec sa mère et va à la piscine avec son père. Il revient de ces journées là avec les doigts flétris et rougis par les frottements au fond de la piscine mais quel bonheur ! L’ enfant associe très jeune le bonheur à la douleur aussi ce sont les souffrances de superman, son héros, qu’il imitera en volant à travers la porte vitrée, qu’il aime, plus que ses exploits.

Enfant silencieux, qui dessine et lit sans  savoir lire, il a une faculté qui fait l’orgueil de son père : son écoute, tous ceux qui l’approche éprouvent le besoin de se confier à lui ; mais que retient, que comprend un enfant de 4 ans de ses confessions ? L’auteur veut-il  montrer l’interdit qui règne en Argentine , l’impossibilité de s’exprimer ?

Il pleure, puis ne pleure plus, et  à la mort d’Allende il rejette sa petite amie qui se trouve être de droite, elle pleure, puis d’autre comme un ami pleurera devant lui ; à présent c’est lui qui fait pleurer les autres. Larmes oui mais plus les siennes.

Pourtant un soir la réalité dépasse la fiction, fiction qui lui était plus proche tel  les costumes impeccables des militaires qui cachent l’homme qui les porte. Ces  militaires qu’il voit, enfant, comme des extra-terrestres, des envahisseurs.

Un soir donc la dure réalité le rattrape dans un épisode de son enfance alors qu’il voit à la Une du journal  le cadavre d’une femme nue.

[…] et même ainsi maintenant qu’il la voit non seulement nue mais le corps transpercé de plusieurs balles, souillée de terre comme si on l’avait traînée sur le ventre , déjà morte, le long du terre-plein du camp militaire où elle a été tuée, selon la légende de la photo, floue et de mauvaise qualité,  qui pourrait suggérer que c’est un cadavre comme les autres [….] il lit  […] et, au bout d’un moment la lumière est  si faible, les mots si difficiles à distinguer , qu’il ferme les yeux  et continue à lire comme le font les aveugles , suppose-t-il, en caressant les phrases du bout des doigts , jusqu’à ce qu’une sensation froide sur le revers de sa main, puis une autre et une autre encore, l’obligent à s’ interrompre. Il ouvre les yeux. Pleut-il ? non :  il pleure. Il pleure dans la ville comme il pleut dans son cœur…. […] et il reconnait en elle le voisin de la rue Ortega y Gasset , le militaire, le maniaque qui  a chanté à son oreille, lui a donné asile , a lu sur le bout de ses doigts le secret de sa douleur…
C’est simple, il n’a pas compris ce qu’il aurait dû comprendre. Il n’a pas été de son temps, il n’est pas de son temps et ne le sera jamais. Quoi qu’il fasse, quoi qu’il pense, c’est une condamnation qui l’accompagnera toujours.



J’ ai apprécié l’écriture incisive (de caractère plutôt) qui donne du poids au sujet, à l’ambiance,  les petits détails qui dévoilent les personnages.  Je pense aussi que c’est habile de se servir d’un évènement  survenu dans un  pays voisin pour critiquer le sien.

Je vous engage à lire ce petit livre lequel sera suivi de deux autres lectures, indépendantes, Histoire de cheveux et Histoire d’argent. J’ aimerais avoir votre regard sur cet auteur.





mots-clés : #enfance #psychologique #regimeautoritaire
par Bédoulène
le Dim 29 Juil - 10:08
 
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Sujet: Alan Pauls
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Samuel Aubin

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Le Pommier rouge d'Alma-Ata


Originale : Français, 2017

CONTENU :
4ème de couverture a écrit:"Alma-Ata, capitale de la République socialiste soviétique du Kazakhstan, se trouve ici à la croisée de plusieurs histoires. Elle berce les espoirs et nourrit les rêves du jeune Tchinguiz, soldat soviétique qui s'éprend d'une résistante française dans le maquis du Tarn. Elle fascine Nurlan, petit-neveu de Tchinguiz, qui découvre cette ville-forêt en 1991 alors qu'autour de lui l'URSS s'effondre. Il y rencontre l'attrayante Alicia qui prétend venir d'un futur où le stade suprême du communisme a été atteint. L'intrigue de ce roman fait ressurgir un épisode oublié de la seconde guerre mondiale : l'engagement de " Mongols " – soldats soviétiques d'Asie centrale – tant dans la Résistance française que dans l'armée allemande, qui donna parfois lieu à des luttes fratricides. Elle suit également l'évolution du jeune Nurlan, confronté à l'effacement de l'URSS qu'il vénère, à la disparition d'une façon de vivre et d'envisager le monde.


REMARQUES :
Alma-Ata (aujourd’hui Almaty), capitale du Kazakhstan soviètique au temps de l’effondrement inimaginable et craint en 1991. Image d’une Union soviètique « internationale », réunissant en elle diverses nationalités et une forme d’idée de progrès ! Bon à retenir pour nous comment cet effondrement était vécu de l’intérieur. Je trouve assez remarquable qu’Aubin y réussit sans se faire propagandiste !

Le jeune Nurlan de la campagne rend la première fois visite à son oncle Tchinguiz en ville, et découvre dans ce personnage vénéré son histoire à lui. Les pommes qu’il cultive, en fait sont issues d’une pomme ramenée de la France où il avait été lors de la Grande Guerre. Fait prisonnier par les Allemands quelque part sur le front de l’Est, il fût envoyé comme ouvrier de guerre dans une mine dans le Tarn. Il réussit de s’enfuir et de rejoindre la réistance (communiste) et une brigade soviètique. Cela reprend des faits historiques souvent ignorés : il y avait vraiment en France 120000 Soviétiques en 1942-44 ! Il tombera amoureux de Gabrielle, et ils vivront une histoire d’amour… La fin de la guerre voit le rappel au pays des Soviètiques. Au dernier moment il leur sera interdit que Gabrielle enceinte l’accompagne sur le bateau…

Ce roman n’est pas seulement un d’amour, mais aussi de moments historiques bouleversants, soit à la fin de la guerre, soit à la fin de l’Empire soviétique. Moments de décisions impossibles, de ruptures, de compromissions, de tensions, voir de luttes fratricides. Aubin nous rend proche un pan de l’histoire des années 40, mais aussi de l’effondrement de l’URSS, vécu dans l’incompréhension totale par une grande partie de la population ou de scissions.

Un très bon premier petit roman qui excelle sous plusieurs registres !


mots-clés : #deuxiemeguerre #historique #regimeautoritaire
par tom léo
le Ven 15 Juin - 10:02
 
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Sujet: Samuel Aubin
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Guy Delisle

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Pyongyang


Originale: Français, Novembre 2002

Genre: BD/Graphic Novel

CONTENU :
amaz.de a écrit:Après Shenzen, Guy Delisle a poursuivi son travail nomade d'animateur pour deux mois à Pyongyang, capitale si isolée de la Corée du Nord. Si ses sentiments vis-à-vis d'un pays totalement étranger se retrouvent d'un livre à l'autre, "Pyongyang" présente en outre l'intérêt de donner des informations sur la vie quotidienne d'un des pays les plus secrets et les plus fermés du monde.

