Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 9 Mai - 20:47

101 résultats trouvés pour xixesiecle

Robert Louis Stevenson

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 97820811

Le cas étrange du Dr. Jekyll et de M. Hyde (1885)

L'avantage c'est qu'on peut se passer de résumé ! Ca permet de passer tout de suite à la forme, exercice de style ? La présentation du texte dans le GF pas cher souligne bien cet aspect avec les courts chapitres qui se répondent avant d'aboutir enfin à la confession. Et même si on sait avant de (re)lire le livre ce qu'il en est, le mystère fonctionne. Histoire d'atmosphère et de narration. Et de jeu de miroirs.

Le ressort principal étant peut-être celui des tentations et de la curiosité avec... ou opposé à celui des convenances, apparences et satisfactions peut-être factices des "bons" de l'histoire qui ne reconnaissent pas si facilement ces penchants ? Le personnage et la fameuse confession, l'effet de double font beaucoup penser à la psychanalyse (dans les grandes lignes pour le grand public et de façon communément admise) mais on peut aussi se demander le regard biographique et les projections familiales qui pourraient aussi s'y nicher ? (Ca ne serait certainement pas moins convaincant que la recherche de connotations homosexuelles rappelées dans la présentation).

Si c'est à re-relire ce sera en VO ou dans une autre traduction. Pas forcément qu'elle soit mauvaise mais avec l'édition dans l'ensemble, la présentation ?, je suis un brin réservé.


Mots-clés : #fantastique #xixesiecle
par animal
le Lun 25 Fév - 21:15
 
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Sujet: Robert Louis Stevenson
Réponses: 63
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Henrik Pontoppidan

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 41eqpp10

Le Visiteur royal

Comme Knut Hamsun, Henrik Pontoppidan fut un mervelleux conteur, et même un conteur né.
Dans ces petits drames que sont Le Visiteur royal, L'Ours, Le Bourgmestre Hock et sa femme, Jeune amour qui composent ce livre, le côté humain est à l'état pur.
On peut songer aussi à Tchékhov ou à Thomas Hardy lorsqu'on lit ces histoires belles et déchirantes dont les thèmes sont faits d'échecs, de déceptions, de regrets de ce qui fut. D'impuissante nostalgie.
Les tragiques héroïnes de Jeune amour, cèdent de tout leur être à la passion, de natures impulsives, instinctives, plus panthéistes que chrétiennes, insoumises aux lois morales, refusant de reconnaitre les convenances ou la simple raison.

A la lecture de ces nouvelles on a conscience que l'auteur est un véritable artiste, un modèle aussi pour la société danoise de l'époque, la fin du XIX e siècle.
L'égal d'Hermann Bang qu'on connait mieux en France.

mots-clés : #nouvelle #xixesiecle #nostalgie
par bix_229
le Dim 24 Fév - 17:30
 
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Sujet: Henrik Pontoppidan
Réponses: 2
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Nicolas Gogol

Les veillées du hameau II

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Sorcie10


L'avant-propos signé de l'apiculteur Panko le Rouge précise que, ce coup-ci, la plupart des narrateurs sont inconnus "à l'exception du seul Foma Grigoriévitch", chantre principal des veillées du hameau I.
Cette petite farce de mise en scène préliminaire n'est pas sans importance, Gogol entend sans doute plonger plus avant dans la mémoire anonyme, orale, des Cosaques et des villageois.

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La nuit de Noël
En russe Ночь перед Рождеством, nouvelle écrite vers 1835 environ, 42 pages.

Peut se lire ici.


Accrochez-vous, le volume II des veillées du hameau démarre sur les chapeaux de roues !
Cet alliage du folklore, du burlesque et du fantastique est une réussite, d'une grande théâtralité.
Nouvelle vivante, colorée, qui a, du reste, inspiré à Nikolaj Andreevič Rimskij-Korsakov un Opéra éponyme.

Diable, sorcière en balai, lune décrochée, tsarine, comique de situation et de répartie, méprises, jeune premier amoureux transi idéal allant quérir l'impossible, tout y passe...

De ce tourbillon oscillant entre cocasse et merveilleux, le tout savamment dosé, passé l'étourdissement, on retient -encore une fois- la grande qualité technique de l'écrivain, là c'est une vraie prouesse en matière de conte, de conte entre autres populaire.  

Si au même instant avait glissé par là, en traîneau attelé de trois chevaux de front réquisitionnés chez des particuliers, l’assesseur au tribunal de Sorochinietz avec son bonnet bordé d’astrakan et taillé sur le patron des coiffures de uhlans, avec sa peau de mouton noir, recouverte de drap bleu, et ce fouet à tresse diaboliquement compliquée dont il encourageait son postillon, il l’aurait certainement remarquée, cette sorcière, car pas une au monde n’échappe à l’œil du susdit assesseur. Il sait sur le bout du doigt à combien de gorets se monte la portée de la truie chez telle ou telle bonne femme, combien de pièces de toile logent dans le coffre de chaque paysanne, quelles parties de sa garde-robe ou quels instruments aratoires exactement un brave homme a mis en gage le dimanche à l’auberge. Mais l’assesseur de Sorochinietz n’était point de passage ; pourquoi d’ailleurs aurait-il fourré le nez dans le secteur d’autrui ? Il avait bien assez de chats à fouetter dans son propre canton. Pendant ce temps, la sorcière poursuivait son ascension, à une telle hauteur qu’elle n’apparaissait plus que comme une tache minuscule, aperçue par éclipses, tout au fond des cieux. Mais à quelque endroit que se montrât cette tache infime, les étoiles se décrochaient de la voûte, et bientôt la sorcière en eut plein sa manche. Il n’y en avait plus que trois ou quatre dans le ciel. Et soudain, du côté opposé, surgit une seconde tache exiguë, qui grandit, s’étala, et cessa d’être une tache de rien. Même en chaussant son nez de roues empruntées, en guise de lunettes, à la calèche du commissaire, un myope n’aurait pu distinguer au juste ce que c’était.


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Une terrible vengeance

Titre original: Страшная месть. Vers 1832 environ, 40 pages.  

Peut se lire ici.

Fantastique ou d'horreur, gothique assurément.
Je ne vais pas tourner autour du pot, il s'agit d'éviter l'écueil nouvelle dramatique, lourde = profonde, par opposition à nouvelle légère, enlevée, comique = superficielle.
Celle-ci est réellement dramatique, poignante et profonde, réellement exceptionnelle !

Gogol a sans doute encore dû puiser quelque part dans le tréfonds des traditions orales populaires (je ne vais pas aller vérifier), mais là il a extirpé une nouvelle, très allégorique, écrite magistralement, comme gravée dans l'airain à l'antique.

Les rêves (sublimes passages), la magie démoniaque, l'allégorie montagnarde et les trépassés, le personnage qui glace d'effroi les invités à une noce et finit par ruiner le mariage de sa fille, le Dniepr, les maisons de maître, le Mal dissimulé...
Quelle puissance !


Un peu après Kiev, on vit apparaître un prodige inouï: les gentilshommes et les hetmans venaient tous le contempler. Soudain l'horizon s'était élargi à l'infini aux quatre coins de la terre. Au loin, on apercevait les flots bleus du Liman; au-delà du Liman s'étendait la mer Noire; ceux qui avaient roulé leur bosse reconnurent même la Crimée, montagne émergeant de la mer, ainsi que le Sivach marécageux. À gauche on apercevait la Galicie.
"Et cela, qu'est-ce que c'est ? demandait la foule assemblée aux vieilles gens, en montrant des sommets gris et blancs qui se dessinaient au loin dans le ciel et qui ressemblaient plutôt à des nuages.
- Ce sont les monts Carpathes, disaient les vieilles gens: on trouve là des montagnes où la neige ne fond jamais, et où les nuages vont se poser pour la nuit".
À ce moment, un nouveau miracle se produisit: les nuages découvrirent la plus haute montagne, et sur son sommet apparut, dans son armement de paladin, un homme à cheval qui gardait les yeux clos, et qui se voyait aussi distinctement que s'il avait été tout près.
Alors, au milieu de la foule saisie d'étonnement et de terreur, un homme bondit à cheval et, regardant autour de lui avec des yeux hagards comme s'il cherchait à voir s'il n'était pas poursuivi, éperonna hâtivement sa monture et s'élança à bride abattue. C'était le sorcier.

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Ivan Fiodorovitch Chponka et sa tante

Titre original: Иван Федорович Чпонка и его тетя. Pas trouvé de date d'écriture, 25 pages.

Nouvelle légère, comique, assortie de splendides tableaux campagnards (comme ci-dessous) et aussi de familles de maîtres agricoles croquées avec maestria.
Ivan Fiodorovitch Chponka, homme sérieux, posé, assez solitaire, quitte l'armée arrivé à un grade d'officier pour venir prendre possession de son petit -mais prospère- domaine, tenu par sa tante, un personnage haut en couleur...

La carriole s'engagea sur la digue, et Ivan Fiodorovitch vit, toujours la même, la vieille maisonnette au toit de roseaux; toujours les mêmes, les pommiers et les cerisiers sur lesquels il grimpait jadis en cachette. À peine était-il entré dans la cour que des chiens de toutes sortes, bruns, noirs, gris, pies, accoururent de tous côtés. Quelques-uns se jetaient en aboyant sous les pieds des chevaux, d'autres, ayant remarqué que l'axe des roues était graissé avec du saindoux, couraient derrière la carriole; un chien se tenait près de la cuisine et, la patte posée sur un os, hurlait à plein gosier; un autre aboyait de loin et courait çà et là en remuant la queue, avec l'air de dire:"Regardez, bonnes gens, quel brillant jeune homme je fais !". Des gamins en chemises crasseuses accourraient pour voir le spectacle. Une truie, qui déambulait à travers la cour avec ses treize gorets, leva le groin d'un air interrogateur, et grogna plus fort que d'habitude. Dans la cour, on voyait s'étaler par terre quantité de bâches couvertes de froment, de millet et d'orge qui séchaient au soleil. Sur le toit également on faisait sécher beaucoup d'herbes de toutes sortes: chicorée sauvage, piloselle et autres.



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Le Terrain ensorcelé

Titre original: Заколдованная земля . Pas trouvé de date d'écriture, 8 pages.

Très bref, cela renforce l'aspect "bonnes histoires" à se raconter en petit comité.
Donne dans le registre de la farce, du loufoque pimenté de sorcellerie ou de diablerie, conférant tout de suite une dimension de l'ordre du fantastique.

Le personnage principal est un paysan, grand-père, qui cultive une melonnière dont il vend la récolte aux rouliers de passage.
Mais des phénomènes étranges surviennent, pris par ceux-ci, le paysan croit avoir trouvé un trésor...