Avec « 1984 », le classique de George Orwell, dans ses valises, il peut bien comparer le scénario du livre avec une réalité incroyable. Dans des desseins détaillés Delisle parle des hommes, se trouvant dans le noir à cause des ruptures d’élécricité, tandisque les monuments à la gloire des dictateurs successifs sont illuminés à fond. Il s’agit moins d’un récit de voyage qu’un essai de jeter un regard derrière les coulisses baties par l’Etat omniprésent.



REMARQUES :
Dans cette graphic novel/BD Delisle nous raconte et nous dessine ses observations et son vécu dans ce pays si hermétiquemment fermé qu’est la Corée du Nord, une des dictatures les plus autoritaires du monde. L’auteur réussit très bien de décrire ce monde partiellement absurde, surveillé et militarisé à l’extrême.

Les visiteurs de l’Occident sont accompagnés toujours par un traducteur et un guide, moins pour vraiment fournir de l’aide que plutôt pour observer, contrôler. Le logement dans des hôtels spécialisés pour l’accueil des étrangers, les restrictions et interdits omniprésents empêchent des rencontres normales et hors de surveillance avec le citoyen normal.

Face à une propagande constante et massive aussi bien pour le guide quasi divin que contre les ennemis intérieurs et extérieurs (en particulier les Américains et les Occidentaux), on peut bien se demander, comment une opinion vraiment raisonée et raisonable serait encore possible. Delisle ne pourra pas discerner de tels débuts d'une propre opinion politique, mais sera aussi tellement bien entouré qu'il pourrait probablement jamais rencontrer les revoltés (s'il en existe). Il nous est peut-être difficile, voir inimaginable de concevoir les difficultés d'une vraie autonomie de pensée.

Par cet égard je vois dans ce livre pas seulement la critique fondamentale compréhensible pour ce système, mais souvent une tonalité sarcastique et un peu méprisante. Est-ce que là-derrière se cache un Delisle plus jeune, moins mûr encore que celui des chroniques plus tardives, plus équilibrées et distanciées ? Là, il sera en route comme jeune père de famille, peut-être cherchant encore plus à comprendre les difficultés des gens tellement soumise à de la propagande massive ?

Par un filtre extrême de toutes les impressions récues (ce qui n'est pas la faute de l'auteur mais des arrangements imposés des autorités pour lui), tout le pays sera reduit sur le cadre dictatoriale. Qui alors veut connaître une impression excellente comment procède et manipule un tel système trouvera ici beaucoup d'exemples. Ce savoir n'est pas (plus?) présent chez beaucoup, et ainsi le livre remplit une mission importante. En plus en présentant ce pays peu connu. Le livre emporté en voyage, 1984 de George Orwell, est vraiment comme une annonciation d'un tel état autoritaire.

Néanmoins je suis de l'avis que le lecteur attentif et l'observateur même très critique envers des circonstances politiques réels, ne pourra, ne devra jamais réduire un pays entier, et en particulier les hommes y vivant, à un système politique et l'uniformisation imposée.

Le lecteur contemporain « actuel » a à faire avec un autre problème tout naturel : le séjour de l'auteur date de l'année 2001. Certainement ce livre reste au fond actuel. Au même moment il y a eu des développements. On est entré dans la troisième génération de cette dictature hériditaire, avec l'accession au pouvoir de Kim Jong-Un. Pour un temps on a pu croire même à une amélioration... Il n'en est rien, apparemment.

Bref : recommandable, mais avec les avis aux lecteurs que j'essayais d'élaborer à garder en tête.

mots-clés : #regimeautoritaire #voyage
par tom léo
le Ven 15 Juin - 7:21
 
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Sujet: Guy Delisle
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François Emmanuel

La Question humaine

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Simon, le narrateur, un « psychologue industriel » travaillant aux "ressources humaines" d'une multinationale allemande, est impliqué à son corps défendant dans le resurgissement du passé, l'Holocauste avec collaboration active des entreprises.
Sa fonction, sélection du personnel et animation de séminaires de motivation des cadres, est accessoire, mais piquante (il va être victime de troubles psychiques, et être renvoyé) ; même si le parallèle est fait avec le processus entrepreneurial, l'essentiel de ce bref récit me semble être la résurgence traumatique de l'horreur nazie, que ressentent personnages et lecteur.
Ainsi est-on enclin à croire à cette espèce de causalité qui fait d’un événement unique le lieu d’où tout semble tirer son origine.

Le vocabulaire "politiquement correct" participe activement à la déshumanisation de "la question humaine" :
Ne pas entendre
Ne pas voir
Se laver à l’infini de la souillure humaine
Prononcer des mots propres
Qui ne tachent pas
Evacuation (Aussiedlung)
Restructuration ( Umstrukturierung)
Réinstallation (Umsiedlung)
Reconversion (Umstellung)
Délocalisation (Delokalisierung)
Sélection (Selektion )
Evacuation (Evakuierung)
Licenciement technique (technische Entlassung)
Solution finale de la question (Endlösung der Frage)
La machine de mort est en marche.

J'ai moins compris le rôle de Karl Rose, directeur adjoint détaché de la maison mère (rapproché de Karl Kraus, pamphlétaire viennois, éditeur luttant contre le formatage de l'information et la montée du nazisme), qui diligente Simon pour enquêter sur le directeur de la filiale française, et enfant Lebensborn (association nationale-socialiste gérée par la SS pour promouvoir la race aryenne) :
...] enfant de l’Ordre noir, enfant de personne, enfant d’une autre variété d’enfants, tous parfaits et semblables, enfant sans enfance, ni cœur, ni âme, ni descendance, enfant de la nouvelle et pure génération technique, Source de vie.

L’invention de Morel, d'Adolfo Bioy Casares, m'est revenue à l'esprit lors de cette lecture, peut-être pas congrûment.

L'idéologie managériale totalitaire pourrait-elle être d'actualité ?

Je propose Regimeautoritaire, Discrimination, et aussi MondeDuTravail

mots-clés : #discrimination #mondedutravail #regimeautoritaire
par Tristram
le Ven 1 Juin - 0:40
 
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Sujet: François Emmanuel
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Zakhar Prilepine

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L’Archipel des Solovki


Originale : Oбитель (Russe, 2014)

CONTENU :
Zakhar Prilepine ose et assume le romanesque pour raconter les Solovki - premier camp du régime soviétique, à cent soixante kilomètres du cercle polaire. Créé quelques années après la révolution d'Octobre, il a été installé presque symboliquement dans un haut lieu monastique. Sans craindre les scènes de genre, les discussions métaphysiques, la folie meurtrière, Prilepine réussit à nous faire croire à l'histoire d'amour d'un détenu et de sa "gardienne" tout en maîtrisant brillamment, sans jamais être pris en défaut quant à l'exactitude historique - il a lu Soljénitsyne -, une narration riche d'une foule de personnages. Artiom, jeune homme parricide (allusion assumée aux Frères Karamazov) déporté aux Solovki, se retrouve ainsi immergé au milieu d'une population, haute en couleur, de droits-communs, de politiques, de membres du clergé, d'officiers de l'Armée blanche, de soldats de l'Armée rouge, de tchékistes...

REMARQUES :
Les îles Solovki sont plus qu’un Archipel quelconque dans la Mer Blanche, mais à plusieurs titres un lieu significatif dans l’Histoire aussi bien de la Sainte Russie, que la Russie tsariste moins glorieuse et enfin les horreurs du premier Goulag. Depuis le XVème siècle il y avait eu les premiers moines et éremites qui avaient trouvé le chemin à travers la mer vers ces îles isolées. Plus tard, le monastère influent, aussi lieu de pélérinage, haut lieu de spiritualité orthodoxe, est aussi devenu un prison pour des incommodes au régime tsariste. Après la révolution d’Octobre, et déjà dès 1920, s’est créé un camp, un goulag, où on internait des gens les plus différents, réprésentatnt topute la palette de la société pas en phase avec le nouveau pouvoir, ou simplement des criminels.

Ce roman joue plutôt dans la deuxième moitié des années 20 : Nogteev, l’ancien commandant, a disparu, et c’est Eikhmanis le chef actuel. Parmi les détenus Artiom Gorianov qui va connaître une relation mouvementé avec Galia, gardienne ou sécretaire personnelle de Eikhmanis. Néanmoins une reduction de cette œuvre à un roman d’amour serait vraiment trop court. Encastré dans le concret du cadre plus que réaliste du camp, et dans une certaine ampleur de brasser les différentes éléments de vie, assez contrasté, ce roman donne à comprendre la complexité de la vie sur les Solovki. Qui garde qui ? On utilise les uns contre les autres. Parfois le sentiment bizarre, qu’au milieu de la crasse et de travaux lourdes et pénibles, on « soutient » encore les études, les dons des uns et des autres. Signe aussi : la grande bibliothèque (dont Rolin avait fait le sujet d’un livre). Ou des pièces de théâtre, jouées par des détenus. Ou des competitions « olympiques ». Ou les recherches quasimment scientifiques de certains spécialistes. Ici, à leur façon, on n’avait pas juste voulu « punir », mais éduquer une société nouvelle, un homme nouveau… - mais par quels moyens !

Cette ambivalence semble traverser le roman et pourrait bien être un mot clé plus universel pour décrire la Russie ?! Habitué aux excès (politiques) de Prilèpine, on pourrait se demander si parfois il aimerait justifier certains choix. Mais ailleurs il semble clair et lucide. Puis, des irriptions pas tellement de « justifications » que plutôt de lumière au milieu de cette obscurité. On connaît – peut-être sujet unifiant une littérature des camps – l’obscurité de ces lieux où l’homme peut devnir loup pour loup. Mais aussi : quelques hommes ici, qui gardent une bonté foncière. Cela rappelle « La maison des morts » de Dosto par ex, et autres. Et rappelle que cet écrivain, dans sa violence parfois, peut d’un coup être d’une tendresse, d’une profondeur « toutes russes ».

On a pu apprécier Prilepine déjà comme maître de la forme plus courte. Ici il s’attaque à une forme d’épopée, large. Un vrai pavé qu’il faut attaquer, ou dans lequel il faudrait se plonger . Cela pourrait valoir la peine !


Mots-clés : #captivite #historique #regimeautoritaire
par tom léo
le Ven 25 Mai - 22:05
 
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Sujet: Zakhar Prilepine
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Justine Augier

De l'ardeur

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Justine Augier s'attache au personnage de Razan Zaitouneh, avocate dissidente, élément clé de la résistance syrienne, qui a été enlevée avec trois "comparses"en décembre 2013, on ne sait pas par qui, même si on a des doutes, et dont on est sans nouvelles. C'est l'occasion d'un portrait de ce qui se passe en Syrie, la très large répartition des exactions entre pouvoir en place, activistes, et islamistes.

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 Proxy_55

Justine Augier le dit elle-même, elle n'a jamais été en Syrie, mais elle s'attache à cette icône de la liberté, ayant elle-même travaillé dans l'humanitaire, partageant ses idées à défaut de ses actions.

Elle livre un récit  sans doute volontairement éclaté, sans chronologie vraie, prenant ses distances avec les faits. il ne faut donc pas compter sur ce livre pour satisfaire l'espoir d'y comprendre enfin quelque chose sur la situation en Syrie, qui est présupposée comme acquise .  Il ne faut pas non plus attendre un portrait psychologique fin, on y trouvera plutôt une Razan Zaitouneh reconstituée par Justine Augier. Mais là encore, frustration, si l'auteur s’implique tout au fil du récit, on ne comprend guère  ce lien qu'elle revendique. C'est surtout l'importance du témoignage, plus que l’œuvre littéraire en elle-même, le devoir de mémoire immédiate, qui pousse à terminer le livre.

Un peu foireux donc, fouillis (brouillon?), plein d'enseignement malgré ses lacunes c'était évidemment une bonne idée, même si cela reste inabouti,  d'attirer notre attention sur cette femme emportée par un devoir qui n'admet aucune concession et sur le drame humanitaire de la Syrie.

Mots-clés : #actualité #biographie #captivite #guerre #insurrection #regimeautoritaire #violence
par topocl
le Ven 25 Mai - 11:21
 
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Sujet: Justine Augier
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Irmgard Keun

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Après minuit

J'ai lu Après Minuit, et c'est un très bon livre.
En plus c' est un témoignage sur le vif de l'atmosphère en Allemagne
en 1936. Plus précisément à Francofort.
Un peuple dopé, hypnotisé et sous influence. Il fallait avoir de la lucidité pour s'en rendre compte et prendre peur et avoir envie de partir.
Elle n'avait que 18 ans pourtant Irmgard Keun à l'époque.
Bergman a traversé le pays à cette époque et a été saisi par cette atmosphère à la fois fascinante, empoisonnée et morbide.
Il en parle dans Laterna magica.


Mots-clés : #humour #regimeautoritaire
par bix_229
le Mar 1 Mai - 16:24
 
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Sujet: Irmgard Keun
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Vasil Bykaŭ (Vassil Bykov)

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La traque

Originale : Аблава (Biélorusse, 1986) ; Облава (Russe, 1986)

CONTENU :
Un homme retourne dans son pays natal, son village de naissance. C'est l'automne, on se trouve au milieu des années 30 dans l'Ouest de la République biélorusse, pas très loin de la frontière polonaise. Après cinq années dans un camp, d'abord en compagnie avec sa femme et leur fille, il réussi maintenant à la troisième tentative la fuite et retourne à pied et en cachette les mille kilomètres vers sa maison. Peu de jours se déroulent dans la narration chronologique : il est irrésistiblement attiré par les environs de ses origines tout en sachant qu'il ne pourra pas se montrer.