Le lendemain, dès qu'il commença à faire nuit dans les champs, le grand-père mis sa casaque, noua sa ceinture, prit une bêche et une pelle sous le bras, se coiffa de son bonnet, vida un cruchon de kvas, s'essuya les lèvres avec un pan de son vêtement, et marcha tout droit vers le potager du pope. Voilà qu'il a dépassé la clôture et le petit bois de chênes. Entre les arbres serpente un petit chemin qui mène dans les champs; c'est bien le même endroit, dirait-on: voilà justement le pigeonnier; mais d'aire à battre - point. "Non, ce n'est pas l'endroit. Ça doit être un peu plus loin; il faut sans doute tourner du côté de l'aire". Il rebroussa chemin, prit une autre direction: on voyait bien l'aire, mais pas le pigeonnier ! Il revint pour s'approcher du pigeonnier - et voilà l'aire qui disparaît. Comme par hasard, la pluie se met à tomber. Il courut de nouveau vers l'aire; le pigeonnier n'était plus là; vers le pigeonnier, et c'est au tour de l'aire de disparaître.  



mots-clés : #contemythe #nouvelle #xixesiecle
par Aventin
le Mer 20 Fév - 21:15
 
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Sujet: Nicolas Gogol
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Gottfried Keller

Henri le vert

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Henri_le_Vert

Comme au fond pour tous romans, résumer Henri le vert dans les grandes lignes revient à en masquer les qualités. Mais le « Bildungsroman » (Roman de formation) genre auquel il appartient, semble déjà l’inscrire dans une sorte de programme, et certes on suit bien l’évolution du peintre de sa naissance jusqu’à sa maturité, avec ses phases familières et bien distinctes entre elles : l’enfance, l’école, puis la jeunesse et les premiers idéaux, les premières amours puis l’indépendance, l’apprentissage du métier. Mais bien loin de n'être qu'une structure, la "formation", c'est ce qu'on raconte (le mot français rend pas bien). La narration restitue les retranchements ― psychologiques ou philosophiques ― dans le temps du récit, ses doutes et préjugés et la manière dont ils font achopper sa réflexion, la manière dont ils se dissipent quand ils sont confrontés à l’expérience.

Henri Lee est parfois exaspérant, il impressionne néanmoins le lecteur par l'acuité de son regard sur les choses : Keller le rend admirablement dans des descriptions très vivantes de la nature, puis comment celle-ci se réalise dans sa peinture. Cette formation devient nettement plus passionnante quand elle touche au métier. Sans doute le fait que Gottfried Keller se soit essayé à la peinture (sans succès) n'est pas étranger à cela. Il n'y a pas trop de termes techniques pour perdre un lecteur non-initié, seulement, il n'y a que l'avis  des autres personnages, ignares ou experts, pour nous faire comprendre quand Henri Lee a du génie et quand il n'en a pas.

Le roman n'est pas uniquement centré sur son personnage, on y dépeint un pays dans son époque (1830, 1840) ; avec comme l'a justement souligné Sebald (grand admirateur de Keller) les mouvements sociaux et politiques en fond : des aspirations démocratiques ou républicaines étouffées par le carriérisme ou le corporatisme, les mouvements de migrations à travers le pays ou le monde (quand on revient d'Amérique...). Quand on nous parle d'un livre à la jonction du réalisme et du romantisme, on fait peut-être référence aux histoires étranges ou aux rêves qui nourrissent le roman de Gottfried Keller, lui donnant une dimension poétique qui côtoie doucement l'élégie.


mots-clés : #creationartistique #initiatique #nature #xixesiecle
par Dreep
le Mar 19 Fév - 19:40
 
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Sujet: Gottfried Keller
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Isabel Colegate

La partie de chasse

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 10

C’est le roman de la fin d’une époque. Octobre 1913, Sir Reynald organise une de ses légendaires parties de chasse, qui réunit les meilleurs fusils d’Angleterre, dans un huis clos d’une journée fort peuplée : par les chasseurs, leurs épouses et enfants, les domestiques, gardes-chasse, rabatteurs qui tous ont œuvré pour le succès de cette journée au détriment de centaines de gibiers traqués et assassinés sans vergogne.

Isabelle Colgate réussit une description très subtile et qui ne manque pas d’humour. Derrière l’apparat, les convenances, les mondanités, la bonne morale, elle va gratter pour dévoiler les faiblesses, les états d’âme, les petites et grosses incertitudes, les intrigues. Car aussi détestable soit toute cette clique aristocrate, on découvre malgré tout derrière  des sensibilités, des interrogations, dans cette période « fin de siècle » qui va jeter tout le monde, petits et grands, dans le désastre.

Outre qu’on apprend beaucoup sur cette pratique pour le moins dérangeante qu’est la partie de chasse, c’est une belle observation d’une société victorienne qui agonisa, mais joue à se très bien porter. Les points de vue sautent de l’un à l’autre, et c’est habilement construit, dans une légèreté,  qui certes, n’est qu’apparente, pour mieux dénoncer l’impudence et l’aveuglement.


mots-clés : #social #xixesiecle
par topocl
le Jeu 14 Fév - 9:51
 
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Ivan Sergueïevitch Tourgueniev

L'Abandonnée
(NB: parfois intitulée L'Infortunée)
Date de parution 1869

Suivi de:

Jacques Passinkov
Date de parution 1856

Et de:

Andreï Kolosov
Date de parution 1844

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 L_aban10



L'éditeur n'a pas rassemblé ces trois nouvelles tout à fait au hasard il me semble, bien que parues sur vingt-cinq ans, elles ont des correspondances, des points communs.

En préface, l'écrivain et critique littéraire Edmond Jaloux souligne que "chez Tourgueniev l'unité était grande entre l'homme et l'écrivain", ajoutant un peu plus loin, avec audace si ce n'est avec témérité:
"Je crois que Tourgueniev avait très peu d'imagination. Tout ce qu'il a écrit, il l'a certainement vu; (...)"  

J'aime à croire que ce recueil constitue un petit échantillonnage représentatif œuvre-vie...

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L'Abandonnée

Nouvelle (?) à mon avis plutôt court roman, puisque ça "pèse" tout de même ses 185 pages.
Moscou, 1835. Une amitié naît entre deux étudiants, sages jeunes hommes de bonne éducation, de familles aisées.
L'un est le narrateur, Pierre Gavrilovith, l'autre se nomme Alexandre Davidovitch Fustov.
De bon matin, le narrateur est chez son ami Fustov quand fait irruption un certain Ivan Demïanitch Ratsch, la cinquantaine, physique désavantageux, professeur à peu près universel, Tchèque d'origine, germanophone.

Quelques jours après, les deux amis s'en vont chez ce monsieur Ratsch, ce dernier et Alexandre Davidovitch interprètent un peu de musique, Suzanne, fille de Ratsch, fait une apparition et détonne du reste de la nombreuse famille de Ratsch:
La nature essentiellement aristocratique de celle-ci trahissait par mille symptômes je ne sais quelle mélancolie inquiète


Peu de temps après, le fils cadet de Ratsch, Victor, tendance mauvais garçon, joueur, bambocheur et poches-percées, croise la route de nos deux amis.

Il conte à Alexandre Davidovitch on ne sait quelle histoire, se dernier s'enfuit avec précipitation à la campagne. Suzanne paraît, désespérée, à une heure très tardive chez Pierre Gavrilovith, semblant au comble du malheur. Après une scène tout en attitudes sans postures et demi-mots, où elle enjoint Pierre Gavrilovith d'écrire à Alexandre Davidovitch en urgence, elle disparaît dans la nuit glacée et tempétueuse, après avoir remis à Pierre Gavrilovith un cahier...

Le "je" narratif passe à alors à Suzanne, et le procédé littéraire est assez bien troussé, c'est stylistiquement une réussite. Nous entrons alors dans le cœur de la nouvelle (ou roman), ne dévoilons pas...

Ce "je" narratif reviendra au final à Pierre Gavrilovith pour ce qui est, vous l'aurez deviné, un drame.  

Quelques, sinon longueurs, du moins temps faibles peut-être, mon ressenti est que 185 pages, on peut douter que ce soit la distance de prédilection de l'auteur: aussi peuplé de personnages qu'un roman plus long, certains sont restés à l'état esquissé (Michel, le "jeune premier") d'autres à peine crayonnés (la mère de Suzanne) alors que la "matière" promettait...

Tourgueniev joue beaucoup de l'extranéité afin d'obtenir du relief dans les caractères, et aussi dans les relations entre les caractères (remarque valable aussi pour les deux nouvelles ci-dessous), le résultat est plaisant, c'est vraiment réussi.

On peut se demander, dans cet ordre d'idée, si ce que je viens de qualifier de temps faibles ou longueurs n'appartient pas à un même procédé, qui consiste à mettre les faits saillants bien en relief, entourés d'étendues de texte plus aplaties: que le candidat à la lecture de L'Abandonnée soit rassuré, il s'agit d'assez brèves, somme toutes, sautes de rythme -à l'échelle de la nouvelle- que d'intempestives  tartines de remplissage !

Il s'ajoute aujourd'hui et ici ce quasi-exotisme, sociétal, temporal et de mœurs, de la Russie des années 1830, nécessairement imprévu lors de la parution:
L'intérêt en est accru, là où d'autres ouvrages, peut-être portés par un moindre talent, seraient ( et sont, sans nul doute) tombés en désuétude.


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Jacques Passinkov

Une amitié entre deux jeunes hommes toujours, épris de la même jeune fille, qui ouvrira son cœur à un troisième.

La nouvelle commence à Pétersbourg, l'hiver, "le premier jour du carnaval". Le narrateur dîne chez un ami, en compagnie d'un certain Constantin Alexandrovitch Assonov, d'un "petit monsieur aux cheveux blonds, un de ces éternels convives, comme il y en a tant à Pétersbourg, qu'on n'invite jamais et qu'on rencontre partout" , remplaçant au pied levé "un écrivain qui jouissait alors d'une certaine célébrité" (évocation de Lermontov  -cité dans la nouvelle- ?).

Assanov, après boire, se vante d'avoir un oncle éminent en ce sens qu'il est aimé d'une de ses filles, et jette, fanfaron, sur la table une collection de lettres de cette jeune fille: il se trouve que le narrateur la connaît d'autant mieux qu'il croyait, jusqu'à cet instant, en être aimé...

Quant au troisième, Jacques Ivanitch Passinkov, c'est sur son lit de mort qu'il révèlera au narrateur cet amour pour Sophie, la jeune fille en question, amour jamais déclaré, tenu hermétiquement secret...

Cette excellente nouvelle évite tous les écueils du mélo-pathos, ce qui constitue une gageure vu le thème, et permet une évocation, qu'on devine bienveillante et tendre mais sans réelle complaisance, du Romantisme via le personnage de Passinkov.  

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Andreï Kolosov

Celle des trois nouvelles dont le narrateur est le moins identifiable à Tourgueniev lui-même.

Cela commence par:
"Dans un petit salon meublé assez joliment, quelques jeunes gens se trouvaient assis autour de la cheminée. La soirée -une soirée d'hiver- commençait à peine; le samovar bouillait sur la table; (...)"
Intervient un homme petit, pâle, lassé des conversations, qui propose que chaque convive décrive une personne remarquable qu'il a rencontrée.

Le narrateur, qui le restera jusqu'au terme de la nouvelle, raconte alors son amitié pour un certain Andreï Kolosov, amitié qu'il a recherchée, puis le fait de tomber amoureux de la bonne amie de ce dernier, dès que celui-ci eut rompu, mais...

On ne voit pas très bien excepté un trait ou deux, surlignés d'abondance au reste, ce qu'il y a de remarquable en Kolosov: nouvelle qui détonne un peu, en-deça des deux précédentes, du moins est-ce mon ressenti.


mots-clés : #nouvelle #xixesiecle
par Aventin
le Lun 7 Jan - 17:53
 
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Sujet: Ivan Sergueïevitch Tourgueniev
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Fédor Dostoïevski

Le Bourg de Stépantchikovo et sa population

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Dosto10

Titre original: Степанчиково и его обитатели (Selo Stépantchikovo i iévla obitatli).
Sous-titré: Extrait des carnets d'un inconnu.
Roman, publié en 1859, 370 pages environ.

C'est un des premiers écrits parus après ses dix années de bagne, concrètement le second roman post-Sibérie, après Le Rêve de l'Oncle. Comme Le Rêve de l'Oncle, c'est une comédie.

Le narrateur, Sergueï, en général désigné par le diminutif affectueux Serioja, étudiant de 22 ans, est convié par son oncle propriétaire terrien à l'époque du servage (c'est-à-dire "gens et biens"), un certain Iégor Illitch Rostanev, lequel est colonel et fortuné, à se rendre au plus vite à sa propriété de Stépantchikovo.
Cette demande est faite par une lettre un peu confuse, où transparaît l'urgence, dans laquelle l'oncle laisse entrevoir au neveu (le neveu n'a que l'oncle comme famille) l'obligation d'épouser une jeune gouvernante qui est à son service.

Peu avant Stépantchikovo, il rencontre chez un forgeron un familier de la maison de son oncle, Stépane Alexéïtch, qui lui dépeint les gens vivant sous le toit familial comme possédés par un certain Foma Fomitch, qui règne là-bas sans partage, et fait la pluie et le beau temps sous la protection de la Générale, la mère de l'oncle Iégor Illitch.

En effet, après un conciliabule avec son oncle, le jeune homme rate son entrée dans cet "asile d'aliénés" (c'est l'impression qu'il en a), en se prenant les pieds dans le tapis du salon, salon peuplé comme il se doit ce jour-là d'yeux non désintéressés guettant son arrivée...

Il y a une grande théâtralité dans ce Dostoievski-là.
C'est assez enlevé, drôle mais grinçant, douloureux par séquence.
Foma Fomitch est un caractère de manipulateur intéressé, type Tartuffe de Molière, pervers narcissique, pas très loin par instants de Thierry Tilly dans la vraie vie (vous savez, l'affaire dite des Reclus de Monflanquin), mais peut-être d'une moindre dangerosité que ce dernier spécimen.

Son emprise est totale, et il foule, rejette, ridiculise ou assouvit ceux qui le rejettent (au nombre desquels se comptera Sergueï).
(NB: Toujours à propos des Reclus de Monflanquin, j'ai lu que l'avocat des victimes, Me Daniel Picotin, ferraille toujours pour que le délit d'emprise soit juridiquement reconnu).

Iégor Illitch est riche, maladivement pusillanime et soucieux au plus haut point d'une tranquillité, disons même d'une harmonie dans les relations humaines, Foma Fomitch tient là une victime idéale...

Mais, c'est une comédie et non un drame, quelques amours, quelques plans plus ou moins pitoyables échafaudés, quelques pantalonnades pimentées d'un zeste de grandiloquence et d'affectation (du moins à nos yeux d'aujourd'hui -et d'ici- pour ces deux derniers qualificatifs), quelques imprévus et autre improbabilités rendent le livre d'un parcours fort agréable.  
 
Et puis il y a...

Cette façon de Dostoievski de fouiller au scalpel les âmes, d'exacerber les caractères, une manière d'aller au bout du travail d'écrivain lorsqu'un personnage est sorti de sa plume.
C'est un roman fort peuplé de personnages, Dostoievski excelle, comme toujours direz-vous, à d'abord le peindre en trois ou quatre traits efficaces, à bien le marquer dans l'esprit du lecteur, et ensuite à en tirer le maximum.

Et puis il y a...

Cette lave d'écriture parfois, ces élans d'encre bouillante, toujours contenus, dont les exemples les plus vifs qui me restent en tête proviennent de Souvenirs de la maison des morts, et qui font qu'une fois Le Bourg de Stépantchikovo... refermé, je me dis, comme ça, que mes lectures de L'Idiot comme des Frères Karamazov, lectures que j'avais reçues de plein fouet en fin de lycée (oui, je sais, ça remonte !) mériteraient d'être effectuées de nouveau...


mots-clés : #humour #psychologique #xixesiecle
par Aventin
le Lun 31 Déc - 18:29
 
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Sujet: Fédor Dostoïevski
Réponses: 80
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Leopoldo Alas dit Clarín

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 97822110

La Régente

Voilà un livre que j’ai lu tout à fait par hasard : je l’ai aperçu en regardant les rayons d’une bouquinerie. Je ne connaissais même pas l’auteur de nom. J’avais trouvé quelque part un autre livre assez étrange, très intriguant, dans cette même édition Fayard, et c’est ce qui m’a fait tilter sur La Régente ― je dois dire que je trouve ces bouquins affreux, mais il s’agit ici d’aller au-delà des apparences ― qui était un autre livre absolument inconnu. C’était L’Ile du second visage d’Albert Vigoleis Thelen. Mais je veux parler ici du livre de Leopoldo Alas, connu sous le nom de Clarín. Il était par ailleurs un journaliste et critique très actif à son époque. On a l’idée en examinant ce livre d’un peu plus près, d’un écrivain très au fait de la littérature contemporaine (surtout française et espagnole) et des idées modernes, et qui souhaite y apporter une réponse originale.

Sur La Déshéritée de Benito Pérez Galdós publié en 1881 (soit quatre ans avant que La Régente soit entièrement publié), Clarín écrit :

Clarín a écrit:Un autre procédé employé par Galdós […] est celui déjà employé par Flaubert et Zola, avec des résultats si impressionnants : remplacer les observations sur la situation d’un personnage, faites fréquemment par l’auteur au moyen de sa propre voix, par l’observation du personnage lui-même et avec son propre style, mais non sous forme de monologue, mais comme si l’auteur était à l’intérieur de celui-ci.


Avec sa Régente, Clarín donne à lire un roman dont la narration multiplie ses formes, descriptive ou ironique, s’immisçant dans les pensées des personnages, dans leurs souvenirs, dans leurs stratégies ou leurs élucubrations. Le roman a quelque-chose de théâtral et même de musical, on aimerait bien voir les monologues s’interpréter, et voir quelques-unes de ses scènes se jouer. On dirait que tout Vetusta ― pendant fictif d’Oviedo, où l’intrigue du roman se déroule ― semble faire chorus aux incidents du récit, pour exprimer sa désapprobation. Dans un village, tout se sait, et La Régente (notre personnage) a une certaine notoriété. Par moments la narration nous laisse aussi imaginer la ville imaginaire dans son architecture, dans sa mentalité ambiante ainsi que son atmosphère météorologique : quelques passages où Clarín parle de l’humidité qui plombe les personnages ou les rendent malades, ou bien dans des moments apaisés, la lumière, les arbres et les feuillages de Vivero.

Tout le roman est en quelque sorte le portrait de Vetusta, en contraste avec tous ces efforts de modernité littéraire, cette ville porte bien son nom. Vétuste, figée et dans le passé et l’hypocrisie des traditions. Vetustain n’est pas seulement le nom de ses habitants, mais aussi le qualificatif d’un certain état d’esprit. Les personnages sont tous victimes (ou bourreau), des ragots des uns envers les autres, des médisances, ou des assiduités érotiques d’intrigantes ou de vicieux, à moins d’en être exclu par disgrâce. Par ailleurs il faut croire et respecter dieu (l'athéisme est "accepté" pourvu qu'il ne fasse pas trop de vagues), mais pas trop, c'est-à-dire ne pas l'adorer. Dans la même logique, on ne laisse pas trop voir qu’on est débauché. Tout ce qui sort de ce bon ton est stigmatisé, a-t-on un mot un français, pour désigner tout cela simplement ?

Clarín a écrit:Rien de plus ridicule à Vetusta que le romantisme. Et l’on appelait romantique tout ce qui n’était ni vulgaire, ni grossier, ni commun, ni routinier. Visita était le pape de ce dogme antiromantique. Regarder la lune pendant plus d’une demi-minute était pur romantisme ; contempler en silence le coucher du soleil… idem ; respirer avec délices l’air embaumé de la campagne à l’heure où soufflait la brise… idem ; parler des étoiles… idem ; saisir une expression d’amour dans un regard, sans qu’il fût besoin de rien dire… idem ; s’apitoyer sur les enfants pauvres… idem ; manger peu… Oh ! C’était le comble du romantisme.


Ana Ozores, la fameuse régente, s’inscrit donc en faux de cette tendance qui l’a répugne en son for intérieur ― elle est très loin, hélas, de manifester un engagement quelconque ― elle reste attachée à une vie de l’esprit qui se convertit suite aux circonstances et aux influences, en une piété vertueuse voire bigote. C’est que Don Fermín de Pas, un chanoine aussi nommé Le Magistral, avide d’influence sur les autres et habile dans l’expression cherche à la garder dans le giron de l’Eglise puis à la séduire physiquement. Il a pour adversaire un Don Juan plutôt matérialiste ― mais un matérialisme fort peu intellectuel ―, Don Alvaro Mesía. Les deux découvrent qu’ils sont amoureux.