Tandisqu'il se cache et cherche quelque chose à manger, les souvenirs reviennent avec force : sa vie autrefois dans le village, l'amélioration des circonstances matérielles grâce à la terre qui lui fut assignée lors de la redistribution des terrains, sa femme, leurs enfants, puis le reproche d'être « Koulak » (parce qu'il était plus travailleur?), la trahison par des proches, des voisins et enfin le bannissement : cinq années dans un camp avec, au bout, la perte de sa femme et de leur enfant avant de ne s'échapper lui-même.

Et maintenant, de retour, il est attiré et paralysé à la fois. Comment cela va finir ?

REMARQUES :
Le titre du livre en diverses langues est emprunté du titre du cinquième et dernier chapitre ; ce titre pourrait créer des malentendus, même si l'histoire va mener vers cette fin... Les premiers chapitres sont sous le signe du retour du fugitif dans son village natale et à une vie cachée, secrète en marge de ce village. Au même moment avec la description de cette vie en fuite, Fédor est sousmergé par les souvenirs de tout ce qui a mené vers cette situation. Il est vrai qu'il y a déjà un espèce d'avant-goût dramatique sur ces premiers pages, mais l'auteur raconte d'une façon calme, très humain de la vie du protagoniste. Il semble qu'il avait connu seulement des échecs, des deceptions. Néanmoins il lui manque la dernière toute grande amertume, haine, et il trouve même des fois des justifications pour ce qui n'est pas justifiable (besoin tout humain de raisons plus ou moins objectives pour l'injustice subie?). Ainsi le « présent » et les souvenirs et descriptions du passé s'alternent.

En lui il y a comme un soif de voir « une âme vivante » dans cette région qui pourrait fatalement lui presque seulement apporter du malheur. Cherchant presque le danger il est attiré comme par un aimant par ce village et les alentours : il n'y a pas d'endroit où aller. Face à l'injustice subie, comment ne pas se poser les vieilles, grandes questions humaines : D'où nous vient cela ? Pourquoi moi ? Est-ce que primairement je me suis rendu coupable moi-même ? Ou est-ce qu'il y a injustice, une innocence ?

Il semble que dans la plupart des livres de l'auteur il s'agit du destins d'individus dans la Grande Guerre qu'il avait vécu lui-même comme partisan et soldat activement. Ici par contre il suit de très près la vie de quelqu'un qui fut visiblement une victime de la politique de Staline, de l'opération de la « dékoulakisation » (voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9koulakisation ). Est-ce que notre Fédor était tout simplement un paysan bon travailleur qui fut victime de jalousie et envie ? Cette politique a mené apparemment vers la méfiance, une solidarité manquante et une culture profonde de peur. Toujours est-il qu'il était avec sa famille envoyé au camp.

L'homme est victime de la mechanceté de l'homme, de la guerre, de la dictature – et Bykau trouve des mots très précis et clairs (vus les circonstances dans lesquelles il écrivit) pour dénoncer et décrire les erreurs du système. Il s'est demandé apparement, comme un commentaire le disait, « si la bonté a encore une place dans le monde ». Ainsi à coté d'une dénonciation (politique) il y a quand même un profond humanisme qui trouve une expression chez lui.

Pour moi une belle découverte. Un auteur qui n'est peut-être plus au premier plan (comme par exemple en Allemagne un Heinrich Böll), mais qui valait la peine d'être lu.

mots-clés : #captivite #culpabilité #regimeautoritaire
par tom léo
le Ven 27 Avr - 22:35
 
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Sujet: Vasil Bykaŭ (Vassil Bykov)
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Maryam Madjidi

Marx et la poupée

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A cinq ans, Maryam Madjini a suivi l'exil de ses parents communistes, fuyant la répression de l'Etat iranien, désireux d'offrir à leur fille une vie de liberté et d'ouverture.

Il y a le versant joyeux, flatteur d'être une jeune femme d'origine persane, avec l'exotisme que cela comporte - très efficace pour draguer. Il y a la dure réalité d'être une petite fille qui abandonne sa grand-mère et ses poupées, et qu'on installe dans un studio de 15 m2, dans une école dont elle ne connaît ni la langue, ni les codes .

Par petits morceaux accolés, en une espèce de liste géante,  avec un humour discret en filigrane, l'auteur raconte cette ambiguïté de l'exil, dans un style descriptif, évitant les effets de manche, cherchant une certaine distance. Pour adoucir cette froideur apparente -et dans un probable clin d'oeil aux Contes des Mille et Une Nuits -  elle glisse quelques chapitres nommés "Il était une fois", petits contes allégoriques illustrant ses drames intimes.

Cela laisse une impression de superficialité à force de ne pas vouloir y toucher, il n'y a pas de grande nouveauté, ni sur l'Iran, ni sur l'exil. C'est  au final un livre sympathique là où il aurait dû être passionnant.


mots-clés : #enfance #exil #regimeautoritaire
par topocl
le Mar 10 Avr - 16:51
 
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Sujet: Maryam Madjidi
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Guy Delisle

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Chroniques birmanes



Originale : Français, 2007

CONTENU :
Chronique écrite après un séjour en Birmanie en 2005

REMARQUES :
Comme d’autres BD de Delisle aussi celui-ci se refère à un séjour de longue durée dans un pays qu’on ignore (ou ignorait) assez. Delisle est maintenant lié depuis un bon moment avec Nadège et ils ont le petit Louis. L’auteur suit à vrai dire sa femme en Birmanie pour une bonne année car elle y travaille pour Médecins sans Frontières. Lui-même, il va avant tout s’occuper de l’enfant, travailler sur ses bandes dessinées et aussi faire quelque connaissances dans le monde du BD. Sinon on a l’impression qu’il raconte dans ces chroniques librement un mélange entre son vécu personnel (souvent avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision) et des petites explications de certaines expériences autour d’une donnée politique, économique, culturelle etc...

Les récents développements au Myanmar semblent aller dans un sens d’une plus grande liberté et autonomie, et les descriptions de ce livre date alors maintenant presque d’une dizaine d’années. Alors, cela a vieilli ? Peut-être certaines contraintes de la dictature militaire de plusieurs décennies (instaurée en force en 1962 après quatorze année d’essais démocratiques après l’indépendance)  ont perdues un peu de force, et l’ouverture économique et démocratique sont là, néanmoins ce livre est et restera un témoignage d’une époque qui a marqué le pays: témoignage pour la Birmanie/Myanmar même, mais aussi description – comme l’auteur en fait allusion – des mécanismes d’une dictature en exercise. Et certains procèdés, on les retrouve un peu partout dans le monde en pareilles situations...