On voit Ana balancer entre une forme de transcendance ― qui n’a rien de naïf, mais qui n’a ni le temps ni la possibilité de se développer de manière autonome ― et une attirance inavouée pour l’amour physique. L’origine de cette irrésolution entre deux penchants que Ana n’arrive pas à concilier est en quelque sorte raconté par elle-même, toujours dans un style indirect libre qui fait la spécificité du roman : elle se rappelle d’une escapade ― finalement tout à fait innocente ― avec un garçon. Une culpabilité toujours sous-jacente est née du scandale et des reproches que cela a causés. A la suite de cela, elle se promet une vie dénué de l’élément masculin, mais on lui impose vite un mari (le personnage au demeurant le plus drôle et le plus touchant du roman, un ornithophile créateur de machines vivant dans le monde de Calderón). Les souvenirs lumineux de ses premières lectures, la manière dont celles-ci résonnaient en elle, a favorisé en contrepoint une ferveur que son libidineux confesseur appelle panthéisme. Avec tous ces éléments, je n’ai pu m’empêcher de repenser à Anne-Marie, le personnage des Deux Etendards. La comparaison n’est pas à l’avantage d’Ana Ozores ― il est vrai qu’on est un demi-siècle plus tôt ― mais avec toutes ces promesses on aimerait la voir moins vulnérable, plus dégourdie.

Clarín a écrit:Pendant ces nuits-là, Ana fit des rêves horribles […] Une nuit, La Régente reconnut dans ce souterrain les catacombes, d’après les descriptions romantiques de Chateaubriand et de Wiseman ; mais au lieu de vierges vêtues de blanches tuniques, elle voyait errer, dans ces galeries humides, étroites et basses, des larves dégoûtantes, décharnées, revêtues de chasubles d’or, de chapes et de manteaux de prêtres qui, au contact, étaient comme des ailes de chauves-souris. Ana courait, courait à perdre haleine sans pouvoir avancer, à la recherche de l’ouverture étroite, préférant y déchirer ses chairs plutôt que de supporter la puanteur et le contact de ces masques repoussants ; mais quand elle parvenait à la sortie, les uns lui demandaient des baisers, les autres de l’or, et elle cachait son visage en distribuant des monnaies d’argent et de cuivre, tandis qu’elle entendait chanter des requiems sardoniques et que son visage était éclaboussé par l’eau sale des goupillon qui s’abreuvaient dans les flaques.


Le livre est épais, oui, mais les pages sont épaisses. On dirait que Fayard cherche à canaliser ses textes fleuves dans de longues lignes et de grandes pages... un monde se referme lorsqu'on a terminé le livre. Mais qu'on se rassure, la bêtise, comme l'a dit l'autre, est infinie.


mots-clés : #psychologique #religion #romanchoral #xixesiecle
par Dreep
le Ven 30 Nov - 12:47
 
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Sujet: Leopoldo Alas dit Clarín
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Hjalmar Söderberg

Egarements

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 41pnej10


Originale: Sförvillelser (Suèdois, 1895)

CONTENU :
Viviane Hamy a écrit:Printemps à Stockholm. La nature renaît, reprend peu à peu ses droits sur l'hiver et les rues grouillent de monde. Thomas Weber vient d'obtenir sa licence en médecine. N'exerçant encore aucune activité sérieuse, il flâne par les rues du centre-ville et non loin du port, prêt à se jeter dans l'aventure au grès des rencontres fortuites. Un seul but occupe son esprit : dépenser au plus vite l'argent que son père lui a offert en récompense de son succès universitaire. Son premier achat sera une élégante paire de gants rouges ; d'ailleurs la vendeuse, au cou gracile et à l'épaisse chevelure, va vite hanter sa rêverie.

Égarements est un roman de la sensation, d'une belle mélancolie, sur les soubresauts de la jeunesse et l'entrée dans l'âge adulte. À sa parution, en 1895, il provoque un scandale, car jugé indécent et pornographique ; depuis, il est devenu un classique de la littérature scandinave.


REMARQUES :
Le livre parle en quinze chapitres d’environ une dizaine de mois et parle de son « anti-héros » Tomas Weber. Juste à vingt ans il a obtenu sa licence en médecine et pour cela reçu une bonne somme rondelette de son père. Dans le milieu décadent de la ville cet argent est vite dépensé. Il bascule entre son amour de « toujours », Märta, laquelle il aimerait probablement marier à longue terme. Et de l’autre coté son amour, désir pour la jeune Ellen, timide. Est-ce qu’elle ne pourrait pas être un terrain pas dangereux pour « certaines expériences » ? Mais la pendule va une fois ici, une fois là-bas, pas possible de suivre ses inclinations actuelles. Une fois il s’occupe de celle-ci, puis il préfère celle-là. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez Tomas ? Pas de miracle qu’il ne pourra pas écrire crédiblement une thèse pour sa sœur sur le « Saint Sacrement ». Cela n’étonne que sa sœur. Mais avec tout cela ce roman ne provoque plus un tel émoi aujourd’hui (comme à sa parution où on a accusé Söderberg de pronographie etc). Ou bien…?

Alors je me disais déjà : A quoi bon, ce théâtre auquel fait penser l’apparition de différents personnages au début du roman. Mais oui : qui connaît Stockholm va prendre goût de reconnaître des rues, des places connus, comme toujours chez l’auteur partie intégrale des promenades et flâneries. Et aussi quelques bons mots. Et puis ? Est-ce que c’est tout ?

Ah, le roman commençait à provoquer mon vrai intérêt à partir assez exactement le milieu : Les dettes s’accroissent, les femmes commencent à résister, et des doutes existentiels apparaissent. D’un coup une sorte de mise en question de soi-même surgit, une forme de pessimisme mélancolique : Est-ce que je vais l’éviter, me filer dans la route fréquentée, et préférer les mensonges de la vie ? Là le roman me rappelait d’une littérature existentielle que j’associe avec des temps bien plus tardifs, je veux dire plus proche de nous (selon mes connaissances). Y est lié une tristesse de type nordique. Tout cela me faisait m’intéresser au roman.



« … et le voilà tout seul, comme un naufragé sur un radeau à la dérive. »

Parfois je me dis que cette décadence apparaît alors aussi dans une autre lumière comme si Söderberg n’était pas juste un exalté, jubilant, mais un peintre un peu défaitiste d’êtres humains en fin de compte perdus et solitaires.


mots-clés : #amour #lieu #portrait #sexualité #xixesiecle
par tom léo
le Dim 25 Nov - 14:46
 
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Sujet: Hjalmar Söderberg
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André Gide

Voyage au Congo suivi de Le Retour du Tchad (suite)

Mine de rien, ça me rappelle quelque chose de plus actuel :
« Qu’est-ce que ces Grandes Compagnies, en échange, ont fait pour le pays ? Rien [Note : Elles n’ont même pas payé leurs redevances à l’État. Il a fallu l’huissier et l’énergie du Gouverneur Général actuel pour faire rentrer un million d’arriéré.]. Les concessions furent accordées dans l’espoir que les Compagnies "feraient valoir" le pays. Elles l’ont exploité, ce qui n’est pas la même chose ; saigné, pressuré comme une orange dont on va bientôt rejeter la peau vide.
"Ils traitent ce pays comme si nous ne devions pas le garder", me disait un Père missionnaire. »

On atteint à l’intemporel :
« Que ces agents des Grandes Compagnies savent donc se faire aimables ! L’administrateur qui ne se défend pas de leur excès de gentillesse, comment, ensuite, prendrait-il parti contre eux ? Comment, ensuite, ne point prêter la main, ou tout au moins fermer les yeux, devant les petites incorrections qu’ils commettent ? Puis devant les grosses exactions ? »

« Mais, tout de même, aller jusqu’à dire : Que deviendraient sans nous les indigènes ? me paraît faire preuve d’un certain manque d’imagination. »

L’articulation de l’opposition entre Administration étatique et bureaucrate et Grandes Concessions, compagnies commerciales capitalistes, entreprises privées uniquement préoccupées de profit, me paraît transposable de nos jours (hors référence coloniale). Il me semble aussi que le distinguo entre les deux aspects de la colonisation est important à faire historiquement (la gouvernementale pourvoyant tant bien que mal, au moins officiellement, aux soins médicaux et à la lutte contre les épidémies, à l’éducation scolaire, au tracé des routes et à la construction du chemin de fer, etc.).
« Un maître indigène stupide, ignare et à peu près fou, fait répéter aux enfants : Il y a quatre points cardinaux : l’est, l’ahouest, le sud et le midi. [Note : Il est vraiment lamentable de voir, dans toute la colonie, des enfants si attentifs, si désireux de s’instruire, aidés si misérablement par de si insuffisants professeurs. Si encore on leur envoyait des livres et des tableaux scolaires appropriés ! Mais que sert d’apprendre aux enfants de ces régions équatoriales que « les poêles à combustion lente sont très dangereux », ainsi que j’entendais faire à Nola, ou que « Nos ancêtres les Gaulois vivaient dans des cavernes ».
Ces malheureux maîtres indigènes font souvent de leur mieux, mais, à Fort-Archambault tout au moins, ne serait-il pas décent d’envoyer un instituteur français, qui parlât correctement notre langue. La plupart des enfants de Fort-Archambault, fréquentant des colons, savent le français mieux que leur maître, et celui-ci n’est capable de leur enseigner que des fautes. Qu’on en juge : voici la lettre qu’il écrit au chef de la circonscription :
« Mon Commendant
J’ai vous prier tres humblement de rendre compte qu’une cheval tres superbement ici pour mon grand frère chef de village sadat qui lui porter moi qui à vendu alors se communique si vous besien sara est je veux même partir chez vous pouvoir mon Commandant est cette cheval Rouge comm Ton cheval afin le hauteur dépasse ton cheval peut être. ».
(Signature illisible).]
»

« Ces agents, qui n’ont jamais mis les pieds aux colonies, modifient à leur gré et selon leur appréciation particulière, les commandes, ne tenant le plus souvent aucun compte des exigences spécifiées. [Note : En cours de route, nous en verrons d’ahurissants exemples : Tel administrateur, (je craindrais de lui faire du tort en le nommant) reçoit trente-deux roues de brouettes, mais ne peut obtenir les axes et les boulons pour les monter. Un autre, (il s’agit d’un poste important) reçoit 50 crémones, mais sans les tringles de métal qui permettraient de se servir de ces crémones ; et, comme il signale l’oubli des tringles, il reçoit un nouvel envoi, aussi important, de crémones, mais toujours pas de tringles. Un troisième administrateur reçoit un coffre-fort démontable ; mais on a oublié d’y joindre les boulons qui permettraient de le monter.] »