Ce qui arrive à Delisle a d’abord et presque toujours une note personnelle, et est accroché à une expérience concrète. Mais au même moment ces petites aventures touchent à toutes les domaines de la vie, soit culturelle, politique, économique, réligieuse, culinaire, répressive etc. Le livre épais est structuré en petites épisodes, petites unités thématiques d’une à six pages environs, avec sur chaque page 6-8 petites cases de desseins et de textes. Dans ce sens-là ce n’est pas un récit linéaire ininterrompu, mais plutôt des bouts d’histoires.

Je n’arrive pas bien à décrire le genre de desseins avec lequel Delisle travaille, mais c’est à mon avis un travail à l’encre et des tonalités en gris (pas de colorisations).

C’est intéressant comment Delisle raconte en passant une existence plutôt isolée souvent, des ressortissants étrangers (ambassades, ONG, industries engagés étrangers). Une séparation si typique dans tellement de pays, surtout soi-disant exotiques ou alors aussi résultant d’une certaine politique. A quel point cet isolement est choisi, conséquence d’une recherche d’une vie plus aisée ? Je ne veux pas en juger, mais dans nos pays nous condamnons souvent ces « communautarismes »...

C’est alors en passant, jouant, décrivant avec humour (et des chiffres et faits réels) que Delisle nous présente ses chroniques.

C’est bien fait, drôle, instructif...

mots-clés : #autobiographie #bd #documentaire #regimeautoritaire #viequotidienne #voyage
par tom léo
le Dim 18 Mar - 16:17
 
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Renato Cisneros

La distance qui nous sépare

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[Ce livre est un roman de fiction. L'intention de l'auteur n'est pas que les faits rapportés ici, ainsi que les personnages qui y apparaissent, soient jugés en dehors de la littérature.]


Parce que son père est mort mais ne le quitte pas depuis vingt ans, Renato Cisernos va à sa recherche dans ce roman sincère, douloureux et courageux. Une pierre de plus dans la mare des livres consacrés au père, une pierre qui déclenche des remous concentriques qui vont mettre un sacré temps à s'estomper.

Ce qui désormais vous désespère est de ne pas savoir. De ne pas être sûr, de ne faire que suspecter. L'ignorance et 'la détresse une intempérie : voilà pourquoi elle vous irrite,  vous étourdît et vous donne froid.Voilà pourquoi vous continuez à creuser. Pour savoir si vous avez bien connu votre père, ou si vous n'avez fait que le voir passer. Pour savoir à quel point les souvenirs éparpillés dans les réunions familiales d'après-repas sont exacts ou déformés. Pour savoir ce que cachent les éternelles anecdotes qui, répétées comme des paraboles, dessinent parfaitement la surface de toute une vie, mais ne révèlent jamais son intimité : quelle vie détachée se dissimule derrière les tables domestiques dont la seule finalité est de sculpter une mythologie que vous ne supportez plus, dont vous n'avez plus besoin car, en plus, elle ne vous sert à rien pour répondre aux silencieuses, monumentales et gênantes questions qui compriment a présent votre cerveau.


Luis Cisernos Visquerra, dit El Gaucho, a été général, Ministre de l'Intérieur, Ministre de la Guerre de plusieurs gouvernements militaires péruviens, porteur de plusieurs coups d'états, adversaire implacable, simultanément controversé et adulé du Sentier Lumineux.

le ministre le plus redoutable de cette époque qui était déjà elle-même redoutable.


Renato a vécu dans cette ombre arrogante , séductrice, autoritaire, enfant incertain et froissé, fasciné par ce père qu'il avait "besoin de conquérir".

L'auteur - outre son père, mais aussi comme lui - endosse plusieurs générations d'hommes fantasques, marqués par le destin, aux amours prolifiques et atypiques. Cette empreinte est là qui impacte les parcours et les émotions des générations successives.

A l'époque je l'ignorais, mais à présent je sais que l'histoire de mes parents (...)est l'histoire d'une passion triomphante, une passion qui s'oppose à l'ordre  établi et permet à un ensemble de mots moralement et culturellement sales comme infidélité, adultère, bigamie, illégitimité,de devenir - du moins pour moi - amical, propre, digne, sensible et humain. J'ai envie de serrer ces mots dans mes bras, de les recueillir comme des mendiants ou des chiens dans la rue, de les  revendiquer pour toutes les fois où quelqu'un les a repoussés, a préféré les laisser enfermés dans le fond de la caverne de leur biographie pour savourer des termes et des substantifs plus acceptables. Ces mots méprisés, évités comme s'ils étaient le synonyme d'insultes insolentes, d'une pourriture contagieuse, d'un péché abominable, ces mots ressemblant à des animaux nuisibles, ces mots que des multitudes de bouches et de mains ont écartés de peur de se voir contaminées par leur perversité, ces mots, dis-je, composent mon lignage, font parti de mon patrimoine, car ils nomment ce qui me constitue sans que je l'aie choisi, ce à quoi je ne puis échapper car ils ont nourri et élaboré ma présence dans le monde.


Mon arrière grand-père était un bâtard. Mon grand-père, un déporté. Mon père, un étranger. Trois hommes illégitimes et déracinés. trois hommes publiques qui défendaient leur réputation,leur hypersensibilité seulement dans l'intimité, seulement pour eux-mêmes, et qui reniaient leur origine bourrée de non-dits. D'abord ignorer puis enterrer les détails scabreux de leur provenance et vivre ensuite en tournant le dos aux intrigues de ce passé commun les conduisit à une errance de tous les instants à laquelle chacun tenta d'échapper à sa façon.


Veut-il confesser, dénoncer, minimiser, pardonner? Il se situe d'entrée de jeu dans un acte psychothérapeutique et ses chemins le mènent peu à peu  à un engendrement littéraire.

Dans ces pages, j'ai engendré El Gaucho, en donnant son nom à une créature imaginaire, afin de devenir son père littéraire. La littérature est  la biologie qui m' aura permis de le mettre en monde, à mon monde, en provoquant sa naissance dans la fiction.


C'est quoi être le fils d'un titan tyrannique et de l'aimer? C'est quoi de le connaître en homme et non en loup? de déterrer ses blessures jamais avouées, sa généalogie pathogène? Renato veut comprendre tout cela, avec une fureur déterminée, à sa façon à lui, il écrit donc un roman et non une biographie, un roman différent de celui qu'écriraient ses frères et sœurs (les enfants de sa mère et ceux que Luis a abandonnés pour créer cette deuxième famille), ses femmes et ses mantes, ses compagnons politiques ou militaires, ses opposants traqués, torturés et tués, tous auteurs possibles d'histoires différentes.

Il y a  des pages dont la sincérité est d'une audace profonde, qui m'ont étreint le cœur, dans leur intensité, dans leur douceur intime. L'analyse implacable,  toute en subtilité, de cet attachement parfois révulsé, laisse par moments la place aux rares épanchements de cet homme fermé et haïssable. Il ressort de cette enfance qu’elle fut malgré tout protégée, et cependant heureuse. Tout autant que son père, on apprend à connaître Renatio, ce jeune homme délicat et tourmenté, poète et journaliste,  nonobstant fier de son arrogant paternel,, d'une honnêteté et  d'une  fidélité touchantes envers son passé, sa mère, ses frères et sœurs, sa famille tentaculaire et son histoire, ce jeune homme qui raconte son amour désarçonné pour un homme non aimable, un amour marqué par cette  "distance qui [les] sépare" .

Par moment, je n'écoute plus ce qu'elle dit et me fixe sur ses yeux : deux lumières vertes et expressives sur lesquelles semble s'être renversé un triste sirop. Et je me dis qu'il existe des yeux dans le monde - pareils aux siens ou à ceux de mon père, peut-être aux miens - qui ne sauront jamais dissimuler


mots-clés : #biographie #famille #regimeautoritaire #relationenfantparent
par topocl
le Sam 17 Mar - 14:16
 
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Sujet: Renato Cisneros
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Shulem Deen

Celui qui va vers elle revient pas.
Prix Médicis Essais 2017

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Ce n'est absolument pas un essai, mais un récit autobiographique. Je me  demande pourquoi il a eu le Médicis essai. Déjà que les romans  bien souvent ne sont plus des romans, si en plus les essais ne sont plus des essais, cela va devenir compliqué  Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 575154626

Il s'agit donc d'une histoire personnelle, qui apporte un témoignage sur la communauté des Juifs américains ultra-orthodoxes (les plus ultras de chez les plus ultras). Shulem Deen met en lumière  leurs méthodes d'éducation, de bourrage de crâne, de manipulation, en un mot de terrorisme intellectuel.  Bourrage de crâne pratiqué par des gens tout aussi intoxiqués, persuadés qu'ils ont la Vérité parce que, à eux non plus, personne n'a appris à voir autrement, à envisager l'autre. Mais dans cette multitude, (ils sont vraiment nombreux dans ce shetl recomposé à deux pas de New-York), certains se prennent cependant à douter, à jeter un œil ailleurs, à réfléchir. Internet, quoique prohibé, a fait beaucoup pour cela, terreau prodigieux du libre arbitre.

Shulem  Deen est de ceux-là. Peu à peu, il a  abandonné complètement la foi en la Torah, en Dieu, en tout cette parole castratrice dans laquelle il avait été élevé. Mais elle est aussi protectrice, et il raconte la difficulté de remettre en cause une croyance aussi douloureusement et viscéralement inscrite, la douleur que cela constitue, comment il s'est longtemps caché. Il parle aussi des difficultés plus pratiques : comment se réinsérer dans une société américaine quand on n'a fréquenté que les écoles juives et aucun diplôme, jamais adressé la parole à une femme sans frémir, jamais porté de jean, jamais connu les livres, la radio, télé, cinéma… quand on est rejeté, banni par sa communauté,  sa famille, ses propres enfants. Comment on regrette la douceur des rituels et de l'appartenance à un groupe, même tyrannique.
La tolérance, la liberté, ça se paye très cher. Mais c'est une foi comme une autre et pas moyen de transgresser une fois le pas fait.

Vital à qui aime voir comment ça se passe ailleurs, un vrai ailleurs complètement autre,  ou à qui  s'interroge s'il faut être tolérant avec l'intolérance, et comment naissent les fanatiques (qui sont de tous bords, on l'oublie un peu vite), cet ouvrage vaut plus par son aspect documentaire que par ses qualités littéraires,  l’émotion y émerge un peu trop rarement.. Mais il  mérite qu'on s'y arrête.

mots-clés : #autobiographie #education #regimeautoritaire #solitude
par topocl
le Jeu 15 Mar - 18:32
 
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Sujet: Shulem Deen
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Emmanuel Carrère

Limonov

Tag regimeautoritaire sur Des Choses à lire - Page 4 Limono10

Biographie d’un personnage peu sympathique, surtout fasciné par la célébrité, envieux, narcissique, amoral, une sorte de quintessence de loser qui "réussit" ; il m’a paru déplaisant, même si on pense ou fait référence à Henry Miller, Bukowski ou Lou Reed. C’est un petit prolo, voyou, zonard, paumé et patriote, doublé d’une sorte de fier aventurier bourré d’énergie et prenant des risques à l’instinct pour échapper « à la misère et à l’anonymat. » (IV, 3) Il classe froidement les gens (y compris les femmes) ; l’échelle des valeurs va du misérable (qu’on méprise d’autant plus qu’on l’est soi-même) au succès social.

« Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends sur ce point mon jugement. » (Prologue, 4)


Cynique au pays des cyniques, Édouard Limonov est un brun-rouge, c'est-à-dire qu’il va du côté des forts, que ce soit la dictature fasciste ou le totalitarisme rouge. Il est devenu un va-t-en-guerre fasciné par l’héroïsme guerrier, en route pour rejoindre l’Histoire, et fonder le parti national-bolchevique (ou la rencontre des deux extrêmes, la contre-culture des parias) :

« Qui, des deux [Limonov et Douguine], a trouvé le nom du Parti national-bolchevik ? Plus tard, quand ils se sépareront, chacun le revendiquera. Encore plus tard, quand ils essayeront de devenir respectables, chacun en rejettera l’idée sur l’autre. En attendant, ils en sont enchantés tous les deux. Ils sont enchantés du titre qu’Édouard, nul ne le conteste, a trouvé pour leur futur journal : Limonka, la grenade. Pas celle qui se mange, bien sûr : celle qui explose. Ils sont enchantés, enfin, du drapeau qu’a dessiné sur une table de cuisine un peintre de leurs amis doux comme un agneau, spécialisé dans les paysages d’Ombrie et de Toscane. Ce drapeau, un cercle blanc sur fond rouge, évoque le drapeau nazi, sauf qu’en noir dans le cercle blanc, au lieu de la croix gammée, il y a la faucille et le marteau. » (VII, 3)


Un zek rescapé du Goulag comme Soljenitsyne ne mérite que mépris selon notre provocateur. À son sujet, on aimerait pouvoir croire Carrère lorsqu’il écrit :

« …] dès l’instant où un homme a le courage de la dire, personne ne peut plus rien contre la vérité. Peu de livres ont eu un tel retentissement, dans leur pays et dans le monde entier. Aucun, hormis dix ans plus tard L’Archipel du Goulag, n’a à ce point, et réellement, changé le cours de l’histoire. » (I, huit)