« Il ne me suffit pas de me dire, comme l’on fait souvent, que les indigènes étaient plus malheureux encore avant l’occupation des Français. Nous avons assumé des responsabilités envers eux auxquelles nous n’avons pas le droit de nous soustraire. Désormais, une immense plainte m’habite ; je sais des choses dont je ne puis pas prendre mon parti. Quel démon m’a poussé en Afrique ? Qu’allais-je donc chercher dans ce pays ? J’étais tranquille. À présent je sais ; je dois parler. Mais comment se faire écouter ? »

Il y a beaucoup d’éléments apportés à la réflexion sur le racisme (qui pour mener à l’horrible n’est pas toujours aussi simple qu’on voudrait le croire) :
« Je continue de croire, et crois de plus en plus, que la plupart des défauts que l’on entend reprocher continuellement aux domestiques de ce pays, vient surtout de la manière dont on les traite, dont on leur parle. Nous n’avons qu’à nous féliciter des nôtres – à qui nous n’avons jamais parlé qu’avec douceur, à qui nous confions tout, devant qui nous laissons tout traîner et qui se sont montrés jusqu’à présent d’une honnêteté parfaite. Je vais plus loin : c’est devant tous nos porteurs, devant les habitants inconnus des villages, que nous laissons traîner les menus objets les plus tentants pour eux, et dont le vol serait le plus difficilement vérifiable – ce que, certes, nous n’aurions jamais osé faire en France – et rien encore n’a disparu. Il s’établit, entre nos gens et nous, une confiance et une cordialité réciproques, et tous, sans exception aucune, se montrent jusqu’à présent aussi attentionnés pour nous, que nous affectons d’être envers eux. [Note : Ce jugement qui pourrait sembler peu mûri n’a fait que se confirmer par la suite. Et j’avoue ne comprendre pas bien pourquoi les blancs, presque sans exception, tant fonctionnaires que commerçants, et tant hommes que femmes, croient devoir rudoyer leurs domestiques – en paroles tout au moins, et même alors qu’ils se montrent réellement bons envers eux. Je sais une dame, par ailleurs charmante et très douce, qui n’appelle jamais son boy que « tête de brute », sans pourtant jamais lever la main sur lui. Tel est l’usage et : « Vous y viendrez aussi, vous verrez. Attendez seulement un mois. » – Nous avons attendu dix mois, toujours avec les mêmes domestiques, et nous n’y sommes pas venus. Par une heureuse chance, avons-nous été particulièrement bien servis ? Il se peut… Mais je me persuade volontiers que chaque maître a les serviteurs qu’il mérite. Et tout ce que j’en dis n’est point particulier au Congo. Quel est le serviteur de nos pays qui tiendrait à cœur de rester honnête, lorsqu’il entendrait son maître lui dénier toute vertu ? Si j’avais été le boy de M. X… je l’aurais dévalisé le soir même, après l’avoir entendu affirmer que tous les nègres sont fourbes, menteurs et voleurs.
– « Votre boy ne comprend pas le français ? demandai-je un peu inquiet.
– Il le parle admirablement… Pourquoi ?
– Vous ne craignez pas que ce qu’il vous entend dire… ?
– Ça lui apprend que je ne suis pas sa dupe. »
À ce même dîner, j’entendais un autre convive affirmer que toutes les femmes (et il ne s’agissait plus des négresses) ne songent qu’à leur plaisir, aussi longtemps qu’elles peuvent mériter nos hommages, et qu’on n’a jamais vu de dévote sincère avant l’âge de quarante ans.
Ces Messieurs certainement connaissent les indigènes comme ils connaissent les femmes. Il est bien rare que l’expérience nous éclaire. Chacun se sert de tout pour s’encourager dans son sens, et précipite tout dans sa preuve. L’expérience, dit-on… Il n’est pas de préjugé si absurde qui n’y trouve confirmation.
Prodigieusement malléables, les nègres deviennent le plus souvent ce que l’on croit qu’ils sont – ou ce que l’on souhaite, ou que l’on craint qu’ils soient. Je ne jurerais pas que, de nos boys également, l’on n’eût pu faire aisément des coquins. Il suffit de savoir s’y prendre, et le colon est pour cela d’une rare ingéniosité. Tel apprend à son perroquet : « Sors d’ici, sale nègre ! » Tel autre se fâche parce que son boy apporte des bouteilles de vermouth et d’amer lorsque, après le repas, il lui demande des liqueurs : – « Triple idiot, tu ne sais pas encore ce que c’est que des apéritifs !… » On l’engueule parce qu’il croit devoir échauder, avant de s’en servir, la théière de porcelaine dont il se sert pour la première fois ; ne lui a-t-on pas enseigné en effet que l’eau bouillante risque de faire éclater les verres ? Le pauvre boy, qui croyait bien faire, est de nouveau traité d’imbécile devant toute la tablée des blancs.] »

Gide pointe aussi de menus travers qui déroutent l’Occidental en Afrique, comme le sempiternel problème des prix, parfois minorés parce qu'un Blanc est essentiellement le chef à qui tout est dû ‒ mais le plus souvent c'est ce dernier qui marchande, de crainte d’être dupe :
« L’absence de prix des denrées, l’impossibilité de savoir si l’on paye bien, ou trop, ou trop peu, les services rendus, est bien une des plus grandes gênes d’un voyage dans ce pays, où rien n’a de valeur établie, où la langue n’a pas de mot pour le merci, où, etc. »

Je serais curieux de percevoir ce que cet esthète a pu entendre :
« L’invention rythmique et mélodique est prodigieuse – (et comme naïve) mais que dire de l’harmonique ! car c’est ici surtout qu’est ma surprise. Je croyais tous ces chants monophoniques. Et on leur a fait cette réputation, car jamais de « chants à la tierce ou à la sixte ». Mais cette polyphonie par élargissement et écrasement du son, est si désorientante pour nos oreilles septentrionales, que je doute qu’on la puisse noter avec nos moyens graphiques. »

Péripéties exotiques :
« Les pagayeurs, dans la grande cour devant le poste, n’ont guère arrêté de tousser cette nuit. Il ne fait pas très froid ; mais le vent s’est élevé. Le sentiment de leur gêne, dont je suis indirectement responsable, me tient éveillé. Combien je me félicite d’avoir acheté à Fort-Lamy une couverture de laine supplémentaire pour chacun de nos boys. Mais que ces pauvres gens, à côté, soient tous nus, le dos glacé par la bise tandis que le ventre rôtit à la flamme, et n’osent s’abandonner au sommeil de peur de se réveiller à demi-cuits (l’un d’eux nous montrait ce matin la peau de son ventre complètement rissolée et couverte de cloques) après qu’ils ont peiné tout le jour – cela est proprement monstrueux.
Bain dans le Logone, assez loin du poste, sur un banc de sable, en compagnie de deux aigrettes, d’un aigle-pêcheur et de menus vanneaux (?). Ce serait parfait sans la nécessité de garder son casque. Immense bien-être ensuite. »

« Oui, si parfaite que puissent être la méditation et la lecture dans la baleinière, je serai content de quitter celle-ci. Tout allait bien jusqu’à l’hippopotame ; mais depuis que les pagayeurs ont suspendu tout autour de nous ces festons puants, on n’ose plus respirer qu’à peine. »

« Et déjà l’on voit s’avancer vers nous 25 cavaliers d’aspect bizarre, sombre et sobre ; ce n’est que lorsqu’ils sont tout près que l’on comprend qu’ils sont vêtus de cottes de mailles d’acier bruni, coiffés d’un casque que surmonte un très étrange cimier. Les chevaux suent, se cabrent, soulèvent une glorieuse poussière. Puis, virevoltant, nous précèdent. Le rideau qu’ils forment devant nous s’ouvre un demi-kilomètre plus loin pour laisser s’approcher 60 admirables lanciers vêtus et casqués comme pour les croisades, sur des chevaux caparaçonnés, à la Simone Martini. Et presque sitôt après, ceux-ci s’écartent à leur tour, comme romprait une digue, sous la pression d’un flot de 150 cavaliers enturbannés et vêtus à l’arabe, tous portant lance au poing. »

Bref, c’est passionnant, et je ne sais pas comment j’ai pu omettre cette lecture jusque maintenant.




mots-clés : #aventure #colonisation #journal #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Sam 10 Nov - 14:36
 
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Kalman Mikszath

Kálmán Mikszáth
(1847-1910)

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Avt_ka11


Kálmán Mikszáth (16 janvier 1847 - 28 mai 1910) fut un romancier, journaliste et homme politique hongrois.

Mikszáth est né à Szklabonya (aujourd'hui Sklabiná, située en Slovaquie) dans une famille de la petite noblesse hongroise, sous l'empire des Habsbourg. Il fit des études de droit à l'université de Budapest de 1866 à 1869 sans obtenir de diplôme et écrivit pour de nombreux journaux hongrois, dont le journal de Pest.

Ses premières nouvelles décrivaient la vie de paysans et d'artisans; malgré leur faible popularité, s'y manifestait son talent pour forger des anecdotes humoristiques qu'on allait retrouver dans ses oeuvres ultérieures. Nombre de ses romans commentaient la société, parfois d'un ton satirique, et devinrent de plus en plus critiques envers l'aristocratie, et le fardeau que celle-ci, selon Mikszáth, avait donné à la société hongroise.

Mikszáth fut membre du parti libéral hongrois et fut élu en 1887 à l'Assemblée Nationale de Hongrie.


source : Babélio

Ouvrages traduits en français :


- Un étrange mariage
- Le parapluie de Saint-Pierre






Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Miksza10

Kalman Mikszath : Le Parapluie de Saint Pierre. - V. Hamy

Parce qu'un vagabond un peu cinglé dépose un parapluie sur le berceau d'une petite fille, la sauvant ainsi de l'orage, le dit parapluie est élevé bientôt au rang de sainte relique.
Et en tant que telle, il produit plus d'un miracle.
La réalité est évidemment plus prosaïque, mais elle n'intéresse visiblement pas le conteur, dont le plaisir est de se faire plaisir et de le communiquer. Et il a bien raison.
Pari réussi !

Voilà un récit très malin, fait de fausse naïveté, d'allégations mensongères de parfaite mauvaise foi, et que l'auteur se fait un plaisir de rapporter en dégageant sa responsabilité éventuelle. Où l'art de la digression est souverain et parfaitement assumé.
Les portraits très réussis et le sens de l'ellipse, le rythme entrainent forcément l'adhésion.
Surtout ne rien dévoiler les détails du récit pour ne pas frustrer le lecteur.