La vie de Limonov, beau spécimen d’adaptabilité, passe par toutes sortes d’expériences et de péripéties aux USA, en France et bien sûr en Eurasie, sans manquer la case "prison" (puis le bagne), où il trouve sa place, intégré comme chef de gang (son parti politique) et reconnaissant ses pairs les bandits, déployant enfin une certaine empathie, et s’accomplissant par la méditation.
Autrement, ce livre vaut, de mon point de vue, pour l’éclairage qu’il porte sur l’Histoire récente de l’Europe de l’Est, sur le choc de la disparation du parti communiste soviétique et de l’ouverture subséquente au marché (des oligarques). Aperçus du (des) peuple(s) laminé(s) par Staline :

« Ils [les démocrates] menaient un combat perdu d’avance dans un pays où l’on se soucie peu des libertés formelles pourvu que chacun ait le droit de s’enrichir. » (Prologue, 1)

« …] ça ne les empêchera pas de voter pour le parti au pouvoir parce qu’en Russie on vote, quand on a le droit de voter, pour le parti au pouvoir : c’est comme ça. » (VII, 6)

« Il est loin de chez lui, c’est la règle plutôt que l’exception en Union soviétique : déportations, exils, transferts massifs de populations, on ne cesse de déplacer les gens, les chances sont presque nulles de vivre et de mourir là où on est né. » (I, 1)

« Zapoï, c’est rester plusieurs jours sans dessoûler, errer d’un lieu à l’autre, monter dans des trains sans savoir où ils vont, confier ses secrets les plus intimes à des rencontres de hasard, oublier tout ce qu’on a dit et fait : une sorte de voyage. […]
…] ils ont dépassé les pentes ascendante et descendante typiques de la première journée d’ivresse, atteint cette plénitude sombre et têtue qui permet au zapoï de prendre son rythme de croisière. » (I, 4)


Aussi d’intéressantes réflexions sur le totalitarisme :

« Le privilège que saint Thomas d'Aquin déniait à Dieu, faire que n'ait pas eu lieu ce qui a eu lieu, le pouvoir soviétique se l'est arrogé, et ce n'est pas à Georges Orwell mais à un compagnon de Lénine, Piatakov, qu'on doit cette phrase extraordinaire : "Un vrai bolchevik, si le Parti l'exige, est prêt à croire que le noir est blanc et le blanc noir."
Le totalitarisme, que sur ce point décisif l'Union soviétique a poussé beaucoup plus loin que l'Allemagne national-socialiste, consiste, là où les gens voient noir, à leur dire que c'est blanc et à les obliger, non seulement à le répéter mais, à la longue, à le croire bel et bien. C'est de cet aspect-là que l'expérience soviétique tire cette qualité fantastique, à la fois monstrueuse et monstrueusement comique, que met en lumière toute la littérature souterraine, du Nous autres de Zamiatine aux Hauteurs béantes de Zinoviev en passant par Tchevengour de Platonov. C'est cet aspect-là qui fascine tous les écrivains capables, comme Philip K. Dick, comme Martin Amis ou comme moi, d'absorber des bibliothèques entières sur ce qui est arrivé à l'humanité en Russie au siècle dernier, et que résume ainsi un de mes préférés parmi les historiens, Martin Malia : "Le socialisme intégral n'est pas une attaque contre des abus spécifiques du capitalisme mais contre la réalité. C'est une tentative pour abroger le monde réel, tentative condamnée à long terme mais qui sur une certaine période réussit à créer un monde surréel défini par ce paradoxe : l'inefficacité, la pénurie et la violence y sont présentées comme le souverain bien."
L'abrogation du réel passe par celle de la mémoire. La collectivisation des terres et les millions de koulaks tués ou déportés, la famine organisée par Staline en Ukraine, les purges des années trente et les millions encore de tués ou de déportés de façon purement arbitraire : tout cela ne s'était jamais passé." » (IV, 4)


Pour faire bonne mesure, regard porté sur les fascistes :

« Douguine, sans complexe, se déclare fasciste, mais c’est un fasciste comme Édouard n’en a jamais rencontré. Ce qu’il connaissait sous cette enseigne, c’était soit des dandys parisiens qui, ayant un peu lu Drieu La Rochelle, trouvaient qu’être fasciste c’est chic et décadent, soit des brutes comme leur hôte du banquet, le général Prokhanov, dont il faut vraiment se forcer pour suivre la conversation, faite de paranoïa et de blagues antisémites. Il ignorait qu’entre petits cons poseurs et gros cons porcins il existe une troisième obédience, une variété de fascistes dont j’ai dans ma jeunesse connu quelques exemplaires : les fascistes intellectuels, garçons en général fiévreux, blafards, mal dans leur peau, réellement cultivés, fréquentant avec leurs gros cartables de petites librairies ésotéristes et développant des théories fumeuses sur les Templiers, l’Eurasie ou les Rose-Croix. Souvent, ils finissent par se convertir à l’islam. » (VII, 3)


Mais revenons à notre séduisant héros, avant que finalement l’auteur fasse un parallèle entre son destin avec celui de Poutine (mais qui, lui, a réussi) ‒ ce qui n’aide pas à le rendre fort sympathique :

« Est-ce qu’il ne vaut pas mieux mourir vivant que vivre mort ? » (I, 6)

« Édouard lui avoue un jour qu’il n’est pas certain d’en être capable [tuer un homme]. "Mais si, dit Porphyre, rassurant. Une fois au pied du mur, tu le feras comme tout le monde, ne t’inquiète pas." » (III, 2)

« Tuer un homme au corps-à-corps, dans sa philosophie, je pense que c’est comme se faire enculer : un truc à essayer au moins une fois. » (VII, 7)

« Écrire n’avait jamais été pour lui un but en soi mais le seul moyen à sa portée d’atteindre son vrai but, devenir riche et célèbre, surtout célèbre [… » (IV, 3)


D’une manière générale, je trouve que cette tendance contemporaine à se pencher sur la biographie de personnalités dérangeantes (et je pense à Javier Cercas et Juan Gabriel Vásquez, actuellement débattus sur le forum), cette mise en lumière discutable et déplaisante au premier abord, est en fait justifiée et même utile, dans la mesure où elle amorce la compréhension de l’autre, évite les jugements hâtifs, les discriminations et l’ostracisme. Il est judicieux d’étudier ce qui est masqué sous l’étiquette "infréquentable", de s’interroger sur ce qui est politiquement incorrect, de sortir de sa zone de confort pour avoir un regard plus ouvert.
Voici un (long) extrait sur ce questionnement et cette remise en question, ainsi que sur les tentatives de simplification par "camps" et autres qualificatifs ‒ où d’ailleurs l’auteur ne se présente pas à son avantage :

« Rétrospectivement, je me demande pourquoi je me suis privé d'un truc aussi romanesque et valorisant [la visite "organisée" de Sarajevo assiégée]. Un peu par trouille : j'y serais sans doute allé si je n'avais appris, au moment où on me le proposait, que Jean Hatzfeld venait d'être amputé d'une jambe après avoir reçu là-bas une rafale de kalachnikov. Mais je ne veux pas m'accabler : c'était aussi par circonspection. Je me méfiais, je me méfie toujours des unions sacrées ‒ même réduites au petit cercle qui m'entoure. Autant je me crois sincèrement incapable de violence gratuite, autant je m'imagine volontiers, peut-être trop, les raisons ou concours de circonstances qui auraient pu en d'autres temps me pousser vers la collaboration, le stalinisme ou la révolution culturelle. J'ai peut-être trop tendance aussi à me demander si, parmi les valeurs qui vont de soi dans mon milieu, celles que les gens de mon époque, de mon pays, de ma classe sociale, croient indépassables, éternelles et universelles, il ne s'en trouverait pas qui paraîtront un jour grotesques, scandaleuses ou tout simplement erronées. Quand des gens peu recommandables comme Limonov ou ses pareils disent que l'idéologie des droits de l'homme et de la démocratie, c'est exactement aujourd'hui l'équivalent du colonialisme catholique ‒ les mêmes bonnes intentions, la même bonne foi, la même certitude absolue d'apporter aux sauvages le vrai, le beau, le bien ‒, cet argument relativiste ne m'enchante pas, mais je n'ai rien de bien solide à lui opposer. Et comme je suis facilement, sur les questions politiques, de l'avis du dernier qui a parlé, je prêtais une oreille attentive aux esprits subtils expliquant qu'Izetbegović, présenté comme un apôtre de la tolérance, était en réalité un Musulman fondamentaliste, entouré de moudjahidines, résolu à instaurer à Sarajevo une république islamique et fortement intéressé, contrairement à Milošević, à ce que le siège et la guerre durent le plus longtemps possible. Que les Serbes, dans leur histoire, avaient assez subi le joug ottoman pour qu'on comprenne qu'ils n'aient pas envie d'y repiquer. Enfin, que sur toutes les photos publiées par la presse et montrant des victimes des Serbes, une sur deux si on regardait bien était une victime serbe. Je hochais la tête : oui, c'était plus compliqué que ça.
Là-dessus j’écoutais Bernard-Henri Lévy s’élever précisément contre cette formule et dire qu’elle justifiait toutes les lâchetés diplomatiques, toutes les démissions, tous les atermoiements. Répondre par ces mots : "C’est plus compliqué que ça", à ceux qui dénoncent le nettoyage ethnique de Milošević et sa clique, c’est exactement comme dire que oui, sans doute, les nazis ont exterminé les Juifs d’Europe, mais si on y regarde de plus près c’est plus compliqué que ça. Non, tempêtait BHL, ce n’est pas plus compliqué que ça, c’est au contraire tragiquement simple – et je hochais la tête aussi. » (VI, 3)


« Seulement, j’ai du mal à choisir entre deux versions de ce romantisme : le terrorisme et le réseau de résistance, Carlos et Jean Moulin ‒ il est vrai que tant que les jeux ne sont pas faits, la version officielle de l’histoire arrêtée, ça se ressemble. » (Prologue, 3)


Sur les motivations et l’éthique de reporters :

« Ni l’un ni l’autre [« les deux Jean : Rolin et Hatzfeld »], je pense, n’aimerait tenir dans ces pages le rôle de héros positif. Tant pis. J’admire leur courage, leur talent, et surtout que, comme leur modèle George Orwell, ils préfèrent la vérité à ce qu’ils aimeraient qu’elle soit. Pas plus que Limonov ils ne feignent d’ignorer que la guerre est quelque chose d’excitant et qu’on n’y va pas, quand on a le choix, par vertu mais par goût. Ils aiment l’adrénaline et le ramassis de cinglés qu’on rencontre sur toutes les lignes de front. Les souffrances des victimes les touchent quel que soit leur camp, et même les raisons qui animent les bourreaux, ils peuvent jusqu’à un certain point les comprendre. Curieux de la complexité du monde, s’ils observent un fait qui plaide contre leur opinion, au lieu de le cacher ils le monteront en épingle. Ainsi Jean Hatzfeld, qui croyait par réflexe manichéen avoir été pris en embuscade par des snipers serbes décidés à se payer un journaliste, est revenu après un an d’hôpital enquêter à Sarajevo, et la conclusion de cette enquête, c’est que les tirs qui lui ont coûté sa jambe provenaient, manque de pot, de miliciens bosniaques. Cette honnêteté m’impressionne d’autant plus qu’elle ne débouche pas sur le "tout-se-vaut" qui est la tentation des esprits subtils. Car un moment arrive où il faut choisir son camp, et en tout cas la place d’où on observera les événements. Lors du siège de Sarajevo, passé les premiers temps où, d’un coup d’accélérateur et au prix de grosses frayeurs, on pouvait tirer des bords d’un front à l’autre, le choix était de le suivre de la ville assiégée ou des positions assiégeantes. Même pour des hommes aussi réticents que les deux Jean à rallier le troupeau des belles âmes, ce choix s’imposait naturellement : quand il y a un plus faible et un plus fort, on met peut-être son point d’honneur à noter que le plus faible n’est pas tout blanc et le plus fort pas tout noir, mais on se place du côté du plus faible. On va là où tombent les obus, pas là d’où on les tire. Quand la situation se retourne, il y a certes un instant où on se surprend à éprouver, comme Jean Rolin, "une indéniable satisfaction à l’idée que pour une fois les Serbes étaient ceux qui prenaient tout cela sur la gueule." Mais cet instant ne dure pas, la roue tourne et, si on est ce genre d’homme, on se retrouve à dénoncer la partialité du Tribunal international de La Haye qui poursuit sans mollir les criminels de guerre serbes alors qu’il abandonne leurs homologues croates ou bosniaques à la prévisible mansuétude de leurs propres tribunaux. Ou encore on fait des reportages sur la condition horrible qui est aujourd’hui celle des Serbes vaincus dans leurs enclaves du Kosovo. C’est une règle sinistre mais rarement démentie que les rôles s’échangent entre bourreaux et victimes. Il faut s’adapter vite, et n’être pas facilement dégoûté, pour se tenir toujours du côté des secondes. » (VI, 3)


En conclusion :

« "L’homme qui se juge supérieur, inférieur ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité" ‒ est le sommet de la sagesse et qu’une vie ne suffit pas à s’en imprégner, à la digérer, à se l’incorporer, en sorte qu’elle cesse d’être une idée pour informer le regard et l’action en toutes circonstances. Faire de livre, pour moi, est une façon bizarre d’y travailler. » (Sutra bouddhique, IV, 2)



mots-clés : #actualité #biographie #contemporain #guerre #politique #regimeautoritaire #revolution
par Tristram
le Dim 25 Fév - 13:06
 
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Sujet: Emmanuel Carrère
Réponses: 83
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