L'histoire est censée se passer dans la Hongrie du XIXe siècle, en une période de paix, et l'auteur, Kalman Mikszath, (1847-1910) malheureusement circonscrit aux limites de son pays.
Et c'est bien dommage !


mots-clés : #humour #xixesiecle
par bix_229
le Mer 24 Oct - 18:45
 
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Olivier Rolin

Un chasseur de lions


Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 51assj10

Retour à l’auto-tutoiement, une variation du « je » à la Carrère, et pour le coup ça m’a plutôt déplu. Cette lecture n’aurait pas supporté la proximité avec celle de Flannery O’Connor ? est-elle trop proche de mes propres penchants pervers ?
Il m’a paru que tout y sonne faux, l’humour désinvolte, le badin étalage de culture et d’anecdotes historiques (tant qu'à faire, Rolin aurait pu citer Leiris à propos de l’Olympia de Manet, et Jean Raspail à propos des Patagonie et Terre de Feu…), la raillerie sans empathie pour son personnage d’élection, les allusions à sa vie "privée" (sous-entendus coquins) sans autre rapport avec l’histoire que les lieux (souvent devenus méconnaissables avec le temps), des rapprochements douteux, certains commentaires déplaisants, voire vulgaires, et généralement sans intérêt, bref une sorte de potin mondain où l’auteur aurait ses aises sinon les usages ‒ à moins qu’une fine autobiocritique…
« …] des gloires littéraires ou artistiques pour lesquelles il éprouve une naïve admiration : il sent qu’il y a chez ces esprits-là quelque chose de délié qui lui sera toujours étranger. Sa lourdeur, il lui arrive d’en être conscient, et qu’elle l’embarrasse et l’attriste. »

…voire une incarnation au second degré…
« Des chasseurs de lions, le plus bavard est celui de Javier Tomeo, le plus lamentable est le fameux Tartarin, de Daudet l’enculeur (pourquoi ce livre minable, puérile pochade colportant les plus plats clichés folklorisants et colonialistes, suite de gags téléphonés propres à faire rire des idiots, était-il tenu par l’école laïque et républicaine de ton enfance pour l’introduction nécessaire, avec quelques autres œuvrettes de Daudet, à la littérature française ? »

Bref, la bio d’un Tartarin ami de Manet, occasion de parler de ce dernier et de son époque, ainsi que de vadrouiller sur ses traces, ici à Lima :
« Combien les vulgarités du paganisme catholique te paraissent belles, touchantes, en regard de celles du commerce mondialisé… Vierges rutilantes, Christs sanguinolents, enfants Jésus à la tête hérissée d’aigrettes dorées, saintes poupées couronnées, enjuponnées, au fond de châsses de verre éclairées au néon, comme des poissons exotiques dans un aquarium. »

Le procédé est pourtant prometteur (et s’il n’est pas nouveau, avec des marques de noblesse comme le Ravel d’Echenoz, il devrait y avoir encore de belles réalisations à venir) : l’auteur n’occulte pas sa présence (de toute façon inévitable) dans le récit :
« (Tu te rends au 1, rue du Dôme. Cela fait longtemps que, de ces hauteurs de Chaillot, on ne le voit plus, ce dôme des Invalides qui a donné son nom à la rue, qu’on voit aussi sur le tableau où Berthe a figuré Edma, ou Yves, accoudée au balcon de la rue Franklin, non loin de là, en robe noire, son profil de jolie renarde penché au-dessus des toits de Paris. L’idée a quelque chose de séduisant, d’une rue tirant son nom des lointains qu’on y découvrait, et qui ont désormais disparu derrière la croissance de la ville. On se demande, même, si ça n’a pas quelque chose à voir avec la littérature, ce nom qui parle d’une perspective effacée, qui inscrit une présence abolie. Tout a à voir avec la littérature. »

Les expéditions d’Eugène Pertuiset auraient pu être l’occasion de descriptions dépaysantes (quitte à sortir des tableaux) :
« On atteint des savanes de hautes herbes bleues où on enfonce jusqu’à la poitrine. »

On a quand même quelques scènes, de rixe notamment, surtout celle de la soirée artistique/ bohème à Paris, ainsi que la femme Selknam (qui offre son sein, puis un couvercle de boîte de sardines) :
« Rassurée peu à peu, elle lui manifeste sa gratitude en lui offrant le sein. Le gros bébé ne dirait pas non, mais il est un chef… Comme il refuse poliment, elle lui offre un couvercle de boîte de sardines que les courants, sans doute, ont porté sur les rivages de la Terre de Feu et qu’elle garde avec elle, dans une petite poche d’écorce, comme une chose très précieuse. (Abîmes humains rayonnant autour d’une simple chose ! Merveilleux romanesque endormi dans les modestes objets du monde, attendant d’en être éveillé par le pouvoir magique des mots ! Cette boîte, fabriquée dans une conserverie de Douarnenez, passée de là en Angleterre puis en Inde, embarquée à Calcutta sur un clipper, lichée en douce par un matelot écossais au passage du cap Froward, a été jetée par lui à la mer, vifs éclats dorés que noie le sillage tandis qu’il essuie ses doigts huileux à la toile de son pantalon. Elle lui vaut vingt coups de garcette, car il l’a volée à la cambuse. Le ressentiment qu’il éprouve de cette punition le jette dans une carrière de petit voyou puis, de fil en aiguille, d’assassin. Il monte les marches du gibet à Glasgow vers l’époque où la femme Selknam découvre, sur le rivage de la baie Inutile, une mince lame de fer étamé, courbée comme un copeau, où se devine encore, estompé par le sel, le visage d’une Bretonne en coiffe.) »

En veine de psychanalyse de comptoir, je pointerai ce titillant "surmoi" :
« Voilà ce que veut dire Le Balcon, et que comprend parfaitement le type en cravate bleue, en costume de surmoi, au centre, qui a l’air de ne pas savoir que faire de ses mains. »

Et j’imagine parfaitement le type en cravate rouge, une grande et large qui descend jusqu’à mi-cuisses…

Mais je crois que ce qui m’a vraiment agacé dans ce livre auto-satisfait (et condescendant sinon méchant pour son modèle), c’est le complaisant consensus avec l'opinion commune d'aujourd'hui : on ne s'évade pas, on se congratule en confortant le bon ton contemporain.

mots-clés : #aventure #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Ven 12 Oct - 0:19
 
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Rainer Maria Rilke

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Histoires pragoises

Je suis un peu intimidé pour dire quelques mots sur ce livre : je n'ai fait qu'effleurer pour le moment son œuvre, avec ces deux nouvelles écrites avant Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, avant Les Elégies de Duino, en 1899... on a envie, après avoir lu un tel livre, de parler de ce qu'on ressent spontanément plutôt que de faire la moindre analyse. Rilke recréé la Prague de son époque, où l'antagonisme entre le peuple tchèque et la domination animait les conversations, mais semble laisser tout cela dans un arrière-plan confus et fantomatique. Des images saisissantes s'y superposent, et marquent davantage : des lieux plein de silences ou trop sonores, trop vastes, qui touchent les personnages dans ce qu'ils cachent au plus profond d'eux-mêmes.


mots-clés : #autobiographie #lieu #nouvelle #xixesiecle
par Dreep
le Dim 7 Oct - 16:14
 
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Sujet: Rainer Maria Rilke
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Marie Sizun

La gouvernante suédoise

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A travers des photos de famille, quelques témoignages tronqués et un journal intime censuré, Marie Sizun reconstitue une tranche de son histoire familiale, un secret moyennement gardé qui a fait peser son empreinte sur les générations suivantes. Cela, on le subodore à quelques allusions au fil de son récit, et elle le confirme dans l'épilogue. Au-delà de ce côté intime, le livre se présente comme le sempiternel roman de la petite bourgeoisie, entre la Suède et Meudon, le mari qui trompe la jeune épouse avec la gouvernante, la grossesse cachée et l'enfant en pension, le mystère, les faux secrets, les apparences sauvegardées. Ces gens se dressent un carcan de conventions et de conformisme, ils se refusent le courage de leurs émotions au prix d'une bienséance mortifère.

Marie Sizun fait le choix d'un récit distancié, d'un classicisme quasi glacial, à l'image de ces cœur congelés.Elle gomme l'émotion comme celle-ci se doit d'être gommée au profits du paraître dans la vie de ses protagonistes déchirés par leurs amours socialement inacceptables. Un temps, dans une ambiance un peu sulfureuse, on se  demande si la gouvernante va s'approprier son maître ou sa maîtresse, mais non, le récit retrouve vite cette banalité des amours ancillaires, cette loi du bon vouloir des hommes,  si souvent décrites dans les romans du XIXème siècle. Cet aspect lisse et retenu est assez frustrant, n'aurait-il pas mieux valu assumer le pathétique, faire couler les larmes plutôt que s'en tenir à la petitesse des sentiments bridés par les conventions bourgeoises, à la réserve de cette histoire sagement bien racontée?

Petite pensée pour Carl Larson

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mots-clés : #amitié #conditionfeminine #famille #solitude #xixesiecle
par topocl
le Mer 12 Sep - 20:45
 
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Sujet: Marie Sizun
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Sebastian Barry

Des jours sans fin

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Thomas McNulty a fui la famine de son Irlande natale tout juste adolescent. Avec la terre nouvelle de l'Amérique, incarnation de son espoir de renouveau,   il va découvrir, en compagnie de John Cole, son "galant", un mode de vie qu'il va servir avec une constante loyauté -qui n'empêche pas les remises en question. Ce monde naissant, où il s'engage en tant que Tunique Bleue,  s'appuie sur la conquête de la frontière, l'extermination des bisons et des Indiens, mais aussi  la guerre de Sécession au nom de la liberté de tous. Au fil des années, des épreuves et des moments de bonheur, il cerne mieux cette Amérique, en perpétuelle évolution, ses combats ignobles ou généreux, ses habitants contrastés et ambivalents. il apprend aussi à se connaître lui-même, à prendre soin de la part féminine qui est en lui, qui ne l'empêche en aucun cas de se montrer "viril" au combat.

Thomas McNulty, dans sa naïveté, est un homme sensible et résolu, il raconte avec délicatesse les atermoiements de son âme, les interrogations de son esprit, les battements de son cœur, mais il se montre aussi, quand il est soumis à l'autorité,  dans une cruauté sans ambages, partie prenante  des massacres, des atrocités physiques et morales d'un monde en construction.

C'est un très beau western, avec ce que le western implique de nobles sentiments et de droiture. Mais il est aussi source de réflexion et plein de compassion. Contrairement aux westerns classiques, les femmes n'y sont pas que des potiches et il réfléchit sur l’identité sexuelle dans un monde pas vraiment ouvert sur ce sujet. Il ne réserve pas le beau rôle aux blancs, il dénonce implacablement la cruauté et le génocide. Il s'épanouit dans  la douceur et de la bienveillance de son personnage, plein de l'amour qui le lie à ses attachements, contraint par l'époque et le lieu à une vie de violence, qu'il s'efforce de décrypter.

Les soldats échangent quelques coups d'oeil. Personne aime voir les nombreuses armes étincelantes des Indiens. Des dagues, des pistolets. On a l'impression de rencontrer des bandits. Des types pas honnête. Leurs pères possédaient tout, et ils avaient jamais entendu parler de nous. Maintenant, cent mille Irlandais parcourent cette terre avec des Chinois qui fuient de cruels empereurs, des Hollandais et des Allemands, ainsi que des hommes de l'Est. Qui se déversent sur les chemins en hordes interminables. Chaque visage indien donne l'impression d'avoir été giflé. Plusieurs fois. Et ces têtes sombres nous observent  sous leurs mauvais chapeaux. Des vagabonds. Des hommes défaits. C'est ce que je pense.          

                                                                                                                                   

Je  suis une fois de plus extrêmement touchée par cet auteur, Sebastian Barry, sa pudeur mêlée de lyrisme, son amour de la nature et des hommes, de la part d'humanité qui est en eux, cachée derrière la violence, son respect pour la souffrance de chacun quel qu'il soit. Comment il arrive  à décrypter une certaine bonté derrière le déchaînement. Cet homme est miséricordieux, comme son héros, il parle "avec plus de chagrin que de colère". Il réussit le tour de force de  reconnaître sa valeur et sa dignité au plus obscur des personnages, se nourrissant des ambiguïtés et des ambivalences, sans pour autant pardonner l'impardonnable ou renoncer  à la dénonciation d'une extermination sauvage.

Merci Tom Léo Very Happy !                                    




mots-clés : #aventure #genocide #guerre #historique #identitesexuelle #immigration #xixesiecle
par topocl
le Mar 4 Sep - 14:46
 
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Sujet: Sebastian Barry
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Arthur Schnitzler

Vienne au crépuscule

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Nous sommes dans les salons viennois de la fin du XIXème siècle, les salons où l'on cause, où l'on brille. Toute cette superficialité pare "agréablement" l'écrasante victoire d'une caste arrogante (je m'y suis beaucoup perdue, dans les 150 premières pages, impossible de savoir qui est qui dans cet entrecroisement mondain d'Ehrenberg, de Nurnberger, d'Oberger).

Les juifs, sourire crispé ou rictus effrayé, aveugles ou clairvoyants, mais humiliés toujours, croient encore (pour certains) pouvoir échapper à leur sort par l'assimilation ou le sionisme. Les femmes papillonnent, les jeunes filles attendent le mari, les jeunes hommes, libérés des soucis matériels, écrivent ou composent, voyagent (ah ! Le voyage en Italie !), prennent les femmes comme d'aimables êtres jetables : les utilisent, les échanges, les négligent, les abandonnent…

Bien des façons de se livrer à ce petit jeu : avec la distinction forcenée du jeune Georges von Wergenthin , Monsieur le Baron, avec l'ironie mordante et désespérée  de Nurnberger, avec le désespoir défaitiste et égocentré de Bermann. Tous se cachent derrière leur bons mots, leur haute opinion d'eux-mêmes, leurs hautes aspirations. Quel égoïsme, quelle autosatisfaction (mon dieu, que la vie leur est compliquée!). Ce sont d'infâmes mâles imbus d'eux-mêmes, persuadés de leur bon droit et de leur raffinement.

C'est assez bavard et souvent ennuyeux, et ma lecture fut laborieuse, mais il y aussi de bons moments, et peu à peu s'est dévoilée une réflexion sur la destinée au sein de cette  société infatuée qu'on voudrait agonisante.  Le décorticage méticuleux  de la nature humaine et notamment masculine finit par déclencher un certain dégoût. Ces homme sont des porcs croisés de paons : parés,  artistes et intellectuels, c'est à dire soi-disant pensants et pleins de sensibilité, ils  se délectent dans une perpétuelle introspection déculpabilisante, qu'ils croient raffinée, mais qui est  en fait bornée, condescendante  et  auto-satisfaite.


Mots-clés : #antisémitisme #conditionfeminine #culpabilité #historique #initiatique #lieu #psychologique #xixesiecle
par topocl
le Sam 30 Juin - 16:30
 
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Anatole Le Braz

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Pâques d'Islande

Nous avons dans ce livre quelques nouvelles de cet homme de lettre breton de la deuxième moitié du XIXè siècle. Dans un français vieilli certes mais pas sans charme, il nous plonge dans les fonds sans âges d'une âme bretonne à la superstition bien ancrée. "Ici, j'apprenais le français pour chanter la Bretagne". On pense forcément folklore et "régionalisme" et il y a de ça mais comme tout collecteur de contes il cherche plus que l'image pittoresque d'un monde qu'il soit révolu ou non. Ce qui prime c'est la volonté de partager ce que peut faire vivre ou ce qui vit à travers ces images.

Bretagne de la mer avec la pêche en Islande et un article qui dénonce la condition des mousses et Bretagne de l'intérieur partagent une vie rude emprunte de fatalité ainsi que la proximité des morts. Souvent de façon indirecte, on raconte l'histoire, se découvrent des pratiques religieuses et sociales qui témoignent d'un mélange subtil de pratiques habituelles du culte et d'usages locaux.

L'écriture parfois terne parfois moins et la port morbide de l'affaire n'empêche pas de se plonger avec intérêt dans ce voyage ethnologique et humain qui ne manque pas de nous rappeler que breton ou non avec le temps les usages passent et que si on n'y perd pas toujours peut-être perd-t-on petit à petit dans ce rapport aux ancêtres (amour, respect, crainte, et zeste de ???) une chose qui remonte à "loin".

Les quelques notes biographiques aident à comprendre pourquoi le thème de la mort est si cher à l'auteur qui a vu mourir beaucoup de membres de sa famille et de ses proches.

J'en garderai surtout quelques visions d'un dépouillement grave qui laisse une place à un bonheur de la même veine.

Merci Armor. Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 1252659054

(petite récup').

mots-clés : #documentaire #lieu #nouvelle #social #traditions #viequotidienne #xixesiecle
par animal
le Lun 25 Juin - 21:30
 
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Sujet: Anatole Le Braz
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Aloysius Bertrand

Gaspard de la Nuit
Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Gaspar10
(Six "livres", et des pièces détachées et appendices ajoutés, une préface, 240 pages environ)


Curriculum vitæ parfait de poète maudit, à mon avis, il est impossible de faire mieux:
Rien, ou si peu, publié de son vivant, maladie, dèche noire, mort jeune, adoubé chez Hugo, chez Nodier, chez Sainte-Beuve, habilité par rien moins que Baudelaire et Mallarmé, puis les surréalistes, jusqu'à son nom de plume qui n'est pas vraiment de lui, mais attribué par la postérité, etc...

Dans les Lettres francophones, il reste à jamais, pour cet ouvrage, considéré comme l'inventeur de la poésie en prose.

L'inventeur ?
Je vous vois venir, comme au reste le recense la préface, Fénelon, Senancour, Chateaubriand dans Attala, d'autres encore s'y étaient risqué, mais sous couvert de pseudo-traductions de chansons ou de poèmes.

Au reste des poètes étaient traduits (Byron, Jean de la Croix, etc...) sans respecter le formalisme du vers français, et l'on s'apercevait bien que les traductions "passaient" en langue française.
Et puis il y avait autrement plus notoire, flagrant et ancien, les traductions des Psaumes (de l'hébreu vers le latin, puis vers le français), entonnés ou chantés dans chaque paroisse, sans que la langue utilisée ne semble souffrir de cet accommodement...

Mais est-ce bien là ce qui distingue ce livre (un intérêt d'histoire littéraire) ?
Je ne crois pas. Le projet est original, l'auteur publie ce qu'il nomme des bambochades, terme droit venu de la peinture de Pieter Jacobsz Van Laer, alias Il Bamboccio, connu pour la puissance évocatrice de ses scènes, comme par exemple celle-ci:

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Il_bam10

Au surplus l'ouvrage est sous-titré "Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot" (NB; Jacques Callot, connu pour ses gravures aux mille détails comme L'Impruneta). D'autres artistes sont évoqués, Van Eyk, Lucas de Eyde, Peeter Neef, Bruegel de Velours, Van Ostade, Gérard Dow, Slavator Rosa, Murillo, Füssli...

Bertrand va même jusqu'à indiquer avec précision, dans des Notes sur l'illustration de Gaspard de la Nuit, ce qu'il conviendrait de faire dans ce domaine.
idem, "Instructions pour le metteur en pages" donne les impératifs de mise en page, commençant par celle-ci: Blanchir comme si le texte était de la poésie.

C'est, à mon humble avis, ceci en particulier, cette espèce d'innovation consistant à ce qu'une prosodie non versifiée fût à ce point enchâssée de blanc, qui lui valut d'abord l'intérêt, puis, à la lecture soutenue du riche contenu, toute l'estime, enfin toute l'admiration de Baudelaire et de Mallarmé.

Tandis qu'au XXème, d'Eluard, Reverdy, Max Jacob, André Breton (dont c'était prétendûment l'auteur préféré, difficile de ne pas y voir une coquetterie ???), etc... célèbrent plutôt le surréalisme inversé, tourné vers le passé.
Sainte-Beuve, avec une absence de recul tout à fait normale et compréhensible, rencontre le jeune homme de vingt et un ans au cénacle de Victor Hugo, se voit remettre le manuscrit de Gaspard, signe une longue préface pour une édition post-mortem, mais, au vu des thèmes (la matière médiévale) et des auteurs du temps, le classe dans une...voie inclassable du romantisme.

En fait tout le monde s'accorde sur un point: l'extrême originalité, la singularité d'Aloysius Bertrand.

Pour ma part, c'est sans doute ce que j'ai lu de plus frais, de plus enthousiasmant, en 2018.

La désarmante simplicité, mais couplée à un raffinement exceptionnel, le fait qu'il puisse manquer des points majeurs pour une lecture linéaire des bambochades, et, à la manière d'un tableau, en entrant dedans, dans un second plan, ou même beaucoup plus tard, même plus devant la toile mais y repensant, on complète par des éléments sous-jacents à l'aide de notre intuition, de notre imagination; tout ceci est hors du commun.
En cela, le lien à Rembrandt du sous-titre est pleinement justifié.


Mots-clés : #poésie #xixesiecle
par Aventin
le Sam 10 Mar - 21:00
 
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Sujet: Aloysius Bertrand
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Gustave Flaubert

Madame Bovary

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 4 Livre_11


Comment le récit d’une banale histoire d’adultère dans la bourgeoisie provinciale du 19e siècle devient-il un chef-d’œuvre de la littérature ? Et comment lire aujourd’hui ce roman en tentant de faire abstraction des multiples exégèses dont il a fait l’objet depuis sa parution ?

Tout au long de ma lecture, j’avais en arrière-plan cette affirmation de l’auteur : « Madame Bovary, c’est moi ! », phrase d’ailleurs qu’il n’a peut-être jamais prononcée (voir ici)
Quelles interprétations lui donner ?

La première qui me soit venue à l’esprit est l’investissement que Flaubert a mis dans cet ouvrage sur lequel il a travaillé de nombreuses années et qu’il a constamment modifié pour en faire une sorte d’œuvre d’art parfaite. La maïeutique a été longue et douloureuse. On comprend que Madame Bovary lui ait tenu à cœur. Ce livre, c’est lui !
J’ai été sensible à ce fameux « style », marque de fabrique de l’écrivain, mais peut-être plus à la construction du récit dont on parle moins souvent. Il s’agit pourtant d’une architecture élaborée avec une montée progressive des périls jusqu’à la catastrophe finale.

Mais « Madame Bovary c’est moi !» peut aussi s’entendre comme identification de l’auteur avec son héroïne, ce qu’on entend sous le terme de bovarysme. Qui est en fin de compte Emma ? une jeune femme de la petite bourgeoisie agricole de Normandie, nourrie dans sa jeunesse par la littérature romantique, qui rêve du grand amour, d’un destin hors du commun. Elle rencontre « Charbovari », grand cœur mais très terre à terre et manquant quelque peu de poésie. C’est l’histoire donc de deux mal mariés, ce qui entraîne l’un dans l’incompréhension de sa femme et l’autre dans la haine de l’époux.

En effet, Emma se trouve enfermée dans un village perdu de la campagne, monde fermé, mesquin, petit-bourgeois qui suinte l’ennui, la routine, l’espionnage des voisins. Il suffit d’en voir les descriptions qu’en donne Flaubert pour comprendre à quel point cette situation est un mouroir à petit feu.
Invitée à un bal par le châtelain, Emma découvre qu’il existe une autre vie, faite de plaisirs, de luxe, de raffinement, de rêve et d’idéal également. Elle est fasciné par les jeunes aristocrates.

« Dans leurs regards indifférents flottait la quiétude de passions journellement assouvies ; et, à travers leurs manières douces, perçait cette brutalité particulière que communique la domination de choses à demi faciles, dans lesquelles la force s’exerce et où la vanité s’amuse, le maniement des chevaux de race et la société des femmes perdues. »"]« Dans leurs regards indifférents flottait la quiétude de passions journellement assouvies ; et, à travers leurs manières douces, perçait cette brutalité particulière que communique la domination de choses à demi faciles, dans lesquelles la force s’exerce et où la vanité s’amuse, le maniement des chevaux de race et la société des femmes perdues. »


Plus tard, elle pense rencontrer ce bonheur sous les traits de Léon, le jeune clerc de notaire. Il est beau, sensible à la poésie, possède une âme romantique. Les deux oiseaux isolés se plaisent, mais Léon doit poursuivre ses études à Paris. Amour resté platonique, mais première fêlure dans l’univers romanesque d’Emma et première trahison de Charles.

Le bonheur le voici vraiment cette fois, en la personne de Rodolphe, plus âgé que Léon, ayant du « vécu », bien fait de sa personne, beau parleur, disposant de substantiels revenus et habitant le manoir d’Yonville-l’Abbaye. Emma tombe rapidement sous le charme. S’engage alors une liaison passionnée.

« Quant à Emma, elle ne s’interrogea point pour savoir si elle l’aimait. L’amour, croyait-elle, devait arriver tout à coup, avec de grands éclats et des fulgurations, -ouragans des cieux qui tombent sur la vie, la bouleverse, arrache les volontés comme des feuilles et emporte à l’abîme le cœur entier. Elle ne savait pas que, sur la terrasse des maisons, la pluie fait des lacs quand les gouttières sont bouchées, et elle fût ainsi demeurée en sa sécurité, lorsqu’elle découvrit subitement une lézarde dans le mur. »


Mais Emma est trop passionnée justement, elle veut fuir en Italie avec Rodolphe. Celui-ci prend peur, l’affaire va trop loin et puis cette maîtresse commence à l’ennuyer. Il l’abandonne donc et s’enfuit sur Paris.
C’est une profonde trahison pour Emma et une secousse qui l’ébranle de la tête aux pieds, au point que commencent de vrais troubles physiques : évanouissements, sautes d’humeur, repli sur soi, haine de plus en plus marquée pour Charles.

« Oui, murmurait-elle en grinçant des dents, il me pardonnera, lui qui n’aurait pas assez d’un million à m’offrir pour que je l’excuse de m’avoir connue… »


Elle pense trouver le repos dans la religion, mais comme toujours en adoptant une approche exaltée. Le brave curé est à mille lieux de pouvoir comprendre quoi que ce soit au désarroi d’Emma.

Enfin elle retrouve Léon, plus mûr mais toujours aussi amoureux ; nouvelle liaison, nouveaux mensonges, passion hors du commun, folle course à l’abîme d’un être qui a perdu tout repaire, toute dignité… Là encore, l’amant se révélera d’une rare lâcheté.
En fin de compte le seul vrai amant d’Emma fut Charles, amant qu’elle n’a pas su, qu’elle n’a pas voulu voir. Pourtant le seul mâle qui serait à sauver dans cette histoire sordide.

Madame Bovary n’est-ce pas Flaubert engoncé dans la médiocrité du quotidien, rêvant d’Orient, de Salambo… ? N’est-ce pas nous ?

Emma Bovary c’est le romantisme porté à son extrême, une femme de caractère qui rêve d’idéal et qui se heurte sans cesse à la médiocrité du monde, à la lâcheté des hommes. Dans la dernière partie du livre c’est un papillon affolé, qui perd pied, qui va au bout de la trahison, de l’humiliation. C’est également, un être capable de rouerie, de désirs mesquins et qui peut se révéler futile et boursouflé de vanité. Emma est séduisante, agaçante, répulsive tout à la fois. Multiple Emma dans laquelle le lecteur trouvera toujours une part de lui-même. Emma qui exercera sa fascination à différents âges de la vie, des relectures. Peut-être une clef pour la transformation de ce récit en chef d’œuvre ?

Curieusement, j’ai beaucoup pensé à des chansons de Brel qui a su trouver des mots justes pour décrire le heurt de l’idéal à la médiocrité du réel.

« Car tout bourgeois, dans l’échauffement de sa jeunesse, ne fut-ce qu’un jour, une minute, s’est cru capable d’immenses passions, de hautes entreprises. Le plus médiocre libertin a rêvé de sultanes ; chaque notaire porte en soi les débris d’un poète. »


« N’importe ! elle n’était pas heureuse, ne l’avait-elle jamais été. D’où venait cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s’appuyait ?... »


« Elle avait des paroles tendres avec des baisers qui lui emportaient l’âme. Où donc avait-elle appris cette corruption, presque immatérielle à force d’être profonde et dissimulée ? »


« Il s’efforçait même de ne pas la chérir ; puis, au craquement de ses bottines, il se sentait lâche, comme les ivrognes à la vue des liqueurs fortes. »


« Puis, se calmant, elle finit par découvrir qu’elle l’avait sans doute calomnié. Mais le dénigrement de ceux que nous aimons toujours nous en détache quelque peu. Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains. »


Petite anecdote : j’ai rencontré dans le livre un lointain ancêtre qui ne faisait pas un métier très joli !

« Elle fut stoïque, le lendemain, lorsque maître Hareng, l’huissier, avec deux témoins, se présenta chez elle pour faire le procès-verbal de la saisie. »


Autre anecdote : je vois une pastille sur la couverture du livre "bac 2015". Je me souviens vaguement avoir lu "Madame Bovary" dans le cadre scolaire, sans en avoir gardé aucun souvenir....


mots-clés : #amour #psychologique #xixesiecle
par ArenSor
le Mar 6 Mar - 19:13
 
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Sujet: Gustave Flaubert
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Gustave Flaubert

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L'Education sentimentale

(Edition LGF. Livre de Poche, illustré avec un autoportrait de Léon Bonnat)

J'aimais bien imaginer le père Flaubert rêvant au vingtième siècle ( en littérature je précise) bien qu'il ne pouvait pas savoir, je pense que les écrivains des trente premières années du moins, lui aurait beaucoup plu ? Je ne sais pas, je laisse aux exégètes le soin d'imaginer des réponses. Pour autant que ça veuille dire grand-chose, j'ai eu le sentiment plus net que Flaubert là se rapprochait plus de ses contemporains, Thackeray surtout. Frédéric a moins de forfanterie que Barry Lyndon, il semble plus innocent, plus ingénu... quel masque ! J'avoue être tenté de repenser à la Foire aux Vanités, tant l'ensemble ressemble à de gigantesques noces : les personnages se succèdent dans leur bêtise ― pauvres ou grands de ce monde ― dans leurs aspirations pour le grandiose, au milieu du désordre révolutionnaire (mais il n'y a pas de révolution dans La Foire aux Vanités), et des torgnoles, fourberies et coucheries surtout. Entre tous, Frédéric, versatile coureur de jupons, deviendra ministre ou rien du tout, s'il en a le temps...! et Flaubert de vous sublimer tout ça au cordeau, au bal par exemple ou à Fontainebleau.

Gustave Flaubert a écrit:– Décidément, tu n'as pas de chance ! dit Rosanette.
– Oh ! Oh ! peut-être ! voulant faire entendre par là plusieurs bonnes fortunes, afin de donner de lui meilleur opinion, de même que Rosanette n'avouait pas tous ses amants pour qu'il l'estimât davantage ; ― car, au milieu des confidences les plus intimes, il y a toujours des restrictions, par fausse honte, délicatesse, pitié. On découvre chez l'autre ou dans soi-même des précipices ou des fanges qui empêchent de poursuivre ; on sent, d'ailleurs, que l'on ne serait pas compris ; il est difficile d'exprimer exactement quoi que ce soit : aussi les unions complètes sont rares.


mots-clés : #initiatique #xixesiecle
par Dreep
le Jeu 1 Fév - 19:17
 
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Sujet: Gustave Flaubert
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